Dossier documentaire Les valeurs de la République, autrefois et ailleurs
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Dossier documentaire Les valeurs de la République, autrefois et ailleurs « La République en France, comme ailleurs, s’appuie sur des valeurs qui se sont construites, ont été débattues ; elle reste également toujours à construire et elle reste un débat. » Source : Le site des valeurs de la République du réseau Canopé. « Le site les valeurs de la République a pour objectif la transmission de valeurs républicaines telles que la liberté, l'égalité, la fraternité, la laïcité et l'absence de discrimination. Cet outil de référence regroupe de multiples ressources autant pour la culture humaniste que pour l'enseignement moral et civique. » Le dossier documentaire repose sur un prérequis : la connaissance des valeurs qui caractérisent aujourd’hui la République française. Il se compose de onze textes qui permettent d’apprécier dans le temps et dans l’espace les notions associées aux « valeurs de la République ». Le parcours historique proposé passe par une fête dans un quartier de Limoges en 1910, l’éducation en RDA de 1949 à 1990, l’expérience démocratique en Algérie de 1988 à 1992, l’abolition de la peine de mort en Afrique du Sud, la transmission du pouvoir en Corée du Nord, le bilan du multiculturalisme au Canada. Les autres textes sélectionnés traitent du sujet sous un angle plus contemporain : la République islamique d’Iran écartelée entre ses valeurs et sa jeunesse en 2014, l’alternance démocratique au Nigéria en 2015, l’introduction d’un nouveau billet de banque aux États- Unis et la crise politique au Brésil en 2016. L’ensemble du dossier permet de visiter des illustrations de l’application ou du non-respect des « valeurs républicaines » dans des pays de quatre continents. La longueur et la complexité des textes proposés font que le dossier s’adresse prioritairement à des lycéens. Les onze pays illustrés dans le dossier documentaire Auteur du dossier : Luc Fessemaz, Arts, Culture et Société du Canopé des académies de Bordeaux, Limoges et Poitiers. 1
Liste des textes du dossier documentaire « les valeurs de la République, autrefois et ailleurs » Texte n°1 - L' « Allégorie mimique » de 1910 : Vers l'avenir. Source : La fête des ponts. Limoges 1906-1914. Jean-Pierre Cavaillé, Institut d’Études Occitanes du Limousin, avril 2013, p.79-81. Texte n°2 - L’éducation en RDA ou la quête de l’homme socialiste nouveau (1949-1990) Source : Article d’Emmanuel Droit publié dans la revue Histoire de l’éducation n°101, 2004. Texte n°3 - La diffusion du constitutionnalisme en Afrique du Sud : une analyse à travers la décision de la Cour constitutionnelle du 6 juin 1995 portant inconstitutionnalité de la peine de mort Source : Fabrice Hourquebie, Revue Politeia n°7, printemps 2005. Texte n°4 - L’alternance démocratique au Nigeria Source : Site de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques). Tribune de Philippe Hugon, 1 avril 2015. Texte n°5 – Compte-rendu du livre de « Myriam Aït-Aoudia, L’expérience démocratique en Algérie (1988- 1992). Apprentissages politiques et changement de régime. » Paris, Les Presses de Sciences Po, 2015, 300 p. Source : Par Alain Messaoudi. Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2016, mis en ligne le 05 janvier 2016. Texte n°6 - L'Iran écartelé entre ses valeurs et sa jeunesse. Source : Site du Nouvel Observateur - Publié le 22 mai 2014. Texte n°7 - "Tous prisonniers du système", Zeng Jinyan militante chinoise. Source : Site du CCFD-Terre Solidaire. Publié le 31 mars 2016. Texte n°8 - La Corée du Nord, fascinante monarchie communiste Source : Site lesechos.fr, article de Benoît Georges, publié le 13/11/2014. Texte n°9 - Introduction au multiculturalisme au Canada, par Maria-Emma Castanheira Source : Site La géographie du Canada et de sa diversité culturelle, Université de Nice Sophia-Antipolis. Non daté. Texte n°10 - Une esclave libérée remplacera un président esclavagiste sur les billets américains de 20 dollars Source : Le Figaro.fr Par AFP, AP, Reuters Agences. Publié le 20/04/2016. Texte n°11 - La démocratie brésilienne à l'épreuve. Analyse de la crise politique de mars 2016. Source : Frédéric Louault. Site de SciencePo, Opalc (Observatoire Politique de l’Amérique latine et des Caraïbes) Extrait de l’article rédigé le 26 mars 2016. *** Valeurs de la République et programmes scolaires Le programme du nouvel Enseignement moral et civique donne la liste suivante des valeurs de la République : « Ces valeurs sont la liberté, l'égalité, la fraternité, la laïcité, la solidarité, l'esprit de justice, le respect et l'absence de toutes formes de discriminations. » L'enseignement moral et civique : principes et objectifs ► Dossier du site éduscol 2
Les valeurs de la République française Texte n°1 - L' « Allégorie mimique » de 1910 : Vers l'avenir Source : La fête des ponts. Limoges 1906-1914. Jean-Pierre Cavaillé, Institut d’Études Occitanes du Limousin, avril 2013, p.79-81. Photomontage de la fête de 1910 par Sauvadet. Carte postale. Fête du Pont St Etienne. 