CAS 5 : Les frontières de l'entreprise - MASTER 2 Management et Administration des Entreprises - Stéphane Saussier
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CAS 5 : Les frontières de l’entreprise MASTER 2 Management et Administration des Entreprises Stéphane Saussier Séance n°5 Promotion 2018/2019 Fc/Fi/Jb
Environnement Economique de l’Entreprise Marchés, concurrence et régulation Les cas et les suppléments du cours sont téléchargeables sur l’EPI de Paris 1 https://cours.univ-paris1.fr/ Stéphane Saussier Saussier@univ-paris1.fr IAE de Paris 2018 – 2019 1
Cas n°5 : La détermination des frontières de l’entreprise Objectif : Comprendre les décisions d’internalisation et déterminer les « frontières » adéquates de l’entreprise Composition du document : 1. HEC – Les Echos « Les nouvelles règles de l’externalisation » 2. L'ogre Amazon contre Alibaba et les 40 dragons, François Lévêque, La Tribune, 11/07/2018. Chapitres à lire dans l’ouvrage de référence : Voir les chapitres 1, 2 3 et 4 de l’ouvrage de S. Saussier et A.Yvrande-Billon « Economie des coûts de transaction », Repères, 2007 disponible en ligne ici à partir d’une connexion à l’IAE de Paris : http://www.cairn.info/feuilleter.php?ID_ARTICLE=DEC_SAUSS_2007_01_0006 2
Document 1, 2 Questions : 1. Quels sont les avantages comparatifs de l’externalisation ? 2. Comment se prend la décision d’externalisation pour une entreprise ? Expliquez. 3. Identifiez les coûts de transaction dans les textes proposés. 4. Quels comportements opportunistes peuvent être adoptés par les acteurs ? Pour quelle(s) raison(s) ? 5. Quelles sont les solutions pour remédier à ces comportements ? 6. Présenter les stratégies des deux entreprises Amazon et Alibaba. En quoi la recherche de la minimisation des coûts de transaction peut expliquer les choix faits par ces deux entreprises ? Les coûts de production sont-ils exclus de l’analyse ? 3
Galaxie HEC En couverture Dossier Groupe HEC Métiers Travelling Votre carrière Management Atraverslemonde Actualités Association Doc. 1. HEC – Les Echos « Les nouvelles règles de l’externalisation » Services et externalisation LES NOUVELLES RÈGLES DE L’EXTERNALISATION C’est la grande tendance du moment. Mais le transfert d’une partie des activités de l’entreprise à des prestataires est souvent définitif. Ce qui exige une démarche des plus rigoureuses et une réflexion sur le moyen terme pour une décision stratégique d’ampleur. Illustration : Hippolyte JUILLET-AOÛT 2002 • ASSOCIATION DU GROUPE HEC 31
Dossier Services et externalisation L ’externalisation a le vent en poupe. Le cœur de métier en ligne Mieux : le mot est à la mode. Même de mire s’il est souvent ressenti comme parti- Jusqu’où doit aller l’externalisation ? Telle culièrement... flou ! Toute sous-traitance Quand on est la question que se posent des dirigeants d’un travail quelconque n’est-elle pas une touche au cœur même partagés entre l’idée d’augmenter la valeur forme d’externalisation ? “Pas si l’on s’en tient de la valeur ajoutée, ajoutée par ce biais et la crainte de toucher à une définition précise, dit Bertrand Quélin, il est inenvisageable au cœur de métier, en réduisant la valeur de professeur au Groupe HEC et l’un des meil- d’externaliser. l’entreprise. “Paradoxe : ce problème arrive leurs spécialistes du sujet. L’externalisation est L’entreprise doit au en tête des critères d’analyse des dirigeants, le transfert durable d’activités dans lesquelles contraire chercher à se renforcer. explique Bertrand Quélin, mais rares sont l’entreprise a investi dans le passé.” Pas de ceux qui évaluent rationnellement ce périmètre confusion possible, donc : la sous-traitance Frédéric Tcherneian (H.89), stratégique. L’approche reste souvent subjective industrielle en cas de surchauffe d’activité et le DAF de Questel Orbit et instinctive.” recours à des services