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Pixellence - 27-08-20 09:01:04 IF0004 U114 - Oasys 19.00x - Page 197 - BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 page 197 lectures
Pixellence - 27-08-20 09:01:04 IF0004 U114 - Oasys 19.00x - Page 198 BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 politique étrangère | 3:2020 Contemporary French Security Policy in Africa: on Ideas and Wars Benedikt Erforth Cham, Palgrave Macmillan, 2020, 218 pages New Architecture of Regional Security in Africa: Perspectives on Counter-Terrorism and Counter-Insurgency in the Lake Chad Basin Usman Tar et Bashir Bala (dir.) Lanham, Lexington, 2020, 496 pages Unmasking Boko Haram: Exploring Global Jihad in Nigeria Jacob Zenn Boulder (Co.), Lynne Rienner Publishers, 2020, 416 pages Plusieurs publications récentes renouvèlent les analyses sur les questions de sécu- rité en Afrique subsaharienne, notamment dans la région du lac Tchad. Centré sur le Nigeria anglophone et non sur les pays voisins francophones, le livre de Jacob Zenn – enseignant à l’université Georgetown et chercheur à la Jamestown Foundation – est très documenté et fourmille de détails sur Boko Haram. Il mérite surtout d’être lu parce qu’il relance le débat – déjà abordé dans cette revue – sur les limites méthodologiques des études fondées, pour l’essentiel, sur l’exégèse des textes de propagande et des vidéos de groupes insurrectionnels et clandestins1. De ce point de vue, Unmasking Boko Haram repose sur une approche différente de celle adoptée dans l’excellent ouvrage d’Alex Thurston, qui se concentre sur les tourments de la scène politique et religieuse au Nigeria2. Jacob Zenn revendique ainsi une démarche déductive, qui consiste à relier les pièces manquantes du puzzle en retenant les hypothèses qui lui paraissent les plus plausibles. Il ne s’intéresse guère à l’audience locale de vidéos de propagande qui, vite effacées par les services de sécurité, sont souvent inaccessibles en ligne. Son propos consiste plutôt à montrer que l’État islamique et Al-Qaïda auraient joué un rôle déterminant dans l’émergence et le développement de Boko Haram. Pour cela, l’auteur se focalise uniquement sur les connexions internationales du groupe. Il ne dit rien des défaillances de l’armée nigériane, qui contribuent pour- tant à expliquer la résilience des insurgés, notamment lorsque les exactions de la troupe légitiment la rébellion et poussent des jeunes dans les bras des djihadistes. Dans le même ordre d’idées, Jacob Zenn ne juge pas utile d’analyser la façon dont, à la fin de la dictature militaire en 1999, l’extension controversée du domaine 1. M.-A. Pérouse de Montclos, « Djihad et vidéos de propagande : le cas Boko Haram », Politique étrangère, vol. 83, no 3, septembre 2018, p. 157-169. 2. A. Thurston, Boko Haram: The History of an Africanist Jihadist Movement, Princeton, Princeton University Press, 2017. Voir sa recension dans Politique étrangère, vol. 83, no 1, mars 2018, p. 198-199. 198
Pixellence - 27-08-20 09:01:04 IF0004 U114 - Oasys 19.00x - Page 199 - BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 Lectures d’application de la charia a déçu les musulmans du Nigeria, et alimenté le ressen- timent des islamistes tentés par le recours à la lutte armée. Omettant de souligner que Boko Haram n’a jamais commis d’attentats en dehors du continent africain et que son recrutement n’a pas l’ampleur globale de l’État islamique, l’auteur préfère insister sur la trajectoire de quelques individus qui ont essayé de prolonger les réseaux de la secte en direction du Sahel et du Sahara. Il soutient notamment que le premier noyau dur du groupe en 2003, les « Talibans de Kanama », aurait compris des djihadistes formés en Afghanistan avant de rejoindre les Algériens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) au Mali. De son propre aveu, de nombreux éléments viennent pourtant relativiser l’influence du mouvement d’Oussama Ben Laden sur le plan opération- nel. Ainsi, un certain Abu al-Bara al-Dourawi se serait enfui du Nigeria en subtili- sant les financements d’Al-Qaïda, avant que les « Talibans de Kanama » aient eu le temps de s’organiser. En dépit des formations militaires qu’ils auraient préten- dument reçues à l’étranger, les membres de Boko Haram devaient ensuite se faire décimer par l’armée et la police nigérianes à Maiduguri en 2009, lors d’un soulè- vement qui fut particulièrement mal préparé et qui allait à l’encontre des recom- mandations des émissaires d’Oussama Ben Laden. Plusieurs points factuels de la thèse de Jacob Zenn se révèlent assez troublants. Ainsi l’auteur fait-il naître le fondateur de la secte, Mohammed Yusuf, en 1967 et non en 1970, année habituellement retenue par les spécialistes de la question. Il ne mentionne pas l’existence d’Abubakar Lawan, qui est généralement présenté comme le mentor de la future communauté des « Talibans de Kanama » avant son départ pour l’Arabie Saoudite en 2002. Il confond les chiffres de population des collectivités locales et de leurs chefs-lieux homonymes en milieu rural. Il prétend, en conséquence, que Boko Haram aurait tenu une ville de 200 000 habitants, Kukawa, en réalité une simple bourgade de campagne. D’une manière générale, Jacob Zenn donne souvent le sentiment de dramatiser à l’excès le rôle des connexions internationales du groupe. Ainsi, il voit la main d’Al-Qaïda derrière les attentats à la voiture piégée qui ont été menés contre les chrétiens de la région centrale du Plateau au Nigeria en 2011-2012. On pourrait pourtant tout aussi bien arguer que le mode opératoire de la secte témoigne plutôt de son incapacité à rassembler des combattants, des véhicules et des motos pour organiser des attaques de masse en dehors de ses fiefs du nord-est, notamment en pays kanouri. Le constat s’applique également aux prolongements internationaux de Boko Haram. Outre le fait qu’il n’utilise pas la littérature académique en français sur le Sahel, l’auteur reprend à son compte des hypothèses qui mériteraient d’être consolidées, par exemple quand il affirme que le Maroc aurait soutenu le Groupe islamique armé (GIA) en représailles contre l’appui de l’Algérie au Front Polisario. Dans le même ordre d’idées, il évoque des personnalités dont la biographie pré- sente des lacunes et aurait pu être davantage discutée à partir des recherches disponibles, qu’il s’agisse du leader islamiste soudanais Hassan al-Tourabi, pré- senté comme un beau-frère d’Oussama Ben Laden, ou du chef d’une rébellion 199
