Bien être animal : contexte, définition, évaluation - INRA ...

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Bien-être animal :                                                                                                         INRA Prod. Anim.,
                                                                                                                            2018, 31 (2), 145-162

    contexte, définition, évaluation
Pierre MORMEDE1, Lucille BOISSEAU-SOWINSKI2, Julie CHIRON3, Claire DIEDERICH4, John EDDISON5,
Jean-Luc GUICHET6, PierreLE NEINDRE7, Marie-Christine MEUNIER-SALAÜN8
1
  GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, ENVT, 31320, Castanet Tolosan, France
2
  Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Limoges, 5 rue Félix Eboué, B.P. 3127, 87031, Limoges, France
3
  Anses, Unité Évaluation des risques liés à la santé, l’alimentation et au bien-être des animaux, 94704, Maisons-Alfort, France
4
  URVI-NARILIS, Dépt. de Médecine Vétérinaire, Université de Namur, Namur, Belgique
5
  School of Biological and Marine Sciences, University of Plymouth, Drake Circs, Plymouth, PL4 8AA, Royaume-Uni
6
  ESPE, UPJV, 3 rue Bossuet, 60000, Beauvais, France
7
  DEPE, INRA, 147 rue de l’Université, 75338, PARIS, France
8
  PEGASE, Agrocampus Ouest, INRA, 35590, Saint-Gilles, France
Courriel : pierre.mormede@inra.fr

„„ La question du bien-être des animaux a pris une importance croissante, en particulier dans le contexte des
productions animales, et se trouve au cœur des préoccupations sur l’avenir de l’élevage. Cette note de réflexion
replace la question du bien-être dans son contexte, en propose une définition qui tient compte des dernières
connaissances sur la nature sensible et consciente des animaux, et envisage les implications pratiques en
élevage. Une première version a été publiée sur le site de l’Anses (2018).

Introduction
                                                           a­ iguillonnée par les associations de pro-   même acronyme, OIE), devient l’orga-
                                                            tection animale pour donner corps à ces      nisme international phare en matière
   Le bien-être des animaux qui vivent                      préoccupations. Suite à la Convention        de bien-être animal2. Cette organi-
sous la dépendance des humains,                             européenne sur la protection des ani-        sation intergouvernementale se voit
animaux de compagnie, utilisés à des                        maux dans les élevages, signée par           confier la charge d’incorporer dans des
fins scientifiques, de zoo et d’élevage,                    les États membres du Conseil de l’Eu-        Codes déjà existants des prescriptions
prend une place de plus en plus impor-                      rope (1976), plusieurs directives euro-      relatives au bien-être animal, voire de
tante dans notre société. La considé-                       péennes ont réglementé l’utilisation         proposer des recommandations spéci-
ration pour les animaux a longtemps                         des animaux à des fins scientifiques,        fiques sur ce sujet. À la suite de ce tra-
été limitée à la répression des actes                       la détention d’animaux sauvages dans         vail, une norme ISO (2016) a été publiée.
de cruauté, mais la dénonciation des                        un environnement zoologique, les pra-
conditions d’élevage par Ruth Harrison                      tiques de l’élevage et de la mise à mort        Dans le même temps, en élevage, la
(Harrison, 1964) en Grande-Bretagne,                        des animaux élevés pour leur produc-         productivité par animal a continué à
suivie de la mise en place du Comité                        tion à des fins de consommation ou           augmenter de façon spectaculaire par
Brambell, marque un tournant dans                           autre (fourrure par exemple)1.               la conjonction des avancées en géné-
le regard des citoyens sur les animaux                                                                   tique, en alimentation, en conception
dont ils partagent l’existence ou qu’ils                     En 2002, l’Office International des         des bâtiments d’élevage, en conduite
utilisent pour leur propre compte                          Epizooties (OIE), référence internatio-       du troupeau, avec une logique d’inten-
(HMSO, 1965). Un important travail                         nale pour la santé animale et les zoo-        sification de la production dans le but
scientifique et réglementaire a été réa-                   noses et rebaptisé depuis Organisation        de nourrir la population (Jussiau et al.,
lisé par la Communauté Européenne,                         Mondiale de la Santé Animale (avec le         1999). Beaucoup de ces ­évolutions en

1
    http://ec.europa.eu/food/animals/welfare_en
2
    http://www.oie.int/fr/bien-etre-animal/la-sante-animale-dun-coup-doeil/

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2018.31.2.2299                                              INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
146 / Pierre mormede et al.

