Cervidés et sangliers - Archive ouverte HAL

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Courrier de l'Environnement de l'INRA n° 21                                                                             21

                                              Cervidés et sangliers
                      des élevages de diversification ?
                                                                          par Jean-Michel Pinet
                                               Laboratoire de la Faune sauvage, 16 rue Claude-Bernard, 75231 Paris cedex 05

Depuis des temps anciens, ces animaux sont élevés. Pline distingue fort bien les élevages de cochons
domestiques des élevagese de sangliers, dont la chair était l'objet d'un véritable engouement dans la so-
ciété romaine. Au X I X siècle, beaucoup de petits fermiers élevaient dans leur basse-cour quelques
sangliers, dont la plupart étaient issus de portées de truies couvertes au moment où elles étaient ame-
nées à la glandée dans les bois communaux. Le cerf d'Europe a, lui aussi, été l'objet d'élevages dans
les grands parcs royaux dans le but de produire des animaux pour la chasse à courre. Cependant ces
productions restaient secondaires et ne faisaient l'objet ni d'une recherche de performances ni d'un
commerce autre que local.
Depuis une vingtaine d'années, la situation a, comme dans les autres domaines de l'agriculture, com-
plètement changé. Ce bouleversement provient, pour les sangliers, du développement du tourisme cy-
négétique dans quelques pays d'Europe centrale (Hongrie, Pologne, Roumanie, Slovaquie) et, pour
les cervidés, de l'explosion de leur élevage en Nouvelle-Zélande. Partie il y a moins de vingt ans
d'une exploitation des carcasses de cerfs tués à la chasse, une production s'est mise en place et les
éleveurs néo-zélandais vendent maintenant leur venaison dans le monde entier. Il y a , en 1993, envi-
ron 1,6 million de cerfs en élevage en Nouvelle-Zélande, dont 1,1 millions de femelles et 500 000
mâles (Westaway, 1993). Les exportations de ce pays s'élevaient à 7 766 t en 1991 et à 12 739 t en
1992. Leur premier client est l'Allemagne (6 000 t), suivie par la Suède (2 300 t) puis par la Suisse
(820 t). Les exportations ont doublé en un an vers les deux premiers pays consommateurs, récompen-
sant les efforts de pénétration du marché accompli par la Nouvelle-Zélande. En vingt ans, c'est un
beau résultat.

Les élevages de cervidés et de sanglier en Europe
Trois espèces sont représentées par un nombre de reproducteurs significatif : Cervus elaphus (Cerf
d'Europe ou Cerf rouge), Cervus dama (Daim) et Sus scrofa si (Sanglier). Il est particulièrement dif-
ficile dans de tels élevages « secondaires » souvent conduits par des éleveurs fort individualistes d'ob-
tenir des informations, ne serait-ce que sur le cheptel. Ceci est vrai dans tous les pays d'Europe. Le re-
censement le plus récent (Bartos et Siler, 1993 ; inventaire FEDFA, 1993 ; Pinet, 1993) fait apparaître
les effectifs présentés en figure 1. Il en ressort qu'en nombre d'animaux en élevage le daim vient en
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tête. Le nombre de sangliers en élevage semble plus faible mais le recensement est plus incertain. Ce-
pendant, la productivité par femelle est nettement plus importante pour cette espèce.
Dans neuf autres pays européens (Belgique, Espagne, Finlande, Hongrie, Norvège, Pologne, Portugal,
Slovaquie, République Tchèque) le nombre de cerfs en élevage est d'environ 2 700 à 2 900 (dont 800
en Espagne et 600 en République Tchèque). Dans les mêmes pays, on trouve 3 500 daims, auxquels
s'ajoutent 4 à 5 000 sangliers en Pologne. Il n'y aurait pas d'élevage en Autriche ni en Suisse. Les
données sur la Bulgarie et la Roumanie n'ont pas pu être obtenues.

