Capacité des chèvres laitières à pâturer des prairies temporaires multiespèces
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Capacité des chèvres laitières INRAE Prod. Anim., 2021, 34 (1), 15-28 à pâturer des prairies temporaires multiespèces Rémy DELAGARDE1, Hugues CAILLAT2, Alexia CHARPENTIER1, 2 , 3 1 PEGASE, INRAE, Institut Agro, 35590, Saint-Gilles, France 2 FERLus, INRAE, 86600, Lusignan, France 3 Adresse actuelle : Touraine Conseil Élevage, 37171, Chambray-Les-Tours Courriel : remy.delagarde@inrae.fr La gestion de l’alimentation des chèvres est un point de vigilance majeur en élevage caprin, particulièrement au pâturage où la ration n’est pas connue précisément. Comment les chèvres laitières, au comportement de tri élevé, s’adaptent, et combien ingèrent-elles en conditions de pâturage rationné sur prairies temporaires sous l’effet des différents facteurs de conduite ? Introduction qualité (Appellation d’Origine Protégée, souvent la base des systèmes pâturés. Agriculture Biologique). Le fait que les chèvres aient un com- portement naturel intermédiaire entre Comparativement au secteur bovin Les exploitations caprines fran- celui des pâtureurs (« grazers ») et des laitier, l’autonomie alimentaire globale çaises sont déjà de fortes utilisatrices broûteurs (« browsers »), et qu’elles est assez faible en systèmes caprins lai- d’herbe. Mais cette herbe est valo- trient fortement la végétation dispo- tiers français, de l’ordre de 70 % chez risée principalement sous forme de nible, notamment dans des milieux les éleveurs livreurs et de 55 % chez foin, et relativement peu au pâturage, diversifiés (Meuret, 1993 ; Morand-Fehr, les éleveurs fromagers (Bossis et al., particulièrement dans le Grand Ouest 2005 ; Legarto et al., 2012), induit aussi 2014). Accroître cette autonomie est (Agreste, 2019). Une enquête récente une certaine réticence des éleveurs et un enjeu important dans un contexte menée dans le Grand Ouest a pour- de leurs conseillers pour développer le de volatilité des coûts de production tant montré que tous les acteurs de la pâturage sur prairies temporaires. (Bossis et al., 2014 ; Jost et al., 2021). filière s’accordent sur les effets positifs Des projets récents ont montré dans ce du pâturage sur l’autonomie alimen- Les éleveurs caprins sont de plus contexte qu’une meilleure valorisation taire et sur son adéquation avec les très sensibles aux performances indivi- des prairies constituait un potentiel cer- attentes sociétales (Jacquot et al., 2019), duelles des chèvres, sans doute en rai- tain de développement économique, même s’il existe des freins importants, son d’un rapport entre le prix du lait et environnemental et social des systèmes principalement celui de limiter les le prix de l’alimentation bien plus élevé laitiers caprins, notamment dans le problèmes parasitaires (Hoste et al., qu’en élevage bovin laitier, conduisant Grand Ouest, premier bassin français 2013 ; IDELE, 2021). Un autre frein est à des complémentations parfois très de production de lait de chèvre (Caillat la crainte d’une alimentation inadaptée importantes, même au pâturage. Il est et al., 2020 ; Jost et al., 2021). Au-delà des chèvres, bien que l’herbe feuillue par ailleurs connu que la production de l’image positive et de l’évolution de au stade pâturage soit un fourrage des ruminants laitiers est sensible à la la demande des consommateurs, ren- d’excellente valeur alimentaire (INRA, gestion du pâturage par l’éleveur, au forcer la place de l’herbe et des prairies 2018). En effet, il existe un manque de travers des effets des pratiques sur l’in- dans l’alimentation des chèvres permet- connaissances sur la quantité d’herbe gestion d’herbe et les apports nutritifs trait aussi d’adapter les modes de pro- que les chèvres peuvent ou veulent (Delagarde et al., 2001 ; Delagarde et al., duction vers plus de durabilité (Bossis, bien ingérer au pâturage, notamment 2011). Il est donc important de disposer 2013) et de développer la production dans un contexte de prairies tempo- de références techniques sur les effets de fromages sous signes o fficiels de raires multiespèces, qui constituent de la gestion du pâturage sur l’ingestion https://doi.org/10.20870/productions-animales.2021.34.1.4694 INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
16 / Rémy delagarde, Hugues caillat, Alexia charpentier des chèvres laitières, afin de définir des enfin l’influence des caractéristiques période. L’ingestion d’herbe et l’excré- repères pratiques et des options accep- des chèvres (stade de lactation, parité, tion de fèces (collecte totale) ont été tables pour un éleveur et son troupeau. production laitière, poids vif ) sur leur mesurées individuellement pendant De nombreuses références ont déjà été production, leur ingestion et leur com- cinq jours consécutifs à chaque période établies à la ferme expérimentale du portement alimentaire au pâturage. expérimentale. Ces études ont permis Pradel en Ardèche, notamment sur des de montrer : questions de nature et de niveau de complémentation, de système de pâtu- 1. Développements i) que l’oxyde d’ytterbium distribué en rage ou de nature de prairies (Lefrileux méthodologiques très petite quantité dans un concentré, et al., 2012). Ces études n’ont cependant pour l’étude comme chez la vache laitière (Pérez- permis de quantifier que les réponses de l’ingestion individuelle Ramírez et al., 2012), permettait d’es- de production des chèvres car l’inges- et du