sciences des productions animales,                    de 2012 à 2018 un Groupe de travail                    animaux, il s’agit principalement dans
principalement focalisées sur la maxi-                permanent sur le bien-être animal (GT                  ce texte de l’élevage des animaux dits
misation de la production et sur la                   BEA). Ce groupe de travail s’est occupé                « de ferme », sur lesquels ont porté la
réduction des coûts, ont négligé les                  des questions relatives aux modes d’éle-               plupart des travaux.
conséquences fonctionnelles pour les                  vage de différentes espèces animales et
animaux. On peut ainsi citer la qua-                  des thématiques telles que les indica-
lité des aplombs et la possibilité de                 teurs du bien-être animal ou les guides
                                                                                                             1. Contextes
se mouvoir sans douleur, la facilité de               de bonnes pratiques préparés en décli-
la mise-bas, la survie des jeunes ani-                naison des directives européennes. Les                 „„1.1. Contexte
maux, la possibilité d’avoir des relations            travaux du Comité sont conduits le plus                philosophique
sociales, le maintien des relations mère-             souvent en réponse à des saisines du
jeune et la sensibilité aux maladies. Ces             Ministère de l’Agriculture.                               La relation entre les hommes et
­évolutions ont pu conduire également                                                                        les animaux, aussi bien domestiques
 à la programmation de l’élimination                     Le thème du bien-être animal est à la               que sauvages, est multimillénaire
 des animaux considérés sans valeur                   croisée de nombreuses influences par-                  (Patou-Mathis, 2009). Cette relation a
 économique. La démarche générale a                   fois contradictoires, philosophiques et                accompagné l’évolution humaine, en
 été très productiviste : la qualité de vie           morales, scientifiques, technologiques                 particulier à travers la domestication,
 des animaux a été prise en compte de                 et économiques, règlementaires et                      qui implique une relation profonde
 façon limitée dans les pratiques, et tant            sociétales (Veissier et Miele, 2015).                  entre les hommes et leurs animaux. En
 qu’elle n’interférait pas avec le niveau             Ces multiples points de vue peuvent                    effet, les rapports de dépendance réci-
 de production (Denis, 2015).                         rendre délicate une analyse objective                  proque entre les sociétés humaines et
                                                      du risque d’atteinte au bien-être des                  certaines populations animales ont été
   Cependant, l’intérêt des citoyens pour             animaux, selon la pondération don-                     tels que ces animaux se sont progressi-
les conditions de vie et de mort des ani-             née à chacune de ces composantes.                      vement modifiés dans leur physiologie
maux ne cesse d’augmenter. Selon un                   Afin de prendre en compte l’ensemble                   et leur comportement via le processus
récent sondage (Eurobaromètre spé-                    de ces facteurs dans l’analyse des dos-                de domestication qui induit notam-
cial 442), 94 % des citoyens européens                siers qui lui sont soumis, le GT BEA de                ment des modifications génétiques
accordent de l’importance au bien-être                l’Anses a réalisé une réflexion approfon-              (Price, 1984 ; Mignon-Grasteau et al.,
des animaux d’élevage et 82 % pensent                 die sur son domaine de compétences.                    2005). En miroir, la présence animale
que ceux-ci devraient être mieux pro-                 La première partie de cette note de                    a intimement déterminé les cultures
tégés qu’ils ne le sont actuellement                  réflexion présente les grandes lignes                  humaines au point de les modeler. Ce
(Commission européenne, 2016). Cet                    des contextes philosophique, socié-                    processus est loin de se réduire, même
intérêt a été progressivement pris en                 tal et juridique. La deuxième partie                   dans les élevages actuels, à ses aspects
compte par les professionnels de l’éle-               est consacrée à l’analyse du principal                 purement économiques et comprend
vage, du secteur agroalimentaire et                   considérant mis en avant dans la prise                 des dimensions symboliques et affec-
de la distribution (BBFAW, 2016), ainsi               en compte du bien-être des animaux,                    tives. Cette tension au sein de la rela-
qu’en témoigne par exemple le récent                  à savoir leur nature d’êtres sensibles, à              tion humaine à l’animal entre un pôle
mouvement de rejet des œufs produits                  la lumière des avancées scientifiques                  utilitaire d’exploitation et un pôle plus
par des poules en cage, qui s’étend                   récentes sur la conscience des animaux.                affectif a croisé la réflexion des phi-
maintenant à l’élevage en claustration                Ces caractéristiques de sensibilité et de              losophes qui se sont très tôt souciés
des poulets de chair. Dans ce contexte,               conscience sont à la base du concept de                de cette question en s’efforçant d’en
le Ministère de l’Agriculture (2016) a mis            bien-être et des devoirs moraux que les                ­élucider la dimension éthique.
en place un « Plan d’action prioritaire en            humains ont vis-à-vis des animaux qui
faveur du bien-être animal, 2016-2020 »,              vivent sous leur contrôle. La troisième                   Ainsi, dans des contextes de relation
qui concerne les animaux d’élevage, de                partie est consacrée à la définition du                aux animaux historiquement variés, la
compagnie, de loisir et de sport, et ceux             terme « bien-être », par rapport aux                   réflexion philosophique s’est principa-
utilisés à des fins scientifiques.                    autres termes utilisés tels que bientrai-              lement centrée sur l’objectif de limita-
                                                      tance, protection ou qualité de vie des                tion des souffrances3. Jeremy Bentham
   L’Anses, dans sa direction d’évalua-               animaux. La quatrième partie est consa-                par exemple déclarait au sujet des ani-
tion des risques, a cinq objectifs prio-              crée à l’évaluation du bien-être en éle-               maux : « La question n’est pas : Peuvent-
ritaires dont la santé et le bien-être                vage, qui fait appel aux connaissances                 ils raisonner ? Ou : Peuvent-ils parler ?
des animaux. Le Comité d’experts spé-                 scientifiques sur les caractéristiques                 Mais : Peuvent-ils souffrir ? » (Bentham,
cialisé « Santé Animale » (CES SANT),                 psychobiologiques des animaux. Même                    1789). Plus récemment, les résultats
renommé en 2015 « Santé et bien-être                  si le terme d’élevage peut s’appliquer à               scientifiques sur les compétences des
des animaux » (CES SABA), s’est adjoint               différents contextes de production des                 animaux en termes de sensibilité et de

3
  Souffrance : fait d’éprouver une douleur physique ou morale (Trésor de la Langue Française (TLF), Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, CNRS,
www.cnrtl.fr). La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle aversive, représentée par la ‘conscience’ que l’animal a de la rupture ou de la menace
de rupture de l’intégrité de ses tissus (Molony et Kent, 1997 ; Le Neindre, 2009).

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Bien-être animal : contexte, définition, évaluation / 147

