PLACE DE LA MÉTHODE MÉZIÈRES DANS L'ANOREXIE MENTALE - MÉMOIRE DE FIN DE FORMATION A LA MÉTHODE MÉZIÈRES
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MÉMOIRE DE FIN DE FORMATION A LA MÉTHODE MÉZIÈRES AMIK PROMOTION 2010-2012 LESAGE – SENECHAL Célin PLACE DE LA MÉTHODE MÉZIÈRES DANS L’ANOREXIE MENTALE AMIK PROMOTION 2010-2012 Céline LESAGE-SÉNÉCHAL
« Notre corps n’est pas seulement un espace expressif parmi tous les autres[…], il est l’origine de tous les autres, le mouvement même d’expression, ce qui projette au- dehors les significations en leur donnant un lieu, ce qui fait qu’elles se mettent à exister comme des choses, sous nos mains, sous nos yeux. » M. MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception
REMERCIEMENTS Je tiens tout d’abord à remercier Anaïs pour sa participation ainsi que pour l’enrichissement professionnel et personnel que j’ai pu acquérir grâce à elle. Je remercie également le médecin généraliste d’Anaïs qui a pris le temps de m’éclairer sur la prise en charge de cette pathologie et qui a orienté, avec bienveillance, mes lectures de chevet. Je remercie mon mari pour son soutien face à mes doutes, pour sa tolérance face à mon humeur fluctuante durant ces quelques mois de recherche, d’analyse et d’élaboration de ce travail écrit. Je remercie enfin la fine équipe framboisine qui, à distance, m’a accompagnée durant cette période tumultueuse et qui m’a aidée à me surpasser pour rendre ce mémoire dans les temps impartis.
SOMMAIRE INTRODUCTION .................................................................................................................... 1 I- DESCRIPTION DE L’ANOREXIE MENTALE .......................................................... 2 I.1- DESCRIPTION CLINIQUE ........................................................................................ 2 I.2- DONNEES SOCIOCULTURELLES .......................................................................... 3 I.3- DONNEES THEORIQUES ......................................................................................... 3 I.4- DONNEES THERAPEUTIQUES ............................................................................... 5 II- APPROCHES THERAPEUTIQUES PSYCHOCORPORELLES ............................ 6 II.1- LES THERAPIES PSYCHOCORPORELLES .......................................................... 6 II.2- LE CHAMP PARAMEDICAL DU SOIN SOMATIQUE ......................................... 7 II.3- APPORTS DE LA METHODE MEZIERES DANS LE SOIN SOMATIQUE ......... 9 III- CAS CLINIQUE .......................................................................................................... 10 III.1- PRESENTATION DE LA PATIENTE ET DU DOSSIER MEDICAL ................. 10 III.2- BILAN MEZIERISTE INITIAL ............................................................................. 11 III.3- TRAITEMENT ........................................................................................................ 12 III.4- DISCUSSION ET INTERROGATIONS ................................................................ 16 CONCLUSION ....................................................................................................................... 19 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ............................................................................. 20 ANNEXES ............................................................................................................................... 22
INTRODUCTION Je n’ai pas beaucoup d’expérience ni de recul quant à la pratique de la méthode Mézières puisque je n’ai pris en soins que sept patients en un an. Je ne savais pas véritablement quelle orientation prendrait ce travail écrit ni même quel en serait le sujet jusqu’au moment où la relation thérapeutique instaurée avec Anaïs m’a donné envie de vous rendre compte de cette expérience originale. L’anorexie mentale appartient au registre des troubles des conduites alimentaires et touche préférentiellement les adolescentes et les jeunes adultes. Elle entrave leur épanouissement affectif et social et alerte le corps soignant ainsi que la population d’une manière générale par l’engagement du pronostic vital du patient en raison des conséquences de sa dénutrition. Les hypothèses de compréhension de cette pathologie nous montrent que les interactions constantes entre les symptômes psychiques et corporels témoignent d’une atteinte de l’unité psychosomatique du patient. Après la description de cette pathologie et de sa prise en charge conçue actuellement autour d’un modèle pluridisciplinaire, nous nous intéresserons aux approches thérapeutiques psychocorporelles et nous verrons quels intérêts présente la méthode Mézières. Enfin, à travers la prise en charge d’Anaïs, à travers son ressenti et avec les résultats obtenus, nous verrons la dimension intéressante de la méthode Mézières comme moyen d’accès au vécu corporel de cette patiente mais également les limites de cet abord thérapeutique en cabinet de ville. |1