31 juillet et 1er août 1910. Texte sur l'image : Le Préfet Maritime du port du Naveix et son Etat-Major - un Mousse. Les Nymphes du Battoir attendent au Port leur Frères les Marins pour leur offrir des Fleurs. Archives Municipales de Limoges. Une place à part doit être réservée à la grande « allégorie mimique », conçue par Edmond Reibeineix, c'est-à- dire « Roitelet » en limousin (nous avons tout lieu de penser que ce nom d'un oiseau cher aux limousins est un pseudonyme), interprétée entre deux averses, le 31 juillet 1910. C'est en effet, apparemment, la seule réalisation de ce type présentée dans les fêtes de ces années-là. La représentation en musique (Fanfare de Limoges, des Enfants de Limoges, de l’Harmonie de Limoges, de la Muse Limousine, de l'Union musicale de la Brégère), en gestes (« mimique »), mais aussi manifestement en paroles, mêla des artistes professionnels, travaillant au casino de Limoges, à de nombreux ponticauds. Il s’agissait d'une exaltation plutôt consensuelle de la République et de ses valeurs (un « triomphe de la République »), associant des figures allégoriques à la population ponticaude. En voici le synopsis, tel qu'il fut publié dans la presse (Le Populaire et Le Réveil du centre, 31 juillet 1910) : « Au premier plan : groupe de personnages représentant les habitants du quartier dans leurs occupations habituelles. « Deuxième plan : À droite, un intérieur d'amis ponticauds d'il y a 30 ans ; un jeune enfant, après avoir préparé ses devoirs et leçons d'écolier, fait la lecture à ses parents illettrés. « Au milieu de ce plan, une jeune fille symbolise l'instruction, tenant à la main droite le flambeau du progrès ; la main gauche appuyée sur l'ancre de marine, symbole de l'espérance. Sur le même plan, à gauche, un groupe d'hommes et de femmes attendant un conférencier. « Le scénario commence à ce moment par le plan de gauche, entrée de l'instruction et de l'obscurantisme convoitant l'enfant. « 30 ans après : Le petit ponticaud, devenu homme, est en butte tour à tour aux diverses séductions de l'instruction et de l'obscurantisme ; finalement, cédant à l'instruction, il devient le partisan et défenseur des idées de justice et de progrès ; par des conférences, il propage et cherche à faire comprendre sa doctrine à ses compagnons. 3
« Il regarde d'un air inspiré son idéal, la vraie République tenant dans la main droite un rameau d'olivier, symbole de la Paix, sa main gauche appuyée sur l'épaule de l'industrie céramique limousine. « Sous le bras protecteur de la République, la Solidarité universelle protège l'enfance et secoure [sic] la vieillesse, pendant que les trompettes de la Renommée annoncent à l'univers le triomphe de la République faite de justice, de liberté et de fraternité ». La publication dans la presse du synopsis répond à une volonté didactique manifeste : il s'agissait de faire en sorte que les spectateurs comprennent bien le sens et les enjeux du spectacle. Ainsi, du reste était mis en œuvre l'idéal éducatif présenté dans la pièce. Dans son compte rendu, Le Populaire (6 août) parle surtout des artistes professionnels du casino : M. Natole « magnifique dans son rôle de lettré, de conférencier préconisant l'avènement d'une République toujours meilleure » ; mesdames Brunetty's « qui représentèrent l'une l'obscurantisme, voulant au cours d'une lutte effrénée, bâillonner l'instruction, et le progrès représenté par la deuxième, et qui triomphent » ; Mme Aldibert enfin « qui représentait l'image de la République rêvée » ; et ne fait qu'évoquer les autres rôles allégoriques : « la fédération, la mutualité secourant l'enfance, - protégeant la vieillesse, - la céramique, l'instruction, les deux trompettes de la renommée annonçant à l'univers la transformation désirée ». Néanmoins, admet, le journalisme, ce sont « nos braves lavandières dans leurs occupations habituelles », qui « ont contribué dans une très large mesure à la réussite » de cette représentation. Ainsi, ce spectacle, à côté des grandes allégories républicaines, avait-il l'insigne mérite de mettre en scène « un petit ponticaud » dans un intérieur ouvrier des années 1880 et avec lui, des blanchisseuses - celles-là mêmes dont on voit les pierres à laver sur les photographies de la fête et qui figurent sur d'innombrables cartes postales -, jouant leur propre rôle. Et manifestement, ce sont ces femmes qui ont emporté le plus grand suffrage du public. Nous ne connaissons aucune représentation visuelle de cet événement. Tout au plus peut-on noter l'introduction d'un accessoire du spectacle, l'ancre de marine de belle dimension, probablement en carton, qui symbolise l'espérance, au centre de la photographie du groupe des jeunes bouquetières la même année, qui a servi de base à la fameuse carte postale de Sauvadet (p. 75). Il devient ainsi un élément parmi d'autres de l'imagerie marine de cette représentation mi-parodique, mais de ce fait, la carte postale, dans cette relation avec l'allégorie mimique, assume une dimension sérieuse, elle-même allégorique. Le mousse sur les épaules duquel Goujaud* pose sa main pourrait d'ailleurs être ce jeune ponticaud que l'on voit dans la pièce faire la lecture à ses parents illettrés. Il symbolise, n'en doutons pas, l'avenir du peuple des Ponts, sous la conduite de sa grande figure charismatique, «l'amiral» du port du Naveix, et de son « état-major ». *Louis Goujaud : président de l’association Les Enfants de la Vienne qui organise la fête des Ponts, conseiller général socialiste, couleur de mouleur chez le porcelainier Haviland (au recensement de 1906). Voir la notice réduite du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international, qui se fonde sur les articles nécrologiques du Populaire des 16 et 18 février 1920. Questions sur le texte n°1 1) Quels sont les personnages et les symboles mobilisés dans la représentation de « l’Allégorie mimique » en 1910 ? 2) Montrez qu’avec cette représentation, « il s’agissait d'une exaltation plutôt consensuelle de la République et de ses valeurs. » 4
