BANDE DESSINÉE, DOSSIER - RENCONTRES - Tranzistor
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No 68 MARS 2020 GRATUIT L' I N F O C U LT U R E L L E E N M AY E N N E DOSSIER BANDE DESSINÉE, RENCONTRES DU 9E TYPE
TÊTE À TÊTE 3 TRANZISTOR N°68 Tranzistor est une publication de Mayenne Culture : 84 avenue Robert Buron CS 21429 - 53014 Laval cedex Édito Il a parcouru la planète pour en rapporter des images. Ce photoreporter chevronné vient de réaliser «I ISSN : 1968-2360 l faut que tu respires. » Les chanteurs le savent bien, illustré par un documentaire dans lequel Cyril Directeur de publication : Arnaud Hamelin face à cette montée irrépressible et lancinante qu'on ERWANN SURCOUF il dénonce le massacre du Directeur de rédaction : appelle le trac : respirer est la clé. Par de profondes bocage et alerte sur un Nicolas Moreau inspirations et expirations, s'ancrer, reprendre possession de Né à Laval en 1974, Erwann Surcouf vit Rédaction : Carole Gervais, écosystème fragilisé, en soi, renouer avec son rythme intérieur et le sens (l'essence) et travaille à Paris, après un passage à François Geslin, Rémi Hagel, de ses actes. l’école des arts décoratifs de Strasbourg Mayenne. Par Carole Gervais Le Tourneur d’Ison Vincent Hureau, Yoan Le Blévec, Nicolas Moreau, Dans un monde en accélération continue, où les algorithmes et l’école des Gobelins. Arnaud Roiné, Antoine donnent le tempo, les spectacles, les livres ou les films sont Collaborant régulièrement avec Roquier, Sylvain Rossignol. des respirations, de rares espaces-temps où nous pouvons différents médias (So Film, Arte, Merci à Maël Rannou, Élise concentrer notre attention sur un sujet, une histoire… On Topo…), il a publié une demi-douzaine Drouet et Guillaume Boutreux appuie sur pause, le temps d'une parenthèse. d’albums (chez Delcourt, Vide Cocagne, pour leur contribution à ce numéro. En la matière, pour buller, rien de tel qu’une bonne vieille Dargaud…) et participé notamment © Florian Renault Maquette : Élise Moret BD, promesse assurée de plaisir et d'évasion. Sa force d’in- à l’aventure Chicou-Chicou, une BD Mise en page : Antoine vention et sa capacité à convoquer l’imaginaire, la bande collective publiée gratuitement sur Gautreau le web, dont l’action se déroule à… V dessinée les puise sans doute dans le lien originel qu’elle Impression : Imprimerie Faguier entretient avec l’enfance. Cette toute-puissance de l’imagi- Château-Gontier ! ous venez d’achever la réalisation de La Grâce Tout au long du film, le spectateur est accompagné Tirage : 4 100 ex. La citation du numéro : nation enfantine, à laquelle, adulte, nous oublions parfois S’éloignant du « réalisme » de ses du sillon, un documentaire de 52 minutes. par un narrateur, personnage imaginaire qui déam- « L'entreprise de modeler d’aller nous ressourcer. débuts, le dessin de cet auteur resté Comment est né ce projet ? bule à travers le paysage. Pourquoi ce choix ? la matière inhérente et Selon une expérience toute personnelle, une nuit d’insom- fidèle au papier et à l’encre évolue D’une rencontre avec Antoine Glémain, d’Atmosphères Pro- Je ne voulais pas être tenu par un récit purement journalistique. vertigineuse dont se nie, aucun somnifère n’égale le pouvoir d’une BD à vous vers une écriture graphique dont le duction, ici même, en 2017. Il est venu avec son équipe, et m’a J’ai opté pour un mode narratif, poétique, avec cet épouvantail composent les rêves est la pousser dans les bras de Morphée. En relisant les aven- trait direct, souple et libre sert d’abord proposé de m’accompagner dans la création d’un film. J’avais qui a été fabriqué par les plasticiens mayennais Élodie Grondin plus ardue à laquelle puisse s'attacher un homme. » tures, pourtant mille fois parcourues, de l’invincible et naïf le récit. Cet amateur de science- carte blanche pour réaliser un documentaire ou une fiction en et Yannick Thomas. Il est à la fois une métaphore de la civilisa- Jorge Luis Borges Sangoku à la poursuite des Dragon Ball, d’Hubert le détec- fiction, dont il décape les codes avec lien avec la Mayenne. J’ai élaboré ce projet à partir de mon res- tion paysanne et une référence à L’Homme des haies, le roman tive à la cambrousse, ou de Philémon dans ses trips psyché- une tendre ironie et un sens aigu de senti sur ce territoire et, notamment, des lectures de l’écrivain et de Trassard. Contact déliques, on (re)plonge avec délice dans une bulle confor- l’absurde, publiait en janvier un nouveau photographe mayennais Jean-Loup Trassard. C’est un travail sur 02 43 67 60 90 table et rassurante. L’air se fait plus léger, la respiration plus livre, premier épisode des Sauroctones, la banalisation des campagnes et la disparition potentielle d’un Jean-Loup Trassard est très présent dans le film… contact@tranzistor.org tranzistor.org profonde… Et, dans un souffle, nous glissons doucement épopée post-apocalyptique en trois paysage rural, façonné par huit siècles de civilisation paysanne. C’est la première personne que j’ai interviewée pour ce projet. facebook.com/tranzistormag vers le royaume des songes. tomes. Une réflexion qui dépasse largement les frontières du départe- Jean-Loup est LE maître absolu sur le sujet : il observe la cam- twitter.com/tranzistormag Nicolas Moreau Il signe la couverture de ce numéro. ment. pagne et son évolution depuis plus de 70 ans. Au total, j’ai mené