conscience confirment le bienfondé de           courants, en particulier les deux prin-      torture) ou de leur imposer un travail,
ce souci moral et en accroissent la por-        cipaux que sont l’utilitarisme et le         à la condition qu’il n’excède point leurs
tée en l’étendant du volet négatif (mini-       déontologisme dont les représentants         forces […] La reconnaissance même
misation des douleurs/souffrances) à un         contemporains majeurs sont respecti-         pour les services longtemps donnés
volet positif (maximisation des plaisirs).      vement Peter Singer (Singer, 1975) et        par un vieux cheval ou un vieux chien
« La sensibilité, cette capacité à ressentir    Tom Regan (Regan, 1983). Ces deux            (comme si c’étaient des personnes de
(et exprimer) des états mentaux comme           courants diffèrent cependant sur leurs       la maison) appartient indirectement au
la douleur et le plaisir, la souffrance et la   conclusions. Le premier – l’utilitarisme –   devoir de l’homme, si on le considère
satisfaction, commune aux hommes et             raisonne en effet en termes d’utilité        relativement à ces animaux, mais consi-
aux animaux, précède chez les premiers          pour le plus grand nombre : est éthi-        déré directement il s’agit toujours d’un
ce qui les distingue des seconds (la            quement préférable ce qui avantage           devoir de l’homme envers lui-même. »
parole, la raison, la symbolisation…) »         le plus grand nombre possible d’êtres        (Kant, 1795).
(Larrère, 2007).                                sensibles (donc incluant les animaux
                                                autres que les humains) avec pour               Ces orientations théoriques croisent
  Ce lien de conséquence entre recon-           horizon la plus grande quantité pos-         les deux options pratiques majeures à
naissance de la sensibilité des animaux         sible de bonheur ou de satisfaction des      l’égard du bien-être animal : le « welfa-
et souci moral à leur égard fait l’objet        préférences. Le déontologisme (du grec       risme » et l’abolitionnisme. Le « welfa-
d’un certain consensus à l’époque               deon, devoir) en revanche raisonne à         risme » (de l’anglais welfare = bien-être
contemporaine. Déjà au xviiie siècle,           partir de principes et plus précisément      ou réformisme) vise à améliorer la condi-
aussi bien en France qu’en Angleterre,          de droits : est moralement obligatoire       tion des animaux sous la responsabilité
le fondement éthique de la relation             ce qui respecte les droits des individus.    des humains et en particulier les ani-
de l’homme et des animaux tendait à             Or, dans cette conception, les animaux       maux d’élevage sans contester le prin-
reposer sur la sensibilité de ces derniers.     autres que l’homme comptent précisé-         cipe de leur mise sous tutelle humaine.
Ainsi, en 1755, plus de trente années           ment parmi les titulaires de droits, du      L’abolitionnisme pour sa part conteste le
avant Jeremy Bentham, Jean-Jacques              moins pour une grande part d’entre           principe même de l’élevage et de façon
Rousseau déclarait : « Il semble, en effet,     eux, car le critère fondamental de la        générale toute appropriation et exploi-
que si je suis obligé de ne faire aucun         sensibilité se combine chez les auteurs      tation des animaux par les humains, ce
mal à mon semblable, c’est moins parce          avec d’autres critères comme la capacité     qui place en conséquence logique le
qu’il est un être raisonnable que parce         de conscience et de projection de soi et     souci du bien-être animal sous le signe
qu’il est un être sensible ; qualité qui        de ses désirs. En France, cette dernière     essentiel­lement du « welfarisme ». Sauf
étant commune à la bête et à l’homme,           position est assez bien représentée par      exception, les déontologistes sont abo-
doit au moins donner à l’une le droit           la philosophe Florence Burgat (Burgat,       litionnistes (comme Tom Regan), les uti-
de n’être point maltraitée inutilement          2006, 2012).                                 litaristes et les tenants des devoirs envers
par l’autre » (Rousseau, 1755). Avec                                                         les a­ nimaux sont « welfaristes ».
Rousseau, le xviiie siècle philosophique          À ces deux courants d’origine anglo-
achevait décisivement sa rupture avec           saxonne, il convient toutefois d’ajouter        La prise en compte du bien-être
une perspective cartésienne qui – après         une troisième conception plus ancrée         peut cependant prendre plusieurs
Descartes lui-même (Descartes, 1637,            dans la tradition continentale, celle des    formes : soit se réduire à minimiser le
1646, 1649), bien moins dogmatique              devoirs humains envers les animaux.          plus possible les causes supposées de
qu’on le pense souvent – s’était durcie         À la différence de la conception des         souffrance ou d’inconfort, soit chercher
dans la seconde moitié du xviie siècle          droits, ces devoirs sont conçus non          à favoriser l’expression des comporte-
avec en particulier Malebranche                 comme émanant de l’animal mais               ments propres à l’espèce, voire ceux
(Malebranche, 1674-1675). Or, cette             comme provenant du sujet humain              préférés par l’individu, en disposant
perspective cartésienne avait logique-          pour s’appliquer ensuite aux animaux.        dans son environnement des moyens
ment pour effet de couper à la racine           Ces obligations s’appliquent donc            pour atteindre cette fin. Cette dernière
même toute pertinence du question-              d’abord à soi-même avant de s’adres-         perspective est celle des éthiques de
nement moral à l’égard d’un animal              ser à l’animal. Emmanuel Kant, qui est       l’intégrité qui peuvent aller jusqu’à
rabattu sur le modèle de la machine et,         la référence philosophique majeure           recommander la restitution – dans les
en conséquence, qu’il n’était pas plus          de ce courant, parle ainsi d’obligations     limites du possible – des conditions
immoral de maltraiter que de casser sa          indirectes envers les animaux : à ses        d’un milieu naturel au point d’y réin-
montre.                                         yeux, en effet, ces obligations se rat-      troduire les risques qui y sont liés (par
                                                tachent au fait que le sujet humain en       exemple le risque sanitaire et la pré-
   De nos jours, dans les pays de langue        tant que sujet rationnel doit s’interdire    sence de prédateurs dans des élevages
anglaise où le discours philosophique           toute cruauté et en général tout com-        semi-ouverts). Dans ce dernier cas, la
ou éthique sur la question animale              portement qui l’amènerait à dégrader         possibilité de contradictions avec la
s’est bien davantage – et depuis bien           sa dignité et sa capacité de maîtrise de     préoccupation du bien-être animal
plus longtemps – développé et struc-            soi en s’abandonnant à ses impulsions.       est paradoxalement engagée. Dans la
turé qu’en France, ce fondement de la           « L’homme compte parmi ses droits            recherche du bien-être, une vision plus
sensibilité est commun aux d   ­ ifférents      celui de tuer les animaux (mais sans         modérée consiste à respecter certaines

                                                                                              INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
148 / Pierre mormede et al.

