CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
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POUR UN MONDE JUSTE ET FRATERNEL SUPPLÉMENT AU JOURNAL MESSAGES N°741 SEPTEMBRE 2019 COMPRENDRE CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE DÉBATTRE DOIT-ON CONSTRUIRE DE NOUVELLES PLACES DE PRISON ? RÉAGIR LE PLAN NATIONAL DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ : UN AN APRÈS
31 06 28 14 Supplément au trimestriel Messages du Secours Catholique-Caritas France : 106, rue du Bac 75341 Paris cedex 07 • Tél : 01 45 49 73 00 • Fax : 01 45 49 94 50 04 RÉAGIR Présidente et directrice de la publication : Véronique Fayet Le Plan national de lutte contre la pauvreté : un an après Directrice de la communication : Agnès Dutour 06 INNOVER Rédacteurs en chef : Emmanuel Maistre (7576) En mode insertion Clarisse Briot (7339) Rédacteur en chef adjoint : Jacques Duffaut (7385) 11 DÉBATTRE Rédacteurs : Doit-on construire de nouvelles places de prison ? Benjamin Sèze (5239) Cécile Leclerc-Laurent (7534) Rédacteur-graphiste : 14 COMPRENDRE Guillaume Seyral (7414) 14 Enquête. Les changements climatiques, catalyseurs de pauvreté Rédactrices photo : Elodie Perriot / Anaïs Pachabézian (7583) 22 L’entretien : Valérie Masson-Delmotte : « L’action climatique doit Imprimerie : Imaye Graphic © Messages être pensée avec la politique de développement » du Secours Catholique-Caritas France, Ici et là-bas. France : les changements climatiques, vecteurs de 26 reproduction des textes, des photos et fracture sociale des dessins interdite, sauf accord de la rédaction. Le présent numéro a été tiré 27 Des outils pour comprendre à 62 469 exemplaires Dépôt légal : n°102 672 28 RENCONTRER Numéro de commission paritaire : 1122 H 82430 / Édité par le Secours Geneviève Colas. Optimiste obstinée Catholique-Caritas France. Photo de couverture : Christophe Hargoues / SCCF 31 EXPLORER Être mineur non accompagné à Grenoble, le quotidien de Moussa 38 LIBRE PAROLE Et pendant ce temps-là, les grues cendrées battent des ailes et volent, volent, volent. Par Violaine Schwartz 39 LE REGARD DE BESSE ET ÉRIC LA BLANCHE Ce produit est imprimé par une usine certifiée ISO 14001 dans le respect des règles À la rue environnementales.
ÉDITORIAL AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD PAR SARA LICKEL, RESPONSABLE DU PLAIDOYER “CHANGEMENTS CLIMATIQUES” P artout dans le monde, des millions de jeunes se lèvent pour exiger une réponse politique forte à la crise climatique que nous vivons aujourd’hui. Des mesures sont indispensables pour leur garantir un avenir juste sur une planète saine. Les E. PERRIOT / SCCF témoignages présents dans ce numéro de Résolutions montrent que les impacts des changements climatiques sont déjà là, bien réels, et qu’ils sont graves. En Haïti, en Inde, au Brésil, en Somalie, mais aussi L’EXPÉRIENCE en France, ce sont les plus pauvres qui subissent en premier lieu les NOUS MONTRE sécheresses, les inondations, la salinisation des terres, les canicules. Ce sont eux qui souffrent de la faim, qui sont contraints de migrer, qui QUE LA TRANSITION perdent leur logement ou leurs moyens de subsistance. Les changements ÉCOLOGIQUE climatiques sont donc d’abord une injustice. DOIT ÊTRE AUSSI SOCIALE. Ce constat alarmant a été confirmé par de récents rapports scientifiques. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a livré un rapport glaçant en octobre 2018, montrant qu’il est indispensable de contenir le réchauffement global à + 1,5 °C afin que des centaines de millions de personnes ne tombent pas dans la pauvreté extrême. L’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services éco- systémiques) a rappelé en mai dernier que la nature se dégradait à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine. C’est donc, n’ayons pas peur des mots, notre survie qui est engagée. Mais des solutions existent, nos partenaires les mettent en œuvre sur le terrain chaque jour au Sud, au sein du réseau du Secours Catholique- Caritas France. Elles passent par la transition agroécologique, par l’adop- tion d’énergies renouvelables, par la construction d’un autre modèle de société, plus territorialisé, plus résilient, en harmonie avec la nature. Dans ce domaine, les peuples autochtones peuvent et doivent nous inspirer. L’expérience nous montre que la transition écologique doit être aussi sociale. Aucune mesure permettant de répondre à l’enjeu climatique ne peut être efficace sans prendre en compte la dimension humaine. Cela implique d’accompagner la transition des emplois, de garantir une alimen- tation saine à toutes et à tous, de lutter contre la précarité énergétique... Ce qui manque aujourd’hui, c’est la volonté politique de répondre à la mesure de l’enjeu. Saisissons-la et faisons de cette transition ce qu’elle est : une bonne nouvelle ! Celle de construire une société plus humaine. Car, comme le dit le pape François dans Laudato Si : « Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre leur dignité aux exclus et simultanément préserver la nature. » SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 3
