À Berlin, un lieu de culte commun aux trois monothéismes ouvrira bientôt ses portes

La page est créée Philippe Gaillard
 
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Par Rédaction Réforme avec AFP

À Berlin, un lieu de culte commun
aux trois monothéismes ouvrira
bientôt ses portes
Il est en train de sortir de terre: un lieu de culte unique pour chrétiens,
musulmans et juifs devrait bientôt voir le jour à Berlin. Le projet, estimé à 47
millions d’euros, sera en partie financé par une campagne de dons.

Chrétiens, musulmans et juifs ont posé jeudi à Berlin la première pierre d’un lieu
de culte commun, un projet présenté comme unique au monde qui intervient dans
un contexte de tensions exacerbées entre communautés religieuses par le conflit
israélo-palestinien.

L’imam, le pasteur et le rabbin de la “House of one” ont voulu voir dans la pose de
cette première pierre “une étape importante vers l’achèvement de notre projet de
paix inter-religieux”, selon les mots du rabbin Andreas Nachama.

Dix ans après la conception de ce projet, les travaux de construction de ce vaste
édifice, situé sur l’île aux Musées dans le centre de Berlin, doivent durer quatre
ans. Leur lancement prévu l’an dernier avait dû être reporté en raison de la
pandémie.
Bâti sur une ancienne église détruite du temps de la RDA communiste, le
bâtiment a été conçu pour que chaque groupe de croyants puisse prier
séparément.

Un lieu de culte commun qui est aussi “un
éloge de la différence”
Mais la mosquée, la synagogue et l’église protestante seront reliées entre elles
par un grand hall commun où des événements et fêtes pourront également être
célébrés ensemble.

La “joie liée (…) à ce projet de paix unique des religions croît avec chaque pierre
qui sera posée”, s’est réjoui le pasteur Gregor Hohberg avant la cérémonie. “Pour
nous, c’est un pas en avant plein de symbolique”, a assuré l’imam de la future
mosquée Kadir Sanci. “En ces temps de polarisation des opinions et des attitudes”
qui “jettent une grande ombre sur le monde, la House of one incarne l’esprit
constructif de la foi et de la spiritualité”, a-t-il ajouté.

Il a également vu dans ce lieu de culte des trois religions monothéistes “un lieu de
paix et de sécurité”, “un éloge de la différence” alors que les tensions entre juifs
et musulmans ont été vives en Allemagne ces dernières semaines à la faveur de la
reprise du conflit armé israélo-palestinien.

Le maire de Berlin, Michael Müller, a d’ailleurs dénoncé dans un discours lors de
la cérémonie “la haine, la violence, l’antisémitisme et l’islamophobie, le racisme
et l’incitation à la haine raciale” qui “n’ont pas de place dans notre société”. “Il
est tout à fait normal et même important que dans la capitale allemande, des
conflits mondiaux dramatiques puissent faire l’objet d’une discussion”, a-t-il
assuré, tout en rejetant toute forme de violence.

Une campagne de dons pour achever de
financer le projet
Des drapeaux israéliens ont été brûlés et des slogans antisémites prononcés lors
de rassemblements pro-palestiniens en Allemagne ces dernières semaines. La
chancelière Angela Merkel avait mis en garde samedi contre des débordements
racistes ou antisémites lors des manifestations en faveur de la cause
palestinienne.

“Ceux qui portent la haine contre les juifs dans la rue, ceux qui incitent à la haine
raciale, sont en dehors de notre Loi fondamentale”, avait-elle tancé, après
notamment des débordements violents pendant un rassemblement à Berlin. Une
soixantaine de personnes avaient été arrêtées et une centaine de policiers
blessés.

L’imam, le pasteur et le rabbin de la “House of one” ont prononcé de courtes
prières avant que des objets symboliques des trois religions du Livre ne soient
coulés dans le béton.

Le projet estimé à 47 millions d’euros est en partie financé par l’État allemand et
la Ville de Berlin. Une campagne participative et de dons a également été lancée
afin de réunir les quelque 8 millions d’euros encore manquants.

L’Allemagne compte une majorité de chrétiens, dont beaucoup de protestants
mais aussi une importante communauté musulmane estimée à entre 5,3 et 5,6
millions de croyants, soit 6,4 à 6,7% de la population.

Décimée par l’Holocauste, la communauté juive est aujourd’hui l’une des plus
dynamiques en Europe à la faveur de l’arrivée dans les années 90 de plus de 200
000 juifs de l’ex-Union soviétique à qui l’Allemagne a ouvert ses portes. Elle est
estimée actuellement à environ 225 000, soit la troisième communauté en Europe
après la France et la Grande-Bretagne.

AFP, Yannick Pasquet
Par Rédaction Réforme avec AFP

À Berlin, une campagne de
prévention et de vaccination
pendant le ramadan
À l’occasion du ramadan, la ville de Berlin organise une campagne de dépistage et
d’informations sur le vaccin pour protéger la population immigrée, très touchée
par le virus.

“Négatif!”, se félicite l’imam dans un demi-sourire, peu avant d’entamer sa prière du
vendredi dans une mosquée de Berlin. Devant le bâtiment de briques rouges décati
qui abrite la “Maison de la Sagesse”, Abdallah Hajjir, coiffé d’une chéchia de fils
dorés, vient de se soumettre à un test de dépistage du Covid-19 proposé par la
Ville de Berlin.

En ce mois de jeûne du ramadan, les autorités locales effectuent un travail de
prévention et d’information à destination des musulmans berlinois, et plus
largement des populations immigrées particulièrement exposées au virus depuis
un an. Installée sur un parking attenant à l’édifice religieux, une équipe médicale,
composée de personnel libyen, syrien et arménien effectue des prélèvements dans
le nez parmi les fidèles qui se pressent, petit tapis de prière en main.

