CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE

La page est créée Evelyne Masson
 
CONTINUER À LIRE
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
POUR UN MONDE JUSTE
                      ET FRATERNEL

SUPPLÉMENT AU JOURNAL MESSAGES N°741 SEPTEMBRE 2019

    COMPRENDRE

    CHANGEMENTS
    CLIMATIQUES :
    LES POPULATIONS PAUVRES
    EN PREMIÈRE LIGNE

    DÉBATTRE

   DOIT-ON CONSTRUIRE
   DE NOUVELLES PLACES
   DE PRISON ?

    RÉAGIR

   LE PLAN NATIONAL
   DE LUTTE CONTRE
   LA PAUVRETÉ :
   UN AN APRÈS
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
31

                            06

                                                                               28

                                                                          14   Supplément au trimestriel Messages
                                                                               du Secours Catholique-Caritas France :
                                                                               106, rue du Bac 75341 Paris cedex 07 •
                                                                               Tél : 01 45 49 73 00 • Fax : 01 45 49 94 50
04 RÉAGIR                                                                     Présidente et directrice de la publication :
                                                                               Véronique Fayet
Le Plan national de lutte contre la pauvreté : un an après
                                                                               Directrice de la communication :
                                                                               Agnès Dutour
06 INNOVER                                                                    Rédacteurs en chef :
                                                                               Emmanuel Maistre (7576)
En mode insertion                                                              Clarisse Briot (7339)
                                                                               Rédacteur en chef adjoint :
                                                                               Jacques Duffaut (7385)
11  DÉBATTRE
                                                                               Rédacteurs :
Doit-on construire de nouvelles places de prison ?                             Benjamin Sèze (5239)
                                                                               Cécile Leclerc-Laurent (7534)
                                                                               Rédacteur-graphiste :
14 COMPRENDRE                                                                 Guillaume Seyral (7414)
14 Enquête. Les changements climatiques, catalyseurs de pauvreté              Rédactrices photo :
                                                                               Elodie Perriot / Anaïs Pachabézian (7583)
22 L’entretien : Valérie Masson-Delmotte : « L’action climatique doit
                                                                               Imprimerie : Imaye Graphic © Messages
     être pensée avec la politique de développement »
                                                                               du Secours Catholique-Caritas France,
   Ici et là-bas. France : les changements climatiques, vecteurs de
26                                                                            reproduction des textes, des photos et
   fracture sociale                                                            des dessins interdite, sauf accord de la
                                                                               rédaction. Le présent numéro a été tiré
27 Des outils pour comprendre                                                  à 62 469 exemplaires
                                                                               Dépôt légal : n°102 672
28  RENCONTRER                                                                Numéro de commission paritaire :
                                                                               1122 H 82430 / Édité par le Secours
Geneviève Colas. Optimiste obstinée                                            Catholique-Caritas France.
                                                                               Photo de couverture :
                                                                               Christophe Hargoues / SCCF
31  EXPLORER
Être mineur non accompagné à Grenoble, le quotidien de Moussa

38 LIBRE PAROLE
Et pendant ce temps-là, les grues cendrées battent des ailes
et volent, volent, volent. Par Violaine Schwartz

39 LE REGARD DE BESSE ET ÉRIC LA BLANCHE                                      Ce produit est imprimé par une usine certifiée
                                                                               ISO 14001 dans le respect des règles
À la rue                                                                       environnementales.
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
ÉDITORIAL
                                        AVANT QU’IL NE SOIT
                                        TROP TARD
                                        PAR SARA LICKEL, RESPONSABLE DU PLAIDOYER “CHANGEMENTS CLIMATIQUES”

                                        P
                                                   artout dans le monde, des millions de jeunes se lèvent pour
                                                   exiger une réponse politique forte à la crise climatique que
                                                   nous vivons aujourd’hui. Des mesures sont indispensables
                                                   pour leur garantir un avenir juste sur une planète saine. Les
                    E. PERRIOT / SCCF

                                                   témoignages présents dans ce numéro de Résolutions montrent
                                        que les impacts des changements climatiques sont déjà là, bien réels,
                                        et qu’ils sont graves. En Haïti, en Inde, au Brésil, en Somalie, mais aussi
L’EXPÉRIENCE                            en France, ce sont les plus pauvres qui subissent en premier lieu les
NOUS MONTRE                             sécheresses, les inondations, la salinisation des terres, les canicules.
                                        Ce sont eux qui souffrent de la faim, qui sont contraints de migrer, qui
QUE LA TRANSITION
                                        perdent leur logement ou leurs moyens de subsistance. Les changements
ÉCOLOGIQUE                              climatiques sont donc d’abord une injustice.
DOIT ÊTRE AUSSI
SOCIALE.                                Ce constat alarmant a été confirmé par de récents rapports scientifiques.
                                        Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a
                                        livré un rapport glaçant en octobre 2018, montrant qu’il est indispensable
                                        de contenir le réchauffement global à + 1,5 °C afin que des centaines de
                                        millions de personnes ne tombent pas dans la pauvreté extrême. L’IPBES
                                        (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services éco-
                                        systémiques) a rappelé en mai dernier que la nature se dégradait à un
                                        rythme sans précédent dans l’histoire humaine. C’est donc, n’ayons pas
                                        peur des mots, notre survie qui est engagée.

                                        Mais des solutions existent, nos partenaires les mettent en œuvre sur
                                        le terrain chaque jour au Sud, au sein du réseau du Secours Catholique-
                                        Caritas France. Elles passent par la transition agroécologique, par l’adop-
                                        tion d’énergies renouvelables, par la construction d’un autre modèle de
                                        société, plus territorialisé, plus résilient, en harmonie avec la nature. Dans
                                        ce domaine, les peuples autochtones peuvent et doivent nous inspirer.

                                        L’expérience nous montre que la transition écologique doit être aussi
                                        sociale. Aucune mesure permettant de répondre à l’enjeu climatique ne
                                        peut être efficace sans prendre en compte la dimension humaine. Cela
                                        implique d’accompagner la transition des emplois, de garantir une alimen-
                                        tation saine à toutes et à tous, de lutter contre la précarité énergétique...
                                        Ce qui manque aujourd’hui, c’est la volonté politique de répondre à la
                                        mesure de l’enjeu. Saisissons-la et faisons de cette transition ce qu’elle
                                        est : une bonne nouvelle ! Celle de construire une société plus humaine.
                                        Car, comme le dit le pape François dans Laudato Si : « Les possibilités
                                        de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté,
                                        pour rendre leur dignité aux exclus et simultanément préserver la nature. » 

                                                                                     SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 3
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
RÉAGIR

                                              NOTRE REGARD SUR

          LE PLAN NATIONAL DE LUTTE
        CONTRE LA PAUVRETÉ : UN AN APRÈS
En 2017, sous la pression du Secours Catholique et de ses partenaires du collectif Alerte, le
gouvernement a nommé un délégué interministériel et progressivement accepté d’ouvrir une
concertation sur la pauvreté. Salariés, bénévoles du Secours Catholique et personnes ayant
connu ou vivant la précarité s’y sont impliqués. En septembre 2018, un plan a été annoncé par
le président de la République. Quel bilan un an après ?