Pixellence - 27-08-20 09:01:04 IF0004 U114 - Oasys 19.00x - Page 200 BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 politique étrangère | 3:2020 armée dans le delta du Niger, Asari Dokubo, qui s’est converti à l’islam et aurait, dit-on, reçu une formation militaire en Libye. Les livres d’Usman Tar et Benedikt Erforth – chercheurs respectivement à la Nige- rian Defence Academy et au German Development Institute – s’intéressent quant à eux à la réponse militaire aux mouvements insurrectionnels de la région. Ouvrage collectif, le premier a été financé par le ministère nigérian de la Défense et commence par saluer le dévouement des forces antiterroristes contre Boko Haram. On n’y trouvera donc rien sur la façon dont les exactions des forces de sécurité ont pu exacerber les conflits de la zone. L’ouvrage de Tar propose plutôt une analyse institutionnelle de la coalition antiterroriste, la Multinational Joint Task Force (MNJTF), qui regroupe le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun sous l’égide de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT). On apprend ainsi que cette institution est très dépendante des bailleurs internatio- naux qui abondent 60 % de son budget. C’est d’ailleurs pour des raisons finan- cières qu’en 2008, la CBLT s’est ouverte à la Libye, qui apporte près de 20 % de la contribution des États membres, alors que son territoire ne couvre que 1 % de la surface du bassin3. Pour autant, l’ouvrage de Tar ne propose aucune analyse du budget de la MNJTF, qui est différent de celui de la CBLT. La réflexion porte surtout sur les mérites des stratégies de contre-insurrection ou de contre-terro- risme tout au long de débats qui n’évitent pas toujours les poncifs : par exemple quand certains auteurs imputent l’émergence de Boko Haram à l’assèchement de la zone alors même que la secte est apparue au moment où les eaux du lac Tchad étaient en train de remonter. Le livre de Benedikt Erforth, enfin, traite des interventions militaires de la France en Afrique. L’auteur montre que, contrairement au cas de la Côte d’Ivoire, les opérations Serval au Mali puis Sangaris en République centrafricaine (RCA), ont renouvelé le genre en bénéficiant d’un large soutien de la part des États africains. Sur le plan diplomatique, la difficulté a plutôt été de mobiliser la communauté internationale. Aux Nations unies, il a fallu avaliser ex post l’opération Serval tout en négociant ex ante une résolution approuvant le débarquement de troupes en Centrafrique, où aucune autorité politique légitime n’avait demandé l’interven- tion de l’ancienne puissance coloniale. À l’époque, l’armée française était déjà fort occupée dans le nord du Mali ; en envisageant d’aller rétablir l’ordre en Centra- frique, elle craignait de froisser son allié tchadien, qui avait largement contribué à la chute du régime au pouvoir à Bangui avant la crise de 2013. L’intérêt de l’ouvrage d’Erforth est d’analyser les arguments invoqués par les dirigeants français pour justifier deux engagements militaires dans la même année. Concernant le Mali, l’auteur déconstruit le récit de la montée des périls dans un pays qui a été comparé à l’Afghanistan, alors que les groupes djihadistes de la zone n’avaient jamais commis d’attentats outre-mer. Pour ce qui est de la 3. En 1997, l’élargissement de la CBLT à la Centrafrique visait quant à lui à permettre de pomper les eaux de la rivière Oubangui en vue d’alimenter un fantasmatique projet de canal vers le lac Tchad. 200
Pixellence - 27-08-20 09:01:04 IF0004 U114 - Oasys 19.00x - Page 201 - BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 Lectures Centrafrique, Erforth revient ensuite sur le discours humanitaire qui a été déve- loppé pour légitimer l’opération Sangaris. Cette intervention a été justifiée par la volonté de protéger les populations face à « une spirale de massacres ». On sait moins que, courant 2013, les autorités françaises ont été tentées de reproduire le schéma malien en brandissant le scénario d’une menace djihadiste qui, en réalité, était inexistante en RCA. Toutefois, l’Élysée a vite renoncé à un argumentaire terroriste qui risquait de polariser les tensions confessionnelles et de laisser croire à une intervention visant spécifiquement la minorité musulmane, où les rebelles recrutaient leurs combattants. Voilà qui devrait encore davantage inciter à remettre en perspective les analyses qui insistent indûment sur la portée globale et religieuse de la menace djihadiste au Sahel. Marc-Antoine Pérouse de Montclos Directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement 201
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 202 BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 politique étrangère | 3:2020 RELATIONS INTERNATIONALES chinoise dans les pays du Sud, certains États se retrouvant pris au piège d’une dette grandissante à l’égard de Pékin. Dans la partie consacrée au projet des Nouvelles routes de la soie, le cas du LE LEADERSHIP MONDIAL EN QUESTION. Sri Lanka, incapable de rembourser ses dettes, est notamment évoqué. Les diri- L'AFFRONTEMENT ENTRE LA CHINE ET geants chinois n’ont accepté d’effacer LES ÉTATS-UNIS l’ardoise de Colombo qu’en échange de Pierre-Antoine Donnet la prise de contrôle du port en eau pro- La Tour d’Aigues, Éditions de fonde de Hambantota. Cette opération « a permis à la Chine de prendre pied l’Aube, 2020, 236 pages dans l’océan Indien, à quelques cen- taines de miles de l’Inde, son adversaire Pierre-Antoine Donnet a été rédacteur historique ». Plus