conditions d’environnement permet-               – Depuis plusieurs décennies, les          caractéristique des sociétés modernes
tant l’expression des comportements           pratiques d’élevage évoluent vers des         (Meyer, 1983).
propres à l’espèce.                           formes de production qui voient dispa-
                                              raître ou, du moins, fortement reculer, le       La question du bien-être animal
„„1.2. Contexte sociétal                      caractère individualisé de la relation de     émerge chaque fois que les humains
                                              l’homme aux animaux, rendant plus dif-        interfèrent avec les animaux. Elle
  On pourrait cependant penser que            ficile l’observation des problèmes éven-      concerne l’élevage, mais également
toute cette réflexion philosophique ne        tuels. Même quand cette relation est          l’utilisation des animaux à des fins de
fait que doubler la capacité des éleveurs     individualisée, l’identification des indi-    recherche scientifique et d’enseigne-
ou des détenteurs d’animaux à assurer         cateurs de bien-être n’est pas toujours       ment, les activités de chasse, de pêche
eux-mêmes le bien-être de ces derniers        assurée, soit par manque d’informa-           ou celles sportives et culturelles (zoos,
du fait de motifs qui leur sont propres.      tions sur ce qui est réellement signifiant    corridas…). Elle concerne aussi le rap-
Cette motivation à prendre soin des           pour l’animal, soit par « surexposition »     port aux animaux de compagnie qui
animaux sous leur dépendance tient            à des comportements et postures des           peut connaître des formes particulières
essentiellement à trois facteurs qu’il est    animaux observés par les éleveurs,            d’assistance de l’animal aux humains
difficile de hiérarchiser :                   les détenteurs et autres intervenants         (chien de travail, chien de chasse…)
                                              auprès des animaux, et qui deviennent         ou de médiation animale pour les
  – L’éleveur, ou le détenteur d’ani-         alors la norme, même quand ils sont           humains (chiens et primates d’assis-
maux, peut développer lui-même une            déviants. Ceci est connu aussi dans           tance, chevaux…). Pour toutes ces pra-
empathie pour l’animal avec qui il a          les soins aux humains (Lesimple et            tiques qui mettent en jeu des animaux
des relations particulières. La qualité       Hausberger, 2014).                            et leur bien-être, le contrôle de la puis-
de vie des animaux sous sa dépendance                                                       sance publique et la mise en place de
conditionne dans une certaine mesure            – La détention des animaux de com-          cadres réglementaires sont de plus en
son propre équilibre et sa qualité de vie     pagnie dans des milieux de plus en plus       plus considérés comme une exigence
personnelle.                                  urbanisés pose également le problème          sociétale.
                                              du respect du bien-être de l’animal.
   – La qualité de vie des animaux appa-                                                      La question du bien-être animal doit
raît fondamentalement comme une                  – La sensibilité des animaux a pris        être différenciée selon les espèces,
condition de cohérence technique de           le statut d’un fait reconnu, en raison        mais aussi selon les différents cadres
la pratique d’élevage, dans une logique       en particulier de la recherche scienti-       de relation à l’animal. La notion de
selon laquelle la négligence ou les           fique. Cette sensibilité a été récemment      bien-être apparaît comme une préoc-
mauvais traitements sont globalement          consacrée par le code civil, même si ses      cupation constante à tous les niveaux
contre-productifs.                            modalités précises selon les espèces          du rapport des humains aux animaux
                                              restent largement à définir. Quoi qu’il       et qui en même temps implique des
   – Enfin, il s’exerce sur l’éleveur une     en soit, la sensibilité et plus récemment     attitudes et des actions différentes de la
pression du regard sociétal, doublé éven-     la conscience animales sont devenues          part des éleveurs, des responsables de
tuellement d’un contrôle réglementaire        des données incontestables qu’il faut         laboratoire ou d’activités diverses impli-
et institutionnel. Ce regard est fonction     désormais prendre en compte.                  quant des animaux, des citoyens et des
des contextes historiques et culturels.                                                     consommateurs ou de tout détenteur
Il se révèle souvent hétérogène au sein         – La montée dans les sociétés               d’un animal de compagnie.
même de chacun de ces contextes. Il           modernes des préoccupations à l’égard
peut varier depuis un niveau d’intérêt        de la prise en compte de la douleur et           Aujourd’hui de nouvelles revendica-
très bas confinant à l’indifférence jusqu’à   de la qualité de vie chez l’être humain       tions émergent. Les mouvements « ani-
une véritable demande voire une exi-          est une tendance historique constatée.        malistes » estiment pour leur part que le
gence de l’opinion publique.                  Une référence majeure en ce domaine           vrai problème réside dans le bien-fondé
                                              est celle de l’ouvrage de Roselyne Rey        de l’élevage comme relation d’exploi-
   Idéalement, il serait donc envisa-         (Rey, 1993). Elle s’applique également        tation de l’animal par l’homme (posi-
geable de considérer que le bien-être         aux animaux (Inra, 2009). Elle se traduit     tion dite « abolitionniste » en parallèle
animal devrait être porté uniquement          par l’émergence d’une demande socié-          avec l’esclavage des humains). C’est là
par les éleveurs et détenteurs d’ani-         tale et l’exigence d’un droit de regard       une question morale que chacun doit
maux eux-mêmes. Ils sont d’ailleurs           des citoyens et des consommateurs sur         résoudre par un positionnement per-
censés pouvoir le prendre en charge           les traitements appliqués aux animaux         sonnel, de façon contextualisée par les
dans leurs pratiques et leur vie quoti-       (voir, par exemple, l’Eurobaromètre           influences, les connaissances et les sen-
dienne sans qu’il soit requis que d’autres    publié par la Commission européenne,          sibilités qui le caractérisent. Cependant,
s’en préoccupent. Plusieurs facteurs          2016).                                        il importe de souligner que l’élevage
expliquent principalement – sans que                                                        assure de fait la permanence d’une
la liste soit close – pourquoi il n’en est       – Le contrôle croissant de l’État et       relation des humains aux animaux dans
pas, ou plutôt pourquoi il ne peut plus       de la loi sur la société civile et ses pra-   un monde où le rapport à la nature, et
en être ainsi :                               tiques est également un fait historique       de manière générale à l’ensemble des

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Bien-être animal : contexte, définition, évaluation / 149