PAR JACQUES DUFFAUT                  50 %
                                    des membres
   400 La
               points
           prime   d’activité  a du
                                 étéConseil  national
                                     augmentée     d’environ            Pour lutter contre le non-recours aux prestations
   “Conseil budget”         de lutte contre l’exclusion
       100  euros,   jusqu’au
  dans toute la France          niveau  du Smic.  Elle béné-            sociales : le renouvellement de la Cmuc1 a été rendu
                                 (CNLE) et d’autres
ficie à 5en
          millions
            2020. de ménages. instances consultatives           automatique pour les allocataires du RSA ; la Cmuc et
                                   sont désormais               l‘Aide à une complémentaire santé (ACS) ont fusionné.
       Parmi les mesures que    des le
                                     personnes   vivant
                                       Secours Catholique
       souhaitait voir prises et qui la précarité.
                                        ne l’ont pas été : la          Des concertations pour un revenu universel d’ac-
hausse du RSA. Restant très bas, il permet à peine de                  tivité et la création d’un véritable service public
survivre et il n’est toujours pas accordé aux jeunes de         de l’insertion ont été engagées.
moins de 25 ans.
                                                                       Rien n’a été prévu pour les milliers de familles
      Le plan pluriannuel en matière de logement,                      étrangères qui vivent dans une très grande pré-
      adopté précédemment, est très insuffisant et              carité et sans espoir possible de régularisation, d’in-
n’a pas été renforcé.                                           sertion ni d’accès à un logement. Rien non plus pour
                                                                des milliers de mineurs isolés vivant à la rue.
REPÈRES
                                                                      Un pilotage de la stratégie, comprenant une
                                                                      contractualisation de l’État avec les départements,
      400      points
                                                                a été mis en place, ainsi que des groupes de travail ré-
    “Conseil budget”
   seront créés dans                                            gionaux auxquels le Secours Catholique participe. Une
      toute la France                                           grande partie des départements ont déjà passé contrat.
             en 2020.
                                                                     Un service de cantine à 1 euro est désormais
                                                                     proposé à 70 000 enfants de communes de
                                                                moins de 10 000 habitants.

                                                                       Enfin, le financement de la stratégie se fait en
                                                                       désindexant les pensions de retraite, les pres-
                                                                tations familiales et les APL (par rapport à l’inflation),
  50 % des membres du Conseil national                          et en réduisant le nombre des contrats aidés de ma-
  de lutte contre l’exclusion (CNLE) et d’autres                nière drastique.
  instances consultatives sont désormais
  des personnes vivant la précarité.
                                                                1. Couverture maladie universelle complémentaire

4 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
RÉAGIR

                      NOTRE ALTERNATIVE

                    PAR VÉRONIQUE FAYET,
                    PRÉSIDENTE NATIONALE DU SECOURS CATHOLIQUE

DES REFUS, DES LENTEURS
ET QUELQUES AVANCÉES

L
       e Plan de lutte national contre   Notre demande visant à augmenter         Autre point noir, le logement des
       la pauvreté est la réponse à      le RSA se heurte toujours au refus       familles étrangères. La plupart ne
       notre réaction aux mesures        du gouvernement. Comment vivre           sont plus expulsables. Autant les
prises en début de quinquennat :         aujourd’hui avec 500 euros par           régulariser rapidement plutôt que
suppression de l’ISF, baisse des         mois ? On survit plutôt. Il faut non     de les laisser végéter dans des hô-
APL, flat tax pour les plus aisés.                                                tels ou des squats. La question des
Le président de la République di-                                                 étrangers, en France, reste taboue.
sait avoir compris les personnes                                                  On nous répond oralement qu’il y
vivant dans la pauvreté et admet-               COMMENT VIVRE                     aura des mesures. Mais comme
tait qu’elles avaient les solutions               AUJOURD’HUI                     rien n’est écrit, rien n’est fait.
à leurs problèmes. Un délégué                   AVEC 500 EUROS                    Il y a tout de même des raisons
interministériel très compétent a                  PAR MOIS ?                     d’espérer. La décision d’implanter
été nommé pour passer à l’action,                                                 des Maisons de services publics
mais les choses avancent lente-                                                   dans tous les cantons est une
ment parce qu’il est difficile de                                                 bonne nouvelle. Sous réserve que
convaincre tous les ministères en        seulement augmenter le RSA,              les moyens soient au rendez-vous
même temps et que la question so-        mais faire en sorte que tous ceux        et qu’elles répondent entièrement
ciale, en France, relève surtout des     qui y ont droit y accèdent. Il faut le   aux besoins. Ce que nos équipes
départements et des communes.            rendre automatique.                      sur le terrain devront vérifier. 

                                               DROIT DE SUITE

EN GUYANE, LES PROJETS MINIERS FREINÉS
 C’est une petite victoire, mais il      tion”, que le Secours Catholique         la biodiversité française. « Les
 faut rester vigilant. Avant l’été,      a rejoint en début d’année, exi-         conséquences de l’industrie ex-
 le gouvernement français s’est          geait l’abandon de ce projet de          tractive sont désastreuses pour
 enfin prononcé sur le projet            grande ampleur. Il critique toute-       l’environnement en termes de dé-
 “Montagne d’or” en Guyane – pro-        fois une décision en trompe-l’œil        forestation, de pollution des eaux,
 jet des multinationales Nordgold        et s’élève contre toutes les autres      d’utilisation du cyanure, de produc-
 (Russie) et Colombus Gold               demandes de permis miniers en            tion de tonnes de déchets toxiques,
 (Canada) –, affirmant « l’incom-        cours d’examen, pointant du              etc. », alerte Sara Lickel, chargée
 patibilité du projet minier avec les    doigt les risques environnemen-          de plaidoyer international au
 exigences de protection environne-      taux. Rappelons que la Guyane            Secours Catholique. 
 mentale ». Le collectif “Or de ques-    représente à elle seule 50 % de                                        C.L-L.