4 TÊTE À TÊTE TÊTE À TÊTE 5 une vingtaine d’entretiens auprès d’interlocuteurs impliqués existait hier est rompu du fait de l’activité humaine. Donc oui, budgets se sont raréfiés… Aujourd’hui, Internet et son torrent En 2014, alors que vous réalisiez un reportage photo dans la protection de l’environnement. Le projet a été long à c’est alarmant. d’images ont profondément modifié les règles du jeu. « vu du ciel », près d’ici, vous avez eu un choc… se mettre en place. J’ai commencé à y travailler fin 2017. Début En survolant le secteur en ULM, j’ai découvert d’immenses 2019, j’ai trouvé un producteur, 24images, qui a finalisé la diffu- En marge de La Grâce du sillon, vous avez mené Le véritable tournant, pour vous, s’est opéré en saignées creusées dans la terre. C’était très spectaculaire. Ces sion avec France 3 Pays de la Loire. Entre temps, j’ai réécrit plu- un travail photographique qui a donné lieu à Afghanistan… grandes cicatrices préfiguraient la ligne ferroviaire LGV. Cette sieurs fois le synopsis. L’été dernier, quand je suis arrivé dans les Palimpseste, une exposition itinérante présentée en Le reportage grâce auquel j’ai gagné mes galons de reporter image m’a bouleversé, et a contribué à me sensibiliser encore studios de montage, je disposais d’une matière considérable… 2019, doublée d’un livre… photographe, c’était en 1987. J’étais volontaire pour Solidarité davantage au paysage, et à sa transformation. De là est née l’idée En 2018, j’ai répondu à un appel à projets de la fondation Mécène Afghanistan, une ONG qui aidait les populations sous occu- d’un projet personnel sur ce chantier. J’ai choisi de travailler en Votre documentaire s’intéresse aux pratiques des Mayenne. Je me suis dit que ça aurait du sens, parallèlement au pation soviétique. C’était l’époque des cinglés qui envoyaient argentique, avec un moyen format, en noir et blanc, et de dégra- agriculteurs, mais évoque aussi, de manière plus film, de photographier le bocage et le danger de sa disparition. de jeunes inconscients comme moi, avec ce qu’on appelait du der volontairement les originaux pour créer une confusion sur large, l’aménagement du territoire. J’ai travaillé en noir et blanc, en format carré. Cela m’a permis « cash for food », c’est-à-dire des sacs remplis d’argent. De la l’époque à laquelle les photographies avaient été prises… Au fi- Il aborde tout ce qui marque le paysage, laisse une empreinte. Ce d’avancer sur les deux tableaux, la photo et le documentaire. folie furieuse ! Mais il y avait l’aventure, le besoin de sortir des nal, les images s’apparentent à un champ de bataille du début du qui m’intéressait, c’était de conserver la mémoire d’un paysage, sentiers battus… À mon retour, j’ai eu une publication de plu- 20e siècle. Malmenée par les engins de terrassement, la nature tout en alertant sur sa destruction, qui s’opère là, sous nos yeux. Vous êtes photographe depuis plus de 30 ans. sieurs pages dans Le Figaro Magazine. La rédaction en chef avait donne une impression de chaos. Ce travail, intitulé Géographie On peut tout à fait imaginer que, d’ici 20 ans, il ne restera plus Comment avez-vous démarré la photo ? titré « Des chevaux contre des tanks ». Sur place, j’avais suivi d’un désastre, a été exposé au festival Les Photographiques du que la plateforme web Géo-portail pour se souvenir de la confi- Après mes études, je suis parti photographier le carnaval de des combattants afghans, à cheval… Ce reportage m’a ouvert les Mans, en 2015. guration de l’espace rural de l’ouest. Peut-être que la Mayenne Venise, avec un copain. On est revenu avec des tas d’images, portes d’agences comme Gamma, Sygma... ressemblera à la Beauce et que ça ne dérangera personne ! Tout qu’on a vendues au magazine jeunesse Okapi. C’était ma pre- Vos prochains projets s’ancrent-ils aussi en Mayenne ? ça donne un peu le vertige. mière publication. La technique, je l’ai apprise sur le tas. À ce Après cela, vous avez couvert de nombreux conflits Non, pas dans l’immédiat. J’ai très envie de voyager à nouveau. moment-là, les rédactions disposaient de réels moyens. On pou- dans le monde ? Je m’intéresse beaucoup à Diamniadio, une ville nouvelle, au Votre constat oppose modernité et préservation de vait, sur un simple coup de fil, proposer un sujet à une rédaction La révolution de Bucarest, les Tamouls en lutte contre C olombo, Sénégal. Un chantier complètement dingue, en périphérie de la nature. Deux notions forcément incompatibles ? et partir… C’était la belle époque de la presse papier. Au fur et le Kosovo, la Macédoine, Le Liban… Mais je n’ai jamais été pho- Dakar. Les Sénégalais sont en train de reproduire un modèle de On a l’impression que ce conflit est inévitable. Que la nature à mesure, c’est devenu plus compliqué. Le marché a changé, les tographe de guerre. J’étais plutôt dans le news magazine. Puis j’ai développement sur lequel nous nous interrogeons de plus en doit se soumettre, quoi qu’il arrive. L’homme semble incapable fait du grand reportage. J’ai toujours aimé voyager. J’ai collaboré plus. À qui est destiné cette ville ? Sans doute pas à la majorité de penser les choses différemment. Jérôme Rousselet, comédien à Géo, au Figaro Magazine, à Paris Match aussi. J’ai beaucoup des Dakarois… mayennais et ancien agriculteur, parle de « guerre contre la na- photographié les initiatives menées par des ONG, notamment ture ». La nature est devenue l’ennemie. Pourtant, on sait parfai- auprès des femmes. Je continue à collaborer avec une fondation Au final, votre constat est tout de même assez tement que le modèle agricole dominant est à bout de souffle. qui finance des projets d’autonomisation des femmes. Je suis