êtres vivants non humains, connaît une       est décisif du point de vue éthique pour     vice de l’homme. Il était un bien dont
crise d’une gravité inédite. Cette crise     évaluer les différents traitements faits     l’homme pouvait disposer à sa guise.
s’explique par l’urbanisation, la distan-    aux animaux en fonction des degrés de        Il n’était donc considéré qu’au regard
ciation entre la population humaine et       sensibilité et de conscience qu’on peut      de ses utilités et n’était protégé que
les systèmes de production animale et        leur attribuer.                              comme élément du patrimoine de son
par le questionnement sur la conser-                                                      propriétaire. Jusqu’au xixe siècle, l’ani-
vation des espèces animales sauvages            Ajoutons que, comme on l’a vu plus        mal ne bénéficiait d’aucune protection
en réponse à la modification de leurs        haut, le contexte de relation à l’ani-       au regard de ses qualités d’être vivant
biotopes par l’action humaine. Pour cer-     mal est également fondamental. Les           et sensible. Son propriétaire pouvait
tains, l’interrogation sur le bien-fondé     causes de perturbation ou de mal-être        le maltraiter sans encourir la moindre
de l’élevage et autres formes d’exploi-      ne sont pas en effet les mêmes quand         sanction.
tation des animaux conduit en outre à        on passe des conditions de vie des ani-
disqualifier la question du bien-être : si   maux d’élevage à celles des animaux de          Il fallut attendre la fin du xixe siècle
le fait de régenter et de s’approprier la    laboratoire, de compagnie ou en parc         pour voir émerger un début de protec-
vie animale est moralement condam-           zoologique. Le lapin par exemple peut        tion de l’animal en droit. En France, la
nable dans son principe même, toute          se trouver dans ces différentes caté-        première loi de protection animale fut la
tentative de régulation, évoluant de fait    gories. La notion de bien-être en tant       loi Grammont du 2 juillet 1850 qui incri-
dans cette sphère, est alors suspecte et     qu’état de l’animal est commune, mais        mina les mauvais traitements exercés en
participe à cette immoralité à un degré      les approches doivent être différenciées     public et abusivement contre les ani-
ou à un autre. Ce n’est pas ce que nous      en fonction des espèces, des caractéris-     maux domestiques. Il s’agissait cepen-
proposons. Notre point de vue sera           tiques individuelles, ainsi que des diffé-   dant dans l’esprit des auteurs davantage
donc celui couramment qualifié de            rents cadres des relations des humains       de protéger la moralité publique que
« réformiste », ou « welfariste » dans les   avec les animaux. Le bien-être est donc      l’animal lui-même. Ce n’est qu’à partir
références internationales, c’est-à-dire     une question qui apparaît à la fois          des années 1960 que se développa en
visant à améliorer les conditions de         comme une préoccupation constante            France une protection juridique de l’ani-
vie des animaux plutôt qu’à contester        traversant tous les niveaux du rapport       mal. Un décret du 7 septembre 1959 fit
l’existence de leur dépendance vis-à-vis     humain aux animaux. Il doit être décliné     disparaître la condition tenant à ce que
des humains et que d’en interroger la        selon qu’il s’adresse aux éleveurs, aux      les mauvais traitements soient publics
finalité.                                    responsables de laboratoire ou d’acti-       pour pouvoir être sanctionnés. Il insti-
                                             vités diverses impliquant des animaux,       tua la remise de la bête maltraitée à une
   De même, il faut considérer la diver-     aux consommateurs, ou à tout un cha-         œuvre de protection animale. Dans le
sité des espèces animales en jeu. La         cun, propriétaire ou détenteur d’un          sillage de ce texte, un autre décret du
qualification des animaux en fonction        animal familier. Au sein de chacune de       21 octobre 1959 interdit l’emploi de
de l’espèce tend à être considérée           ces catégories, un certain équilibre est à   l’aiguillon pour le maniement des ani-
comme discriminatoire par les mouve-         rechercher entre les avantages pour les      maux de rente. De nouvelles incrimi-
ments abolitionnistes se réclamant de        humains (élevage, compagnie, expéri-         nations furent également créées, telles
« l’antispécisme ». Ce terme, d’origine      mentation…) et pour les animaux, et les      que le délit d’acte de cruauté. La pro-
anglo-saxonne, a été forgé par ces mou-      contraintes que ces derniers ont à subir     tection de l’animal n’était alors qu’une
vements en référence à ceux de racisme,      et qu’il s’agit de minimiser autant que      protection contre la souffrance. Elle
sexisme etc., pour dénoncer le « privi-      possible. Le bien-être animal est donc       imposait des interdits qui étaient cepen-
lège » que s’octroie l’espèce humaine        devenu dans le même temps un pro-            dant assez limités puisque les mauvais
dans ses rapports aux animaux. Cette         blème et une exigence qu’il convient         traitements et les actes de cruauté
différence suivant les espèces nous          de considérer comme tels. L’ensemble         n’étaient punissables que s’ils étaient
apparaît pourtant primordiale en ce          des parties prenantes est appelé à être      commis sans nécessité (Loi n° 63-1143
qu’elle détermine les différences dans       impliqué afin de gérer les controverses      du 19 novembre 1963). Ainsi, aucune
les besoins et les comportements,            et de rechercher des modalités accep-        norme d’élevage ne se souciait des
même si les variations individuelles au      tables pour le plus grand nombre.            conditions de vie des animaux.
sein de ces espèces peuvent être très
importantes et doivent également             „„1.3. Contexte juridique :                     À partir de la fin des années 1960,
être prises en compte. À cet égard,          l’émergence légale                           de nouvelles normes de protection
la référence philosophique à Martha          de la notion de bien-être                    animale émergèrent. Ces normes
Nussbaum (États-Unis), philosophe des        animal                                       n’eurent pas pour objectif de sanction-
droits, semble éclairante (Nussbaum,                                                      ner des comportements générateurs
2006). Cette auteure met en avant le cri-      L’évolution de la considération des        de souffrance pour l’animal, dans le
tère de l’espèce comme le repère majeur      humains à l’égard des animaux s’est          cadre d’une démarche répressive. Au
permettant d’apprécier les « droits »        également inscrite dans l’histoire du        contraire, elles s’inscrivirent dans une
des animaux et d’y répondre autant           droit. Dans la tradition juridique, l’ani-   démarche préventive de la souffrance
que possible. En France, Chapouthier         mal n’était pris en considération par        animale, imposant des obligations posi-
(2016) estime également que ce critère       le droit que comme une chose au ser-         tives au propriétaire quant à la manière

                                                                                           INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
150 / Pierre mormede et al.

