Artavazd Pelechian La Nature - Fondation Cartier
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Artavazd EXPOSITION 24 OCTOBRE 2020 → 25 AVRIL 2021 Pelechian Trois films d’un cinéaste légendaire La Nature Dossier de presse fondationcartier.com — 261, boulevard Raspail – 75014 Paris
RESPONSABLE DES RELATIONS PRESSE Matthieu Simonnet matthieu.simonnet@fondation.cartier.com Tél. 01 42 18 56 77 ATTACHÉE DE PRESSE Sophie Lawani-Wesley sophie.lawani-wesley@fondation.cartier.com Tél. 01 42 18 56 65 ATTACHÉE DE PRESSE CINÉMA Matilde Incerti matilde.incerti@free.fr Tél. 01 48 05 20 80 fondationcartier.com/presse FONDATION CARTIER POUR L’ART CONTEMPORAIN fondationcartier.com 261, boulevard Raspail 75014 Paris ← Couverture : Artavazd Pelechian, La Nature, 2020. © Artavazd Pelechian. DR.
03 ARTAVAZD PELECHIAN, LA NATURE 04 BIOGRAPHIE 06 FILMOGRAPHIE 08 VISUELS PRESSE 10 CONVERSATION ENTRE ARTAVAZD PELECHIAN ET JEAN-LUC GODARD 12 E XTRAITS DE MOYO KINO PAR ARTAVAZD PELECHIAN 17 PROGRAMMATION 2021 20 PARTENAIRES MÉDIAS 21 INFORMATIONS PRATIQUES Partenaires du film La Nature avec le soutien de
La Nature Alors que l’on a longtemps cru sa filmographie achevée avec « Je suis persuadé que le cinéma peut le film La Vie en 1993, Artavazd Pelechian revient aujourd’hui avec un nouveau film, sobrement intitulé La Nature, à travers véhiculer certaines choses qu’aucune langue lequel il observe une nouvelle fois la précaire cohabitation des au monde ne peut traduire. Pour moi, il date communautés humaines avec leur environnement, un thème de la tour de Babel, d’avant la division en central dans son œuvre. Glanées sur Internet, la plupart des images qui constituent ce film sont des témoignages fragiles différents langages. » Artavazd Pelechian tournés avec des moyens amateurs au cœur de la nature et de ses secousses, qui régulièrement bouleversent ces communautés. La Fondation Cartier pour l’art contemporain est heureuse Éruptions volcaniques, tremblements de terre, tsunamis, d’annoncer la présentation en première mondiale de La Nature, constituent ainsi la trame visuelle du film et sont mis en regard le nouveau film du légendaire cinéaste Artavazd Pelechian, fruit d’images de paysages naturels grandioses. Véritable élégie d’une commande passée en 2005 par la Fondation Cartier et le visuelle, le film dresse le constat sans appel de la supériorité de ZKM Filminstitut1. Ce film est l’aboutissement de quinze années la nature, force implacable capable de surpasser toute ambition de travail d’un réalisateur à la filmographie aussi rare que célébrée. humaine. Le cinéaste semble ainsi nous rappeler que l’espèce Première exposition consacrée en France à Artavazd Pelechian, humaine ne sortira pas victorieuse du désordre écologique La Nature propose un dialogue inédit entre trois œuvres qu’elle a créé. majeures du cinéaste : La Nature, son premier film depuis vingt- sept ans, La Terre des hommes, l’un de ses tout premiers films Parallèlement à la projection de ce film-événement, la Fondation datant de 1966 et Les Saisons, ode au monde paysan réalisée Cartier propose la redécouverte de deux joyaux de la filmographie en 1975. L’exposition permet de mettre en lumière cet artiste du cinéaste. Les Saisons met en scène une communauté de majeur du septième art et son œuvre lyrique aux accents parfois paysans arméniens et témoigne du lien symbiotique qui les unit prophétiques. à l’environnement naturel au sein duquel ils vivent et travaillent. L’approche musicale du montage cinématographique d’Artavazd La Fondation Cartier poursuit ainsi sa collaboration de longue date Pelechian atteint avec ce film des sommets d’intensité. Avec avec le cinéaste. Depuis près de vingt ans, elle a développé une La Terre des hommes, film précurseur, le cinéaste observe, à la profonde complicité avec Artavazd Pelechian dont elle a célébré manière du Penseur de Rodin dont l’image ouvre et clôt le film, l’œuvre à de multiples reprises. Ses films ont notamment été la soif de progrès technologique qui anime les hommes, et dont présentés à l’occasion des expositions Un Art populaire (2001), témoignent, au cœur des années soixante, une grande capitale Ce qui arrive (2002), Les Habitants, pour le trentième anniversaire comme Moscou et ses réalisations techniques et architecturales. de la Fondation Cartier (2014), ainsi que lors d’expositions de la Cette célébration des promesses du progrès annonce pourtant collection de la Fondation Cartier à Buenos Aires (2017), Shanghai la suite de la filmographie du cinéaste qui développera une vision (2018) et prochainement à la Triennale de Milan (printemps 2021). plus pessimiste de cette course technologique. Né en Arménie, Artavazd Pelechian a créé l’essentiel de son Ainsi réunies, ces trois œuvres essentielles engagent un dialogue qui résonne profondément avec les enjeux du présent. Complétée ↑ 3. Artavazd Pelechian, La Nature, images du film, 2020 © Artavazd Pelechian. DR. œuvre à Moscou entre 1964 et 1993. Pendant près de trente années, au cœur du système soviétique, il réalise neuf films, courts par une salle consacrée à la vie et à l’œuvre du cinéaste, enrichie ou moyens métrages à la facture unique, presque exclusivement d’images et de documents d’archives, l’exposition dresse un en noir et blanc, constitués d’images documentaires. Archives portrait unique de ce cinéaste dont la filmographie occupe ou prises de vues réelles tournées par le cinéaste, ces images une place à part dans l’histoire du cinéma. sont retravaillées (ralenties, recadrées, inversées) et montées ensemble pour aboutir à de véritables poèmes visuels qui La Nature (2020) est une coproduction de la Fondation Cartier échappent à la distinction classique entre fiction et documentaire. pour l’art contemporain à