comportement timer correctement et sans biais la tion et le comportement des chèvres alimentaire des chèvres quantité de fèces excrétée, avec une n’étaient pas mesurés. laitières au pâturage erreur moyenne de prévision de 7 % (Delagarde et al., 2018b) ; L’objectif de cet article est de présen- ter de manière synthétique les résultats 1.1. Quantité d’herbe ii) que la digestibilité de la MO des d’une dizaine d’essais réalisés sur des ingérée rations à base d’herbe verte pouvait chèvres laitières de race Alpine au pâtu- être estimée à partir d’une régression rage entre 2015 et 2018 à INRAE, dans Contrairement à l’auge où il est multiple basée sur les concentrations l’installation expérimentale de l’Unité possible de mesurer directement l’in- fécales en azote et en ADF (Charpentier Mixte de Recherches PEGASE (ferme gestion des animaux par pesée des et al., 2017 ; Charpentier, 2018), avec un de Méjusseaume, Le Rheu, 35) et dans quantités offertes et refusées et de leur écart-type résiduel de 0,017 g/g et une le dispositif expérimental Patuchev teneur en Matière Sèche (MS), il est très erreur moyenne de prévision de 3 % ; de l’Unité Expérimentale FERLus (Les difficile de mesurer ou d’estimer avec Verrines, Lusignan, 86). Leur origina- précision l’ingestion individuelle au iii) que l’ingestion d’herbe pou- lité réside dans la mesure individuelle pâturage. Au vu de l’expérience accu- vait être estimée, dans une gamme et simultanée de la quantité d’herbe mulée à INRAE (PEGASE) sur les vaches très large (0,5 à 3,0 kg MS/j), avec une ingérée et du temps de pâturage, per- laitières au pâturage, nous avons choisi erreur moyenne de prévision de 8 % mettant d’estimer aussi la vitesse d’in- d’estimer l’ingestion des chèvres à par- (Delagarde et al., 2018b) (figure 1a, b gestion moyenne, et donc de mieux tir de la méthode classique basée sur et c), ce qui est tout à fait satisfaisant et comprendre et analyser la façon dont la définition de la Digestibilité (D), qui aussi précis que les méthodes validées les chèvres pâturent et s’adaptent aux permet de calculer l’Ingestion (I) à partir en bovins ou en ovins. conditions de pâturage. La production de D et de la quantité de Fèces excrétée et la composition du lait sont également (F), suivant la formule (Penning, 2004 ; Pour appliquer cette méthode dans mesurées. Ces études visaient à quanti- Pérez-Ramírez et al., 2012) : les essais au pâturage, nous avons dis- fier les effets de différents facteurs de tribué 0,1 g d’ytterbium par chèvre et gestion du pâturage, peu abordés dans I = F/(1 – D) par jour, après chacune des traites, soit la littérature jusqu’à présent, mais ayant environ à 7 et 17 h (Charpentier, 2018). des impacts pratiques importants pour La méthode des alcanes (Mayes et al., À chaque période expérimentale, les la conduite du pâturage et l’organisa- 1986) n’a pas été retenue en raison des fèces ont été échantillonnés par voie tion du travail des éleveurs. possibles difficultés à estimer correc- rectale pendant cinq jours consécutifs, tement l’ingestion sur les prairies à après chaque traite, pour constituer Après avoir décrit les développements flore variée, majoritaires en élevages un échantillon moyen, qui a été séché, méthodologiques nécessaires à l’étude caprins. Une calibration a été réalisée broyé puis analysé au laboratoire (ytter- de la nutrition et du comportement grâce à six essais mesurant la digesti- bium, cendres, matières azotées, fibres), des chèvres au pâturage, les différents bilité in vivo pour des chèvres nourries permettant le calcul de l’ingestion. thèmes étudiés feront chacun l’objet individuellement à l’auge, avec des d’un chapitre spécifique dans la suite régimes à base d’herbe verte fauchée 1.2. Durée de pâturage de cet article. Dans l’ordre, nous évo- chaque jour, offerts à volonté ou non, et vitesse d’ingestion querons donc : l’apprentissage du com- avec de l’herbe plus ou moins jeune, et d’herbe portement de pâturage d’un troupeau comprenant plus ou moins de concen- de chèvres sortant pour la première trés et de fourrages déshydratés selon Les activités de pâturage des chèvres fois de sa vie en prairies, les effets du les essais (Charpentier, 2018). Chaque ont été enregistrées grâce à des appa- temps d’accès journalier au pâturage, essai comprenait 6 chèvres Alpine et 3 à reils portatifs, les Lifecorder Plus (LCP, les effets de la quantité d’herbe offerte 4 périodes expérimentales, pour une Suzuken Co. Ltd., Nagoya, Japon), pla- chaque jour aux chèvres, les effets de la base finale de 86 séries de données, cés dans une boîte étanche fixée à un suppression de l’abreuvement durant une série étant l’ensemble des don- collier ajusté au cou des chèvres. Cet les périodes d’accès au pâturage, et nées obtenues sur une chèvre et une accéléromètre uni-axial est basé sur INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
