Chapitre 1. Les générations du baby-boom en Europe

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Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                                    7

           Chapitre 1. Les générations du baby-boom en Europe

Le choc démographique

La reprise de la natalité après guerre en Europe

Le phénomène du baby-boom a d’autant plus surpris que personne dans les années 1930
n’envisageait une reprise de la natalité et que, même en 1946, peu « ont cru à sa durée » (Le
Bras 2007). Cette augmentation du nombre de naissances que l’on observe dès la fin de la
guerre n’est pas propre à la France comme le suggère le terme même de baby-boom1, qui est
commun à un certain nombre de pays d’Europe et d’Amérique du Nord.2 Un fait surprenant et
encore inexpliqué intervient durant la Seconde Guerre mondiale, vers 1942 : on constate un
retournement de tendance de la fécondité dans tous les pays engagés dans le conflit et même
dans ceux qui sont restés neutres. En 1946, le phénomène se confirme et s’amplifie grâce aux
mariages différés et au retour des prisonniers de guerre. Mais comme le montre la figure 1, le
baby-boom se présente de façon différente en France et en Angleterre. La phase de
récupération est particulièrement forte en France avec un taux de fécondité des plus élevés en
Europe en 1950. L’indice de fécondité passe de 2.05 en 1935 à 2.98 en 1946 et reste aux
alentours de 2.7, 2.8 jusqu’en 1964 avec 2.9 alors qu’en Angleterre, si l’indice de fécondité
augmente de 1.75 en 1935 à 2.47 en 1946, et 2.7 en 1947, il chute à 2.16 en 1952 pour
remonter progressivement à 2.91 en 1964. A partir de 1964, l’indice de fécondité diminuera
dans les deux pays.

La comparaison entre les deux pays montre des différences notables dans la reprise de la
natalité et si on l’élargit aux autres pays européens, on observe que le phénomène du baby-
boom n’a non seulement pas connu la même ampleur dans tous les pays mais ne s’est
pratiquement pas produit dans certains d’entre eux. En fait, « deux éléments permettent
d’identifier les pays du baby-boom : une natalité relativement faible dans les années 1930,
puis une natalité relativement élevée dans les 25 ans qui suivent la guerre mondiale »
(Monnier, 2007).

1
  Terme qu’Alfred Sauvy rejetait et censurait dans tous les articles de Population pour le remplacer par « reprise
de la natalité d’après-guerre ».
2
  Y. Jones, Great expectations America and the baby-boom generation. New York, Ballatine Books, 1981, cité
par l’historien Jean-François Sirinelli (2002).
8                         Les générations du baby-boom en Europe

A partir de ces critères, on peut distinguer deux groupes de pays. Les pays de l’Europe Nord
et quart Nord-ouest avec La France, l’Angleterre, la Suède, le Danemark, les Pays bas,
l’Allemagne, et l’Autriche (figures 1 et 2) et les pays d’Europe du Sud (figure 3). Dans le
premier groupe, on observe bien les deux temps du baby-boom juste après-guerre dans les
années 1946-1949 et dans les années 1960-1964. Dans la plupart des cas et pour la période
1946-1949 (figure 1), la remontée de la natalité est plus importante que celle des années 1960,
sauf en Angleterre. La figure 2 montre que l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse ont également
connu une augmentation du taux de fécondité plus fort au cours du début des années 1960
qu’en 1946-1949.

Figure 1. Taux de fécondité en France, Angleterre, Suède, Danemark et Pays-Bas entre
                                    1935 et 2004.
                           France    England     Sw eden    Denmark      Netherlands

            4,5

             4

            3,5

             3

            2,5

             2

            1,5

             1

            0,5

             0
              1935 1940 1945 1950 1955   1960 1965 1970 1975 1980   1985 1990 1995 2000

       Source :Monnier, INED
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                 9

    Figure 2. Taux de fécondité en Allemagne, Autriche et Suisse entre 1935 et 2004.

                                  Germany         Austria     Switzerland

             3

            2,5

             2

            1,5

             1

            0,5

             0
              1935 1940 1945 1950 1955   1960 1965 1970 1975 1980   1985 1990 1995 2000

       Source : Monnier, INED

Les pays du Sud de l’Europe sont restés à l’écart, beaucoup moins touchés par le phénomène
du baby-boom dans la mesure où ils avaient déjà une fécondité haute avant guerre et qu’ils
ont connu une légère reprise de la natalité du milieu des années 1960 au milieu des années
1970 (figure 3). Pour l’Espagne par exemple, on observe que le baby-boom a commencé plus
tard en 1957, pour se terminer en 1977. A partir de la fin des années 70 et jusqu’en 1990, il
s’est produit dans les pays d’Europe du Sud une baisse drastique de la natalité.
10                            Les générations du baby-boom en Europe

Figure 3. Taux de fécondité en Espagne, Italie et Grèce entre 1935 et 2004.

                                            Spain      Italy     Greece

               4

              3,5

               3

              2,5

               2

              1,5

               1

              0,5

               0
                1935 1940 1945 1950   1955 1960 1965   1970 1975 1980 1985   1990 1995 2000

        Source : Monnier, INED

Plus que par le niveau de fécondité, les générations du baby-boom se caractérisent d’abord par
un effet de masse. Il s’agit de classes d’âge beaucoup plus nombreuses que celles qui les
précèdent. En 1946, le nombre de naissances atteint 840 200 en France et 820 719 en
Angleterre Pays de Galles, alors qu’un an avant, en 1945, ces chiffres étaient respectivement
de 643 000 et 679 937. En France, le nombre de naissances ne diminuera réellement qu’à
partir de 1974 avec 801 218 naissances et 745 065 en 1975. C’est pour cette raison que les
démographes situent le baby-boom entre 1946 et 1973.3

3
 Si l’on considère uniquement le taux de fécondité le baby-boom prend fin en 1964 en France. On considère que
ce phénomène s'étend de 1945 au milieu des années 1970 pour la plupart des pays nord-européens.
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                                                                                     11

                                           Figure 4. Les générations du baby-boom en France
1 000 000                                                                                                                                                                   3

                                                                                                                             1973
              1901

                                                                                   1946
  950 000                                                                                                                                                                   3
  900 000

                                             1920
                                                                                                                                                                            3

