Chapitre 1. Les générations du baby-boom en Europe
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Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 7 Chapitre 1. Les générations du baby-boom en Europe Le choc démographique La reprise de la natalité après guerre en Europe Le phénomène du baby-boom a d’autant plus surpris que personne dans les années 1930 n’envisageait une reprise de la natalité et que, même en 1946, peu « ont cru à sa durée » (Le Bras 2007). Cette augmentation du nombre de naissances que l’on observe dès la fin de la guerre n’est pas propre à la France comme le suggère le terme même de baby-boom1, qui est commun à un certain nombre de pays d’Europe et d’Amérique du Nord.2 Un fait surprenant et encore inexpliqué intervient durant la Seconde Guerre mondiale, vers 1942 : on constate un retournement de tendance de la fécondité dans tous les pays engagés dans le conflit et même dans ceux qui sont restés neutres. En 1946, le phénomène se confirme et s’amplifie grâce aux mariages différés et au retour des prisonniers de guerre. Mais comme le montre la figure 1, le baby-boom se présente de façon différente en France et en Angleterre. La phase de récupération est particulièrement forte en France avec un taux de fécondité des plus élevés en Europe en 1950. L’indice de fécondité passe de 2.05 en 1935 à 2.98 en 1946 et reste aux alentours de 2.7, 2.8 jusqu’en 1964 avec 2.9 alors qu’en Angleterre, si l’indice de fécondité augmente de 1.75 en 1935 à 2.47 en 1946, et 2.7 en 1947, il chute à 2.16 en 1952 pour remonter progressivement à 2.91 en 1964. A partir de 1964, l’indice de fécondité diminuera dans les deux pays. La comparaison entre les deux pays montre des différences notables dans la reprise de la natalité et si on l’élargit aux autres pays européens, on observe que le phénomène du baby- boom n’a non seulement pas connu la même ampleur dans tous les pays mais ne s’est pratiquement pas produit dans certains d’entre eux. En fait, « deux éléments permettent d’identifier les pays du baby-boom : une natalité relativement faible dans les années 1930, puis une natalité relativement élevée dans les 25 ans qui suivent la guerre mondiale » (Monnier, 2007). 1 Terme qu’Alfred Sauvy rejetait et censurait dans tous les articles de Population pour le remplacer par « reprise de la natalité d’après-guerre ». 2 Y. Jones, Great expectations America and the baby-boom generation. New York, Ballatine Books, 1981, cité par l’historien Jean-François Sirinelli (2002).
8 Les générations du baby-boom en Europe A partir de ces critères, on peut distinguer deux groupes de pays. Les pays de l’Europe Nord et quart Nord-ouest avec La France, l’Angleterre, la Suède, le Danemark, les Pays bas, l’Allemagne, et l’Autriche (figures 1 et 2) et les pays d’Europe du Sud (figure 3). Dans le premier groupe, on observe bien les deux temps du baby-boom juste après-guerre dans les années 1946-1949 et dans les années 1960-1964. Dans la plupart des cas et pour la période 1946-1949 (figure 1), la remontée de la natalité est plus importante que celle des années 1960, sauf en Angleterre. La figure 2 montre que l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse ont également connu une augmentation du taux de fécondité plus fort au cours du début des années 1960 qu’en 1946-1949. Figure 1. Taux de fécondité en France, Angleterre, Suède, Danemark et Pays-Bas entre 1935 et 2004. France England Sw eden Denmark Netherlands 4,5 4 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 1935 1940 1945 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 Source :Monnier, INED
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 9 Figure 2. Taux de fécondité en Allemagne, Autriche et Suisse entre 1935 et 2004. Germany Austria Switzerland 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 1935 1940 1945 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 Source : Monnier, INED Les pays du Sud de l’Europe sont restés à l’écart, beaucoup moins touchés par le phénomène du baby-boom dans la mesure où ils avaient déjà une fécondité haute avant guerre et qu’ils ont connu une légère reprise de la natalité du milieu des années 1960 au milieu des années 1970 (figure 3). Pour l’Espagne par exemple, on observe que le baby-boom a commencé plus tard en 1957, pour se terminer en 1977. A partir de la fin des années 70 et jusqu’en 1990, il s’est produit dans les pays d’Europe du Sud une baisse drastique de la natalité.
10 Les générations du baby-boom en Europe Figure 3. Taux de fécondité en Espagne, Italie et Grèce entre 1935 et 2004. Spain Italy Greece 4 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 1935 1940 1945 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 Source : Monnier, INED Plus que par le niveau de fécondité, les générations du baby-boom se caractérisent d’abord par un effet de masse. Il s’agit de classes d’âge beaucoup plus nombreuses que celles qui les précèdent. En 1946, le nombre de naissances atteint 840 200 en France et 820 719 en Angleterre Pays de Galles, alors qu’un an avant, en 1945, ces chiffres étaient respectivement de 643 000 et 679 937. En France, le nombre de naissances ne diminuera réellement qu’à partir de 1974 avec 801 218 naissances et 745 065 en 1975. C’est pour cette raison que les démographes situent le baby-boom entre 1946 et 1973.3 3 Si l’on considère uniquement le taux de fécondité le baby-boom prend fin en 1964 en France. On considère que ce phénomène s'étend de 1945 au milieu des années 1970 pour la plupart des pays nord-européens.