Pour l’imam Abdallah Hajjir, proposer ces tests est une manière d’“apporter une
contribution” dans la lutte contre la pandémie. “En protégeant les membres de
notre communauté, nous protégeons tous ceux qui sont en contact avec eux, donc
la société”, juge-t-il.

À Berlin, où vivent 35% de personnes d’origine étrangère, ce sont les quartiers
comptant la plus forte proportion de population immigrée qui ont enregistré le
plus grand nombre d’infections depuis un an. Ces quartiers sont souvent ceux où
le taux de chômage est supérieur à la moyenne et où la densité de population est
importante. Nombre d’immigrés vivent en grand nombre dans de petits logements
voire dans des foyers d’hébergement pour migrants où ils partagent des
chambres à 3, 4 ou 5.

Les immigrés en “première ligne” face à
la crise sanitaire
En octobre dernier, l’OCDE a tiré la sonnette d’alarme en avertissant que les
travailleurs immigrés dans les pays développés étaient “en première ligne” face à
la crise sanitaire.

L’Organisation pour la coopération et le développement économiques, qui
regroupe une quarantaine de pays développés, avait évalué que le risque
d’infection était “au moins deux fois plus élevé” que pour le reste de la
population.

En Allemagne comme ailleurs, les étrangers ou personnes d’origine étrangère
sont ainsi très représentés dans les emplois peu compatibles avec le télétravail,
comme le nettoyage ou les soins aux personnes âgées, selon l’institut DeZim.

À l’heure où la campagne de vaccination gagne en ampleur, les autorités
berlinoises tentent aussi désormais de lever “les grandes réserves” de certains
immigrés face au vaccin, selon la chargée des questions d’intégration de la Ville,
Katarina Niewiedzial. “De fausses informations circulent” sur la vaccination liées
à une méconnaissance “qui va de ‘je vais devenir stérile’ à ‘on va m’implanter une
puce'”, note-t-elle. Pour elle, un imam “avec toute l’autorité dont il jouit” est celui
qui peut le mieux “susciter la confiance des gens”. “Bien évidemment il a un
impact tout autre quand dans une prêche comme celle d’aujourd’hui, il évoque la
nécessité de protéger les vies”, poursuit-elle.

Berlin a également lancé des podcasts d’information dans plus d’une dizaine de
langues dont l’arabe, le kurde, le farsi. Et la vaccination des 18.500 réfugiés
vivant en hébergement collectif, considérée comme hautement prioritaire, est en
cours de démarrage.
Prière sur le trottoir
Devant la mosquée du quartier populaire de Moabit, un petit groupe de fidèles a
étalé un tapis sur le bitume et écoute le sermon de l’imam dont la voix porte au
delà des murs de la salle de prière. À cause du nombre restreint de fidèles
autorisés à pénétrer dans le bâtiment religieux, ils sont contraints de prier
dehors, sur un bout de trottoir.

Et les ablutions ont dû être effectuées avant d’arriver à la mosquée. Mais Ali, 30
ans, qui vient ici chaque vendredi, refuse que les restrictions gâchent le mois
sacré de ramadan pour la seconde année consécutive. “C’est dommage, on ne
peut pas prévoir de grandes réunions de famille (pour les ruptures de jeûne) mais
heureusement il y a les appels par vidéo avec la famille”, sourit-il, pragmatique.

AFP

Par Rédaction Réforme

Des musulmans dans une église,
geste  choquant                                    ou           simple
humanité ?
Une église protestante de Berlin a ouvert ses portes à des musulmans pour
accueillir leurs offices du vendredi pendant le ramadan.

Une initiative peu banale ! Les fidèles de la mosquée de Kreuzberg à Berlin ont
prié chaque vendredi du ramadan dans l’église protestante voisine. “Pour nous, le
ramadan est très important et nous pensons que prier et s’ouvrir aux autres
permet de construire la paix et une belle humanité”, a expliqué la pasteure de
l’église Sainte-Marthe, Monika Matthias, à la Deutsche Welle, télévision
allemande internationale.

Deux offices par semaine
Depuis début mai, les lieux de culte sont ouverts à Berlin mais ne peuvent
accueillir plus de 50 fidèles en même temps, tout en respectant les mesures de
distanciation sociale et le port du masque. La mosquée Dar-Assalam à Kreuzberg
s’est révélée trop petite pour accueillir une grande assemblée. Voyant que la
mosquée souffrait du manque de place, la paroisse a proposé de les accueillir.
Deux offices de cinquante personnes, l’un en allemand, l’autre en arabe, ont donc
eu chaque vendredi pendant le ramadan.

Un geste qui attire des critiques
L’imam Mohamed Taha Sabry a témoigné auprès de plusieurs télévisions
allemandes et autrichiennes de sa reconnaissance envers ce geste de solidarité.
Interrogé dans une vidéo diffusée sur le site d’informations autrichien SüdTyrol
News, Shadi Mousa a regretté que cet accueil attire des critiques de toutes parts.
“Des extrémistes ne veulent pas de musulmans dans une église et d’autres ne
veulent pas qu’une église soit ouverte pour des musulmans” a déclaré le vice-
président de l’association musulmane rattachée à la mosquée.

La décoration a été légèrement changée. Des grandes tentures ont été installées
autour du pupitre du prédicateur pour transformer quelque peu le lieu. Un des
fidèles musulmans raconte avoir été surpris au départ. Mais, après la prière, il a
reconnu que son sentiment avait changé.

Le temple, un lieu ouvert pour les
protestants
Permettre à des musulmans de prier dans une église peut choquer les
catholiques. Le protestantisme, lui, n’accorde pas de valeur sacrée à un lieu de
culte. Les lieux ou objets ne sont pas considérés comme sacrés chez la grande
majorité des protestants. Certaines églises évangéliques en revanche refusent
que des activités aient lieu dans leur lieu de culte vu comme salle “consacrée”,
c’est-à-dire dédiée à un usage unique.