sombre, non ? Tous les signaux sont au rouge. Évidemment, il ne s’agit pas de toujours impressionné par leur capacité à lutter contre la pau- Je suis un peu désespéré, oui… (rires). Comme l’écrivain voya- faire des agriculteurs des boucs-émissaires. Eux-mêmes sont vreté. En 2014, j’ai réalisé Femmes lumières, un documentaire geur Sylvain Tesson que j’admire, et qui remet en cause la notion pris dans un engrenage. diffusé sur TV5 Monde. La réalisation est venue assez tardive- de progrès. Je trouve aussi qu’on est allé beaucoup trop loin : la ment… surconsommation de l’espace rural en France, la façon dont on Votre propos sonne comme un signal d’alarme. dézingue l’Amazonie pour y faire passer des machines… À l’ins- Quelle portée souhaitez-vous lui donner ? Comment êtes-vous arrivé en Mayenne ? tar de beaucoup d’autres, À mon modeste niveau, j’ai voulu secouer les consciences. On Mon ancrage familial est à Saint-Brice. La maison où nous nous je considère qu’il est temps À VOIR, LIRE m’a donné l’opportunité de dire ce que je ressentais, à travers le trouvons appartenait à la famille de ma mère depuis des géné- de ralentir, de penser les La Grâce du sillon, diffusion sur média audiovisuel. Je ne suis ni un spécialiste de la biodiversité rations. Avec ma femme, nous avons eu l’opportunité de la ra- choses autrement. Pour France 3 Pays de la Loire le 23 mars ni de l’environnement, mais tout cela me touche terriblement. À cheter. En 2005, nous avons quitté Paris et nous nous sommes reprendre une phrase de à 23h. Avant-première au cinéma la base, j’ai une formation de géographe. Je suis forcément sen- installés ici. Je suis très attaché à ce lieu où j’ai des tas de souve- Cocteau : « il est possible Le Vox, à Mayenne, le 5 mars. sible à l’action de l’homme sur les espaces. Nous sommes entrés nirs d’enfance. Mais je ne connaissais pas le territoire. Je m’y suis que le progrès soit le déve- Palimpseste, aux éditions Les Ateliers dans ce que certains appellent l’anthropocène… L’équilibre qui vraiment intéressé après notre installation… loppement d’une erreur ». de l’Image. © Cyril Le Tourneur d'Ison
6 BOUCHE À OREILLE BOUCHE À OREILLE 7 © Arnaud Roiné le cinéma africain en tra- FILM D'ANIMATION vaillant avec le réalisateur Alors on danse Dialogue inédit mauritanien Abderrahmane PASSAGE EN REVUE le 7 mars au Théâtre de Laval : Tempo, Sissako et son association Maison d’édition et label n’obéissant « concert dansé », fait se percuter, Des cinémas pour l’Afrique ». à d’autres impératifs que la passion sur des musiques de Steve Reich structure de production ba- Un véritable coup de foudre et la singularité, Warm poursuit son notamment, l’Ensemble instrumental de sée en Mayenne, il réalise pour un continent que peu aventure, lancée en 2016, et étend la Mayenne et la compagnie de danse son premier documentaire : associent au 7e art. Suivent même son périmètre de jeu. Forte de Liminal, rejoints par plusieurs danseurs N’importe qui. De rencontres des voyages, en Afrique, son expérience éditoriale (une vingtaine du département. Autre rencontre : Mu, en discussions, l’écrivain pari- forcément ! Madagascar, où de livres et disques publiés à ce jour) et la dernière création du chorégraphe sien d’origine vendéenne mu- elle a en charge la program- s’appuyant sur sa connaissance fine du lavallois David Drouard, hybride danse rit alors l’idée d ’Autonomes : CINÉMA mation, pendant deux ans et secteur cinématographique, la structure contemporaine et krump. Un choc qui « en pérégrinant pour tourner L’AFRIQUE DOCUMENTAIRE demi, de l’unique salle de cinéma du pays, lavalloise s’est associée à trois autres promet aussi de belles étincelles. Le 10 ce documentaire, j’ai rencontré beaucoup de HORS-CHAMP AU CŒUR celle de l’Institut Français à Antananarivo. partenaires pour co-éditer, en janvier, le avril au Reflet à Saint-Berthevin. guérisseurs. Et puis j’ai aussi croisé des jeunes C ertains vous diront que le hasard n’existe pas. Que nos vies sont faites Puis Durban et son festival de cinéma, au- quel elle collabore, avant de rentrer au pays en 2015 pour se former au métier d’exploi- premier numéro de Blink Blank, seule revue de langue française dédiée au film d’animation. Divin En 2000 à Pontmain, apparais- sait… un centre d’art ! À la campagne, ce Q uel point commun peut-il y avoir entre un sourcier, des nonnes or- thodoxes, des paysans bio installés du côté gens qui veulent inventer un nouveau mode de vie, car la ville est devenue invivable ». Trente-cinq jours de tournage un peu par- de rencontres et de destins croisés, à l’instar tant de salle à l’école de la Fémis, haut lieu Deux fois par an, ce magazine, s’adres- lieu de création et d’exposition atypique de Montflours et un coureur des bois à la tout dans le département pour une quin- de l’arrivée d’Audrey Bénesse à Mayenne. du cinéma français. sant aux amateurs du genre comme aux s’est taillé une belle réputation dans le barbe rousse ? Tous figurent au générique zaine de rencontres filmées frontalement. Jugez plutôt ! D’abord recrutée comme Quatre ans plus tard, la voilà à Mayenne : professionnels du secteur, dresse un paysage régional de l’art contemporain. du documentaire Autonomes, tourné en François Bégaudeau propose pendant programmatrice d’Atmosphères 53 en « j’ai vite été conquise par les gens et leur passionnant panorama d’un domaine Pour fêter ses 20 ans, le centre d’art ac- Mayenne par François Bégaudeau, qui 1h45 de prendre le temps de regarder ces juin dernier, la fraîchement nommée