Paris et du ZKM à Karlsruhe, avec le Prenant appui sur des thèmes universels, tels que la naissance, soutien de la Folks Arts Hub Foundation à Erevan. l’exil, ou la vie animale, chacun de ses films témoigne de la croyance d’Artavazd Pelechian en un langage propre au cinéma. Commissaires : Hervé Chandès et Thomas Delamarre, Son écriture, qui se passe de toute narration, associe subtilement, assistés de Sidney Gérard. et en leur accordant la même importance, l’image et la bande 1. Zentrum für kunst und medien (Centre d’art et de technologie des médias), Karslruhe sonore. Ainsi qu’il l’explique en 1992 à Jean-Luc Godard : (Allemagne). « Je cherche un montage qui créerait autour de lui un champ 2. « Un langage d’avant Babel », conversation entre Artavazd Pelechian et Jean-Luc magnétique émotionnel 2. » Godard, propos recueillis par Jean-Michel Frodon, Le Monde, édition du 2 avril 1992. Cinéma de l’émotion, sans dialogue, sans acteur et sans histoire, son œuvre emporte le spectateur par son lyrisme envoûtant et Retrouvez toutes les informations sur pose un regard tranchant, et néanmoins plein d’empathie, sur la condition humaine. Découvert avec saisissement en Occident l’exposition, la programmation des Soirées au début des années 1980 par le critique de cinéma Serge Daney Nomades, des Nuits de l’Incertitude et des d’abord, puis par Jean-Luc Godard, le cinéaste trouve dès lors Ateliers Jeune Public sur fondationcartier.com sa place parmi les grandes figures du cinéma mondial. 3
Biographie 1938 1966 1969 Artavazd Pelechian naît en Arménie La Terre des hommes Nous | We à Léninakan, actuelle Gumri. Il grandit Land of the People Film 35 mm, noir et blanc, 26 min, à Kirovakan (aujourd’hui Vanadzor) où, Film 70 mm, noir et blanc, 10 min, URSS Arménie / URSS après une formation technique, il exerce Une image de la sculpture d’Auguste Hommage vibrant au peuple arménien, successivement les métiers d’ouvrier Rodin, Le Penseur, ouvre et clôt La Terre Nous met en images l’exil, lhes retrouvailles, métallurgiste et de dessinateur industriel. des hommes. Entre ces deux séquences, la ferveur collective, les destructions le film évoque en images les réalisations et reconstructions, évocateurs des et activités par lesquelles les humains soubresauts de l’histoire de l’Arménie. 1963 Avec ce film, Artavazd Pelechian habitent la Terre. Désormais installé à Moscou, Artavazd commence à explorer le montage Pelechian décide d’intégrer le VGIK, « C’est le thème de la découverte à distance. la prestigieuse école de cinéma qui a formé permanente de la beauté du monde, que d’autres grands noms du cinéma soviétique l’homme réalise dans sa vie et dans son comme Andreï Tarkovski, Sergueï travail, qui est développé dans le cadre 1970 Paradjanov, Alexandre Sokourov et Andreï d’une grande ville, présentée au cours d’une journée de labeur. Ce film démarre Les Habitants Kontchalovski. Il y réalise ses trois premiers et se termine sur l’image de la sculpture The Inhabitants films et obtient son diplôme en 1968. de Rodin : Le Penseur, qui tourne sur Film 35 mm, noir et blanc, 10 min, elle-même. Cette sculpture célèbre est Biélorussie / URSS « Ça venait de mon être profond, de mon regard sur le monde. Ce n’est que plus tard devenue depuis longtemps le symbole Dans ce film pionnier, des hordes d’animaux que j’ai pu écrire ces textes sur le montage de l’expression inaltérable de la pensée sauvages, ces autres habitants de la à distance qui exposent ma manière de humaine. » planète, fuient une menace invisible, voir le cinéma. Je savais que ce que je que le spectateur associe progressivement sentais, je n’arriverais à l’exprimer avec à l’emprise de l’homme sur la planète. des mots mais qu’un des moyens serait le 1967 Première projection d’un film d’Artavazd cinéma. » Pelechian en Occident : Nous est présenté Au Début au Festival international du court-métrage The Beginning d’Oberhausen en Allemagne où il obtient 1964 Film 35 mm, noir et blanc, 10 min, URSS le premier prix du jury. Réalisé à l’occasion du 50e anniversaire La Patrouille de la montagne « Le film est construit sur l’idée d’une de la révolution d’Octobre (1917), le film Mountain Patrol relation pleine d’humanité avec la nature montre en parallèle des images Film 35 mm, noir et blanc, 10 min, de la révolution russe et des séquences et le monde animal. Il est question bien sûr Arménie / URSS des agressions perpétrées par l’homme évoquant l’actualité de la lutte sociale Ce film suit un groupe de travailleurs dans les années 1960 à travers le monde. contre la nature, et de la menace que qui dégagent quotidiennement les voies constitue la destruction de l’harmonie ferrées pour le passage des trains dans naturelle. » les montagnes arméniennes. Artavazd Pelechian exalte la dignité et la rigueur du travail manuel. 1975 Les Saisons The Seasons Film 35 mm, noir et blanc, 29 min 59 s, Arménie / URSS Animé d’un souffle épique, Les Saisons suit une communauté de paysans arméniens dans leur labeur quotidien, accordant leur rapport à la nature au rythme des saisons. 1982 Notre Siècle Our Century Film 35 mm, noir et blanc, 48 min (1982) / 30 min (1990), Arménie / URSS Notre Siècle évoque la course aux étoiles dans laquelle se sont lancés au xxe siècle les États-Unis et l’URSS. L’utopie du rêve d’Icare s’y transforme en une course technologique effrénée. 15. Raymond Depardon, Artavazd Pelechian, 2006 © Raymond Depardon. ↑ 4
