CAS 5 : Les frontières de l'entreprise - MASTER 2 Management et Administration des Entreprises - Stéphane Saussier

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CAS 5 : Les frontières de l'entreprise - MASTER 2 Management et Administration des Entreprises - Stéphane Saussier
CAS 5 : Les frontières de l’entreprise

MASTER 2 Management et Administration des Entreprises

Stéphane Saussier

Séance n°5

                                                 Promotion 2018/2019
                                                              Fc/Fi/Jb
CAS 5 : Les frontières de l'entreprise - MASTER 2 Management et Administration des Entreprises - Stéphane Saussier
Environnement Economique de l’Entreprise
     Marchés, concurrence et régulation

Les cas et les suppléments du cours sont téléchargeables sur l’EPI de Paris 1
                       https://cours.univ-paris1.fr/

                          Stéphane Saussier
                       Saussier@univ-paris1.fr

                              IAE de Paris

                             2018 – 2019

                                                                                1
CAS 5 : Les frontières de l'entreprise - MASTER 2 Management et Administration des Entreprises - Stéphane Saussier
Cas n°5 : La détermination des frontières de
                       l’entreprise

Objectif :

Comprendre les décisions d’internalisation et déterminer les « frontières » adéquates de
l’entreprise

Composition du document :

   1. HEC – Les Echos « Les nouvelles règles de l’externalisation »
   2. L'ogre Amazon contre Alibaba et les 40 dragons, François Lévêque, La Tribune,
      11/07/2018.

Chapitres à lire dans l’ouvrage de référence : Voir les chapitres 1, 2 3 et 4 de
l’ouvrage de S. Saussier et A.Yvrande-Billon « Economie des coûts de transaction »,
Repères, 2007 disponible en ligne ici à partir d’une connexion à l’IAE de Paris :
http://www.cairn.info/feuilleter.php?ID_ARTICLE=DEC_SAUSS_2007_01_0006

                                                                                      2
Document 1, 2
Questions :
          1. Quels sont les avantages comparatifs de l’externalisation ?
          2. Comment se prend la décision d’externalisation pour une entreprise ?
             Expliquez.
          3. Identifiez les coûts de transaction dans les textes proposés.
          4. Quels comportements opportunistes peuvent être adoptés par les acteurs ?
             Pour quelle(s) raison(s) ?
          5. Quelles sont les solutions pour remédier à ces comportements ?
          6. Présenter les stratégies des deux entreprises Amazon et Alibaba. En quoi
             la recherche de la minimisation des coûts de transaction peut expliquer les
             choix faits par ces deux entreprises ? Les coûts de production sont-ils
             exclus de l’analyse ?

                                                                                      3
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                                   Doc. 1. HEC – Les Echos « Les nouvelles règles de l’externalisation »

 Services et externalisation
LES NOUVELLES RÈGLES
     DE L’EXTERNALISATION
C’est la grande tendance du moment. Mais le transfert d’une partie des activités
de l’entreprise à des prestataires est souvent définitif. Ce qui exige une démarche
des plus rigoureuses et une réflexion sur le moyen terme pour une décision
stratégique d’ampleur.

                                                                                                                                                            Illustration : Hippolyte

                                                                                                   JUILLET-AOÛT 2002   • ASSOCIATION DU GROUPE HEC 31
Dossier
                        Services et externalisation