                                                                                                                                        1981
  850 000

                                                                                                                                                                     2000
                                                                                                                                                                            3
  800 000

                                                                                                                                                             1994
                                                                                                                                                                            2
  750 000
                                                                                                                                                                            2
  700 000
                                                                                                                                                                            2
  650 000
  600 000                                                                                                                                                                   2

                                                                           1941
                                           1919

  550 000
                                    1915

                                                                                                                                                                            2
  500 000                                                                                                                                                                   1
  450 000                                                                                                                                                                   1
  400 000                                                                                 Générations du                                                                    1
  350 000                                                                                 « baby-boom »                                                                     1
  300 000
                                                                                                                                                                            1
  250 000
                                                                                                                                                                            0
  200 000
  150 000               Nés vivants en France                                                                                                                               0

  100 000            métropolitaine de 1901 à 2002
                                                                                                                                                                            0

   50 000                                                                                                                                                                   0
        0                                                                                                                                                                   0
            1900

                     1905

                            1910

                                   1915

                                            1920

                                                    1925

                                                           1930

                                                                  1935

                                                                         1940

                                                                                  1945

                                                                                          1950

                                                                                                 1955

                                                                                                        1960

                                                                                                               1965

                                                                                                                      1970

                                                                                                                               1975

                                                                                                                                      1980

                                                                                                                                               1985

                                                                                                                                                      1990

                                                                                                                                                              1995

                                                                                                                                                                     2000
Source : Louchard, Iaurif, 2007

Les bouleversements démographiques à partir du milieu des années 1960

Outre l’exception démographique que constituent les baby-boomers, notamment en France, ils
ont également bouleversé tous les événements démographiques au cours du cycle de vie au
fur et à mesure qu’ils franchissaient les étapes, remettant en cause l’institution du mariage
(cohabitation hors mariage et naissances hors mariage, divortialité) et initiant de nouveaux
modèles familiaux.

En effet, à partir des années 1965, dates où les premières générations du baby-boom arrivent à
l’âge adulte, tous les indicateurs démographiques se mettent à bouger, notamment la fécondité
(dans l’ensemble de l’Union Européenne la fécondité a diminué de 48 % en trente six ans
passant de 2.72 enfants par femme en 1965 à 1.47 enfant par femme en 2001) (Fernandez
Cordon, 2006), mais aussi la nuptialité et la divortialité. « Qui, vers 1960, aurait annoncé une
partie seulement de ces changements aurait probablement passé pour un fantaisiste ou un
provocateur. Or ce qui hier paraissait invraisemblable est devenu aujourd’hui réalité » écrit
Louis Roussel en 1991 (Roussel, 1991). Mais il n’est pas question ici de revenir sur toutes les
transformations démographiques et sociologiques que les sociétés occidentales ont connues
depuis 40 ans.
12                          Les générations du baby-boom en Europe

Deux indicateurs permettent de prendre la mesure de l’intensité du phénomène de remise en
question de l’institution du mariage : la proportion de naissances hors mariages et la
divortialité.

Selon Fernandez Cordon « la proportion de naissances hors mariage pourrait être considérée
comme un indicateur de modernité dans la mesure où sa hausse reflète surtout la montée de
nouvelles formes d’union et l’abandon de préjugés anciens sur la filiation » (2007)
(naissances illégitimes, enfants naturels). En 1970, seuls l’Autriche et la Suède ont une
proportion de naissances hors mariages pour 100 naissances supérieure à 12 (proche de 19 %
en Suède). En 2004, presque 40 % des naissances, voire 55 % en Suède, se produisent en
dehors du mariage (46.4 % en France et 40 % en Angleterre). Avec un cinquième de
naissances hors mariage, l’Espagne indique, selon Fernandez Codon, que « la tradition et les
valeurs religieuses ne sont plus dominantes chez les jeunes couples ». En revanche, en Grèce
et en Italie, ces naissances sont beaucoup moins fréquentes, mais également dans un pays
comme la Suisse.

           Tableau 1. Proportion de naissances hors mariage pour 100 naissances
                                   1970    1975    1980    1985    1990    1995    2000 2004
     Suisse                          3,8     3,7     4,7     5,6     6,1     6,8    10,7 13,3
     Allemagne                       7,2     8,5    11,9    16,2    15,3    16,1    23,4   25
     Autriche                       12,8    13,5    17,8    22,4    23,6    27,4    31,3 35,9
     France                          6,8     8,5    11,4    19,6    30,1    37,6    42,6 46,4
     Suède                          18,8    32,8    39,7    46,4      47      53    55,3 55,4
     Pays bas                        2,1     2,1     4,1     8,3    11,4    15,5    24,9 32,5
     Danemark                        11    21,7    33,2      43    46,4     46,5    44,6 45,6
     Belgique                        2,8     3,1     4,1     7,1    11,6    17,3       -    -
     Italie                          2,1     2,5     4,2     5,3     6,3     8,1     9,7 15,3
     Grèce                           1,1     1,3     1,5     1,8     2,2       3       4  4,7
     Espagne                         1,4       2     3,9       8     9,6    11,1    17,7 23,4
     Angleterre pays de Galles       8,3     9,1    11,8    19,2    28,3    33,9    39,5    -
          Source : INED

Cette évolution est liée à une désaffection à l’égard du mariage, en tant qu’institution, avec la
montée de nouvelles formes de conjugalité, notamment la cohabitation hors mariage qui est
devenue une étape de plus en plus fréquente avant l’officialisation de l’union. Les générations
du baby-boom ont été les premières à expérimenter ce type d’union dans les années 1960-
1970. Pour se faire une idée de la révolution qui s’est opérée dans le milieu des années 1970,
période à laquelle les premières générations des baby-boomers atteignent l’âge adulte, citons à
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                   13

nouveau Louis Roussel dans un article de Population de 1978 sur la « cohabitation
juvénile » :

       « Il est exceptionnel que le sociologue, pour nommer un phénomène que chacun peut
       observer à loisir ne trouve pas un terme déjà tout préparé par l’usage ? C’est
       pourtant le cas lorsqu’il s’agit de désigner le comportement nouveau des jeunes
       couples qui vivent ensemble sans être mariés. Le mot « fiançailles » à l’évidence ne
       convient pas, même si certains parents l’utilisent pour qualifier cette situation.
       L’expression mariage à l’essai ne s’applique qu’à une partie de ces unions. Le mot
       « concubinage » a pris une tonalité péjorative qui ne correspond pas à l’attitude d’une
       large partie du public. Enfin les termes « union libre » suggèrent que le mariage est
       refusé dans son principe ou impossible dans les faits… En réalité l’évolution des faits
       a été plus rapide que celui de la langue : il a donc fallu forger un néologisme ».