I- DESCRIPTION DE L’ANOREXIE MENTALE I.1- DESCRIPTION CLINIQUE Au niveau symptomatique, l’anorexie mentale de la jeune fille se définit classiquement par la triade « anorexie-amaigrissement-aménorrhée ». Le début des troubles est marqué par une restriction alimentaire volontaire, dans un cadre de régime ou non. La perte de poids s’accompagne d’une impression de « mieux-être », parfois d’une exaltation de l’humeur. L’hyperactivité physique et intellectuelle renforce cette évolution qui occulte dans un premier temps le développement d’obsessions relatives au poids, aux formes du corps et aux aliments. La jeune femme perd très progressivement le contrôle du comportement alimentaire et la peur de prendre du poids l’entraîne dans une restriction toujours plus sévère. Ce sont souvent les proches ou le médecin traitant qui s’inquiètent de son amaigrissement et de l’altération de son état général. La jeune femme, elle, présente un déni ou une dénégation du trouble et cherche à dissimuler la perte de poids et la restriction, parfois les vomissements provoqués ou les prises de laxatifs [1] (Tableau 1). La dénutrition va conduire à l’aménorrhée, à la bradycardie, à l’hypothermie. La restriction alimentaire favorisera les troubles digestifs (reflux gastro-œsophagien, ralentissement de la vidange gastrique, ballonnements intestinaux, constipation), les troubles du caractère (angoisse, irritabilité), les troubles du sommeil, la sensation de puissance mais aussi le sentiment de maîtrise sans lequel l’anorexie mentale n’existe pas. La peur de grossir pousse à l’hyperactivité physique, au trouble de l’image corporelle, aux vomissements ou aux conduites obsessionnelles (Tableau 2). Selon le Professeur D. RIGAUD, « le manque de confiance conduit à la poursuite d’un but de nature sensorielle, l’état de jeûne et/ou émotionnelle, la gratification de maigrir. Le comportement se fige par sa répétition et par la réaction de l’entourage même si les bénéfices disparaissent » [2]. La classification internationale CIM 10 (annexe 1) [3] a défini les critères diagnostiques de l’anorexie mentale. Une synthèse des différentes études publiées ces dernières années suggère que le sex ratio est de 95% de femmes (1 homme pour 15 femmes), que le début des troubles se situe entre l’âge de 15 et de 24 ans et que 1% à 1,5% des femmes de cet âge sont anorexiques. Les taux de mortalité sont classiquement compris entre 7% et 10%, ce sont les plus élevés pour les pathologies psychiatriques [1]. |2
I.2- DONNEES SOCIOCULTURELLES De nombreux travaux ont mis l’accent sur la dimension socioculturelle de cette pathologie en indiquant la prédominance de l’anorexie mentale dans les pays occidentaux, chez les sujets blancs de peau et dans les classes socio-économiques élevées. GUILLEMOT et LAXENAIRE [4] proposent la thèse du « culture-bound-syndrome » pour comprendre les troubles des conduites alimentaires. Selon ces auteurs, l’idéal de minceur des sociétés occidentales, qui repose sur plusieurs présupposés (condition de réussite sociale, gage de moralité, gage d’éternelle jeunesse et condition de bonne santé) s’associe à d’autres facteurs culturels tels que la performance individuelle, la compétition. D’ailleurs, si on regarde de plus près l’évolution de l’image du corps au cours du dernier millénaire dans nos sociétés occidentales (annexe 2), on voit que la dictature de la minceur prend son essor dans les années 1970 pour culminer à une promotion de la maigreur dans les médias au cours des années 2000. Les héroïnes modernes sont des mannequins squelettiques, la minceur est un signe de richesse, de contrôle et de performance puisqu’elle est souvent le résultat d’une saine alimentation, de séances de gym, de loisirs et d’un certain niveau d’éducation qui vont de pair avec le niveau de vie. Les rondeurs sont devenues synonymes de laisser-aller, de perte de contrôle face à l’abondance alimentaire et de nourriture « bon marché ». Ces conditions socioculturelles associées à une certaine psychopathologie font le lit des troubles des conduites alimentaires. Ce n’est que depuis 2006, suite au décès de plusieurs mannequins qui ne s’alimentaient presque plus que le débat international sur l’extrême maigreur des jeunes filles dans les défilés a été lancé. Depuis des mannequins « grande taille » auxquels toutes les femmes peuvent s’identifier déclenchent des réactions dans le monde entier (annexe 3). I.3- DONNEES THEORIQUES Le modèle actuellement validé quant à l’anorexie mentale est polyfactoriel [7]. I.3.a- Au niveau génétique Les études génétiques sur l’anorexie mentale sont peu nombreuses car de larges populations doivent être recrutées puisque la prévalence de la maladie est faible. Selon le Professeur D. RIGAUD, l’héritabilité a été estimée à 71% dans les études familiales mais « ce n’est pas l’anorexie mentale ou la boulimie qui est transmissible mais bien le TCA1. Lorsque 1 TCA : Trouble du Comportement Alimentaire |3
ceci a été rapporté, on trouve jusqu’à 10-15% de TCA dans la famille contre 5% à 7% dans la population générale » (annexe 4). I.3.b- Au niveau neurobiologique Certains auteurs ont recherché un dysfonctionnement au niveau cérébral pour expliquer les troubles de l’image du corps. Ils se sont basés sur des études expérimentales d’auto- évaluation d’image du corps chez des patientes souffrant d’anorexie mentale et dans la population générale et ont rendu compte d’un biais de surestimation du poids et de la silhouette avec deux hypothèses : la première est un trouble de la perception c’est-à-dire que le corps est imaginé plus gros car il est perçu plus gros ; la structure fonctionnelle déficiente serait le cortex pariétal droit. La deuxième hypothèse est cognitive c’est-à-dire que le corps est imaginé plus gros car la représentation faite de celui-ci est altérée : les anomalies seraient ici liées à des erreurs d’intégration du schéma corporel au niveau de l’hémisphère gauche. Comme dans la plupart des maladies psychiatriques, l’anorexie semble associée à un dysfonctionnement de neurotransmetteurs. Des études ont montré que la sérotonine joue un rôle important dans l’alimentation. Les recherches actuelles s’orientent vers l’hypothèse d’anomalies neurochimiques centrales à l’origine des troubles