L
       ’externalisation a le vent en poupe.                                                                                       Le cœur de métier en ligne
       Mieux : le mot est à la mode. Même                                                                                         de mire
       s’il est souvent ressenti comme parti-                                                                                     Jusqu’où doit aller l’externalisation ? Telle
culièrement... flou ! Toute sous-traitance                                                                 Quand on               est la question que se posent des dirigeants
d’un travail quelconque n’est-elle pas une                                                         touche au cœur même            partagés entre l’idée d’augmenter la valeur
forme d’externalisation ? “Pas si l’on s’en tient                                                  de la valeur ajoutée,          ajoutée par ce biais et la crainte de toucher
à une définition précise, dit Bertrand Quélin,                                                     il est inenvisageable          au cœur de métier, en réduisant la valeur de
professeur au Groupe HEC et l’un des meil-                                                       d’externaliser.                  l’entreprise. “Paradoxe : ce problème arrive
leurs spécialistes du sujet. L’externalisation est                                            L’entreprise doit au                en tête des critères d’analyse des dirigeants,
le transfert durable d’activités dans lesquelles                               contraire chercher à se renforcer.                 explique Bertrand Quélin, mais rares sont
l’entreprise a investi dans le passé.” Pas de                                                                                     ceux qui évaluent rationnellement ce périmètre
confusion possible, donc : la sous-traitance                                   Frédéric Tcherneian (H.89),                        stratégique. L’approche reste souvent subjective
industrielle en cas de surchauffe d’activité et le                             DAF de Questel Orbit                               et instinctive.”
recours à des services extérieurs au coup par                                                                                     “Dans certains cas, il n’y a pas de doute : l’ex-
coup n’ont rien à voir avec l’externalisation.                                                                                    ternalisation n’est pas envisageable car on touche
Au-delà des traditionnels restauration, jardi-                                                                                    directement à ce qui fait la valeur de l’entre-
nage, nettoyage et autres gardiennages, ce                                Diminution des coûts                                    prise”, souligne Frédéric Tcherneian (H.89),
sont aujourd’hui des fonctions stratégiques                               et efficacité accrue                                    DAF de Questel Orbit, leader de l’informa-
comme l’informatique, la logistique ou la                                 L’aspect financier reste pour les dirigeants le         tion spécialisée en propriété industrielle. Ce
fonction financière qui sont de plus en plus                              critère numéro un d’une décision d’externa-             prestataire permet à ses clients de protéger et
souvent confiées à des sociétés externes.                                 lisation. “Il s’agit de réduire le coût d’une fonc-     de valoriser par eux-mêmes leurs innova-
Exemple type d’une société prestataire dans                               tion en la confiant à des prestataires qui feront       tions, en leur donnant les moyens de maîtri-
le domaine industriel, KS Services. “Dans le                              mieux pour moins cher”, explique Bertrand               ser leur portefeuille de brevets, marques,
domaine industriel, raconte son président Paul                            Quélin. L’ensemble des coûts fixes et va-               noms de domaine, grâce à ses outils de
Tremsal (I.74), qui, en six ans, a fait passer le                         riables sont ainsi transférés au prestataire. A         recherche et de veille, ainsi qu’à une couver-
chiffre d’affaires de 6 millions de francs à plus                         lui désormais d’engager les investissements             ture géographique étendue. “Nous sommes
de 18,5 millions d’euros, nous assurons trois                             lourds dans un contexte qui peut être de forte          un fournisseur d’informations permettant à nos
                                                                          obsolescence (informatique et télécoms,                 clients de garder le contrôle de cet élément-clé de
                                                                          notamment), mais attention ! l’entreprise -             leur stratégie. En somme, notre succès tient à la
                                                                          cliente devra alors s’engager pour longtemps.           non-externalisation de cette activité”, explique