Le terme de « cohabitation juvénile » ne résistera pas à l’épreuve des faits dans la mesure où
nombre d’adultes de plus de 35 ans adopteront cette nouvelle forme de couple. Il sera
remplacé par celui de « cohabitation hors mariage ».

A partir du moment où l’engagement dans un couple pouvait ne plus être officialisé,
l’institution même du mariage s’en trouvait ébranlée et le mariage contracté, remis en
question. Les chiffres sur l’augmentation du divorce confirment cette corrélation. Le nombre
de divorces s’est accru dans l’ensemble de l’Union européenne passant de 200 600 divorces
en 1965 à 705 600 en 2000. Le taux de divortialité, qui était aux alentours de 12-15 % dans
les pays d’Europe du Nord et du centre en 1965, dépasse en 2004 40 % dans la plupart des
pays (42.4 en France et 43.5 en Angleterre), à l’exception des pays d’Europe du Sud
(Fernandez Cordon, 2006).
                            Tableau 2. Indicateur de divortialité
                             1965    1970    1975    1980     1985    1990    1995 2000 2004
  Espagne                        -       -       -       -      7,5    10,1    14,8 12,3 14,5
  Italie                         -       5     2,8     3,2      4,1     7,7       8   13    -
  Grèce                          -     5,4     5,5     9,9       11     9,1    17,3 18,1    -
  Suisse                      12,7    15,3    20,8    27,3     29,4    33,2    37,8 25,5 44,9
  France                     11,1     12,1    15,5    22,4     30,7    32,2    38,1 37,8 42,4
  Pays bas                     7,2      11    19,3    25,3     35,2    30,4    36,4 38,3 35,4
  Allemagne                   13,2    14,8    22,7    23,2     31,6    28,1    32,5 39,9 46,2
  Autriche                    14,5    18,2    19,7    26,2     30,8    32,8    38,3 43,4 46,3
  Angleterre pays de
  Galles                       1,7   16,2    31,9      39,6   43,8    42,5      45   43,5    -
  Danemark                    18,1   25,1    36,5      39,9    46     43,8    41,2   44,6 47,1
  Belgique                     8,2    9,7    15,8      20,7   26,8    31,1    54,9   45,5    -
  Suède                       17,6   23,3    49,8      42,4   45,1    44,5    51,6   54,9 51,5
         Source : INED
14                        Les générations du baby-boom en Europe

Si les générations de baby-boomers ont constitué un élément décisif de transformations des
sociétés au cours de la seconde partie du XXième siècle, elles continueront à marquer les
cinquante prochaines années (figure 5): « la parenthèse du baby-boom sera définitivement
fermée lorsque les dernières générations nombreuses, nées au début des années 1970 se
seront éteintes » (Monnier, 2007). En effet, ces générations ont une espérance de vie qui s’est
considérablement accrue grâce à l’amélioration des techniques et des équipements sanitaires,
à l’élévation du niveau de vie et l’amélioration des conditions de confort.

Figure 5. Effectifs des générations atteignant 20-24 ans, pour 100 personnes atteignant
                                         60-64 ans.

L’espérance de vie aux âges élevés ayant considérablement augmenté, les générations du
baby-boom sont les premières à aborder l’âge de la retraite avec souvent un, voire deux
parents vivants. Actuellement, les sociologues les désignent sous le vocable de «génération
pivot » (Attias-Donfut, 1995).
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                     15

                         Tableau 3. Espérance de la vie à la naissance
                       1970                1990                2000               2004
                Hommes     Femmes   Hommes    Femmes    Hommes    Femmes   Hommes    Femmes
 Suisse         70.1       76.1     74.0      80.7      76.9      82.6     78.5      83.6
 Allemagne      67.5       73.5     72.0      78.4      75.0      81.0     76.5      82.1
 Autriche       66.5       73.4     72.2      78.8      75.1      81.1     76.5      82.1
 France         68.4       74.4     72.8      80.9      75.3      82.7     75.9      83
 Suède          72.3       77.1     80.4      76.2      77.4      82.0     75.6      80.4*
 Pays bas       70.8       76.4     73.8      80.0      75.5      80.5     76.8      81.4
 Danemark       70.9       75.7     72.0      77.8      74.5      79.3     75.9      81.7*
 Belgique       67.9       74.1     72.7      79.3      74.6      80.8     75.9      81.7
 Italie         68.7       74.4     73.6      80.1      76.5      82.4.    76.8      82.5*
 Grèce          71.4       76.0     74.6      79.3      75.6      80.5     76.6      81.3*
 Espagne        69.9       75.2     73.3      80.3      75.8      82.5     77.2      83.8
 Angleterre     -          -        73.1      78.8      75.6      80.3     73.8      79.0*
Source : INED

Si l’importance numérique des générations a jusqu’à présent été appréhendée de manière
positive, celle-ci pose problème avec l’arrivée progressive de ces générations à l’âge de la
retraite, les baby-boomers devenant des papy-boomers.

Un contexte particulier pour les baby-boomers

Le terme de génération recouvre pour les démographes l’ensemble des personnes nées la
même année civile. De ce point de vue, les baby-boomers représentent bien plusieurs
générations différentes numériquement de celles qui les précèdent et de celles qui les suivent.
Forment-ils pour autant une génération historique animée par « une conscience de
génération » ou une génération sociologique définie comme l’ensemble des cohortes
connaissant la même situation de génération, partageant des caractéristiques communes, mais
distinctes des autres (Chauvel, 2002, 20) ?