près de nous, Pékin en chef central de l’Agence France- s’intéresse aussi aux ports de Méditerra- Presse, et correspondant à Pékin et New née, comme en témoignent les accords York. Son nouvel ouvrage a été écrit, conclus avec la Grèce en 2016 et l’Italie pour l’essentiel, avant l’apparition du en 2019. COVID-19, mais les dynamiques qu’il analyse n’en sont pas pour autant dépassées. Au contraire, la crise sani- Le dernier chapitre est consacré aux fai- taire et ses conséquences dans de nom- blesses de la Chine qui pourraient breux domaines ne devraient rendre constituer des freins à son ascension. La que plus vive la problématique centrale dette en fait partie : elle a été multipliée de ce livre : la lutte entre la Chine et les par quatre entre 2008 et 2016, et avoisi- États-Unis pour la suprématie mon- nerait les 300 % du produit intérieur diale. brut. Au nombre des autres difficultés mentionnées, la démographie : les L’auteur procède méthodiquement, pas- conséquences de la politique de l’enfant sant en revue plusieurs champs unique vont se faire sentir à long terme, d’affrontement entre les deux super- et le vieillissement de la population puissances. L’économie, le commerce, la risque de devenir un « casse-tête pour défense, le spatial ou encore la haute les caisses de l’État ». La question du technologie font ainsi l’objet de cha- mécontentement d’une partie de la pitres dédiés. Un autre chapitre est population n’est pas éludée, l’auteur consacré à la compétition géostraté- soutenant que « la stabilité sociale en gique entre Washington et Pékin, que Chine n’est pas celle que l’on croit ». Il l’auteur qualifie de « grand partage du finit par s’interroger sur la capacité des monde ». Les stratégies régionales des dirigeants chinois à faire perdurer le États-Unis et de la Chine y sont rappe- régime communiste et, au-delà, à per- lées en une trentaine de pages, et illus- mettre à leur pays de dominer les États- trées de nombreux exemples. L’effort de Unis. Se gardant bien de répondre synthèse est louable, mais peut donner directement à la question, il laisse la l’impression d’un tour d’horizon trop parole à différents experts dont les avis rapide. ne manquent pas de diverger. Chiffres et statistiques permettent de « Ma crainte, c’est que le monde d’après mesurer l’ampleur de la pénétration ressemble au monde d’avant, mais en 202
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 203 - BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 Lectures pire », déclarait Jean-Yves Le Drian, extraire le substrat impérial/colonial, et alors que le COVID-19, parti de Chine, pour rappeler les inputs venus de gagnait l’ensemble de la planète. Ce juristes de la « périphérie ». La troi- livre ne rassurera pas ceux que cette sième vague revient sur les combats du remarque a inquiétés. Il constitue une Sud dans les années 1960-1970 pour bonne introduction à la géopolitique du changer les règles du système interna- « monde d’après ». Il n’est pas destiné tional. Ces combats semblent avoir été aux spécialistes, mais pourra donner vains, notamment celui du Nouvel des clés de compréhension utiles à un ordre économique international, large public. emporté par la vague néolibérale des années 1980. Marc Hecker Cet ouvrage collectif revient en intro- duction sur la chronologie de ce bras de fer Nord-Sud. Puis sont déclinés THE BATTLE FOR INTERNATIONAL LAW: quelques-uns de ses thèmes majeurs, NORTH-SOUTH PERSPECTIVES ON THE comme la question raciale, les droits de l’homme, le rôle des firmes transnatio- DECOLONIZATION ERA nales, la reconnaissance des mouve- Jochen von Bernstorff ments de libération nationale, l’héritage et Philipp Dann (dir.) commun de l’humanité (avec peu de Oxford, Oxford University Press, développements, paradoxalement, 2019, 496 pages consacrés à la souveraineté sur les res- sources naturelles1). L’échec du Sud à La TWAIL (Third World Approach in peser sur l’évolution des institutions, International Law, approche tiers-mon- notamment la Cour internationale de diste du droit international) a le vent en Justice et la Banque mondiale, est poupe depuis quelques années, décli- ensuite abordé. Enfin, le livre présente née le plus souvent dans des ouvrages certains acteurs, notamment des juristes collectifs fort onéreux. (R.P. Anand et Mohammed Bedjaoui notamment), mais aussi l’Union sovié- La première étape a consisté à revisiter tique, qui semble aujourd’hui devoir les fondements du droit international être presque réhabilitée pour son rôle du XIe au XIXe siècle, afin de montrer dans les régimes juridiques d’après- que la plupart de ceux-ci, et notamment guerre et son soutien aux luttes émanci- la souveraineté, étaient le produit de patrices du Sud. On notera la contribu- l’expérience impériale/coloniale, et tion d’Emmanuelle Tourne Jouannet sur qu’ils avaient divisé le monde entre Charles Chaumont, qui rappelle le rôle « famille des nations civilisées » et « le important que des juristes français et reste ». Dans un second temps, et avec francophones ont tenu dans ces débats, la participation d’historiens qui ont notamment dans les années 19702. fouillé les archives, c’est le droit de la guerre (et le droit humanitaire), la créa- tion des organisations internationales 1. Voir C. R. W. Dietrich, Oil Revolution: Anticolonial majeures (Société des Nations unies, Elites, Sovereign Rights, and the Economic Culture of Decolonization, New York, Cambridge University Organisation des Nations unies) et le Press, 2017. régime international des droits de 2. J. Adda et M.-C. Smouts, La France face au l’homme qui ont été revisités pour en Sud. Le miroir brisé, Paris, Karthala, 1989. 203