                                                                                       SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 5
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
INNOVER

                                                                                                                    GAEL KERBAOL / SCCF
EN MODE INSERTION
PAR JACQUES DUFFAUT PHOTOS : GAËL KERBAOL

Futile, fugace, éphémère, la mode est aussi solidaire. Le défi           ployé commercial en magasin”.
lancé en 2004 par le Secours Catholique en fondant “Tissons              « Verdun Chantiers est une des
                                                                         70 structures d’insertion qui ont ad-
la solidarité” a été relevé, puisque ce réseau de structures
                                                                         héré à “Tissons la solidarité” (TLS) »,
d’insertion par l’activité économique (IAE) a fait renouer               explique Katia Chaix, formatrice à
avec l’emploi des centaines de chômeurs de longue durée.                 l’élégance naturelle et au parcours
Comment ? Avec des formations sur mesure.                                atypique. Longtemps styliste pour

                                 V
                                                                         diverses maisons de couture, elle
                                               erdun (Meuse). Derrière   s’est mise à son compte et a cher-
                                               la gigantesque statue     ché un autre sens à sa vie : faire
                                               du soldat français que    profiter de son expérience ceux qui
                                               les jeunes d’ici ap-      en ont le plus besoin. D’abord solli-
                                               pellent Goldorak, se      citée par TLS pour moderniser les
                                 trouve l’ancienne école municipale.     boutiques du réseau, elle s’est lais-
                                 Le bâtiment est désormais occupé        sé convaincre d’enseigner.
                                 par Verdun Chantiers, une structure
                                 d’insertion. Dans une vaste salle       « Le public que nous formons, ex-
                                 de classe, Katia Chaix enseigne         plique Katia, est très divers : tous les
                                 ce jour-là l’origine des différentes    âges sont représentés, avec des par-
 Verdun Chantiers est
                                 matières textiles à un groupe de        cours différents, majoritairement des
une des 7 entreprises
d’insertion à avoir              huit personnes, cinq femmes et          femmes, parfois cabossées, souvent
adhéré à “Tissons la             trois hommes, âgés de 20 à 59 ans.      invisibles, en grand besoin de beau-
solidarité”.                     Tous suivent une formation “d’em-       coup de choses, et pas seulement

6 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
MODE D’EMPLOI
                                                                      tissons la solidarité
           LES BESOINS IDENTIFIÉS

           67,7%
 des personnes accueillies au Secours
                                                Chaque année dans le monde sont produits 80 milliards
                                                      de vêtements pour 7 milliards de Terriens.
                                                  Cette industrie est la plus polluante après le pétrole
Catholique étaient sans emploi en 2017.                          et avant l’automobile.

             1,4%
   seulement étaient en formation
                                                   Besoin de réduire l’empreinte carbone en choisissant
                                              l’économie circulaire (upcycling) et le marché de seconde main.

         professionnelle.                         Besoin de retrouver des circuits de production courts.

                                                          Former des personnes éloignées de l’emploi
                                                          aux métiers de la couture et à la vente
                                                           En permettant aux personnes formées d’acquérir
                                                           des compétences transversales pour répondre
               L’IDÉE                                      à d’autres offres d’emploi dans l’industrie
                                                           ou l’artisanat.
                                                           En s’inscrivant dans un mouvement écologique
                                                           et durable.

             QUI ?                                                         COMBIEN ?
             Tissons la Solidarité et ses partenaires.
             Les personnes les plus éloignées de                           100 personnes par an
                                                                               (en moyenne)

                                                                           83% de femmes
             l’emploi (bénéficiaires du RSA, en fin
             de droit…).

              LES OBJECTIFS
                                                                       Leur faire acquérir
                                                                        des compétences
                                               Leur faire obtenir          transversales
                           Former                des diplômes        leur ouvrant les portes
                          en priorité           professionnels           d’autres secteurs    Accompagner
                       les personnes               prouvant                   d’emploi.       ces personnes
    Dynamiser        les plus éloignées        leur qualification.                           jusqu’à l’emploi
   les bassins           de l’emploi.
d’emploi les plus                                                                                pérenne.
   en difficulté.

            LES PARTENAIRES
Tissons la Solidarité a des liens forts avec plusieurs grandes         Un réseau de 70 entreprises
maisons de couture.                                                    d’insertion partout en France.
Le couturier Christian Lacroix est le parrain de TLS.                  Employant 400 permanents
Plusieurs fondations, dont la Fondation Caritas France,                et offrant chaque année un tremplin
soutiennent la démarche.                                               à 1900 salariés en insertion.
Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie               125 boutiques solidaires proposant
(ADEME).                                                               des vêtements de seconde main.
Fonds social européen de France.                                       Dont 7 boutiques écoles.

                                                                                 SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 7
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
INNOVER
   de travail. Nous provoquons la ren-          J’adore travailler à la boutique, être      boulots agricoles derrière eux.
contre entre ce monde hétérogène et             en contact avec les clients. Mais qui       En rejoignant cette formation, ils
le monde du vêtement, qui n’a pas               va vouloir embaucher une vendeuse           ne pensaient pas découvrir avec
l’habitude de faire dans le social. »           de 59 ans ? »                               autant de plaisir un monde dont
Les personnes en formation sont                                                             ils se souciaient peu. « Aujourd’hui,
salariées en contrat à durée déter-             Les trois hommes de la formation            j’accepterais un poste de vendeur
minée d’insertion (CDDI).                       ont 22 et 23 ans. Steven a fait             dans un magasin de vêtements pour
                                                plusieurs stages dans des                   homme si on me le proposait, mais
Katia fait travailler la lecture et le          magasins de prêt-à-porter. « Je             j’ai suivi cette formation dans l’idée
calcul, indirectement, grâce au sup-            me suis dit que cette formation             d’être vendeur dans une jardinerie,
port de vente. « Il y a parfois aussi           me donnerait des bases plus                 section plantes ou mécanique, vu
des problèmes de vue, de diction, de                                                        que j’ai travaillé un temps dans les
compréhension des mots, précise-t-                                                          espaces verts. »
elle. On prend son temps. Il y a des
fragilités, mais dans l’ensemble ces            CETTE FORMATION ME                          Les formations de vendeurs
personnes sont fortes, pleines de bon           DONNERA DES BASES PLUS                      débutent par une initiation au tri.
sens, et elles vont droit à l’essentiel. »      SOLIDES POUR TRAVAILLER                     « Verdun Chantiers collecte les vê-
Catherine est la doyenne de cette               DANS CE SECTEUR.                            tements, mentionne Katia. Nous
session. Tour à tour coiffeuse, as-                                                         conservons les vêtements qui se-
sistante maternelle et serveuse,                solides pour travailler dans ce             ront vendus en boutique. Il faut ra-
elle est dubitative quant à son                 secteur », dit-il. Yannick et Pierric,      pidement voir ce qui a de la valeur,
avenir. « J’ai eu la chance qu’on me            copains inséparables, ont déjà              la matière, la griffe… » La formation
propose cette formation, dit-elle.              trois ou quatre ans de petits               couture est assurée par l’autre for-
                                                                                            mateur de TLS, Emmanuel Aubry.
                                                                                            Si la couture est moins recherchée
           REGARD                                                                           par les salariés en insertion, elle a
                                                                                            pourtant de beaux jours devant elle.
  THIBAUT GUILLUY, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL                                            Les retoucheries se multiplient et de
  POUR L’INCLUSION DANS L’EMPLOI1                                                           nombreuses enseignes proposent
                                                                                            désormais ce nouveau service.
  UN SECTEUR EN PLEINE
  RENAISSANCE                                                                               Verdun Chantiers dispose de
                                                                                            boutiques ouvertes au public :
                                                                                            “Alphabet”, située dans une autre
   En France, l’industrie du textile est en train de redémarrer grâce aux
                                                                                            aile de l’école, et “Éphémère”, dans le
   enjeux écologiques et de relocalisation. Un certain nombre d’entre-
                                                                                            bas de la ville. En s’y rendant à pied,
   prises du textile repensent leur politique de production et envisagent
                                                                                            Katia vante les mérites du « merch ».
   de créer des activités de réparation ou de transformation de leurs
                                                                                            « Le merchandising, explique-t-elle,
   invendus. Face à ces enjeux, elles manquent de réponses sur le
                                                                                            est l’art de présenter les produits, de
   territoire. Les entreprises de l’insertion par l’activité économique
                                                                                            les mettre en valeur. » Et en effet, la
   (IAE) et “Tissons la solidarité” (TLS), notamment, contribuent à cette
                                                                                            vitrine d’Éphémère, rue Raymond-
   renaissance. La force de TLS est d’être implantée dans différents
                                                                                            Poincaré, en est l’éclatante démons-
   territoires. Elle y apporte des solutions grâce à la mutualisation,
                                                                                            tration. À l’intérieur, dans un décor
   dans un secteur où se trouvent de petites structures d’insertion
                                                                                            en dégradés de gris et sous un éclai-
   indépendantes. TLS accompagne le redémarrage d’activités qui
                                                                                            rage savamment orchestré, les ma-
   appartenaient au passé et qui, probablement, seront des activités
                                                                                            tières et les couleurs éclatent. Ces
   d’avenir. Je trouve cela malin. 
                                                                                            boutiques sont de véritables écoles
   1 L
      e CNIE remplace depuis le mois de novembre 2018 le Conseil national de l’insertion
                                                                                            professionnelles où les salariés en
     par l’activité économique.                                                             insertion effectuent une partie de
                                                                                            leur formation.