hypothalamiques (essentiellement un dysfonctionnement des systèmes sérotoninergiques [7]. La caractérisation des mécanismes moléculaires de contrôle de la satiété au niveau du cerveau pourrait permettre d’envisager un traitement pharmacologique pour cette pathologie [8]. I.3.c- Au niveau psychopathologique Le développement de la jeune fille anorexique est marqué par les réponses inappropriées de ses parents ou d’un mauvais équilibre dans le couple parental. Bien que perçu dans son individualité, l’enfant n’est pas investi pour lui-même mais pour ce qu’il devrait être pour satisfaire les exigences narcissiques de ses parents [9]. La compréhension de l’anorexie mentale à partir de la pensée psychanalytique est en constant remodelage. La perspective actuelle tend à intégrer les troubles des conduites alimentaires dans les addictions et dans la problématique adolescente. Les études soulignent la vulnérabilité narcissique fondamentale des anorexiques en lien avec un dysfonctionnement dans les processus de séparation-individuation et d’identification [1]. |4
I.3.d- Au niveau psychosomatique L’anorexie est considérée par plusieurs auteurs comme une entité psychosomatique. En effet, l’amaigrissement, corollaire de l’anorexie, n’est pas un symptôme du corps imaginaire mais bien du corps réel. Les symptômes psychiques précèdent et accompagnent l’anorexie et l’amaigrissement. Les signes physiques et psychiques interagissent les uns avec les autres. I.4- DONNEES THERAPEUTIQUES I.4.a- Traitement médicamenteux Il n’existe pas de traitement médicamenteux efficace sur la peur de prendre du poids des malades souffrant d’anorexie mentale. Ce sont d’éventuelles comorbidités psychiatriques qui justifient la prescription de psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, antipsychotiques). Les antidépresseurs de type tricyclique sont préférentiellement prescrits car non anorexigènes. I.4.b- Une prise en charge multidisciplinaire La prise en charge varie selon les équipes, notamment en ce qui concerne les modalités de suivi : hospitalisation ou suivi ambulatoire, séparation ou non de la famille, instauration d’un contrat de soin par exemple. Dans un premier temps, la surveillance médicale est assurée par le médecin traitant. Elle repose sur le contrôle de l’IMC 2, de l’examen cardiovasculaire, des marqueurs biologiques révélant un hypométabolisme. Le médecin oriente la prise en charge en fonction de l’IMC de la patiente (Tableau 3). Il envisage l’hospitalisation soit en urgence en service de médecine (mise en jeu du pronostic vital) ou comme alternative aux soins ambulatoires (hospitalisation dans un service spécialisé). Cette dernière permet de combiner la rééducation diététique, la normalisation du poids, l’initiation d’une thérapie familiale et groupale et la préparation de la patiente à un travail au long cours [10]. Les connaissances actuelles nous montrent que l’anorexie mentale est une pathologie marquée par l’interaction de symptômes physiques et psychiques et qu’elle nécessite une prise en charge pluridisciplinaire. Les troubles de l’image du corps représentent un symptôme cardinal de la maladie. Au-delà des thérapies cognitivo-comportementales3, nous verrons 2 IMC : Indice de Masse Corporelle 3 Thérapies cognitivo-comportementales (TCC) : ensemble de traitements des troubles psychiques qui partagent une approche selon laquelle la thérapeutique doit être basée sur les connaissances issues de la psychologie scientifique et obéir à des protocoles relativement standardisés dont la validité est dite basée sur la preuve. |5
comment ce symptôme peut être pris en charge par les psychothérapies à médiation corporelle comme la psychomotricité ou les thérapies de la conscience du corps comme la relaxation, la fasciathérapie ou les kinésithérapies globales dans lesquelles s’inscrit la méthode Mézières. II- APPROCHES THERAPEUTIQUES PSYCHOCORPORELLES II.1- LES THERAPIES PSYCHOCORPORELLES II.1.a- Naissance des thérapies psychocorporelles Les thérapies psychocorporelles placent le corps au centre de l’acte thérapeutique pour traiter l’esprit. Elles découlent directement des psychothérapies fondées par W. REICH4 dans les années soixante où le corps est directement et activement impliqué. Avant son exclusion de la société psychanalytique de Vienne, REICH avait noté qu’au cours d’une analyse classique, lorsqu’une résistance importante apparaissait et se maintenait, simultanément des tensions musculaires se localisaient à certains niveaux de l'organisme du sujet. Lorsque la résistance disparaissait à la suite d'un « Insight5 », en même temps disparaissait la tension musculaire. De ce constat, W. REICH eut l'idée d'essayer de faire disparaître la tension musculaire par un massage localisé au groupe de muscles atteints de cette augmentation de leur tonus de base. Il constata ainsi que la résistance psychologique tombait dans les instants succédant au relâchement. Corroborées par ses études physiologiques, ses intuitions au sujet du rôle fondamental du système neurovégétatif dans le blocage des émotions et le maintien de la cuirasse caractérielle l’ont mené vers la première approche psychocorporelle de la psychopathologie et vers la découverte de la nature du lien entre psyché et soma. Le travail proposé est postural, respiratoire mais aussi moteur : le corps est utilisé pour apaiser les souffrances de l’esprit en libérant les émotions refoulées. II.1.b- La psychomotricité Le concept même de psychomotricité rend compte de la liaison entre le corps et le psychisme alors que ces deux entités ont souvent été pensées séparément. Le milieu pour l'être humain comporte une dimension physique (le monde des objets) et une dimension 4 REICH Wilhelm (1897-1957) : Psychanalyste autrichien disciple de Freud à l’origine de la végétothérapie. 5 Insight : compréhension brusque d'une chose refoulée ou d'une résistance psychologique. |6