Ainsi, pour quinze pays européens, les effectifs élevés sont de l'ordre de 85 000 à 90 000 cerfs, de
120 000 à 125 000 daims et de 20 000 à 25 000 sangliers. Compte tenu, pour chaque espèce, du taux
sexuel dans les élevages, du nombre de jeunes par femelle et par an et du poids moyen de la carcasse
bouchère, le tonnage de venaison produite est de l'ordre de 3 600 t pour le cerf, de 3 600 t également
pour le sanglier et de 2 200 t pour le daim. La production annuelle totale serait ainsi de 9 500 à
10 000 t, à comparer aux 12 000 t exportées par la Nouvelle-Zélande pour les seuls cervidés.
Au niveau du consommateur, la consommation annuelle est donc faible. Elle est de l'ordre de la cen-
taine de grammes (par an et par habitant). En Allemagne, les achats de venaison s'élèvent à 36 0001,
dont 1 000 t de venaison de cerf d'élevage, 16 000 t de venaison de chasse et 20 000 t (importées) soit
0,5 kg/personne/an. Le Suédois est le consommateur le plus important.
Courrier de l'Environnement de l'INRA n° 21                                                                                 23

Les élevages de venaison en France
Dans cet article, nous nous limiterons aux élevages produisant des animaux à des fins commerciales
pour le marché de la venaison, c'est à dire pour la consommation alimentaire. La production d'ani-
maux pour la chasse, importante dans les élevages de sangliers, ne sera pas abordée ici.
Les contraintes réglementaires des élevages
Le cerf, le daim, le sanglier appartiennent aux espèces non domestiques classées gibier. A l'heure ac-
tuelle, la réglementation ne distingue pas, pour ces espèces, les populations libres des populations éle-
vées.
En conséquence, ces élevages sont des activités strictement encadrées par un ensemble plus ou moins
cohérent de textes, mis en oeuvre par le ministère de l'Environnement, textes dont la finalité vise la ré-
pression du braconnage et la conservation de la pureté génétique du patrimoine sauvage. La plupart de
ces textes ont été édictés dans une optique de production pour le repeuplement cynégétique et sont peu
adaptés à des élevages dont la finalité est une production agricole de venaison.
L'ouverture d'un élevage est soumis à déclaration pour les cervidés et à déclaration et autorisation
pour les sangliers (arrêté du 8 octobre 1982, circulaire du 21 janvier 1980). Ce dernier texte assujettit
l'élevage de sangliers à la réglementation des établissements classés en raison de nuisances possibles
sur l'environnement. Cette circulaire exige des animaux de race pure sans définir d'ailleurs le ou les
critères de « pureté », précise la densité à l'hectare, le type d'abris et de clôtures, le type de nourriture
(« qui doit comprendre 75% de produits naturels en l'état »). Ces textes ont néanmoins quelques avan-
tages : ils freinent la dérive vers des élevages à forte densité, dont les produits ne trouveraient peut-être
pas preneur. Par ailleurs, un autre arrêté impose le marquage des animaux élevés, pour les distinguer
des animaux de chasse.
Quoiqu'il en soit, une révision s'impose. Un décret, en préparation depuis de longues années, devrait
être publié avant la fin de l'année 1993. Ce texte soumettra les éleveurs d'espèces non domestiques à
la possession d'un certificat de capacité qui, heureusement et grâce à l'obstination des organisations
professionnelles et des administrations tutrices naturelles des élevages, sera délivrable à l'échelle
départementale. Dans la situation actuelle, il semble exigible pour les éleveurs faisant visiter leurs
installations, l'exploitation agricole étant alors assimilée à un zoo !
Ce décret abordera aussi le problème des hybrides entre sous-espèces, la détention de tels produits
étant interdite dans le même établissement. Cela concerne les croisements Cerf élaphe - Cerf wapiti,
les croisements entre souches de sanglier à statut génétique différent, déterminé par le nombre de chro-
mosomes (Sus scrofa, souche occidentale, possède 36 chromosomes). Ce point semble d'aspect mi-
neur pour les élevages de venaison ( * ), les critères zootechniques de musculature ou de vitesse de
croissance paraissant prépondérants. Il n'en est rien. Il existe sur le marché de la venaison des animaux
importés d'Australie, où il n'y a jamais eu d'apport de sangliers européens et qui sont des cochons
sauvages (ferai pigs), dénomination (moins noble) sous laquelle ils devraient être commercialisés en
France. Il n'en est malheureusement rien, l'Australie ayant obtenu la dénomination « sanglier » pour
ce type de produit. Accessoirement, les droits de douane correspondent au barème des gibiers, moins
élevé. Ces aspects réglementaires sont, pour le moment, une contrainte forte dans ces élevages.