Capacité des chèvres laitières à pâturer des prairies temporaires multiespèces / 17 Figure 1. Comparaison entre les valeurs estimées et mesurées pour a) l’excrétion 2. Apprentissage fécale, b) la digestibilité de la matière organique (dMO) de la ration, c) l’ingestion d’herbe et d) la durée d’ingestion chez la chèvre laitière affourragée en vert (a, du comportement b et c) ou au pâturage (d), (Synthèse des essais méthodologiques de Delagarde de pâturage et al., 2018a et b ; et Lemoine et al., 2021). chez des chèvres qui ne sont jamais sorties En mars 2015, un troupeau de 90 chèvres de race Alpine de la ferme expérimentale de Méjusseaume, conduit depuis plusieurs générations en bâtiment avec une alimentation à base de fourrages conservés secs (foins, dés- hydratés, concentrés), est sorti au pâtu- rage pour la première fois. Les chèvres avaient mis bas un mois auparavant. La parcelle était une prairie multi-es- pèces composée de graminées (princi- palement Lolium perenne L. et Festuca arundinacea Schreb), de légumineuses (Trifolium repens L. et Medicago sativa L.), de chicorée (Cichorium intybus L.), de pissenlit (Taraxacum officinale L.) et de quelques pieds de rumex (Rumex sp.), adjacente à la chèvrerie (Charpentier et Delagarde, 2016). Le temps d’accès initial au pâturage a été de 2 à 3 h/jour selon les conditions météorologiques, puis a augmenté progressivement jusqu’à 8 h/jour (tableau 1). La ration en bâtiment a été distribuée à volonté une note d’intensité d’accélération de mais aussi la répartition des activités durant la première semaine, puis réduite 0 à 9 calculée toutes les 4 secondes, et de pâturage des chèvres au cours de la progressivement à 600 g de concentré seule la note d’activité moyenne obser- journée, le nombre et la durée des repas. commercial et 400 g de fourrage dés- vée par tranche de 2 min est stockée en Dans les essais, les chèvres ont été équi- hydraté 15 jours après la mise à l’herbe. mémoire et exportée. Les accélérations pées chacune d’un Lifecorder Plus pen- Pour déterminer la vitesse d’acquisition de la tête sont très synchrones des acti- dant 3 à 6 jours consécutifs, en même du comportement de pâturage du trou- vités de pâturage, et le pâturage peut temps que les mesures d’ingestion. La peau, le temps de pâturage moyen pour donc être simplement défini comme vitesse d’ingestion d’herbe moyenne toutes les chèvres a été calculé à partir toute activité dont le seuil d’activité est par chèvre a été calculée comme le rap- de la proportion de chèvres en activité supérieur ou égal à 0,5. Cet outil était port entre la quantité d’herbe ingérée et de pâturage (tête baissée), détermi- déjà validé et utilisé en vaches laitières la durée d’ingestion moyenne mesurée née par observation visuelle toutes les (Delagarde et Lamberton, 2015). Il a à l’échelle de la période (5 jours). 5 min les jours 1 (mise à l’herbe), 2, 3, 4, été validé sur 20 chèvres laitières, dans les mêmes conditions ou pendant nos Tableau 1. Évolution du temps de pâturage d’un troupeau de chèvres laitières dans essais, entre 2015 et 2017, au cours de les 24 jours suivants la première mise à l’herbe de leur vie (adapté de Charpentier 187 h d’observations visuelles réparties et Delagarde, 2016). sur 24 jours, avec une erreur moyenne de prévision de seulement 5 % à l’échelle Jour à partir J1 J2 J3 J4 J5 J8 J12 J17 J24 de la journée (figure 1d ; Delagarde de la première sortie et al., 2018a ; Lemoine et al., 2021), ce qui est très faible. La précision (95 %), Temps d’accès 180 150 130 125 155 270 270 475 480 la sensibilité (97 %), la justesse (93 %) et au pâturage (min/j) la spécificité (73 %) du Lifecorder Plus pour prévoir les activités de pâturage Temps de pâturage 11 36 93 109 113 195 214 366 379 moyen (min/j) des chèvres laitières sont également élevées. Cet appareil simple et efficace Temps de pâturage est donc utilisé pour mesurer précisé- 5 26 69 84 71 71 78 76 79 (% du temps d’accès) ment la durée de pâturage journalière, INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
18 / Rémy delagarde, Hugues caillat, Alexia charpentier 5, 8, 12, 17 et 24, sur la totalité du temps 3. Effet du temps d’accès totales (MAT)/kg MS, distribué en indi- d’accès journalier au pâturage. Le com- journalier au pâturage viduel à chaque traite (vers 7 h 30 et portement des chèvres n’était pas per- 16 h 30). Pour les temps d’accès les plus turbé par la présence de l’observateur, courts (< 7 h/j), les chèvres recevaient statique et positionné en dehors de la 3.1. Description des essais aussi en individuel 400 g de fourrage parcelle. déshydraté, distribué après la traite Trois essais réalisés entre 2015 et du soir. Aucun fourrage fibreux n’a Le premier jour, aucune chèvre n’a 2017 à la ferme INRAE de Méjusseaume été distribué en bâtiment le jour ou la pâturé pendant les deux premières (Le Rheu, Ille-et-Vilaine) ont permis nuit. Les temps d’accès intermédiaires heures d’accès, mais 30 % des chèvres de déterminer les effets du temps (7 et 8 h/j) ont été testés avec ou sans ont commencé à pâturer à la 3e heure d’accès journalier au pâturage sur la fourrages déshydratés. Concernant la (figure 2). Le deuxième jour, environ production et la composition du lait, litière, la paille a été remplacée par des 20 % du troupeau a pâturé dès l’arri- l’ingestion d’herbe et le comporte- copeaux de bois durant les semaines vée sur la parcelle, et jusqu’à 50 % des ment alimentaire des chèvres laitières de mesures expérimentales afin de chèvres ont pâturé simultanément en Alpine (tableau 2). La gamme de temps prévenir l’ingestion de paille et éviter cours de journée. De vrais repas collec- d’accès journalier testée a été de 4 h/j à tout biais ou erreur dans le calcul de l’in- tifs se sont mis en place ensuite, avec 11 h/j (Charpentier, 2018 ; Charpentier gestion d’herbe et de l’ingestion totale. des repas de 1 h 15 et 1 h 30 dès l’entrée et Delagarde, 2018 ; Charpentier et al., Au sein d’un essai, les différentes straté- dans la parcelle pour la quasi-totalité 2019a). Pour les temps d’accès compris gies alimentaires (temps d’accès avec du troupeau en jours 3 et 4, respecti- entre 4 et 8 h/j, les chèvres avaient accès ou sans apport de fourrage déshydraté) vement. Le temps total passé à pâturer au pâturage en une séquence par jour, ont été comparées à même quantité a rapidement et fortement augmenté, entre les deux traites de la journée, et d’herbe offerte, avec un lot physique pour atteindre 6 h 30 pour un temps passaient la nuit et le temps diurne hors de 12 chèvres (principalement des d’accès de 8 h dès la troisième semaine pâturage en chèvrerie. Pour les temps multipares) par traitement. Les consé- (tableau 1). Les chèvres ont donc mon- d’accès de 11 h/j, les chèvres retour- quences des traitements sur la hauteur tré une très bonne capacité à s’adap- naient au pâturage durant 3 h après de l’herbe en sortie de parcelle ont été ter rapidement à un passage d’une la traite du soir. Les essais ont tous eu déterminées. alimentation à base de fourrages lieu en début de printemps (avril-mai), conservés en bâtiment à du pâturage, dans de bonnes conditions de pâturage 3.2. Réponses sans doute grâce à leur curiosité natu- en termes de qualité d’herbe (prairies des chèvres au temps relle et leur instinct d’imitation, dans multi-espèces avec graminées, légu- d’accès au pâturage des conditions d’herbe appétente et mineuses et chicorée, au stade feuillu), de prairies multiespèces. Même si les avec une hauteur d’herbe avant pâtu- Les essais réalisés ont permis d’aug- choix alimentaires des chèvres n’ont rage comprise entre 13 et 16 cm selon menter considérablement les connais- pas pu être quantifiés, nous avons les essais, lors des cycles 2 et 3 de pâtu- sances sur l’adaptation des chèvres cependant observé que les chèvres rage (repousses de 30-35 jours environ). laitières au temps d’accès journalier recherchaient et ingéraient en priorité Les 36 à 48 chèvres mobilisées étaient à au pâturage dans la gamme comprise la chicorée et le rumex (lorsqu’il était moins de 2 mois de lactation en début entre 4 et 13 h d’accès par jour, gamme présent), et qu’elles ne montraient d’essai. la plus fréquemment rencontrée dans aucune préférence ou tri marqué les élevages laitiers français. Dans entre les graminées (raygrass anglais Dans tous les essais, les chèvres rece- les conditions de nos études, c’est-à- et fétuque élevée) et les légumineuses vaient 600 g brut par jour d’un concen- dire avec des prairies multiespèces (trèfle blanc et trèfle violet). tré commercial à 210 g matières azotées de très bonne qualité, mais un niveau Figure 2. Acquisition du comportement de pâturage d’un troupeau de chèvres laitières lors de la première mise à l’herbe de leur vie (le 16 mars 2015), (adapté de Charpentier et Delagarde, 2016). Les chèvres ne sortent au pâturage que 2 à 3 h par jour durant les 4 premiers jours (plages horaires en grisé). INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
Capacité des chèvres laitières à pâturer des prairies temporaires multiespèces / 19 Tableau 2. Description des trois essais réalisés sur l’effet du temps d’accès (TA) journalier au pâturage chez la chèvre laitière (adapté de Charpentier, 2018 ; Charpentier et Delagarde, 2018 ; et Charpentier et al., 2019a). Variable Essai T1 Essai T2 Essai T3 Année d’essai 2015 2016 2017 Dates de l’essai 16/04-06/05 01/04-22/04 07/04-18/05 Temps d’accès comparés (h/j)a 4D/6D/8D 7/7D/11 5D/8D/8/11 Nombre de chèvres 36 36 48 Pourcentage de multipares 92 % 100% 100 % Stade de lactation en début d’essai (j) 53 47 47 Production laitière en début d’essai (kg/j) 3,0 3,7 3,9 Poids vif en début d’essai (kg) 48 54 56 Apport de concentré (g brut/j) 600 600 600 Apport de luzerne déshydratée (g brut/j)a 400 (D) 0 ou 400 (D) 0 ou 400 (D) Quantité d’herbe offerte (kg MS/j > 4 cm) 2,0 2,3 2,4 Biomasse avant pâturage (t MS/ha > 4 cm) 2,66 2,47 2,26 Hauteur en entrée de parcelle (cm herbomètre) 16,6 14,2 12,9 Teneur en MAT de l’herbe offerte (g/kg MS)b 180 193 183 Teneur en NDF de l’herbe offerte (g/kg MS)b 466 463 455 Teneur en ADF de l’herbe offerte (g/kg MS)b 247 229 211 Le chiffre indique le temps d’accès au pâturage en heures/jour. La lettre D indique l’apport de 400 g brut de fourrage déshydraté distribué à la traite du soir. a MAT : matières azotées totales ; NDF : fibre insoluble dans le détergent neutre ; ADF : fibre insoluble dans le détergent acide. b de complémentation relativement laitière avec celle du temps d’accès au temps d’accès. Le premier mécanisme modeste (600 g brut de concentré/ pâturage a cependant été observée est une concentration des activités de jour, avec ou non 400 g de fourrages sur des chèvres traites une seule fois pâturage dans le temps disponible, et déshydratés), nous avons observé que par jour le matin (Fança et al., 2019). ce jusqu’à 80, 90 voire 100 % du temps le temps d’accès est limitant pour l’in- L’absence d’effet moyen du temps d’ac- disponible lorsque celui-ci devient très gestion et la production laitière en-deçà cès sur le taux protéique du lait est cohé- court (4-5 h/jour) (figure 3g). La durée d’un seuil de 6 h par jour. Des variations rent avec le fait que le taux protéique du d’ingestion est fortement réduite, mais de temps d’accès au-delà de ce seuil ne lait chez les chèvres ne varie pas avec les chèvres sont actives tout le temps semblent pas affecter la production ni les apports énergétiques (Sauvant et au pâturage. Le second mécanisme, la composition du lait (figure 3a, c, d). Giger-Reverdin, 2018), contrairement