Les valeurs de la République démocratique allemande Texte n°2 - L’éducation en RDA ou la quête de l’homme socialiste nouveau (1949-1990) Source : Article d’Emmanuel Droit publié dans la revue Histoire de l’éducation n°101, 2004. Mots-clés : aspect politique de l’éducation, historiographie, mouvement de jeunesse, mouvement et courant pédagogique Géographie : Allemagne, RDA Chronologie : XXe siècle Extraits (introduction et résumé de l’article). Texte intégral disponible en ligne sur le site de la revue. Introduction de l’article La réunification du 3 octobre 1990 a marqué la fin de l’existence officielle de la République Démocratique d’Allemagne (RDA). Cet État est devenu un objet historique clos, exactement circonscrit dans le temps (1949- 1990), ce qui constitue un cas de figure extrêmement rare en histoire contemporaine. Il apparaît encore aujourd’hui à beaucoup, en Allemagne et en Europe de l’Ouest en général comme quelque chose d’« exotique ». Il reste en effet une terra incognita sur laquelle on projette un certain nombre de stéréotypes qui, sans être totalement inexacts, ne reflètent qu’une part de vérité de la réalité passée : un État de non-droit, un régime totalitaire où les gens étaient quotidiennement surveillés, un pays gris et triste, sans confort matériel. Mais on ne peut pas réduire l’histoire de la RDA à quarante années d’oppression et d’échecs économiques. Le travail de l’historien est de partir sur les traces de ce « pays perdu » dont l’étude n’est pas exclusivement réservée à des chercheurs allemands. À la différence de ce qui s’est passé pour le nazisme, les historiens français se sont intéressés très vite à la RDA. Ils n’ont pas les mêmes interrogations existentielles que leurs homologues d’outre-Rhin car ils sont dégagés des contraintes politiques extrêmement fortes qui pèsent sur ces derniers. Ce « regard extérieur », mû par une pure curiosité intellectuelle et qui s’accompagne d’une exigence d’intelligibilité, peut constituer une source d’enrichissements pour la recherche allemande. En outre, en y regardant de plus près, la RDA n’est pas un objet de recherche aussi « étrange » et « exotique » pour un Français. L’universitaire allemand Hartmut Kaelble a consacré un article à la possibilité d’une comparaison internationale de la société est-allemande. Il a montré que la France est souvent plus proche de la RDA que de la RFA et mis en lumière des points de convergence comme le centralisme étatique, l’existence d’un État social, le faible poids de la religion au sein des deux sociétés, le prestige d’organismes de recherche concentrés dans la capitale (le CNRS à Paris, l’Académie des sciences à Berlin-Est). Malgré le dynamisme de la recherche française qui ne se contente pas de traduire une historiographie allemande foisonnante, force est de constater que la réception de l’histoire de la RDA, et plus encore celle de son système éducatif, dans sa complexité et sa nouveauté, ne sont guère connues en France. (…). 5
Résumé de l’article L’histoire de l’éducation en RDA est en plein renouveau depuis la réunification et l’ouverture des archives. Cependant, elle souffre d’une absence quasi complète de réception en France. Cet article s’interroge sur les effets de l’idéologie et des pratiques éducatives sur la jeunesse de Berlin-Est. Il s’agit de mesurer l’écart entre le projet utopique de créer un homme socialiste nouveau et la réalité quotidienne du communisme afin de relativiser l’efficacité de cet « État éducateur ». Ainsi, malgré un encadrement assuré par l’école et les organisations de jeunesse, la jeunesse est restée dans sa grande majorité imperméable à l’entreprise de politisation du régime communiste. Tout en en intégrant un certain nombre de valeurs et de pratiques rituelles, elle a su se créer des espaces d’autonomie. Questions sur le texte n°2 1) Précisez les « stéréotypes » qui caractérisent la réalité passée de de la République Démocratique d’Allemagne (RDA) et montrez qu’ils sont en contradiction avec ses valeurs. 2) Discutez la proposition suivant laquelle « la France est souvent plus proche de la RDA que de la RFA ». 3) Quelle est la thèse de l’auteur sur l’éducation en RDA ? 6
Les valeurs de la République sud-africaine Texte n°3 - La diffusion du constitutionnalisme en Afrique du Sud : une analyse à travers la décision de la Cour constitutionnelle du 6 juin 1995 portant inconstitutionnalité de la peine de mort Source : Fabrice Hourquebie, Revue Politeia n°7, printemps 2005. Auteur : Professeur de droit public à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV. Ancien collaborateur auprès de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, Expert sur les questions de justice auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie. Extrait. Texte intégral disponible en ligne à l’adresse suivante http://www.droitconstitutionnel.org/congresmtp/textes7/HOURQUEBIE.pdf « La vérité, c’est que nous ne sommes pas encore libres ; nous avons seulement atteint la liberté d’être libres, le droit de ne pas être opprimés (…). Car être libres, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres ». Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Le Livre de Poche, 2003, pp. 755-756. Johannesburg. Sur les hauteurs de la ville, dans le quartier de Braamfontein, se trouve Constitution Hill, la colline de la Constitution. D’un côté, Old Fort, le fort construit par Paul Kruger en 1896, initialement pour protéger le pays de la menace des invasions britanniques et finalement transformé en prison pour blancs ; Nelson Mandela y fut pourtant détenu. De l’autre, Number Four, lieu effrayant dans lequel des milliers de noirs furent emprisonnés dans des conditions effroyables, sans le moindre soupçon de dignité humaine ; Mahatma Gandhi ou Robert Sobukwe y furent des hôtes tristement célèbres. Entre les deux, dominée par Constitution Square, la Cour constitutionnelle. Bien qu’installée depuis 1994, c’est en février 2004 qu’elle a pris possession de ses nouveaux locaux et a officiellement recommencé à travailler le 21 mars, jour du Human Rights Day. Conçu pour être ouvert, accessible à tous et transparent, le bâtiment est construit autour des restes du grand escalier de