di- accueil simple et chaleureux ». Audrey en plein développement. Un champ cueille une exposition d’œuvres inédites explique : « je voulais tenter de mettre « gueules » qu’il a appris à admirer. Alors, rectrice artistique de l’association départe- Bénesse prend rapidement ses marques et d’expression hyper créatif, où d’ailleurs de Régis Perray. Premier créateur invité dans le même film des gens qui sont dans pas question d’être bavard : « je veux lais- mentale raconte, encore un peu étonnée : avec l’appui des 10 salles mayennaises, qui la France excelle. Maquette claire et en résidence à Pontmain en 2000, le une hypothèse économique d’autonomie et ser le spectateur prendre le temps de voir « j’ai découvert le thème du 24e festival l’aident à « programmer au plus près du élégante, format confortable... Ce mook plasticien fait aujourd’hui référence dans d’autres qui ont adopté des pratiques mé- les choses, sans m’empresser de tout lui Reflets du cinéma pendant l’entretien d’em- territoire », elle cisèle pour les prochains épais de 160 pages, superbement illustré le monde artistique. dicales ou spirituelles alternatives. Tous commenter. » Le romancier avoue volon- bauche. Je n’ai pas pu m’empêcher de pous- Reflets la rencontre entre un cinéma et imprimé (en Mayenne !), est à déni- Du 12 avril au 31 mai. inventent des choses en dehors des clous, tiers avoir filmé ses interlocuteurs « avec ser un cri de joie un peu ridicule. Un hasard qu’elle adore et un public qu’elle apprend cher dans toutes les bonnes librairies. en marge des pratiques officielles. » amitié et une profonde empathie », mais fou : je commencerai par le cinéma africain, à connaître. « Cette programmation doit La Traversée, Florence Miailhe (image préparatoire) Chant libre Vingt balais qu’À Car oui ! Le scénariste du film Entre les sans parti pris militant. Bégaudeau veut le sujet qui m’éclate le plus. » Et ce n’est pas être une balade cinématographique sur le travers chants prend la chanson à murs, primé à Cannes en 2008, est aussi montrer, et laisser s’ouvrir un débat qu’il tout ! À croire qu’un griot malien guide continent. J’ai choisi de faire un focus sur rebrousse-poil, privilégiant les artistes réalisateur de documentaire et ça, c’est un attend avec impatience. En salles à partir son chemin : « j’ai appris qu’il y avait déjà cinq grands noms du cinéma africain, qui hors-champ (médiatique), loin des peu à cause de la Mayenne. En 2015, par du 8 avril, le film sera diffusé sur France 3 eu un festival du film africain à Mayenne. viennent mettre en perspective les films cultures intensives. Jauges intimistes, l’entremise d’Atmosphères Production, Pays de la Loire, le 20 avril, à 23h. Il s’appelait Éclats d’Afrique et a démarré le plus récents, presque tous inédits. Des pé- tarifs modiques… Le festival prône la 3 mars 1988, le jour de ma naissance. Il y a pites dont j’ai remonté la piste patiemment proximité et les circuits courts (avec des signes difficiles à ignorer. » afin de pouvoir les montrer au public. » Adone Ipy, Pierre Bouguier et ThEd Loco-motivés Création de plusieurs événements, d’une ludothèque et d’un tiers- « Cinéphile depuis toujours », Audrey Au total, c’est plus d’une cinquantaine en régionaux de l’étape). Cerise sur le lieu… Perchés dans le nord-est mayennais, les hyper-activistes de Payaso Loco agitent enchaîne les études littéraires, puis artis- de films qui sont à découvrir, du 13 au gâteau (d’anniversaire) : un salon du livre le bocal local depuis deux décennies. Et comptent bien arroser cette 20e année tiques et cinématographiques. « C’est à 24 mars, dans toutes les salles du dépar- en clôture, avec 15 auteurs invités. comme il se doit : le 19 avril, pour conclure la 3e édition de son festival Bambino Loco, ce moment-là, en 2009, que je rencontre tement. Du 16 au 22 mars à Cossé-le-Vivien. l’asso convie le sémillant François Hadji-Lazaro et Pigalle ! © Les Films de l’Arlequin / Maur film / Balance Film XBO Films / ARTE France Cinéma
8 BOUCHE À OREILLE BOUCHE À OREILLE 9 © Medi Musso PATRIMOINE MUSIQUES DU MONDE MÉMOIRE VIVE cles de conférences, expos, rencontres LE SENS «L e mot résister doit toujours se conjuguer au présent », disait la et spectacles aux thématiques diverses, des prisonniers de guerre aux Tsiganes Arrêt obligatoire Monte dans l’bus devrait durer toute l’année ! Mais DU COLLECTIF Musiques du monde obligent, la notion d’oralité constitue l’une des clefs de voûte résistante Lucie Aubrac. Un avis que partagent les bénévoles à l’origine du Musée du mémorial des déportés de la en passant par les femmes engagées. Exemple illustrant parfaitement la philo- sophie qui le guide, le Mémorial a connu on se contentera (avec joie) du riche circuit concocté par le 6par4 pour la 7e édition de ce festival jeune public. Entre «L e partage est notre héritage. » Tels sont les maîtres mots du collectif Sékoya n’Ko qui investit depuis sep- de ce collectif aux multiples branches. « Ces musiques s’apprennent unique- ment par transmission orale », explique Mayenne. Ouvert en 2012, à Mayenne, l’un de ses plus beaux succès avec Verfüg- autres destinations à ne pas manquer, tembre 2019 les locaux du théâtre Jean le très actif Mavel d’Aviau, clarinettiste ce lieu poursuit une évidente vocation bar aux enfers ; une opérette créée d’après du 18 au 25 mars, dans toute l’agglo Macé, à Laval. Créé en 2017 autour du trio des Iciniens et des Frères d’Aviau. Les mémorielle, mais aussi pédagogique et les écrits de la résistante et déportée lavalloise : le zouk-rock de Francky goes Iciniens, le collectif compte aujourd’hui membres de Sékoya proposent ainsi des culturelle. « L’idée, c’est vraiment d’être sur Germaine Tillion, associant artistes pro- to Point-à-Pitre(s), un ciné-concert sur RÉSIDENCE une dizaine d’artistes, parmi lesquels le cours et ateliers réguliers de musique deux créneaux », explique Élodie Roland, coordonnatrice du musée qui s’appuie fessionnels (de la compagnie du Théâtre du Tiroir), jeunes comédiens amateurs des cartoons chinois, la Bulle sonore de Ptit Fat et Simon le libraire, et une GRAND FORMAT chanteur Papan’i Miaja ou le quartet jazz- word Shakti Up. Très divers, les membres (basse, guitare, etc.), de danse et de coa- ching vocal. « On travaille beaucoup sur deux salariées. « Il s’agit de rendre et élèves du Conservatoire de Mayenne grosse teuf finale avec les rock stars des Leica en bandoulière, le photojournaliste du collectif entretiennent tous des liens, à l’oreille », expliquent Mavel et Yoan hommage aux victimes de la Shoah, mais Communauté. Wackids ! mayennais Arnaud Roiné arpente plus ou moins étroits, avec la grande fa- Chrétien, percussionniste au sein de aussi de tirer des leçons de notre histoire S’articulant autour de la thématique depuis mi-janvier les routes départemen- mille des musiques du monde. Un genre plusieurs groupes du collectif. « L’idée, et de faire résonner tout cela avec l’actua- « Imaginer pour résister », la saison Prem’s ! « Festival de lecteurs », tales. Jusqu’en mai, dans le cadre d’une musical largement sous-représenté dans c’est de délaisser la partition au profit de lité ». Afin de sensibiliser et d’affûter les 2019-2020 de ce lieu vivant, privilégiant le Festival du premier roman et des résidence de journaliste soutenue par le le département, et que ces musiciens la musique qu’on a en tête, et celle qu’on a esprits, en complément de son parcours l’échange et l’expression artistique, pro- littératures contemporaines passe au ministère de la Culture et copilotée par activistes, en mutualisant leur énergie et dans le corps. Pour que la technique vienne permanent, le musée s’est doté d’une pose par exemple une intervention sur les radar, depuis 28 éditions, la pléthorique le Presstival Info et Mayenne Culture, moyens, souhaitent promouvoir et diffu- alimenter le feeling et non l’inverse. » Pro- programmation culturelle proposant cy- comics américains dans les années 1930- production littéraire pour détecter les l’ex-photographe de l’armée française, ser. Ainsi, un week-end par mois, Sékoya chain rendez-vous : les 14 et 15 mars. 1940, ainsi que des ateliers à talents en devenir. Plus qu’un salon, « il aujourd’hui journaliste indépendant (La propose une soirée concert Yoan Chrétien et Mavel d’Aviau, fondateurs de Sékoya n’Ko. destination du jeune public se veut un espace de dialogue » entre lec- Croix, VSD, La Vie…), intervient auprès axée sur une thématique où chacun pourra réaliser teurs fervents (plus de 3 500 festivaliers de 200 jeunes, de l’école primaire à la fac. (la voix, le souffle, la médi- sa propre BD ! « On pré- en 2019) et une quarantaine d’auteurs Sa mission ? Expliquer ce qu’est le métier tation, etc.). Autour de ces sente aux enfants un fait de novices ou confirmés (parmi lesquels de journaliste, dans un contexte de crise soirées, qui convient des résistance ayant eu lieu en cette année Sorj Chalandon, Laurent de la presse écrite, d’infox généralisée et artistes du collectif, comme Mayenne, et charge à eux de Mauvignier, Joseph Ponthus, Jean de défiance vis-à-vis des médias. d’autres, échappant parfois créer une petite bande dessi- Rouaud…). Du 2 au 5 avril à Laval. Journaux d’école, reportages photogra- au registre des musiques née à partir de ce scénario », phiques ou sonores… Sous son aile, ces du monde, s’articulent des détaille Élodie. « Créer c’est Get Lucky Swing, free ou bop… apprentis reporters vont enquêter sur ateliers, siestes musicales, résister », écrivait un autre Depuis 23 ans, le festival Ateliers Jazz leurs propres pratiques culturelles, à l’ère brunchs partagés, temps résistant éclairant. de Meslay-Grez se fiche des étiquettes, du numérique et des réseaux sociaux. d’échange sur la p arentalité... Le Verfügbar aux enfers © Florian Renault pourvu que ça jazze et improvise ! À Un sujet passionnant qu’explorera aussi l’image de l’invité exceptionnel de la Arnaud Roiné au cours de sa résidence. Mondes parallèles Adossé au salon Laval Virtual, le festival Recto-VRso très riche prochaine édition (du 16 au 23 Collaborateur régulier de Tranzistor, 10 sur 10 Ligne rétablie pour Ça grézille, qui vibre à nouveau après une coupure explore depuis 2018 les nouveaux terrains de jeu qu’offre la réalité virtuelle aux mai) : bluesman de légende, l’Américain il planche sur un futur dossier du d’un an. Les 29 et 30 mai à Grez-en-Bouère, le festival grézillon soufflera même artistes. Un événement pionnier, d’envergure internationale, qui proposera du 22 au Lucky Peterson fusionne, à haute tem- magazine, qui interrogera le rapport des ses dix bougies ! Pour cette édition anniversaire, l’asso reste sur la même longueur 26 avril plus d’une soixantaine d’œuvres à la magnifique chapelle Ambroise Paré ou pérature, gospel, jazz, rock et soul dans jeunes à culture. À suivre ! d’ondes : jauge à taille humaine, programmation familiale et panachée, brassant via un parcours gratuit à travers la ville. un show qui s’annonce bouillant ! cette année Elmer Food Beat, Le Pied de la Pompe, Eighty ou TeKeMaT.