1983 1993 2015 Le critique de cinéma Serge Daney Vie | Life Publication en versions russe et anglaise rencontre Artavazd Pelechian à Moscou. Film 35 mm, couleur, 7 min, Arménie / URSS de My Universe and Unified Field Theory Il publie alors dans Libération l’un des [Mon Univers et ma théorie du champ premiers portraits consacrés au cinéaste Vie célèbre l’instant de la naissance à unifié]. Artavazd Pelechian y développe dans la presse occidentale, ce qui travers des images de femmes en travail une réflexion sur les notions d’espace marque le début de sa reconnaissance et de nouveau-nés. Véritable hymne à la et de temps en lien avec ses conceptions internationale. vie, le film fait référence à l’iconographie cinématographiques. Il fait ainsi écho religieuse pour évoquer le mystère de la à ce qu’il écrivait plusieurs décennies « J’ai soudain le sentiment (agréable) mise au monde. auparavant dans son texte Le Montage de me trouver face à un chaînon manquant à contrepoint. de la véritable histoire du cinéma. » Serge Daney, Libération, 11 août 1983 2000 Il est récompensé par le prix SCAM 2020 (Société des Auteurs Multimédia) 1988 de Télévision pour l’ensemble de son La Nature Nature Publication en russe de Moyo Kino [Mon œuvre. Film numérique, noir et blanc, 62 min, France / Cinéma], un livre manifeste dans lequel Arménie / Allemagne le cinéaste développe ses théories cinématographiques et notamment sa 2001 Le nouveau film d’Artavazd Pelechian met en scène une nature puissante conception du montage à distance (aussi La Fondation Cartier présente le film et souveraine, capable de dompter appelé montage à contrepoint). Les Saisons à l’occasion de l’exposition les communautés humaines et leurs Un Art populaire. C’est le début d’une réalisations. La Nature offre une vision À l’invitation du Festival international du film relation durable avec le cinéaste, qui saisissante de l’issue probable du de Rotterdam, Artavazd Pelechian effectue se prolonge à l’occasion d’expositions désordre écologique en cours. son premier voyage en Occident. L’année présentées à Paris (notamment Ce qui suivante, Jean-Luc Godard découvre arrive, conçue par le philosophe Paul avec admiration ses films lors du Festival Virilio, 2002) ou à l’étranger. Depuis, quatre de Nyon en Suisse, dans le cadre d’une films d’Artavazd Pelechian ont intégré la rétrospective sur le cinéma arménien. collection de la Fondation Cartier : Les Saisons, Les Habitants, Notre Siècle et La Nature. À partir de 2014, le film 1992 Les Habitants est l’élément central d’une Fin | The End série d’expositions que l’artiste argentin Guillermo Kuitca imagine à partir de la Film 35 mm, noir et blanc, 8 min, Arménie collection de la Fondation Cartier à Paris Au cours d’un voyage en train de Moscou (2014), Buenos Aires (2017) et Milan (2021). à Erevan, Artavazd Pelechian filme les passagers, hommes et femmes d’âges et d’origines diverses. Ce voyage collectif, 2005 au défilement ininterrompu et à l’horizon incertain, peut se lire comme une La Fondation Cartier et le ZKM Filminstitut métaphore de la vie, une certaine idée commandent à Artavazd Pelechian la du destin. réalisation d’un nouveau film. Le réalisateur rédige alors un synopsis, dont l’original Première rétrospective des films est présenté dans cette salle, qui décrit d’Artavazd Pelechian en Occident précisément la construction visuelle du présentée à la Galerie nationale du Jeu film, intitulé La Nature. de Paume à Paris. À cette occasion, paraît dans Le Monde une conversation exceptionnelle entre Artavazd Pelechian et 2014 Jean-Luc Godard, fruit d’une rencontre à Paris organisée par Jean-Michel Frodon. À l’occasion du trentième anniversaire de la Fondation Cartier, l’artiste et musicienne Publication en français du texte théorique Patti Smith imagine une soirée de concert d’Artavazd Pelechian, Le montage à intitulée Swans, Un hommage à Artavazd contrepoint, ou la théorie de la distance, Pelechian, en présence du cinéaste. issu de son livre Moyo Kino, dans le deuxième numéro de la revue Trafic, créée par Serge Daney. 5
Filmographie | 1 964 La Patrouille de la montagne | Mountain Patrol → Film 35 mm, noir et blanc, 10 min, Arménie / URSS | 1967 Au Début | The Beginning | 1969 Nous | We → Film 35 mm, noir et blanc, 10 min, URSS → Film 35 mm, noir et blanc, 26 min, Arménie / URSS | 1 975 Les Saisons | The Seasons → Film 35 mm, noir et blanc, 29 min 59 s, Arménie / URSS | 1 993 Vie | Life → Film 35 mm, couleur, 7 min, Arménie / URSS 6
| 1 966 La Terre des hommes | Land of the People → Film 70 mm, noir et blanc, 10 min, URSS | 1 970 Les Habitants | The Inhabitants → Film 35 mm, noir et blanc, 10 min, Biélorussie / URSS | 1982 Notre Siècle | Our Century | 1992 Fin | The End → Film 35 mm, noir et blanc, 48 min (1982) / 30 min (1990), Arménie / URSS → Film 35 mm, noir et blanc, 8 min, Arménie | 2020 La Nature | Nature → Film numérique, noir et blanc, 62 min, France / Arménie / Allemagne 7
Visuels presse 1 2 3 4 5 6 7 8 1 à 8 → Artavazd Pelechian, La Nature, images du film, 2020 © Artavazd Pelechian. DR. 9 à 14 → Artavazd Pelechian, Les Saisons, images du film, 1975 © Artavazd Pelechian. DR. 15 → Raymond Depardon, Artavazd Pelechian, 2006 © Raymond Depardon. 8
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« Un langage d’avant Babel » Conversation entre Artavazd Pelechian et Jean-Luc Godard, propos reccueillis par Jean-Michel Frodon, Le Monde, édition du 2 avril 1992. « En marge des circuits officiels et proche de certains films de Flaherty, ou de Godard : Ça se rapproche des commerciaux, un réseau de complicité certains documentaires du cinéaste cubain Américains, qui disent feature film pour et d’admiration a permis aux films de Santiago Alvarez. Un cinéma originel et la fiction ; feature signifie traits du visage, Pelechian d’être peu à peu découverts original, tout à fait en dehors de l’Amérique, physionomie, ce qui renvoie à l’apparence en Occident. Jean-Luc Godard fut qui est très forte dans le cinéma mondial. de la vedette, aux stars. Il y a beaucoup à l’un des premiers et reste l’un des plus Même Rome ville