Contexte économique

Si on ne peut, à ce stade de l’analyse, répondre à ces questions, on peut déceler un effet de
période car les générations du baby-boom ont vécu dans un contexte particulier. Elles sont
nées pendant les années d’après-guerre marquées par l’austérité et la privation (les tickets de
rationnement ont perduré quelques années après guerre en France ; en 1954, le gouvernement
P. Mendes France organise la distribution de lait dans les écoles pour pallier les carences
alimentaires des foyers français), mais en même temps leur enfance et leur début de vie adulte
16                             Les générations du baby-boom en Europe

se sont déroulés durant la période des Trente glorieuses. Sirinelli (2002) distingue en fait deux
périodes : la première concerne les années 1945-1955, période de reconstruction, et les deux
autres décennies 1955-1975 avec la montée de la consommation et de la qualité des
conditions de vie.

Les générations nées tout de suite après guerre ont pleinement bénéficié de l’explosion
scolaire sans précédent4 et sont entrées sur le marché du travail pendant les années fastes
(1965-1975) avec un taux d’urbanisation croissant (53% en 1946 et 73 % en 1975 en France),
un taux de chômage très bas5, un dynamisme économique extraordinaire, l’extension de la
protection sociale, l’émergence de la société de consommation avec l’augmentation des
salaires6, le développement des transports, la diffusion du téléphone et de la télévision et donc
la montée en puissance de la publicité et de la communication : c’est la « décade dorée ».
Elles ont profité de « l’ascenseur social » à tel point que Louis Chauvel parle de « générations
dorées » prises entre une génération « sacrifiée » (orphelins précoces, jeunesse entre les deux
guerres et pendant la Seconde Guerre mondiale) et une génération disqualifiée qui connaît de
grandes difficultés pour s’insérer sur le marché du travail et le marché du logement. Les
générations que nous étudions font donc partie des privilégiées car « situées sur la vague
montante de cadres qui s’étoile pour les puinés » (Chauvel, 2002, XV) alors que les
générations nées à partir de 1955, qui atteignent 20 ans après 1975, ont connu la montée du
chômage de masse et une entrée difficile sur le marché du travail dont ils gardent encore les
séquelles aujourd’hui.

L’importance numérique des générations nées après guerre a contribué à dynamiser la
croissance et à soutenir l’économie des pays industrialisés depuis 1950. Ainsi, entre 1960 et
2000, le PIB total est multiplié au minimum par deux dans l’ensemble des pays industrialisés,
la part de la consommation privée en % du PIB représente plus de la moitié. En France,
d’après l’INSEE, le pouvoir d’achat a été triplé entre 1954 et 1994 (Barry et Hourriez, 1996).
A partir de la consommation privée et de la part des transferts de sécurité sociale, Denise

4
  D’après Sirinelli le nombre de bacheliers représente 5.12% d’une classe d’âge en 1950, et 20.17% vingt ans
plus tard. (Sirinelli, 2007, 61). D’après Louis Chauvel les cohortes nées entre 1937 et 1947 ont bénéficié d’une
accélération extraordinaire, celles nées entre 1950 et1965 d’une croissance plus lente de l’âge de fin d’études
(Chauvel, 2002, p 105). En Angleterre, l’âge de fin d’études était de 14 ans en 1918, 15 ans en 1947 et 16 ans en
1972 (N.Abercrombie et al. : Contemporary British Society, Cambridge Polity Press, 1993.
5
  En 1968, le taux de chômage dans les deux ans de la sortie des études est de 5 % contre 33 % en 1994
(Chauvel, 2002).
6
  Le salaire réel avait quasiment stagné de 1914 à 1950 (20 à 50% d’augmentation selon les estimations), il
double de 1955 à 1975 (Fournier et al, 1988).
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                               17

Arbonville estime que le niveau de vie des individus et des ménages a été multiplié au moins
par trois, voire par quatre ou cinq, au cours de la période (Arbonville, 2006).

Contexte social

Ce pouvoir d’achat ne profite pas seulement aux générations adultes mais également aux
jeunes, notamment aux baby-boomers. Comme l’écrit Sirinelli la concomitance entre ces
temps économiquement meilleurs et l’avènement d’une nouvelle génération est essentielle
pour comprendre l’histoire de cette génération (Sirinelli, 2007, 54). Avec l’argent de poche
que les parents leur donnent, les jeunes des générations du baby-boom constituent un nouveau
marché et vont contribuer à l’émergence de la société de consommation avec une « culture
jeune » qui a entre autres ses propres revues, ses propres vêtements (la diffusion du jean est
symbolique7) et sa propre musique : 1961 : en France, succès des chanteurs comme Brel,
Brassens et Ferré, 1962 : J. Hallyday à l’Olympia, 1963 : chanteurs yéyé, C. François et S.
Vartan, 1965 , en Angleterre, succès des Beatles, Rolling Stones). C’est aussi le temps de la
contestation qui se manifeste en partie dans la musique, car comme l’écrit Sirinelli ce sont
bien les baby-boomers qui sans avoir été forcément marqués préalablement par les grandes
idéologies d’extrême gauche ont donné comme « piéton de mai » sa consistance statistique et
son importance historique au mouvement de mai 1968 ». (Sirinelli, 2007 , 269).

Ce mouvement contestataire accompagne la révolution des mœurs et se traduit par un
bouleversement de la place de la femme dans la société, aussi bien dans la sphère privée que
dans la sphère publique. En France, Le deuxième sexe de S. de Beauvoir, paru en 1949, donne
un nouvel essor au mouvement féministe, et aux associations qui se radicalisent après les
événements de 1968 et réclament la liberté des femmes en dehors du mariage, le droit des
femmes à reconnaître ou non le père biologique, le droit à l’avortement. En Angleterre, des
écrivant féministes comme Germaine Greer et la publication de la revue hebdomadaire
« Spare Rib » bouleversent les représentations des relations hommes/femmes.

L’essor de l’activité féminine est au cœur des mutations sociales qui transforment les pays
industrialisés en particulier les Etats-Unis, l’Angleterre et la France. En 1950, les femmes

7
 Entre 1970 et 1976 les ventes de jeans connaissant en France une progression de 300% (D. Borne Histoire de la
société française depuis 1945, Paris, Armand Colin, p. 134).
18                          Les générations du baby-boom en Europe

représentent en France moins de 20 % des actifs et plus de 25 % en Angleterre. En 1999, ces
chiffres s’élèvent respectivement à plus de 40 %. La femme acquiert une indépendance
financière qui lui permet avec le développement de la contraception de mieux maîtriser sa vie
familiale et professionnelle. C’est une véritable révolution qui s’est opérée tout au long du
siècle dernier, mais qui s’est accélérée dans les années 1960-1980 avec la diffusion de la
pilule, le droit à l’avortement, l’autorité parentale (cf. tableau 4).