8 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
INNOVER
                                                                                                        des offres et des industries pré-
                                                                                                        sentes, les formations s’adaptent.
                                                                                                        « À Belfort, la première année, nous
                                                                                                        avons eu 57 % de retour à l’emploi
                                                                                                        après une formation en retouche-
                                                                                                        rie. L’année suivante, il y avait moins
                                                                                                        d’offres, alors nous avons travaillé
                                                                                                        avec les industries en tension sur
                                                                                                        les compétences transférables. La
                                                                                                        couture exige rigueur, dextérité et
                                                                                                        concentration. Des qualités deman-
                                                                                                        dées dans d’autres postes. Au final,
                                                                                                        12 de nos salariés en insertion ont
                                                                                                        été embauchés dans l’industrie. »

                                                                                                        Caroline et son équipe vont plus
                                                                                                        loin dans leur accompagnement.
                                                                                                        « En milieu de formation, dit-elle,
                                                                                                        nous les recevons un à un et nous
                                                                                                        les informons des offres d’emploi.
                                                                                                        Nous rédigeons avec eux leur CV en
                                                                                                        fonction des offres et de la proba-
                                                                                                        bilité d’une réponse positive. Inutile
                                                                                                        de s’exposer à un refus certain. »
                                                                                                        Quand un emploi est sur le point
                                                                                                        de se conclure, TLS vérifie que le
                                                                                                        salaire correspond à la valeur du
                                                                                                        travail. « Le but n’est pas de les tirer
                                                                                                        de la précarité pour les placer dans
                                                                                                        une précarité professionnelle, dé-
                                                                                                        clare Caroline. Nous devons nous
                                                                                  GAEL KERBAOL / SCCF

                                                                                                        assurer que ces contrats en valent
                                                                                                        la peine. Il m’est arrivé d’aller voir
                                                                                                        des employeurs et de leur expliquer
                                                                                                        qu’il y avait un problème au niveau
Le concept de boutique-école a         Caroline Portes est une passion-                                 du salaire. Parfois ça passe ; par-
été créé en 2008 afin d’améliorer      née de mode, dotée d’un carnet                                   fois non. Maintenir des travailleurs
l’accompagnement vers l’emploi.        d’adresses prestigieuses. À son                                  dans la précarité pose un problème
Il fait partie d’un plan élaboré par   arrivée à TLS, le réseau compre-                                 d’éthique. »
des économistes dans le but de         nait une trentaine de structures
développer des formations quali-       d’insertion. Sa première tâche a                                 Déjà itinérantes, les formations de
fiantes. « Nous avons créé un pro-     été de les professionnaliser et de                               TLS seront bientôt proposées en
gramme de formation », se souvient     faire former leurs salariés par deux                             ligne. Elles permettront de diffuser
Caroline Portes, directrice de TLS     experts de la mode qui sont venus                                encore plus largement les connais-
depuis 2006. « Une soixantaine de      sur place. « Quand une structure de-                             sances et les qualifications, no-
salariés de la maison Chanel ont       mande une formation, nous étudions                               tamment auprès d’un public de
planché pendant trois ans sur ce       en priorité le bassin d’emploi et la si-                         personnes en situation de handi-
programme, pour que les supports       tuation économique de la région,                                 cap, afin d’offrir un retour à l’emploi
pédagogiques correspondent à tous      indique Caroline. Pas question de                                mais aussi un emploi d’avenir au
les niveaux scolaires. »               former pour le plaisir. » En fonction                            plus grand nombre. 

                                                                                                             SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 9
CHANGEMENTS CLIMATIQUES : LES POPULATIONS PAUVRES EN PREMIÈRE LIGNE
INNOVER
ILS Y PENSENT AUSSI

                                                                          JEUNES SANS QUALIFICATION

                                                                          MÉTIERS EN TENSION
                                                                          Skola : c’est le nom de la formation aux métiers de la
                                                                          vente créée par Apprentis d’Auteuil en 2017. Destiné
                                                                          aux 18-30 ans éloignés de l’emploi, le programme
                                                                          se déroule sur trois mois, dans une boutique-école.
                                                                          Les contacts avec les entreprises sont constants,

                                                       . ACT’ PRO JARIS
                                                                          si bien qu’à Beauvais, par exemple, 80 % des jeunes
                                                                          formés sont en poste aujourd’hui. D’autres forma-
                                                                          tions se développent dans la fibre, l’hôtellerie et les
 HANDICAP                                                                 métiers de la vigne. 
 ÇA TOURNE                                                                    Plus d’infos sur bit.ly/FormationSkola