ouverte (1945) doit un comprendre dans cela, comme dans le fait ardents défenseurs de son travail. Le peu à l’Amérique. Quand il y a occupation que pour « copie standard » (la copie où le passage à Paris du cinéaste arménien se pose le problème de la résistance, de son et l’image sont assemblés), les Anglais était l’occasion de leur proposer une comment résister. En voyant vos films, j’ai disent married print (copie mariée), les rencontre. Ils ont parlé d’art et de eu l’impression que, quels que soient les Américains answer print (copie réponse), science, de morale et de politique, de défauts du système dit socialiste, à un les Italiens copia campione... « Copie spectacle et d’information. Bref, ils ont moment, certaines personnalités fortes champion », ça doit venir de Mussolini. parlé de cinéma. Jean-Michel Frodon avaient réussi à penser différemment. Mais la mésentente sur le mot Ça va probablement changer. Moi qui suis « documentaire » est effectivement toujours critique de la réalité, et des moyens l’une des plus graves. Aujourd’hui, la Godard : Dans quelles conditions avez-vous de la représenter, j’y retrouvais l’application différence entre documentaire et fiction, travaillé ? de ce que les cinéastes russes appelaient entre un film documentaire et un film du le montage. Le montage au sens profond, commerce, même s’il se dit artistique, Pelechian : J’ai fait tous mes films en au sens où Eisenstein appelait Le Greco c’est que le documentaire a une attitude Arménie, mais souvent avec l’aide de le grand monteur de Tolède. morale qui n’existe plus guère dans le film Moscou. Je ne veux pas faire l’éloge de de fiction. La Nouvelle vague a toujours l’ancien système, mais je ne m’en plaindrais Pelechian : C’est difficile de parler du mêlé les deux, nous avons toujours dit pas non plus. Au moins il y avait le VGIK montage, ce n’est sans doute pas le bon que Rouch était passionnant parce qu’à (l’Institut du cinéma), qui donnait une très mot. Il faudrait peut-être dire « la mesure force de documentaire il fait de la fiction, bonne formation. On y apprenait non de l’ordre ». Pour mettre en lumière, au-delà et que Renoir, à force de fiction, fait du seulement le cinéma soviétique mais le de l’aspect technique, la réflexion de fond. documentaire. cinéma du monde entier, chacun avait les moyens de chercher ensuite sa propre Pelechian : Ce n’est plus un problème de voie. Je ne veux pas rendre le système Godard : Quel est le mot russe pour montage, il n’y en a qu’un ? mise en scène. On considère bien Flaherty responsable du fait que j’ai tourné aussi peu comme un documentariste. de films ; disons que j’ai eu des problèmes personnels. Je ne sais pas encore ce qui Pelechian : Oui. Montaj. se passera avec la nouvelle situation. Godard : Bien sûr. C’est un documentariste J’espère pouvoir continuer à travailler, il y qui a tout mis en scène, Nanouk, L’Homme Godard : Parce que pour image par a toujours des difficultés, en France aussi, d’Aran, Louisiana Story, chaque plan exemple, il y a deux mots en russe. des difficultés liées à la production, aux C’est utile. Ce serait intéressant de est complètement mis en scène. Quand rapports entre les gens. Jusqu’à présent, faire un dictionnaire des termes Wiseman fait un film sur les grands le plus difficile était le manque de diffusion cinématographiques dans chaque pays. magasins (The Store), il observe la mise de mes films. Les Américains ont deux mots, cutting en scène et la fiction des grands magasins. (l’action de couper) et editing (lié à ce qu’ils appellent « editor », qui n’est pas un Pelechian : Pour les mêmes raisons, je ne Godard : Je les ai découverts parce me suis jamais posé la question de travailler éditeur au sens français du terme, mais qu’ils sont passés au Festival du film dans le cadre d’un studio de cinéma ou de celui qui supervise toute la conception d’un documentaire de Nyon, à quelques télévision. J’ai essayé de trouver un endroit ouvrage au sein d’une maison d’édition, ou kilomètres de chez moi. Freddy Buache, où je pourrais faire un film tranquillement. le rédacteur en chef dans la presse). le directeur de la Cinémathèque de Il s’est parfois trouvé que c’était la télé. Ces mots ne désignent pas la même chose, Lausanne, leur a appliqué la «méthode ils ne renvoient pas à la même idée que L’important est de pouvoir parler sa propre soviétique » de tirage des copies, il en « montage ». langue, la langue du cinéma. On dit souvent a contretypé un exemplaire pendant la que le cinéma est une synthèse des autres nuit et il nous les a montrés, à Anne-Marie Pelechian : Nous avons du mal à en parler arts, je pense que c’est faux. Pour moi, il Miéville et à moi. Ils m’ont fait une énorme à cause de ce problème de termes. date de la tour de Babel, d’avant la division impression, d’ailleurs très différente du Il y a le même problème avec le mot en différents langages. Pour des raisons cinéma de Paradjanov, qui me semble « documentaire ». En français, on appelle techniques, il est apparu après les autres proche de la tradition des tapis persans, « film de fiction » ce qu’en russe nous arts mais, par nature, il les précède. J’essaie et de la littérature. Vos films m’ont paru ne appelons « film artistique ». Alors que tout de faire du cinéma pur, qui ne doive rien venir que du cinéma. Comme si le travail le cinéma doit être artistique. aux autres arts. Je cherche un montage qui d’Eisenstein, de Dovjenko, de Vertov avait Il y a aussi deux autres expressions en russe, créerait autour de lui un champ magnétique pu se poursuivre, et donner une impression le « cinéma joué » et le « cinéma non joué ». émotionnel. 10