extérieurs au coup par “Dans certains cas, il n’y a pas de doute : l’ex- coup n’ont rien à voir avec l’externalisation. ternalisation n’est pas envisageable car on touche Au-delà des traditionnels restauration, jardi- directement à ce qui fait la valeur de l’entre- nage, nettoyage et autres gardiennages, ce Diminution des coûts prise”, souligne Frédéric Tcherneian (H.89), sont aujourd’hui des fonctions stratégiques et efficacité accrue DAF de Questel Orbit, leader de l’informa- comme l’informatique, la logistique ou la L’aspect financier reste pour les dirigeants le tion spécialisée en propriété industrielle. Ce fonction financière qui sont de plus en plus critère numéro un d’une décision d’externa- prestataire permet à ses clients de protéger et souvent confiées à des sociétés externes. lisation. “Il s’agit de réduire le coût d’une fonc- de valoriser par eux-mêmes leurs innova- Exemple type d’une société prestataire dans tion en la confiant à des prestataires qui feront tions, en leur donnant les moyens de maîtri- le domaine industriel, KS Services. “Dans le mieux pour moins cher”, explique Bertrand ser leur portefeuille de brevets, marques, domaine industriel, raconte son président Paul Quélin. L’ensemble des coûts fixes et va- noms de domaine, grâce à ses outils de Tremsal (I.74), qui, en six ans, a fait passer le riables sont ainsi transférés au prestataire. A recherche et de veille, ainsi qu’à une couver- chiffre d’affaires de 6 millions de francs à plus lui désormais d’engager les investissements ture géographique étendue. “Nous sommes de 18,5 millions d’euros, nous assurons trois lourds dans un contexte qui peut être de forte un fournisseur d’informations permettant à nos obsolescence (informatique et télécoms, clients de garder le contrôle de cet élément-clé de notamment), mais attention ! l’entreprise - leur stratégie. En somme, notre succès tient à la cliente devra alors s’engager pour longtemps. non-externalisation de cette activité”, explique A lui aussi de payer les salariés et de faire en souriant Frédéric Tcherneian. C’est là un Les entreprises bénéficier ses clients des économies d’échelle. autre paradoxe : la tendance croissante à ont recours à Autre avantage de poids, l’entreprise cliente l’externalisation favorise les entreprises pres- l’externalisation bénéficie de l’expertise du prestataire dans tataires de services qui évoluent dans les dans les domaines son domaine d’activité. “Le prestataire vient domaines stratégiques non externalisables. où elles doivent a v ec un e m é t hod e é p r o u v ée , précise Paul Tout simplement parce que les entreprises constater qu’en interne Tremsal. Les procédures ont été améliorées sur ont là besoin d’un renfort permanent. elles ont désappris à faire chaque chantier, l’organisation est rodée.” Le du bon travail. personnel est très qualifié, le matériel à la Une valeur ajoutée pointe des technologies. en permanente mutation Paul Tremsal (I.74), Une situation donc idéale ? Gare aux mira- Mais identifier là où est le cœur de métier, là président de KS Services ges, prévient néanmoins Jérôme Barthélemy où se concentrera bientôt la valeur ajoutée (D.00), professeur de stratégie à Audencia – suppose de mener un raisonnement à moyen Nantes Ecole de Management, dans un dos- terme sur ce que doit et veut être l’entreprise. types de prestations. Les plus connues relèvent sier sur l’externalisation dans le magazine “Car on constate, explique Bertrand Quélin, des services tertiaires (accueil, standard, sur- l’Expansion (juin 2002). “La valeur d’une opé- une migration permanente de la valeur ajoutée veillance ou nettoyage, mais également la requa- ration d’externalisation sera amputée par des qui, dans le domaine industriel par exemple, ne li f i c at i o n d e f i c h i e r s o u l e r ec o u v r e m e nt d e coûts”, explique l’auteur de