L’autre révolution est celle de la gestion du temps avec la montée du temps libre et la
« civilisation des loisirs ». C’est une des dimensions essentielles de l’évolution des modes de
vie : l’apparition du temps libre en fin de semaine (le fameux week-end), la 4ème semaine de
vacances en France en 1969, la cinquième en 1981, la retraite à 60 ans en 1981.
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                                    19

                 Tableau 4. Quelques Dates Clés Dans L’histoire Des Femmes.
Année
1791        La constitution de 1791 laïcise le mariage et libère juridiquement la femme du poids de l’Eglise
1792        Loi sur le divorce qui reconnaît l’égalité des époux et le droit de divorcer par consentement mutuel,
            supprimée en 1816 et restaurée en 1884. Mais le consentement mutuel étant considéré comme
            dangereux pour l’institution familiale, celui-ci ne sera pas rétabli avant 1975.
1804        Le Code Civil consacre l’incapacité juridique totale de la femme mariée. La femme est considérée
            comme une mineure, sous la dépendance de son mari.
1810        La femme adultère est passible de prison, l’homme adultère d’une amende (tout en sachant que les
            modes de preuve diffèrent d’un sexe à l’autre).
1850        Loi Falloux qui demande aux communes de plus de 800 habitants d’ouvrir et d’entretenir une école
            de filles
1880        Loi Camille Sée qui institue un enseignement secondaire féminin d’Etat

1881        Droit d’ouvrir un compte à la caisse d’épargne et d’y déposer de l’argent

1907        Droit des femmes mariées de disposer librement de leur salaire

1909        La femme enceinte salariée a droit à un congé de maternité de 8 semaines (sans salaire ?).

1910        Droit de retirer de l’argent sur son compte en banque sans l’autorisation du mari

1915        La femme mariée peut disposer de l’autorité parentale en temps de guerre

1924        Décret qui institue des horaires et des programmes d’études identiques dans le secondaire, pour les
            garçons et les filles, entraînant une équivalence formelle entre les baccalauréats masculins et
            féminins
1938        Loi supprimant l’incapacité civile relative à la personne pour la femme mariée

1944        Droit de vote et d’être élue

1965        Le mari ne peut plus s’opposer à l’exercice de l’activité professionnelle de sa femme

1967        Loi Neuwirth autorisant la contraception

1970        L’autorité parentale se substitue à l’autorité paternelle : les deux époux assurent ensemble la
            direction morale et matérielle de la famille
1975        Légalisation de l’avortement sous contrôle médical
            Divorce par consentement mutuel
1985        Égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens et des
            enfants mineurs
1987        Élargissement des cas où l’autorité parentale peut être conjointe.

1994        Loi du 8 juillet posant le principe de l’autorité parentale conjointe à l’égard de tous les enfants
            (légitimes ou naturels) quelle que soit la situation matrimoniale de leurs parents (mariage, séparation,
            divorce)
2002        Congé paternel de 14 jours
Sources :         C. Clément,2008 établi d’après Thierry Blöss et Alain Frickey, La femme dans la société
                  française, op. Cit., Thévenot Anne, Les femmes dans le divorce en France aujourd’hui. Étude
                  psychologique, Thèse de psychologie, dirigée par André Tabouret-Keller, Strasbourg,
                  Université Louis Pasteur Strasbourg I, 1993, 337 p., Insee, Les femmes, Paris, Insee (Contours
                  et caractères), 1994.
20                           Les générations du baby-boom en Europe

Les baby-boomers et leur logement

Les générations du baby-boom ont donc bénéficié de l’élévation continue du niveau de vie que
ce soit en matière de revenus, de santé, d’éducation et de conditions de travail. En matière
d’habitat, elles ont connu la révolution qui s’est opérée sur une période d’une cinquantaine
d’années grâce à l’urbanisation, l’amélioration spectaculaire du confort des logements, la
diffusion de la propriété.

Une amélioration extraordinaire des conditions de logement lié au renouvellement du parc

En 1945, lorsque la majorité des enquêtés étaient encore enfants ou jeunes adultes, la situation
du logement était catastrophique en Europe. Pour remédier à la pénurie de logement aggravée
par le baby-boom et les migrations, quelles soient internes ou internationales, les pays
entreprennent un effort de construction considérable. Il faut rappeler que dès la fin du 19ème
siècle, les pays du Nord de l’Europe ont mis en place des politiques sociales visant à
combattre le paupérisme issu de la révolution industrielle. Néanmoins, la pensée économique
restait dominée par les doctrines « libérales » selon lesquelles l’Etat ne devait pas intervenir
dans l’économie, en particulier dans le secteur du logement. Il a fallu une très grave pénurie
de logements, résultant de l’insuffisance de la construction entre 1918 et 1940 et des
conséquences de la Seconde guerre mondiale - à savoir la destruction d’une grande partie du
parc de logements dans les pays belligérants-, pour que les pays industrialisés cherchent des
solutions afin de répondre aux besoins de logement des populations.

Comme le décrit M. Mouillart (Lefebvre et al. 1992), il existait deux voies possibles :
l’intervention directe de l’Etat dans le secteur du logement avec la construction de logements
et les actions, notamment financières, visant à inciter les autres acteurs économiques à investir
dans le logement. Trois objectifs étaient fixés : construire un nombre élevé de logements,
loger seulement les ménages aux revenus modestes, offrir un logement à tous les ménages
sans exception et sans aucun critère de ressources. Les pays scandinaves et le Royaume-Uni,
pays où l’intervention de l’Etat était déjà légitime avant guerre, privilégièrent la troisième
démarche, tandis que les pays d’Europe Occidentale comme la France, la Belgique,
l’Allemagne fédérale et la Suisse, où l’action de l’Etat était moins légitime, adoptèrent des
politiques qui visaient à répondre aux deux premiers objectifs : construire un nombre suffisant
de logements et résoudre le problème de logement des familles défavorisées. Dans les pays de
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                                              21

l’Europe du Sud, l’intervention de l’Etat restait très faible, les politiques ayant essentiellement
pour objectif l’aide aux ménages.