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 204 BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 politique étrangère | 3:2020 Ce tour d’horizon est indispensable, La durée d’un conflit ne saurait donc non seulement pour les juristes, mais définir à elle seule un bourbier. pour les historiens et les politistes. On regrettera que trop peu de contributions Plusieurs facteurs favorisent et entre- utilisent vraiment les archives, et sur- tiennent l’enlisement. Outre les dyna- tout l’importante production historique miques endogènes du conflit – comme récente sur ces questions. On regrettera la mainmise d’un belligérant sur des aussi que les pays du Sud ne soient pas ressources naturelles, ou une zone géo- plus différenciés, avec une approche de graphique peu accessible (montagnes, leurs stratégies, mais aussi de leurs coa- jungle) –, les parties combattantes litions et de leurs rivalités, et que les peuvent bénéficier de l’aide de puis- acteurs politiques n’apparaissent pas sances extérieures pour soutenir leurs davantage. Ce n’est là qu’un appel à opérations dans la durée. L’internatio- travailler sur un grain plus fin. nalisation entretient le processus d’esca- lade en abaissant le coût de la guerre, et Pierre Grosser tend à complexifier une équation d’ores et déjà difficile à résoudre, où les inté- rêts des acteurs locaux et de leurs par- rains internationaux s’entremêlent. SÉCURITÉ/DÉFENSE Équation est le mot qui convient pour désigner une démonstration qui s’appuie sur la théorie des jeux et l’équi- libre de Nash pour modéliser le piège de l’enlisement. Si l’on peut regretter QUAGMIRE IN CIVIL WAR que la profusion d’équations et de Jonah Schulhofer-Wohl modélisations statistiques rende la lec- Cambridge, Cambridge University ture de certains passages fastidieuse, Press, 2020, 318 pages cette mise en équations permet à l’auteur d’éclairer les différents choix Assistant professor à l’université de qui s’offrent aux parties combattantes et Leyde aux Pays-Bas, Jonah Schulhofer- à leurs parrains. Il constate d’abord que Wohl est l’auteur de plusieurs articles et les belligérants peuvent choisir entre rapports sur les guerres civiles. Dans cet des stratégies non territoriales à bas ouvrage, tiré de sa thèse de doctorat coût et des stratégies territoriales plus soutenue à l’université de Yale, il décon- coûteuses. Il observe que les soutiens struit la notion de « bourbier ». internationaux n’ont que peu de prise sur le choix de leur protégé en faveur La première partie de ce livre se de l’une ou l’autre de ces stratégies. concentre sur la définition de cette notion. Pour l’auteur, les bourbiers L’ouvrage est organisé autour de plu- résultent d’une dialectique stratégique sieurs études de cas. Sur les 158 guerres entre des parties combattantes. Les pro- civiles recensées entre 1944 et 2006, plu- tagonistes se trouvent enlisés dans le sieurs ont été emblématiques du phéno- processus mortifère de la guerre civile, mène d’enlisement. Les analyses de la quand la poursuite des dynamiques guerre civile libanaise (1975-1990) – où d’escalade et de destruction apparaît l’auteur a conduit plusieurs enquêtes de moins coûteuse que le désengagement. terrain – et des conflits au Tchad et au 204
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 205 - BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 Lectures Yémen offrent des éléments de compa- Moins de vingt ans plus tard, ces terri- raison bienvenus. Pour chacun de ces toires auraient été conquis par l’isla- cas, l’auteur s’attache à évoquer le point misme, que Bernard Rougier définit de vue de toutes les parties prenantes et comme « le refus assumé de distinguer des puissances internationales parrai- l’islam comme religion, l’islam comme nant les belligérants, et explore, en culture et l’islam comme idéologie », outre, l’ensemble des options straté- couplé au « souci de soumettre l’espace giques et des décisions prises dans les social, voire l’espace politique, à un différentes séquences des conflits régime spécifique de règles religieuses (combat, négociation, désescalade). Il promues et interprétées par des évoque notamment un cas paradoxal où groupes spécialisés ». la combinaison d’un soutien étranger et d’une stratégie low cost non territoriale Les Territoires conquis de l’islamisme est pourrait conduire à une situation dans aussi un ouvrage collectif et plusieurs laquelle le meilleur choix pour toutes auteurs – présentés comme des étu- les parties combattantes serait le statu diants du Centre des études arabes et quo : poursuite des combats sans orientales de l’université Paris 3 – ont concession ni escalade. L’éclairage his- choisi d’écrire sous pseudonyme. Il se torique et l’analyse comparée per- divise en trois parties. La première mettent de comprendre pourquoi certains conflits tendent vers l’enlise- porte sur l’idéologie. Quatre variantes ment et d’autres vers une résolution. d’islamisme sont distinguées : les Frères musulmans, le Tabligh, le salafisme et le djihadisme. Seul ce dernier appelle On ne peut que conseiller la lecture d’un ouvrage qui retiendra l’attention, ouvertement à la violence, mais les tant par sa démarche scientifique rigou- auteurs cherchent à démontrer que les reuse que par son contenu passionnant, variantes non violentes ne sont pas et qui offre des clés de compréhension pour autant bénignes. D’une part, elles de nombre de conflits actuels. sont subversives, dans la mesure où elles portent un discours de rupture avec la société française. D’autre part, il Morgan Paglia peut exister des formes d’hybridation – dont le « salafo-frérisme » est un exemple – et de continuité entre les dif- férentes formes d’islamisme. LES TERRITOIRES CONQUIS DE L'ISLAMISME La deuxième partie a trait aux « quar- Bernard Rougier (dir.) tiers ». Elle était sans doute la plus Paris, Presses universitaires de attendue, car le travail de terrain devait France, 2020, 416 pages permettre de fournir des éléments objectifs sur la « prise de contrôle » de En 2002, Les Territoires perdus de la Répu- certaines banlieues par les islamistes. blique – ouvrage dirigé sous pseudo- Or l’approche microsociologique choi- nyme par Georges Bensoussan – avait sie interdit la vue d’ensemble. Des prê- fait grand bruit. Les contributeurs y cheurs prônent la division et placent la dénonçaient le recul des valeurs répu- charia au-dessus des lois de la Répu- blicaines et la progression de l’antisémi- blique, mais on ne peut mesurer ni la tisme dans certains quartiers sensibles. réception de ces discours, ni l’ampleur 205