Stratégies d’exter- se cantonne plus au produit et à sa transforma- c r é an ce s ) ; l e d e u x i è m e t yp e d e p r e s tat i o n s nalisation (Dunod, 2001). tion, mais se développe vers toutes les prestations concerne les services logistiques (gestion des Ceux qu’il faut consacrer, avant la signature associées au produit.” Par exemple, le verrier stocks, des matières premières, des produits du contrat, à en définir les modalités, à iden- dans l’industrie automobile constate que sa finis), qui tendent aujourd’hui à englober toute tifier le partenaire, à évaluer sa capacité à valeur ajoutée migre vers toutes les presta- la gestion des flux à l’intérieur de l’entreprise et répondre au cahier des charges ; et ceux, pen- tions associées à la livraison d’une vitre ar- intègrent même les expéditions aux clients ; enfin dant la durée du contrat, destinés à vérifier la rière de voiture, jusqu’au contrôle de l’étan- le troisième est celui des services annexes à la prestation, et éventuellement à renégocier. chéité. production qui, partant de la maintenance, se Des sommes qu’il est impératif d’intégrer Aussi voit-on des décisions d’externalisation développent dans le conditionnement, le contrôle dans l’évaluation d’une externalisation au toucher aujourd’hui ce qui a été le cœur de qualité, etc.” Un champ d’activités, on le voit, risque de rencontrer assez vite une grosse métier historique de certains groupes, alors en pleine expansion. déception. que la valeur ajoutée a déjà migré vers ! 32 ASSOCIATION DU GROUPE HEC • JUILLET-AOÛT 2002
Dossier Services et externalisation une crise éventuelle. “Il n’y a pas de lien de tisse... à une réorganisation rendant inutile subordination entre l’entreprise cliente et les em- l’externalisation. ployés du prestataire, rappelle Paul Tremsal. “Mais quand le choix de l’externalisation est fait, Il ne faut pas oublier que D’où la nécessité d’avoir un périmètre précis d’in- on demande de plus en plus au prestataire de la relation “entreprise externalisatrice- tervention et une interface permanente – le res- reprendre l’équipement, de le mettre à niveau, prestataire” reste avant tout une relation ponsable de site – entre le client et le prestataire.” explique Bertrand Quélin. Quant aux trans- commerciale dans laquelle les deux Autre garde-fou, le contrat. Etabli sur une ferts de personnes, le volet social est tout à la fois parties cherchent à s’approprier durée moyenne de 6 à 7 ans, il prévoit des pé- quantitatif – salaires, avantages – et qualitatif la plus grande partie de la valeur créée nalités de plus en plus lourdes en ce qui sur le plan de l’évolution de carrière et de la for- par l’externalisation” (l’Expansion - concerne les défaillances du prestataire. “Le mation.” juin 2002) risque majeur, commente Jérôme Barthéle- my, réside dans l’existence de coûts anormaux, Le danger Jérôme Barthélemy (D.00), liés à l’impossibilité de changer de prestataire ou d’une entreprise virtuelle Professeur de stratégie de réintégrer une activité externalisée. Dans “A moins de se transformer en entreprise vir- ce cas, le prestataire peut utiliser sa position de tuelle, la conception du produit, la gestion de la force pour augmenter ses tarifs ou réduire la qua- marque, le marketing et le relationnel clients, ne lité de ses prestations.” Un scénario-catas- me semblent pas pouvoir être totalement exter- ! d’autres métiers et prestations, à forte domi- trophe où l’externalisation se traduit alors nalisés”, souligne Bertrand Quélin. Ce qui ne nante tertiaire. Dans ce domaine, les groupes par une destruction de valeur ! devrait pas empêcher le mouvement vers les plus novateurs sont ceux qui anticipent l’externalisation de croître : d’une part, parce sur ce qu’ils seront demain. L’externalisation La nécessité que les activités “support” dans l’entreprise bien menée est