                                                                          A lui aussi de payer les salariés et de faire           en souriant Frédéric Tcherneian. C’est là un
                                           Les entreprises
                                                                          bénéficier ses clients des économies d’échelle.         autre paradoxe : la tendance croissante à
                                 ont recours à
                                                                          Autre avantage de poids, l’entreprise cliente           l’externalisation favorise les entreprises pres-
                                  l’externalisation
                                                                          bénéficie de l’expertise du prestataire dans            tataires de services qui évoluent dans les
                                  dans les domaines
                                                                          son domaine d’activité. “Le prestataire vient           domaines stratégiques non externalisables.
                                où elles doivent
                                                                          a v ec un e m é t hod e é p r o u v ée , précise Paul   Tout simplement parce que les entreprises
                             constater qu’en interne
                                                                          Tremsal. Les procédures ont été améliorées sur          ont là besoin d’un renfort permanent.
                    elles ont désappris à faire
                                                                          chaque chantier, l’organisation est rodée.” Le
       du bon travail.                                                    personnel est très qualifié, le matériel à la           Une valeur ajoutée
                                                                          pointe des technologies.                                en permanente mutation
       Paul Tremsal (I.74),                                               Une situation donc idéale ? Gare aux mira-              Mais identifier là où est le cœur de métier, là
       président de KS Services                                           ges, prévient néanmoins Jérôme Barthélemy               où se concentrera bientôt la valeur ajoutée
                                                                          (D.00), professeur de stratégie à Audencia –            suppose de mener un raisonnement à moyen
                                                                          Nantes Ecole de Management, dans un dos-                terme sur ce que doit et veut être l’entreprise.
types de prestations. Les plus connues relèvent                           sier sur l’externalisation dans le magazine             “Car on constate, explique Bertrand Quélin,
des services tertiaires (accueil, standard, sur-                          l’Expansion (juin 2002). “La valeur d’une opé-          une migration permanente de la valeur ajoutée
veillance ou nettoyage, mais également la requa-                          ration d’externalisation sera amputée par des           qui, dans le domaine industriel par exemple, ne
li f i c at i o n d e f i c h i e r s o u l e r ec o u v r e m e nt d e   coûts”, explique l’auteur de Stratégies d’exter-        se cantonne plus au produit et à sa transforma-
c r é an ce s ) ; l e d e u x i è m e t yp e d e p r e s tat i o n s      nalisation (Dunod, 2001).                               tion, mais se développe vers toutes les prestations
concerne les services logistiques (gestion des                            Ceux qu’il faut consacrer, avant la signature           associées au produit.” Par exemple, le verrier
stocks, des matières premières, des produits                              du contrat, à en définir les modalités, à iden-         dans l’industrie automobile constate que sa
finis), qui tendent aujourd’hui à englober toute                          tifier le partenaire, à évaluer sa capacité à           valeur ajoutée migre vers toutes les presta-
la gestion des flux à l’intérieur de l’entreprise et                      répondre au cahier des charges ; et ceux, pen-          tions associées à la livraison d’une vitre ar-
intègrent même les expéditions aux clients ; enfin                        dant la durée du contrat, destinés à vérifier la        rière de voiture, jusqu’au contrôle de l’étan-
le troisième est celui des services annexes à la                          prestation, et éventuellement à renégocier.             chéité.
production qui, partant de la maintenance, se                             Des sommes qu’il est impératif d’intégrer               Aussi voit-on des décisions d’externalisation
développent dans le conditionnement, le contrôle                          dans l’évaluation d’une externalisation au              toucher aujourd’hui ce qui a été le cœur de
qualité, etc.” Un champ d’activités, on le voit,                          risque de rencontrer assez vite une grosse              métier historique de certains groupes, alors
en pleine expansion.                                                      déception.                                              que la valeur ajoutée a déjà migré vers !

