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Cahier scientifique du Parc N°1 avril 2019 Conseil Scientifique DU PARC NATUREL RÉGIONAL DU GOLFE DU MORBIHAN www.parc-golfe-morbihan.bzh
Édito E n tant que président du Conseil Scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan, je suis heureux de vous présenter ce premier numéro des Cahiers scientifiques du Parc. Territoire d’exception, le Golfe du Morbihan fait l’objet de nombreux travaux de recherche : les Cahiers scientifiques visent à les faire connaître à un public intéressé, averti ou non, en particuliers les habitants qui souhaitent contribuer à des actions au service de l’environnement et d’un développement local harmonieux. Chaque numéro sera constitué de notes élaborées par des membres du Conseil scientifiques et publiées « au fil de l’eau » sur le site web du Parc. Deux types de notes vous seront proposées : des notes présentant une recherche, depuis sa problématique jusqu’à ses résultats en passant par les méthodologies d’analyse, puis des notes portant sur des concepts et l’état des savoirs dans un domaine donné, intitulées « le point sur… ». Le Conseil scientifique aura bientôt trois ans d’existence. Il rassemble des chercheurs de disciplines variées, qui ont choisi de s’investir dans la vie du Parc et de jouer le jeu du dialogue entre disciplines autour de questions très concrètes. Récemment par exemple, le Conseil a été saisi pour donner un avis et des recommandations sur les études préalables et la conduite du pré-projet d’installation d’hydroliennes dans le golfe du Morbihan : ce sont autant des compétences relatives aux fonds marins, au comportement de la faune sous-marine, à la courantologie qu’en matière de conduite de la concertation qui ont été mobilisées. Ce qui fait la richesse d’un tel conseil, c’est le croisement des regards, à partir Cahier scientifique du Parc naturel régional d’expertises très spécifiques mais très complémentaires. Les Cahiers scientifiques seront le du Golfe du Morbihan reflet de cette richesse, avec des notes élaborées à partir de points de vue disciplinaires très N°1, printemps 2019 8, boulevard des Îles CS 50213 divers, comme le sont les cinq notes réunies dans ce numéro. La France compte aujourd’hui 53 Parcs 56 006 VANNES cedex Site internet Le Conseil peut être sollicité pour rendre des avis et recommandations, mais il est parfois naturels régionaux, dont la création date de mobilisé pour des travaux plus ordinaires : appuyer l’équipe dans des choix de projection www.parc-golfe-morbihan.bzh Courriel dans l’avenir, aider à la conception d’outils de suivi, d’évaluation et de pilotage de l’action 1967. Le Parc du Golfe du Morbihan a été le contact@golfe-morbihan.bzh Directeur de publication du Parc dans un domaine précis, apporter des points de vue de chercheurs sur des questions complexes, etc.. Mais ce Conseil ne doit pas rester à l’écart des élus, habitants, associations, 50e lors de sa création le 2 octobre 2014. David LAPPARTIENT acteurs économiques qui font ce qu’est le Parc aujourd’hui. Les Cahiers scientifiques sont Rédaction les auteurs.trices. des notes un lien, une passerelle. Notre souhait est que les travaux présentés soient des supports de Il compte aujourd’hui 33 communes classées. C’est une • un Conseil des associations composé de 39 membres Photographies et illustrations rapprochement, de dialogue et finalement de coopération. Couverture : Arnaud Späni collectivité territoriale composée des communes, ses répartis en 4 collèges : culture et patrimoine, éduca- Banque d’images : Bonne lecture. EPCI, le Département du Morbihan et la Région Bre- tion, environnement, sport et loisirs de plein air et nau- PNRGM et auteurs.trices des notes tagne. Sa Charte détermine les objectifs du territoire pour tisme. Ce Conseil, relais du Parc auprès de l’ensemble P14 : Arnaud Späni une période de15 ans. des associations de son territoire, est force de proposi- Conception et réalisation Pour le Conseil scientifique, tion, voire conduit lui-même des actions. Benjamin DÉAL Jean-Eudes BEURET La 1ère Charte fixe les objectifs suivants : www.benjamindeal.fr • un Conseil des jeunes, formé de lycéens. Il devrait être Impression • Protéger et reconquérir la biodiversité Cloître créé à la rentrée scolaire 2019-2020 et permettra de Imprim’Vert - imprimé sur • Préserver la qualité de l‘eau porter la voix des jeunes du territoire. papier PEFC Sommaire Tirage : 400 exemplaires • Valoriser le Patrimoine culturel Parution : annuelle • Œuvrer pour la qualité des paysages • Un Conseil scientifique composé d’universitaires et ISSN : en cours • S’adapter au changement climatique chercheurs dont les laboratoires de recherche se • Valoriser des actions touristiques et économiques situent en très grande majorité en Bretagne. éco-responsables grâce à la marque Note 1 p.2 Note 3 p.25 Note 5 p.43 « Valeurs Parc naturel régional » L’emblème du Parc est l’hippocampe. Devenu de plus en plus difficile à observer, il symbolise aujourd’hui l’impé- Le point sur... Concertation, Biodiversité Usages • Encourager une agriculture durable rieuse nécessité de préserver notre cadre de vie d’excep- négociation, médiation… Les éponges du golfe du Mieux connaître la • Veiller à la qualité de vie en matière d’urbanisme tion. De quoi parlons-nous ? Morbihan, témoins du fréquentation nautique de • Développer la pédagogie et la sensibilisation Bon État Écologique. loisir : Pourquoi, comment Les actions menées par le Parc montre que le territoire et enjeux actuels ? à travers l’École du Parc. n’est pas une zone sous cloche, c’est un espace de Note 2 p.15 Note 4 p.33 concertation et d’expérimentation. Sa force réside dans Des concertations et Le Parc est dirigé par des élus et David Lappartient, Herbiers de zostères sa capacité à coopérer, à faire coopérer, à convaincre plu- médiations pour concilier les Préserver l’écosystème maire de Sarzeau, en est le Président. Il est animé par une équipe d’une vingtaine d’agents et peut s’appuyer sur 3 tôt qu’à contraindre. usages du golfe du Morbihan : et ses bénéfices pour réalités, enjeux et bénéfices. les Hommes. instances consultatives : 1