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 206 BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 politique étrangère | 3:2020 du phénomène. Autrement dit, le lec- LES ESPIONS DE L'ÉLYSÉE. teur constate que des stratégies de rup- ture, voire de conquête de l’espace LE PRÉSIDENT ET LES SERVICES social, sont mises en œuvre, sans pou- DE RENSEIGNEMENT voir en conclure que certains territoires Floran Vadillo et Alexandre ont bel et bien été conquis par l’isla- Papaemmanuel misme. Contrôler des mosquées est une chose, prendre le pouvoir dans une ville Paris, Tallandier, 2019, 328 pages en est une autre. Sous un titre accrocheur – parlera-t-on désormais des « espions de Charles de La troisième et dernière partie est Gaulle ou de François Mitterrand » ? –, consacrée aux prisons. L’étude des femmes incarcérées pour terrorisme à la les auteurs livrent un stimulant essai sur maison d’arrêt de Fleury-Mérogis l’évolution des rapports des présidents mérite une attention particulière. Son de la République française à la fonction auteur montre notamment que du renseignement dans les années 2000 « 34 détenues sur 36 ont été socialisées de la Ve République. Centré sur la dans des cercles salafistes prétendu- période des trois quinquennats de Nico- ment apolitiques avant de basculer las Sarkozy, François Hollande et Emma- dans le jihadisme ». Seules deux déte- nuel Macron, l’ouvrage, d’écriture alerte, nues peuvent être considérées comme parfois vive, s’appuie pour l’essentiel sur repenties. Les autres font corps et les entretiens que les principales person- tentent d’imposer leurs normes au reste nalités publiques, civiles et militaires, de l’établissement. Dans une autre ont bien voulu accorder. Floran Vadillo a contribution, Peter Neumann et Rajan notamment exercé auprès de Jean- Basra (du King’s College de Londres) Jacques Urvoas, ministre de la Justice, la élargissent le spectre aux hommes et à fonction de conseiller, en particulier d’autres pays d’Europe. Ils analysent les pour les questions de renseignement à formes d’hybridation qui existent entre l’heure de la fabrication de la loi du terrorisme et criminalité. 24 juillet 2015 relative au renseignement, puis de sa mise en œuvre. Les Territoires conquis de l’islamisme a eu un écho médiatique hors normes pour L’interview des acteurs de premier plan un ouvrage académique, et n’a pas présente l’intérêt et les limites du genre : manqué de susciter des réactions hos- si François Hollande s’est prêté à l’exer- tiles dans le marigot universitaire, cer- cice, Nicolas Sarkozy a décliné l’invita- tains adversaires n’hésitant pas à tion, à laquelle ont répondu Claude brandir le chiffon rouge de l’islamopho- Guéant, les premiers coordonnateurs du bie. Au-delà des polémiques, une chose renseignement, Bernard Bajolet, Ange est sûre : l’ouvrage n’épuise pas le sujet Mancini, Alain Zabulon, Didier Le Bret, de l’islamisme en France, et d’autres Pierre Bousquet de Florian et le général enquêtes seront les bienvenues. Christophe Gomart, passé de la Coordi- nation nationale du renseignement Marc Hecker (CNR) à la Direction du renseignement militaire (DRM) (2013-2017). De premier intérêt, ces entretiens, cités largement et parfois longuement, donnent chair au livre. Ils exposent une unité de ton de ces acteurs, presque en forme de consensus, 206
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 207 - BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 Lectures qui dessine une analyse commune des entre renseignement et diplomatie, ren- changements opérés en 15 ans, tant il est seignement et économie – à l’heure de vrai que politique rime d’abord, en la « guerre économique » –, enfin par le France, avec administration. paradigme sécuritaire antiterroriste : nouvel horizon (et jusqu’à quand ?) du Les deux auteurs rappellent, à juste renseignement. Le livre le montre avec titre, l’institutionnalisation tardive du justesse : en 40 ans, le renseignement a renseignement dans l’État en France changé de nature, non de fonction. sous la Ve République. Progressif, ce processus d’institutionnalisation et de Olivier Forcade légalisation des activités de renseigne- ment remonte en réalité au XIXe siècle et à la IIIe République. Les autorités de la IVe République, et les premiers prési- HISTOIRE SECRÈTE DE LA DGSE. dents de la Ve République, depuis le AU CŒUR DU VÉRITABLE BUREAU général de Gaulle jusqu’à Jacques Chirac, maintiennent les services de DES LÉGENDES renseignement à la lisière de l’action Jean Guisnel publique, nommant des hommes de Paris, Robert Laffont, 2019, confiance, avec des décisions en circuit 384 pages court faisant monter le renseignement au sommet de l’État et descendre la On ne présente plus Jean Guisnel, auteur décision de l’Élysée, sinon de Matignon. de nombreux ouvrages sur les questions Le renseignement a toujours été à de défense et de renseignement. Actua- l’Élysée dans les faits, du moins et logi- lité des succès télévisés oblige, ce nou- quement sous la Ve République, Jacques veau livre sur la Direction générale de la Foccart étant ici plus central que Michel sécurité extérieure (DGSE), sous-titré Au Debré ou Georges Pompidou dans les cœur du véritable Bureau des Légendes, années 1960, avec une rupture – plus commence par une cinquantaine de voulue que réellement mise en œuvre – pages sur la saga qui a incontestable- sous Nicolas Sarkozy, selon les auteurs. ment attiré l’attention du grand public, d’un public jeune, et aussi d’un public Les influences et les modèles n’ont pas international, sur les prouesses des ser- manqué pour inspirer la voie française, vices français. Il y est question du réa- tiraillée entre le modèle américain du lisme et de la crédibilité de la série, du Conseil de sécurité nationale et d’une rapport entre ses auteurs, acteurs, et