sociale (le monde des sujets). Le terme de psychomotricité évoque donc cette interdépendance constante entre le sujet et le monde. Les troubles psychomoteurs se manifestent par un déséquilibre des fonctions psychomotrices qui retentit sur le comportement, les conduites et les compétences. En psychomotricité, le corps n’est plus un instrument à ajuster, à réparer ou à régler mais il est « porteur d’être ». Mettre le sujet en mouvement c’est aussi le mobiliser sur le plan psychique, l’aider à construire et à structurer la relation. Pour cela, le psychomotricien utilise différents outils qui sont par exemple l’expression corporelle, le jeu, le sport ou les techniques de relaxation. II.2- LE CHAMP PARAMEDICAL DU SOIN SOMATIQUE De plus en plus de professionnels de santé paramédicaux sont activement impliqués dans la prise en charge des patients souffrant d’anorexie mentale en agissant sur la composante perceptive de l’image corporelle, c’est-à-dire sur le schéma corporel et la proprioception. II.2.a- Les relaxations La première technique de relaxation développée en 1912 est le training autogène de SCHULTZ. Il explore la possibilité d’induire un état psychique en créant un état neurovégétatif particulier (parasympathicotonie6) à partir de suggestions qui sont les images sensorielles des effets végétatifs de relâchement musculaire (lourdeur, chaleur etc). Il véhicule également la notion d’un état somatique propice à un travail émotionnel. Ensuite vient la relaxation progressive de JACOBSON (1928) qui fait travailler ses patients à partir d’alternances contractions/relâchements. Cette technique vise à permettre au patient de réaliser des actions avec une tension minimale par la recherche d’une eutonie7. Ce mécanisme incite à focaliser son attention sur une image mentale (un lieu calme) et des sensations corporelles (chaud, tendu) et de mettre à distance l’émotion perturbatrice. 6 Parasympathicotonie : Ensemble de perturbations liées au système nerveux autonome, régulé par le nerf vague, dont les rameaux nerveux se terminent au niveau du cou, du thorax et de l'abdomen. 7 Eutonie : (du grec eu = bien, harmonie, juste et tonos = tonus, tension) : a été créé par Gerda Alexander en 1957 pour traduire l’idée d’une « tonicité harmonieusement équilibrée et en adéquation constante, en rapport juste avec la situation ou avec l’action à vivre ». |7
II.2.b- Les gymnastiques sensorielles La gymnastique sensorielle (Eutonie, Feldenkrais), propose un travail en conscience sur les postures, gestes et attitudes. L’objectif est de libérer les tensions physiques pour résoudre les problèmes psychiques. La technique Feldenkrais repose sur la prise de conscience du corps par le mouvement, l’Eutonie de Gerda Alexander mise quant à elle sur l’harmonisation de l’homme avec son environnement à travers des enchaînements précis de mouvements. L’approche d’Ida ROLPH s’appuie sur des liens existants entre les structures du corps, les fascias. Elle analyse le corps et ses déformations à partir de la « mémoire » que constituent les relations fasciales. En 1977, elle affirme clairement l’intrication psychosomatique en posant l’hypothèse que le corps n’est pas l’expression de la personnalité mais « qu’il est en soi la personnalité ». « Modifier la structure corporelle, ce n’est donc pas libérer l’instrument d’expression d’un individu mais changer son expression et par conséquent l’être lui-même » [11]. La Fasciathérapie de Danis Bois est pratiquée à l’hôpital par nombre de thérapeutes ; elle a pour objectifs de soulager les tensions et d’améliorer la conscience qu’a le patient de son propre corps. « Se voir mentalement en train de faire et de comprendre le mouvement réunifie le vécu corporel à partir d’une action ». Cet investissement du corps vécu peut devenir un savoir grâce à une pratique réglée de ces exercices [11]. II.2.c- La méthode Mézières et les kinésithérapies globales Depuis 1949, après la publication d’un article intitulé « Révolution en gymnastique orthopédique » , Françoise MEZIERES, a contribué à révolutionner l’approche classique morcelant le corps et à faire des ponts entre le corps anatomique et le psychisme. En se référant à une vision globale de l’appareil locomoteur, elle a généré de nouvelles techniques thérapeutiques dont le concept de chaînes musculaires qui a été développé par plusieurs auteurs. En 1984, elle publie « Originalité de la méthode Mézières » et énonce les six lois qui expliquent l’observation princeps de 1947 (Tableau 4). Par la suite, G. DENYS STRUYF a également développé une systématique du corps qui débouche sur une thérapie manuelle aussi bien que sur une approche du mouvement ou une psychomotricité. L’auteur considère que le corps est travaillé par l’intentionnalité. Tout part d’une attitude physique face aux évènements : allers vers ou se rétracter, s’offrir ou se soustraire, s’imposer, recevoir, percevoir etc. Le corps s’adapte et se sculpte sur la base de ces structures anatomofonctionnelles.. Depuis les années 1980, L. BUSQUET, ostéopathe a |8