Tableau 1. Textes européens relatifs au bien-être animal.

                             Convention européenne du Conseil de l’Europe                              Droit communautaire (Union européenne)

                                                    1968
                                                                                                                           1991
                                   Convention européenne sur la protection
                                                                                                             Directive 91/628/CEE du Conseil
                                     des animaux en transport international
       Transport                                                                                         du 19 novembre 1991. Cette directive fut
                                 du 13 décembre 1968 (STE n° 065) révisée
                                                                                                       complétée par des directives de 1995, 1997,
                                par la Convention européenne sur la protection
                                                                                                       1998 puis par un Règlement (CE) n° 1/2005
                                     des animaux en transport international
                                                                                                                  du 22 novembre 2004.
                                       du 6 novembre 2003 (STE n° 193).

                                                                                                                           1998
                                                   1976                                              Directive 98/58/CE du Conseil, du 20 juillet 1998
        Élevage                   Convention européenne sur la protection                               concernant la protection des animaux dans
                               des animaux dans les élevages du 6 mars 1976                              les élevages + Directives sur la protection
                                + Protocole d’amendement du 6 février 1992.                                 des poules pondeuses, veaux, porcs
                                                                                                                    et poulets de chair.

                                                                                                                           1974
                                                                                                          Directive 74/577/CE du Conseil relative
                                                                                                    à l’étourdissement des animaux avant l’abattage
                                                  1979                                                    remplacée par la Directive 93/119/CEE
       Abattage                                                                                           du 22 décembre 1993, sur la protection
                                  Convention européenne sur la protection
                                                                                                        des animaux au moment de leur abattage
                             des animaux d’abattage, 10 mai 1979 (STE n° 102)
                                                                                                       ou de leur mise à mort. Cette directive a été
                                                                                                    remplacée par le Règlement (CE) n° 1099/2009
                                                                                                   du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection
                                                                                                     des animaux au moment de leur mise à mort.

                                                     1986
                                                                                                                         1986
                                   Convention européenne sur la protection
                                                                                                         Directive européenne n° 86/609 CEE
                                   des animaux vertébrés utilisés à des fins
    Expérimentation                                                                                du 24 novembre 1986 remplacée par une Directive
                                expérimentales ou à d’autres fins scientifiques
                                                                                                    2010/63/UE du 22 septembre 2010 du Parlement
                                    du 18 mars 1986 (STE n° 123) modifiée
                                                                                                     européen et du Conseil relative à la protection
                                par le protocole d’amendement du 22 juin 1998
                                                                                                      des animaux utilisés à des fins scientifiques.
                                   (STE n° 170), annexe A révisée en 2006

                                                   1987
       Animaux                    Convention européenne pour la protection
     de compagnie             des animaux de compagnie du 13 novembre 1987
                                               (STE n° 125).

de traiter ses animaux. Ces obligations                  sur la protection des animaux en trans-                     Au sein de l’Union européenne,
positives eurent pour objectif, d’une                    port international signée par la France le                le droit communautaire développa
part, d’assurer une protection de l’ani-                 13 décembre 1968 et ratifiée le 9 janvier                 de nouvelles dispositions adoptant
mal contre les mauvais traitements qu’il                 1974. Cette convention fait directement                   une démarche similaire à celle des
pourrait subir et, d’autre part, de garan-               référence à la notion de bien-être ani-                   conventions européennes visant à
tir un niveau minimum de bien-être aux                   mal dans son préambule. Par la suite, la                  protéger l’animal et à préserver son
animaux. C’est donc dans le cadre de                     Convention européenne sur la Protection                   bien-être. L’objectif était alors d’har-
cette nouvelle démarche que la notion                    des animaux dans les élevages du 10 mars                  moniser les législations des diffé-
de bien-être animal a émergé en droit.                   1976, signée et ratifiée par la France en                 rents États membres en matière de
Cette démarche préventive s’est peu à                    1978, fit également directement réfé-                     protection animale afin d’éviter des
peu imposée comme nouveau pilier de                      rence au bien-être animal4. De nom-                       distorsions de concurrence entre les
la protection animale au plan européen.                  breuses autres conventions européennes                    États sur le marché communautaire
                                                         adopteront des dispositions protectrices                  (tableau 1). Aujourd’hui, le bien-être
   Le premier texte intégrant la notion de               des animaux imposant des obligations                      animal est devenu l’un des objectifs
bien-être animal dans le corpus juridique                garantissant un niveau minimum de bien-                   dont l’Union européenne et les États
français fut la Convention e­ uropéenne                  être animal (tableau 1).                                  membres doivent tenir pleinement

4
  Le terme « welfare » se trouve deux fois dans la version anglaise mais n’est traduit qu’une seule fois en « bien-être animal » dans la version française à l’article 7
de la Convention.

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
Bien-être animal : contexte, définition, évaluation / 151