RÉAGIR NOTRE REGARD SUR LE PLAN NATIONAL DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ : UN AN APRÈS En 2017, sous la pression du Secours Catholique et de ses partenaires du collectif Alerte, le gouvernement a nommé un délégué interministériel et progressivement accepté d’ouvrir une concertation sur la pauvreté. Salariés, bénévoles du Secours Catholique et personnes ayant connu ou vivant la précarité s’y sont impliqués. En septembre 2018, un plan a été annoncé par le président de la République. Quel bilan un an après ? PAR JACQUES DUFFAUT 50 % des membres 400 La points prime d’activité a du étéConseil national augmentée d’environ Pour lutter contre le non-recours aux prestations “Conseil budget” de lutte contre l’exclusion 100 euros, jusqu’au dans toute la France niveau du Smic. Elle béné- sociales : le renouvellement de la Cmuc1 a été rendu (CNLE) et d’autres ficie à 5en millions 2020. de ménages. instances consultatives automatique pour les allocataires du RSA ; la Cmuc et sont désormais l‘Aide à une complémentaire santé (ACS) ont fusionné. Parmi les mesures que des le personnes vivant Secours Catholique souhaitait voir prises et qui la précarité. ne l’ont pas été : la Des concertations pour un revenu universel d’ac- hausse du RSA. Restant très bas, il permet à peine de tivité et la création d’un véritable service public survivre et il n’est toujours pas accordé aux jeunes de de l’insertion ont été engagées. moins de 25 ans. Rien n’a été prévu pour les milliers de familles Le plan pluriannuel en matière de logement, étrangères qui vivent dans une très grande pré- adopté précédemment, est très insuffisant et carité et sans espoir possible de régularisation, d’in- n’a pas été renforcé. sertion ni d’accès à un logement. Rien non plus pour des milliers de mineurs isolés vivant à la rue. REPÈRES Un pilotage de la stratégie, comprenant une contractualisation de l’État avec les départements, 400 points a été mis en place, ainsi que des groupes de travail ré- “Conseil budget” seront créés dans gionaux auxquels le Secours Catholique participe. Une toute la France grande partie des départements ont déjà passé contrat. en 2020. Un service de cantine à 1 euro est désormais proposé à 70 000 enfants de communes de moins de 10 000 habitants. Enfin, le financement de la stratégie se fait en désindexant les pensions de retraite, les pres- tations familiales et les APL (par rapport à l’inflation), 50 % des membres du Conseil national et en réduisant le nombre des contrats aidés de ma- de lutte contre l’exclusion (CNLE) et d’autres nière drastique. instances consultatives sont désormais des personnes vivant la précarité. 1. Couverture maladie universelle complémentaire 4 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
RÉAGIR NOTRE ALTERNATIVE PAR VÉRONIQUE FAYET, PRÉSIDENTE NATIONALE DU SECOURS CATHOLIQUE DES REFUS, DES LENTEURS ET QUELQUES AVANCÉES L e Plan de lutte national contre Notre demande visant à augmenter Autre point noir, le logement des la pauvreté est la réponse à le RSA se heurte toujours au refus familles étrangères. La plupart ne notre réaction aux mesures du gouvernement. Comment vivre sont plus expulsables. Autant les prises en début de quinquennat : aujourd’hui avec 500 euros par régulariser rapidement plutôt que suppression de l’ISF, baisse des mois ? On survit plutôt. Il faut non de les laisser végéter dans des hô- APL, flat tax pour les plus aisés. tels ou des squats. La question des Le président de la République di- étrangers, en France, reste taboue. sait avoir compris les personnes On nous répond oralement qu’il y vivant dans la pauvreté et admet- COMMENT VIVRE aura des mesures. Mais comme tait qu’elles avaient les solutions AUJOURD’HUI rien n’est écrit, rien n’est fait. à leurs problèmes. Un délégué AVEC 500 EUROS Il y a tout de même des raisons interministériel très compétent a PAR MOIS ? d’espérer. La décision d’implanter été nommé pour passer à l’action, des Maisons de services publics mais les choses avancent lente- dans tous les cantons est une ment parce qu’il est difficile de bonne nouvelle. Sous réserve que convaincre tous les ministères en seulement augmenter le RSA, les moyens soient au rendez-vous même temps et que la question so- mais faire en sorte que tous ceux et qu’elles répondent entièrement ciale, en France, relève surtout des qui y ont droit y accèdent. Il faut le aux besoins. Ce que nos équipes départements et des communes. rendre automatique. sur le terrain devront vérifier. DROIT DE SUITE EN GUYANE, LES PROJETS MINIERS FREINÉS C’est une petite victoire, mais il tion”, que le Secours Catholique la biodiversité française. « Les faut rester vigilant. Avant l’été, a rejoint en début d’année, exi- conséquences de l’industrie ex- le gouvernement français s’est geait l’abandon de ce projet de tractive sont désastreuses pour enfin prononcé sur le projet grande ampleur. Il critique toute- l’environnement en termes de dé- “Montagne d’or” en Guyane – pro- fois une décision en trompe-l’œil forestation, de pollution des eaux, jet des multinationales Nordgold et s’élève contre toutes les autres d’utilisation du cyanure, de produc- (Russie) et Colombus Gold demandes de permis miniers en tion de tonnes de déchets toxiques, (Canada) –, affirmant « l’incom- cours d’examen, pointant du etc. », alerte Sara Lickel, chargée patibilité du projet minier avec les doigt les risques environnemen- de plaidoyer international au exigences de protection environne- taux. Rappelons que la Guyane Secours Catholique. mentale ». Le collectif “Or de ques- représente à elle seule 50 % de C.L-L. SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 5
