Apport de la pH-impédancemétrie au diagnostic du reflux gastro-oesophagien et de la dysphagie
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33482_2103_2106.qxp 25.9.2008 9:26 Page 1 le point sur… Apport de la pH-impédancemétrie au diagnostic du reflux gastro- œsophagien et de la dysphagie Les manifestations ORL du reflux gastro-œsophagien sont fré- quentes. La pH-impédancemétrie permet d’évaluer des reflux acides ou non acides et de déterminer leur extension proximale. A la lumière de deux patients de notre collectif, nous observons une corrélation entre reflux non acide et symptômes ORL dans le premier cas et une suppression acide insuffisante dans le deuxiè- me cas. Ces résultats nous orientent vers un traitement spéci- Rev Med Suisse 2008 ; 4 : 2103-6 fique complémentaire aux inhibiteurs de la pompe à protons. La pH-impédancemétrie détecte les reflux aussi bien acides F. Olivier que non acides, et analyse la concordance entre les symp- tômes et les épisodes de reflux. Elle permet ainsi une meilleure E. Brossard compréhension des manifestations ORL du reflux gastro-œso- Drs Frédéric Olivier et Edgar Brossard phagien et une prise en charge thérapeutique mieux adaptée. Service d’ORL et de chirurgie cervico- faciale CHUV, 1011 Lausanne frederic.olivier@chuv.ch edgar.brossard@chuv.ch INTRODUCTION La laryngite sur reflux gastro-œsophagien (RGO) et son cortège de symptômes ORL est une situation clinique courante, les plaintes les plus fréquentes étant la toux, une raucité de la voix Advantages of pH-impedance monitoring et un globus pharyngé.1-3 Devant la persistance des symptômes malgré un trai- in gastro-esophageal reflux and dysphagia tement anti-acide adéquat, les paramètres suivants sont remis en question : l’ef- investigations ENT symptoms of gastro-esophageal reflux are ficacité des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), la compliance du patient ou frequent. pH-impedance can detect acid and la présence d’un reflux non acide. Pour répondre à ces questions, la pH-métrie non-acid reflux and mesure their proximal ex- seule ne permet pas une évaluation complète de la pathologie de reflux, par tension. The technique identifies the refluxate exemple pour détecter des reflux non acides et déterminer leur extension proxi- by changes in impedance. male.4 L’impédancemétrie œsophagienne 5,6 permet de détecter la présence d’un We discuss 2 clinical situations where corre- bolus intraluminal et de définir sa progression antéro- ou rétrograde. Son principe lation of symptoms could be explained by a non-acid reflux in the first case, and a lack of repose sur la mesure de la conductivité entre six paires d’électrodes le long de acid suppression in the second case, respec- la lumière œsophagienne. Lors du passage du bolus alimentaire ou d’un reflux tively. These results lead to a specific additio- liquide, la résistance élevée correspondant à la paroi œsophagienne chute en nal treatment to proton pump inhibitors (PPI). raison de la conductivité générée par le contact liquidien (figure 1). L’analyse des This technology provides a better understan- variations d’amplitude des courbes (= variation d’impédance) par rapport au temps ding of the pathogenesis of reflux laryngitis, permet de mettre en évidence la nature du bolus (liquide, gazeux ou mixte), sa and affords the prescription of PPI on a proven propagation prograde ou rétrograde et sa hauteur de migration proximale (figu- diagnosis. Detection of non-acid reflux leads to an optimized medical treatment. res 2 et 3). La sonde est introduite par la fosse nasale, et positionnée 5 cm en amont du sphincter œsophagien inférieur. Le repérage du sphincter œsopha- gien inférieur se fait par mesure de pH ou par mesure manométrique à l’aide d’une sonde équipée d’un ballonnet. Disposant d’un capteur de pH distal, cette sonde parvient ainsi à détecter les reflux acides (RA) et reflux non acides (RNA). La clairance du bolus et la clairance acide sont évaluées, de même que les reflux post-prandiaux et les artéfacts dus à une alimentation acide. Ainsi, en raison de la fréquence élevée des manifestations ORL du RGO, la pH-impédancemétrie (pHi) de 24 heures est nécessaire pour l’investigation du RGO et de la dysphagie, afin de diriger leur approche thérapeutique de manière efficace. CASUISTIQUE Nous exposons deux situations cliniques classiques de notre casuistique lau- 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2008 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2008 2103