également développé le concept de chaînes musculaires qui ont en charge l’organisation du corps afin d’assurer la statique, l’équilibre, les mouvements et l’adaptation aux contraintes. II.3- APPORTS DE LA METHODE MEZIERES DANS LE SOIN SOMATIQUE La philosophie de la méthode Mézières donne une place capitale à la participation active du patient dans la thérapie. Ce n’est pas un énième soin qu’il va « subir » puisque ˝le patient agit à son corps participant et non pas défendant ˝ (J. PATTE). Dans la mesure où le patient porte une attention soutenue à son corps, il peut devenir réceptif à ses sensations et à ses émotions. La méthode Mézières guide le patient vers une prise en charge de lui-même, elle le responsabilise. Selon F. MEZIERES, ˝le mal n’est jamais là où il se manifeste˝ [12] c’est-à dire que le motif de consultation est une conséquence d’un problème autre, occulté inconsciemment par le corps qui a créé une chaîne de compensations pour masquer le problème initial. En agissant sur la globalité du corps et en le libérant de ses compensations diverses, la méthode Mézières permet une réharmonisation, une rééquilibration du corps qui n’est possible qu’avec une conscience du patient de son schéma corporel. ˝C’est toute l’identité d’une personne qui est redéfinie au cours d’un contact corporel˝ [13]. En aidant le patient à porter une attention soutenue à sa sensorialité, on peut l’aider à changer ses représentations et ses comportements, sa façon d’être en relation avec le monde. La proprioception du patient est mobilisée en partie grâce au toucher thérapeutique (mouvement des mains du thérapeute qui permettent au cerveau du patient d’intégrer de nouvelles informations sensitives et motrices) et grâce à l’utilisation d’objets (balles, bâtons etc.) qui permettent au patient d’affiner ses perceptions et à son cerveau d’enregistrer ces nouveaux stimuli et de réorganiser ses connections sensitives. Cette approche corporelle est donc complètement adaptée dans la prise en charge de patients où le vécu corporel et où la relation au corps sont perturbés. La méthode Mézières prend en compte la dimension physique mais également psychique du patient. En effet, elle s’adresse principalement au système nerveux végétatif qui se compose du cerveau « reptilien » et de deux chaînes nerveuses principales et antagonistes, le sympathique et le parasympathique qui se ramifient sur les viscères, les vaisseaux et les glandes. Situées de part et d’autre de la colonne vertébrale, ces chaînes nerveuses comportent des fascias nerveux et des petits ganglions disséminés dans les viscères et le long des chaînes, notamment à proximité immédiate de la chaîne musculaire postérieure. Pour comprendre |9
l’effet de la méthode sur le système végétatif, on peut imaginer les muscles paravertébraux en état de tension permanente ; cette dernière perturbe l’action des ganglions sympathiques et des filets nerveux situés dans leur environnement. La normalisation de ces ganglions par l’action sur les chaînes musculaires entraîne un « lâcher-prise » émotionnel bénéfique. De la même façon, la libération de la respiration est prépondérante chez tout individu car elle est responsable de son équilibre physique, psychique et émotionnel. Sur le plan physique, le diaphragme représente l’attitude de défense ou de compensation ultime qui va empêcher le travail correct de libération des tensions musculaires. Sur le plan psychique, le diaphragme est « la boîte de Pandore » du corps humain dans laquelle est contenue tout le stress émotionnel de l’individu. Avec la libération de la respiration et la normalisation du diaphragme, le patient accède à un lâcher prise tant émotionnel que physique et une réharmonisation globale du corps. La méthode Mézières peut particulièrement s’adresser aux patients souffrant de troubles psychosomatiques qui sont considérés comme les symptômes physiques de troubles psychiques. ˝Notre approche globale du corps peut aider ces patients à leur faire prendre conscience de somatisations, tout en leur permettant de s’en libérer progressivement˝ [14]. III- CAS CLINIQUE III.1- PRESENTATION DE LA PATIENTE ET DU DOSSIER MEDICAL III.1.a- Etat civil et mode de vie Anaïs a 17 ans, elle sera scolarisée en classe de seconde générale à la rentrée ; elle espère qu’elle aura une place en internat. Elle a redoublé sa classe de cinquième en raison du divorce parental entraînant un changement de région et d’établissement en cours d’année (elle a quitté Paris avec sa maman pour le Lot-et-Garonne). Elle a également redoublé sa classe de troisième en raison de deux hospitalisations consécutives en service d’endocrinologie pour dénutrition suivies d’une hospitalisation en service de psychiatrie. Elle a une petite sœur de 5 ans et vit avec sa mère qui élève seule ses deux filles. Son père est remarié depuis trois ans et habite toujours Paris ; il a deux autres filles âgées de 3 ans et de 18 mois. Anaïs ne voit son père que deux ou trois fois par an. |10
Anaïs a une pratique intense de la danse, c’est d’ailleurs son professeur qui l’a encline à consulter un kinésithérapeute méziériste. Alors qu’elle a une prescription de séances de kinésithérapie pour la région lombaire, Anaïs me révèle qu’en fait elle « souffre de partout » depuis plusieurs mois : lombalgie, dorsalgie, cervicalgie et parfois même douleurs dans les articulations, ce qui la gêne parfois dans sa pratique sportive. Elle ajoute qu’elle n’a jamais fait de séances de kinésithérapie car elle redoute le contact corporel, elle-même évite de toucher sa propre peau et elle ne supporte pas le contact corporel de sa mère. III.1.b- Antécédents Anaïs présente une anorexie mentale de type restrictif depuis deux ans. Elle est maintenant suivie en ambulatoire par un des psychiatres du centre de consultation de l’hôpital et en concertation avec son médecin traitant. Elle mesure 1,69 mètres et pèse 49 kilos ; son indice de masse corporelle est à 