les communauté du renseignement puis- services dont le quotidien est ainsi repro- sante répondant aux défis du terrorisme duit à l’écran, et plus largement du rap- – les auteurs pointent les différences port de l’espionnage à la fiction. notables et les jeux d’échelle –, et celui des États européens : jusqu’au projet Les chapitres qui suivent retracent cer- d’une Europe du renseignement des tains épisodes récents, qui furent délicats années 2000. Il s’agit certes d’une poli- et souvent pénibles pour les services fran- tique publique, mais singulière, mar- çais. L’accusation d’espionnage de hauts quée par un recul de la première fonctionnaires au profit de la Chine, la essence – militaire – du renseignement, tentative de sauver des otages en Somalie, que relativisera toujours la dissuasion la présence d’agents français en Libye, nucléaire, par une articulation renforcée les cyberattaques… Le recrutement, 207
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 208 BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 politique étrangère | 3:2020 l’éthique – et la question des « opérations L’un de ses principaux apports est pré- homo » c’est-à-dire d’homicide ou cisément de revenir sur les mérites à d’assassinats ciblés –, enfin le parcours double tranchant d’une série comme administratif de l’outil français de rensei- celle dont Mathieu Kassowitz est le gnement, et sa culture, sont ensuite déve- héros. Au-delà des exploits ou turpi- loppés. Enfin : quel avenir pour la DGSE tudes personnels, il y a le métier, son dans une époque de contrôle démocra- avenir, ses paramètres administratifs, tique croissant, mais aussi dans un envi- ses contingences bureaucratiques – très ronnement géopolitique qui n’a rien de loin de Ian Fleming, plus loin encore du tendre ? La question circonscrit le Prince Malko, un peu moins loin de dilemme. John Le Carré –, qui nécessitent que l’on parle budgets, organigrammes, recrute- Comme souvent, l’ouvrage démystifie ment… Des sujets peu glamour, mais que Jean Guisnel réussit une fois de le monde du renseignement, mais pour, plus à rendre incontournables. de fait, confirmer un certain nombre de ses difficultés. La première d’entre elles, pour l’institution en France, est précisé- Frédéric Charillon ment de savoir parler d’elle-même, ou d’en faire parler. Contrairement à la communication bien rodée de la CIA, ou même des services britanniques ou d’autres – y compris dans des régimes ÉCONOMIE plus autoritaires –, la France a long- temps rechigné à parler de sa « part d’ombre ». Même dans des fictions où, le plus souvent, on la caricaturait (comme dans le célèbre OSS 117 avec GÉOPOLITIQUE DES INVESTISSEMENTS Jean Dujardin – la série des SAS de MAROCAINS EN AFRIQUE. ENTRE INTÉRÊT Gérard de Villiers n’évoquant presque ÉCONOMIQUE ET USAGE POLITIQUE jamais directement les services fran- Ahmed Iraqi çais). Les organismes qui auraient eu Paris, L’Harmattan, 2020, pour vocation d’ouvrir des passerelles 152 pages vers d’autres mondes, comme le monde universitaire par exemple, se sont sou- Ahmed Iraqi est professeur en relations vent refermés. Ce qui ne fait qu’accen- économiques internationales à Tanger et tuer la solitude dans l’adversité, que président-fondateur du think tank CEN- l’ouvrage souligne bien en creux. TRIS (Centre de recherches internatio- nales et stratégiques). Sa monographie L’autre défi est bien sûr celui des moyens. analyse en détail l’ampleur et le profil Dans un contexte budgétaire difficile, des investissements directs marocains sous l’œil d’opinions intransigeantes et (IDM) en Afrique. Elle révèle la montée pour lesquelles l’État bénéficie rarement en puissance du Royaume et sa capacité d’une présomption d’innocence, le tout à croissante à concurrencer les entreprises l’heure de rapports de force internatio- multinationales sud-africaines. Une fois naux de plus en plus dangereux, les surmontées une certaine lourdeur de épreuves se multiplient, et l’horizon style et quelques maladresses de présen- s’assombrit. Sans se montrer trop pessi- tation, le lecteur découvrira une mine miste, l’auteur souligne tous ces dangers. d’informations. 208
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 209 - BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 Lectures En fait, la percée marocaine a été prépa- absentes d’Afrique australe. Ahmed rée il y a près de vingt ans, à la suite de Iraqi souligne que Rabat maintient des la montée sur le trône de Mohammed VI. relations d’affaires avec les États recon- Dans un premier temps, le souverain naissant la République arabe sahraouie annule la dette des pays africains les démocratique. Néanmoins, les princi- moins avancés. Puis il libéralise les paux partenaires du Maroc, eux, ne la règles permettant aux entreprises maro- reconnaissent pas. L’étude sectorielle caines de s’implanter à l’étranger. Du montre la puissance du secteur bancaire point de vue institutionnel, deux outils marocain, et l’effet d’entraînement qu’il sont utilisés. D’une part, l’Agence maro- exerce sur les autres secteurs d’activité, caine de coopération internationale tels les télécommunications, le bâtiment, (AMCI) est chargée de la coopération l’industrie pharmaceutique et l’agro-ali- culturelle, scientifique et technique avec mentaire. L’Office chérifien des phos- l’Afrique. D’autre part, plusieurs entités phates a un profil particulier, du fait de sont mises en place en vue de favoriser son implantation en Afrique centrale et l’expansion économique marocaine ; en Afrique de l’Est. celles-ci ont été assez récemment fusion- nées pour donner naissance à l’Agence Ce livre est précieux, car il illustre remar- marocaine de développement des inves- quablement le développement des tissements et des exportations (AMDIE). échanges Sud-Sud, soutenant l’idée que la globalisation a été bénéfique aux États L’activisme économique et commercial émergents qui ont su privilégier le soft du régime chérifien se concrétise égale- power et le commerce. On espère que ment par la