33482_2103_2106.qxp 25.9.2008 9:26 Page 2 sannoise, qui mettent en évidence les possibilités diag- nostiques de la pHi et leurs conséquences thérapeutiques. Impédancemétrie : principe Cas n° 1 La première patiente, actuellement non traitée par IPP, Air est une femme de 26 ans qui présente des dysesthésies Impédance Clearance intraluminale basale pharyngées et une toux intermittente. Un traitement d’épreuve par oméprazole conduit durant trois semai- ohms Bolus liquide nes n’avait que partiellement diminué les symptômes. Impédance L’anamnèse rhinologique est vierge, il n’y a pas d’allergie connue. Au status, on constate un érythème de la com- missure laryngée postérieure. Les fosses nasales sont libres, la muqueuse oropharyngée est calme, sans écou- Temps lement postérieur. L’analyse de la pHi de 24 heures (ta- secondes bleau 1) met en évidence une exposition acide normale Figure 1. Modification de l’impédance au passage avec un score de Demeester à 10,4 (normal l 14,7). Ce- d’un bolus liquide pendant, les analyses d’impédance indiquent un nom- La colonne d’air précédant le bolus augmente transitoirement l’impédance, bre de 58 RA et 26 RNA, soit un total de 84 épisodes de qui chute ensuite au contact du liquide. reflux par 24 heures (norme inférieure à 73/24 heures). C’est en position debout que les reflux sont les plus nombreux, avec un total de 69 épisodes ; en décubitus, 15 épisodes de reflux sont dénombrés. Concernant la corrélation entre la toux et les épisodes de reflux, il Bolus à progression antérograde : déglutition existe une relation positive avec un index à 90% : sur les pharynx dix épisodes de toux durant la période d’examen, neuf ont été précédés d’un épisode de reflux documenté dans un intervalle de cinq minutes avant la toux. La re- lation est définie comme positive si l’index est supérieur ou égal à 50%. Ces reflux sont à prédominance acide. Il n’y a pas de corrélation entre les paresthésies et les épiso- des de reflux : sur les quatre épisodes de paresthésies, un seul a été précédé d’un reflux, l’index est donc à 25%. Cas n° 2 estomac Temps La deuxième patiente a 52 ans. Elle présente un globus Figure 2. Les modifications successives de pharyngé intermittent, avec au status un œdème de la l’impédance de proximal en distal documentent commissure laryngée postérieure. L’examen rhinologi- une déglutition que et oro-pharyngé est dans la norme. Cette patiente est sous oméprazole 40 mg 1 x/j, elle n’a pas d’allergie connue. Le score de Demeester est non applicable, en raison du traitement d’IPP. Les résultats d’impédance Bolus à progression rétrograde : reflux pharynx Tableau 1. Détection des reflux par impédance et corrélation avec les symptômes, cas clinique nº 1 Détection des reflux par impédance Debout Couché Total Reflux acide 49 9 58 Reflux non acide 20 6 26 Total 69 15 84 Corrélation des symptômes avec les reflux Symptômes Total Associés Associés Associés Index estomac à un reflux à un reflux à tous Temps acide non acide reflux Figure 3. La chute de l’impédance débute sur Toux 10 6 5 9 90% les capteurs distaux, illustrant un reflux gastro- Paresthésies 4 1 0 1 25% œsophagien 2104 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2008 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2008 0
33482_2103_2106.qxp 25.9.2008 9:26 Page 3 dernier repas de la journée avant le coucher. En effet, les (tableau 2) dénombrent 16 RA et 48 RNA, soit un total de relaxations transitoires du sphincter œsophagien inférieur 64 épisodes par 24 heures (norme inférieure à 48/24 heu- augmentent avec la distension gastrique, la charge lipidi- res chez les patients sous IPP). On retrouve la nette pré- que du contenu intragastrique et la position de décubitus. dominance des reflux en position debout, avec un total Les pHi normales sont également très précieuses car de 61, par opposition aux trois épisodes de reflux en elles permettent d’exclure la piste «reflux» à l’origine des décubitus. La corrélation entre les symptômes de globus symptômes ORL. En effet, l’hypothèse diagnostique de et les épisodes de reflux révèle une association positive