Les protestants considèrent en effet que Dieu est présent partout où des croyants
se retrouvent et prient, peu importe leur nombre et l’endroit. Comme Jésus le
disait dans l’évangile de Matthieu 18, 20 : “Car là où deux ou trois sont assemblés
en mon nom, je suis au milieu d’eux.”

Vers un meilleur dialogue interreligieux
Pour Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux et imam, rien de
choquant dans l’initiative. “La croix est importante pour les chrétiens, les
musulmans le savent. Le Coran fait l’éloge de la célébration de Dieu dans les
temples juifs et chrétiens. Il souligne d’ailleurs que le Prophète lui-même, en son
temps, avait ouvert sa mosquée à des chrétiens. Cet accueil montre bien qu’il
peut se faire dans les deux sens.”

Un signe encourageant
Tareq Oubrou y voit plutôt un signe encourageant de dialogue entre les religions.
“Quand on parle de dialogue interreligieux entre musulmans et chrétiens, on
pense le plus souvent aux catholiques. Cette initiative met en relief le dialogue
entre protestants et musulmans. Je regrette qu’il n’y en ait pas plus souvent, vu la
richesse de la diversité protestante.”

Ce geste d’ouverture montre la qualité du dialogue entre les lieux religieux de ce
quartier de Berlin. Comme le rappelle la pasteure Monika Matthias, chaque
année, depuis 1999, l’église Sainte-Marthe accueille un office interreligieux
pendant la période de l’Avent.

Par Raphaël Georgy

Angela Merkel, une protestante en
politique
Discrète sur sa religion, la cheffe d’État allemande s’est inspirée de la Réforme
tout au long de son parcours.

Le 13 août 1961, Angela Merkel a 7 ans lorsque le monde assiste à la construction
du mur de Berlin. Son père, le pasteur luthérien Horst Kasner (1926-2011), dirige
un institut de formation pour les pasteurs à Templin, dans le Brandebourg autour
de Berlin. La chancelière a longtemps été silencieuse sur sa jeunesse protestante.
Pour la faire sortir de sa discrétion légendaire, il ne faudra rien de moins qu’un
événement aussi retentissant que les cinq cents ans de la Réforme.

Quelques années plus tôt, en 1954, alors que 180 000 Allemands de l’Est fuient la
dictature naissante, les parents d’Angela Merkel vont à contre-courant. Les
pasteurs manquent en zone soviétique et le père, théologien de renom tenté par
l’expérience socialiste, accepte de diriger un séminaire qui accueille aussi de
jeunes handicapés, à Templin. Il ne fait pas bon de s’afficher protestant à l’Est. La
religion est l’ennemie déclarée. Des pasteurs sont emprisonnés. En réaction, la
jeune Angela développe un goût certain pour la démocratie et la liberté qui n’ont
pour elle rien d’abstrait dans ce régime de surveillance.

Angela Merkel : “être chrétien, une
protection”
Lorsqu’elle prend la tête de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) en 2000, elle
incarne l’aile libérale de ce parti de centre droit, notamment sur des questions
comme le droit à l’avortement ou le mariage homosexuel. Elle a toujours parlé de
sa foi avec précaution. “Je n’aime pas que l’on mette ces questions en avant”, dit-
elle souvent.

Le 31 octobre 2014, lors de la fête de la Réformation, elle est invitée à donner une
conférence sur le thème “Christianisme et responsabilité politique”, par le
pasteur de sa ville d’enfance. Le rendez-vous ne figure pas à l’agenda officiel.
“Être chrétien est une incroyable protection, dit-elle dans l’Église luthérienne
Marie-Madeleine. Cela permet de vivre avec l’idée apaisante qu’on a le droit de
faire des erreurs puisqu’il est admis que l’on n’est pas parfait.”

Martin Luther et Philippe Melanchthon
Un an avant la crise des réfugiés, elle livre déjà sa position : “En Afrique, un
milliard de personnes vivent dans des conditions bien plus dures que les nôtres.
Nous devons ouvrir notre cœur, mais nous savons que nous ne pouvons pas
accueillir tous les êtres humains dans le besoin.” Un an plus tard, presque jour
pour jour, l’Allemagne acceptera 800 000 candidats à l’asile.

En 2017, c’est en grande pompe devant un parterre de grands de ce monde
qu’elle s’exprime à Wittenberg, berceau de la Réforme luthérienne dont on fête le
500e anniversaire. La chancelière loue la Réforme, “avec sa compréhension sous-
jacente de la liberté”, citant Martin Luther et Philippe Melanchthon. Tout en
reconnaissant que Luther n’aurait pas admis de liberté de croyance. “Les
réformateurs se sont arrêtés ici au Moyen Âge”, estime-t-elle, en replaçant la
Réforme dans un “long apprentissage” avant d’aboutir à la tolérance qui est et
doit être “l’âme de l’Europe”. Et de conclure sur un appel à l’action tout en
revendiquant l’apport du christianisme : “L’attitude réformatrice nous encourage
à prendre nos responsabilités au sérieux. Changer pour le mieux est possible. En
cela, je suis reconnaissante à ce jubilé, car il nous a donné la chance
extraordinaire de renforcer notre conscience de nos racines chrétiennes.”

Par Déborah Berlioz

Allemagne : la fête de la jeunesse
à Berlin, une confirmation laïque
À Berlin, des milliers d’adolescents célèbrent chaque année leur fête de la
jeunesse, sorte de confirmation laïque.

Une foule compacte se presse devant le théâtre berlinois Friedrichstadt-Palast ce
samedi matin. Des familles sur leur trente-et-un se prennent en photo sur les
marches de l’imposante bâtisse avant de se presser à l’intérieur. 200 jeunes de 14
ans sont venus célébrer leur « Jugendfeier », ou fête de la jeunesse. « Cela
marque notre entrée dans le monde des adultes », précise Emina dans un sourire.