INNOVER GAEL KERBAOL / SCCF EN MODE INSERTION PAR JACQUES DUFFAUT PHOTOS : GAËL KERBAOL Futile, fugace, éphémère, la mode est aussi solidaire. Le défi ployé commercial en magasin”. lancé en 2004 par le Secours Catholique en fondant “Tissons « Verdun Chantiers est une des 70 structures d’insertion qui ont ad- la solidarité” a été relevé, puisque ce réseau de structures héré à “Tissons la solidarité” (TLS) », d’insertion par l’activité économique (IAE) a fait renouer explique Katia Chaix, formatrice à avec l’emploi des centaines de chômeurs de longue durée. l’élégance naturelle et au parcours Comment ? Avec des formations sur mesure. atypique. Longtemps styliste pour V diverses maisons de couture, elle erdun (Meuse). Derrière s’est mise à son compte et a cher- la gigantesque statue ché un autre sens à sa vie : faire du soldat français que profiter de son expérience ceux qui les jeunes d’ici ap- en ont le plus besoin. D’abord solli- pellent Goldorak, se citée par TLS pour moderniser les trouve l’ancienne école municipale. boutiques du réseau, elle s’est lais- Le bâtiment est désormais occupé sé convaincre d’enseigner. par Verdun Chantiers, une structure d’insertion. Dans une vaste salle « Le public que nous formons, ex- de classe, Katia Chaix enseigne plique Katia, est très divers : tous les ce jour-là l’origine des différentes âges sont représentés, avec des par- Verdun Chantiers est matières textiles à un groupe de cours différents, majoritairement des une des 7 entreprises d’insertion à avoir huit personnes, cinq femmes et femmes, parfois cabossées, souvent adhéré à “Tissons la trois hommes, âgés de 20 à 59 ans. invisibles, en grand besoin de beau- solidarité”. Tous suivent une formation “d’em- coup de choses, et pas seulement 6 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
MODE D’EMPLOI tissons la solidarité LES BESOINS IDENTIFIÉS 67,7% des personnes accueillies au Secours Chaque année dans le monde sont produits 80 milliards de vêtements pour 7 milliards de Terriens. Cette industrie est la plus polluante après le pétrole Catholique étaient sans emploi en 2017. et avant l’automobile. 1,4% seulement étaient en formation Besoin de réduire l’empreinte carbone en choisissant l’économie circulaire (upcycling) et le marché de seconde main. professionnelle. Besoin de retrouver des circuits de production courts. Former des personnes éloignées de l’emploi aux métiers de la couture et à la vente En permettant aux personnes formées d’acquérir des compétences transversales pour répondre L’IDÉE à d’autres offres d’emploi dans l’industrie ou l’artisanat. En s’inscrivant dans un mouvement écologique et durable. QUI ? COMBIEN ? Tissons la Solidarité et ses partenaires. Les personnes les plus éloignées de 100 personnes par an (en moyenne) 83% de femmes l’emploi (bénéficiaires du RSA, en fin de droit…). LES OBJECTIFS Leur faire acquérir des compétences Leur faire obtenir transversales Former des diplômes leur ouvrant les portes en priorité professionnels d’autres secteurs Accompagner les personnes prouvant d’emploi. ces personnes Dynamiser les plus éloignées leur qualification. jusqu’à l’emploi les bassins de l’emploi. d’emploi les plus pérenne. en difficulté. LES PARTENAIRES Tissons la Solidarité a des liens forts avec plusieurs grandes Un réseau de 70 entreprises maisons de couture. d’insertion partout en France. Le couturier Christian Lacroix est le parrain de TLS. Employant 400 permanents Plusieurs fondations, dont la Fondation Caritas France, et offrant chaque année un tremplin soutiennent la démarche. à 1900 salariés en insertion. Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie 125 boutiques solidaires proposant (ADEME). des vêtements de seconde main. Fonds social européen de France. Dont 7 boutiques écoles. SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 7
INNOVER de travail. Nous provoquons la ren- J’adore travailler à la boutique, être boulots agricoles derrière eux. contre entre ce monde hétérogène et en contact avec les clients. Mais qui En rejoignant cette formation, ils le monde du vêtement, qui n’a pas va vouloir embaucher une vendeuse ne pensaient pas découvrir avec l’habitude de faire dans le social. » de 59 ans ? » autant de plaisir un monde dont Les personnes en formation sont ils se souciaient peu. « Aujourd’hui, salariées en contrat à durée déter- Les trois hommes de la formation j’accepterais un poste de vendeur minée d’insertion (CDDI). ont 22 et 23 ans. Steven a fait dans un magasin de vêtements pour plusieurs stages dans des homme si on me le proposait, mais Katia fait travailler la lecture et le magasins de prêt-à-porter. « Je j’ai suivi cette formation dans l’idée calcul, indirectement, grâce au sup- me suis dit que cette formation d’être vendeur dans une jardinerie, port de vente. « Il y a parfois aussi me donnerait des bases plus section plantes ou mécanique, vu des problèmes de vue, de diction, de que j’ai travaillé un temps dans les compréhension des mots, précise-t- espaces verts. » elle. On prend son temps. Il y a des fragilités, mais dans l’ensemble ces CETTE FORMATION ME Les formations de vendeurs personnes sont fortes, pleines de bon DONNERA DES BASES PLUS débutent par une initiation au tri. sens, et elles vont droit à l’essentiel. » SOLIDES POUR TRAVAILLER « Verdun Chantiers collecte les vê- Catherine est la doyenne de cette DANS CE SECTEUR. tements, mentionne Katia. Nous session. Tour à tour coiffeuse, as- conservons les vêtements qui se- sistante maternelle et serveuse, solides pour travailler dans ce ront vendus en boutique. Il faut ra- elle est dubitative quant à son secteur », dit-il. Yannick et Pierric, pidement voir ce qui a de la valeur, avenir. « J’ai eu la chance qu’on me copains inséparables, ont déjà la matière, la griffe… » La formation propose cette formation, dit-elle. trois ou quatre ans de petits couture est assurée par l’autre for- mateur de TLS, Emmanuel Aubry. Si la couture est moins recherchée REGARD par les salariés en insertion, elle a pourtant de beaux jours devant elle. THIBAUT GUILLUY, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL Les retoucheries se multiplient et de POUR L’INCLUSION DANS L’EMPLOI1 nombreuses enseignes proposent désormais ce nouveau service. UN SECTEUR EN PLEINE RENAISSANCE Verdun Chantiers dispose de boutiques ouvertes au public : “Alphabet”, située dans une autre En France, l’industrie du textile est en train de redémarrer