Le renouvellement du parc entrepris par les différents pays a permis de répondre aux besoins
de logement de la population, et surtout des familles nombreuses avec la reprise de la natalité
mais aussi avec l’arrivée des migrants à la recherche d’emplois. L’urbanisation, déjà bien
avancée dans les pays comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, s’accélère à partir des années
1950 en France et en Espagne (75 %), 60-67 % en Grèce, Italie ou Autriche (Arbonville,
2006). En cinquante ans, la France est passée d’un monde rural encore proche par certains
aspects du XIXème siècle à une société urbaine dans laquelle les trois quarts de la population
résident dans des villes.

    Figure 6. Proportions de population urbaine (classement selon le % croissant en 2000)

                          P. 100
                    100

                     75

                     50

                     25

                     10
                     1950          1955      1960   1965      1970     1975   1980        1985   1990     1995    2000
                                                                                                                 Année

                                    Belgique               Royaume-Uni               Pays-Bas              Suède
                                    États-Unis                France                   Italie             Irlande
                                    Autriche                Grèce                    Portugal              Japon
                                    Suisse                 Espagne             Finlande                 Roumanie

                 Source : Arbonville, 2006

Rappelons qu’en 1946, la situation était catastrophique aussi bien en Grande-Bretagne qu’en
France.8 En France, l’état déplorable du parc de logement (l’âge moyen des logements
dépassait 100 ans en 1945 et à peine 1 % des logements disposaient des WC, d’une salle de

8
  En Grande-Bretagne, le manque de logements était estimé à 1.5 millions en 1950 (Marwick, 1982, p. 66). Pour
la France, 500 000 logements avaient été détruits, 1 400 000 endommagés pendant la seconde guerre mondiale
(Merlin, 1988).
22                                    Les générations du baby-boom en Europe

bains et du chauffage central) était dû également au manque de constructions de l’entre-deux-
guerres lié au retrait des investisseurs locatifs avec le contrôle des loyers. En Angleterre
également, le niveau de construction entre les deux guerres avait été très bas ; à cet état de fait
se sont ajoutés les bombardements de la seconde guerre mondiale qui ont détruit un grand
nombre de logements. L’effort massif de construction ne débutera réellement qu’après la
naissance des premières générations du baby-boom, c’est-à-dire à partir du début des années
1950, notamment avec les prêts du Crédits foncier en France, et le Housing Act de 1949 en
Grande-Bretagne (Marwick, 1982, 59).

                     Figure 7. Répartition des constructions de l’après guerre

                                                  1946-1970        1971-1980        >1980

                   Allemagne 1998

                     Belgique 1995

                 Royaume-Uni 1996

                        Italie 1991

                      France 1996

                       Suède 1990

                       Grèce 1991

                   Danemark 1999

                     Espagne 1991

                     Autriche 1998

                    Pays-Bas 1998

                  Luxembourg 1997

                     Finlande 1998

                     Portugal 1995

                      Irlande 2000
                                  0     10   20     30        40     50        60   70      80   90      100
                                                                                                      P. 100

                 Source : Arbonville, 2006

Evolution des conditions de logement

Les générations du baby-boom vont donc connaître durant leur enfance des conditions de
logement difficiles dans les deux pays. Nombre d’entre eux vivront chez leurs grands-parents
en raison de la pénurie de logement empêchant les jeunes de s’installer dans un logement
indépendant9. En France, d’après une enquête réalisée en région parisienne en 1952, 36 % des
jeunes couples cohabitent avec leurs parents ou beaux-parents (Girard et Bastide, 1952). Il a
fallu attendre longtemps pour doter le stock de logements des conforts minimums, tels que
l’eau courante, les WC, et le chauffage. Entre 1945 et 1970, les taux des résidences

9
 « In a time of serious housing shortage, many couples had to begin married life in the home of one or other
parent, more usually the wife’s parents » (Marwick, 1982, p. 66).
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                                23

principales en France qui bénéficiaient de l’eau courante, des WC intérieurs, d’une baignoire
et du chauffage central, sont passés seulement de 5% à un peu moins d’un tiers.

                 Figure 8. Logements non équipés en baignoire ou douche (%)

                       Grèce 1991

                     Portugal 1997

                     Ex-RDA 1993

                     Finlande 1998

                     Belgique 1994

                     Espagne 1991

                   Danemark 1999

                     Autriche 1998

                      Irlande 1999

                 Royaume-Uni 1996

                      France 1996

                  Luxembourg 1995

                   Allemagne 1993

                       Suède 1995

                        Italie 1995

                    Pays-Bas 1998
                                      0           5                    10                      15
                                                                                           P. 100

                 Source : Arbonville, 2006

Selon l’enquête Biographies et Entourage, les deux tiers des baby-boomers (nés entre 1946 et
1950), à leur naissance, vivaient dans des logements sans aucun confort, c'est-à-dire soit avec
l’eau ou les WC uniquement. La majorité d’entre eux a donc connu durant l’enfance des
conditions de vie difficiles, que ce soit à la ferme ou dans des vieux immeubles des centres
villes où l’eau se trouvait alors sur le palier ou encore au rez-de-chaussée.10 En fait, ce n’est
que vers 30 ans (entre 1976 et1980) qu’ils voient une amélioration sensible de leurs
conditions de logements.11

Outre le manque de confort, les baby-boomers ont connu pendant leur enfance des logements
surpeuplés souvent en raison de leur petite dimension mais également de la taille de la fratrie
(liée au phénomène du baby-boom) et parfois de la présence des grands-parents. En France, la
taille moyenne des logements en 1954 s’élevait à 2.7 pièces alors que la taille des ménages
était supérieure à 3 personnes. Au recensement de 1954, 31 % des ménages de 4 personnes
disposent d’une ou deux pièces pour se loger ; 47 % à Paris (Cahen, 1957).
10
   En 1954, 35 % des logements des communes rurales avaient l’eau dans la cour, et 34 % dans le logement
(Cahen, 1957). En 1954, 15 % des logements parisiens ont l’eau à l’étage et 3 % dans la cour, mais on note de
grandes différences entre arrondissement : 26 % des logements dans le 3è ont l’eau à l’étage contre 10 % dans le
15è.et 12 % dans le 16è. Les petites villes apparaissent défavorisées par rapport à Paris. A Amiens, 13% des
logements ont l’eau dans la cour, 26 % ailleurs : fontaine, pompes (Cahen, 1957).
11
   A trente ans, trois enquêtés sur quatre disposaient des WC et d’une baignoire ou d’une douche et 9 sur 10 à 40
ans.
24                        Les générations du baby-boom en Europe

Les baby-boomers anglais n’ont pas connu de meilleures conditions de logement durant leur
enfance :

« The worst conditions of all were in the decaying tenements of industrial Scotland…;and in
those larger houses in what had formerly been in inner London now divided into a
multiplicity of often one-room flats in this kind of accommodation primitives facilities were
shared by several families : one lavatory on a landing… » (Marwick, 1982, p. 59).