compte lorsqu’ils formulent et mettent                   fondamentale de leur bien-être, l’OIE a                   employées pour désigner des états psy-
en œuvre la politique communautaire                      élargi son mandat pour y inclure les                      chiques humains ne fait pas l’unanimité.
dans les domaines de l’agriculture, des                  normes sur le bien-être animal2. Les pre-                 Il est clair en effet que ce vocabulaire
transports, du marché intérieur et de                    mières normes intergouvernementales                       possède un caractère anthropomor-
la recherche (Article 13 du Traité sur le                de l’OIE sur le bien-être animal ont été                  phique, ce qui est lié à la raison simple
fonctionnement de l’Union européenne                     publiées en 2005. L’OIE en donne une                      que notre expérience du psychisme
(2007) qui a refondu en un seul texte                    définition dans son Code terrestre : le                   est d’abord celle de notre expérience
l’ensemble des traités fondateurs).                      bien-être animal « désigne la manière                     psychique humaine. La tradition beha-
                                                         dont un animal évolue dans les condi-                     vioriste s’interdisait ainsi tout voca-
   En droit français, l’adjonction d’obliga-             tions qui l’entourent ». Les principes                    bulaire pouvant évoquer de près ou
tions positives et préventives de la souf-               directeurs de l’OIE en matière de bien-                   de loin une quelconque connotation
france animale aux textes répressifs déjà                être animal se réfèrent également                         humaine. Néanmoins, il nous a sem-
en vigueur fut le fruit de la loi du 10 juillet          aux « Five freedoms » définies pour les                   blé qu’à défaut d’un vocabulaire idéal,
1976 sur la protection de la nature qui                  animaux d’élevage par le Farm Animal                      renoncer à ces expressions était plus
reconnut en son article 9 que « tout ani-                Welfare Council (FAWC, GB) en 1979                        dommageable encore du fait, d’une
mal étant un être sensible doit être placé               (voir ci-dessous). Toutefois, ces recom-                  part, qu’elles apparaissent bien plus
par son propriétaire dans des conditions                 mandations de l’OIE n’ont pas de valeur                   compréhensibles et chargées de sens
compatibles avec les impératifs biolo-                   contraignante pour les États membres                      pour le lecteur qu’une terminologie
giques de son espèce ». Cet article, tou-                de l’OIE contrairement au droit commu-                    excessivement technique et artificielle
jours en vigueur aujourd’hui, fut codifié                nautaire, ce qui pose des problèmes de                    et que, d’autre part, évoquer des états
à l’article L214-1 du Code rural. Ce texte               distorsions de concurrence.                               psychiques associés à la conscience
fut rapidement complété par un Décret                                                                              pour certains animaux n’implique pas
du 1er octobre 1980 interdisant en son                      Désormais, le bien-être animal s’est                   que ces états soient les mêmes que
article 1 à toute personne « de priver ces               imposé comme une notion clé de la                         ceux décrits chez les humains. En outre,
animaux de la nourriture et, lorsqu’il y                 protection animale, tant en droit fran-                   les progrès de la recherche, en particu-
a lieu, de l’abreuvement nécessaire à la                 çais qu’en droit européen. Initialement,                  lier en éthologie et en psychobiologie
satisfaction des besoins physiologiques                  l’émergence de la notion de bien-être                     expérimentale, montrent de plus en
propres à leur espèce et à leur degré de                 répondait au souci d’améliorer les condi-                 plus la proximité entre les capacités
développement, d’adaptation et de                        tions d’élevage des animaux qui s’étaient                 psychiques des humains et de certaines
domestication », codifié à l’article R214-               dégradées à mesure que se développait                     espèces animales ce qui rend difficile
17 du Code rural. Le texte poursuit en                   l’élevage intensif et industriel5. Désormais              le contournement de ce vocabulaire.
prévoyant des dispositions relatives aux                 l’exigence de respect du bien-être des                    Quoi qu’il en soit, il nous semble utile
obligations de soins en cas de maladie ou                animaux a été étendu à tous les champs                    de préciser que nous n’avons employé
de blessure, et à l’interdiction des condi-              de leur utilisation, qu’il s’agisse d’élevage,            ce vocabulaire qu’en en mesurant bien
tions d’hébergement des animaux et                       d’expérimentation ou même de compa-                       les limites.
autres modes de détention inadaptés. Si                  gnie. Cependant, les règles relatives au
ces textes ne visent jamais expressément                 respect du bien-être animal sont fonction                    À ce titre, les deux adjectifs « psy-
les exigences de respect du bien-être de                 des utilisations car les contraintes impo-                 chique » et « mental » ont des signifi-
l’animal, les dispositions qu’ils contiennent            sées à l’animal ne sont pas les mêmes.                     cations très proches. Ils ont d’ailleurs la
s’inscrivent pourtant dans une démarche                  Pour autant les objectifs du bien-être sont                même étymologie, l’une grecque, l’autre
similaire à celle des institutions euro-                 communs quelle que soit l’utilisation de                   latine. Ils font référence à l’esprit et à la
péennes qui ont fait du bien-être ani-                   l’animal. Le bien-être peut à ce titre être                pensée. Le terme « mental » insiste plus
mal l’un de leurs objectifs prioritaires en              défini comme une notion commune à                          sur les capacités intellectuelles (Qui
matière de ­protection animale.                          toutes les utilisations animales mais dont                 appartient au mécanisme de l’esprit ;
                                                         la mise en œuvre est propre à chacune.                     qui fait appel aux facultés intellectuelles ;
   Au plan international, il est fait très                                                                          TLF), tandis que « psychique » est plus
rarement mention du bien-être animal                                                                                global (Qui appartient au psychisme,
dans les textes des grandes organisa-
                                                         2. Bases scientifiques                                     qui concerne l’esprit, la pensée ; TLF).
tions issues de l’ONU (OMC, FAO, OMS,                    de la notion                                              Les deux termes sont utilisés dans ce
UNESCO, OIT, Codex alimentarius…).                       de bien-être animal                                       ­document de façon équivalente.
Cependant, au début des années 1990,
l’OIE s’est intéressée à la notion de bien-                                                                          Les bases scientifiques des réflexions
                                                         „„2.1. Introduction
être animal. En 2002, à la demande de                                                                              sur le bien-être des animaux peuvent
ses États membres et constatant que la                     La légitimité de l’utilisation à l’égard des            être abordées de façon fondamentale
santé des animaux est une composante                     animaux d’expressions ­habituellement                     et appliquée. Elles concernent d’abord

5
   Élevage intensif : élevage dont la productivité est maximisée avec optimisation des intrants. Élevage industriel : processus utilisant les techniques/méthodes
mises au point dans le cadre de la production industrielle, en particulier la segmentation des filières et des tâches, la spécialisation des ateliers, l’automatisation,
le salariat. Voir par exemple (Porcher, 2001).