 « Ce n’est pas parce qu’on a un handicap que l’on n’est
 pas compétent » : tel est le leitmotiv d’Éric Canda,
                                                                          EN PRISON
 réalisateur et fondateur d’Act’ Pro Jaris. Soutenue
 par la fondation Caritas, cette association francilienne                 NOUVEAU DÉPART
 propose un parcours unique en France de formation
 aux métiers de l’audiovisuel pour des personnes en                       Au Kosovo, où le taux de chômage atteint 35 %, Caritas
 situation de handicap. Gratuit pour les stagiaires, ce                   met en œuvre des formations en couture et coiffure
 parcours se compose d’une première phase destinée                        dans l’unique centre de détention pour femmes du
 à lever les freins à l’insertion puis d’une immersion                    pays. Elle assure les liens entre les partenaires (dont le
 professionnelle. Sur les 187 stagiaires accompagnés                      gouvernement qui emploie les professeurs) et accom-
 depuis 2005, 145 travaillent dans ce secteur réputé                      pagne les détenues formées. « En sortant de détention
 élitiste ou ont repris des études.                                      avec une formation concrète, elles peuvent espérer un
                                                                          nouveau départ », souligne Elnara Petit, qui appuie le
    Plus d’infos sur www.jaris.fr
                                                                          projet pour le Secours Catholique. 

RETOUR SUR

“TERRITOIRES ZÉRO CHÔMEUR DE LONGUE DURÉE” :
L’EXPÉRIMENTATION DEVRAIT ÊTRE ÉTENDUE

L
       e dispositif “Territoires zéro    leurs compétences et des besoins
       chômeur de longue durée”          du territoire. Deux ans et demi
       (TZCLD), à l’initiative d’ATD     après les premières embauches,
 Quart Monde et soutenu par le           TZCLD comptabilise aujourd’hui
                                                                                                                                 GAEL KERBAOL / SCCF

 Secours Catholique, est expéri-         plus de 830 emplois créés, prin-
 menté dans dix bassins d’emploi         cipalement dans l’économie cir-
 sur le territoire français depuis       culaire, l’artisanat, les services
 sa création par la loi du 29 fé-        de proximité et le maraîchage.
 vrier 2016. Le principe : donner        Par-delà les bénéfices pour les                      a annoncé que l’expérimentation
 du travail à tous les demandeurs        personnes, de premières évalua-                      serait étendue. Une nouvelle loi
 d’emploi volontaires, au chômage        tions révèlent un impact positif                     en ce sens est attendue dans les
 depuis plus d’un an, en créant de       sur les économies locales. En                        prochains mois. Plus de 160 terri-
 l’activité économique à partir de       septembre, Emmanuel Macron                           toires se sont portés candidats. 

10 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
DÉBATTRE

      DOIT-ON CONSTRUIRE DE NOUVELLES
             PLACES DE PRISON ?
 CONTEXTE. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit la création
de 15 000 places de prison supplémentaires sur la décennie, dont 7 000 dès la fin du quinquennat.
 Ce programme immobilier vise à lutter contre la vétusté du parc pénitentiaire et la surpopulation
  carcérale chronique. Mais la construction de nouvelles prisons est-elle réellement la solution ?

                               JEAN CAËL,               RAPHAËL GAUVAIN,
      RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT PRISON-                DÉPUTÉ LREM, ANCIEN AVOCAT,
           JUSTICE AU SECOURS CATHOLIQUE                MEMBRE DE LA COMMISSION DES LOIS

Jean Caël : Au Secours Catholique,         taches qu’elles pouvaient avoir en       Raphaël Gauvain : Nous ne
nous nous interrogeons sur le parti        termes d’insertion. Normalement,         sommes pas fondamentalement
pris des gouvernements français            la prison est un mode d’exécution        en désaccord. Mais l’urgence que
successifs depuis la fin des années        rationnel d’une sanction pénale qui      nous devons gérer aujourd’hui est
1980 de construire toujours plus de        a pour objectif la réhabilitation de     la surpopulation carcérale et sur-
prisons. La surpopulation en milieu        la personne condamnée pour elle,         tout l’état sanitaire des prisons.
carcéral a continué à croître, alors       pour les victimes et pour la socié-      En maison d’arrêt, les personnes
que le taux de criminalité est globa-      té. Dans les faits, elle semble plutôt   sont trois par cellule de 9 m2 et
lement stable. Le taux de récidive,        être devenue un mode de gestion          dorment par terre sur des mate-
lui, aurait doublé ces vingt dernières     des populations marginales. La           las en mousse pleins de mites. Il
années, ce qui pose la question de         plupart des personnes incarcérées        faut bien répondre à cela. Donc
l’effet dissuasif de la prison. On en-     n’ont pas commis de faits graves.        d’abord, il faut construire. Mais pas
ferme des personnes pour des pé-           La durée moyenne des peines pro-         d’énormes établissements comme
riodes courtes, avec souvent rien à        noncées est inférieure à un an. Si       Fleury-Mérogis, il faut une réponse
leur faire faire, et sans avoir le temps   on continue à construire, on va ac-      ciblée qui s’adapte à chaque situa-
de travailler avec elles pour leur ré-     croître cette exclusion. C’est pour      tion. Le problème, en maison d’ar-
insertion. Et on espère qu’elles vont      toutes ces raisons qu’au Secours         rêt, c’est qu’on y trouve à la fois des
en sortir meilleures, alors même           Catholique, nous défendons les al-       personnes qui exécutent des pe-
qu’elles ont rompu les quelques at-        ternatives à l’incarcération.            tites peines pour des faits peu

                                                                                       SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 11
GAËL KERBAOL / SCCF
Plutôt que construire, il faudrait réduire                             Il est urgent de construire. Il faut, en
le nombre de personnes détenues en                                   même temps, améliorer la réinsertion,
investissant dans les alternatives à                                   en travaillant particulièrement sur la
l’incarcération. Une peine aménagée                                 question des courtes peines et des fins
avec un accompagnement social                                            de peine. Mais sans porter atteinte
est bien plus efficace contre                                        au principe d’exécution de la sanction
la récidive.                                                                            qui a été prononcée.
           JEAN CAËL                                                                         RAPHAËL GAUVAIN