Note n°1 Conseil Scientifique DU PARC NATUREL RÉGIONAL DU GOLFE DU MORBIHAN N O TE NUM É R O 1 Le point sur... Concertation, négociation, médiation… De quoi parlons-nous ? Introduction La concertation serait-elle un discours publics. Ceux-ci mettent en (elle est par exemple obligatoire remède à tous les désordres liés avant la concertation pour qualifier pour élaborer les plans locaux à des divergences d’intérêts, de des choses qui relèvent en réalité d’urbanisme), elle est rarement visions des choses, de souhaits souvent de la communication, définie. D’où l’importance de définir pour le futur ? Certainement pas, d’opérations d’information ou les choses, de dire ce que l’on fait… mais on serait tenté de le croire encore de consultation. Et lorsque puis de faire ce que l’on dit. tant elle revient souvent dans les la concertation figure dans la loi Auteur Jean-Eudes Beuret est professeur en économie à Agrocampus- Ouest. Spécialiste de la concertation pour la gestion des Le point sur... territoires, des ressources et de l’environnement, Il a publié plusieurs ouvrages sur la conduite de la concertation, à partir de l’étude de conflits et concertations autour d’enjeux tels que le partage ou la qualité de l’eau, les aménagements liés aux grands Concertation, négociation, médiation… Jean-Eudes Beuret, ports maritimes ou aux énergies renouvelables, les aires marines protégées. Il a suivi la création du PNR du Golfe du Morbihan De quoi parlons-nous ? avec la contribution de Monique Cassé et Ronan Pasco et est aujourd’hui président de son Conseil Scientifique. www.parc-golfe-morbihan.bzh Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°1 / Juin 2018 2
tant d’éléments qui permettront de construire des coordi- nations. Celles-ci peuvent passer par des décisions, des ac- tions communes ou de simples références partagées dans la façon d’aborder certaines problématiques. A propos de la concertation, Bourque (2008)3 parle de « processus col- lectifs de coordination » qui visent, pour les participants, à « convenir d’objectifs communs et d’actions susceptibles de les engager ou non dans des partenariats ». Les pro- duits de la concertation sont divers, mais qu’il s’agisse de visions, de liens, d’objectifs, d’actions ou de décisions communes, ce sont toujours de nouvelles coordinations, issues d’une construction collective. Ce qu’elle n’est pas : communication, information, consultation... Toute concertation suppose que les parties prenantes disposent d’informations qui leur permettront de construire leur jugement. Et mieux vaut que ces informations soient La concertation claires, concises, accessibles à chacun, plutôt qu’être distillées dans des documents cumulant les centaines de pages distribués juste avant les réunions… L’information L’acception actuelle de ce terme vient de son appropriation d’acteurs en apparence irréconciliables, le conflit peut se alimente la concertation, mais apporter des informations par le vocabulaire musical qui associe au mot « concert » transformer en concertation : mais ceci suppose d’exclure en réunion publique ne relève en aucun cas de la l’idée d’accord. Mais elle ne produit pas toujours de du champ du dialogue les scénarii radicalement inaccep- concertation. La consultation n’est pas non plus l’égal de consensus. Elle produit d’abord des rapprochements, tables pour l’une ou l’autre des parties en présence, donc la concertation : une consultation permet au gestionnaire entre des acteurs qui deviennent plus aptes à saisir les be- de fixer des bornes à ce qui est discutable et ce qui ne public de collecter les avis et propositions de certains soins de leurs interlocuteurs et à se coordonner avec eux. l’est pas. acteurs, mais le débat reste souvent limité et aucune Pour cela, nul besoin d’être d’accord sur tout, l’essentiel Que s’agit-il de construire ensemble ? Il s’agit souvent garantie n’est donnée quant à la prise en compte des avis étant de s’ouvrir à une coopération, à des échanges, à une de confronter des intérêts divergents, mais aussi de rap- et opinions exprimés. Quant à la communication, elle vise co-construction. Si les définitions données par la littérature procher différentes manières de voir la réalité, afin de à convaincre, ce qui autorise parfois certains arrangements restent hétérogènes, une convergence existe du fait que la construire une vision commune, un langage commun, au- avec la réalité et sa complexité. concertation est marquée par : une coopération entre les parties prenantes ; impliquées dans une construction col- lective ; au cours d’un processus. L’emploi du terme « pro- cessus » vise à se démarquer du terme « procédure », qui tendrait à réduire la concertation à des instances, étapes, formalités à respecter, alors qu’une concertation com- prend toujours des imprévus et des temps d’informalité. Coopération, co-construction, processus, sont les termes qui balisent le champ de la concertation. Pour nous, une concertation est un processus de construction collective de visions, d’objectifs, de projets communs, en vue d’agir ou de décider ensemble, qui repose sur un dialogue coo- pératif entre plusieurs parties prenantes et vise à construire de nouvelles coordinations autour d’un ou plusieurs objets problématiques1 . Comme Touzard (2006)2, nous réservons ce terme à des discussions où l’orientation coopérative prédomine, où l’intention partagée est de construire ensemble. Ceci ne si- gnifie pas l’absence de conflits, mais les parties prenantes tentent de les gérer en revenant à l’intention coopérative qu’elles partagent. Et même lorsque le conflit est tel que les antagonismes semblent cristallisés dans des discours 1 Beuret J.-E., 2006, La conduite de la concertation pour la gestion de l’environnement et le partage des ressources, Éditions L’Harmattan, Paris, 340 p. Bourque D. (2008), Concertation et partenariat. Entre levier et piège du développement 3 2 Touzard H. (2006) « Consultation, concertation, négociation : une courte note théorique », Négociations, n°5, 2006/1. des communautés, Montréal, Presses de l’Université du Québec. 4 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°1 / Juin 2018 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°1 / Juin 2018 5