grâce aux aile de l’école, et “Éphémère”, dans le enjeux écologiques et de relocalisation. Un certain nombre d’entre- bas de la ville. En s’y rendant à pied, prises du textile repensent leur politique de production et envisagent Katia vante les mérites du « merch ». de créer des activités de réparation ou de transformation de leurs « Le merchandising, explique-t-elle, invendus. Face à ces enjeux, elles manquent de réponses sur le est l’art de présenter les produits, de territoire. Les entreprises de l’insertion par l’activité économique les mettre en valeur. » Et en effet, la (IAE) et “Tissons la solidarité” (TLS), notamment, contribuent à cette vitrine d’Éphémère, rue Raymond- renaissance. La force de TLS est d’être implantée dans différents Poincaré, en est l’éclatante démons- territoires. Elle y apporte des solutions grâce à la mutualisation, tration. À l’intérieur, dans un décor dans un secteur où se trouvent de petites structures d’insertion en dégradés de gris et sous un éclai- indépendantes. TLS accompagne le redémarrage d’activités qui rage savamment orchestré, les ma- appartenaient au passé et qui, probablement, seront des activités tières et les couleurs éclatent. Ces d’avenir. Je trouve cela malin. boutiques sont de véritables écoles 1 L e CNIE remplace depuis le mois de novembre 2018 le Conseil national de l’insertion professionnelles où les salariés en par l’activité économique. insertion effectuent une partie de leur formation. 8 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
INNOVER des offres et des industries pré- sentes, les formations s’adaptent. « À Belfort, la première année, nous avons eu 57 % de retour à l’emploi après une formation en retouche- rie. L’année suivante, il y avait moins d’offres, alors nous avons travaillé avec les industries en tension sur les compétences transférables. La couture exige rigueur, dextérité et concentration. Des qualités deman- dées dans d’autres postes. Au final, 12 de nos salariés en insertion ont été embauchés dans l’industrie. » Caroline et son équipe vont plus loin dans leur accompagnement. « En milieu de formation, dit-elle, nous les recevons un à un et nous les informons des offres d’emploi. Nous rédigeons avec eux leur CV en fonction des offres et de la proba- bilité d’une réponse positive. Inutile de s’exposer à un refus certain. » Quand un emploi est sur le point de se conclure, TLS vérifie que le salaire correspond à la valeur du travail. « Le but n’est pas de les tirer de la précarité pour les placer dans une précarité professionnelle, dé- clare Caroline. Nous devons nous GAEL KERBAOL / SCCF assurer que ces contrats en valent la peine. Il m’est arrivé d’aller voir des employeurs et de leur expliquer qu’il y avait un problème au niveau Le concept de boutique-école a Caroline Portes est une passion- du salaire. Parfois ça passe ; par- été créé en 2008 afin d’améliorer née de mode, dotée d’un carnet fois non. Maintenir des travailleurs l’accompagnement vers l’emploi. d’adresses prestigieuses. À son dans la précarité pose un problème Il fait partie d’un plan élaboré par arrivée à TLS, le réseau compre- d’éthique. » des économistes dans le but de nait une trentaine de structures développer des formations quali- d’insertion. Sa première tâche a Déjà itinérantes, les formations de fiantes. « Nous avons créé un pro- été de les professionnaliser et de TLS seront bientôt proposées en gramme de formation », se souvient faire former leurs salariés par deux ligne. Elles permettront de diffuser Caroline Portes, directrice de TLS experts de la mode qui sont venus encore plus largement les connais- depuis 2006. « Une soixantaine de sur place. « Quand une structure de- sances et les qualifications, no- salariés de la maison Chanel ont mande une formation, nous étudions tamment auprès d’un public de planché pendant trois ans sur ce en priorité le bassin d’emploi et la si- personnes en situation de handi- programme, pour que les supports tuation économique de la région, cap, afin d’offrir un retour à l’emploi pédagogiques correspondent à tous indique Caroline. Pas question de mais aussi un emploi d’avenir au les niveaux scolaires. » former pour le plaisir. » En fonction plus grand nombre. SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 9
INNOVER ILS Y PENSENT AUSSI JEUNES SANS QUALIFICATION MÉTIERS EN TENSION Skola : c’est le nom de la formation aux métiers de la vente créée par Apprentis d’Auteuil en 2017. Destiné aux 18-30 ans éloignés de l’emploi, le programme se déroule sur trois mois, dans une boutique-école. Les contacts avec les entreprises sont constants, . ACT’ PRO JARIS si bien qu’à Beauvais, par exemple, 80 % des jeunes formés sont en poste aujourd’hui. D’autres forma- tions se développent dans la fibre, l’hôtellerie et les HANDICAP métiers de la vigne. ÇA TOURNE Plus d’infos sur bit.ly/FormationSkola « Ce n’est pas parce qu’on a un handicap que l’on n’est pas compétent » : tel est le leitmotiv d’Éric Canda, EN PRISON réalisateur et fondateur d’Act’ Pro Jaris. Soutenue par la fondation Caritas, cette association francilienne NOUVEAU DÉPART propose un parcours unique en France de formation aux métiers de l’audiovisuel pour des personnes en Au Kosovo, où le taux de chômage atteint 35 %, Caritas situation de handicap. Gratuit pour les stagiaires, ce met en œuvre des formations en couture et coiffure parcours se compose d’une première phase destinée dans l’unique centre de détention pour femmes du à lever les freins à l’insertion puis d’une immersion pays. Elle assure les liens entre les partenaires (dont le professionnelle. Sur les 187 stagiaires accompagnés gouvernement qui emploie les professeurs) et accom- depuis 2005, 145 travaillent dans ce secteur réputé