l’ancienne zone d’attente de la prison. Le hall principal de la Cour est un espace plein de lumière, soutenu par plusieurs colonnes inclinées, qui se veulent être une métaphore architecturale des arbres à palabres sous lesquels, traditionnellement, les villageois africains se rassemblent pour discuter des questions les plus importantes. Constitution Hill est bien le lieu où l’histoire et le futur se rejoignent ; où les vestiges du régime d’apartheid, fondé sur le principe d’exclusion de la majorité du peuple sud-africain, côtoient au plus près les aspirations démocratiques, qui reposent sur un nouvel ordre constitutionnel qui promouvant l’égalité des droits de chacun et garantissant les droits de l’Homme. Ainsi donc dénommée en raison de la charge symbolique du lieu, Constitution Hill est aujourd’hui le cœur démocratique et constitutionnel de toute la Nation sud-africaine et incarne, de ce fait, l’attachement de la nouvelle société aux valeurs universelles de l’Etat de droit. Concrètement, le processus de transition démocratique et politique a connu au moins quatre grands temps forts institutionnels. C’est d’abord en 1990 que la décision a été prise de lever les interdictions qui pesaient sur différentes organisations politiques, de libérer Mandela et d’entamer un dialogue en vue de reconstruire les institutions sur de nouvelles bases ; au premier rang de celles-ci l’égalité juridique, c'est-à-dire le droit à la participation politique pour tous les individus du pays. Le résultat de cette démarche fut l’adoption 7
de la Constitution intérimaire, le 22 décembre 1993. Bien que de transition et donc, par nature, de durée limitée, cette Constitution devait être le levier de l’instauration progressive d’un régime démocratique. Pour ce faire, elle imposait un certain nombre de règles constitutionnelles auxquelles l’Assemblée constituante, élue dans un futur proche, devrait se conformer. Les premières élections législatives se déroulèrent alors du 26 au 28 avril 1994, mettant définitivement fin au régime de l’apartheid et permettant de former l’Assemblée constituante (Assemblée nationale et Sénat réunis), chargée de préparer le nouveau texte destiné à devenir la Constitution définitive. Conformément aux attentes de 1990, le processus constituant a permis d’associer l’ensemble de la population dans un grand débat public, afin que chacun puisse donner son opinion à chaque phase d’élaboration du texte ; parallèlement, des commissions thématiques chargées de rédiger des avant- projets transmettaient leurs propositions au Comité constitutionnel. Ce premier exercice de démocratie réelle et de terrain s’est conclu par l’adoption du projet définitif, par l’Assemblée constituante, à une majorité des deux-tiers, le 8 mai 1996. La culture du débat politique et de la constitutionnalité se sont donc progressivement mais rapidement imposés. Progressivement, puisque c’est au terme de l’évolution par étapes, précédemment décrite, que l’Afrique du Sud est passée d’une souveraineté de la loi à une souveraineté de la Constitution. Rapidement, puisqu’il n’a pas fallu attendre la Constitution définitive pour que les exigences occidentales du constitutionnalisme soient consacrées et irriguent les comportements des pouvoirs publics. En effet, c’est dans la décision du 6 juin 1995, State v. Makwanyane, sur l’inconstitutionnalité de la peine de mort, que la Cour a jeté les bases d’une diffusion des valeurs du constitutionnalisme dans le droit sud-africain. Ce que souligne la juge Mokgoro dans son opinion séparée : « Maintenant que le constitutionnalisme est devenu une valeur centrale pour la jurisprudence naissante de l’Afrique du Sud, l’interprétation des lois sera radicalement différente de ce qu’elle avait l’habitude d’être dans l’ordre juridique passé ». Car, rappelle le juge Sachs, « le constitutionnalisme [en Afrique du Sud] arrive simultanément avec la réalisation de l’égalité et de la liberté, de l’ouverture d’esprit, du compromis et de la tolérance. Quand on examine le passé, les rédacteurs de [la] Constitution ont non seulement rejeté les lois et les usages qui imposaient la domination et isolaient les individus, mais aussi ceux qui empêchaient les discours libres et les discussions raisonnables, ceux qui brutalisaient les individus et ceux qui diminuaient [le] respect pour la vie ». En effet, conformément aux raisons qui ont présidé à la vague constitutionnaliste en Europe après la seconde guerre mondiale, l’Afrique du Sud se situe bien dans la perspective d’une rupture ferme avec un passé totalitaire, c'est-à-dire avec un régime de privations dans lequel les crimes et les atteintes à la dignité humaine étaient institutionnalisés au nom d’une idéologie de la race. Ce qui, en réaction et avec la volonté des acteurs qui y souscrivent par consensus systémique, ne peut que permettre l’importation du modèle constitutionnaliste occidental, sorte de « package » de valeurs pluralistes et d’exigences démocratiques grâce auxquelles les déficits juridiques, libéraux et démocratiques de l’Afrique du Sud seront compensés ; de sorte que la transition politique ne pourra qu’aboutir et l’Etat de droit se construire. En général, la Constitution d’un Etat est établie sur la base du postulat très constitutionnaliste selon lequel la démocratie interne ne peut s’obtenir que par le droit constitutionnel. Du coup, les rédacteurs ont souvent préféré des Constitutions « bien pleines » aux Constitutions « bien faites », c'est-à-dire canalisant dans la bonne direction les rapports de force et les valeurs locales. Cela s’est presque systématiquement traduit par l’ajout de pans entiers nouveaux dans la Constitution qui, de synonyme de la puissance de l’Etat, devient instrument de limitation de cette puissance par la