© Erwann Surcouf Rencontres du 9 type e D e l’art ou du cochon ? Comme le cinéma, avec lequel elle partage de nombreux points communs, la bande dessi- née, avant d’être élevée au rang de 9e art, a dû patienter Depuis près de 200 ans, le 9e art quelques décennies dans l’antichambre de la reconnaissance refuse d’entrer dans les cases. artistique. Si les spécialistes s’accordent à attribuer sa paternité Plutôt en bonne santé, même à un érudit genevois – le visionnaire Töpffer, au milieu du 19e siècle –, sa diffusion dans les suppléments dominicaux des jour- s’il ne parvient pas à enrayer la naux nord-américains, puis dans les illustrés européens, lui vaut paupérisation de ses auteurs, d’abord d’être considérée comme un divertissement de masse, le monde de la bande dessinée réservé au jeune public. élargit sans cesse ses frontières et Au tournant des sixties, des revues visant un lectorat majeur et vacciné, telles que Pilote ou Charlie mensuel en France, Mad ou publics. Quelques repères, pour Zap Comix aux États-Unis, Garo au Japon ou Linus en Italie, vont introduire ce dossier esquissant un faire basculer la bande dessinée dans l’âge adulte. De nombreux (trop rapide) croquis de la BD en signes témoignent alors de cette nouvelle légitimité : émergence Mayenne. Par Nicolas Moreau d’une bédéphilie (à l’instar de la cinéphilie), planches originales entrant dans les collections des musées ou vendues par des gale- ries d’art, colloques et recherches universitaires dédiées au 9e art… Dans l’Hexagone, porté par des magazines spécialisés, le marché de la BD, dominé par le style franco-belge, prend son es- sor. À la bande dessinée est alors associée l’image d’un médium populaire. Une perception que les études sociologiques récentes viennent relativiser : la BD recrute d’abord ses lecteurs chez les cadres et professions intellectuelles supérieures. Années zéro Début des années 2000. Alors que le marché de la bande des- sinée vient de traverser une crise, due notamment à l’érosion des ventes de BD franco-belges, une double révolution redes- sine le paysage français, et dope significativement les ventes. « Le manga a déboulé et ça a été une invasion », se souvient Guillaume Boutreux de la librairie généraliste M’Lire à Laval,
DOSSIER 13 Village gaulois volume global des ventes ? Multiplier les sorties, quitte à saturer ENFANTS DE LA BULLE Au carrefour du manga, du comics et des pu- le marché. « Tout le monde s’accorde là-dessus : il y a beaucoup À votre avis, quelle bande dessinée a blications venues du monde entier, « la BD trop de BD qui sortent, râle Guillaume, de M’Lire. D'autant que été la plus empruntée en 2019 dans francophone est la plus créative du monde, la majorité des publications se concentrent entre septembre et no- les médiathèques en France ? Astérix ? parce qu’elle sait digérer et métisser toutes ces vembre. » Même si, en dix ans, la librairie lavalloise a doublé Black & Mortimer ? One piece ? Perdu... influences avec la tradition franco-belge », son rayon BD, impossible de pouvoir tout présenter. Dans un Les Sisters ! Un album jeunesse, comme analyse le libraire. Preuve tangible de ce secteur où la nouveauté prime, le turn-over est énorme : temps (presque) tous ceux figurant au top 10 dynamisme artistique : depuis le début des de vie d’une BD en librairie ? « Deux à trois semaines, voire un des emprunts. En bib, la BD destinée au années 2010, près de 5000 nouveautés pa- mois ». Si, comme deux tiers des BD publiées, celle-ci ne fait jeune public cartonne ! raissent tous les ans, contre 650 titres en pas l’objet d’une promotion par l’éditeur, la probabilité qu’elle En Mayenne, via le prix Bull'Gomme 53, 1996. fasse un bide est grande comme la queue du Marsupilami. « Un le Département et sa bibliothèque Une richesse et une pluralité qui se tra- engrenage infernal, qui fait qu’aujourd’hui une BD se vend en départementale ont largement Momo de Jonathan duisent par une logique diversification du moyenne à 2-3000 exemplaires, contre 6-7000 il y a une dizaine Garnier et Rony contribué à développer les fonds des lectorat. Terminé le cliché du bédéphile d’années », déplore Alexis Horellou, dessinateur en activité de- Hotin, album médiathèques en la matière ! Depuis lauréat du prix mâle, quinqua et amateur de gros nez(nés) ! puis près de 15 ans (lire p. 20). 