observé seulement lorsque le temps L’augmentation apparente du taux aux vaches laitières. d’accès est inférieur à 8 h/j, est une butyreux lorsque le temps d’accès est compensation partielle de la baisse réduit n’a été significative dans aucune L’étude de la durée d’ingestion (ou de durée d’ingestion par une augmen- des études. Ces résultats sont cohérents temps de pâturage), exprimée en tation très significative de la vitesse avec l’étude de Keli et al. (2017) sur heures par jour, ou en pourcentage d’ingestion (+ 20-30 %). Il semble donc chèvres laitières, dans laquelle la réduc- du temps d’accès passé à pâturer, ainsi qu’il existe un point d’inflexion autour tion du temps d’accès de 22 h à 8 h ou que de la vitesse d’ingestion d’herbe, de 8 h/j d’accès, avec une amplification 6 h n’a eu d’effet ni sur la production a permis de mettre en évidence les des mécanismes d’adaptation com- laitière, ni sur les taux butyreux et pro- deux mécanismes principaux d’adap- portementale des chèvres en-deçà de téique. Une réduction de production tation des chèvres à la restriction du ce seuil. Ces mécanismes d’adaptation INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
20 / Rémy delagarde, Hugues caillat, Alexia charpentier Figure 3. Effet du temps d’accès journalier au pâturage sur la production laitière, du temps d’accès sur l’ingestion, la pro- l’ingestion, la hauteur d’herbe en sortie de parcelle et le comportement alimen- duction laitière et la composition du lait taire des chèvres laitières. des chèvres jusqu’à 6 ou 7 h/j d’accès au pâturage, ce qui peut être en partie attribué aux très bonnes conditions de pâturage : herbe assez haute et toujours feuillue, donc très préhensible et de bonne valeur alimentaire. À l’inverse, le niveau de complémentation et la quan- tité d’herbe offerte étaient relativement faibles dans ces essais, ce qui aurait pu accroître la sensibilité des chèvres à une restriction du temps d’accès. Dans tous les cas, le seuil de 6-7 h/jour ne doit pas être considéré comme une valeur « universelle », et la capacité des chèvres à s’adapter à des temps d’ac- cès courts devra être étudiée dans des conditions moins favorables en termes de hauteur d’herbe ou de qualité de prairie, et en interaction avec la dose de compléments et la quantité d’herbe offerte (régulation multifactorielle de l’ingestion). Ceci semble un prérequis nécessaire avant de pouvoir établir une loi robuste de prévision de l’effet du temps d’accès sur les performances des chèvres laitières au pâturage. 4. Effet de la quantité d’herbe offerte 4.1. Description des essais Trois essais réalisés entre 2015 et 2018 à la ferme INRAE de Méjusseaume (Le Rheu, Ille-et-Vilaine) (tableau 3) ont Légende : triangles = essai T1, cercles = essai T2 ; carrés = essai T3 ; en rouge = avec luzerne déshydratée permis de déterminer les effets de la le soir ; en bleu = sans luzerne déshydratée le soir. quantité d’herbe offerte au pâturage sur la production et la composition du à une r estriction du temps d’accès au (Charpentier et Delagarde, 2018 ; lait, l’ingestion d’herbe et le comporte- pâturage sont similaires à ceux obser- Charpentier et al., 2019a), contraire- ment alimentaire des chèvres laitières vés chez les chèvres à viande (Romney ment aux vaches laitières qui montrent Alpine (Charpentier et Delagarde, et al., 1996 ; Berhan et al., 2005 ; Tovar- toujours un arrêt partiel de l’activité 2018 ; Charpentier et al., 2019b ; Luna et al., 2011), chez les brebis lai- de pâturage après 3-4 h de pâturage, Delagarde et al., non publié). Chaque tières (Molle et al., 2014 ; Molle et al., même lorsque le temps d’accès n’est essai a consisté à déterminer la loi 2017 ; Valenti et al., 2017) et chez les que de 8 h/j entre les traites (Pérez- de réponse des chèvres à la quantité vaches laitières (Delagarde et al., 2008). Prieto et al., 2011 ; Pérez-Ramírez et al., d’herbe offerte, avec 3 niveaux d’offert 2009). comparés par essai. La quantité offerte Ces études ont par ailleurs montré a été modifiée par la surface offerte une excellente capacité des chèvres à Les chèvres ont donc montré une chaque jour aux chèvres. La gamme pâturer et à maintenir très longtemps bonne adaptation comportementale à de quantité offerte testée a été de des activités de pâturage, avec de longs une restriction du temps d’accès, avec 1,6 à 3,3 kg MS/j au-dessus de 4 cm, repas tout au long de la journée, entre des mécanismes d’adaptation iden- ce qui est une gamme volontairement les deux traites. Ainsi, les chèvres ne tiques à ceux déjà observés chez les très large, permettant de bien mettre semblent pas montrer de fatigue en vaches laitières, mais avec peut-être en évidence les réponses des chèvres. cours de journée, sans interruption mar- encore plus de capacité adaptative. Ceci Les essais ont eu lieu en milieu et fin quée du pâturage en milieu de j ournée a conduit à une relative faible influence de printemps (mi-avril à fin juin), dans INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