indissociable d’une réflexion d’une démarche stratégique auront toujours plus de mal à répondre aux stratégique sur le moyen terme. Lourde donc de conséquences, de risques et critères de productivité des groupes. Recalés, d’enjeux, la décision d’externalisation doit elles sont conduites automatiquement à être Gérer les risques répondre à une méthodologie rigoureuse. externalisées. Reste que l’importance des risques pris gèle Première étape, délimiter le périmètre straté- D’autre part, l’externalisation devrait être souvent certaines décisions. Qu’il s’agisse du gique de l’entreprise, son cœur de métier. renforcée par la mondialisation de groupes risque industriel, de celui portant sur l’image Deuxième phase, générer les éléments qui ont déjà confié à certains pays (Inde, de l’entreprise (en cas de défaillance du pres- comptables et financiers associés aux activi- Europe centrale) certaines prestations, com- tataire vis-à-vis de la marque), ou du risque tés externalisables, permettant analyses et me la création de programmes informa- social afférent à toute décision d’externalisa- comparaisons. Troisième phase, rédiger le tiques. Sans oublier un élément important tion, l’entreprise et ses dirigeants se retrou- cahier des charges. Enfin dernière étape, d’accélération du processus : l’inévitable vent exposés sans pouvoir maîtriser en direct contractualiser. Il arrive que ce travail abou- mimétisme d’entreprise. ■ LES CHIFFRES CLÉS 300 milliards de dollars, dont la moitié en Europe, c’est l’estimation du marché mondial de l’externalisation. (Source : Les Echos du mercredi 29 août 2001) PEUT-ON TOUT EXTERNALISER ? Tableau comparatif en termes de demande et tendances 70%, c’est le taux de recours à l’externalisation pour les grandes entreprises françaises en 2001, pour une moyenne de services externalisé de 2,2 et un taux de satisfaction de 90 %. PRESTATIONS CLASSIQUES EXTERNALISATION DE SERVICES 31% des grandes entreprises citent en 2001 la flexibilité comme raison pour externaliser Production-Transformation ■■■ ! ■■ de nouvelles fonctions. Ce taux était de 9 % en 1999. Ressources humaines ■■■■ ! ■ 34% des grandes entreprises souhaitent externaliser de nouvelles fonctions dans les Immobilier ■ !! ■ deux années à venir, et seulement 6 % en envisagent l’arrêt. (Source pour les trois derniers chiffres : troisième baromètre Outsourcing d’Ander,sen). Optimisation financière ■ Marketing & publicité ■■■ ! ■ Recherche & Développement ■ !! ■ UNE EXTERNALISATION DIFFÉRENTE SELON LE TYPE D’ENTREPRISE Comptabilité & audit ■■■ ! ■ Fonctions externalisées en 2001 Marketing téléphonique ■■■■ !! Entreprise Grandes entreprises Relations clients, SAV et CRM ■■■■ ! ■■ du nouveau marché Informatique ■■■■■ !!! ■ Informatique et télécommunication 26 63 Services transports & logistiques ■■■■ !!! ■ Distribution, logistique, transport 33 52 Gardiennage/Jardinage ■■ ! ■■ Services généraux 15 37 Production 22 21 Surveillance ■■ ! ■■ Ressources humaine 56 20 Accueil ■■ ! ■■ Administration ou finances 19 14 ■ = Niveau d’intensité de la demande des entreprises clientes Le marketing ou la commercialisation 9 17 ! = Tendance de la croissance Source : troisième baromètre Outsourcing d’Andersen. 34 ASSOCIATION DU GROUPE HEC • JUILLET-AOÛT 2002
Doc. 2. L'ogre Amazon contre Alibaba et les 40 dragons Par François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisTech, La Tribune, 11/07/2018 Les deux géants qui dominent la distribution mondiale, même si Alibaba est concentré sur l'immense marché chinois, fonctionnent selon des modèles d'entreprises très différents. Dans la concurrence qu'ils se livrent, lequel s'imposera ? Par François Lévêque, Professeur d'économie, Mines ParisTech. Juin est le mois des courses de bateaux-dragons à Shanghaï comme à Chicago. On y voit des équipes de vingt pagayeurs parfaitement synchronisés