   graves, et d’autres qui attendent       bilité des personnes et de leur per-        mesure, vous allez l’augmenter.
leur jugement pour des faits crimi-        mettre de sortir travailler la journée      Enfin, concernant les SAS, l’inten-
nels, parfois très graves, et qui néces-   et de rentrer le soir. L’objectif est d’y   tion est bonne, mais lorsqu’on re-
sitent un système disciplinaire et de      développer le taux d’activité des per-      garde le projet de loi de finances,
sécurité extrêmement fort.                 sonnes dans et hors les murs. Avec          on constate que la tendance va sur-
                                           ce dispositif, je crois qu’on répond à      tout être de continuer à construire
J.C. : Et on augmente le système de        votre impératif. De même, pour les          de grands ensembles, des usines
sécurité pour tout le monde, alors         très courtes peines, nous encoura-          à traitement de flux carcéral, car
que la plupart des personnes ne sont       geons les alternatives, notamment           c’est moins cher. Construire en
pas dangereuses.                           les travaux d’intérêt général (TIG).        centre-ville coûte cher, vu le prix
                                                                                       du foncier. Comment va-t-on trou-
R.G. : Exactement. Et on n’arrive          J.C. : Les très courtes peines, de          ver les fonds ? Et puis, la ministre
pas à travailler à la réinsertion avec     moins d’un mois, ne représentent            a annoncé la création de seule-
ceux qui sont là pour moins d’un           que quelques centaines de per-              ment 2 000 places en SAS... pour
an. Les sorties sèches, sans aucune        sonnes, ce n’est pas significatif.          71 000 personnes détenues.
préparation, sont dramatiques en           Dans le même temps, vous sup-
termes de récidive. Il faut donc tra-      primez les possibilités d’aménage-          R.G. : Nous travaillons avec des
vailler sur les petites peines et sur      ment de peine pour les personnes            contraintes budgétaires extrême-
les fins de peine. C’est en ce sens        condamnées à un an ou plus de               ment fortes, on ne va pas se le
qu’ont été imaginées les structures        prison ferme, contre deux ans au-           cacher. Mais un effort budgétaire
d’accompagnement vers la sortie            paravant. Dans les intentions de la         est fait pour réhabiliter, construire
(SAS). Il s’agirait d’établissements       loi, Mme Belloubet disait vouloir ré-       des prisons, et répondre à cet im-
plus petits et plus proches des            duire de 8 000 personnes le nombre          pératif de salubrité et de respect
centres-ville, afin de faciliter la mo-    de personnes détenues. Avec cette           des droits.

12 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
DÉBATTRE
J.C. : Construire de nouveaux établis-      J.C. : C’est un principe, justement.       R.G. : Tout le monde est d’accord sur
sements est un choix très coûteux           Mais quelle est la conséquence             le fait qu’il faut préparer la sortie, qu’il
au regard du prix de revient. Le coût       pratique de l’application de ce prin-      faut être dans la réinsertion et que
du placement en extérieur est bien          cipe ? Beaucoup de magistrats, par         la personne condamnée à un an et
moindre et, avec la contribution de la      crainte, préfèrent prononcer l’incar-      demi de prison ferme devrait pou-
société civile (associations, aumône-       cération, même pour de courtes du-         voir aller travailler, garder des liens
ries), il pourrait s’avérer plus efficace   rées, plutôt qu’une peine aménagée.        avec sa famille… On peut en débattre
contre la récidive ou l’exclusion so-       Un directeur interrégional de l’admi-      à l’Assemblée nationale, mais le pro-
ciale des personnes. J’ai lu dans le        nistration pénitentiaire m’a dit : « Le    blème, c’est la mise en œuvre sur le
rapport Raimbourg, publié en 2014,          système de précaution, ce n’est même       terrain, lorsque le préfet va devoir ré-
que la construction, en partenariat         plus un parapluie chez nous, c’est un      unir les élus locaux et leur annoncer :
public-privé, d’un encellulement in-        parasol, tellement tout le monde se        « Ici, nous allons installer un SAS ou un
dividuel revenait à 310 000 euros.          crispe et a peur que la faute arrive par   centre de semi-liberté. » Vous faites
Imaginez ce que l’on pourrait faire si      lui. La solution est donc de pronon-       alors face à des pétitions, au maire
l’on investissait les mêmes montants        cer du ferme. » Dans ce contexte, la       et au conseiller départemental qui
dans l’accompagnement social ! En           construction de nouveaux établis-          montent au créneau. C’est comme
France, le budget consacré à la jus-        sements risque de créer un appel           pour les éoliennes, tout le monde est
tice est insuffisant. Et s’il est absor-    d’air. Un représentant du parquet          d’accord, mais pas chez soi.
bé par la construction de nouvelles         a dit récemment à un bénévole du
prisons, on ne pourra pas mettre en         Secours Catholique : « L’annonce de        J.C. : Il faudrait que l’opinion pu-
place des aménagements de peine             la construction de nouvelles places,       blique, au lieu d’identifier dans les
dans de bonnes conditions. Nous             c’est la bonne aubaine pour les magis-     personnes détenues des boucs
sommes d’accord, il faut trouver            trats qui avaient encore quelques scru-    émissaires, prenne conscience que
une solution à la surpopulation et          pules à envoyer en détention pour une      c’est aussi notre responsabilité ci-
au mauvais état des prisons. Mais           courte peine. » Si on faisait vraiment     toyenne que de faire une place dans
celle que vous avancez sous-entend          quelque chose en détention pour la         la société à ces personnes, notam-
que la sanction naturelle d’un délit se-    réinsertion, nous serions moins cri-       ment sous forme d’aménagements
rait l’exécution d’une peine de prison      tiques par rapport à l’incarcération.      de peines. Au Secours Catholique,
ferme. Nous ne partageons pas ce            Mais le système pénitentiaire actuel,      nous travaillons beaucoup au chan-
point de vue.                               à cause du manque de moyens, ne            gement de regard. Nous essayons
                                            favorise pas la responsabilisation, la     de bâtir une société de la confiance.
R.G. : C’est peut-être un parti pris        reprise en main, tout ce qui va aller      À l’inverse, construire des places de
politique, mais il est assumé. Bien         dans le sens de la “désistance”, de        prison, c’est alimenter l’idée d’une so-
sûr qu’il faut travailler sur la réin-      la volonté de se réinsérer. Comment        ciété de la méfiance. 
sertion, mais il faut aussi travailler      faire en sorte que la peine soit un
sur la sanction. À partir du moment         temps de remobilisation et rede-                               Propos recueillis
où un débat contradictoire a eu lieu        vienne utile ?                                               par Benjamin Sèze
dans un cadre judiciaire, en audience
publique, où il y a eu une peine de
prison ferme prononcée au regard                REPÈRES
des faits, de la faute commise, de
l’atteinte portée aux parties civiles, il       LE BRACELET ÉLECTRONIQUE
faut que cette décision soit respec-            Peu cher, relativement simple d’utilisation, le placement sous bra-
tée, et non pas détricotée ensuite par          celet électronique est de plus en plus utilisé par les magistrats
un juge de l’application des peines.            comme alternative à l’incarcération. Plus de 10 000 personnes
Sinon les victimes et le corps social           sont aujourd’hui concernées. « Pour la détention provisoire ou les
ne comprennent pas. Pour respec-                courtes peines, c’est une bonne réponse », estime Raphaël Gauvain.
ter les magistrats, le corps social et          Jean Caël est moins enthousiaste : « Sans accompagnement social,
l’ordre républicain, il faut rétablir ce        c’est une solution qui aboutit souvent à un échec. »
principe d’exécution de la peine.