La concertation peut être alimentée par des opérations références que les autres mobilisent : par exemple en Bre- premier rang desquelles se trouve le fait qu’en situation de négociation conflictuelle, ou distributive, chacun tente de relevant de la communication (pour convaincre un groupe tagne, au sein même des activités primaires, les mondes conflit, la décision peut être le fruit d’un simple marchan- construire un rapport de force qui lui soit favorable et l’ex- qu’il est de son intérêt de participer), de l’information de la terre et de la mer sont très loin de parler les mêmes dage qui peut être le terreau de nouveaux conflits, accom- ploite pour imposer ses préférences. Dans la négociation (pour que chacun se forge un jugement avisé et éviter les langages. Et lorsqu’à propos de la qualité de l’eau des pagnés de nouveaux besoins de négociations. Par ailleurs, intégrative, qualifiée de concertative par Dupont (2006), argumentaires fondés sur des fake news et autres sources agriculteurs parlent de pollution, ils pensent aux nitrates... vaut-il mieux un consensus permettant de surmonter un chacun accepte de coopérer avec l’autre pour construire douteuses d’informations, aujourd’hui très abondantes), qui ne gênent pas vraiment la profession ostréicole qui, obstacle à un moment donné (issu d’une négociation), ou ensemble une solution mutuellement acceptable. Ce type de la consultation (par exemple pour élargir l’espace de la elle, pense qualité bactériologique. D’où l’importance de des rapprochements, une meilleure compréhension mu- de négociation se rapproche de la concertation, alors que concertation vers des acteurs moins concernés mais dont le commencer par se construire des références communes, tuelle, une vision partagée d’une même réalité (issus d’une la négociation conflictuelle s’en éloigne. Dans la négo- point de vue reste intéressant). Mais toutes ces opérations, bien avant de tenter de se mettre d’accord. Les échecs les concertation), permettant d’affronter ensemble et de fa- ciation intégrative, il ne s’agit plus de partager l’existant loin d’être confondues, doivent être convenablement plus cuisants viennent de démarches où l’on décide, face çon coordonnée de multiples situations problématiques (les ressources, l’espace, ce qui donne son sens au terme articulées dans un dispositif et son architecture. aux oppositions, de réunir tout le monde pour se mettre qui ne manqueront pas de se présenter ? de négociation distributive), mais d’intégrer des éléments d’accord alors que les acteurs ne parlent pas les mêmes initialement perçus comme antagoniques dans un même Des opérations langages et ne se reconnaissent aucune légitimité les uns La définition de la négociation met en jeu à la fois une confrontation et une acceptation. Selon Dupont (2006)4, compromis (entre les usages, les points de vue, les repré- diverses à articuler dans aux autres : la concertation tourne court ou ne produit rien. la négociation est une activité qui met en interaction plu- sentations de ce qui est souhaitable) et de créer une « va- leur » commune aux deux parties : c’est la plus-value créée des dispositifs Qu’en est-il de sieurs acteurs qui, confrontés à la fois à des divergences par le dialogue et la coopération. et à des interdépendances choisissent de rechercher de concertation la négociation ? Des volontairement une solution mutuellement acceptable. Mais on distingue deux formes de négociation. Dans la On pourra aussi trouver d’autres opérations dans de tels négociations distributives dispositifs. Ce sont notamment des opérations d’échanges, de dialogue qui ne visent rien d’autre que l’interconnais- ou intégratives sance, le rapprochement, la construction de proximités. Des négociations pourront aussi intervenir, à l’heure de Elles sont parfois déterminantes, car la concertation est prendre des décisions. La négociation, elle, répond à une difficile, voire vouée à l’échec si les parties prenantes ne obligation : décider. C’est à la fois ce qui fait sa portée (elle Dupont C., 2006, La négociation post-moderne : bilan des connaissances, acquis et la- 4 parlent pas les mêmes langages et ne comprennent pas les se traduit directement dans la décision) et ses limites, au cunes, perspectives, Paris,, Publibook, Coll. Sciences Humaines et sociales, 187 p 6 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°1 / Juin 2018 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°1 / Juin 2018 7
Dans toutes ces opérations, l’intervention d’un tiers est parfois salutaire. Lorsqu’il s’agit d’un médiateur, son rôle est de faciliter la construction d’un accord sans en influencer le contenu : non seulement il ne porte pas de jugement sur les solutions existantes, mais il ne propose pas de solutions, laissant les protagonistes construire eux-mêmes des perspectives. En théorie, il devrait être neutre et indépendant revient à traduire les références, discours et des parties : mais lorsqu’il s’agit de gérer arguments d’une catégorie d’acteurs pour l’environnement, les territoires ou des ressources les rendre accessibles aux autres parties qu’ils recèlent, le tiers est rarement réellement prenantes… et vice versa. Enfin, si des idées indépendant, tant il est important d’être engagé naissent des débats, elles resteront lettre localement pour être reconnu légitime par les morte si personne n’est capable d’en faire une parties en présence. Dès lors, même lorsque traduction opérationnelle : celle-ci vise à rendre le médiateur est ancré dans le territoire, voire concret et stable ce qui, dans la discussion, attaché à l’une des parties en présence, il n’est qu’une idée. La traduction opérationnelle s’attache à prendre une position de surplomb vis comme la traduction scientifique sont souvent à vis de la situation problématique, pour affirmer le fait d’experts : mais ils ne sont pas là pour sa neutralité et sa capacité à agir en tant que dire ce qu’il faut faire. Leur mission peut être médiateur. Alors que certains échouent à le faire, d’apporter des éléments de connaissance sur d’autres le font très bien : ils parviennent ainsi, en lesquels les discussions vont se baser, ou encore tant que tiers, à accompagner les protagonistes d’indiquer, parmi les scenarii qui se dégagent, pour produire « autre chose », un « ailleurs », à ce qui est réalisable et ce qui ne l’est pas, sous partir de positions figées. Dans les territoires, quelles conditions et modalités. L’expert n’est l’intervention de professionnels de la médiation plus « celui qui sait ce qui est bien pour vous » est très rare : mais sans être qualifiés de mais celui qui met ses compétences au service médiateurs, certains acteurs locaux parviennent d’un processus de choix collectifs : c’est un souvent à jouer ce rôle, en mobilisant des renversement radical de posture. savoirs-faire et savoirs-être tout aussi importants Un négociateur, lui, est essentiellement que d’éventuelles connaissances relatives au préoccupé par le fait de construire ou préserver cycle de la médiation. une Zone d’Accord Possible (Dupont, 2006) en Plus large que la médiation, la traduction et vue d’une décision acceptable par tous. Il anime ses différentes formes revêt une importance un processus de négociation et, contrairement particulière. Un traducteur, c’est quelqu’un qui au médiateur, pourra se permettre de proposer reste fidèle aux paroles qu’il recueille. Dans les des choses, pourvu que cela contribue à Résultats cas qui nous intéressent ici, nous distinguons l’émergence d’un acceptable commun. Il tente trois types de traductions. La traduction de faire avancer le dialogue sans qu’aucun scientifique vise à traduire des phénomènes, des acteur ne quitte la table de négociation : c’est faits scientifiques pour les rendre accessible au là sa tâche centrale car s’il est assez simple de dialogue : on collecte des informations parfois s’entendre dans un confortable entre soi, obtenir très complexes mais qu’il s’agit de traduire sous un accord inclusif porté par toutes les parties une forme compréhensible, accessible à tous, prenantes est bien plus difficile. Mais c’est cela sans pour autant simplifier la réalité au point qui fera la richesse et la durabilité de l’accord. de la déformer. En aval, la traduction croisée Médiateur, traducteur ou négociateur : l’intervention d’un tiers. 5 The zone of possible agreement, ZOPA en anglais. Dupont, 2006, déjà cité 8 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°1 / Juin 2018 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°1 / Juin 2018 9
N O TE NUM É R O 2 Pour aller plus loin : Sur les définitions : Beuret J.E., Cadoret A., 2015, La médiation environnementale, In Dictionnaire de la pensée écologique (Bourg D., Papaux O. Dir.), PUF, Paris. Beuret J.E., 2013, Concertation (démarche de), In Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation, Paris (en ligne). Pour la mise en pratique : Concertation, Médiation, Environnement : voir le site http://www.comedie.org Guihéneuf P.Y., Villaroel A. 2017, Concertation et environnement : les acquis des expériences locales, Comédie, Paris, 146 p Barret Ph., Guihéneuf P.Y. et al., 2011, Guide pratique du dialogue territorial. Editions de l’Aube Beuret J.E., Cadoret A., 2010, Gérer ensemble les Des concertations et médiations pour concilier les usages du territoires : vers une démocratie coopérative, Editions Charles Leopold Mayer, 185p. Beuret J.-E., 2006, La conduite de la concertation pour la gestion de l’environnement et le partage des ressources, Éditions L’Harmattan, Paris, 340 p. Golfe du Morbihan : réalités, enjeux et bénéfices 10 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°1 / Juin 2018
Note n°2 Conseil Scientifique DU PARC NATUREL RÉGIONAL DU GOLFE DU MORBIHAN Des concertations et médiations pour concilier les usages du golfe du Morbihan : réalités, enjeux et bénéfices Résumé Connu pour son patrimoine naturel coordination et parfois médiation. Comment gérer les conflits pour les exceptionnel, le golfe du Morbihan Depuis 20 ans, en observant des rendre constructifs ? La façon dont le est aussi le lieu de conflits liés à des dynamiques conflictuelles et/ou Parc naturel régional ou, avant 2014, concurrences spatiales entre usages concertatives au sein du golfe du l’équipe de préfiguration du PNR est productifs, résidentiels ou récréatifs, Morbihan, puis en comparant le cas intervenue en position de médiateur ou aux effets de certaines activités sur du golfe avec d’autres territoires, ou pour piloter des concertations l’environnement. La multiplicité des la recherche s’attache à cerner les a notamment été étudiée. Nous usages et la pression croissante des facteurs qui permettent (ou non) de revenons ici, à partir de plusieurs activités humaines sur le milieu naturel créer des espaces de coopération et exemples sur les enjeux et les leçons créent des besoins de concertation, d’innovation à partir des oppositions. issues de ces observations. Auteur Jean-Eudes Beuret est professeur en économie à Agrocampus-Ouest. Spécialiste de la concertation pour la gestion des territoires, des ressources et de l’environnement. Il a publié plusieurs ouvrages sur la conduite de la concertation, à partir de l’étude de conflits et concertations autour d’enjeux tels que le partage ou la qualité de l’eau, les aménagements liés aux grands ports maritimes ou aux énergies renouvelables, les aires marines protégées. Il a suivi la création du PNR du Golfe du Morbihan et Jean-Eudes Beuret, est aujourd’hui président de son Conseil scientifique. Monique Cassé est avec la contribution directrice du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan et Ronan Pasco est de Monique Cassé responsable de son pôle Mer et Littoral. Tous deux sont chercheurs associés et Ronan Pasco à l’UMR AMURE (droit et économie de la mer, UBO, Ifremer, CNRS). www.parc-golfe-morbihan.bzh