Capacité des chèvres laitières à pâturer des prairies temporaires multiespèces / 21 Tableau 3. Description des trois essais réalisés sur l’effet de la quantité d’herbe offerte (QO) chez la chèvre laitière au pâtu- rage (adapté de Charpentier et Delagarde, 2018 ; Charpentier et al., 2019b ; et Delagarde et al., non publié). Variable Essai Q1 Essai Q2 Essai Q3 Année d’essai 2015 2017 2018 Dates de l’essai 27/05-17/06 13/05-24/06 13/04-24/05 QO comparées (kg MS/j > 4 cm) 1,6/2,3/3,0 1,7/2,6/3,5 1,4/2,3/3,3 Nombre de chèvres 36 36 36 Pourcentage de multipares 92 % 100 % 100 % Stade de lactation en début d’essai (j) 97 89 49 Production laitière en début d’essai (kg/j) 3,1 3,7 3,6 Poids vif en début d’essai (kg) 48 55 53 Apport de concentré (g brut/j) 600 600 600 Apport de luzerne déshydratée (g brut/j) 0 0 0 Temps d’accès au pâturage (h/j) 13 (9 + 4) 11 (8 + 3) 8 (8 + 0) Biomasse avant pâturage (t MS/ha > 4 cm) 3,05 3,10 2,28 Hauteur en entrée de parcelle (cm herbomètre) 16,7 18,5 14,1 Teneur en MAT de l’herbe offerte (g/kg MS)a 160 174 163 Teneur en NDF de l’herbe offerte (g/kg MS)a 478 538 503 Teneur en ADF de l’herbe offerte (g/kg MS)a 248 275 257 MAT : matières azotées totales ; NDF : fibre insoluble dans le détergent neutre ; ADF : fibre insoluble dans le détergent acide. a de bonnes conditions de pâturage en de mesures expérimentales afin d’évi- (figure 4). La réduction d ’ingestion termes de qualité d’herbe, avec une ter l’ingestion de paille. Les traitements d’herbe a été en moyenne de 120 g MS hauteur d’herbe avant pâturage assez ont été comparés avec un lot physique d’herbe ingérée/kg MS d’herbe offerte élevée, comprise entre 14 et 18 cm de 12 chèvres par traitement et par entre les niveaux élevé et moyen et selon les essais, et 36 chèvres par essai, période expérimentale, permettant de de 200 g MS d’herbe ingérée/kg MS principalement multipares et en milieu déterminer les conséquences des trai- d’herbe offerte entre les niveaux moyen de lactation (80-120 jours). Le temps tements sur la hauteur de l’herbe en et faible. Cela signifie concrètement d’accès au pâturage a varié de 8 à 13 h/j sortie de parcelle. que, dans la gamme testée, seulement selon les essais. Les durées supérieures 10 à 20 % de l’herbe offerte en plus sont à 8 h/jour ont été interrompues par un 4.2. Réponses ingérés par les chèvres, soit 80 à 90 % retour au bâtiment pour la traite du soir des chèvres à la quantité de l’herbe offerte en plus qui n’est pas (entre 16 h et 17 h 30 environ). d’herbe offerte valorisée, d’où l’augmentation impor- tante de hauteur d’herbe en sortie de Dans tous les essais, les chèvres Les trois essais montrent des résul- parcelle (figure 4f). La baisse de produc- recevaient 600 g brut par jour d’un tats très cohérents entre eux, avec des tion laitière rapportée au kg MS d’herbe concentré commercial à 210 g MAT/kg réponses la plupart du temps de type offerte a été quasi nulle entre les MS, distribué en individuel à chaque quadratique, indiquant un effet dépré- niveaux haut et moyen (0,09 kg/jour), traite (vers 7 h 30 et 16 h 30). Aucun ciatif marqué des faibles quantités mais forte entre les niveaux moyen fourrage déshydraté ou fibreux n’a été d’herbe offerte et à l’inverse des capaci- et bas (0,39 kg/jour). Pour l’ingestion distribué. La litière était constituée de tés de compensation des animaux pour d’herbe et la production laitière, cela copeaux de bois durant les semaines les valeurs moyennes d’herbe offerte représente des variations relatives de INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
22 / Rémy delagarde, Hugues caillat, Alexia charpentier Figure 4. Effet de la quantité d’herbe offerte au pâturage sur la production laitière, offerte est similaire à celle observée l’ingestion, la hauteur d’herbe en sortie de parcelle et le comportement alimen- chez les vaches laitières (Delagarde et taire des chèvres laitières. Pérez-Prieto, 2016), mais ne semble pas cohérente avec les lois de réponse du taux protéique du lait à l’énergie ingérée, puisque, dans une synthèse d’essais réalisés sur régimes conservés, Sauvant et Giger-Reverdin (2018) ne trouvent chez les caprins aucune rela- tion entre apports énergétiques et taux protéique du lait. Il est difficile de savoir si la réponse du taux protéique obser- vée est une réponse spécifique liée aux régimes à base de fourrages verts, ou à des apports énergétiques plus limitants que dans les essais conduits sur régimes conservés, ou à d’autres raisons incon- nues à ce jour. L’évolution non linéaire de la durée d’ingestion avec la quantité d’herbe offerte, avec un maximum de temps passé à pâturer pour des quantités offertes moyennes (figure 4g), semble typique des ruminants, car également observée chez les brebis (Penning et al., 1986) et les vaches laitières (Delagarde et Pérez-Prieto, 2016). La durée d’inges- tion serait une réponse animale à la fois liée à la préhensibilité du couvert et à la motivation des animaux. Lorsque la quantité d’herbe offerte diminue, les animaux pâturent plus ras, réduisant la facilité de préhension (moins de limbes, plus de gaines) mais aussi la taille de bouchée, donc la vitesse d’ingestion d’herbe (figure 4h). Les chèvres aug- mentent alors leur durée d’ingestion pour compenser la réduction de vitesse d’ingestion, ce qui est possible tant qu’il y a des feuilles en grande quan- Légende : triangles rouges = essai Q1, cercles bleus = essai Q2 ; carrés verts = essai Q3. tité. Lorsque la quantité offerte est très faible, la difficulté de préhension de l’herbe, liée à la proportion plus élevée 3 à 6 % entre les niveaux haut et moyen, Les taux butyreux et protéique du de gaines foliaires dans les strates défo- généralement non significatives, et de lait n’ont en moyenne pas varié entre liées, est telle que les chèvres, comme 10 à 11 % entre les niveaux moyen et les niveaux haut et moyen, mais ont les brebis ou les vaches, semblent être bas, toujours significatives (Charpentier été réduits de 1 g/kg de lait entre les moins motivées à pâturer et réduisent et Delagarde, 2018 ; Charpentier et al., niveaux moyen et bas. La réduction du leur durée d’ingestion. 