17,2. Anaïs laisse apparaître des manifestations anxieuses importantes qui se traduisent par une difficulté à rester assise ou à maintenir une attention continue ou par une onychophagie8.Elle me décrit des manifestations viscérales fréquentes : oppression thoracique, besoin de respirer amplement pour reprendre sa respiration, sensation d’être serrée à l’intérieur d’elle-même dans la sphère digestive, reflux gastro-œsophagien douloureux. Elle n’a pas d’antécédents traumatiques ou chirurgicaux. Anaïs est suivie par une psychologue clinicienne depuis un an, qu’elle voit en consultation une fois par semaine et par un psychiatre qu’elle voit une fois par mois. III.2- BILAN MEZIERISTE INITIAL III.2.a- Debout, en attitude spontanée De face, la jeune femme apparaît maigre mais bien proportionnée, stable, en équilibre plus marqué à droite, avec un polygone de sustentation étroit. De bas en haut, les pieds sont en appui interne avec des orteils en griffe, les tibias apparaissent en rotation interne, on note un genuvalgum plus marqué à droite et les fémurs sont en rotation interne. Le bassin semble horizontal, l’espace thoraco-brachial est plus fermé à droite et l’épaule droite est plus basse et plus enroulée que la gauche. Le diaphragme est bloqué en position inspiratoire. De dos, les omoplates sont très décollées. 8 Onychophagie : acte de se ronger les ongles. |11
De profil, les genoux sont en hyperextension, le bassin est en antéversion et Anaïs présente une hyperlordose lombaire. Le thorax et l’abdomen sont projetés en avant de l’axe du corps. La colonne cervicale est en hyperextension et la tête en antépulsion. III.2.b- Debout, pieds joints Anaïs se sent stable pieds joints. On peut noter une augmentation de la griffe des orteils, de la rotation interne et du valgum des genoux. Les condyles fémoraux ne se touchent pas. Le sacrum et le sternum apparaissent horizontaux. La tête est en antépulsion. III.2.c- Test du pencher avant En pencher avant, les angles tibio-tarsiens s’ouvrent, le récurvatum des genoux est augmenté et les tibias reculent. La lordose lombaire reste fixée en L4-L5 avec une cuvette lombo-sacrée. On n’observe pas réellement de cyphose dorsale et la colonne cervicale reste raide Toute la colonne vertébrale donne la sensation d’être figée comme une « carapace ». On n’observe pas de ballant des membres supérieurs. III.2.d- Attitude en décubitus dorsal et tests de mise en tension Anaïs ferme les yeux en position allongée sur le dos : l’exposition de son corps la gêne. Sa respiration est abdominale, le sternum est horizontal avec un angle de Charpy augmenté. Les pieds sont en supination (davantage à droite qu’à gauche), les membres inférieurs en rotation latérale. Anaïs compense l’élévation du membre inférieur par une élévation du bassin et l’épaule compense la supination de l’avant-bras et la flexion dorsale du poignet. Anaïs a les muscles qui réagissent douloureusement à la pression et à l’étirement. III.3- TRAITEMENT III.3.a- Approche thérapeutique et objectifs de rééducation Le jour et l’heure de chaque séance sont fixes de manière à instaurer un cadre à Anaïs, chaque séance dure 45 minutes environ. Le cadre thérapeutique est aménagé pour limiter les stimulations sensorielles extérieures. |12
Les objectifs de la rééducation sont de : - Soulager les tensions dans les muscles de la chaîne postérieure (membres inférieurs et tronc) et dans les muscles du cou (scalènes et sterno-cleïdo-mastoïdiens), - Libérer la respiration et favoriser le travail expiratoire, - Gérer la détente globale de la patiente et la rendre consciente de ses sensations et de ses émotions. III.3.b- Moyens mis en œuvre - Les postures d’étirement Les postures d’étirement utilisées s’accompagnent toujours d’un travail respiratoire (expiration), ce qui permet d’utiliser le diaphragme comme élément moteur de l’étirement des chaînes pour effectuer un ajustement postural. ˝Faire souffler lors des étirements évite le renvoi des tensions des autres muscles dans le diaphragme qui est une véritable gare de stockage des tensions et aussi des émotions˝ [15]. Elles concernent le corps dans sa totalité et visent à étirer la chaîne postérieure tout en empêchant les compensations apparaissant en réaction. J’ai d’abord utilisé les postures debout, en fente avant, en carré et en quadrupédie de manière à faciliter la participation d’Anaïs, à éviter la gêne occasionnée par la position sur le dos et à favoriser le travail sur la rotation externe des genoux. Puis j’ai progressivement intégré les postures en décubitus dorsal avec élévation d’un ou de deux membres inférieurs ainsi que les postures spiroïdes afin de retrouver une liberté corporelle et respiratoire favorisant la gestion de l’anxiété et la prise de conscience des somatisations permettant ainsi à la patiente de les neutraliser au mieux (J. PATTE). A partir de la cinquième séance, j’ai également intégré les postures pour désenrouler les épaules (étirement du petit pectoral) et pour ouvrir le thorax (étirement du grand dorsal et du grand pectoral) ainsi que le contracté-relâché des membres supérieurs et l’assouplissement de la région inter-scapulaire en décubitus dorsal. - La respiration Le relâchement diaphragmatique permet la détente et l’étirement des chaînes musculaires et favorise la mise en posture. De plus, Anaïs est en blocage inspiratoire et l’immobilité de son diaphragme entraîne l’immobilité de son thorax et de l’abdomen. J’ai donc essayé de faire retrouver à Anaïs une liberté respiratoire en réveillant les zones hypomobiles, en libérant les zones rétractées et en lui faisant prendre conscience du bon |13