Tout comme la confirmation chrétienne, cette fête est donc un rite de passage.
Sauf que la religion n’y a pas sa place. La célébration du jour est organisée par
l’Humanistischer Verband, ou l’association humaniste. « La première fête de ce
genre a été célébrée à Berlin en 1895, précise Thomas Hummitzsch, le porte-
parole de l’association. À l’époque, cela marquait l’entrée dans le monde du
travail. Cela a changé évidemment, mais 14 ans reste un âge particulier. En
entrant dans la puberté, les jeunes commencent à se détacher de leurs parents. »

Avant la cérémonie du jour, les adolescents ont suivi différents cours afin de les
aider à trouver leur propre voie. Poterie, peinture, photographie, danse, visites
d’entreprises… La liste des activités est longue. Le tout se termine par le grand
show au théâtre avec musique pop, danse et discours. « Ayez le courage de
prendre vos propres décisions », martèle l’orateur avant de remettre une rose à
chaque participant.

Les athées et les valeurs
L’association humaniste a été fondée en 1993 afin de « promouvoir l’humanisme
sur une base laïque ». « Nous ne pensons pas qu’il existe un être supérieur,
contrairement aux Églises, explique Thomas Hummitzsch. Pour nous, c’est l’être
humain qui prime. Il doit pouvoir vivre librement et prendre ses propres
décisions. » S’ils n’ont pas foi en Dieu, les humanistes modernes croient dans la
tolérance, l’empathie, la raison ou encore le courage.

Elle reprend ainsi une tradition qui remonte au XIXe siècle et qui a eu son heure
de gloire sous la république de Weimar. « Les organisations humanistes avaient
plus de 600 000 membres à l’époque, raconte Thomas Hummitzsch. Elles
attiraient les gens notamment parce qu’elles organisaient des crémations, qui
étaient bien moins chères que les inhumations pratiquées par les Églises. »

Aujourd’hui l’association humaniste compte 14 000 membres à Berlin. Outre la
fête de la jeunesse, elle organise aussi des funérailles, des mariages… « Les
rituels sont importants pour les gens. Notre vie est marquée par de nombreux
instants décisifs, comme la naissance d’un enfant, et nous avons tous besoin de
les célébrer. »

« C’est presque une contradiction pour l’association humaniste d’organiser des
rituels, souligne Matthias Spenn, directeur du centre de formation de l’EKBO,
l’Église protestante de Berlin et sa région. Un rituel suppose une croyance en
quelque chose d’extérieur. Les rites humanistes restent à un niveau matériel,
immanent et ne sont donc pas, par définition, des rituels. » Ce pasteur comprend
très bien le besoin d’un appui aux moments clés de l’existence. Mais, selon lui, les
manifestations comme les fêtes de la jeunesse ont d’abord été inventées pour
damer le pion aux Églises, pour offrir une alternative non chrétienne afin que
« les Églises ne gagnent pas davantage de public ».

« Nous sommes areligieux mais pas antireligion, précise Thomas Hummitzsch. Ce
qui ne nous empêche pas d’avoir des avis différents sur de nombreux sujets,
comme l’euthanasie ou la place de la religion dans l’espace public. » L’association
humaniste estime cependant que l’avis des athées a souvent moins de poids. « Le
gouvernement demande l’avis des Églises sur de nombreuses lois, notamment dès
qu’on aborde des sujets éthiques ou médicaux, alors que nous ne sommes pas
consultés. »

Pourtant l’association gagne en visibilité dans l’espace public. À Berlin, elle a
acquis le même statut que les Églises en 2018, celui de corporation de droit
public. Par ailleurs, tout comme les Églises, elle gère de nombreux services
sociaux, comme des crèches, des hospices ou de l’aide aux sans-abri. 1 300
personnes travaillent pour elle dans la capitale, et ses célébrations semblent très
populaires. 6 500 jeunes participent cette année à sa fête de la jeunesse dans
Berlin et sa région.

Du côté de l’EKBO, on ne compte que 5 200 confirmations. Si ce chiffre reste
stable depuis quelques années, le nombre de membres de l’Église protestante ne
cesse de chuter. Selon une récente étude, les deux Églises chrétiennes vont
perdre la moitié de leurs fidèles d’ici à 2060 ; leur nombre passant de 44,8
millions à 22,7. Pour autant, Matthias Spenn ne considère pas l’association
humaniste comme un concurrent pour son Église. « Si nous perdons des
membres, c’est à cause de l’individualisation croissante de notre société, et non
des humanistes. Par ailleurs, cela ne ferait aucun sens de la considérer comme un
ennemi, nous avons les mêmes valeurs. Nous aussi, nous sommes humanistes. »
Par Louis Fraysse

Politique : la démocratie libérale
est-elle en danger ?
Si les démocraties libérales se heurtent à un désenchantement croissant, l’idéal
démocratique reste attrayant à travers le monde.

Pendant près de quarante ans, lors du grand schisme d’Occident de 1378 à 1417,
les Européens ont vécu avec deux papes, l’un à Rome, l’autre à Avignon. Depuis le
début de l’année, le Venezuela connaît – toutes proportions gardées – semblable
crise. Deux hommes en revendiquent la présidence, arguant chacun d’une
légitimité démocratique différente. Pour Nicolas Maduro, l’héritier politique
d’Hugo Chavez, c’est l’élection au suffrage universel, qui l’a porté au pouvoir en
2013 puis à nouveau en 2018. Pour son opposant Juan Guaido, président de
l’Assemblée nationale, autoproclamé président par intérim, c’est le respect des
libertés et de l’État de droit (lire ci-dessous). Chacun des deux hommes affirme
agir au nom de la démocratie. Mais qu’entend-on exactement par démocratie ? Et
d’où vient l’idée que cette forme de gouvernement est la plus « naturelle », celle
vers laquelle porte le progrès ?