filer sur leur pirogue à la proue de démon. Bateau-Dragon est aussi le nom de code du plan d'Amazon pour devenir un acteur global de la logistique. Comprenez un monstre d'efficacité et d'innovation dans le transport international de marchandises qui, un jour, dépassera tous les autres, y compris Alibaba et ses 40 dragons. Un géant de la logistique Quand Jeff Bezos s'est lancé en 1995 dans la vente de livres en ligne, il n'envisageait pas d'en assurer la manutention, le stockage et la livraison. Aujourd'hui, son entreprise dispose d'une capacité logistique d'exception pour livrer les colis - de ses entrepôts à ses clients. Amazon est aujourd'hui quasi imbattable dans l'expédition aux consommateurs finals. Elle prend pied désormais dans le fret international avec ses services de transitaire maritime, ses semi-remorques et ses avions cargo. À mesure que l'ogre de Seattle grossit de la sorte, les temps et coûts de transport diminuent et sa clientèle s'élargit. Économie d'échelle, innovation de rupture, stratégie d'intégration verticale ouverte et sacrifice financier sont les piliers de son succès de logisticien. Si vous êtes client, regardez à votre prochaine commande si elle porte la mention « Expédié par Amazon ». Elle signifie que l'entreprise s'est chargée du stockage, de la préparation, et de l'emballage de votre achat et qu'elle a organisé le transport du colis jusque chez vous - transport qui peut d'ailleurs être assuré soit par des prestataires - à l'instar la Poste, DHL, ou UPS -, soit par des camions et des employés d'Amazon. Notez que votre achat expédié par Amazon, admettons un grille-pain, ne vous a pas été forcément vendu par Amazon. L'entreprise de Seattle propose ses services d'expéditeur aux vendeurs de sa place de marché. Elle ne les réserve pas à ses propres produits. Si, par exemple, votre choix s'est porté sur l'Aicok « fente large pour croque-monsieur et tranches à sept niveaux de dorage », le vendeur est Halokey, une entreprise de Shenzen. De Chine, elle aura approvisionné un des centres d'Amazon en Europe et lui aura versé par appareil environ cinq euros de frais de traitement (y compris le transport) et 0,3 euro par mois de frais de stockage. Il peut même se faire que vous ayez acheté votre grille-pain sur un site concurrent, comme Darty.com, et non sur Amazon.fr mais qu'il soit pourtant expédié par Amazon. Des services offerts à ses concurrents Le dragon Amazon ouvre ainsi les portes de son organisation et de ses installations logistiques à ses concurrents. C'est intrigant, non ? Pas tant que cela si on y réfléchit. 7
Primo, cette ouverture permet de bénéficier d'économies d'échelle. Expédier plus de volume rend possible d'investir dans de plus grandes installations ; et les plus grandes installations présentent un coût unitaire plus faible car leur coût fixe se répartit sur un plus grand nombre de colis. Les dépenses de R&D sont aussi un coût fixe ; donc mieux amorties avec du volume. Or, Amazon investit des sommes considérables dans l'innovation logistique. Songez à la livraison futuriste par drones à la porte de votre pavillon ou visualisez sur YouTube la robotisation à l'œuvre dans les entrepôts d'Amazon. Secundo, expédier plus de volume procure un effet de levier pour mieux négocier avec ses fournisseurs, obtenir par exemple de meilleurs prix auprès des géants du fret à l'instar d'UPS ou de Fedex. Tertio, ouvrir ses services à des tiers incite Amazon à mieux faire. Le danger de l'intégration exclusive est que les équipes de l'expédition aient tendance à se reposer sur leurs lauriers (Voir appendice, ci-dessous). Quatro, l'ouverture des services logistiques à l'extérieur abreuve Amazon de nouvelles données. Si vous achetez votre grille-pain sur un site tiers et qu'Amazon se charge de l'expédition, Amazon vous connaîtra. Or la data, comme on dit