Faut-il limiter l’urbanisation littorale ? Un conflit fondateur du PNR. Parmi les 72 conflits d’usage du territoire identifiés en 2008 dans le cas du golfe du Morbihan (Cadoret et al., 2010)6, les plus souvent mentionnés sont les antagonismes relatifs aux règles d’urbanisme (application de la Loi Littoral, sentiers côtiers), aux interactions Homme-Nature (perturbation de l’avifaune*, dégradation des fonds marins...) et les oppositions portant sur des documents de planification, notamment d’urbanisme. Les conflits d’urbanisme sont les plus médiatisés (44% des conflits mentionnés dans la presse) et font partie des conflits de forte intensité selon l’indicateur proposé par Cadoret et al. (2010). S’ils animent certains débats locaux, ils marqueront Problématique Depuis vingt ans, nous y avons observé de multiples aussi le processus de création du PNR, auquel le Conseil conflits sur des objets aussi divers que les sentiers côtiers, National de Protection de la Nature oppose en 2006 un avis et méthodologie le balisage des parcs ostréicoles, l’urbanisation littorale, le dérangement des oiseaux par la pêche à pied, le clapage* défavorable en dénonçant l’absence d’objectifs chiffrés de maîtrise de l’urbanisation. Nombre d’élus n’en veulent en mer ou les perspectives relatives aux énergies marines pas. Nonobstant des conflits politiques et de leadership, L’économie s’intéresse à la coordination entre les agents renouvelables. La multiplicité des usages (productifs, le processus qui aboutira en 2014 à la création du parc économiques (individus, organisations...). Cette coordina- résidentiels, récréatifs) du territoire et sa richesse sera centré autour d’une médiation visant à produire un tion passe par le marché, qui assure des équilibres entre environnementale, l’intensité et la diversité croissante accord sur un objectif acceptable par tous, en particulier offres et demandes, ou par des règles fixées par les pou- de ces usages, les pressions anthropiques exercées sur d’interviews et de l’analyse de 212 articles portant sur le CNPN et les élus locaux. L’équipe de préfiguration voirs publics. Mais l’accumulation de règles parfois peu les milieux naturels créent des besoins de coordination. des conflits d’usage publiés dans Ouest France, Le du PNR conduit de facto cette médiation. Elle anime cohérentes et peu lisibles dans un « millefeuille réglemen- Il s’agit pour nous d’observer la façon dont les conflits Télégramme et Le Marin entre 2005 et 2008. Le golfe du une réflexion prospective sur l’urbanisation à l’horizon taire » pose problème. Quant au marché, il est parfois ab- sont ou non régulés et sont – ou non – producteurs Morbihan sera ensuite l’un des huit cas sélectionnés en 2050 et va estimer le foncier constructible disponible, sent ou défaillant, notamment pour la gestion de l’environ- d’innovations, d’analyser les dynamiques conflictuelles ou France pour l’étude de retours d’expérience des élus locaux y compris dans les zones urbanisées ou « à urbaniser » nement. Une troisième voie, complémentaire, existe : c’est de concertation et les conditions de leur contribution à une et acteurs environnementaux sur la concertation4 en 2011. des Plans Locaux d’Urbanisme. Elle intervient comme celle de la construction collective d’accords et d’arrange- cohabitation harmonieuse des usages et aux équilibres Enfin, le projet intitulé « Comment construire un intérêt traductrice : elle apporte des informations qui alimentent ments par les acteurs concernés. Etudiée par Elinor Os- Homme-Nature. général territorialisé autour de l’environnement littoral »5 , le dialogue, ce qui relève d’une traduction du réel en trom, prix Nobel d’économie en 2009, cette construction Nos recherches ont porté sur des conflits et concertations nous a permis de réinvestir le golfe du Morbihan dont il était éléments accessibles aux parties prenantes (on parle de passe notamment par des processus de concertation qu’il d’une part autour de la création du Parc naturel régional, l’un des cas d’étude, de 2013 à 2016 : il s’agissait notamment traduction scientifique), puis traduira les idées issues du est intéressant d’observer pour voir sous quelles condi- d’autre part sur des objets et espaces très divers au sein de voir comment se construisent des compromis entre un dialogue en propositions opérationnelles à inscrire dans tions en résultent des accords durables, une gestion effi- du Golfe du Morbihan. Un suivi en longue période s’est intérêt général environnemental global (conservation de la Charte (traduction opérationnelle). Sur cette base, les cace et équitable des milieux et ressources naturelles, ainsi appuyé sur plusieurs projets de recherche. Le projet la biodiversité, lutte contre le changement climatique…) et élus parviendront à se mettre d’accord sur un objectif qu’une cohabitation harmonieuse des usages. Et lorsque MEDISUD (1997-1999) portait sur des actions de médiation des intérêts beaucoup plus locaux. Pour chaque conflit ou global de 0,5 % de surface urbanisée supplémentaire le conflit s’installe, un tiers intervient parfois en position de mises en œuvre par le futur porteur du projet de Parc1 concertation a été reconstitué l’historique des évènements, en 10 ans, soit 364 hectares, qu’ils se partageront entre médiateur : là encore se pose la question de savoir sous visant à traiter des tensions ou conflits entre usagers du en relevant les étapes et facteurs clés qui ont permis, en cas les cinq intercommunalités concernées. L’équipe de quelles conditions la médiation permet de surmonter les territoire : ce n’est pas encore le projet de PNR qui est de succès, de surmonter les obstacles et de créer des accords, préfiguration du PNR est médiatrice, c’est à dire qu’elle blocages mais aussi de tirer parti des oppositions pour observé mais ses prémices. Le projet CONCERT2 (2001- innovations, proximités entre les parties prenantes. Pour cela, stimule la construction d’un accord sans en influencer faire émerger des solutions innovantes. 