2019b). Ces résultats ne peuvent être taux butyreux à faible quantité d’herbe comparés à ceux de la littérature chez offerte est contraire à l’augmentation L’ensemble des réponses observées les caprins puisqu’il n’existe pas d’études généralement observée lorsque les montre que, dans de bonnes condi- similaires. Ils sont en revanche cohé- apports UFL diminuent (Sauvant et tions de pâturage sur prairies multies- rents avec les réponses curvilinéaires Giger-Reverdin, 2018). Elle est éga- pèces de qualité, sans contrainte liée observées chez les brebis (Penning lement inverse à la loi de réponse à au temps d’accès au pâturage, avec et al., 1986) et chez les vaches laitières la quantité d’herbe offerte observée des chèvres complémentées unique- (Delagarde et al., 2011 ; Delagarde et chez les vaches laitières (Delagarde et ment avec 600 g de concentrés par jour, Pérez-Prieto, 2016), avec des pentes du Pérez-Prieto, 2016). La réduction du une quantité d’herbe offerte proche même ordre de grandeur. taux protéique à faible quantité d’herbe de 2,5 kg MS d’herbe/jour (> 4 cm) INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
Capacité des chèvres laitières à pâturer des prairies temporaires multiespèces / 23 semble s uffisante, permettant à la fois d’eau d’abreuvement au pâturage sous chèvres étaient au pâturage entre 8 et aux chèvres d’avoir de bonnes perfor- nos climats tempérés. Or dans la majo- 16 h, avec une quantité d’herbe offerte mances individuelles (figure 4a, c, d) et rité des élevages caprins laitiers fran- non limitante de 3 kg MS/jour au-des- de bien valoriser l’herbe présente, avec çais, les chèvres n’ont pas d’eau à leur sus de 4 cm. Elles étaient en bâtiment des hauteurs d’herbe résiduelle maîtri- disposition au pâturage. le reste du temps, et recevaient 300 g sées (figure 4f ) et une bonne facilité de brut d’un concentré commercial à gestion de l’herbe pour les cycles de 5.1. Description de l’essai 210 g MAT/kg MS après chaque traite pâturage suivants. Ce seuil de 2,5 kg MS (vers 7 h 30 et 16 h 30) et 400 g brut de d’herbe/jour (> 4 cm) pourrait être revu En juin 2018, un essai a été réalisé foin de graminées de qualité moyenne à la hausse sur des prairies de plus faible afin de mesurer les conséquences de la après la traite du soir. La température qualité, en condition de temps d’accès suppression de l’accès à l’abreuvement moyenne journalière a été de 19 °C limité au pâturage, ou avec des chèvres au pâturage de chèvres qui pâturent pendant l’essai, avec de fortes varia- de plus grand format ou de niveau de 8 h par jour depuis 3 mois avec un tions inter-journalières (figure 5). La production plus élevé, et à l’inverse revu accès permanent à l’eau de boisson prairie multiespèces offerte était de à la baisse pour des niveaux de complé- (au pâturage et en bâtiment). Les deux bonne qualité, avec une teneur en mentation plus élevés ou pour des trou- traitements étudiés (accès permanent MS de 216 g/kg brut et des teneurs peaux avec davantage de primipares. à l’eau de boisson ou accès à l’eau uni- en MAT, NDF et ADF de 147, 490 et Ces résultats sont donc à compléter par quement en bâtiment) ont été com- 249 g/kg MS, respectivement. d’autres études factorielles, permettant parés sur 24 chèvres de race Alpine, d’explorer des facteurs complémen- selon un schéma en inversion avec 5.2. Réponses des chèvres taires tels que la dose de compléments deux lots homogènes de 12 chèvres à la suppression apportés ou la biomasse en entrée de (96 jours de lactation, 3,5 kg/j de lait de l’abreuvement parcelle (Delagarde et al., 2011). Il est et 53 kg de poids vif en début d’es- également nécessaire de travailler sur sai) et deux périodes successives de Les chèvres ayant accès à l’eau de les indicateurs pratiques mesurables en 14 jours (Lemoine et Delagarde, 2021). boisson au pâturage ont bu en moyenne fermes de la quantité d’herbe offerte, La production et la composition du lait, 1,9 kg d’eau durant la période d’accès au qui définit la pression ou sévérité du ainsi que le comportement alimentaire pâturage, et ont bu en bâtiment 2,2 kg pâturage. Une meilleure connaissance (Lifecorder), ont été enregistrés la der- d’eau de moins que celles qui n’avaient de repères de pilotage, comme le ratio nière semaine de chaque période. La pas d’eau au pâturage (tableau 4). entre hauteur de l’herbe en sortie et en quantité d’eau bue, à la fois au pâtu- entrée de parcelle, permet en effet à rage et en bâtiment, a été enregistrée Au final, la quantité totale d’eau terme de définir simplement la sévérité quotidiennement par lot grâce à des bue n’a pas varié entre les deux traite- du pâturage et d’estimer l’herbe ingé- compteurs relevés tous les jours. Les ments (5,6 kg/j). La proportion d’eau rée en fermes commerciales (Delagarde et al., 2017). Dans un contexte de surface Figure 5. Variations inter-journalières de la quantité totale d’eau bue moyenne par accessible souvent limitant en élevages deux groupes de 12 chèvres ayant ou non accès à de l’eau de boisson durant la caprins, il semble également pertinent période d’accès au pâturage (8 h par jour entre 08h00 et 16h00), en lien avec les de déterminer les effets cumulatifs sur variations de température journalière moyenne et maximale, (adapté de Lemoine plusieurs cycles de pâturage de diffé- et Delagarde, 2021). rentes gestions du pâturage, et en par- ticulier l’impact sur la productivité ou la valorisation de l’herbe par hectare, la production laitière par hectare, la marge économique. 