32           ASSOCIATION DU GROUPE HEC            • JUILLET-AOÛT 2002
Dossier
                    Services et externalisation

                                                                      une crise éventuelle. “Il n’y a pas de lien de                     tisse... à une réorganisation rendant inutile
                                                                      subordination entre l’entreprise cliente et les em-                l’externalisation.
                                                                      ployés du prestataire, rappelle Paul Tremsal.                      “Mais quand le choix de l’externalisation est fait,
                  Il ne faut pas oublier que                          D’où la nécessité d’avoir un périmètre précis d’in-                on demande de plus en plus au prestataire de
     la relation “entreprise externalisatrice-                        tervention et une interface permanente – le res-                   reprendre l’équipement, de le mettre à niveau,
     prestataire” reste avant tout une relation                       ponsable de site – entre le client et le prestataire.”             explique Bertrand Quélin. Quant aux trans-
     commerciale dans laquelle les deux                               Autre garde-fou, le contrat. Etabli sur une                        ferts de personnes, le volet social est tout à la fois
     parties cherchent à s’approprier                                 durée moyenne de 6 à 7 ans, il prévoit des pé-                     quantitatif – salaires, avantages – et qualitatif
     la plus grande partie de la valeur créée                         nalités de plus en plus lourdes en ce qui                          sur le plan de l’évolution de carrière et de la for-
     par l’externalisation” (l’Expansion -                            concerne les défaillances du prestataire. “Le                      mation.”
     juin 2002)                                                       risque majeur, commente Jérôme Barthéle-
                                                                      my, réside dans l’existence de coûts anormaux,                     Le danger
     Jérôme Barthélemy (D.00),                                        liés à l’impossibilité de changer de prestataire ou                d’une entreprise virtuelle
     Professeur de stratégie                                          de réintégrer une activité externalisée. Dans                      “A moins de se transformer en entreprise vir-
                                                                      ce cas, le prestataire peut utiliser sa position de                tuelle, la conception du produit, la gestion de la
                                                                      force pour augmenter ses tarifs ou réduire la qua-                 marque, le marketing et le relationnel clients, ne
                                                                      lité de ses prestations.” Un scénario-catas-                       me semblent pas pouvoir être totalement exter-
!   d’autres métiers et prestations, à forte domi-                    trophe où l’externalisation se traduit alors                       nalisés”, souligne Bertrand Quélin. Ce qui ne
nante tertiaire. Dans ce domaine, les groupes                         par une destruction de valeur !                                    devrait pas empêcher le mouvement vers
les plus novateurs sont ceux qui anticipent                                                                                              l’externalisation de croître : d’une part, parce
sur ce qu’ils seront demain. L’externalisation                        La nécessité                                                       que les activités “support” dans l’entreprise
bien menée est indissociable d’une réflexion                          d’une démarche stratégique                                         auront toujours plus de mal à répondre aux
stratégique sur le moyen terme.                                       Lourde donc de conséquences, de risques et                         critères de productivité des groupes. Recalés,
                                                                      d’enjeux, la décision d’externalisation doit                       elles sont conduites automatiquement à être
Gérer les risques                                                     répondre à une méthodologie rigoureuse.                            externalisées.
Reste que l’importance des risques pris gèle                          Première étape, délimiter le périmètre straté-                     D’autre part, l’externalisation devrait être
souvent certaines décisions. Qu’il s’agisse du                        gique de l’entreprise, son cœur de métier.                         renforcée par la mondialisation de groupes
risque industriel, de celui portant sur l’image                       Deuxième phase, générer les éléments                               qui ont déjà confié à certains pays (Inde,
de l’entreprise (en cas de défaillance du pres-                       comptables et financiers associés aux activi-                      Europe centrale) certaines prestations, com-
tataire vis-à-vis de la marque), ou du risque                         tés externalisables, permettant analyses et                        me la création de programmes informa-
social afférent à toute décision d’externalisa-                       comparaisons. Troisième phase, rédiger le                          tiques. Sans oublier un élément important
tion, l’entreprise et ses dirigeants se retrou-                       cahier des charges. Enfin dernière étape,                          d’accélération du processus : l’inévitable
vent exposés sans pouvoir maîtriser en direct                         contractualiser. Il arrive que ce travail abou-                    mimétisme d’entreprise.                         ■

LES CHIFFRES CLÉS                                                                                    300       milliards de dollars, dont la moitié en Europe, c’est l’estimation du marché mondial
                                                                                                     de l’externalisation. (Source : Les Echos du mercredi 29 août 2001)
PEUT-ON TOUT EXTERNALISER ?
Tableau comparatif en termes de demande et tendances                                                 70%, c’est le taux de recours à l’externalisation pour les grandes entreprises françaises
                                                                                                     en 2001, pour une moyenne de services externalisé de 2,2 et un taux de satisfaction de 90 %.
                                      PRESTATIONS CLASSIQUES                    EXTERNALISATION
                                          DE SERVICES
                                                                                                     31% des grandes entreprises citent en 2001 la flexibilité comme raison pour externaliser
 Production-Transformation                  ■■■                       !               ■■             de nouvelles fonctions. Ce taux était de 9 % en 1999.
 Ressources humaines                        ■■■■                      !               ■              34% des grandes entreprises souhaitent externaliser de nouvelles fonctions dans les
 Immobilier                                 ■                         !!              ■              deux années à venir, et seulement 6 % en envisagent l’arrêt.
                                                                                                     (Source pour les trois derniers chiffres : troisième baromètre Outsourcing d’Ander,sen).
 Optimisation financière                    ■
 Marketing & publicité                      ■■■                       !               ■
 Recherche & Développement                  ■                         !!              ■              UNE EXTERNALISATION DIFFÉRENTE SELON LE TYPE D’ENTREPRISE
 Comptabilité & audit                       ■■■                       !               ■              Fonctions externalisées en 2001

 Marketing téléphonique                     ■■■■                      !!                                                                               Entreprise                 Grandes entreprises
 Relations clients, SAV et CRM              ■■■■                      !               ■■                                                               du nouveau marché