soumission de l’Etat au droit et par le respect des exigences du libéralisme, du droit international et du principe de constitutionnalité. C’est bien dans cette logique que s’inscrit la Constitution intérimaire de 1993, avant que la Constitution définitive de 1996 ne lui emboîte le pas en devenant, certainement, une des Constitutions les plus progressiste du monde à ce jour. Avec ses quinze chapitres, deux cent cinquante et une sections et sept annexes, le texte de 1993 se caractérise par la diversité et la contrariété des objectifs qu’il vise : définir les modalités d’élaboration de la future Constitution tout en obligeant l’Assemblée constituante à respecter trente quatre principes intangibles pour l’élaboration de la Constitution de 1996 , protéger efficacement les droits fondamentaux sans remettre entièrement à plat l’ancien système juridictionnel , préserver l’unité nationale au-delà de la période 8
intérimaire tout en déterminant une forme d’organisation de l’Etat qui permette de concilier les aspirations identitaires avec les velléités centralisatrices …. Dans ce contexte, rien d’étonnant alors à ce que la décision de la Cour du 6 juin 1995, State v. Makwanyane, deuxième affaire portée à l’examen du juge dans les faits mais première véritable « grande décision », fut l’occasion pour la Cour constitutionnelle de « donner le ton du contrôle qu’elle entendait exercer » et préciser l’esprit dans lequel elle allait travailler. Le test devait être d’autant plus probant que la solution qui allait être rendue le serait contre l’opinion publique, plutôt favorable à la peine de mort. La décision, longue de deux cent quarante-quatre pages, déclare donc que la section 277(1) (a) du Criminal Procedure Act de 1977, prévoyant la peine de mort, est contraire à la Constitution, la peine capitale pouvant seulement trouver à s’appliquer si une personne est convaincue de trahison lorsque l’Afrique du Sud est en guerre. Ecrite par le Président de la Cour, Arthur Chaskalson, elle fut rendue à l’unanimité des onze membres, les opinions séparées des dix autres juges révélant la diversité des motivations ou des raisonnements selon les sensibilités. La décision principale montre comment la section 11(2) de la Constitution intérimaire qui interdit les traitements cruels, inhumains ou dégradants exclut la possibilité du recours à la peine capitale. En conséquence de quoi, la Cour rejette l’argument selon lequel la peine de mort pourrait être admise, dans certains cas, au regard de la clause de limitation des droits constitutionnels (section 33(1)), la contradiction de la peine de mort avec les prescriptions de la section 11(2) se suffisant à elle-même. La nature des droits en jeu dans cette affaire, le caractère éminemment politique de la question et le début d’une ère constitutionnelle de rupture avec l’ancien régime devaient inciter la Cour à la fois à la prudence et au courage. Pour prévenir toute accusation de subjectivité ou d’outrepassement de ses pouvoirs, la Cour devait s’en tenir à l’application de toute la Constitution, mais rien que de la Constitution : « The question before us, however, is not what the majority of south africans believe a proper sentence for murder should be. It is wheter the Constitution allows the sentence ». Ainsi, au fil de son raisonnement, la Cour a montré comment les valeurs du constitutionalisme trouvent à s’appliquer dans la nouvelle société sud-africaine, à travers la consolidation des bases de l’Etat de droit (I) ou la consécration d’une approche substantielle dans l’interprétation des droits fondamentaux (II) ; tout cela bénéficiant à la Cour elle-même, qui a vu son autorité assise et sa légitimité renforcée (III). (…) Les notes du texte ne sont pas reproduites. Questions sur le texte n°3 1) Commentez la citation de Nelson Mandela. 2) Montrez que Constitution hill est le lieu symbolique de la Nation sud-africaine. 3) Quels sont les « temps forts institutionnels » du processus de transition démocratique et politique de la République sud-africaine ? 4) Montrez que la décision de la Cour constitutionnelle du 6 juin 1995 portant inconstitutionnalité de la peine de mort constitue une étape juridique fondamentale. 9
Les valeurs de la République fédérale du Nigéria Texte n°4 - L’alternance démocratique au Nigeria Source : Site de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques). Tribune de Philippe Hugon, 1 avril 2015. L’IRIS, association créée en 1991 reconnue d’utilité publique, est un think tank français travaillant sur les thématiques géopolitiques et stratégiques, le seul de dimension internationale à avoir été créé sur une initiative totalement privée, dans une démarche indépendante. La Commission électorale indépendante a annoncé le 1er avril la victoire de Muhammadu Buhari contre son adversaire Goodluck Jonathan avec 53,9% des voix soit plus de 2,5 millions de voix d’avance et une victoire dans vingt-et-un États fédérés sur trente-six. Le Nigeria, État fédéral, a élu à la fois le président et les représentants de la Chambre basse et du Sénat. Les gouverneurs des trente-six États et les élus des parlements locaux seront élus le 11 avril. Le Nigeria montre qu’un président peut organiser des élections et les perdre. Cette victoire est celle de la démocratie. Elle est la première alternance démocratique du Nigeria après une succession de régimes militaires et civils jusqu’en 1999 et la domination du Parti démocratique populaire (PDP) depuis la mise en place d’une constitution instaurant un régime présidentiel proche de celui des États-Unis. Il fallait organiser, dans un climat d’insécurité et un scrutin sous tension, le vote de cinquante-six millions d’électeurs sur soixante-neuf millions d’inscrits dans 153 000 bureaux de vote avec entre 1 et 