Godard : Comme je suis assez pessimiste, son Traité des propriétés projectives des n’ont pas de rapport entre eux, pas de je vois la fin des choses plutôt que leur figures (1822), qui est la base de la théorie rapports sains et réels. Ils n’ont que les début. Pour moi, le cinéma est la dernière moderne sur la question. Ce n’est pas rapports de la politique. C’est pour ça que manifestation de l’art, qui est une idée par hasard s’il a fait cette découverte en dans tous les pays du monde la télévision occidentale. La grande peinture a disparu, prison. Il avait un mur en face de lui, et il est entre les mains des politiques. le grand roman a disparu. Le cinéma était, faisait ce que font tous les prisonniers, il Et maintenant, les politiques s’occupent oui, un langage d’avant Babel, que tout le projetait. Un désir d’évasion. Comme il était de fabriquer un nouveau format d’image monde comprenait sans avoir besoin de mathématicien, il en a écrit la traduction (la soi-disant haute-définition), un format l’apprendre. Mozart plaisait aux princes, les en équations. dont, pour l’instant, personne n’a besoin. paysans ne l’entendaient pas. Alors qu’un À la fin du XIXe siècle est venue la réalisation C’est la première fois que des instances équivalent cinématographique de Mozart, technique. Un aspect des plus intéressants politiques s’occupent de dire : vous verrez Chaplin, a plu à tout le monde. est qu’à ce moment le cinéma sonore était les images dans ce format-là, à travers Les cinéastes ont cherché quel était le prêt. Edison est venu à Paris présenter un cette fenêtre-là. Une image qui aura fondement de l’unicité du cinéma, une procédé qui utilisait un disque synchrone d’ailleurs la forme d’un soupirail, cette petite recherche qui est, elle aussi, une attitude de la bande image, c’était déjà le principe chose au ras des trottoirs. C’est aussi la très occidentale. Et c’est le montage. Ils de ce qu’on fait aujourd’hui dans certaines forme d’un carnet de chèques. en ont parlé beaucoup, surtout dans les salles en couplant un disque compact avec époques de changement. Au xxe siècle, le film pour avoir un son numérique. Et ça Pelechian : Je me demande ce que la le plus grand changement a été le passage marchait ! Avec des imperfections, comme télévision a apporté. Elle peut liquider la de l’empire russe à l’URSS ; logiquement les images d’ailleurs, mais ça marchait et on distance, mais seul le cinéma a la possibilité ce sont les Russes qui ont le plus progressé aurait pu améliorer la technique. Mais les de se battre véritablement contre le temps, dans cette recherche, simplement parce gens n’en ont pas voulu. Le public a voulu grâce au montage. Ce microbe qu’est que, avec la Révolution, la société était le cinéma muet, il a voulu voir. le temps, le cinéma peut en venir à bout. en train de faire du montage entre avant Mais il était plus avancé sur cette voie et après. Pelechian : Lorsque le son est finalement avant le parlant. arrivé, à la fin des années 1920, les grands Sans doute parce que l’homme est plus Pelechian : Le cinéma s’appuie sur trois cinéastes comme Griffith, Chaplin ou grand que la langue, plus grand que ses facteurs : l’espace, le temps, le mouvement Eisenstein en ont eu peur. Ils ont estimé que mots. Je crois plus l’homme que son réel. Ces trois éléments existent dans la le son était un pas en arrière. Ils n’avaient langage. » nature, mais, parmi les arts, seul le cinéma pas tort, mais pour d’autres raisons que ce les retrouve. Grâce à eux, il peut trouver le qu’ils ont cru : le son n’est pas venu gêner mouvement secret de la matière. Je suis le montage, il est venu pour remplacer convaincu que le cinéma est capable de l’image. parler à la fois les langues de la philosophie, de la science et de l’art. Peut-être est-ce cette unité que cherchaient les anciens ? Godard : La technique du parlant est venue au moment de la montée du fascisme en Europe, qui est aussi l’époque de Godard : On retrouve la même chose l’avènement du speaker. Hitler était un en réfléchissant à l’histoire de l’idée de magnifique speaker, et aussi Mussolini, projection, comment elle est née et a évolué Churchill, De Gaulle, Staline. Le parlant a jusqu’à s’appliquer techniquement, dans été le triomphe du scénario théâtral contre les appareils de projection. Les Grecs en le langage tel que vous en avez parlé, celui avaient imaginé le principe, la fameuse d’avant la malédiction de Babel. caverne de Platon. Cette idée occidentale, que ni les bouddhistes ni les Aztèques Pelechian : Pour retrouver ce langage, n’ont envisagée, a pris forme avec le j’utilise ce que j’appelle les images christianisme, qui repose sur l’espoir absentes. Je pense qu’on peut entendre de quelque chose de plus grand. les images et voir le son. Dans mes films, Ensuite vient la forme pratique, les l’image se trouve du côté du son et le son mathématiciens qui, toujours en Occident, du côté de l’image. Ces échanges donnent ont inventé la géométrie descriptive. un autre résultat que le montage du temps Pascal y a beaucoup travaillé, avec encore du muet, ou plutôt du « non-parlant ». une arrière-pensée religieuse, mystique, en élaborant ses calculs sur les côniques. Le cône, c’est l’idée de projection. Godard : Aujourd’hui, l’image et le son Après, on trouve Jean-Victor Poncelet, sont de plus en plus séparés, on s’en savant et officier de Napoléon. Il a été en rend encore mieux compte à la télévision. prison en Russie, et c’est là qu’il a conçu L’image d’un côté, le son de l’autre, et ils 11