 Informatique                               ■■■■■                     !!!             ■              Informatique et télécommunication                  26                         63
 Services transports & logistiques          ■■■■                      !!!             ■              Distribution, logistique, transport                33                         52
 Gardiennage/Jardinage                      ■■                        !               ■■             Services généraux                                  15                         37
                                                                                                     Production                                         22                         21
 Surveillance                               ■■                        !               ■■
                                                                                                     Ressources humaine                                 56                         20
 Accueil                                    ■■                        !               ■■
                                                                                                     Administration ou finances                         19                         14
 ■      = Niveau d’intensité de la demande des entreprises clientes                                  Le marketing ou la commercialisation               9                          17
    !   = Tendance de la croissance
                                                                                                     Source : troisième baromètre Outsourcing d’Andersen.

34        ASSOCIATION DU GROUPE HEC          • JUILLET-AOÛT 2002
Doc. 2. L'ogre Amazon contre Alibaba et les 40 dragons
Par François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisTech, La Tribune,
11/07/2018

Les deux géants qui dominent la distribution mondiale, même si Alibaba est
concentré sur l'immense marché chinois, fonctionnent selon des modèles
d'entreprises très différents. Dans la concurrence qu'ils se livrent, lequel
s'imposera ? Par François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisTech.

Juin est le mois des courses de bateaux-dragons à Shanghaï comme à Chicago. On y voit
des équipes de vingt pagayeurs parfaitement synchronisés filer sur leur pirogue à la proue
de démon. Bateau-Dragon est aussi le nom de code du plan d'Amazon pour devenir un
acteur global de la logistique. Comprenez un monstre d'efficacité et d'innovation dans le
transport international de marchandises qui, un jour, dépassera tous les autres, y compris
Alibaba et ses 40 dragons.

Un géant de la logistique
Quand Jeff Bezos s'est lancé en 1995 dans la vente de livres en ligne, il n'envisageait pas
d'en assurer la manutention, le stockage et la livraison. Aujourd'hui, son entreprise
dispose d'une capacité logistique d'exception pour livrer les colis - de ses entrepôts à ses
clients. Amazon est aujourd'hui quasi imbattable dans l'expédition aux consommateurs
finals. Elle prend pied désormais dans le fret international avec ses services de transitaire
maritime, ses semi-remorques et ses avions cargo. À mesure que l'ogre de Seattle grossit
de la sorte, les temps et coûts de transport diminuent et sa clientèle s'élargit. Économie
d'échelle, innovation de rupture, stratégie d'intégration verticale ouverte et sacrifice
financier sont les piliers de son succès de logisticien.

Si vous êtes client, regardez à votre prochaine commande si elle porte la mention
« Expédié par Amazon ». Elle signifie que l'entreprise s'est chargée du stockage, de la
préparation, et de l'emballage de votre achat et qu'elle a organisé le transport du colis
jusque chez vous - transport qui peut d'ailleurs être assuré soit par des prestataires - à
l'instar la Poste, DHL, ou UPS -, soit par des camions et des employés d'Amazon. Notez
que votre achat expédié par Amazon, admettons un grille-pain, ne vous a pas été
forcément vendu par Amazon.

L'entreprise de Seattle propose ses services d'expéditeur aux vendeurs de sa place de
marché. Elle ne les réserve pas à ses propres produits. Si, par exemple, votre choix s'est
porté sur l'Aicok « fente large pour croque-monsieur et tranches à sept niveaux de
dorage », le vendeur est Halokey, une entreprise de Shenzen. De Chine, elle aura
approvisionné un des centres d'Amazon en Europe et lui aura versé par appareil environ
cinq euros de frais de traitement (y compris le transport) et 0,3 euro par mois de frais de
stockage. Il peut même se faire que vous ayez acheté votre grille-pain sur un site
concurrent, comme Darty.com, et non sur Amazon.fr mais qu'il soit pourtant expédié par
Amazon.

Des services offerts à ses concurrents
Le dragon Amazon ouvre ainsi les portes de son organisation et de ses installations
logistiques à ses concurrents. C'est intrigant, non ? Pas tant que cela si on y réfléchit.
                                                                                           7
Primo, cette ouverture permet de bénéficier d'économies d'échelle. Expédier plus de
volume rend possible d'investir dans de plus grandes installations ; et les plus grandes
installations présentent un coût unitaire plus faible car leur coût fixe se répartit sur un plus
grand nombre de colis. Les dépenses de R&D sont aussi un coût fixe ; donc mieux
amorties avec du volume. Or, Amazon investit des sommes considérables dans
l'innovation logistique. Songez à la livraison futuriste par drones à la porte de votre
pavillon ou visualisez sur YouTube la robotisation à l'œuvre dans les entrepôts d'Amazon.