1,5 millions de déplacés. La Commission électorale a montré son indépendance. La victoire a été rendue possible par la coalition de l’opposition au sein de l’All Progress Congress (APC) à la suite des primaires de 2014 et notamment du ralliement de l’ancien président Olusegun Obasanjo. Le vote électronique et biométrique a certes connu certains ratés techniques, mais il a évité globalement les fraudes massives qui avaient entachées les élections de 2011. Boko Haram a sévi dans des États du Nord - la secte avait conduit à la décision de la Commission électorale de reporter de six semaines la tenue des élections - mais il a échoué à les empêcher et à instaurer une terreur conduisant à une forte abstention au Nord. Le vote reflète, certes, en partie un clivage Nord/Sud mais la capitale économique Lagos a voté majoritairement pour le président Buhari originaire du Nord. Globalement, seul le Delta du Niger, lieu de production du pétrole, a massivement voté pour Goodluck Jonathan. Le vote a été largement transethnique et transreligieux. Les raisons de la victoire de Muhammadu Buhari tiennent également à sa personnalité. Ancien putschiste militaire en 1983 ayant instauré un régime très autoritaire voire dictatorial, il apparait aux yeux des électeurs, notamment des jeunes générations, comme un homme fort qui a su lutter contre la corruption et les narco- trafiquants, qui a une légitimité au Nord pour lutter contre Boko Haram, et qui semble capable de réduire les fractures territoriales et sociales qui se sont fortement accentuées durant la présidence de Goodluck Jonathan. Le septuagénaire, Muhammadu Buhari, a changé et devra, de toute façon, tenir compte de la pression interne et extérieure interdisant des dérives dictatoriales. Le vote signifie aussi le rejet du PDP et de son président. Les Nigérians ont majoritairement désavoué Goodluck Jonathan pour plusieurs raisons. Il est apparu comme un homme faible, se désintéressant du Nord et incapable, sauf très récemment, de s’attaquer à Boko Haram. Il a laissé se développer une corruption et des inégalités sociales et territoriales qui ont explosé. Le Nord a été largement délaissé sur le plan du développement économique avec notamment la montée du chômage des jeunes. Alors que le Nigeria est devenu la première puissance économique d’Afrique, plus de 70% de sa population se trouve en deçà du seuil de pauvreté (moins de deux dollars US par jour). L’armée nigériane très corrompue a été peu efficace pour 10
lutter contre Boko Haram et a, par sa politique très répressive, plutôt renforcé cette secte devenue un groupe terroriste. La nécessité de faire appel à des armées des pays voisins pour progresser dans la lutte contre Boko Haram a été perçue comme une humiliation pour un pays très soucieux de sa souveraineté nationale. Qu’en sera-t-il dans les jours prochains ? Même si Goodluck Jonathan a reconnu avec dignité sa défaite et si un accord de paix avait été signé entre les deux protagonistes à la veille des élections, une crise post-électorale est toujours possible. En 2011, il y avait eu près de 1000 morts suite à des violences post-électorales. Des milices sont armées. Certains barons refusent cette défaite au sein du PDP. Le Delta du Niger, où sévit le Mouvement d’Emancipation du Delta du Niger (MEND) et où sont concentrées les exploitations pétrolières, peut refuser de perdre le contrôle d’une partie de la rente pétrolière. Le nouveau président du Nigeria, « géant aux pieds d’argile » est le chef d’une coalition et doit composer avec doigté la composition de son gouvernement pour faire face à de très nombreux défis. La lutte contre la corruption risque de remettre en cause des positions de certains responsables économiques et politiques. Le Nigeria a vu baisser de moitié le prix du pétrole et voit le « national cake » se réduire alors qu’il s’agit de mieux le répartir entre l’État fédéral, les États fédérés et les collectivités territoriales, et d’en réaffecter une partie vers le Nord. Une croissance économique plus inclusive et génératrice de réduction des inégalités ne peut être mise en place que dans le moyen et long terme. Le Nigeria, première puissance économique et démographique de l’Afrique, malgré cette leçon de démocratie, reste un géant aux pieds d’argile et le nouveau pouvoir devra réaliser des travaux d’Hercule pour répondre aux aspirations de sa population. Questions sur le texte n°4 1) Justifiez la phrase du texte : « Cette victoire est celle de la démocratie. » 2) À quels défis est confronté le Nigéria, « géant aux pieds d’argile » ? 11
Les valeurs de la République algérienne démocratique et populaire Texte n°5 – Compte-rendu du livre de « Myriam Aït-Aoudia, L’expérience démocratique en Algérie (1988- 1992). Apprentissages politiques et changement de régime. » Paris, Les Presses de Sciences Po, 2015, 300 p. Source : Par Alain Messaoudi. Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2016, mis en ligne le 05 janvier 2016. URL : http://lectures.revues.org/19762 Biographie de l'auteur. Myriam Aït-Aoudia est maître de conférences en science politique à Sciences Po Bordeaux et chercheure au Centre Emile-Durkheim. Elle a codirigé, avec Antoine Roger, l'ouvrage La Logique du désordre (Presses de Sciences Po, 2015) et enseigné dans plusieurs universités. Elle est l'auteure de nombreux articles scientifiques sur les partis politiques, l'islamisme et les transitions démocratiques. Ce livre au plan solidement charpenté intéressera ceux qui veulent mieux comprendre l’histoire récente de l’Algérie aussi bien que ceux qui s’interrogent sur les modalités des transitions démocratiques. Découpé en trois parties chronologiques, avec une introduction méthodologique et un appareil de notes qui rappelle qu’il est le fruit d’une