Le montage à contrepoint, ou la théorie de la distance Extraits de Moyo Kino [Mon Cinéma] d’Artavazd Pelechian, première édition 1988. Je ne peux concevoir mes films sans non pas parce que je devais montrer un fait qu’aucune de ces définitions ne me musique. Lorsque j’écris les scénarios, précis à cet endroit-là. Il m’importait avant satisfaisait, que les potentialités du son je dois prévoir la structure musicale du tout de ne pas perdre le thème qui devait étaient sensiblement plus importantes film, les accents musicaux, le caractère résonner à cet endroit précis, durant un et plus riches. En ce qui me concerne j’ai émotionnel et rythmique de cette musique, laps de temps donné. L’élimination d’une travaillé dans le sens d’une combinaison du qui est nécessaire, indispensable à chaque scène déséquilibrait les proportions du film, son et de l’image qui ne consiste pas en un scène. La musique ne constitue pas pour sa composition temporelle. Afin de sauver mélange physique des éléments, mais en moi un complément de l’image. C’est avant cette composition temporelle j’ai dû parfois une combinaison chimique. Et j’ai découvert tout la musique de l’idée exprimant le sens insérer dans le film un matériel neutre, bien tout à coup qu’en cherchant à augmenter à l’unisson avec l’image. C’est également qu’il manquât de valeur sur le plan figuratif la signification et l’expressivité du son, je la musique de la forme. Je veux dire que la (il s’agit par exemple des scènes montrant faisais un montage du phonographe et portée du son musical dépend à chaque la voiture détruite, les volutes de fumée, et de l’image, transgressant ainsi les canons instant de la forme, de la composition et quelques autres). et les méthodes de montage que je de la durée de l’ensemble. J’ai déjà attiré m’efforçais de suivre jusque-là. l’attention sur le fait que la transformation Il en va de même pour le travail avec le C’est cette « transgression » que je ou la coupure d’un quelconque passage phonographe. Les règles de composition voudrais placer au centre de mon travail du film me contraignait à d’autres temporelle sont également rigides. Pour théorique. transformations, à reconsidérer l’ensemble. chaque élément sonore il faut trouver Je voudrais apporter quelques précisions la bonne « dose » de durée et la bonne L’une des affirmations de base d’Eisenstein sur ce point. intensité, afin d’aboutir à un équilibre précis nous est connue depuis longtemps : un du mouvement du son. plan, confronté au cours du montage Après l’élimination d’un fragment du aux autres plans est générateur de sens, matériel, je devais obligatoirement le Depuis que le cinéma est devenu sonore, d’appréciation, de conclusion. Les théories remplacer. Pour des raisons thématiques le rôle du son a connu de très nombreuses du montage des années 1920 portent toute tout d’abord, mais également parce qu’il définitions. Le son (y compris la musique) leur attention sur la relation réciproque des existe une loi à laquelle est soumise la peut jouer un rôle dans la représentation scènes juxtaposées, qu’Eisenstein appelait durée du film dans sa totalité d’une part, du sujet, dans l’illustration, en tant le « point de jonction du montage » et la durée de chacune des scènes le qu’accompagnement et en tant que moyen (montaznyj styk) et Vertov un « intervalle ». constituant d’autre part. De ce point de vue, pour la mise en place d’un état d’esprit, et C’est lors de mon travail sur le film Nous un film est presque semblable à une œuvre enfin en tant qu’élément contrapuntique. que j’ai acquis la certitude que mon intérêt musicale. J’ai remplacé certains passages Dans la pratique j’ai compris petit à petit était attiré ailleurs, que l’essence même et 12
l’accent principal du montage résidait pour conditionnés par un seul objectif : exprimer des montagnes arméniennes, j’utilise le moi moins dans l’assemblage des scènes les idées qui me touchent et transmettre au procédé de la répétition des plans. Le film que dans la possibilité de les disjoindre, spectateur ma position philosophique. commence et se termine par des plans non dans leur juxtaposition mais dans leur identiques, montrant des travailleurs- séparation. Il m’apparut clairement que ce Dans le film Nous le premier élément de alpinistes marchant à la lumière de qui m’intéressait avant tout ce n’était pas base du montage à contrepoint apparaît lanternes sur fond de ciel sombre. Entre de réunir deux éléments de montage, mais dès le départ. Le film commence par une ces plans il y a à nouveau une distance. bien plutôt de les séparer en insérant entre pause suivie du plan suivant : le visage Mais cet éloignement (de même que la eux un troisième, cinquième, voire dixième d’une fillette. La signification figurative similitude des plans) ne produit pas dans le élément. n’est pas encore claire pour le spectateur, cas de ce film un effet « contrapuntique », seule une impression rêveuse mêlée de mais conduit justement à la répétition, En présence de deux plans importants, crainte lui parvient. La musique démarre favorise un retour à l’état d’esprit initial et porteurs de sens, je m’efforce non pas à ce moment-là suivie par une pause contribue ainsi à l’accomplissement lyrique de les rapprocher, ni de les confronter, réalisée sur un fondu. Le visage de la fillette du film. mais plutôt de créer une distance entre apparaît une seconde fois 500 mètres de eux. Ce n’est pas par la juxtaposition de pellicule plus loin, en liaison avec le même Le même procédé a été appliqué dans deux plans mais bien par leur interaction accord symphonique. À la fin du film, au le film La Terre des Hommes, dont par l’intermédiaire de nombreux maillons cours de l’épisode sur le rapatriement, la structure dépendait d’un principe que je parviens à exprimer l’idée de cet élément de base du montage est de montage différent – basé sur la façon optimale. L’expression du sens inséré une troisième fois, mais seulement confrontation associative de plans liés par acquiert alors une portée bien plus forte au niveau sonore : l’accord symphonique un thème commun. C’est le thème de la