Secundo, expédier plus de volume procure un effet de levier pour mieux négocier avec
ses fournisseurs, obtenir par exemple de meilleurs prix auprès des géants du fret à l'instar
d'UPS ou de Fedex.

Tertio, ouvrir ses services à des tiers incite Amazon à mieux faire. Le danger de
l'intégration exclusive est que les équipes de l'expédition aient tendance à se reposer sur
leurs lauriers (Voir appendice, ci-dessous).

Quatro, l'ouverture des services logistiques à l'extérieur abreuve Amazon de nouvelles
données. Si vous achetez votre grille-pain sur un site tiers et qu'Amazon se charge de
l'expédition, Amazon vous connaîtra. Or la data, comme on dit aujourd'hui, est le nerf des
affaires. Elle permet par exemple de lancer l'expédition d'un colis alors même que l'objet
n'a pas encore été commandé. Non seulement la synchronisation des pagayeurs du
Bateau-Dragon d'Amazon est parfaite mais ils s'élancent avant le top départ ! Pour en
savoir plus sur cette invention, prenez connaissance du brevet n°
US8615473B2 « Method and system for anticipatory package shipping ». Il appartient à
Amazon Technologies Inc.

Cinquo, les clients abonnés d'Amazon profitent d'une offre encore plus étendue. Les
produits expédiés par Amazon et vendus par des tiers peuvent bénéficier du label Prime.
Les clients sont alors livrés sous deux jours et ne payent pas de frais de livraison pour le
colis qu'ils reçoivent.

Tirer profit des services
Cette façon de faire d'Amazon n'est pas réservée à la logistique. Elle fait sa fortune dans
les services informatiques en nuage (stockage, calcul, et analyse de données, outils de
développement et de gestion, etc.). Ils lui rapportent aujourd'hui près de 20 milliards de
recettes et se classent en part de marché très loin devant ceux de Microsoft, Google et
IBM. Enfin et surtout, ils représentent l'essentiel des profits du groupe.

Par contraste, la logistique est, semble-t-il, un foyer de pertes. Une estimation qui date
déjà de 2 ans l'évalue à 7 milliards de dollars, soit un peu plus de la moitié des recettes
perçues venant à la fois des commissions payées par les tiers ayant opté pour le service
d'expédition d'Amazon et de l'abonnement payé par les clients Prime. Ces derniers
évidemment coûtent cher en logistique puisque pour 99 dollars par an ils bénéficient d'une
livraison gratuite.

Petit calcul de coin de table. Ils sont 100 millions et représentent 4 milliards de livraisons
(non comprises les expéditions de tiers prises en charge par Amazon mais rémunérées),
soit 40 livraisons par an. En supposant que leur abonnement serve exclusivement à
couvrir les coûts de logistique pour les servir, Amazon perdrait de l'argent au-delà d'un
seuil de 2,5 euros par livraison.
                                                                                              8
Un seuil vraiment très bas. Si bas que la viabilité du modèle de croissance d'Amazon
est périodiquement questionnée. Les clients « Prime » dépensent deux fois plus que les
autres et leur nombre devrait continuer de grossir à toute allure. Ils sont incités à acheter
plus car ils payent un forfait annuel et ne payent plus ensuite les frais de livraison. En
outre, ils ont droit à toute une série de goodies et autres bounties : séries originales et
films cultes, espace de stockage des photos, prêt de livre pour les possesseurs de la liseuse
Kindle, livraison en 2 heures dans certaines métropoles, etc.

Aux États-Unis, près d'un client sur deux d'Amazon est désormais abonné à Prime.
Évidemment, si ces clients commandent séparément leur nouvelle brosse à dents puis un
tube de dentifrice, le dernier CD paru et ensuite le livre à succès du moment, ou encore
le flacon de crème à bronzer pour l'été et après la serviette de plage cela fait un très grand
nombre de petits colis à préparer et à livrer à marge inexistante ou à perte.