pagne les détenues formées. « En sortant de détention élitiste ou ont repris des études. avec une formation concrète, elles peuvent espérer un nouveau départ », souligne Elnara Petit, qui appuie le Plus d’infos sur www.jaris.fr projet pour le Secours Catholique. RETOUR SUR “TERRITOIRES ZÉRO CHÔMEUR DE LONGUE DURÉE” : L’EXPÉRIMENTATION DEVRAIT ÊTRE ÉTENDUE L e dispositif “Territoires zéro leurs compétences et des besoins chômeur de longue durée” du territoire. Deux ans et demi (TZCLD), à l’initiative d’ATD après les premières embauches, Quart Monde et soutenu par le TZCLD comptabilise aujourd’hui GAEL KERBAOL / SCCF Secours Catholique, est expéri- plus de 830 emplois créés, prin- menté dans dix bassins d’emploi cipalement dans l’économie cir- sur le territoire français depuis culaire, l’artisanat, les services sa création par la loi du 29 fé- de proximité et le maraîchage. vrier 2016. Le principe : donner Par-delà les bénéfices pour les a annoncé que l’expérimentation du travail à tous les demandeurs personnes, de premières évalua- serait étendue. Une nouvelle loi d’emploi volontaires, au chômage tions révèlent un impact positif en ce sens est attendue dans les depuis plus d’un an, en créant de sur les économies locales. En prochains mois. Plus de 160 terri- l’activité économique à partir de septembre, Emmanuel Macron toires se sont portés candidats. 10 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
DÉBATTRE DOIT-ON CONSTRUIRE DE NOUVELLES PLACES DE PRISON ? CONTEXTE. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit la création de 15 000 places de prison supplémentaires sur la décennie, dont 7 000 dès la fin du quinquennat. Ce programme immobilier vise à lutter contre la vétusté du parc pénitentiaire et la surpopulation carcérale chronique. Mais la construction de nouvelles prisons est-elle réellement la solution ? JEAN CAËL, RAPHAËL GAUVAIN, RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT PRISON- DÉPUTÉ LREM, ANCIEN AVOCAT, JUSTICE AU SECOURS CATHOLIQUE MEMBRE DE LA COMMISSION DES LOIS Jean Caël : Au Secours Catholique, taches qu’elles pouvaient avoir en Raphaël Gauvain : Nous ne nous nous interrogeons sur le parti termes d’insertion. Normalement, sommes pas fondamentalement pris des gouvernements français la prison est un mode d’exécution en désaccord. Mais l’urgence que successifs depuis la fin des années rationnel d’une sanction pénale qui nous devons gérer aujourd’hui est 1980 de construire toujours plus de a pour objectif la réhabilitation de la surpopulation carcérale et sur- prisons. La surpopulation en milieu la personne condamnée pour elle, tout l’état sanitaire des prisons. carcéral a continué à croître, alors pour les victimes et pour la socié- En maison d’arrêt, les personnes que le taux de criminalité est globa- té. Dans les faits, elle semble plutôt sont trois par cellule de 9 m2 et lement stable. Le taux de récidive, être devenue un mode de gestion dorment par terre sur des mate- lui, aurait doublé ces vingt dernières des populations marginales. La las en mousse pleins de mites. Il années, ce qui pose la question de plupart des personnes incarcérées faut bien répondre à cela. Donc l’effet dissuasif de la prison. On en- n’ont pas commis de faits graves. d’abord, il faut construire. Mais pas ferme des personnes pour des pé- La durée moyenne des peines pro- d’énormes établissements comme riodes courtes, avec souvent rien à noncées est inférieure à un an. Si Fleury-Mérogis, il faut une réponse leur faire faire, et sans avoir le temps on continue à construire, on va ac- ciblée qui s’adapte à chaque situa- de travailler avec elles pour leur ré- croître cette exclusion. C’est pour tion. Le problème, en maison d’ar- insertion. Et on espère qu’elles vont toutes ces raisons qu’au Secours rêt, c’est qu’on y trouve à la fois des en sortir meilleures, alors même Catholique, nous défendons les al- personnes qui exécutent des pe- qu’elles ont rompu les quelques at- ternatives à l’incarcération. tites peines pour des faits peu SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 11
GAËL KERBAOL / SCCF Plutôt que construire, il faudrait réduire Il est urgent de construire. Il faut, en le nombre de personnes détenues en même temps, améliorer la réinsertion, investissant dans les alternatives à en travaillant particulièrement sur la l’incarcération. Une peine aménagée question des courtes peines et des fins avec un accompagnement social de peine. Mais sans porter atteinte est bien plus efficace contre au principe d’exécution de la sanction la récidive. qui a été prononcée. JEAN CAËL RAPHAËL GAUVAIN graves, et d’autres qui attendent bilité des personnes et de leur per- mesure, vous allez l’augmenter. leur jugement pour des faits crimi- mettre de sortir travailler la journée Enfin, concernant les SAS, l’inten- nels, parfois très graves, et qui néces- et de rentrer le soir. L’objectif est d’y tion est bonne, mais lorsqu’on re- sitent un système disciplinaire et de développer le taux d’activité des per- garde le projet de loi de finances, sécurité extrêmement fort. sonnes dans et hors les murs. Avec on constate que la tendance va sur- ce dispositif, je crois qu’on répond à tout être de continuer à construire J.C. : Et on augmente le système de votre impératif. De même, pour les de grands ensembles, des usines sécurité pour tout le monde, alors très courtes peines, nous encoura- à traitement de flux carcéral, car que la plupart des personnes ne sont geons les alternatives, notamment c’est moins cher. Construire en pas dangereuses. les travaux d’intérêt général (TIG). centre-ville coûte cher, vu le prix du foncier. Comment va-t-on trou- R.G. : Exactement. Et on n’arrive J.C. : Les très courtes peines, de ver les fonds ? Et puis, la ministre pas à travailler à la réinsertion avec moins d’un mois, ne représentent a annoncé la création de seule- ceux qui sont là pour moins d’un que quelques centaines de per- ment 2 000 places en SAS... pour an. Les sorties sèches, sans aucune sonnes, ce n’est pas significatif. 