2005) portait sur la dynamique d’émergence du PNR : le chercheur croise plusieurs sources d’informations, avec le contenu. Mais face aux blocages, elle intervient aussi L’observation de situations réelles par la recherche, en ont été identifiées des scènes de dialogue portant sur notamment des entretiens auprès des parties prenantes et comme négociatrice : pour préserver l’existence d’une comparant de multiples situations, permet d’en déduire différents enjeux, les interactions entre elles, les étapes l’analyse de sources documentaires. Après avoir présenté « Zone d’Accord Possible » (Dupont, 2006)7 , elle jouera d’une part des points de repère pour l’action, d’autre des processus de concertations (on parle d’«itinéraires de différents types de conflits et concertations observés dans le de certains leviers d’influence (notamment la nature des part des connaissances relatives aux mécanismes de concertation» des facteurs de succès ou d’échec. Porté golfe du Morbihan, ainsi que la façon dont ils ont été gérés informations collectées) pour tenter de faire évoluer ce coordination qui cimentent – ou fracturent, en cas de cette fois par une équipe de l’Université de Nantes, le par le PNR, nous reviendrons sur ce qu’apporte le PNR à que chacune des parties considère comme acceptable. défaillances – nos économies et nos sociétés. A ce titre, le projet ORECOLM3, en 2007 et 2008, nous a apporté des la « domestication des conflits », en vue d’un bien-vivre L’accord obtenu intègre des objectifs environnementaux golfe du Morbihan est un terrain d’observation privilégié. éléments sur l’analyse des conflits, en croisant les résultats ensemble associant l’humain et la nature. et économiques initialement antagoniques. 1 Et dans des contextes très différents, s’agissant de comparer des pratiques de médiation pour la gestion de la forêt, de l’eau ou d’espaces Etude commanditée par l’ADEME, co-réalisée avec Anne Cadoret, disponible en ligne : 4 soumis à des usages concurrents en Equateur, à Madagascar, au Mali et en France (Projet financé par le Ministère des Affaires Etrangères). http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/retour-experience-sur-la-concertation.pdf 2 Analyse de 9 cas de gestion concertée de ressources et territoires, en France, financée par le Ministère de l’Environnement Projet financé par le programme « Quels littoraux pour demain ? » de la Fondation de France. 5 Observatoire en Réseau des Conflits Littoraux et Maritimes, dirigé par Thierry Guineberteau. 3 Voir le webdocumentaire : http://telemme.mmsh.univ-aix.fr/media/webdoc_environnement_littoral/ Cadoret A., Foulquier E., Guineberteau T., Lambert C., 2010. Mesurer la conflictualité pour gérer les territoires. 6 Recherche exploratoire sur les conflits littoraux et maritimes, Colloque Outils pour Décider Ensemble, 25 oct. 2010, Montpellier. * clapage : immersion en mer des produits de ports en un lieu réservé et autorisé à cet effet (source : Agence française pour la biodiversité) Dupont C., 2006, La négociation post-moderne : bilan des connaissances, acquis et lacunes, 7 perspectives, Paris, Publibook, Coll. Sciences Humaines et sociales, 187 p. * Ensemble des espèces d’oiseaux d’une région 14 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°2 / Juin 2018 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°2 / Juin 2018 15
binômes agriculteurs-ostréiculteurs démarrent alors un À partir d’un conflit entre diagnostic participatif afin de mobiliser, outre les élus engagés dans le Parc en projet, les agriculteurs, les activités primaires, une industriels, les habitants, les associations de protection de l’environnement, du cadre de vie, de la pêche, dans médiation pour la qualité des actions visant l’ensemble des sources de pollution à de l’eau. une échelle pertinente. En résulte aujourd’hui l’implication d’acteurs très divers dans des commissions thématiques (agriculture, qualité de l’eau, Gestion Intégrée des Zones Que ce soit au cours du long processus de création du Côtières, citoyenneté) qui font des propositions d’action PNR ou depuis sa création, de nombreuses actions vont et en font le suivi. L’intervention initiale de médiation a fait inscrire la médiation parmi les missions du PNR. Un naître un processus de concertation qui s’est stabilisé dans premier exemple est celui d’une médiation autour de la un dispositif de gouvernance spécifique. qualité de l’eau. A la fin des années 90, des tensions se transforment en conflit entre des éleveurs laitiers d’une commune littorale et les ostréiculteurs de l’estuaire de la Rivière de Pénerf. Au cœur des controverses se trouvent une directive européenne puis un arrêté préfectoral qui conduisent des agriculteurs à (re)découvrir l’interdiction Usages récréatifs d’épandages d’effluents organiques à moins de 500 m du versus environnement rivage en amont de concessions ostréicoles. Du coté des ostréiculteurs, l’exercice de leur activité est conditionné ou activités primaires : par une bonne qualité microbiologique des eaux, particulièrement précaire. Dès 1997, le Parc en projet médiation et concertation organise entre ostréiculteurs et agriculteurs des temps En 2002, des clubs de plongée sous-marine du Golfe du d’explication de leurs métiers, de leurs pratiques et de Morbihan contactent le PNR en projet pour évoquer la la portée des réglementations. Passé le positionnement dégradation des fonds marins par les