thèse1, l’ouvrage aborde à l’aune de la science politique une période de l’histoire de l’Algérie rarement considérée en soi, à la veille d’une guerre civile aux violences extrêmes qui attire généralement davantage l’attention. Avec la distance critique nécessaire, et en s’appuyant sur des sources nombreuses et variées (presse, archives, entretiens avec des fonctionnaires de l’État et des représentants des principaux partis...), Myriam Aït-Aoudia reconstitue des configurations mobiles qu’elle inscrit dans leurs temporalités, en cherchant à prendre en considération l’ensemble des acteurs du jeu politique – au sens des élites en situation d’agir (pouvoir exécutif, élus et responsables des partis, officiers de l’armée, juristes, journalistes, responsables associatifs ou syndicaux...)2. La première partie (« Genèse du pluralisme partisan ») est consacrée aux dix mois qui se sont écoulés entre les émeutes qui ont éclaté en octobre 1988 à Alger et l’agrément en septembre 1989 de nouveaux partis politiques – principalement le Front islamique du Salut (FIS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Elle analyse la façon dont la dénonciation des violences dans la répression des émeutes a pris un tour politique, via les collectifs de soutien (intellectuels laïques ou islamistes, professions libérales, journalistes), en permettant de faire valoir des revendications anciennes, et comment cette dénonciation s’est transformée en contestation du régime en place (chap. 1). Les réformes institutionnelles qui ont suivi, du fait 12
du président de la République (Chadli Bendjedid, candidat à une réélection en décembre 1988, y voyait l’occasion de réaffirmer sa légitimité) et de hauts fonctionnaires en marge du Front de libération national (comme Mouloud Hamrouche qui œuvrait depuis 1987 en faveur d’une libéralisation de l’économie et accède à la direction du gouvernement) avalisent finalement cette lecture politique des émeutes (chap. 2). La nouvelle constitution, approuvée par référendum en février 1989, met en cause la suprématie de la Charte nationale de 1976 (la référence au socialisme est notamment abandonnée), le statut de parti unique du FLN et le rôle politique et social accordé à l’armée. Elle n’instaure pas pour autant un pluripartisme qui ne s’impose que progressivement. L’auteur rappelle qu’il n’a été rendu possible que par la différenciation du militaire et du politique consécutive à la professionnalisation de l’armée depuis 1984, et souligne le rôle actif des islamistes en 1989-1990, qui ont vu dans le pluripartisme une occasion de s’affirmer comme force politique. C’est ainsi que s’impose une définition du pluralisme qui ne signifie pas seulement une possibilité d’exprimer différentes sensibilités à l’intérieur du FLN, mais aussi celle de fonder des organisations partisanes susceptibles de lui faire concurrence (chap. 3 et 4). La deuxième partie analyse la « Construction électorale du pluralisme partisan » jusqu’à la fixation en mars 1990 de la date des élections locales (qui auront lieu en juin), en accordant une attention particulière aux mutations du FLN et à la constitution du FIS. C’est au cours de cette période souvent négligée que se joue « l’entrée de la démocratie », avant que le résultat des premières élections ne permette de mesurer l’équilibre des forces. Le pouvoir exécutif met à disposition des nouveaux partis des locaux et leur octroie des aides financières : ils peuvent ainsi avoir des permanences, organiser des congrès et publier des brochures, ce qui contribue à la constitution d’un pluralisme politique auquel participe aussi le développement d’une presse privée. L’auteur analyse en particulier les conditions dans lesquelles le FLN est contraint, par l’action conjointe du pouvoir exécutif, du nouveau Conseil constitutionnel et des porte-parole des nouveaux partis, de renoncer à un statut privilégié et de se réformer, ce qui ne va pas sans inquiéter ses militants (chap. 5). Elle étudie aussi la façon dont les dirigeants du FIS, qui perçoivent l’action politique comme un prolongement de l’engagement religieux, parviennent à inscrire leurs savoir-faire en matière d’œuvres charitables dans un cadre partisan, non sans bricolages et tensions entre les initiatives de la base et les exigences de la nouvelle structure hiérarchisée du parti (chap. 6). La troisième partie permet enfin de comprendre comment, entre la préparation des élections locales du printemps 1990 et l’interruption des législatives en janvier 1992, la confiance nécessaire au jeu entre les concurrents politiques s’est dégradée. Après le rappel fait aux nombreuses municipalités conquises par le FIS d’une obligation de se conformer à la loi étatique (par exemple en matière de mixité scolaire), une législation interdisant l’usage des mosquées comme outil de propagande politique, et un redécoupage électoral favorable au FLN imposé en avril 1991, on assiste en juin 1991 à une épreuve de force qu’incarnent l’occupation de quatre places d’Alger par les militants du FIS et l’appel de leurs deux principaux dirigeants à la désobéissance civile. A lieu alors une première rupture : Abbassi Madani et Ali Belhadj sont incarcérés, les élections reportées à décembre, Hamrouche est remplacé à la tête du gouvernement. Le succès électoral du FIS au premier tour des législatives ouvre un débat entre les différents acteurs politiques où l’emportent ceux qui jugent que le risque est trop fort que le FIS veuille faire de son succès une victoire définitive : voyant leur existence menacée, ils jugent nécessaire d’interrompre le processus démocratique. Attentive aux dynamiques des situations, cette sociologie politique d’un processus de démocratisation permet de saisir les enjeux d’une séquence historique essentielle. Myriam Aït Aoudia souligne la diversité des élites qui participent à la légitimation des acteurs de la représentation politique dans une compétition conflictuelle. Elle prend soin d’éviter les tentations de la téléologie pour observer comment se définissent, à la suite de la constitution de nouveaux partis, des règles de jeu inédites. Se révèlent ainsi des configurations changeantes : à celles où les acteurs font confiance à la pérennité des règles qu’ils élaborent en jouant les uns par rapport aux autres – ainsi lors des élections locales de juin 1990 – succèdent d’autres qui se caractérisent par un délitement de cette confiance – ainsi à la fin de l’année 1991, lorsque la plupart des acteurs ne considèrent plus le Front 13