et plus profonde que par collage direct. se répète sur un plan montrant des gens découverte permanente de la beauté du L’expressivité devient alors plus intense et sortant sur un balcon. On pourrait voir dans monde, que l’homme réalise dans sa vie et la capacité informative du film prend des une telle structure une simple répétition. dans son travail, qui est développé dans proportions colossales. Mais la fonction de ces éléments du le cadre d’une grande ville, présentée au C’est ce type montage que je nomme montage ne se réduit justement pas à une cours d’une journée de labeur. montage à contrepoint. simple répétition. Dans mon premier film Il me faut à présent expliquer les par exemple La Patrouille de montagne Ce film démarre et se termine sur l’image « mécanismes » du montage à présentant des gens plein d’abnégation, de la sculpture de Rodin, Le Penseur, qui contrepoint. sur la base de mes films. qui dégagent quotidiennement la voie tourne sur elle-même. Cette sculpture Ces « mécanismes » ont été entièrement pour le passage des trains dans les gorges célèbre est devenue depuis longtemps 6 / 7 / 1 → Artavazd Pelechian, La Nature, images du film, 2020 © Artavazd Pelechian. DR. 13
le symbole de l’expression inaltérable de la véhiculent une expression du thème d’autres dimensions et durées d’action. pensée humaine. des plus condensées, tout en contribuant Ils se transposent partiellement dans à distance au développement thématique d’autres épisodes, et sont alors confrontés Sa fonction répétitive mise à part, donnant et à l’évolution de plans et d’épisodes avec à d’autres éléments et d’autres situations. au film une finalité poétique, on décèle ici – lesquels ils n’ont pas de liens directs. Mais dès la seconde apparition de la sous forme de potentialité – sa fonction au fillette tous ces éléments séparés se Ces éléments apparaissent à chaque fois niveau de l’action contrapuntique. À l’issue regroupent à nouveau comme investis d’un du film la sculpture de Rodin acquiert un dans un contexte différent, dans une réalité nouveau rôle, ils prennent place, sous une sens nouveau sur le plan qualitatif, qui sémantique distincte, ce qui rend forme différente, dans un autre ordre de le montage de ces contextes primordial. diffère du sens initial ; le dernier plan ouvre succession, pour l’accomplissement un nouveau cycle de la pensée, dont le Les changements de contexte nous de nouvelles fonctions. développement se situe au-delà des limites permettent d’approfondir et de développer du film. un thème. Ainsi, lorsque dans les dernières C’est d’abord le chœur qui entre en scène, scènes du film Nous se répète l’accord puis les soupirs (se terminant dans un cri), Dans le film Nous, les éléments du montage symphonique, l’image de la fillette ensuite les mains, et enfin les montagnes. qui se répètent sortent sans aucun doute apparaissant au début du film devient du cadre des fonctions, auxquelles claire. Je le souligne une nouvelle fois : le montage ils correspondaient dans les films à contrepoint peut se baser aussi bien sur La Patrouille de montagne et La Terre des De cette triple répétition (la fillette au des éléments visuels qu’acoustiques, ainsi Hommes. Dans le film Nous, ils soutiennent début, la fillette au milieu, les gens sur que sur toutes les combinaisons possibles la structure générale de l’action le balcon à la fin) se dégage le principal de l’image et du son. En organisant mes contrapuntique. Un plan, apparaissant support du montage à contrepoint. Mais films sur de telles combinaisons, je me suis en un point précis, ne délivrera sa pleine dans le film Nous il y a d’autres éléments efforcé de les rendre semblables à conséquence sémantique qu’après un de soutien visuels et acoustiques. Ils un organisme vivant possédant un système certain laps de temps, au bout duquel apparaissent l’un à la suite de l’autre de relations et d’interactions internes. […] il s’établira dans la conscience du durant la première moitié du filin : les spectateur une démarche associative soupirs, le chœur, les mains en gros plan, Je suis convaincu que le cinéma basé sur non seulement en liaison avec les les montagnes. Par la suite, ces éléments la méthode du montage à contrepoint est éléments qui se répètent, mais également se ramifient pour ainsi dire, certaines capable de mettre à nu et d’expliquer un avec ce qui les entoure dans chaque cas. parties de l’image et du phonographe se certain nombre de corrélations entre des Ainsi, les principaux éléments de base fondent dans d’autres sphères, acquièrent éléments connus et inconnus du monde 14
qui nous entoure, que ne pouvait dévoiler le et convaincante. Je pense que les principes desquelles nos conceptions et nos lois cinéma issu de la théorie de l’« intervalle »du montage à contrepoint peuvent et déterminant l’espace et le temps sont doivent être utilisés dans le domaine de la et de la « juxtaposition » d’éléments voisins. caduques et au-delà desquelles les uns, fiction. La fiction, qui inclut le jeu d’acteur et en naissant, ignorent qui ils tuent, les Le cinéma issu du montage à contrepoint la couleur, permettra de développer toutes autres, en mourant, ignorent à qui ils est capable de mettre à jour toutes les les possibilités de cette méthode, qui ne donnent naissance. formes de mouvement : des plus « basses » seront plus alors limitées par les éléments et élémentaires, jusqu’au plus élevées et documentaires du milieu. plus complexes. Il est capable de parler simultanément le langage de l’art, de la C’est dans cette perspective que je philosophie et de la science. trouve indispensable d’utiliser toutes les Il convient de rappeler ici que le terme possibilités du cinéma découvertes par cinématographe tire son origine des nos maîtres. Mais