Les contrôles sanitaires
Pour les élevages de sangliers, les contrôles relatifs à la maladie d'Aujeski et à la peste porcine sont ef-
fectués en routine, ce qui est légitime étant donné les graves conséquences de ces maladies pour l'éle-
vage porcin.
Pour les élevages de cervidés, la garantie « indemne de tuberculose » fait l'objet de discussions entre
les organisations professionnelles et les services compétents de la Direction générale de l'alimentation
pour la mise au point d'une procédure rigoureuse sur le plan sanitaire et dont le coût ne dépasse pas la
valeur de la venaison par carcasse... Une des difficultés principales réside dans la mise à disposition

(*) II est évidemment fondamental pour les élevages produisant des animaux destinés à être relâchés en territoire ouvert.
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des éleveurs d'un test à interprétation univoque, tuberculination et test de transformation lymphoblas-
tique étant de coût et de disponibilité très différents.
Abattage et mise sur le marché
L'arrêté du 4 mars 1993, transcription dans la réglementation française de la Directive européenne
concernant les viandes de gibier d'élevage et de lapins fixe les conditions d'abattage. L'esprit général
du texte définit un abattage en abattoir après examen ante-mortem des animaux. La difficulté princi-
pale réside dans l'accès à un abattoir : il ne doit pas être trop éloigné, les conditions de transport étant
un des éléments importants dans la qualité de la viande. Par ailleurs, un transport long a des consé-
quences économiques notables. L'abattage à la ferme reste possible, tout en permettant une circulation
communautaire des carcasses.
L'arrêté du 20 avril 1990 a des conséquences beaucoup plus graves sur la rentabilité économique de
ces élevages pour la venaison. En effet, il interdit six mois par an la commercialisation en frais des
viandes de cerfs, daims ou sangliers. La France est l'un des seuls pays d'Europe où cette commerciali-
sation est limitée à certaines périodes de l'année (la Wallonie est dans le même cas). Or, il est évident
que l'un des atouts de ces élevages, dans un contexte de recherche de diversification de certaines pro-
ductions agricoles, réside dans la vente d'un produit frais par rapport aux carcasses importées conge-
lées. Certes, la vente est possible en fin d'année, où la majeure partie de la consommation tradition-
nelle de ces viandes intervient, mais cette réglementation interdit tout développement du tourisme à la
ferme avec restauration en table d'hôtes et menus à base de venaison maison, dans les régions où la
clientèle d'été est prédominante. De plus, les éleveurs français sont pénalisés par rapport à leurs prin-
cipaux concurrents, ceux du Danemark et de la Grande-Bretagne, pays où la vente est possible toute
l'année, permettant ainsi un meilleur amortissement des installations.
Pris par les services de la chasse du ministère de l'Environnement pour réprimer le braconnage, ce
texte a ignoré les contraintes économiques qu'il a induites sur les élevages pour la venaison. Ces éle-
vages ne pourront se développer qu'une fois ce texte modifié.
Perspectives de marché
Les arguments de promotion
La venaison est presque inconnue en France. Son image est donc à construire. Il existe une vente tra-
ditionnelle de venaison en rapport avec la chasse. Dans ce cas, il s'agit d'un gibier, au sens de la ré-
pression des fraudes : animal tué par acte de chasse. La venaison d'animaux provenant d'un élevage et
tués secondairement dans un parc de chasse a un statut de gibier. Cette venaison se vend surtout au
moment de l'ouverture de la chasse et des fêtes de fin d'année. La venaison d'élevage doit se différen-
cier de cette venaison de chasse. Elle offre au consommateur des garanties en matière d'hygiène sani-