2003, cette opération, organisée avec Bull’Gomme 2019. Les moins de 30 ans représentent 60 % des 18 le concours de l'association lavalloise © Malec millions de lecteurs de bande dessinée hexa- Bande décimée des amateurs de bande dessinée (ALABD), vise à faire dé- gonaux. La BD d’auteur fédère de nouvelles Dans ce contexte, difficile pour les auteurs d’être en capacité de couvrir aux jeunes lecteurs (entre 7 et 12 ans) des BD sortant seul membre mayennais du réseau Canal BD, réunissant près communautés, et le public se féminise doucement, même s’il reste négocier avec les éditeurs, qui rabotent sensiblement leur rému- des sentiers battus de la production actuelle. L’objectif est de 130 enseignes indépendantes spécialisées. « De trois étagères, majoritairement masculin (six hommes sur dix lisent de la BD nération. Auparavant calculée à la page, celle-ci est de plus en aussi de soutenir, par la bande, des jeunes auteurs (ayant à on est passé en quelques années à un mur entier dédié au man- contre moins de quatre femmes sur dix). Une évolution à l’image plus souvent payée au forfait par album, qui correspond à une leur actif moins de cinq albums). Le principe : dix pépites ga. Et ce, alors que le lectorat de ces publications, très jeune, est de celle des auteurs, dont plus de 70 % restent des hommes. avance sur les recettes des ventes. « Aujourd’hui, on tourne en triées sur le volet sont offertes par le conseil départemental à loin d’être notre principale clientèle. » En 2018, la bande dessinée Certes moins dominante, la BD classique, d’Astérix à Th orgal, moyenne à 5-6000 euros pour un album », soupire Alexis, qui toutes les bibliothèques qui souhaitent participer au prix (93 nippone représentait 38 % des ventes d’albums en France, 2e pays continue de faire un carton « auprès des gamins comme des collec- confesse gagner moins d’un SMIC par mois, comme 53 % des en 2019). Particularité unique en France, ce sont les jeunes consommateur de mangas au monde ! tionneurs. Le phénomène de collection est encore très présent dans auteurs, dont plus d’un tiers vit en dessous du seuil de pauvreté. lecteurs fréquentant ces bibliothèques qui, en votant pour Second bouleversement : l’émergence d’une nouvelle scène ce secteur », tempère le Lavallois Bruno Blandin, qui s’est lancé « Si tu veux pouvoir te faire un salaire décent, il faut travailler leur(s) BD préférée(s), désignent le lauréat. Lequel se voit alternative, emmenée par des éditeurs comme L’Association ou en 2016 dans une activité de vente de BD d’occasion, Les BD à vite. » Un système qui pousse à la productivité, grignote le temps attribuer un prix de 1 500 euros. 6 pieds sous terre. C’est l’avènement du roman graphique, dont Nono. Un marché en pleine expansion. de recherche, et condamne souvent le dessin réaliste, plus chro- En 2019, record battu, 7139 votes ont été comptabilisés. les bases ont été jetées par des pionniers comme Will Eisner ou Présentée régulièrement comme le bon élève de l’édition nophage… Ajoutez à cela une réforme calamiteuse de la sécuri- « Le prix Bull'Gomme est un événement fédérateur, désormais Hugo Pratt. Rompant avec la tradition du « beau dessin », dé- (dont elle représente 15 % du marché), la bande dessinée a vu té sociale des auteurs et une augmentation de leurs cotisations attendu par nos jeunes lecteurs, comme par nous ! », sourit clenchée par des auteurs qui produisent beaucoup et vite, cette augmenter son chiffre d’affaires de 20 % ces dix dernières années. retraite : « le ras-le-bol, qu’e xprime la profession depuis déjà dix Delphine Renier, coordinatrice du réseau lecture du pays nouvelle vague promeut, comme le manga, de nouveaux for- Une croissance qui s’explique d’abord par une hausse globale du ans, est à son paroxysme », témoigne Alexis. de Meslay-Grez. Chaque printemps, Delphine et son équipe mats (prégnance du noir & blanc, rupture avec le standard 48 prix des albums, et derrière laquelle se cache une diminution du Alors, que faire ? À l’heure où le ministère de la Culture cé- présentent aux écoles du territoire la sélection Bull'Gomme, pages couleurs de la BD classique…). Encore souvent canton- nombre moyen d’exemplaires vendus par BD. lèbre « l’année de la BD », le rapport Racine, présenté lors du que les élèves peuvent ensuite dévorer librement. « C'est née à l’aventure et à la comédie, la BD s’ouvre à de nouveaux Stratégie des éditeurs pour pallier cette baisse et maintenir le dernier festival d’Angoulême, trace des pistes convaincantes : aussi l'occasion, encore pas si courante, de travailler sur la BD à domaines et types de récits : champ de l’intime, biographie, création d’un statut d’auteur, augmentation des droits d’au- l'école. » Et la chance, pour certains, d’échanger avec un au- adaptation littéraire… « Depuis une dizaine d’années, observe “ TOUT LE MONDE S'ACCORDE teurs… « Une baisse de la production et une politique de prix rai- teur en classe ou en bib. Ou mieux encore de rencontrer les Guillaume Boutreux, la BD investit aussi le réel, explorant le sonnable sont aussi nécessaires » selon Alexis, qui en appelle aux dix sélectionnés, en grimpant dans l’un des bus, qui chaque terrain du reportage, du documentaire, de la politique ou du LÀ-DESSUS : IL Y A BEAUCOUP lecteurs : « soyez curieux, allez dans les librairies, où des connais- printemps, partent des quatre coins du département, direc- militantisme. Le féminisme par exemple s’est imposé comme un TROP DE BD QUI SORTENT ” seurs passionnés sauront vous orienter, comme on conseille un tion les Rencontres BD en Mayenne (lire p. 22) à Changé ! thème majeur. » bon fromage ou un bon vin ! ».