71 000 personnes détenues. préparation, sont dramatiques en Dans le même temps, vous sup- termes de récidive. Il faut donc tra- primez les possibilités d’aménage- R.G. : Nous travaillons avec des vailler sur les petites peines et sur ment de peine pour les personnes contraintes budgétaires extrême- les fins de peine. C’est en ce sens condamnées à un an ou plus de ment fortes, on ne va pas se le qu’ont été imaginées les structures prison ferme, contre deux ans au- cacher. Mais un effort budgétaire d’accompagnement vers la sortie paravant. Dans les intentions de la est fait pour réhabiliter, construire (SAS). Il s’agirait d’établissements loi, Mme Belloubet disait vouloir ré- des prisons, et répondre à cet im- plus petits et plus proches des duire de 8 000 personnes le nombre pératif de salubrité et de respect centres-ville, afin de faciliter la mo- de personnes détenues. Avec cette des droits. 12 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
DÉBATTRE J.C. : Construire de nouveaux établis- J.C. : C’est un principe, justement. R.G. : Tout le monde est d’accord sur sements est un choix très coûteux Mais quelle est la conséquence le fait qu’il faut préparer la sortie, qu’il au regard du prix de revient. Le coût pratique de l’application de ce prin- faut être dans la réinsertion et que du placement en extérieur est bien cipe ? Beaucoup de magistrats, par la personne condamnée à un an et moindre et, avec la contribution de la crainte, préfèrent prononcer l’incar- demi de prison ferme devrait pou- société civile (associations, aumône- cération, même pour de courtes du- voir aller travailler, garder des liens ries), il pourrait s’avérer plus efficace rées, plutôt qu’une peine aménagée. avec sa famille… On peut en débattre contre la récidive ou l’exclusion so- Un directeur interrégional de l’admi- à l’Assemblée nationale, mais le pro- ciale des personnes. J’ai lu dans le nistration pénitentiaire m’a dit : « Le blème, c’est la mise en œuvre sur le rapport Raimbourg, publié en 2014, système de précaution, ce n’est même terrain, lorsque le préfet va devoir ré- que la construction, en partenariat plus un parapluie chez nous, c’est un unir les élus locaux et leur annoncer : public-privé, d’un encellulement in- parasol, tellement tout le monde se « Ici, nous allons installer un SAS ou un dividuel revenait à 310 000 euros. crispe et a peur que la faute arrive par centre de semi-liberté. » Vous faites Imaginez ce que l’on pourrait faire si lui. La solution est donc de pronon- alors face à des pétitions, au maire l’on investissait les mêmes montants cer du ferme. » Dans ce contexte, la et au conseiller départemental qui dans l’accompagnement social ! En construction de nouveaux établis- montent au créneau. C’est comme France, le budget consacré à la jus- sements risque de créer un appel pour les éoliennes, tout le monde est tice est insuffisant. Et s’il est absor- d’air. Un représentant du parquet d’accord, mais pas chez soi. bé par la construction de nouvelles a dit récemment à un bénévole du prisons, on ne pourra pas mettre en Secours Catholique : « L’annonce de J.C. : Il faudrait que l’opinion pu- place des aménagements de peine la construction de nouvelles places, blique, au lieu d’identifier dans les dans de bonnes conditions. Nous c’est la bonne aubaine pour les magis- personnes détenues des boucs sommes d’accord, il faut trouver trats qui avaient encore quelques scru- émissaires, prenne conscience que une solution à la surpopulation et pules à envoyer en détention pour une c’est aussi notre responsabilité ci- au mauvais état des prisons. Mais courte peine. » Si on faisait vraiment toyenne que de faire une place dans celle que vous avancez sous-entend quelque chose en détention pour la la société à ces personnes, notam- que la sanction naturelle d’un délit se- réinsertion, nous serions moins cri- ment sous forme d’aménagements rait l’exécution d’une peine de prison tiques par rapport à l’incarcération. de peines. Au Secours Catholique, ferme. Nous ne partageons pas ce Mais le système pénitentiaire actuel, nous travaillons beaucoup au chan- point de vue. à cause du manque de moyens, ne gement de regard. Nous essayons favorise pas la responsabilisation, la de bâtir une société de la confiance. R.G. : C’est peut-être un parti pris reprise en main, tout ce qui va aller À l’inverse, construire des places de politique, mais il est assumé. Bien dans le sens de la “désistance”, de prison, c’est alimenter l’idée d’une so- sûr qu’il faut travailler sur la réin- la volonté de se réinsérer. Comment ciété de la méfiance. sertion, mais il faut aussi travailler faire en sorte que la peine soit un sur la sanction. À partir du moment temps de remobilisation et rede- Propos recueillis où un débat contradictoire a eu lieu vienne utile ? par Benjamin Sèze dans un cadre judiciaire, en audience publique, où il y a eu une peine de prison ferme prononcée au regard REPÈRES des faits, de la faute commise, de l’atteinte portée aux parties civiles, il LE BRACELET ÉLECTRONIQUE faut que cette décision soit respec- Peu cher, relativement simple d’utilisation, le placement sous bra- tée, et non pas détricotée ensuite par celet électronique est de plus en plus utilisé par les magistrats un juge de l’application des peines. comme alternative à l’incarcération. Plus de 10 000 personnes Sinon les victimes et le corps social sont aujourd’hui concernées. « Pour la détention provisoire ou les ne comprennent pas. Pour respec- courtes peines, c’est une bonne réponse », estime Raphaël Gauvain. ter les magistrats, le corps social et Jean Caël est moins enthousiaste : « Sans accompagnement social, l’ordre républicain, il faut rétablir ce c’est une solution qui aboutit souvent à un échec. » principe d’exécution de la peine. SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 13