                                                                                           SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 13
COMPRENDRE

 ENQUÊTE

 LES CHANGEMENTS
 CLIMATIQUES,
 CATALYSEURS DE PAUVRETÉ
 PAR CÉCILE LECLERC-LAURENT

  Inondations ou à l’inverse sécheresses – voire les deux
  alternativement –, montée des eaux et salinisation des
  terres, catastrophes naturelles accrues : les changements
  climatiques affectent en premier lieu les populations pauvres
  des pays en voie de développement. Petits paysans et
  pêcheurs voient leurs rendements diminuer et souffrent
  de la faim ou de la soif. Désespérés, ils se disputent
  les ressources naturelles, ce qui est source de conflits.
  Conséquence : des millions de personnes migrent pour
  les villes où elles croupissent dans la misère. Si rien n’est
  fait, plus de 100 millions de personnes supplémentaires
  tomberont sous le seuil de pauvreté d’ici 2030, estime la
  Banque mondiale. Dans quelle mesure les changements
  climatiques non seulement créent-ils mais aussi amplifient-
  ils la pauvreté dans le monde ? Comment dès lors lutter
  contre les dérèglements climatiques tout en éradiquant la
  pauvreté ?                                   PHOTO : GAËL KERBAOL / SCCF

14 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
COMPRENDRE

 SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 15
COMPRENDRE
                                                                                                 les plus pauvres, ceux dont la vie dépend
                                                                                                 des ressources naturelles et des récoltes,
                                                                                                 donc du cycle des saisons, qui sont les plus
                                                                                                 affectés par les dérèglements climatiques.

                                                                                                 Faim et insécurité alimentaire. Ouragans,
                                                                                                 inondations, sécheresses : tous ces acci-
                                                                                                 dents climatiques sont en effet de plus en
                                                                                                 plus fréquents et totalement imprévisibles.
                                                                                                 Ainsi en Inde, dans la région de l’Assam, les
                                                                                                 pluies sont devenues capricieuses et les
                                                                                                 moussons sont déréglées. « Il peut y avoir
                                                                                                 deux jours de pluies intenses et le lendemain
                                                                                                 un soleil qui tape. Les paysans n’arrivent plus
                                                                                                 à programmer leurs travaux et cela baisse leur
                                                                                                 rendement », déplore Netaji Basumatary de
                                                                                                 l’ONG1 IGSSS2. Même constat au Sénégal où,
                                                                                                 l’année passée, une sécheresse de 45 jours
                                                                                                 en pleine saison des pluies a détruit les
                                                                                                 cultures de mil et d’arachide dans le sud du
                                                                                                 pays. Dans cette région côtière, la montée
                                                                                                 de la mer est aussi un problème : « Le sel
                                                                                                 pollue les nappes phréatiques et dégrade les fo-
                                                                                                 rêts et les cultures, notamment maraîchères »,
                                                                                                 observe Gilbert Sene, de Caritas Kaolack.
                                                                         ÉLODIE PERRIOT / SCCF

                                                                                                 Conséquence : la baisse des rendements
                                                                                                 agricoles a un effet direct sur l’alimentation
                                                                                                 des populations. En raison des changements

                       Y
                                                                                                 climatiques, le Pnud3 estime que 600 mil-
 Pour contrer                       ves n’en croit toujours pas ses                             lions de personnes supplémentaires souffri-
la montée                            yeux. De sa vie d’homme de                                  ront de la faim en 2080. Les paysans voient
des océans
                                     59 ans, il n’avait jamais vu la                             par ailleurs leurs revenus tirés de la vente
et éviter que le sel
ne dégrade                           rivière en bas de chez lui à sec                            des produits agricoles diminuer à vue d’œil.
les cultures,                        en plein mois de mai, tradition-                            Et la raréfaction des denrées provoque une
Caritas Kaolack        nelle saison des pluies. La faute aux chan-                               hausse des prix. Difficile, dans ce cas, de
construit des          gements climatiques qui touchent fortement                                vivre dignement.
barrages anti-sel
                       son pays, Haïti. « Nous vivons des temps ter-                             Par ailleurs, en cas d’événements climatiques
dans le sud
du Sénégal.            ribles comparés à mon enfance », explique ce                              extrêmes, les cultures ne sont pas les seules
                       paysan de la région des Palmes. Yves a des                                touchées. Les ouragans peuvent détruire les
                       difficultés à se nourrir et a dû renoncer à fi-                           infrastructures et endommager le matériel
                       nancer des études pour son fils de 28 ans.                                agricole. C’est le cas au Bangladesh où « les
                       Un peu plus au nord, sur la côte haïtienne, à                             pluies diluviennes entraînent des crues sou-
                       Léogâne, c’est le manque de poissons qui in-                              daines dans la région des Chittagong Hill Tracts.
                       quiète Charles, pêcheur. En cause, la hausse                              Les rivières débordent, emportent les maisons et
                       de la température de l’eau, sans doute. Mais                              ravagent les cultures », s’alarme Rupna Das, de
                       aussi la disparition des mangroves, ces es-                               Caritas Bangladesh. Haïti aussi voit des ou-
                       paces boisés naturels où se reproduisent                                  ragans de plus en plus fréquents et violents.
                       les poissons et qui ont souffert de la pollu-                             En 2016, l’ouragan Matthew a tué le mari de
                       tion et de la coupe du bois. En Haïti comme                               Paulette ; vents et boue ont emporté tout son
                       dans les autres pays dits “du Sud”, ce sont                               bétail, sa maison et une partie de son terrain.