14 DOSSIER DOSSIER 15 seau à Laval, et Internet est né, qui l’ouvre sur le monde et une SATIRE À TOUT-VA idée folle : depuis les ordinateurs du CDI, il contacte par e-mail « Les attentats contre Charlie Hebdo ont été le déclic ». En juillet des auteurs québécois, belges, etc., réunit 20 pages d’un fanzine 2015, Loran Ferrand et Yoann Pouteau concrétisent un projet qu’ils qu’il va imprimer au pas de course chez le photocopieur du coin. mûrissent depuis longtemps : éditer un fanzine où ils pourraient Gorgonzola voit le jour, avec pour sous-titre, « le fanzine pas bo exprimer leurs opinions, dénoncer ce qui les hérissent, proposer des punks aux cheveux sales… » des articles de fond sur l’écologie ou le véganisme, causer punk Être persévérant, très. Quinze ans et 24 numéros plus tard, hardcore ou petits mickeys… « Bref, faire le fanzine qu’on rêvait de Créateur de fanzines, éditeur, critique, Gorgonzola est toujours là, avec une même recette, celle du lire ». Bullshit’n’roll was born ! Et ce « fanzine amateur, satirique et bibliothécaire, scénariste, auteur d’ouvrages « fait-maison » (le do-it-yourself cher au mouvement punk), bordélique », qui fêtait en 2019 son 7e numéro, s’étoffe au fil des de référence sur la BD... À 31 ans, Maël un artisanat qui vise la qualité du quasi-pro (« quasi, car je ne parutions, alimenté par une équipe de 6 à 7 bénévoles et une Rannou, fou de bande dessinée, compte suis pas perfectionniste, j’aime débuter des projets, les faire, mais vingtaine de contributeurs, dont quelques auteurs BD confirmés après, faut que ça sorte vite »). Sur près de 160 pages, le dernier (Caritte, Jean Bourguignon…) et des talents en devenir. Très déjà plusieurs vies derrière lui. Et autant numéro du fanzine, désormais annuel, mêle bande dessinée, denses, les 60 pages de Bullshit’n’roll débordent ainsi d’illustrations devant ! Par Sylvain Rossignol textes de réflexion, critiques, dossier (autour de la BD croate et de bandes dessinées en tous genres. Graphisme soigné et cette fois), avec une ambition patrimoniale, celle de conserver impression couleur, le fanzine, disponible sur abonnement et dans Singulier une mémoire de la bande dessinée. une poignée de librairies et disquaires, vaut largement ses très © Alexis Horellou Penser et faire la BD (avec de l’audace encore). Toujours modiques 5 euros. animé par cette saine habitude de frapper aux portes, en 2006, Depuis trois éditions, les activistes de Bullshit organisent aussi le Maël envoie à la revue Comix Club un article qui ouvre sa car- festival Spank, qui met à l’affiche auteurs de BD et groupes punk rière de critique de bande dessinée. Dès ce premier texte – titré « qui dépotent ». Prochaine édition le 9 mai au Décibel à Montenay. pluriel Fanzinat de mon cœur – il télescope sa réflexion théorique et son expérience d’auteur et d’éditeur. Penser et faire la BD sont indissociables chez lui. serait-ce pas plutôt une capacité à déployer des attentions mul- a ffûte sa réflexion sur la BD en lisant tous azimuts et en signant Plus tard, il recontacte l’université Paris-Descartes, dont il est tiples et simultanées ?). En attendant une éventuelle publica- régulièrement des articles pour des revues ou sites spécialisés jeune diplômé en licence professionnelle des métiers du livre. tion de ce projet inachevé, il écrit les histoires des autres (une (Du9, Bodoï…). Il a parsemé son cursus universitaire de mé- Q « Comment se fait-il qu’une licence d’une telle qualité ne propose demi-douzaine de BD parues à ce jour portent sa signature de moires, parmi lesquels une étude sur Pif Gadget et le commu- uelles sont les clefs de ses vies multiples, de leurs croise- pas de cours sur la bande dessinée ? » feint-il de s’indigner. Ainsi scénariste). nisme (un ouvrage devrait paraître en 2021) et une recherche ments fertiles ? Difficile, pour le principal intéressé, de débute sa carrière d’enseignant. Deux jours de cours, très haut De la campagne électorale régionale dont il fut tête de liste, le sur l’histoire du fanzinat en France. C’est ainsi qu’il est repéré par nous éclairer, car il n’a pas de plan de carrière, de stra- débit (le garçon a une élocution supersonique), « riches, foison- militant écologiste tire aussi un récit dessiné – Ceci est ma cam- un groupe de chercheurs spécialistes de la BD, qui l’adoubent et tégie, de vision à long terme. Alors, comment devient-on Maël nants, denses… presque trop ! », selon les retours des étudiants. pagne ! – qui offre ce regard décalé, ingénu, avec quelques pages sollicitent sa réflexion, sa participation à des colloques… Rannou ? Nous avons tenté de déchiffrer le mode d’emploi… À l’image du personnage ? désopilantes sur sa photo de campagne et cette fichue chemise Et si l’ultime secret de Maël Rannou était celui-là… « Je fais des Rencontrer sa passion (très) précocement. Nous sommes en Faire de sa passion sa vie (et vice versa). Maël est un gar- blanche qui, au moins, a su capturer ses poils. listes de choses à faire, avec le court comme le long terme, et des 1994, dans la cuisine familiale, à Ernée. Maël a 5 ans, il dessine çon qui s’expose : à la critique, à l’amusement des uns, à l’aga- Prendre des tangentes en parallèle. 2016 : après ses études, tâches simples, comme ça, c’est motivant de cocher. » À ce jour : des personnages dans des cases, co-écrit le texte avec son frère cement des autres, à l’attachement surtout. Ses étonnements, le voici bibliothécaire, à Andouillé puis à Laval, mais déjà ail- - Terminer Ceci est mon corps ! aîné, plie, agrafe, montre aux parents. Dessinateur, scénariste, réflexions ou colères alimentent ses comptes Twitter, Facebook leurs. Maël prend un congé sabbatique d’un an pour participer - Acheter des gants pour finir d'avoir froid à vélo éditeur, diffuseur : sa passion pour le fanzine est née et jamais and co. Summum de l’exposition (exhibition ?), il publiera sur à la renaissance de la prestigieuse revue Les Cahiers de la bande - Prendre les dimensions du placard pour des étagères ne s’arrêtera. Les publications maison se poursuivent et l’aident un de ses blogs (oui, Maël conjugue tout au pluriel), un ambi- dessinée. Il profite aussi de cette parenthèse, après laquelle il re- - Préparer la conférence du festival d’Angoulême sur Pif et le à traverser ses années de collège, cette difficile école de l’obéis- tieux projet d’autobiographie dessinée (un « égozine » selon prendra son poste à la médiathèque de Laval, pour diriger et communisme… sance aux adultes et au conformisme de ses contemporains. la terminologie rannouesque). Ceci est mon corps ! n’épargne co-écrire un ouvrage collectif consacré à la bande dessinée… en Longue vie aux listes de Maël Rannou ! « Ne jamais hésiter à envoyer des e-mails » (avoir de l’au- rien au lecteur, de sa panique d’avoir mauvaise haleine au dia- bibliothèque ! Une publication qui fait désormais référence. dace). Début des années 2000, Maël est interne au lycée Rous- gnostic de trouble de l’attention qui lui fut attribué (mais ne Du critique au chercheur : voir plus grand encore ! Maël
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