COMPRENDRE ENQUÊTE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, CATALYSEURS DE PAUVRETÉ PAR CÉCILE LECLERC-LAURENT Inondations ou à l’inverse sécheresses – voire les deux alternativement –, montée des eaux et salinisation des terres, catastrophes naturelles accrues : les changements climatiques affectent en premier lieu les populations pauvres des pays en voie de développement. Petits paysans et pêcheurs voient leurs rendements diminuer et souffrent de la faim ou de la soif. Désespérés, ils se disputent les ressources naturelles, ce qui est source de conflits. Conséquence : des millions de personnes migrent pour les villes où elles croupissent dans la misère. Si rien n’est fait, plus de 100 millions de personnes supplémentaires tomberont sous le seuil de pauvreté d’ici 2030, estime la Banque mondiale. Dans quelle mesure les changements climatiques non seulement créent-ils mais aussi amplifient- ils la pauvreté dans le monde ? Comment dès lors lutter contre les dérèglements climatiques tout en éradiquant la pauvreté ? PHOTO : GAËL KERBAOL / SCCF 14 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
COMPRENDRE SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 15
COMPRENDRE les plus pauvres, ceux dont la vie dépend des ressources naturelles et des récoltes, donc du cycle des saisons, qui sont les plus affectés par les dérèglements climatiques. Faim et insécurité alimentaire. Ouragans, inondations, sécheresses : tous ces acci- dents climatiques sont en effet de plus en plus fréquents et totalement imprévisibles. Ainsi en Inde, dans la région de l’Assam, les pluies sont devenues capricieuses et les moussons sont déréglées. « Il peut y avoir deux jours de pluies intenses et le lendemain un soleil qui tape. Les paysans n’arrivent plus à programmer leurs travaux et cela baisse leur rendement », déplore Netaji Basumatary de l’ONG1 IGSSS2. Même constat au Sénégal où, l’année passée, une sécheresse de 45 jours en pleine saison des pluies a détruit les cultures de mil et d’arachide dans le sud du pays. Dans cette région côtière, la montée de la mer est aussi un problème : « Le sel pollue les nappes phréatiques et dégrade les fo- rêts et les cultures, notamment maraîchères », observe Gilbert Sene, de Caritas Kaolack. ÉLODIE PERRIOT / SCCF Conséquence : la baisse des rendements agricoles a un effet direct sur l’alimentation des populations. En raison des changements Y climatiques, le Pnud3 estime que 600 mil- Pour contrer ves n’en croit toujours pas ses lions de personnes supplémentaires souffri- la montée yeux. De sa vie d’homme de ront de la faim en 2080. Les paysans voient des océans 59 ans, il n’avait jamais vu la par ailleurs leurs revenus tirés de la vente et éviter que le sel ne dégrade rivière en bas de chez lui à sec des produits agricoles diminuer à vue d’œil. les cultures, en plein mois de mai, tradition- Et la raréfaction des denrées provoque une Caritas Kaolack nelle saison des pluies. La faute aux chan- hausse des prix. Difficile, dans ce cas, de construit des gements climatiques qui touchent fortement vivre dignement. barrages anti-sel son pays, Haïti. « Nous vivons des temps ter- Par ailleurs, en cas d’événements climatiques dans le sud du Sénégal. ribles comparés à mon enfance », explique ce extrêmes, les cultures ne sont pas les seules paysan de la région des Palmes. Yves a des touchées. Les ouragans peuvent détruire les difficultés à se nourrir et a dû renoncer à fi- infrastructures et endommager le matériel nancer des études pour son fils de 28 ans. agricole. C’est le cas au Bangladesh où « les Un peu plus au nord, sur la côte haïtienne, à pluies diluviennes entraînent des crues sou- Léogâne, c’est le manque de poissons qui in- daines dans la région des Chittagong Hill Tracts. quiète Charles, pêcheur. En cause, la hausse Les rivières débordent, emportent les maisons et de la température de l’eau, sans doute. Mais ravagent les cultures », s’alarme Rupna Das, de aussi la disparition des mangroves, ces es- Caritas Bangladesh. Haïti aussi voit des ou- paces boisés naturels où se reproduisent ragans de plus en plus fréquents et violents. les poissons et qui ont souffert de la pollu- En 2016, l’ouragan Matthew a tué le mari de tion et de la coupe du bois. En Haïti comme Paulette ; vents et boue ont emporté tout son dans les autres pays dits “du Sud”, ce sont bétail, sa maison et une partie de son terrain. 16 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
COMPRENDRE Il faut dire que la déforestation – la couverture forestière d’Haïti est réduite à moins de 2 % ÉCLAIRAGE de son territoire – accroît l’érosion des sols, UN LONG CHEMIN DE NÉGOCIATIONS CLIMATIQUES et les pluies intensifiées par les changements climatiques détériorent encore leur qualité. 1979 : première conférence mondiale sur le climat à Genève. Les scientifiques expriment leur inquiétude La santé en danger. « Les changements clima- sur les effets à long terme des émissions de CO2. tiques ont plusieurs effets massifs sur la pau- 1988 : création du Groupe d’experts intergouvernemental vreté à l’échelle de la planète », analyse Henri sur l’évolution du climat (Giec) chargé du suivi scien- Waisman, chercheur à l’Iddri4 et co-auteur du tifique des processus de réchauffement climatique. rapport du Giec 2018 (voir encadré ci-contre). 