aujourd'hui, est le nerf des affaires. Elle permet par exemple de lancer l'expédition d'un colis alors même que l'objet n'a pas encore été commandé. Non seulement la synchronisation des pagayeurs du Bateau-Dragon d'Amazon est parfaite mais ils s'élancent avant le top départ ! Pour en savoir plus sur cette invention, prenez connaissance du brevet n° US8615473B2 « Method and system for anticipatory package shipping ». Il appartient à Amazon Technologies Inc. Cinquo, les clients abonnés d'Amazon profitent d'une offre encore plus étendue. Les produits expédiés par Amazon et vendus par des tiers peuvent bénéficier du label Prime. Les clients sont alors livrés sous deux jours et ne payent pas de frais de livraison pour le colis qu'ils reçoivent. Tirer profit des services Cette façon de faire d'Amazon n'est pas réservée à la logistique. Elle fait sa fortune dans les services informatiques en nuage (stockage, calcul, et analyse de données, outils de développement et de gestion, etc.). Ils lui rapportent aujourd'hui près de 20 milliards de recettes et se classent en part de marché très loin devant ceux de Microsoft, Google et IBM. Enfin et surtout, ils représentent l'essentiel des profits du groupe. Par contraste, la logistique est, semble-t-il, un foyer de pertes. Une estimation qui date déjà de 2 ans l'évalue à 7 milliards de dollars, soit un peu plus de la moitié des recettes perçues venant à la fois des commissions payées par les tiers ayant opté pour le service d'expédition d'Amazon et de l'abonnement payé par les clients Prime. Ces derniers évidemment coûtent cher en logistique puisque pour 99 dollars par an ils bénéficient d'une livraison gratuite. Petit calcul de coin de table. Ils sont 100 millions et représentent 4 milliards de livraisons (non comprises les expéditions de tiers prises en charge par Amazon mais rémunérées), soit 40 livraisons par an. En supposant que leur abonnement serve exclusivement à couvrir les coûts de logistique pour les servir, Amazon perdrait de l'argent au-delà d'un seuil de 2,5 euros par livraison. 8
Un seuil vraiment très bas. Si bas que la viabilité du modèle de croissance d'Amazon est périodiquement questionnée. Les clients « Prime » dépensent deux fois plus que les autres et leur nombre devrait continuer de grossir à toute allure. Ils sont incités à acheter plus car ils payent un forfait annuel et ne payent plus ensuite les frais de livraison. En outre, ils ont droit à toute une série de goodies et autres bounties : séries originales et films cultes, espace de stockage des photos, prêt de livre pour les possesseurs de la liseuse Kindle, livraison en 2 heures dans certaines métropoles, etc. Aux États-Unis, près d'un client sur deux d'Amazon est désormais abonné à Prime. Évidemment, si ces clients commandent séparément leur nouvelle brosse à dents puis un tube de dentifrice, le dernier CD paru et ensuite le livre à succès du moment, ou encore le flacon de crème à bronzer pour l'été et après la serviette de plage cela fait un très grand nombre de petits colis à préparer et à livrer à marge inexistante ou à perte. Mais Amazon a les moyens de réagir : en facilitant le regroupement des achats grâce à des boutons électroniques spéciaux pour les emplettes récurrentes ; en augmentant le prix du forfait - en janvier dernier aux États-Unis l'abonnement mensuel est ainsi passé de 2 à 12,99 dollar - ; et bien sûr en pagayant de plus en plus vite pour réduire ses coûts de préparation et transport de paquets. Un géant du commerce international Le bateau-dragon d'Amazon s'essaye maintenant à la course au large. Il déploie ses ailes avec sa flotte d'avions cargo et son hub à Cincinnati, loue de l'espace sur les porte- conteneurs, et numérise les activités de transitaire. La majorité des vendeurs de sa place de marché sont des entreprises non américaines, en particulier