ancrages récurrents de chaque profession, une véritable capacité d’écoute, des clubs et plongeurs individuels. La moitié des 20 à 30 000 d’apprivoisement et de compréhension mutuels par la plongées sous-marines annuelles se concentre au Sud de marine fixée, avec de magnifiques champs de gorgones. connaissance des préoccupations et des craintes de l’Île Longue sur deux sites : c’est là que le PNR va mener La localisation précise des mouillages est décidée à l’issue chacun se construit. Le processus permet d’acquérir une concertation. Il commence par un travail de traduction d’une visite du site avec chacun des responsables de clubs un langage commun et d’aller vers une communauté scientifique visant à faire connaître la biodiversité à puis d’un dialogue. Pour élargir la sensibilisation et le d’objectifs. Forts d’une confiance mutuelle et d’accords préserver. Sur cette base s’engage une concertation avec dialogue, une exposition est créée sur la biodiversité sous- locaux, les agriculteurs de la bande côtière et les les clubs de plongée fréquentant le site pilote, qui conduit marine du golfe du Morbihan, « 20 000 lieues sous le Golfe », ostréiculteurs de Pénerf souhaitent élargir la démarche à équiper le site de mouillages respectueux des fonds encore utilisée aujourd’hui. Un suivi de l’impact de la mise à l’échelle du bassin versant. Sur les huit communes marins. Les clubs font le choix de les mettre sur un site en place de ces mouillages montre un développement concernées, des sources de la rivière à l’estuaire, des qui concentre les enjeux de préservation de la faune sous- plus important des jeunes gorgones sur le site pilote par rapport à des sites de plongée non équipés. Toujours après concertation, le Préfet maritime prend un arrêté de cantonnement de pêche et d’interdiction de mouillage forain venu conforter, en 2006, l’action engagée. Puis, en 2008, le Parc et les clubs de plongée vont plus loin en cosignant une Charte des bonnes pratiques de la plongée sous-marine dans le Golfe du Morbihan. La concertation a permis de créer puis élargir un réseau d’interventions convergentes au bénéfice du milieu. Un dernier exemple nous ramène à une situation de conflit. En 2016, le Canoë Kayak Club de Vannes et le Comité Régional de la Conchyliculture de Bretagne- Sud font appel au Parc pour co-animer une réunion de médiation. En effet, des kayakistes ramassent parfois des huîtres semées sur le sol sur des concessions ostréicoles, conchylicole explique les techniques d’exploitation ainsi avec des préjudices non négligeables. L’événement que leur spatialisation sur une carte du Golfe. Ceci permet déclencheur est une altercation entre un ostréiculteur et un aux deux parties de mieux se connaître et révèle que kayakiste suivie d’un dépôt de plainte. Le PNR est sollicité nombre de kayakistes ne savent pas que les ostréiculteurs probablement car il a tissé des liens avec les deux parties élèvent encore des huîtres à plat : ils pensent donc qu’une dans le passé et du fait des actions de sensibilisation qu’il huitre au sol est une huître sauvage. La suite de la réunion met en œuvre dans le cadre de sa mission « éconaviguer se déroule sur le terrain et des actions sont proposées. Le dans une aire marine protégée ». Les clubs et loueurs de PNR a constitué le trait d’union entre ces deux parties : des kayaks présentent leurs activités puis le Comité Régional proximités et coordinations émergent. 16 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°2 / Juin 2018 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°2 / Juin 2018 17
Même si bien d’autres situations ont été étudiées, ces quelques exemples montrent déjà plusieurs choses. Le PNR ou, avant 2014, l’équipe de préfiguration du PNR, sont chaque fois en position de traducteurs, du langage et du vécu de certains acteurs vers d’autres acteurs, du réel pour le rendre plus facilement discutable dans des espaces de concertation, des idées issues du dialogue pour les traduire en actions, règles, coordinations. De sa capacité à se positionner comme médiateur, négociateur ou encore pilote de processus de concertation dépend la construction collective d’accords durables. Les bénéfices observés sont : • Des réseaux d’acteurs qui s’élargissent. Dans conchylicoles, la pêche, les baignades, l’accueil les cas de l’eau, des sites de plongée comme de populations permanente et touristique, …), des kayakistes, la démarche part d’un problème mais aussi le statut de l’eau comme un patrimoine et d’acteurs très localisés mais capte ensuite universel intégrant les milieux humides et leurs de nouvelles parties prenantes (par exemple fonctionnalités écologiques. le grand public touché via une exposition sur • Un capital mobilisable au bénéfice du les fonds sous-marins, l’Etat qui légifère pour territoire. Les bénéfices issus de ces démarches soutenir et élargir l’action). Cet élargissement sont d’une part des réponses à un problème du réseau des parties prenantes consolide les localisé, d’autre part un capital pour l’action, ce acquis de la démarche en permettant d’atteindre qui rejoint les résultats d’observations d’autres cas des échelles pertinentes en termes spatial et de (Beuret et Cadoret, 2015)8. Au sein de ce capital catégories d’acteurs. Traiter une conflictualité figurent notamment de nouvelles proximités localisée s’avère moteur pour trouver des organisées (Rallet et Torre, 2004)9 : il peut s’agir solutions innovantes à une échelle adaptée. de proximités d’appartenances, liées au partage • Eviter le partage de l’espace, produire une d’objectifs communs, de règles communes, de appropriation croisée des enjeux. L’enjeu routines organisationnelles, ou de proximités de majeur de ces démarches est d’éviter un partage similitude qui découlent de l’adhésion d’agents exclusif de l’espace entre des zones qui seraient à un même espace commun de représentations, réservées à un seul usage. Les concessions de règles