À ces questions, il est bien compliqué d’apporter des réponses tranchées. Avant
toute chose, rappelle le politologue Zaki Laïdi dans son article La fin du moment
démocratique ?, il faudrait s’entendre sur la définition de la démocratie. Or, rien
n’est moins simple. A minima, on caractérise comme démocratique un système
dans lequel les élections sont libres. La démocratie n’est alors qu’une manière de
choisir ses représentants. Si l’on s’en tient à cette définition, l’idée d’une marche
en avant de la démocratie est manifeste : jamais dans l’Histoire, les élections
libres n’ont été aussi nombreuses, même si, selon les pays et les scrutins, le degré
de liberté peut sensiblement varier.

Cette définition a le mérite de la simplicité. Sa limite, toutefois, est de placer sur
un même plan deux types de régimes : les démocraties libérales occidentales et
les démocraties dite « illibérales », dont les fers de lance en Europe sont la
Hongrie de Viktor Orban et la Pologne d’Andrzej Duda. Depuis plusieurs années,
ces dernières ont multiplié les coups de boutoir portés aux libertés publiques et à
l’État de droit : peut-on dès lors toujours parler de démocratie ?

« L’histoire de la démocratie est aussi celle de la lutte autour de sa définition, de
ce qu’elle est et de ce qu’elle devrait être, souligne Loïc Blondiaux, professeur de
sciences politiques à l’université Paris-1. Au cours de l’Histoire, deux visions de
l’idéal démocratique se sont côtoyées. L’une a mis l’accent sur la souveraineté du
peuple, sur le principe de la volonté majoritaire exprimé par le suffrage universel.
L’autre a plutôt insisté sur l’État de droit, l’égalité, les libertés publiques et les
mécanismes empêchant la majorité de tyranniser les minorités. Le politologue
Yascha Mounk a raison d’affirmer que dans les sociétés occidentales, c’est plutôt
l’idéal des libertés qui a prévalu, au détriment parfois de celui de souveraineté du
peuple – ce dernier a progressivement été marginalisé dans le processus de
décision. Or, les démocraties illibérales font prévaloir cette souveraineté
populaire, cette volonté de la majorité, pour remettre en cause un certain nombre
de libertés. »

Le mouvement des gilets jaunes, qui se poursuit en France, porte à sa manière ce
sentiment de ne plus être entendu. L’une de ses revendications majeures, le
référendum d’initiative citoyenne (RIC), en est un symptôme. Reste que la
défiance envers l’État de droit exprimée par ces démocraties illibérales, que l’on
retrouve aussi dans les États-Unis de Donald Trump, interroge. Le temps des
démocraties libérales a-t-il vécu ?
La fin de l’Histoire
Revenons un peu en arrière, au tout début de la décennie 1990. La chute du Mur
de Berlin, en 1989, et la dissolution deux ans plus tard de l’URSS ont convaincu
certains théoriciens des relations internationales du triomphe définitif du
« modèle » démocratique. Aux yeux de l’influent politologue américain Francis
Fukuyama, la défaite finale du contre-modèle soviétique marquerait même la « fin
de l’Histoire », soit la victoire par K.-O. de la démocratie libérale, définie par les
élections libres, les droits individuels et le libéralisme économique.

Les penseurs néoconservateurs, dont l’influence ne cesse de grandir à
Washington, veulent alors pousser leur avantage. La défaite de l’URSS, arguent-
ils, a démontré la « légitimité » du modèle démocratique. Ils en veulent pour
preuve la spectaculaire vague de démocratisation des anciens pays du bloc
soviétique : les peuples, quels qu’ils soient, désirent tous la démocratie. Cette
dernière, dès lors, devient le standard à l’aune duquel juger la légitimité d’un
gouvernement.

Quitte à encourager, voire provoquer, des changements de régime. La stratégie
nationale de sécurité des États-Unis de 2002, qui définit les orientations du pays
en politique étrangère, est limpide à ce sujet : « [Les États-Unis] feront tout ce qui
est en [leur] pouvoir pour apporter l’espoir de la démocratie, du développement,
du marché libre et du libre-échange aux quatre coins de la planète. »

La suite, on la connaît. L’invasion de l’Irak en 2003, qui joint aux intérêts
économiques et géopolitiques une dimension morale, est un échec patent. Ses
effets sur la région se font encore sentir. « L’idée sous-jacente, chez les néo-
conservateurs, était aussi d’assurer l’ordre du monde, selon la théorie que les
démocraties ne se font pas la guerre, rapporte Dario Battistella, professeur de
sciences politiques à Sciences-Po Bordeaux. D’où la volonté, chez certains, de
“transformer” les dictatures en démocratie, y compris par la force. Mais
l’imposition forcée de la démocratie est un non-sens, car personne ne veut se voir
imposer par l’étranger le type de régime qu’il doit adopter. »

L’erreur des néoconservateurs, estime Zaki Laïdi, est d’avoir prêté à la
démocratie une capacité qu’elle n’a pas, celle de pouvoir régler un problème
national. L’enlisement démocratique en Irak ou encore en Bosnie-Herzégovine
s’explique par le fait que ces pays ne conjuguent pas projet national et projet
démocratique.

Poutine et Xi Jinping
Or, le seul prérequis universel de la démocratie, poursuit Zaki Laïdi, est
l’existence d’un dèmos, un peuple, qui s’accorde par consensus sur sa nature, son
avenir et ses frontières. Sans cela, les élections, toutes libres qu’elles soient, ne
feront qu’entériner les divisions ethniques, religieuses ou politiques, et consacrer
le pouvoir de la majorité sur les minorités.