Durant leur enfance et leur jeunesse, les baby-boomers ont vu se développer le nombre de
biens de consommation à l’intérieur de leur logement. A commencer par le lave-linge, les
fours électriques, les aspirateurs, puis la télévision. Ces objets de consommation, les médias
en particulier, ont contribué à l’émergence d’un « esprit baby-boomer » et à la transformation
des jeunes baby-boomers en consommateurs. Ils ont été les principaux bénéficiaires des
évolutions technologiques.

Figure 9. Niveau de confort des logements selon l’âge des baby-boomers (cohorte née entre 1945
                                            et 1950)

                             Source : Enquête Biographies et entourage, 2000
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                                   25

Diffusion massive de la propriété

La dernière tendance, qui a profondément bouleversé les sociétés européennes avec
l’amélioration des logements et l’urbanisation, est la progression spectaculaire de la propriété.
Alors qu’en 1950, le taux de propriétaires dans tous les pays européens (à l’exception de
l’Irlande) est inférieur à 50 %, 50 ans plus tard, l’ensemble des pays (à l’exception de
l’Allemagne et de la Suède)12, ont désormais plus de la moitié de leur parc occupé par des
ménages propriétaires : les plus forts taux de propriétaires (supérieurs à 65 %) s’observent en
Europe du Sud, au Royaume-Uni et en Irlande.

Les enquêtés ont effectué leurs parcours résidentiels dans un contexte de diffusion de la
propriété sans précédent aussi bien en Grande-Bretagne qu’en France.13 Ce qui relevait de
l’utopie au 19ième siècle et demi-échec dans l’entre deux guerres se concrétise enfin au cours de
la seconde moitié du 20ième siècle (Bonvalet, 1998). En France, 34 % seulement des ménages
étaient propriétaires en 1954 contre 56 % en 2002. En Grande-Bretagne, 29 % en 1951 contre
67 % en 2001. C’est l’Angleterre qui a connu la progression de l’accession à la propriété la
plus rapide depuis la seconde guerre mondiale (graphique 2). Entre 1950 et 1980, le taux de
propriétaires occupants est passé de 29 % à 56 %, soit une progression proche de 30 points en
trente ans (Ghekière, 1991).

La Grande-Bretagne a en effet quelques spécificités qui rendent son cas particulièrement
intéressant en ce qui concerne les parcours résidentiels. Après un développement considérable
des logements sociaux à l’arrivée au pouvoir du gouvernement travailliste en 194514, la
politique menée depuis 1980 a continué d’encourager l’accession à la propriété, l’étendant à
des ménages généralement exclus du marché de l’acquisition. Le désir d’être propriétaire est
bien installé chez les Britanniques. Cette préférence, en partie culturelle, s’est renforcée au
cours des années 1980 avec la politique de Margaret Thatcher. Pour Thatcher et son
gouvernement, être propriétaire d’un logement représentait un symbole fort de réussite. En

12
   Les statuts d’occupation semblent très mal définis dans les statistiques internationales en Suède (Arbonville,
2006), et en Allemagne suite à la réunification ( Louvot-Runavot, 2001).
13
   A 10 ans, 38 % des enquêtés qui vivaient dans leur famille, avaient des parents ou grands-parents propriétaires
du logement.
14
   Entre 1950 et 1980, le parc locatif public géré par les Collectivités locales est passé de 2 500 000 logements à
6 500 000 en 1980 (Ghekière, 1991).
26                         Les générations du baby-boom en Europe

même temps, la conviction de l’époque était qu’une nation de propriétaires est aussi une nation
de consommateurs, facteur stimulant l’économie à son tour. Thatcher a introduit un programme
appelé « le droit d’acheter », qui s’appliquait exclusivement aux locataires du parc social.
Avec l’aide des primes et des incitations à l’acquisition au cours des années 1980, 1,5 million
de locataires sont devenus propriétaires. Le taux atteint actuellement plus des deux tiers des
ménages.

 Figure 10. Evolution du taux de propriétaires aux Etats-Unis et dans différents pays européens

              Source : Arbonville, 2006

Ainsi on constate que le nombre de logements qui était occupé par un propriétaire a fortement
augmenté entre 1981 et 2003 tandis que le nombre de logements dans le parc social (propriété
des municipalités ou autorités locales) a diminué (figure 11) Cette baisse du nombre de
logements du parc social a été en partie compensée par un accroissement dans le secteur
appartenant aux associations privées. Néanmoins, la construction des logements dans le parc
social sur cette période devançait la demande. Depuis les années 1990, les associations
privées (« registered social landlords », qui sont pour la plupart « housing associations ») ont
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                                  27

dominé la construction de logements dans le parc social – seulement 1% a été construit par
des collectivités locales en 2003/2004 (Summerfield et Gill, 2005).