le développement du termes grecs signifiant : « qui inscrit cinéma nécessite également la découverte le mouvement ». de possibilités nouvelles dans l’expression artistique. Je considère que mon film Nous ainsi que mes travaux précédents ont un caractère C’est dans ce sens que j’ai cité le vieil expérimental. La méthode de création exemple sur l’invention de la roue. figurative que j’ai découverte n’a pas reçu dans ces films une expression pleine et En conclusion j’ajouterai : si Vertov complète. C’est pour cette raison que mes s’appuyant sur sa méthode de montage films ne représentent pas un bilan de mes pour examiner les relations réciproques recherches, mais constituent une simple d’éléments voisins invitait les cinéastes étape, bien que cette étape soit pour moi à le suivre dans « le terrain vierge » de des plus importantes. la relativité de l’espace et du temps (les théories de la relativité d’Albert Einstein), Jusqu’à présent je n’ai travaillé qu’avec du alors la méthode du montage à contrepoint matériel documentaire. Dans le cinéma de s’appuyant sur les formes complexes fiction cette expérience permet de créer d’action réciproque de divers processus Mars 1971 - Janvier 1972 un milieu et une atmosphère authentique à distance franchit des limites au-delà Traduit du russe par Barbara Balmer-Stutz. 8 / 4 / 2 → Artavazd Pelechian, La Nature, images du film, 2020 © Artavazd Pelechian. DR. 15
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Programmation 2021 feel » – il entreprend dès 1986 la série remplacée par la faillibilité de la main de PARIS Spot Paintings (non achevée à ce jour) l’artiste qui les réalise seul dans son atelier. qui s’inscrit davantage dans la lignée du « Cherry Blossoms parle de beauté, de vie minimalisme et de l’art conceptuel des et de mort. Ces peintures sont excessives DAMIEN HIRST années 1960. Dans ces œuvres, les points – presque vulgaires. Comme Jackson colorés semblent réalisés par une machine, Pollock tourmenté par l’amour. Elles sont CERISIERS EN FLEURS gommant toute trace d’intervention décoratives bien que directement inspirées 1er juin 2021 → 2 janvier 2022 humaine. L’approche qui caractérise Visual de la nature. Elles parlent de désir, de la Candy (1993-1995), une série de toiles manière dont on perçoit les choses qui La Fondation Cartier pour l’art aux titres ironiques composées de taches nous entourent et ce qu’on en fait, mais contemporain invite l’artiste britannique épaisses et de couleurs exubérantes évoquent aussi l’incroyable et éphémère Damien Hirst à dévoiler sa dernière série superposées, est quant à elle déjà beauté d’un arbre en fleurs dans un ciel de peintures Cherry Blossoms [Cerisiers une célébration du plaisir de peindre. sans nuages. J’ai adoré travailler sur ces en fleurs]. Fruit de plus de deux années Avec la série Cherry Blossoms, toiles, me perdre entièrement dans la de travail solitaire dans son atelier commencée juste après l’ambitieuse couleur et la matière à l’atelier. Les Cherry londonien, cette série s’inscrit dans la exposition de sculptures Treasures from Blossoms sont tape-à-l’œil, chaotiques et continuité de ses recherches picturales et the Wreck of the Unbelievable présentée en même temps fragiles, c’est grâce à elles témoigne du plaisir de retrouver, grâce à à Venise (2017) qui l’a occupé pendant près que je me suis éloigné du minimalisme, la peinture, le geste de l’artiste. Cerisiers de 10 ans, Damien Hirst retrouve du fantasme d’un peintre mécanique. Et en fleurs est la première exposition la spontanéité du geste pictural. L’image c’est ça que j’ai vraiment trouvé excitant. » institutionnelle de Damien Hirst en France. d’une peinture mécanisée, omniprésente La série Cherry Blossoms réinterprète dans la série Spot Paintings, est ici avec une ironie joyeuse le sujet traditionnel et populaire de la peinture de paysage. Sur la toile, Damien Hirst mêle touches épaisses et projections de peinture faisant référence tant à l’impressionnisme et au pointillisme qu’à l’action painting. Les peintures monumentales entièrement recouvertes par de couleurs vives et saturées, enveloppent le spectateur dans un paysage végétal oscillant entre figuration et abstraction. À la fois détournement et hommage aux grands mouvements artistiques de la fin du xixe et du xxe siècles, cette série marque une forme d’aboutissement des recherches que Damien Hirst mène depuis le début de sa carrière sur la couleur, la beauté, la perception ainsi que sur le rôle de l’artiste. D’abord étudiant à Leeds puis au Goldsmiths College of Art de Londres ↑ 3. Artavazd Pelechian, La Nature, images du film, 2020 © Artavazd Pelechian. DR. à la fin des années 1980, Damien Hirst devient rapidement le chef de file des Young British Artists, un groupe d’artistes partageant un goût pour l’expérimentation et la création de dispositifs, parfois perçus comme choquants, qui domina la scène britannique dans les années 1990. Les cadavres d’animaux plongés dans d’immenses aquariums remplis de formol de la série Natural History deviennent ainsi rapidement des images emblématiques de l’œuvre de Damien Hirst et de cette scène artistique. Dès cette époque, la peinture joue un rôle essentiel dans la pratique de Damien Hirst : « J’ai toujours été un grand amoureux de la peinture et pourtant j’ai constamment cherché à m’en éloigner. En tant que jeune artiste, on est nécessairement influencé par les tendances du moment, et dans les années 1980 la peinture n’était pas dans l’air du temps. » Si les toiles des débuts sont inspirées de l’expressionnisme abstrait – qu’il qualifie de « paint how you ↑ Photo : Prudence Cuming Associates. © Damien Hirst and Science Ltd. Tous droits réservés, DACS2020. 17
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