mouvement de la respiration physiologique. En position debout et en fente, j’ai accompagné la descente du sternum et des basses côtes lors du temps expiratoire. J’ai utilisé les traits tirés au niveau de la rampe chondrale, le massage du thorax et les tapotements au niveau des os pour faciliter la prise de conscience du sternum. De même, au cours de chaque séance, il y a toujours eu un temps de dynamisation du thorax (prise de conscience du mouvement du dos lors de la respiration, prise de conscience du mouvement respiratoire antérolatéral) et de travail actif pour donner du mouvement au thorax. - Les massages J’ai beaucoup utilisé les massages avec Anaïs mais pas de prime abord puisqu’elle m’avait dit « redouter le contact corporel ». Je ne les ai intégrés qu’à partir de la fin de la troisième séance, lorsqu’elle était en position de germe, pour détendre les paravertébraux et favoriser la respiration dans le dos. Dès lors, le massage a fait partie intégrante des séances, massage partiel des membres inférieurs et supérieurs dans le sens des torsions physiologiques lors des postures ou du travail actif, massage-modelage du thorax, massages de la voûte plantaire, ponçages lents et traits tirés entre les postures en décubitus dorsal et lors du temps de repos de la patiente. Le toucher et le masser participent du même sens. ˝Si le massage avec ses techniques gestuelles variées opère une conversion du malade afin de lui faire quitter le chemin qui le liait au traumatisme, la main qui le touche lui offre alors la paix et le repos˝ [16]. La dernière séance a été consacrée à une séance de massage californien9 qui est un massage global, relaxant qui enveloppe et modèle le corps. Il a été codifié par M. ELKE à la fin des années soixante et vise à redonner au patient toutes ses sensations : physiques, émotionnelles, psychiques et énergétiques. - La proprioception Je me suis servie de petits matériels pour aider Anaïs d’une part, à améliorer la sensation du mouvement demandé ou la sensation du meilleur geste et d’autre part, afin de permettre la prise de conscience de son schéma corporel. J’ai utilisé par exemple un bâton positionné dans le dos de la patiente pour la recherche des bonnes courbures vertébrales, pour redonner une cyphose dorsale et diminuer la lordose lombaire. En position debout également, j’ai utilisé une baguette positionnée dans l’axe du pied permettant la prise de conscience des 9 Massage californien = Sensitive Gestalt Massage (SGM) aujourd’hui reconnu par l’association internationale de somatothérapie. Il est aussi appelé massage sensitif ou psycho-sensoriel. |14
appuis plantaires par rapport à l’axe du pied et ensuite le travail de repositionnement du pied pour obtenir de bons appuis. Une fois le pied bien placé, nous avons pu travailler ensemble le réaxage du genou sans permettre au pied de lâcher ses bons appuis. J’ai également utilisé des balles et ballons en mousse pour favoriser l’éveil de la respiration dans le dos (en position de germe notamment). Enfin, ces outils accessibles dans n’importe quel commerce ont permis à Anaïs d’effectuer le travail proprioceptif chez elle en complément des séances. III.3.c- Bilan méziériste final En l’absence de photos prises lors du bilan initial, il est compliqué de véritablement quantifier les différences (améliorations ou non) posturales d’Anaïs et les modifications de sa statique. Globalement, Anaïs a la sensation d’avoir un corps (alors qu’elle apparaissait coupée de son ressenti corporel), sa respiration est plus libre et elle ne ressent plus cette oppression thoracique qu’elle me décrivait. Elle a donc appris à se relâcher et à entretenir ce relâchement. Elle ressent une sensation de légèreté globale qu’elle n’avait pas auparavant et d’une manière générale, c’est une jeune fille plus posée (beaucoup moins dans l’expectative aussi !) qui vient aux séances de kinésithérapie. - Debout, en attitude spontanée De face, Anaïs paraît stable, les pieds parallèles avec un polygone de sustentation étroit. De bas en haut, les pieds sont en appui interne, les orteils sont allongés sur le sol, les tibias apparaissent en rotation interne, les genoux sont déverrouillés avec un genuvalgum plus marqué à droite. Le bassin semble horizontal, l’espace thoraco-brachial est plus fermé à droite et l’épaule droite est plus basse que la gauche. De dos, les omoplates sont très décollées. De profil, le bassin est en antéversion, Anaïs présente une lordose lombaire et une début de cyphose dorsale qui s’esquisse. Le thorax et l’abdomen sont projetés en avant de l’axe du corps. La colonne cervicale est en rectitude. - Debout, pieds joints Anaïs se sent stable pieds joints. On peut noter une augmentation de la rotation interne et du valgum des genoux par rapport à l’habitus spontané. Le sacrum et le sternum apparaissent horizontaux. Sans faire apparaître de lordose vraie, la colonne cervicale est en rectitude et la tête n’est plus antépulsée. |15