                                                                                                                    INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
152 / Pierre mormede et al.

l’analyse des caractéristiques psychiques                 De la protection de l’animal. Art L.214-1                 capable de percevoir des impressions.
des animaux, qualifiés d’êtres sensibles.                 du Code rural).                                           Claude Bernard (1878) écrit par exemple
Par ailleurs, la prise en compte et l’éva-                                                                          « Les êtres vivants sont tous sensibles,
luation du bien-être dans les situations                    – « Les animaux sont des êtres vivants                  même les végétaux. ».
pratiques (élevage, expérimentation,                      doués de sensibilité. » (Loi 2015-177 du
animaux familiers et de zoo) s’appuient                   16 février 2015, Article 515-14 du Code                      – Une dimension en rapport avec son
sur des considérations zootechniques,                     civil). Il faut cependant remarquer que                   contenu psychique : qui est capable de
physiologiques, comportementales, etc.                    les termes « animaux » et « sensibilité »                 ressentir des émotions. « La sensibilité,
qui seront évoquées ci-dessous.                           ne sont pas définis par le législateur.                   cette capacité à ressentir (et exprimer)
                                                                                                                    des états mentaux comme la douleur et
   L’étude du bien-être consiste à ana-                      De plus, le cadre juridique de l’UE                    le plaisir, la souffrance et la satisfaction,
lyser la façon dont l’animal ressent la                   invoque en anglais le couple de termes                    commune aux hommes et aux animaux,
situation qu’il vit. Cette situation est                  « sentient / sentience », qui a été traduit               précède chez les premiers ce qui les dis-
définie en termes de plaisirs6 et de                      en français par « sensible/sensibilité »,                 tingue des seconds (la parole, la raison,
déplaisirs. Pour Cabanac (1995, 1996),                    comme critère clé en matière de bien-                     la symbolisation…). » (Larrère, 2007).
le plaisir est la valeur de référence de                  être animal. « […] the Union and the
l’animal dans sa prise de décision.                       Member States shall, since animals are                       Les émotions, et en particulier la
L’idée centrale est que l’animal cherche                  sentient beings, pay full regard to the wel-              douleur et la souffrance, ont été bien
à minimiser ses déplaisirs, comme les                     fare requirements of animals […] » « […]                  étudiées chez les animaux (Boissy et al.,
douleurs ou la privation sociale, et à                    la Communauté et les États membres                        2007a ; Inra, 2009 ; Guichet, 2010). Une
maximiser ses plaisirs, par exemple                       tiennent pleinement compte des exi-                       émotion peut être définie comme une
d’ordre alimentaire ou social.                            gences du bien-être des animaux en                        réponse affective suite à l’évaluation
                                                          tant qu’êtres sensibles, […] » (UE, Traité                qu’un individu, humain ou animal,
„„2.2. Les animaux êtres                                  de Lisbonne, 2007). Aussi est-il impor-                   fait de la situation dans laquelle il se
sensibles                                                 tant de définir ces termes et les conte-                  trouve (nouveauté, soudaineté, valence,
                                                          nus associés, avant d’analyser leurs liens                correspondance aux attentes, contrô-
  Dans les textes, la référence à la notion               avec le bien-être animal. Du fait de la                   labilité…). Outre la composante évalua-
d’être sensible apparaît dans le rapport                  référence constante aux termes anglais                    tive, trois composantes permettent de
Brambell dans la formulation « feelings                   dans le domaine du bien-être des ani-                     décrire les émotions : subjective (ce que
of animals », c’est-à-dire le ressenti des                maux (« animal welfare ») il a paru                       l’individu ressent), motrice (ce que l’indi-
animaux. « Welfare is a wide term that                    nécessaire de reprendre les définitions                   vidu montre aux autres : mouvements,
embraces both the physical and mental                     données dans cette langue.                                expression faciale…) et physiologique
well-being of the animal. Any attempt to                                                                            (modification du fonctionnement de
evaluate welfare therefore must take into                    Les mots « sentient » et « sensible »                  l’organisme (sécrétion de cortisol ou
account the scientific evidence available                 ont tous deux une origine latine :                        modification de la fréquence cardiaque
concerning the feelings of animals that                   « sentient » = « capable of feeling », du                 par exemple) (Boissy et al., 2007a, b).
can be derived from their structure and                   latin sentientem ; le sens « conscious »
functions and also from their behaviour »                 (of something) [conscient (de quelque                        Le terme anglais « sentient », qui
(HMSO, 1965).                                             chose)] date de 1815 (Online Etymology                    n’est pas actuellement dans la langue
                                                          Dictionary). Le français « sensible » a été               française, est défini de façon diffé-
  L’expression « feelings of animals »                    emprunté au latin impérial sensibilis, au                 rente dans son acception commune
(ressenti des animaux) a été traduite                     sens passif « ce qui peut être ressenti »,                et dans le contexte du bien-être des
par « sensibilité des animaux », terme                    puis au sens actif « doué de sensibilité »,               animaux. Dans le langage commun, il
repris dans la loi française :                            dérivé de sensum / sentire (sentir) (TLF).                a un contenu très proche de celui du
                                                                                                                    terme français « sensible » ainsi que
  – « Tout animal étant un être sensible                    Le terme français « sensible » a                        défini ci-dessus, limité à la « percep-
doit être placé par son propriétaire dans                 deux dimensions (TLF, Dictionnaire                        tion »7, ou étendu au « feeling »8. Par
des conditions compatibles avec les                       Larousse) :                                               contre, les auteurs impliqués dans les
impératifs biologiques de son espèce. »                                                                             réflexions sur le bien-être des animaux
(Loi 76-629 du 10 juillet 1976 relative à                    – Une dimension strictement senso-                     tels Gary Francione (Rutgers University,
la protection de la nature, Chapitre II :                 rielle : qui peut éprouver des sensations,                USA)9 et Donald M. Broom (University of

6
  Plaisir : État affectif agréable, durable, que procure la satisfaction d’un besoin, d’un désir ou l’accomplissement d’une activité gratifiante (TLF, CNRS).
7
  « Definition of sentient: able to see or feel things through the senses » (Oxford learners UK).
8
  « Definition of sentient: 1: responsive to or conscious of sense impressions  2: aware 3: finely sensitive in perception or feeling » (Merriam Webster,
US) « 1. Having sense perception ; conscious. 2. Experiencing sensation or feeling. » (The American Heritage® Stedman’s Medical Dictionary).
9
  « A sentient being is a being who is subjectively aware ; a being who has interests ; that is, a being who prefers, desires, or wants. Those interests do not have to be
anything like human interests. If a being has some kind of mind that can experience frustration or satisfaction of whatever interests that being has, then the being is
sentient. » (Francione, 2012).

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
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