5. Effet de la suppression de l’abreuvement au pâturage Il est connu que les chèvres sont capables de s’adapter facilement à une restriction d’eau temporaire, mais cela a surtout été étudié dans les pays chauds avec des races caprines locales adap- tées (Kaliber et al., 2016). En revanche, Légende : cercles = groupe 1 ; triangles = groupe 2 de chèvres ; symboles pleins = avec accès à l’eau ; il existe peu de données sur la capacité symboles vides = sans accès à l’eau ; courbe continue rouge = température moyenne journalière ; courbe des chèvres de race Alpine à se passer en pointillé rouge = température maximale journalière. INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
24 / Rémy delagarde, Hugues caillat, Alexia charpentier Tableau 4. Effet de la suppression de l’abreuvement durant les périodes d’ac- ésaisonné (mise-bas en septembre) d cès au pâturage (08h00 à 16h00) chez la chèvre laitière (adapté de Lemoine et ont pâturé simultanément des par- Delagarde, 2021). celles de prairies multiespèces, chaque parcelle étant divisée en deux pour un AVEC eau SANS eau Effet pâturage séparé des deux lots. Chaque Variable ETRa au pâturage au pâturage (P 3 kg de lait/j), les E x p é r i m e nt a l e I N R A E F E R Lu s (2,29 kg/jour). Si les chèvres multi- chèvres laitières ont donc montré une (Lusignan, 86) avait pour objectif de pares ont produit 0,70 kg/jour de lait excellente capacité à se passer d’eau déterminer l’effet du stade de lacta- de moins en fin qu’en pleine lactation, de boisson durant les 8 h d’accès au tion, de la parité (primipare ou mul- les chèvres primipares ont en revanche pâturage. Elles n’ont en effet mani- tipare), de la production laitière, du produit 0,25 kg/jour de lait de plus en festé aucun signe comportemental ou poids vif et de la note d’état corporel fin qu’en pleine lactation (interaction de production suggérant une gêne, y sur l’ingestion d’herbe des chèvres stade × parité significative), ce qui compris lors de journées très chaudes laitières de race Alpine au pâturage explique sans doute en partie l’ab- (35 °C de température maximale). Ce (Caillat et al., 2018 ; Charpentier, 2018). sence d’effet du stade de lactation sur résultat s’explique sans doute par le Pour cela, deux lots de 32 chèvres l’ingestion. Les chèvres primipares ont fait qu’au pâturage, une grande partie de race Alpine en lactation, l’un sai- ingéré en moyenne 0,60 kg MS/jour de de l’eau ingérée provient de l’herbe sonné (mise-bas en février), l’autre moins que les chèvres multipares, quel INRAE Productions Animales, 2021, numéro 1
Capacité des chèvres laitières à pâturer des prairies temporaires multiespèces / 25 que soit le stade de lactation (interac- les facteurs animaux (stade de lacta- Conclusion tion stade × parité non significative). tion, parité, production laitière, poids et perspectives Ceci est à relier principalement à leur vif et note d’état corporel) n’ont pas poids vif plus faible (43 contre 58 kg), montré d’effet significatif du stade puisque la production laitière, les taux, de lactation, de la note d’état corpo- Les études présentées montrent que la note d’état corporel et l’ingestion rel (mais avec une faible gamme de les chèvres laitières de race Alpine ont totale exprimée en pourcentage du variation), ni de la parité. L’absence de très bonnes capacités à pâturer des poids vif n’ont pas varié avec la parité d’effet significatif de la parité s’ex- prairies temporaires multiespèces de (tableau 5). plique par le fait qu’il est déjà pris en qualité. L’ingestion d’herbe a été sti- compte au travers des écarts de pro- mulée par une absence de fourrage Les chèvres ont pâturé presque 1 h duction laitière et de poids vif entre fibreux complémentaire et une assez de plus par jour en pleine qu’en fin de primipares et multipares. Le poids faible complémentation en concentrés lactation (379 contre 325 min/jour), vif et la production laitière ont été et en fourrages déshydratés. L’ingestion avec notamment un premier repas du dans cet essai au pâturage les seules totale des chèvres dans les conditions matin plus long (86 contre 56 min). Les variables animales expliquant les les plus favorables testées a été très éle- chèvres primipares ont ingéré aussi variations interindividuelles d’inges- vée, de 4 à 5 % de leur poids vif, dont longtemps mais nettement moins tion (Charpentier, 2018), ce qui est 60 à 70 % d’herbe pâturée, soit 1,8 à vite que les chèvres multipares (224 cohérent avec les équations prévi- 2,0 kg MS/jour d’herbe ingérée. Les lois contre 348 g MS/h, soit – 35 %). Les sionnelles de la capacité d’ingestion de réponse des chèvres à une restric- régressions multiples et les analyses des chèvres laitières établies sur des tion du temps d’accès ou à la quantité de covariance réalisées pour prévoir régimes conservés (Sauvant et Giger- d’herbe offerte montrent des méca- l’ingestion en prenant en compte tous Reverdin, 2018). nismes d’adaptation c omportementale Tableau 5. Effet de la suppression de l’abreuvement durant les périodes d’accès au pâturage (08h00 à 16h00) chez la chèvre laitière (adapté de Lemoine et Delagarde, 2021). Pleine lactation Fin de lactation Effet (P
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