III.4- DISCUSSION ET INTERROGATIONS III.4.a- Ressenti et évolution d’Anaïs Au début de la prise en charge, Anaïs m’apparaît physiquement avec des douleurs lombaires et des tensions dans les épaules. Elle s’avère peu loquace, plutôt discrète même et évoque sa maladie et le fait qu’elle soit suivie psychologiquement avec un certain détachement. Elle est peu attentive, a beaucoup de difficultés à se concentrer lors des postures et n’arrive pas véritablement à ressentir ses appuis, qu’ils soient bons ou mauvais. Elle exprime une sensation de mal-être au toucher de son ventre qu’elle trouve ˝tendu et proéminent˝ alors qu’il est tendu certes, mais plutôt creux. Elle a peur de ne pas ˝contrôler sa respiration˝ et ne sait pas véritablement pourquoi elle est là si ce n’est parce que son professeur de danse lui a dit que ˝ça lui ferait du bien˝. Je suis d’abord surprise qu’elle ne rate aucun rendez-vous puisqu’à chaque séance elle est ponctuelle et passe chaque début de séance à énumérer les douleurs qu’elle a ressenties après la séance précédente. Petit à petit, sans s’en rendre compte, elle abandonne le contrôle sur elle-même et verbalise la gravité de sa maladie, le manque de confiance en elle, le rapport qu’elle a avec son corps lorsqu’elle danse et les souffrances qu’elle lui inflige, les échanges avec sa psychologue qui l’amènent à faire des choix au niveau de son orientation scolaire avec un éloignement de sa mère. Elle verbalise aussi parfois son état dépressif, le fait qu’elle n’ait pas d’amis et qu’elle se sente seule en cette période de vacances scolaires où elle a moins de cours de danse que d’ordinaire. Au niveau ressenti corporel, elle expérimente de nouvelles sensations et évoque au cours des séances une tension musculaire, une sensation de chaleur ou de libération des viscères, notamment de l’estomac qui retrouve sa mobilité et qu’elle décrit ˝moins crispé˝. Elle a moins de tensions, se dit ˝plus à l’aise dans son corps˝, et sans se sentir totalement physiquement bien, les sensations ressenties amènent des émotions qu’elle met en lien ou non avec son histoire. Son corps n’est plus vécu comme douloureux, il est plus libre et d’une manière générale, Anaïs apparaît plus détendue, plus sereine, peut-être même plus confiante. |16
Elle ressent un mieux-être corporel, ce qui l’a incitée à s’inscrire à des séances de groupe de Danse-Thérapie10 qu’elle commencera à Paris à la rentrée scolaire. III.4.b- Dimension relationnelle de la thérapie Il me semble que la dimension relationnelle du soin est essentielle à prendre en compte. Le kinésithérapeute prend une position active car il est engagé physiquement dans la relation : son propre corps et celui du patient sont mis en interaction par le biais de la méthode Mézières mais le corps du thérapeute est aussi le médiateur de la relation à l’autre. Au fur et à mesure de la construction de la relation thérapeutique, un ressenti émerge lors des séances (en images, en émotions, en réactions neurovégétatives) ou à distance des séances (lors de rêves par exemple). Cette réflexion sur l’aspect relationnel est développé dans les thérapies psychocorporelles où est souligné ˝l’importance d’une réflexion et d’un travail sur le propre vécu corporel du thérapeute, afin de permettre une implication et une distanciation entre son propre corps (ses sensations, ses affects) et son savoir-faire avec ce corps, dans la relation thérapeutique. S’il existe une réciprocité d’échanges dans une interaction patient-thérapeute, il ne faut pas oublier que l’un est demandeur d’aide˝ [17]. Il est donc essentiel que le thérapeute garde la distance thérapeutique et il n’est pas aisé, lorsqu’on travaille seul en cabinet de ville, d’analyser chaque composante de séance d’un patient et de se remettre en cause par rapport à ces notions. L’analyse du transfert et du contre-transfert par exemple n’est pas facile à effectuer même si elle est importante à considérer dans la prise en charge. III.4.c- Intérêt d’une méthode très structurée L’approche très structurée de la méthode Mézières, le fait de donner de bons repères au patient en prenant soin d’indiquer la bonne information, le bon geste afin que les mouvements et postures soient exécutés avec justesse est intéressante dans cette pathologie en particulier car les patientes anorexiques présentent une dimension obsessionnelle. En effet, elles se réfèrent sans cesse aux livres ou à internet pour avoir des connaissances diététiques ou physiologiques dans le but de maîtriser leur corps. Le fait que la méthode soit globale et que la physiologie soit utilisée comme point d’appui dans la rééducation, donne un sens et se révèle rassurant pour aborder le travail sur le vécu corporel. 10 Danse-Thérapie : utilise le mouvement et la danse dans une visée psychothérapeutique qui permet à la personne de s’engager de façon créative dans un processus favorisant son intégration émotionnelle, cognitive, psychique et sociale. |17
De la même façon, le contact corporel est problématique chez les patientes anorexiques en raison de leur rapport au corps. Le fait que le cadre thérapeutique soit structuré et que l’organisation des séances prenne son point d’appui dans l’anatomie et la physiologie permet à la patiente d’accepter plus facilement la composante du toucher corporel dans la rééducation. III.4.d- Limites de la pratique en ville Cette approche corporelle se veut complémentaire d’une prise en charge multimodale : la thérapeutique psychocorporelle doit s’avérer complémentaire de la psychothérapeutique individuelle en créant des liens dynamiques, en favorisant des associations entre un vécu corporel ressenti (en Mézières) et un élément élaboré en psychothérapie individuelle. Le fait de ne pas travailler en institution et donc de ne pas avoir de contact avec l’équipe pluridisciplinaire, ramène ces associations au seul ressenti de la patiente, ressenti qui est parfois altéré voire adapté en fonction de la situation. Ce manque d’échanges entre soignants est très frustrant et nous empêche, d’une part d’adapter notre soin en fonction de l’évolution psychologique et médical de la patiente, et d’autre part de prendre toute la mesure de notre intervention dans la prise en charge de cette pathologie. |18
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