signature de traités bilaté- l’auteur actualisera régulièrement ses raux d’investissement (TBI). Entre 2004 travaux. et 2018, les deux tiers des TBI signés par le Maroc l’ont été avec des États africains. Norbert Gaillard Le renforcement des liens diplomatiques a aussi été crucial, puisque l’auteur dénombre plus de 50 visites royales dans 29 pays africains en un peu plus de quinze ans. Ces différents facteurs ont ÉCOLOGIE/PLANÈTE dynamisé la pénétration des IDM sur le continent, ceux-ci représentant en moyenne 60 % de l’ensemble des IDM à l’étranger sur la période 2008-2015. COMMENT L'ÉCOLOGIE RÉINVENTE LA L’analyse de la répartition de ces inves- POLITIQUE. POUR UNE ÉCONOMIE DES tissements est très instructive. Les déter- SATISFACTIONS minants clés sont la proximité géographique, la francophonie et le culte Jean Haëntjens sunnite malikite. Ils expliquent très lar- Paris, Rue de l’Échiquier, 2020, gement la forte présence de filiales de 160 pages groupes marocains en Afrique de l’Ouest. Les pays récipiendaires les plus Jean Haëntjens est économiste et urba- importants demeurent le Sénégal et la niste, spécialisé dans les questions Côte d’Ivoire. En revanche, les grandes d’aménagement et de développement entreprises marocaines sont quasiment territorial. Il est conseiller scientifique de 209
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 210 BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 politique étrangère | 3:2020 la revue Futuribles et membre du comité mesure des richesses, comme la crois- de rédaction de la revue Urbanisme. Il est sance du produit intérieur brut (PIB), ne aujourd’hui conseiller en stratégies sont plus des objectifs en soi, mais urbaines et directeur du cabinet Urbato- deviennent des facteurs parmi d’autres pie. Tout au long de sa carrière, il est pour améliorer le bien-être des popula- intervenu dans de nombreuses confé- tions, au même titre que la préservation rences sur les thèmes de l’urbanisme et de l’environnement. du développement des territoires. Il a publié plusieurs articles dans des revues Après un chapitre théorique – le seul du académiques ainsi qu’une dizaine de livre – sur le système de satisfaction, livres. Dans le présent ouvrage, Jean l’auteur aborde des thématiques variées, Haëntjens revient sur les moyens poli- comme les modes de vie et de consomma- tiques dont disposent nos sociétés démo- tion contemporains. Ceux-ci doivent cratiques pour lutter efficacement contre changer rapidement pour permettre la le réchauffement climatique, en propo- transition écologique, face à des ten- sant un cadre d’analyse original. dances de fond qu’il décrit par la suite comme la financiarisation du monde, ou encore le développement du cybercapita- L’auteur insiste tout d’abord sur l’inertie lisme. Dans les derniers chapitres de son de notre système économique face à livre, l’auteur met en avant ses propres l’urgence climatique, et notamment son solutions, en huit actes, pour mettre en incapacité à se réguler lui-même pour application son « système de satisfac- limiter les émissions de CO2 à des tion », qui doit être attractif au regard des niveaux en phase avec les objectifs de besoins matériels de nos sociétés l’accord de Paris. Face à l’urgence, il modernes, tout en étant compatible avec explique les limites de notre système poli- les ressources limitées de la planète. tique. Il donne l’exemple de la difficulté à remplacer des actifs hautement émetteurs Loin de se montrer polémique ou cari- de gaz à effet de serre : le parc automobile catural sur ces sujets sensibles, l’auteur et le parc électrique. Avec une véritable reste toujours objectif dans son analyse, volonté politique, le renouvellement la déroulant de manière claire et pré- complet de ces parcs ne prendrait qu’en cise. La lecture de ce livre est donc moyenne 10 et 30 ans respectivement, recommandée à ceux qui s’intéressent mais il peine à s’imposer du fait de la aux enjeux climatiques et politiques, et courte durée des mandats électoraux. souhaitent dépasser l’opposition entre la croissance et la décroissance écono- Dès le début de son livre, l’auteur met en mique sur les sujets écologiques. garde contre le piège de la théorie de la « décroissance » ou de « l’évangélisme Hugo Le Picard économique ». Pour lui, il ne faut pas penser « avec » ou « contre l’économie » mais plutôt « hors de l’économie ». Sa solution : le « système des satisfactions ». UNE PLANÈTE À SAUVER. Ce système part du postulat que le but d’une société n’est pas de produire de SIX DÉFIS POUR 2050 l’argent mais bien des « satisfactions ». Serge Marti Dans ce système, les enjeux de protection Paris, Odile Jacob, 2020, 240 pages de l’environnement s’articulent naturelle- ment avec les objectifs de croissance éco- Cet ouvrage n’est pas une description nomique. Les indicateurs traditionnels de des défis du futur auxquels la planète 210
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 211 - BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 Lectures va être confrontée, mais plutôt un pano- globaux aux causes multiples. On dou- rama de l’ensemble des maux frappant tera, par exemple, de la capacité à com- déjà nos sociétés, et qui sont amenés à penser la déforestation massive en s’aggraver si nous, politiciens, entre- Amazonie et en Afrique, et de la dura- prises, citoyens, ne réagissons pas dès bilité des méga-projets de reforestation maintenant. et de lutte contre la désertification en Chine et au Sahel, appelés « muraille Le journaliste Serge Marti ouvre son verte ». livre par une revue d’actualités s’effor- çant de bousculer l’inaction politique Si à propos du défi lié à l’agriculture, des cinquante dernières années sur la l’auteur va au-delà des constats et des question écologique : le mouvement des exemples en donnant sa propre vision jeunes pour le climat emmené par Greta de la réponse à apporter – la sauve- Thunberg, l’action en justice « L’Affaire garde et le développement de l’agricul- du siècle », ou encore la Convention ture paysanne et