Figure 11. Evolution du stock de logements en Grande-Bretagne selon le statut d’occupation

        Millions 20

                18
                                                             Propriétaire
                16

                14

                12

                10

                 8
                                Parc social (collectivité locale)
                 6

                 4                       Parc privé
                 2
                       Parc social (associations privées)
                 0
                  81

                           83

                                    85

                                             87

                                                        89

                                                                91

                                                                       93

                                                                              95

                                                                                      97

                                                                                             99

                                                                                                    01

                                                                                                           03
                19

                         19

                                  19

                                           19

                                                      19

                                                              19

                                                                     19

                                                                            19

                                                                                    19

                                                                                           19

                                                                                                  20

                                                                                                         20
                                             Source : (Summerfield et Gill, 2005)

La politique du « droit d’acheter » existe toujours en 2007, et bien qu’elle ne s’applique
qu’aux seuls locataires actuels du parc social (des collectivités locales), la préférence pour la
propriété a été fortement intégrée par les Britanniques locataires. Ainsi, en l’espace de
quelques années, l’opinion publique à l’égard du statut de propriétaire et de ses avantages a
complètement changé. Avant 1980, devenir propriétaire était plutôt vu comme un risque que
la moitié de la population ne voulait pas prendre. L’accès à un prêt était relativement difficile
et l’idée d’une longue période d’endettement effrayait beaucoup d’acheteurs potentiels. Même
si les taux de chômage restaient plutôt bas jusqu’aux années 1970, les risques associés au
remboursement d’un prêt, et les frais potentiels de la maintenance d’un logement,
détournaient beaucoup de personnes vers le parc locatif privé ou social. Ainsi, beaucoup de
jeunes couples préféraient rester locataires, situation qu’ils croyaient plus sûre. En 2007, la
situation s’est quasiment inversée. La crainte de la précarité et le chômage, ainsi que les
soucis pour les niveaux futurs de retraite incitent les individus et les familles à devenir
propriétaires, plutôt que de rester locataires et ce d’autant plus que le marché de l’accession à
la propriété se caractérise par une grande fluidité.
28                         Les générations du baby-boom en Europe

Contrairement à la France, la propriété ne constitue pas un obstacle à la mobilité. En effet, la
grande fluidité du marché du logement conjuguée à la diversité du parc de logement en termes
de taille et de prix, favorise l’accession à la propriété des jeunes ménages et l’adaptation
permanente du logement à l’évolution de la taille de la famille et des revenus. Le marché du
logement est surtout un marché de mutation et de transaction dans le parc ancien (Ghekière,
1991). La politique menée depuis la seconde guerre mondiale et, en particulier, depuis les
années 1980, explique le pourcentage très élevé de propriétaires parmi les baby-boomers, plus
de 80 %.

La France connaît elle aussi une progression de la propriété mais moindre que celle de
l’Angleterre puisqu’en trente ans le taux de propriétaire augmente de 16 points : de 35 % en
1954 à 51 % en 1984. Cette diffusion de la propriété ne s'est pas faite de manière linéaire
(Topalov, 1987). Les années 1950-1963, qui correspondent à la période où les enquêtés plus
âgés deviennent indépendants et fondent famille, se caractérisent par une forte croissance de
la production de logements neufs, notamment de logements destinés à la propriété. De
nombreux cadres supérieurs et moyens résolvent leurs problèmes de logement en achetant
leur résidence principale. Cependant, les types de logement mis sur le marché et les prêts qui
les accompagnent, favorisent également l'augmentation du nombre de propriétaires parmi les
ouvriers et les employés. Cette période est suivie, de 1963 à 1968, d'un fléchissement qui
touche toutes les catégories sociales, mais particulièrement les ouvriers. Ensuite la diffusion
de la propriété reprend, mais à un rythme moins rapide que celui des années 1950. Les cadres,
mais aussi les ouvriers qualifiés et les contremaîtres, en sont les principaux bénéficiaires,
tandis que les ouvriers spécialisés et les manœuvres restent à l'écart de cette croissance.

Après 1974 apparaît à nouveau une baisse, bien que la construction de maisons individuelles
en accession à la propriété, favorisée par la réforme de 1977, se maintienne et s'accroisse
même au cours des années 1980. Les enquêtés selon les générations vont donc bénéficier de
conditions plus ou moins favorables. Les générations nées juste avant la guerre ont profité du
contexte très favorable des années 55-65 pour devenir rapidement propriétaires alors que les
plus jeunes qui appartiennent aux générations du baby-boom ont eu de moins bonnes
conditions en raison du retournement de la conjoncture économique et du ralentissement de
l’inflation. En effet, les générations nées entre les deux guerres sont celles qui vont profiter de
toutes les transformations des modes de financement du logement. A partir des années 50, le
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom                                  29

crédit se développe avec les prêts du Crédit foncier et les ménages qui au départ étaient
réticents à l’idée même de crédit se laissent d’autant plus séduire par l’accession à la propriété
que la loi de 1948 met fin au blocage des loyers (Loiseau et Bonvalet, 2005).

           Figure 12. Taux de propriétaire selon l’âge de la personne de référence.
                                                Taux de propriétaire
                                      selon l'âge de la personne de référence
                 80%

                 70%

                 60%

                 50%

                 40%

                 30%

                 20%

                 10%

                  0%
                       < 25 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55-59 60-64 65-69 70-74 75-79 > 80
                       ans                                                                    ans

                           1973      1978       1984       1988       1992       1996       2002

                         Source : Minodier, Rieg, 2007 d’après les enquêtes logement INSEE

Les données de l’enquête SHARE15 permettent de resituer les cas de la France et de
l’Angleterre par rapport à l’ensemble de l’Europe car malgré les tendances lourdes qui ont
marqué les marchés du logement dans tous les pays européens (urbanisation, confort et
propriété), de grandes différences subsistent en matière de statuts d’occupation, de mobilité
résidentielle et d’adaptation du logement. Ces différences sont liées, comme nous l’allons le
voir à l’histoire des pays (notamment la Seconde Guerre mondiale), au rôle de l’Etat et de la
famille dans le logement, mais également à l’attachement à la propriété. Des modèles
spécifiques demeurent avec une opposition entre Europe du Nord et Europe du Sud.
Par exemple en Espagne, la forte proportion de propriétaires résulte du maintien des
politiques d’aide à l’accession à la propriété sur une longue période (Fernandez Cordon et
Léal, 2006). Déjà la politique franquiste visait à favoriser la propriété, la location étant taxée

15
   L’enquête SHARE (Survey of Health and Retirement in Europe) dont la France fait partie, est conçue
notamment pour s’interroger sur les comportements et valeurs des baby-boomers européens. Les champs
couverts par l’enquête concernent la santé (santé physique et psychique, consommation de soins), le social (aide
sociale, logement, emploi, …), et l’économie (revenus, transfert, …). Les pays qui font partie de cette enquête
sont le Danemark, la Suède, la Hollande, la Belgique, la France, la Suisse, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. La
Grande Bretagne ayant déjà mené une enquête du type SHARE (English Longitudinal Study of Ageing, 2002),
une comparaison sera possible avec les pays étudiés dans l’enquête SHARE.
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