laryngite de reflux est souvent retenue pour des présenta- avec un index à 53% : sur quinze épisodes de globus tions cliniques évocatrices, mais elle est rarement vérifiée durant l’enregistrement, huit ont été précédés d’un reflux en cas de réponse partielle au traitement d’épreuve par dans un intervalle de cinq minutes. Ces reflux sont à pré- IPP. Le coût d’un traitement IPP à long terme est consé- dominance non acide. quent, de même que le nombre de patients sous cette mé- La douleur pharyngée est associée à un reflux non acide. dication. Cette technique permet également une meilleure L’index de corrélation entre les symptômes et les épi- compréhension de la pathogenèse de l’atteinte laryngée, sodes de reflux n’est pas contributif, en raison de l’uni- par les reflux liquides mais également gazeux.7 que épisode de douleur pharyngée. Certains patients présentent des symptômes classiques de RGO, associés à des reflux non acides mais avec un Tableau 2. Détection des reflux par impédance nombre de reflux dans les limites de la norme ; la notion et corrélation avec les symptômes, cas clinique nº 2 de sensitive esophagus est avancée, expliquée par un seuil de sensibilité abaissé. Les épisodes de reflux sont alors perçus Détection des reflux par impédance et interprétés comme une douleur. Ces patients peuvent Debout Couché Total répondre à un traitement d’antidépresseurs à faibles doses. Reflux acide 16 0 16 Les travaux du Pr Donald Castell ont démontré l’impor- Reflux non acide 45 3 48 tance clinique du reflux non acide.8,9 Sur un collectif de 131 patients avec des symptômes ORL de RGO persistant Total 61 3 64 sous IPP, 4 (3%) avaient une association positive pour un Corrélation des symptômes avec les reflux RA, 25 (19%) avaient une association positive pour un RNA, Symptômes Total Associés Associés Associés Index et 102 (78%) n’avaient pas d’association entre les symptô- à un reflux à un reflux à tous mes et les épisodes de reflux. Ces études soutiennent le acide non acide reflux postulat d’une large surestimation du RGO et soulignent Globus 15 4 6 8 53% par conséquent le traitement inadéquat par IPP pour un Douleur 1 0 1 1 100% grand nombre de patients. Le coût d’une sonde de pH-métrie est de CHF 180.–, celui d’une sonde de pH-métrie standard est de CHF 50.–. Les informations supplémentaires que nous apporte cet DISCUSSION examen compensent largement le surcoût engendré par le Pour la première patiente, il y a une indication claire à prix de la sonde. L’analyse des courbes nécessite un en- un traitement antiacide. Une prescription d’IPP à raison de traînement suffisant pour dépister des épisodes de reflux 40 mg 1 x/jour sera proposée. Toutefois, en raison des RNA ayant échappé au logiciel. A l’inverse, des variations d’im- responsables d’une partie des symptômes, le traitement pédance interprétées comme reflux par le programme in- devra être adapté en cas de non-réponse aux seuls IPP. formatique sont parfois liées à des artéfacts et donc à éli- Ainsi, un traitement complémentaire par dompéridone ou miner. Les dernières versions du logiciel sont de plus en métoclopramide pourra être ajouté pour améliorer la con- plus performantes et augmentent ainsi la sensibilité et la tinence gastro-œsophagienne et la vidange gastrique. spécificité de l’examen. La deuxième patiente, malgré son traitement IPP, pré- sente des reflux acides résiduels responsables d’une par- tie des symptômes de globus pharyngé. La suppression CONCLUSION acide doit être optimalisée avec une deuxième dose d’IPP La pHi n’est pas à effectuer en première intention pour et un anti-H2 pour couvrir la période nocturne. Chez cette un patient présentant des signes et symptômes de RGO. patiente, ce sont les RNA qui sont responsables de la plu- Un traitement d’épreuve par un IPP est préconisé à une part des épisodes de globus. Par conséquent, la prise en dose minimum de 40 mg par jour durant un mois. La pHi charge thérapeutique comprendra le dompéridone et le est utile en cas de non-réponse au traitement d’épreuve métoclopramide. Si nécessaire, le baclofène est ajouté en par IPP : deuxième ligne ; il s’agit d’un agoniste GABA qui diminue • la pHi peut détecter un RNA, un traitement ciblé sera les relaxations transitoires du sphincter œsophagien infé- alors instauré ; rieur, mais ses effets secondaires sur le système nerveux • la pHi peut isoler un RA non contrôlé par le traitement central sont à surveiller (sédation, somnolence). A ces trai- anti-acide, qui devra être renforcé ; tements médicamenteux s’ajoutent naturellement des re- • la pHi est normale, un RA ou RNA ont pu être exclus et commandations concernant l’hygiène alimentaire : éviter l’on s’oriente vers une autre piste. les repas copieux et trop riches en graisses, espacer le Cette technique est en passe de devenir le nouveau 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2008 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2008 2105