Après l’euphorie des années 1990, l’idéal de la démocratie libérale est aujourd’hui
battu en brèche. Accusé de ne servir que les intérêts des puissances occidentales,
il voit monter en puissance de nouveaux contre-modèles, la Russie de Vladimir
Poutine et surtout la Chine de Xi Jinping. Le politologue Loïc Blondiaux
précise : « La Russie ne cesse d’insister sur la faillite des institutions
démocratiques occidentales, et les succès économiques indéniables de Pékin
donnent du grain à moudre à ceux qui souhaitent conjuguer développement et
autoritarisme. » La réussite chinoise vient en effet comme un démenti à l’idée,
portée par les néoconservateurs, que seule la démocratie de marché permet le
développement économique.

Le symptôme le plus évident de cette crise de l’idéal démocratique, cependant,
nous vient des États-Unis. « Avec sa doctrine de l’America first, Donald Trump
assume sa volonté de se recentrer sur les États-Unis et n’accorde aucun cas à la
promotion de la démocratie ou des droits de l’Homme dans le monde, relève Dario
Battistella. L’avenir nous dira si sa présidence ne constituait qu’une parenthèse
ou l’amorce d’une tendance de fond. »

Est-ce à dire que la démocratie, finalement, n’a pas de caractère universel ? Ce
dernier, rappelle le philosophe Florent Guénard dans son ouvrage La Démocratie
universelle, est un héritage de la Révolution française. La Déclaration des droits
de l’homme, relate-t-il, « donne corps à l’idée d’un universalisme démocratique
assumé et alimente l’espoir d’une expansion sans limite de la liberté politique. »

Les problèmes ont surgi lorsqu’on a voulu faire de la démocratie un modèle à
exporter, un plan à appliquer. Si universalité il y a, avance le philosophe, c’est
dans la notion que l’idée démocratique constitue un « langage » de valeurs
commun à des peuples différents : « Sa force réside dans sa puissance évocatrice,
non dans la forme de gouvernement qu’elle propose. »

Tout malmené qu’il soit, l’idéal démocratique n’a pas dit son dernier mot.

Par Déborah Berlioz

Dieter Puhl, l’avocat berlinois des
sans-abri
Il donne une voix à ceux qui n’en ont plus, aux invisibles de la société allemande.
Son engagement lui a valu le titre de « Berlinois de l’année ».

Vous voyez cette femme dans le coin ?, interpelle Dieter Puhl. Avant de venir ici,
elle dormait dans la rue, au milieu des déjections, sans doute afin d’éviter de se
faire violer. C’est ça, être sans-abri. » Des histoires tragiques comme celle-ci, cet
homme de 61 ans au regard bienveillant en connaît bien d’autres. Pendant dix
ans, il a dirigé la Bahnhofmission de la gare de Zoologischer Garten, dans le
centre de Berlin. Entre 600 et 700 personnes dans le besoin viennent y chercher
chaque jour un repas chaud, des vêtements ou simplement des conseils, et
nombreux sont ceux qui n’ont pas de domicile.

La mère de Dieter aspirait toutefois à une autre profession pour son fils. Elle
aurait aimé le voir devenir pasteur. Né en 1957 dans un petit village dans le nord
de l’Allemagne, Dieter Puhl a grandi dans une famille très croyante. « Si j’avais
été meilleur à l’école, j’aurais sans doute fait des études de théologie », dit-il.
Mais il ne passe pas le bac et, à 17 ans, il quitte sa province natale pour
l’effervescence berlinoise afin de suivre une formation de diacre. Il y apprend
beaucoup, mais perd la foi en chemin. « À la fin de mon cursus, j’étais un athée
convaincu, donc je ne me voyais pas postuler à un poste de diacre », raconte-t-il.

Retrouver la foi
Il devient éducateur, reprend des études, découvre la paternité. À 35 ans, il
commence à travailler pour la Stadtmission de Berlin, une organisation
protestante qui gère des centres d’aide aux sans-abri, mais aussi des logements
pour personnes âgées ou handicapées. Peu de temps après, les médecins
diagnostiquent une leucémie chez sa petite fille de quatre ans. « On nous a
annoncé une probabilité de décès de 98 %, révèle Dieter. Avec sa mère, nous
avons vécu pendant un an à l’hôpital. C’est sans aucun doute la période la plus
terrible de ma vie. » L’émotion se lit encore dans ses yeux bleus. À l’époque, il est
impressionné par l’engagement des médecins, mais aussi par celui de plusieurs
communautés chrétiennes qui prient chaque dimanche pour sa fille. « La prière
seule ne guérit pas du cancer. Mais j’ai vraiment ressenti cette foi et cette
spiritualité, et cela m’a beaucoup touché. » Aujourd’hui, sa fille a 29 ans, et elle
attend son troisième enfant. Quant à Dieter, il a retrouvé la foi.

Quand il prend la tête du centre d’accueil de la gare il y a dix ans, la situation
n’est pas reluisante. Les fonds manquent, tout comme les bénévoles. « La
Stadtmission appartient certes à l’Église protestante mais nous ne bénéficions pas
de l’impôt ecclésiastique », précise Dieter. L’organisme doit donc s’autofinancer,
notamment au travers de ses autres activités, comme la location d’appartements
ou la gestion de deux hôtels chrétiens dans la capitale allemande. Les dons
représentent également une part importante des revenus, et Dieter Puhl s’est
largement démené pour remettre les comptes de la structure dans le vert.

Changer le regard
« En dix ans, le centre de la gare est passé de 8 employés à 24. Quant aux
bénévoles, nous en avons aujourd’hui 210 contre une soixantaine à mon arrivée »,
énumère fièrement le charismatique travailleur social. Sous sa houlette, un
nouveau centre d’hygiène a ouvert ses portes dans la gare. Les SDF peuvent s’y
doucher, aller aux toilettes et recevoir un conseil médical. « La Deutsche Bahn
finance les locaux et le Sénat de Berlin nous fournit 300 000 euros par an pour le
personnel », précise Dieter.