chinoises à l'exemple du marchand de grille-pain déjà mentionné. En tout, on estime que le quart des ventes d'Amazon par des tiers est réalisé avec des produits qui ont traversé au moins une frontière. Elles connaissent une croissance très rapide et pourraient atteindre 1.200 milliards de dollars en 2021 contre 400 aujourd'hui. Or la logistique internationale a des poches de coûts qui pourraient être drastiquement réduites. Un paquet de 70 kg expédié par avion entre Shanghai et Londres met trois fois plus de temps et coûte quatre fois plus cher qu'un passager du même poids. Et lui a droit en plus à un bagage en soute et une boisson et une collation gratuites ! À ces raisons d'Amazon d'entrer dans la logistique globale s'ajoute la rivalité d'Alibaba. Le modèle concurrent d'Alibaba Contrairement à la firme américaine, le dragon chinois du commerce électronique est peu intégré. Il assure pareillement la moitié de ce commerce dans son fief national, mais sans actifs en dur comme des entrepôts ou des magasins de briques et mortier. C'est un ensemble de places de marché, à l'instar de Taobao qui met en relation des vendeurs et acheteurs, particuliers ou petites entreprises. Il n'achète pas pour revendre et ne gère ni stockage ni livraison. Il est en revanche au sommet d'une pyramide logistique. Alibaba a en effet fondé un consortium d'entreprises regroupant une quarantaine de grands expéditeurs et transporteurs chinois, Cainiao Smart Logistics Network, dont il détient la majorité. Cette troupe de dragons maîtrise plus des deux tiers du marché chinois 9
des colis, soit le chiffre saisissant de 30 millions de paquets par jour en moyenne, ou, plus impressionnant encore, 812 millions pour la seule journée du 11 novembre 2017, fête des célibataires. « Maîtrise », et non « opère », car Cainiao est avant tout une entreprise de données qui collecte, traite et partage les informations de ses membres et de leurs sous- traitants, soit la plupart des centres de stockage et de distribution ainsi que des transporteurs de marchandise du pays. Cainiao réalise le gros de son activité en Chine mais est en train de s'étendre dans le monde entier. Son objectif est de permettre aux fournisseurs d'atteindre un client étranger dans un délai trois jours. Le choc Amazon-Alibaba Amazon et sa logistique globale intégrée et Alibaba et ses quarante dragons de Cainiao cherchent ainsi à faciliter les échanges entre acheteurs et vendeurs de différents pays. Vous connaissez Amazon.com et ses déclinaisons nationales.fr,.de ou.it, mais peut-être pas encore Aliexpress.com, la place de marché internationale d'Alibaba qui met en contact des vendeurs, surtout chinois, avec le reste du monde. Elle est aujourd'hui la première en Russie et connaît un certain succès en Espagne et au Brésil. Peu de chances aussi que vous connaissiez 1688.com. Ce n'est pas la copie chinoise d'une célèbre marque de bière alsacienne mais la place de marché d'Alibaba spécialisée dans les échanges entre entreprises, en particulier de PME. Là encore, l'internationalisation passe par une offre de services qui comprend dédouanement et logistique. De son côté, Amazon n'est pas en reste. L'entreprise des Seattle est en particulier intéressée par le marché chinois où elle est très peu présente. Or les consommateurs de la classe moyenne et supérieure sont attirés par certains produits de l'étranger, des produits de marque bien sûr mais aussi des produits dont la qualité sanitaire est jugée sans risque, contrairement aux produits locaux à l'instar du lait en poudre. Là encore une logistique internationale innovante, efficace et fiable est un avantage clef. Les deux bateaux-dragons sont désormais bien lancés dans la course à la logistique globale. Difficile de prévoir les places à l'arrivée car la compétition ne fait que commencer. Appendice : Faire ou faire-faire ? Faire soi-même ou faire faire par d'autres est une décision stratégique classique d'entreprise. Un constructeur automobile, par exemple, fait lui-même le moteur et la carrosserie dans ses ateliers mais « fait faire » les pneus et les phares par des fournisseurs d'équipement à qui il les achète. Pourquoi ? Cette question de l'intégration verticale a été étudiée en long et en large par l'analyse économique depuis maintenant près d'un siècle. Tout commence par un des articles les plus cités de la littérature économique : La nature de la firme de Ronald Coase publié en 1937. Ce grand économiste britannique, qui a fait l'essentiel de sa carrière à l'Université de Chicago, conçoit pour la première fois l'entreprise comme un mécanisme alternatif du marché dans l'allocation des ressources. C'est en effet ses dirigeants qui décident que telle 10
machine de la société sera attribuée à tels atelier ou usine, ou que telle pièce intermédiaire de fabrication sera reprise ensuite dans telle ligne de production. D'où alors la question du choix entre faire appel au marché en passant un contrat avec un fournisseur extérieur ou bien s'arranger pour produire soi-même. Intuitivement, vous êtes tenté de répondre faire-faire si c'est moins cher que produire en interne, et produire en interne dans le cas inverse. Bref, comparer les coûts de production du fournisseur extérieur et de la fabrication en interne. C'est juste mais insuffisant car, et c'est là le pas de géant de Coase, l'allocation des ressources par le marché ou dans l'entreprise n'est pas un mécanisme gratuit. En sus des coûts de production, il y a les coûts de transaction, les coûts pour passer un contrat avec un fournisseur et les coûts pour transmettre un ordre et le faire exécuter dans l'entreprise. Ces coûts vous paraissent sans doute négligeables mais c'est que vous ne percevez pas que passer un contrat réclame de collecter de l'information (le fournisseur est-il fiable ? Son prix correct ?), de rédiger un contrat en bonne et due forme, de s'assurer de sa bonne exécution et de traiter l'affaire en cas de litige. De même, transmettre un ordre et le faire respecter réclament des informations, une organisation hiérarchique interne, un règlement intérieur, du reporting, de la négociation, etc. Les échanges dans l'entreprise ou par le marché ne se déroulent pas dans le vide. C'est comme en physique, il y a des frottements. Il faut donc comparer la somme coût de production plus coût de transaction, et non simplement mettre en regard le coût de production du fournisseur et de la chaîne de fabrication interne. La réponse moderne à la question faire ou faire-faire est plus compliquée. Elle repose sur deux concepts aux termes barbares : contrat incomplet et droit de contrôle résiduel. Le premier signifie que faute d'information suffisante, en particulier sur le futur, un contrat, par exemple de fourniture, ne peut pas prévoir tous les cas de figure. Il présente fatalement des trous. Celui qui peut les boucher doit en avoir le droit, c'est l'idée de droit résiduel, droit dont dispose par construction le propriétaire car c'est lui qui contrôle les actifs (bâtiments, machines, stocks, brevets, etc.). Ce contrôle a deux effets. D'un côté, il réduit l'opportunisme : il y a moins de risque de dépendre de ses propres équipements et troupes que de ceux d'un fournisseur. D'un autre, il est moins incitatif à faire des efforts par exemple de productivité ou d'innovation. Dans le cas du fournisseur, il a intérêt à faire de son mieux car il en récoltera tous les fruits. Dans le cas des dites troupes, si l'usine ou la filiale font mieux, le bénéfice ira à l'entreprise et ses actionnaires et seulement une partie, par exemple à travers des primes sur le salaire, à ceux qui ont déployé les efforts. _____ 11
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