33482_2103_2106.qxp 25.9.2008 9:26 Page 4 gold standard pour le diagnostic du RGO, d’une part pour Implications pratiques éclaircir les échecs des traitements d’épreuve par anti- acides en cas de forte suspicion clinique, et d’autre part > La pHi apporte une aide diagnostique en cas d’échec du trai- pour documenter un reflux réel et prescrire un IPP à bon tement d’épreuve par IPP lors de forte suspicion clinique escient. En effet, au vu des articles susmentionnés, les IPP pour un RGO sont largement prescrits ut aliquid pour des signes ou symptômes évocateurs d’un RGO, avec un effet ne dépas- > La pHi dépiste les reflux non acides potentiellement respon- sables des symptômes ORL, hors de portée de la pH-métrie sant parfois pas celui du placebo.10 A l’heure de l’evidence seule based medicine, la pHi permet de poser un diagnostic de cer- titude et de cibler les patients à traiter par des antiacides, > En cas de pHi normale, la piste «reflux» à l’origine des symp- éventuellement en association avec des agents agissant tômes ORL peut être exclue, et une autre étiologie est sur le tonus sphinctérien et la motilité gastrique. Cette mé- recherchée thode va même jusqu’à définir les candidats à un montage antireflux, avec une bonne efficacité à moyen terme.11,12 > Un reflux acide et/ou non acide documenté par une pHi per- met de prescrire un traitement médicamenteux au long cours à bon escient Bibliographie 1 Richter JE. Extraesophageal presentations of gastro- and gastroesophageal reflux monitoring. J Clin Gastro- A study in patients off and on therapy. Am J Gastro- esophageal reflux disease : An overview. Am J Gastro- enterol 2003;37:206-15. enterol 2006;101:1-8. enterol 2000;95(Suppl. 8):S1-3. 6 Sifrim D, Fornari F. Esophageal impedance-pH moni- 10 * Karkos PD, Wilson JA. Empiric treatment of 2 Wong RKH, Hanson DG, Waring PJ, et al. ENT toring. Dig Liver Dis 2008;40:161-6. laryngopharyngeal reflux with proton pump inhibitors : manifestations of gastroesophageal reflux. Am J Gastro- 7 * Kawamura O,Aslam M, Rittmann T, et al. Physical A systematic review. Laryngoscope 2006;116:144-8. enterol 2000;95(Suppl. 8):S15-22. and pH properties of gastroesophagopharyngeal re- 11 Mainie I,Tutuian R,Agrawal A, et al. Combined mul- 3 Toohill RJ, Kuhn JC. Role of refluxed acid in patho- fluxate : A 24-hour simultaneous ambulatory impedance tichanel intraluminal impedance-pH monitoring to genesis of laryngeal disorders. Am J Med 1997;103 and pHmonitoring study. Am J Gastroenterol 2004;99: select patient with persistent gastro-oesophageal reflux (5A):100-6. 1000-10. for laparoscopic Niessen fundoplication. Br J Surg 2006; 4 ** Hila A,Agrawal A, Castell DO. Combined multi- 8 ** Mainie I,Tutuian, Shay S, et al.Acid and non-acid 93:1483-7. channel intraluminal impedance and pH esophageal reflux in patients with persistent symptoms despite 12 Tutuian R, Mainie I, Agrawal A, et al. Non-acid reflux testing compared to pH alone for diagnosing both acid acid suppressive therapy : A multicenter study using in patients with chronic cough on acid-suppressive the- and weakly acidic gastroesophageal reflux. Clin Gastro- combined ambulatory impedance-pH monitoring. Gut rapy. Chest 2006;130:386-91. enterol Hepatol 2007;5:172-7. 2006;55:1398-402. 5 * Tutuian R, Vela MF, Shay SS, et al. Multichannel 9 Zerbib F, Roman S, Ropert A, et al. Esophageal pH- * à lire intraluminal impedance in esophageal function testing impedance monitoring and symptom analysis in GERD : ** à lire absolument 2106 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2008 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2008 0
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