Autant de réussites qui lui ont valu le titre de « Berlinois de l’année » décerné par
le journal local Berliner Morgenpost. Une récompense qui souligne aussi la
capacité de Dieter à porter la question des sans-abri dans le débat public. Car il
ne veut pas seulement aider ceux qui vivent dans la rue, il veut changer le regard
de la société. « Peu de groupes sociaux sont autant sujets aux préjugés que les
SDF, regrette Dieter. D’abord, beaucoup pensent que ceux qui n’ont pas de
domicile ont choisi ce mode de vie. Donc pourquoi devrait-on les aider ? Il est vrai
que certains sans-abri ont tendance à corroborer cette histoire, mais c’est
beaucoup plus facile de s’affirmer maître de son destin que d’avouer qu’on a été
abusé pendant dix ans par son père et que cela nous a détruit. »

Dieter veut apprendre aux gens comment interagir avec les SDF, avec
bienveillance et sans condescendance. Il le fait déjà avec les quelque 150
stagiaires et les 100 classes d’écoliers qui passent par le centre de la gare chaque
année. Cette mission d’éducation sera également au cœur du nouveau centre de
formation et de conseil qui va ouvrir ses portes en automne prochain dans la gare.

D’un côté, les personnes vulnérables pourront y recevoir un soutien
psychologique. De l’autre, les nouveaux locaux accueilleront des séminaires et
présentations pour des écoliers, manageurs ou politiciens. Dieter veut aussi
installer une petite chapelle et espère qu’un pasteur pourra venir y prêcher.

Montée des populismes
Les lignes bougent doucement selon le travailleur social : « Il y a dix ans, je dirais
que 95 % des Allemands avaient un avis négatif sur les sans-abri. Aujourd’hui,
j’estime ce chiffre à 85 %. »

Toutefois la montée des populismes se ressent aussi dans le quotidien de Dieter.
L’ Alternative pour l’Allemagne est créditée de 15 % des intentions de vote, et elle
est entrée au Bundestag en 2016. « Certaines personnes m’amènent des sacs de
vêtements en me priant de les donner à de “bons Allemands”. Dans ce cas, je les
invite à prendre un café et je discute avec elles. Il faut dialoguer, c’est important,
mais cela demande beaucoup d’énergie et de patience. »

Son travail d’avocat des défavorisés, Dieter va le poursuivre, mais davantage
comme chef du centre de la gare. Il vient de prendre la tête d’un nouveau service
de la Stadtmission intitulé « Responsabilité sociale et chrétienne ». Organisation
de conférences, ou encore rencontre avec des politiciens et des fondations pour
obtenir mesures et moyens feront partie de ses nouvelles activités. « Je vais
continuer à râler pour améliorer la situation des sans-abri », résume Dieter en
riant.

Par Déborah Berlioz

En Allemagne, l’effroyable retour
de l’antisémitisme
Les attaques antisémites ont fait la Une des médias allemands en 2018. Certains
voient dans les réfugiés musulmans les coupables idéaux. Mais ils sont loin d’être
les seuls responsables.

Le panneau d’une synagogue détruit à Magdebourg, un entraîneur de football qui
se fait traiter de « sale juif » sur Facebook, des graffitis antisémites à Leipzig…
Voici quelques exemples extraits de la « chronique des incidents antisémites » de
2018 de la fondation allemande Amadeu-Antonio. Deux cas ont particulièrement
défrayé la chronique de ce côté du Rhin. En avril 2018, deux hommes portant une
kippa se font agresser dans un quartier bourgeois de Berlin. Leur attaquant les
frappe à coups de ceinture en scandant « yahudi », soit « juif » en arabe. Deux
mois plus tard, les médias révèlent qu’un écolier d’une prestigieuse école
internationale de Berlin s’est fait harceler pendant des mois à cause de sa
confession juive.

Pour certains commentateurs, l’explication est vite trouvée : l’Allemagne ferait
face à un nouvel antisémitisme, importé par les réfugiés musulmans. Le concept
est particulièrement populaire au sein du parti populiste Alternative pour
l’Allemagne (AfD). Il est vrai que l’attaquant à la ceinture était un jeune Syrien
arrivé en République fédérale deux ans plus tôt.

« Évidemment, des personnes qui ont grandi dans des pays où l’antisémitisme fait
quasiment partie de la raison d’État ont des tendances antisémites », concède la
psychologue sociale Beate Küpper. Cette chercheuse a participé à un grand
rapport sur l’antisémitisme commandé par le gouvernement allemand et paru en
2017. « Il est important de reconnaître ce problème afin de l’aborder au mieux
lors de l’intégration des réfugiés, continue Beate Küpper. Mais cela ne doit pas
nous faire oublier que l’antisémitisme est également bien ancré dans la
population allemande. »

Une certaine indifférence
« Si on regarde les statistiques, l’arrivée massive de demandeurs d’asile en
Allemagne depuis 2015 n’a pas fait exploser le nombre d’agressions antisémites
enregistrées par la police », insiste Felix Klein, émissaire spécial du
gouvernement fédéral pour la lutte contre l’antisémitisme.

Certes, le nombre de délits à caractère antisémite a légèrement augmenté, avec
1 504 cas en 2017 contre 1 468 l’année précédente. Mais on en dénombrait 1 809
en 2006. Sans compter que 95 % des infractions de 2017 ont été attribuées à
l’extrême droite, et non à des musulmans.