taire, de conditions d'abattage, d'âge des animaux, qui justifient un prix de vente plus élevé. En outre,
elle est disponible toute l'année, tout au moins pour le sanglier. Des études de motivation conduites
auprès de consommateurs font ressortir l'aspect noble ou sauvage, traditionnel et naturel, l'aspect
« viande de cérémonies, de fête». L'image est complexe car, dans la plupart des cas, les personnes par-
ticipant à l'échantillon ignorent l'existence de cerfs ou de sangliers d'élevage. Il n'est pas évident que
des études plus fines soient possibles, car leur coût est au-delà des possibilités de financement des mi-
lieux professionnels.
Les types de vente
La vente de carcasses entières : Les carcasses sont cédées par l'éleveur à une structure commerciale
de type SARL. C'est une voie d'apparence plus simple et qui est dans l'esprit des productions ani-
males traditionnelles. Cette voie suppose un agent commercial déjà introduit dans les milieux du né-
goce de la viande, soit en gros soit au détail en grandes surfaces ou en boucheries artisanales.
Quelques structures de ce type fonctionnent en France.
La vente en découpe : Elle suppose le passage par un établissement agréé pour la découpe au sens sa-
nitaire et agréé au sens de l'arrêté du 20 avril 1990. Ce type d'établissement est fréquent dans le Grand
Ouest. Il est plus rare, donc plus éloigné dans le Massif central ou le Sud du pays. L'éleveur peut ou
non conserver la maîtrise de la vente des produits de découpe.
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La vente à la ferme : Elle est plus simple et plus rémunératrice dans un premier temps. Outre les pro-
blèmes réglementaires et fiscaux, elle suppose la maîtrise de trois métiers : éleveur, salaisonnier ou
restaurateur, accueil de la clientèle. Même si la fabrication de pâtés, terrines ou charcuteries est, habi-
tuellement, sous-traitée à un charcutier professionnel, la rentabilité finale est incertaine. Il y a cumul
des risques, justifiant des marges brutes élevées.
La vente des sous-produits, en particulier des bois en velours, rémunératrice en Nouvelle-Zélande, fait
l'objet d'un commerce confidentiel sur lequel aucune information fiable n'est publiée.
La typologie des élevages de cerfs, daims ou sangliers n'est pas faite car il y a une grande variété pour
un nombre total d'exploitations peu élevé. Il existe aujourd'hui, en France, environ 400 élevages com-
merciaux dont une centaine d'élevages de cerfs et une cinquantaine d'élevages de daims. Par an, la
production totale de venaison est de l'ordre de 350 à 400 t pour le cerf, 50 t pour le daim et 1 800 t
pour le sanglier.

Avenir
Les pays européens les plus avancés dans la promotion et la commercialisation de la venaison
(Royaume-Uni, Danemark) sont en phase de transition. Après une forte expansion liée à la vente de re-
producteurs, les coûts et contraintes de l'accès au marché de la grande consommation limitent, pour le
moment, le développement de cette activité. Un des passages obligés de l'avenir est l'action collective
au niveau de la commercialisation (marque, matériel de promotion commun mais personnalisé, etc.).
Cette dynamique est particulièrement délicate à enclencher parmi ce type de producteurs. La phase
d'attente passe par la valorisation individuelle des marchés locaux •

                                                       J.-M. Pinet est professeur de l'Institut national agronomique de
                                                             Paris-Grignon et secrétaire général de la Fédération des
                                                      éleveurs de cerfs et de la Fédération des éleveurs de sangliers.
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