16 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
COMPRENDRE
Il faut dire que la déforestation – la couverture
forestière d’Haïti est réduite à moins de 2 %
                                                          ÉCLAIRAGE
de son territoire – accroît l’érosion des sols,
                                                       UN LONG CHEMIN DE NÉGOCIATIONS CLIMATIQUES
et les pluies intensifiées par les changements
climatiques détériorent encore leur qualité.           1979 : première conférence mondiale sur le climat à
                                                               Genève. Les scientifiques expriment leur inquiétude
La santé en danger. « Les changements clima-                   sur les effets à long terme des émissions de CO2.
tiques ont plusieurs effets massifs sur la pau-
                                                       1988 : création du Groupe d’experts intergouvernemental
vreté à l’échelle de la planète », analyse Henri
                                                              sur l’évolution du climat (Giec) chargé du suivi scien-
Waisman, chercheur à l’Iddri4 et co-auteur du
                                                              tifique des processus de réchauffement climatique.
rapport du Giec 2018 (voir encadré ci-contre).
                                                       1992 : Sommet de la Terre à Rio. Naissance de la Convention
                                                               cadre des Nations unies sur les changements cli-
                                                               matiques (CCNUCC) et de son organe de prise de
    LES PAYSANS N’ARRIVENT PLUS                                décision, la Conférence des parties (Cop).
   À PROGRAMMER LEURS TRAVAUX
           ET CELA BAISSE                              1995 : p
                                                               remière Cop à Berlin.
          LEUR RENDEMENT.                              1997 : adoption du Protocole de Kyoto qui vise à réduire les
                                                               émissions de gaz à effet de serre (GES) de 5,2 % en
                                                               moyenne d’ici 2012, par rapport au niveau de 1990.
« Aux impacts sur la subsistance des gens, avec                Entrée en vigueur en 2005 : seuls 37 pays dévelop-
la baisse des rendements et les effets liés à la               pés s’y sont engagés.
multiplication des catastrophes, il faut ajouter
                                                       2009 : échec de la Cop 15 à Copenhague. Le texte ne com-
les impacts sur l’accès à l’eau et sur la santé, qui
                                                              porte aucun engagement chiffré de réduction des
vont aussi renforcer la pauvreté », estime-t-il.
                                                              GES et n’est juridiquement pas contraignant.
Selon l’“Atlas mondial de la désertification” de
la Commission européenne, les deux tiers de            2015 : Cop 21. L’Accord de Paris a pour objectif de contenir la
la population mondiale risquent d’être confron-               hausse des températures bien en-deçà de 2 °C par rapport
tés à un stress hydrique d’ici dix ans. Au Brésil,            à l’ère pré-industrielle, et de s’efforcer de la limiter à 1,5 °C.
dans la zone semi-aride, « les sécheresses sont
                                                       2018 : C
                                                               op 24 à Katowice. Les États adoptent le manuel
plus fortes qu’auparavant. Les habitants meurent
                                                              d’application de l’Accord de Paris.
de faim et de soif. Les Brésiliens de cette zone
doivent marcher 36 jours par an pour aller cher-
cher de l’eau », explique Valquivia Lima, de l’as-
sociation Asa5. L’Organisation mondiale de la          QUE DIT LE RAPPORT 2018 DU GIEC ?
santé prévoit 250 000 décès supplémentaires            Le réchauffement global atteindrait 1,5 °C, par rapport aux ni-
par an entre 2030 et 2050 en raison du stress          veaux pré-industriels, entre 2030 et 2052. Et sans adoption de
thermique, de la malnutrition, de la diarrhée et       mesures additionnelles, il serait de 3 °C d’ici 2100. Or le Giec
du paludisme, la chaleur favorisant la prolifé-        démontre que les risques d’événements extrêmes sont
ration des moustiques. En Haïti, le Dr Jean-           plus importants à 2 °C qu’à 1,5 °C. À 2 °C, la montée de la
Arioste Sylvain, du centre de santé de Delatte,        mer atteindra 10 cm de plus qu’à 1,5 °C en 2100, ce qui
constate également une déprime ambiante :              aura des impacts humains considérables sur les millions
« La santé mentale des Haïtiens est affectée, c’est    de personnes vivant sur les côtes. De même, les impacts
un souci quotidien de ne pas trouver de quoi man-      sur la biodiversité et les ressources sont moins forts dans
ger et un choc de ne pas voir les pluies tomber. »     un monde à 1,5 °C. Cela évitera à plusieurs centaines de
C’est aussi la conclusion du rapport “Santé            millions de personnes d’être exposées à la pauvreté. Le
mentale et changement climatique” de l’asso-           Giec avertit par ailleurs que si les objectifs de réduction
ciation américaine de psychologie et de l’ONG          des gaz à effet de serre ne sont pas revus d’ici 2030, il sera
Eco America : les dérèglements climatiques             trop tard pour limiter le réchauffement à 1,5 °C.
créent des désordres psychologiques. Les

                                                                                          SEPTEMBRE 2019 - RÉSOLUTIONS 17
COMPRENDRE

                                                                                                                              ÉLODIE PERRIOT / SCCF
 Le Soudan          catastrophes, notamment, peuvent créer              les jeunes, désespérés et affamés, rejoignent
est frappé par     des stress post-traumatiques. Or les per-             plus facilement les rangs du groupe terroriste
des sécheresses    sonnes les plus pauvres n’ont souvent pas les         Al Shabab. Ils y voient une solution de survie. »
récurrentes.
                   moyens de se soigner et subissent de plein            D’après les chercheurs américains Burke et
Les éleveurs
se disputent
                   fouet les problèmes de santé.                         Hsiang, à chaque demi-degré d’augmenta-
les rares points                                                         tion de la température, ce sont 10 à 20 %
d’eau.             Un climat plus conflictuel. Les pénuries              de risques de conflit armé supplémentaires.
                   d’eau : ce phénomène accroît les problèmes
                   de santé et nourrit également les conflits.          Partir ou mourir. « La seule solution est de partir
                   « Les ressources naturelles comme l’eau ou           et de parcourir des centaines de kilomètres, sans
                   les pâturages se raréfiant, les agriculteurs         rien, à la recherche d’un lieu de vie », témoigne
                   sédentaires et les éleveurs nomades se dis-          Sahara Muhamed Hudle, Somalienne de la
                   putent de plus en plus. Les changements clima-       région de Luuq. Chaque année, pas moins
                   tiques alimentent les                                                            de 25 millions de
                   guerres civiles », ana-                                                          personnes quittent
                   lyse Marc Dufumier,                                                              leur habitat en rai-
                   professeur agro-                 LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES                     son des change-
                   nome honoraire                       FONT QUE RIEN NE POURRA                     ments climatiques.
                   à AgroParisTech.                      ARRÊTER LES MIGRATIONS.                    Ce chiffre pourrait
                   À titre d’exemple,                                                               s’élever à 143 mil-
                   en Somalie, la sé-                                                               lions de personnes
                   cheresse de 2017 a tué au moins 40 % du              en 2050, soit 3 % de la population du globe,
                   bétail, provoquant les razzias d’éleveurs en         d’après la Banque mondiale. « La migration va
                   quête d’un nouveau cheptel, ce qui cause des         devenir le visage humain du changement clima-
                   conflits. Mohammed Abdi Sahal est éleveur            tique », écrit Kristalina Georgieva, directrice
                   dans la région de Luuq, dans le sud-ouest de         générale. Ces migrants se déplacent essen-
                   la Somalie : « Les gens se battent pour l’eau        tiellement à l’intérieur des frontières natio-
                   qui se fait rare, et j’ai vu des violences entre des nales, et souvent, les ruraux abandonnent
                   clans autrefois pacifiques. J’observe aussi que      leurs campagnes pour se rendre dans des

18 RÉSOLUTIONS – SEPTEMBRE 2019
Vous pouvez aussi lire