islamique du salut (FIS) comme un partenaire, mais comme une menace pour la pérennité des règles du jeu, et donc comme un ennemi à exclure. En se concentrant sur les transformations des dispositifs à l’échelle du monde politique algérien, l’étude fait relativement peu de place aux particularités d’une conjoncture internationale qui a pu interférer sur l’établissement d’un climat de confiance ou sa dégradation. S’il a pu être interprété comme une occasion historique de développer un modèle islamique original, l’effondrement du modèle socialiste symbolisé par l’URSS et un temps adopté par l’Algérie n’a-t-il pas convaincu certains de l’inéluctabilité d’un processus de libéralisation et de démocratisation, facilitant la genèse du pluralisme partisan ? Est-ce par réaction à une trop fréquente surestimation du rôle des acteurs étrangers (France, États-Unis) ou internationaux (FMI, Banque mondiale) dans les destinées de l’Algérie ? L’ouvrage ne nous dit rien de leurs modes d’inscription dans les configurations que produisent les interactions entre agents de la scène politique nationale, comme s’ils restaient extérieurs aux dynamiques politiques qu’il révèle. Cela étant, on se prend à imaginer qu’une analyse de la situation actuelle du pays, avec la méthode et la finesse d’observation mise en œuvre dans ce travail, pourrait amener à nuancer le tableau d’un pays qu’on présente généralement comme frappé d’immobilité, à l’aune des bouleversements politiques qu’a connu le monde arabe depuis 2011, pris dans un « gel institutionnel, économique, social et politique3 ». Notes 1 « L'apprentissage de la compétition pluripartisane en Algérie (1988-1992) : sociologie d'un changement de régime », thèse de science politique soutenue en 2008 à l’université Paris 1 sous la direction de Bastien François. 2 L’approche est donc fort différente de celle de Luis Martinez, dont l’analyse des logiques qui ont conduit à la guerre civile, nourrie d’observations de terrain dans des banlieues d’Alger ayant majoritairement voté pour le FIS, reste encore aujourd’hui tout à fait éclairante (La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998). 3 Éditorial du dossier « L’Algérie, nouvelle force régionale ? » publié par la revue Politique étrangère, 3e trimestre 2015, p. 5. Questions sur le texte n°5 1) Quelles sont les étapes de la mise en place du « pluralisme partisan » en Algérie analysées dans ce livre ? 2) Comment ce livre explique-t-il l’interruption du processus démocratique en Algérie ? 3) Quelle limite d’analyse et inversement quelle perspective d’analyse sur l’Algérie peuvent être retenues de ce livre ? 14
Les valeurs de la République islamique d’Iran Texte n°6 - L'Iran écartelé entre ses valeurs et sa jeunesse. Source : Site du Nouvel Observateur - Publié le 22 mai 2014. Le président iranien Hassan Rohani à Shanghaï le 22 mai 2014 ((c) Afp) Téhéran (AFP) - L'arrestation de jeunes Iraniens dansant sur le tube de Pharrel Williams sur Internet illustre la contradiction entre un régime soucieux de se protéger contre la "guerre culturelle" qu'il accuse l'Occident de lui livrer, et une partie de sa jeunesse fascinée par l'Ouest. Le phénomène "Happy", du chanteur pop américain Pharrell Williams a atteint l'Iran en avril quand un groupe de trois hommes et trois femmes a posté sa version sur Youtube, comme de nombreux autres internautes dans le monde. On les voit danser ensemble dans un appartement, dans la rue et sur plusieurs toits de Téhéran. Les jeunes filles ne portent pas le voile, obligatoire pour toutes les femmes en République islamique. La vidéo (http://www.youtube.com/watch?v=RYnLRf-SNxY) était "une raison d'être heureux", précisaient les auteurs à la fin du clip. Mais elle a provoqué la colère des milieux conservateurs, estimant que les Iraniens, notamment les jeunes, délaissent les valeurs islamiques pour se tourner vers un mode de vie plus occidental. La police de Téhéran a retrouvé le groupe et a annoncé leur arrestation mardi pour avoir "heurté la chasteté du public". Sur les réseaux sociaux, de nombreux Iraniens se sont dit choqués et certains observateurs se demandaient si "être heureux en Iran est un crime". Sur Facebook et sur Twitter, le chanteur Pharrel Williams estimait qu'il "est plus que triste que ces enfants soient arrêtés pour avoir essayé de répandre la joie". Les six jeunes ont depuis été libérés sous caution. La photographe de mode Reihane Taravati, qui faisait partie du groupe, a annoncé sa libération mercredi soir. La question des libertés publiques et des droits des femmes est revenue au centre des débats depuis l'élection en juin 2013 d'Hassan Rohani, alors que l'Internet est filtré par les autorités qui bloquent la plupart des accès aux réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter. L'Iran est pourtant l'un des pays du Moyen-Orient les plus connectés avec plus de 30 millions d'utilisateurs d'internet. Et plus de 55% de la population - 77 millions d'habitants - a moins de 30 ans. 15
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