« Les préjugés antisémites se retrouvent dans toutes les couches de la société,
confirme Sigmount Königsberg, chargé de la lutte contre l’antisémitisme au sein
de la Communauté juive de Berlin. En tant que juif, on me catalogue souvent
comme représentant d’Israël par exemple, ce qui est une manière de me dire que
je ne suis pas allemand. » Il regrette également que les attaques contre les juifs
ne provoquent pas plus l’indignation au sein de la population. « Une manifestation
de soutien a été organisée deux semaines après l’agression en avril dernier.
Seules 3 000 personnes sont venues. Nous aurions dû être dix fois plus ! »

Des stéréotypes tenaces
Ses observations sont confirmées par plusieurs études, comme celle publiée
l’automne dernier par l’université de Leipzig. On y apprend notamment que 30 %
des Allemands sont convaincus que « les politiciens et les dirigeants ne sont que
les marionnettes de puissances cachées ».

Cette image des marionnettistes agissant en secret fait partie des stéréotypes
antisémites classiques. D’ailleurs, toujours selon cette étude, 10 % des Allemands
approuvent l’affirmation selon laquelle « les juifs sont particuliers » et ne leur «
correspondent pas vraiment ». 20 % de plus se disent partiellement d’accord avec
cette affirmation.

« Ce rapport dénote une légère augmentation des préjugés antisémites dans la
population allemande par rapport à 2016, mais c’est normal d’avoir des
fluctuations sur ce genre de question », assure Beate Küpper. Selon elle, rien
n’indique une hausse importante de l’antisémitisme de ce côté du Rhin au cours
des dernières années. Pourtant, quelque chose a changé au sein de la
communauté juive. « Nous sommes davantage sur nos gardes que par le passé »,
reconnaît Sigmount Königsberg.

Si les opinions antisémites n’ont pas vraiment évolué, leur articulation dans
l’espace public est devenue plus audible. « L’antisémitisme a toujours été là, mais
maintenant il s’exprime à voix haute, et de manière très agressive », constate
Beate Küpper.

Des propos comme ceux de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz étant un
détail de l’histoire ont longtemps été complètement tabous en Allemagne. Mais
aujourd’hui les barrières tombent. « Ce qu’on disait avant au café du coin à son
copain, on le dit maintenant sur Internet, en public, et sans se cacher », ajoute
Sigmount Königsberg.
La libération du discours antisémite est particulièrement visible sur la toile. Selon
une étude de l’université technique de Berlin parue l’été dernier, les
commentaires haineux à l’égard des juifs se sont multipliés par trois depuis 2007
sur les grands sites d’information allemands. Mais la parole antisémite s’entend
aussi dans la rue, notamment lors des manifestations de Pegida. « Sur les
podiums, certains orateurs n’hésitent pas à reprendre les mythes du complot juif
», souligne Beate Küpper.

L’AfD, clairement antisémite
« La Shoah s’est déroulé il y a 70 ans, et presque tous ceux qui l’ont vécu, que ce
soit du côté des bourreaux ou des victimes, sont désormais décédés, explique la
chercheuse. Il est donc plus facile de réactiver les vieux préjugés antisémites. »

Sigmount Königsberg, quant à lui, blâme l’AfD. « C’est un parti clairement
antisémite car ils relativisent l’importance de la Shoah. Quand leur codirigeant,
Alexander Gauland, qualifie l’époque nazie de “pipi de chat” dans l’histoire
allemande, c’est une violente gifle pour les survivants. »

Le parti populiste veut notamment en finir avec le « culte de la culpabilité », et
l’un de ses leaders, Björn Höcke, a même qualifié le mémorial de l’Holocauste à
Berlin de « mémorial de la honte ».

Certes, le parti se défend de toute opinion antisémite. En octobre dernier, 19
personnes ont même fondé le groupe des « juifs de l’AfD ». Les populistes
entendent ainsi s’opposer à l’antisémitisme qui serait importé par les musulmans.
De quoi provoquer un tollé au sein de la communauté juive allemande.

Lutter plus efficacement
« L’antisémitisme n’a jamais disparu, mais le sujet était négligé par les politiques.
On n’en parlait que pendant les périodes de crise, lorsqu’il y avait un incident
grave », assure Beate Küpper. Le rapport, auquel elle a participé, préconisait
donc la création d’un émissaire spécial du gouvernement fédéral pour la lutte
contre l’antisémitisme. C’est chose faite en mai 2018 et Felix Klein est le premier
à assurer cette fonction. « Ma mission est de rendre l’antisémitisme visible et de
provoquer une prise de conscience au sein de la population et des politiques »,
précise le diplomate de carrière. Lutter contre un problème commence cependant
par l’appréhender correctement. Or les statistiques sur les délits antisémites sont
loin de refléter le quotidien des juifs en Allemagne, car beaucoup de victimes
d’agression ne portent jamais plainte. Afin de mieux collecter les données, une
nouvelle plate-forme en ligne va être lancée en février 2019. Victimes et témoins
d’actes antisémites pourront s’y inscrire et recevoir une assistance.

Prochain chantier : l’éducation. « Nous devons notamment adapter les livres
d’histoire afin que les juifs ne soient pas uniquement présentés comme des
victimes, mais aussi comme des acteurs de l’histoire allemande », précise Felix
Klein. Il souhaite également réformer la formation des professeurs en y ajoutant
des cours sur l’antisémitisme et le racisme. « La plupart des enseignants ne
savent pas comment réagir face à des cas de harcèlement ou des insultes
antisémites », explique-t-il. Une réunion avec les ministres de l’Éducation de tous
les Länder est prévue en février pour discuter de ces mesures. Sigmount
Königsberg se réjouit de ces avancées, même si le chemin à parcourir est encore
long : « Se battre contre l’antisémitisme, ce n’est pas se battre uniquement pour
les juifs. C’est avant tout lutter pour une société démocratique et libérale. »

Par Déborah Berlioz
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