1992 : Sommet de la Terre à Rio. Naissance de la Convention cadre des Nations unies sur les changements cli- matiques (CCNUCC) et de son organe de prise de LES PAYSANS N’ARRIVENT PLUS décision, la Conférence des parties (Cop). À PROGRAMMER LEURS TRAVAUX ET CELA BAISSE 1995 : p remière Cop à Berlin. LEUR RENDEMENT. 1997 : adoption du Protocole de Kyoto qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 5,2 % en moyenne d’ici 2012, par rapport au niveau de 1990. « Aux impacts sur la subsistance des gens, avec Entrée en vigueur en 2005 : seuls 37 pays dévelop- la baisse des rendements et les effets liés à la pés s’y sont engagés. multiplication des catastrophes, il faut ajouter 2009 : échec de la Cop 15 à Copenhague. Le texte ne com- les impacts sur l’accès à l’eau et sur la santé, qui porte aucun engagement chiffré de réduction des vont aussi renforcer la pauvreté », estime-t-il. GES et n’est juridiquement pas contraignant. Selon l’“Atlas mondial de la désertification” de la Commission européenne, les deux tiers de 2015 : Cop 21. L’Accord de Paris a pour objectif de contenir la la population mondiale risquent d’être confron- hausse des températures bien en-deçà de 2 °C par rapport tés à un stress hydrique d’ici dix ans. Au Brésil, à l’ère pré-industrielle, et de s’efforcer de la limiter à 1,5 °C. dans la zone semi-aride, « les sécheresses sont 2018 : C op 24 à Katowice. Les États adoptent le manuel plus fortes qu’auparavant. Les habitants meurent d’application de l’Accord de Paris. de faim et de soif. Les Brésiliens de cette zone doivent marcher 36 jours par an pour aller cher- cher de l’eau », explique Valquivia Lima, de l’as- sociation Asa5. L’Organisation mondiale de la QUE DIT LE RAPPORT 2018 DU GIEC ? santé prévoit 250 000 décès supplémentaires Le réchauffement global atteindrait 1,5 °C, par rapport aux ni- par an entre 2030 et 2050 en raison du stress veaux pré-industriels, entre 2030 et 2052. Et sans adoption de thermique, de la malnutrition, de la diarrhée et mesures additionnelles, il serait de 3 °C d’ici 2100. Or le Giec du paludisme, la chaleur favorisant la prolifé- démontre que les risques d’événements extrêmes sont ration des moustiques. En Haïti, le Dr Jean- plus importants à 2 °C qu’à 1,5 °C. À 2 °C, la montée de la Arioste Sylvain, du centre de santé de Delatte, mer atteindra 10 cm de plus qu’à 1,5 °C en 2100, ce qui constate également une déprime ambiante : aura des impacts humains considérables sur les millions « La santé mentale des Haïtiens est affectée, c’est de personnes vivant sur les côtes. De même, les impacts un souci quotidien de ne pas trouver de quoi man- sur la biodiversité et les ressources sont moins forts dans ger et un choc de ne pas voir les pluies tomber. » un monde à 1,5 °C. Cela évitera à plusieurs centaines de C’est aussi la conclusion du rapport “Santé millions de personnes d’être exposées à la pauvreté. Le mentale et changement climatique” de l’asso- Giec avertit par ailleurs que si les objectifs de réduction ciation américaine de psychologie et de l’ONG des gaz à effet de serre ne sont pas revus d’ici 2030, il sera Eco America : les dérèglements climatiques trop tard pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. créent des désordres psychologiques. Les SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 17
COMPRENDRE ÉLODIE PERRIOT / SCCF Le Soudan catastrophes, notamment, peuvent créer les jeunes, désespérés et affamés, rejoignent est frappé par des stress post-traumatiques. Or les per- plus facilement les rangs du groupe terroriste des sécheresses sonnes les plus pauvres n’ont souvent pas les Al Shabab. Ils y voient une solution de survie. » récurrentes. moyens de se soigner et subissent de plein D’après les chercheurs américains Burke et Les éleveurs se disputent fouet les problèmes de santé. Hsiang, à chaque demi-degré d’augmenta- les rares points tion de la température, ce sont 10 à 20 % d’eau. Un climat plus conflictuel. Les pénuries de risques de conflit armé supplémentaires. d’eau : ce phénomène accroît les problèmes de santé et nourrit également les conflits. Partir ou mourir. « La seule solution est de partir « Les ressources naturelles comme l’eau ou et de parcourir des centaines de kilomètres, sans les pâturages se raréfiant, les agriculteurs rien, à la recherche d’un lieu de vie », témoigne sédentaires et les éleveurs nomades se dis- Sahara Muhamed Hudle, Somalienne de la putent de plus en plus. Les changements clima- région de Luuq. Chaque année, pas moins tiques alimentent les de 25 millions de guerres civiles », ana- personnes quittent lyse Marc Dufumier, leur habitat en rai- professeur agro- LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES son des change- nome honoraire FONT QUE RIEN NE POURRA ments climatiques. à AgroParisTech. ARRÊTER LES MIGRATIONS. Ce chiffre pourrait À titre d’exemple, s’élever à 143 mil- en Somalie, la sé- lions de personnes cheresse de 2017 a tué au moins 40 % du en 2050, soit 3 % de la population du globe, bétail, provoquant les razzias d’éleveurs en d’après la Banque mondiale. « La migration va quête d’un nouveau cheptel, ce qui cause des devenir le visage humain du changement clima- conflits. Mohammed Abdi Sahal est éleveur tique », écrit Kristalina Georgieva, directrice dans la région de Luuq, dans le sud-ouest de générale. Ces migrants se déplacent essen- la Somalie : « Les gens se battent pour l’eau tiellement à l’intérieur des frontières natio- qui se fait rare, et j’ai vu des violences entre des nales, et souvent, les ruraux abandonnent clans autrefois pacifiques. J’observe aussi que leurs campagnes pour se rendre dans des 18 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
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