d’action et de modèles de pensée ostréicoles restent accessibles aux kayaks et (Kirat et Lung, 1995)10. Lorsque l’on pense à la les fonds sous-marins restent accessibles aux distance qui séparait des activités primaires plongeurs sans être dégradés : la médiation terrestres et maritimes ou des usages productifs produit ici un gain économique. Elle doit et récréatifs d’un même espace, les proximités Résultats aussi produire un capital de connaissances, qui se sont créées apparaissent comme une d’interconnaissance et d’appropriation d’enjeux richesse pour de futures actions. multiples en élargissant la vision de chacun : dans Au-delà de l’obtention d’un accord, la médiation le cas de Penerf, le processus a permis à chacun comme la concertation doivent viser la de s’approprier de multiples enjeux et services construction de proximités nouvelles. fournis par une eau de qualité (pour les usages Lecture croisée de ces situations : qu’est-ce que produisent la médiation et la concertation ? Beuret J.E., Cadoret A., 2015, La participation citoyenne à l’action publique : construire des dé- 8 cisions ou un capital pour l’action ? Revue Canadienne de Sciences Régionales CJRS/RSCR 38 (1/3), pp 21 – 28. http://www.cjrs-rcsr.org/V38/CJRS-RCSR38-3BeuretCadoret.pdf Rallet A. et Torre A., 2004, « Proximité et localisation », Economie Rurale n°280, pp. 25-41. 9 10 Kirat T. et Lung Y., 1995, « Innovation et proximité, le territoire, lieu de déploiement des processus d’apprentissage », in Lazaric et Monier Eds., Coordination économique et apprentissage des firmes, Ed. Economica, pp. 206-227 18 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°2 / Juin 2018 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°2 / Juin 2018 19
Le conflit inscrit à l’agenda de l’action publique des problèmes non traités peut se révéler constructif. N O TE NUM É R O Perspectives Élargir le regard vers d’autres sites révèle l’existence ou l’autre de ces modèles, mais seul le premier d’entre de deux modèles de gestion du territoire dans des eux répond aux objectifs du développement durable. Nos 3 PNR littoraux à l’interface entre des secteurs et enjeux recherches ont montré l’existence et l’origine de ces deux multiples, entre la terre et la mer, entre des enjeux modèles (Beuret, Cadoret, 2017)11 : une comparaison de environnementaux globaux et des enjeux locaux. Face leurs coûts et bénéfices respectifs reste une perspective aux controverses, une tentation peut être d’éviter la de recherche. construction de compromis en cloisonnant les enjeux, avec une distribution de compétences exclusives L’étude du traitement de la conflictualité dans les aires entre l’Etat gestionnaire de la mer et des collectivités protégées littorales et maritimes en est une autre. Le compétentes à terre, et entre les collectivités locales : au conflit est souvent perçu comme une pathologie qu’il faut PNR le traitement de problématiques environnementales, avant tout éviter. Pourtant, dans le golfe du Morbihan alors que d’autres intercommunalités s’occupent de comme dans d’autres cas, le conflit inscrit à l’agenda développement économique. Le PNR n’est alors plus de l’action publique des problèmes non traités peut se un espace d’intégration des enjeux, mais une structure révéler constructif. Des conflits étouffés reviennent de qui complète l’activité des collectivités en place, façon chronique, des conflits mal traités cristallisent des sans l’interroger. Dans certains PNR littoraux (par réseaux antagoniques et fracturent le territoire. Quant exemple celui de la Narbonnaise), la problématique de à l’évitement de la recherche de compromis, il met en l’urbanisation côtière est par exemple traitée de façon échec l’idée même du développement durable. D’où fragmentée : les collectivités gardent une maîtrise l’importance de reconnaître et accepter la conflictualité exclusive des questions quantitatives au sein des pour la rendre productive. Les aires protégées littorales Schémas de Cohérence Territoriaux, qu’elles traitent et maritimes sont des espaces souvent conflictuels : une avant tout à partir d’objectifs économiques, le champ analyse comparative conduite dans des aires protégées d’action du PNR étant restreint à des aspects qualitatifs littorales et maritimes à l’échelle internationale nous d’ordre paysager, patrimonial, etc. Ceci résulte souvent permettra prochainement de comparer le traitement de de stratégies d’évitement vis à vis du défi que représente la conflictualité dans le golfe du Morbihan avec la façon la construction d’un compromis autour d’une limitation dont elle est abordée et traitée dans d’autres contextes : de l’urbanisation littorale, intégrant des préoccupations in fine, il s’agit d’identifier les facteurs clés qui permettent, environnementales, économiques et sociales. Mais c’est au cœur du conflit, de créer un espace de coopération alors la mise en échec des principes mêmes d’intégration pour la construction de solutions durables. de ces enjeux au sein du développement durable. On distingue donc un modèle intégrateur et un modèle distributif de gestion territoriale : le second est marqué par une distribution des rôles, un cloisonnement des Biodiversité compétences économiques et environnementales, alors que le premier est marqué une recherche permanente Les éponges du golfe du Morbihan, d’intégration d’objectifs apparemment antagoniques via des compromis issus de processus de concertation et négociation. Les PNR peuvent être des supports de l’un Beuret J.E., Cadoret A., 2017, Négocier l’urbanisation pour un littoral 11 durable : des Parcs Naturels Régionaux facteurs d’intégration ou de témoins du Bon État Écologique fragmentation des enjeux ? Norois n°244, 2017/3 20 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°2 / Juin 2018 Note scientifique du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan / n°3 / Novembre 201821
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