Mais Amazon a les moyens de réagir : en facilitant le regroupement des achats grâce à
des boutons électroniques spéciaux pour les emplettes récurrentes ; en augmentant le prix
du forfait - en janvier dernier aux États-Unis l'abonnement mensuel est ainsi passé de 2 à
12,99 dollar - ; et bien sûr en pagayant de plus en plus vite pour réduire ses coûts de
préparation et transport de paquets.

Un géant du commerce international
Le bateau-dragon d'Amazon s'essaye maintenant à la course au large. Il déploie ses ailes
avec sa flotte d'avions cargo et son hub à Cincinnati, loue de l'espace sur les porte-
conteneurs, et numérise les activités de transitaire. La majorité des vendeurs de sa place
de marché sont des entreprises non américaines, en particulier chinoises à l'exemple du
marchand de grille-pain déjà mentionné. En tout, on estime que le quart des ventes
d'Amazon par des tiers est réalisé avec des produits qui ont traversé au moins une
frontière. Elles connaissent une croissance très rapide et pourraient atteindre
1.200 milliards de dollars en 2021 contre 400 aujourd'hui.

Or la logistique internationale a des poches de coûts qui pourraient être drastiquement
réduites. Un paquet de 70 kg expédié par avion entre Shanghai et Londres met trois fois
plus de temps et coûte quatre fois plus cher qu'un passager du même poids. Et lui a droit
en plus à un bagage en soute et une boisson et une collation gratuites !

À ces raisons d'Amazon d'entrer dans la logistique globale s'ajoute la rivalité d'Alibaba.

Le modèle concurrent d'Alibaba
Contrairement à la firme américaine, le dragon chinois du commerce électronique est peu
intégré. Il assure pareillement la moitié de ce commerce dans son fief national, mais sans
actifs en dur comme des entrepôts ou des magasins de briques et mortier. C'est un
ensemble de places de marché, à l'instar de Taobao qui met en relation des vendeurs et
acheteurs, particuliers ou petites entreprises. Il n'achète pas pour revendre et ne gère ni
stockage ni livraison. Il est en revanche au sommet d'une pyramide logistique.

Alibaba a en effet fondé un consortium d'entreprises regroupant une quarantaine de
grands expéditeurs et transporteurs chinois, Cainiao Smart Logistics Network, dont il
détient la majorité. Cette troupe de dragons maîtrise plus des deux tiers du marché chinois

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des colis, soit le chiffre saisissant de 30 millions de paquets par jour en moyenne, ou, plus
impressionnant encore, 812 millions pour la seule journée du 11 novembre 2017, fête des
célibataires. « Maîtrise », et non « opère », car Cainiao est avant tout une entreprise de
données qui collecte, traite et partage les informations de ses membres et de leurs sous-
traitants, soit la plupart des centres de stockage et de distribution ainsi que des
transporteurs de marchandise du pays. Cainiao réalise le gros de son activité en Chine
mais est en train de s'étendre dans le monde entier. Son objectif est de permettre aux
fournisseurs d'atteindre un client étranger dans un délai trois jours.

Le choc Amazon-Alibaba
Amazon et sa logistique globale intégrée et Alibaba et ses quarante dragons de Cainiao
cherchent ainsi à faciliter les échanges entre acheteurs et vendeurs de différents pays.
Vous connaissez Amazon.com et ses déclinaisons nationales.fr,.de ou.it, mais peut-être
pas encore Aliexpress.com, la place de marché internationale d'Alibaba qui met en contact
des vendeurs, surtout chinois, avec le reste du monde. Elle est aujourd'hui la première en
Russie et connaît un certain succès en Espagne et au Brésil. Peu de chances aussi que
vous connaissiez 1688.com. Ce n'est pas la copie chinoise d'une célèbre marque de bière
alsacienne mais la place de marché d'Alibaba spécialisée dans les échanges entre
entreprises, en particulier de PME. Là encore, l'internationalisation passe par une offre de
services qui comprend dédouanement et logistique.