écologique –, il faut citoyenne pour le climat. Pour l’auteur, attendre la troisième et dernière partie ces différentes actualités témoignent pour que Serge Marti nous livre son d’un « réveil des consciences », et même analyse des responsables de la situation d’une « révolte verte » face à un sys- et des solutions globales à mettre en tème « productiviste qui saccage la œuvre. On appréciera particulièrement nature ». La « vague verte » qui a cette dernière partie en ce qu’elle pose touché certaines villes françaises lors les bonnes questions : le capitalisme des dernières élections municipales est-il compatible avec l’écologie ? semble aller dans le sens de son analyse Doit-on adopter un modèle décrois- – pour la France tout du moins. sant ? L’écologie est-elle la seule capable de sauver la planète ? etc. Avec Le cœur de l’ouvrage est sa deuxième quelques éléments de réponse, notam- partie consacrée aux six défis pour 2050. ment à travers la sortie du modèle du Cette partie tire sa pertinence des des- capitalisme financier guidé par la renta- criptions chiffrées, documentées et bilité à court terme, le développement riches en exemple de six grandes plaies de la « social-écologie » et le change- qui ont déjà commencé à s’abattre sur ment des modes de consommation. nos sociétés, et dont nous sommes res- ponsables : le dérèglement climatique, Sans prétendre fouiller en profondeur la destruction massive de la biodiversité les multiples sujets qu’il aborde, ce livre et des forêts, la forte augmentation de donne une vision intégrée et pertinente la population et des migrations, la mau- des menaces qui pèsent non pas sur la vaise gestion et la raréfaction de l’eau planète mais bien sur la vie humaine potable, la pollution et l’épuisement des dans son ensemble, et des pistes de sols et terres agricoles ainsi que de la solutions possibles. Menaces auxquelles mer et de la vie marine. La description on devrait aujourd’hui adjoindre la de ces défis est ponctuée par la présen- question des pandémies mondiales et tation de solutions, que chaque expert de leur gestion, que la crise sanitaire liée estimera dans son domaine, souvent au COVID-19 a révélée comme un nou- peu approfondies, parfois superficielles veau défi majeur pour nos sociétés. et n’apportant qu’une réponse court- termiste et isolée face à des problèmes Aurore Colin 211
Pixellence - 27-08-20 09:01:09 IF0004 U115 - Oasys 19.00x - Page 212 BAT PE 3 2020 - Dynamic layout 0 × 0 politique étrangère | 3:2020 LE CHOC DÉMOGRAPHIQUE puissances. Observant le déclin euro- péen, russe et à terme peut-être chinois, Bruno Tertrais il souligne la fenêtre s’offrant à l’Inde, et Paris, Odile Jacob, 2020, reste prudent sur l’avantage comparatif 256 pages américain. Rejetant le néo-malthusia- nisme et les crises environnementales Simple défi ou authentique révolution, qui pourraient en résulter, il avance des crash ou explosion, véritable bombe ou solutions possibles aux maux de la – désormais – plus modérément choc, croissance démographique, bien que l’évolution démographique semble leur efficacité demeure insuffisamment exposée aux travers des passions analy- étayée. L’incidence de ces évolutions tiques. Pour autant, Bruno Tertrais tient sur l’« arc de crise » est jugée avec ici une plume sûre et plus mesurée que raison, même si le sujet n’est évoqué le choix éditorial de son titre ne le laisse qu’en quelques pages. présager. S’engager dans une démarche prospective relève du défi : si la démo- La question migratoire demeure centrale graphie s’appuie sur des constantes sta- dans l’étude. Les présupposés sont utile- tistiques, elle n’est pas déterministe – ment démystifiés et les enjeux appréhen- comme le rappelle l’auteur – mais pro- dés sans coquetterie intellectuelle. En babiliste. ressort notamment une réflexion judi- cieuse sur les rapports entre stocks et flux Cet ouvrage, tiré d’une monographie de de populations. De même, la corrélation 2018 de l’Institut Montaigne, est sans entre le rejet de l’immigration et la per- ception locale de ce qu’elle est au niveau conteste à lire. D’une part il présente national est passionnante : elle témoigne analyse synthétique, chiffrée et actuali- de la difficulté d’articuler le traitement sée des enjeux politico-démogra- statistique à vocation objective à la subjec- phiques. D’autre part, le propos tivité des peuples. En revanche, quelques équilibré laisse le plus souvent place à propositions mériteraient d’être appro- une disputatio qui amène logiquement à fondies. Comme souvent, les effets cumu- des conclusions plus nuancées que les latifs – y compris générationnels – des discours politiques et journalistiques. mouvements migratoires, suivis d’instal- Sur le plan de la méthode, malgré des lations temporaires ou définitives, ne sont choix de données discutables (valeurs qu’effleurés. L’impact du droit du sol relatives créant un biais modérateur sous toutes ses formes n’est pas abordé contre valeurs absolues à l’effet grossis- alors qu’il est le premier vecteur des sant, enquêtes confrontées à des don- recompositions de population. Ainsi il est nées statistiques brutes), le lecteur ne peu pertinent d’analyser séparément les saurait reprocher à l’auteur d’avoir suc- politiques migratoires des États membres combé à la facilité ou de mener une de l’Union européenne, dès lors que les réflexion dépourvue de rigueur. traités et la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne pro- Le constat général est d’entrée formulé : meuvent une conception extrêmement vieillissement des pays occidentaux, accueillante de la « citoyenneté » euro- urbanisation, accroissement rapide de péenne et des droits qui en découlent. la population africaine, mouvements migratoires et recomposition des popu- Toutes les nuances de gris de la réalité lations. Puis l’auteur s’interroge sur un ne ternissent pas la clarté de l’ouvrage éventuel changement de hiérarchie des de Bruno Tertrais. Elles conduisent au 212
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