De son côté, Amazon n'est pas en reste. L'entreprise des Seattle est en particulier
intéressée par le marché chinois où elle est très peu présente. Or les consommateurs de la
classe moyenne et supérieure sont attirés par certains produits de l'étranger, des produits
de marque bien sûr mais aussi des produits dont la qualité sanitaire est jugée sans risque,
contrairement aux produits locaux à l'instar du lait en poudre. Là encore une logistique
internationale innovante, efficace et fiable est un avantage clef.

Les deux bateaux-dragons sont désormais bien lancés dans la course à la logistique
globale. Difficile de prévoir les places à l'arrivée car la compétition ne fait que
commencer.

                     Appendice : Faire ou faire-faire ?
                     Faire soi-même ou faire faire par d'autres est une décision stratégique
                     classique d'entreprise. Un constructeur automobile, par exemple, fait
                     lui-même le moteur et la carrosserie dans ses ateliers mais « fait
                     faire » les pneus et les phares par des fournisseurs d'équipement à qui
                     il les achète. Pourquoi ? Cette question de l'intégration verticale a été
                     étudiée en long et en large par l'analyse économique depuis
                     maintenant près d'un siècle.

                     Tout commence par un des articles les plus cités de la littérature
                     économique : La nature de la firme de Ronald Coase publié en 1937.
Ce grand économiste britannique, qui a fait l'essentiel de sa carrière à l'Université de
Chicago, conçoit pour la première fois l'entreprise comme un mécanisme alternatif du
marché dans l'allocation des ressources. C'est en effet ses dirigeants qui décident que telle
                                                                                          10
machine de la société sera attribuée à tels atelier ou usine, ou que telle pièce intermédiaire
de fabrication sera reprise ensuite dans telle ligne de production.

D'où alors la question du choix entre faire appel au marché en passant un contrat avec un
fournisseur extérieur ou bien s'arranger pour produire soi-même. Intuitivement, vous êtes
tenté de répondre faire-faire si c'est moins cher que produire en interne, et produire en
interne dans le cas inverse. Bref, comparer les coûts de production du fournisseur
extérieur et de la fabrication en interne.

C'est juste mais insuffisant car, et c'est là le pas de géant de Coase, l'allocation des
ressources par le marché ou dans l'entreprise n'est pas un mécanisme gratuit. En sus des
coûts de production, il y a les coûts de transaction, les coûts pour passer un contrat avec
un fournisseur et les coûts pour transmettre un ordre et le faire exécuter dans l'entreprise.
Ces coûts vous paraissent sans doute négligeables mais c'est que vous ne percevez pas
que passer un contrat réclame de collecter de l'information (le fournisseur est-il fiable ?
Son prix correct ?), de rédiger un contrat en bonne et due forme, de s'assurer de sa bonne
exécution et de traiter l'affaire en cas de litige.

De même, transmettre un ordre et le faire respecter réclament des informations, une
organisation hiérarchique interne, un règlement intérieur, du reporting, de la négociation,
etc. Les échanges dans l'entreprise ou par le marché ne se déroulent pas dans le vide. C'est
comme en physique, il y a des frottements. Il faut donc comparer la somme coût de
production plus coût de transaction, et non simplement mettre en regard le coût de
production du fournisseur et de la chaîne de fabrication interne.

La réponse moderne à la question faire ou faire-faire est plus compliquée. Elle repose sur
deux concepts aux termes barbares : contrat incomplet et droit de contrôle résiduel. Le
premier signifie que faute d'information suffisante, en particulier sur le futur, un contrat,
par exemple de fourniture, ne peut pas prévoir tous les cas de figure. Il présente fatalement
des trous. Celui qui peut les boucher doit en avoir le droit, c'est l'idée de droit résiduel,
droit dont dispose par construction le propriétaire car c'est lui qui contrôle les actifs
(bâtiments, machines, stocks, brevets, etc.).

Ce contrôle a deux effets. D'un côté, il réduit l'opportunisme : il y a moins de risque de
dépendre de ses propres équipements et troupes que de ceux d'un fournisseur. D'un autre,
il est moins incitatif à faire des efforts par exemple de productivité ou d'innovation. Dans
le cas du fournisseur, il a intérêt à faire de son mieux car il en récoltera tous les fruits.
Dans le cas des dites troupes, si l'usine ou la filiale font mieux, le bénéfice ira à l'entreprise
et ses actionnaires et seulement une partie, par exemple à travers des primes sur le salaire,
à ceux qui ont déployé les efforts.

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