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 11 Figure 4. Les générations du baby-boom en France 1 000 000 3 1973 1901 1946 950 000 3 900 000 1920 3 1981 850 000 2000 3 800 000 1994 2 750 000 2 700 000 2 650 000 600 000 2 1941 1919 550 000 1915 2 500 000 1 450 000 1 400 000 Générations du 1 350 000 « baby-boom » 1 300 000 1 250 000 0 200 000 150 000 Nés vivants en France 0 100 000 métropolitaine de 1901 à 2002 0 50 000 0 0 0 1900 1905 1910 1915 1920 1925 1930 1935 1940 1945 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 Source : Louchard, Iaurif, 2007 Les bouleversements démographiques à partir du milieu des années 1960 Outre l’exception démographique que constituent les baby-boomers, notamment en France, ils ont également bouleversé tous les événements démographiques au cours du cycle de vie au fur et à mesure qu’ils franchissaient les étapes, remettant en cause l’institution du mariage (cohabitation hors mariage et naissances hors mariage, divortialité) et initiant de nouveaux modèles familiaux. En effet, à partir des années 1965, dates où les premières générations du baby-boom arrivent à l’âge adulte, tous les indicateurs démographiques se mettent à bouger, notamment la fécondité (dans l’ensemble de l’Union Européenne la fécondité a diminué de 48 % en trente six ans passant de 2.72 enfants par femme en 1965 à 1.47 enfant par femme en 2001) (Fernandez Cordon, 2006), mais aussi la nuptialité et la divortialité. « Qui, vers 1960, aurait annoncé une partie seulement de ces changements aurait probablement passé pour un fantaisiste ou un provocateur. Or ce qui hier paraissait invraisemblable est devenu aujourd’hui réalité » écrit Louis Roussel en 1991 (Roussel, 1991). Mais il n’est pas question ici de revenir sur toutes les transformations démographiques et sociologiques que les sociétés occidentales ont connues depuis 40 ans.
12 Les générations du baby-boom en Europe Deux indicateurs permettent de prendre la mesure de l’intensité du phénomène de remise en question de l’institution du mariage : la proportion de naissances hors mariages et la divortialité. Selon Fernandez Cordon « la proportion de naissances hors mariage pourrait être considérée comme un indicateur de modernité dans la mesure où sa hausse reflète surtout la montée de nouvelles formes d’union et l’abandon de préjugés anciens sur la filiation » (2007) (naissances illégitimes, enfants naturels). En 1970, seuls l’Autriche et la Suède ont une proportion de naissances hors mariages pour 100 naissances supérieure à 12 (proche de 19 % en Suède). En 2004, presque 40 % des naissances, voire 55 % en Suède, se produisent en dehors du mariage (46.4 % en France et 40 % en Angleterre). Avec un cinquième de naissances hors mariage, l’Espagne indique, selon Fernandez Codon, que « la tradition et les valeurs religieuses ne sont plus dominantes chez les jeunes couples ». En revanche, en Grèce et en Italie, ces naissances sont beaucoup moins fréquentes, mais également dans un pays comme la Suisse. Tableau 1. Proportion de naissances hors mariage pour 100 naissances 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2004 Suisse 3,8 3,7 4,7 5,6 6,1 6,8 10,7 13,3 Allemagne 7,2 8,5 11,9 16,2 15,3 16,1 23,4 25 Autriche 12,8 13,5 17,8 22,4 23,6 27,4 31,3 35,9 France 6,8 8,5 11,4 19,6 30,1 37,6 42,6 46,4 Suède 18,8 32,8 39,7 46,4 47 53 55,3 55,4 Pays bas 2,1 2,1 4,1 8,3 11,4 15,5 24,9 32,5 Danemark 11 21,7 33,2 43 46,4 46,5 44,6 45,6 Belgique 2,8 3,1 4,1 7,1 11,6 17,3 - - Italie 2,1 2,5 4,2 5,3 6,3 8,1 9,7 15,3 Grèce 1,1 1,3 1,5 1,8 2,2 3 4 4,7 Espagne 1,4 2 3,9 8 9,6 11,1 17,7 23,4 Angleterre pays de Galles 8,3 9,1 11,8 19,2 28,3 33,9 39,5 - Source : INED Cette évolution est liée à une désaffection à l’égard du mariage, en tant qu’institution, avec la montée de nouvelles formes de conjugalité, notamment la cohabitation hors mariage qui est devenue une étape de plus en plus fréquente avant l’officialisation de l’union. Les générations du baby-boom ont été les premières à expérimenter ce type d’union dans les années 1960- 1970. Pour se faire une idée de la révolution qui s’est opérée dans le milieu des années 1970, période à laquelle les premières générations des baby-boomers atteignent l’âge adulte, citons à
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 13 nouveau Louis Roussel dans un article de Population de 1978 sur la « cohabitation juvénile » : « Il est exceptionnel que le sociologue, pour nommer un phénomène que chacun peut observer à loisir ne trouve pas un terme déjà tout préparé par l’usage ? C’est pourtant le cas lorsqu’il s’agit de désigner le comportement nouveau des jeunes couples qui vivent ensemble sans être mariés. Le mot « fiançailles » à l’évidence ne convient pas, même si certains parents l’utilisent pour qualifier cette situation. L’expression mariage à l’essai ne s’applique qu’à une partie de ces unions. Le mot « concubinage » a pris une tonalité péjorative qui ne correspond pas à l’attitude d’une large partie du public. Enfin les termes « union libre » suggèrent que le mariage est refusé dans son principe ou impossible dans les faits… En réalité l’évolution des faits a été plus rapide que celui de la langue : il a donc fallu forger un néologisme ». Le terme de « cohabitation juvénile » ne résistera pas à l’épreuve des faits dans la mesure où nombre d’adultes de plus de 35 ans adopteront cette nouvelle forme de couple. Il sera remplacé par celui de « cohabitation hors mariage ». A partir du moment où l’engagement dans un couple pouvait ne plus être officialisé, l’institution même du mariage s’en trouvait ébranlée et le mariage contracté, remis en question. Les chiffres sur l’augmentation du divorce confirment cette corrélation. Le nombre de divorces s’est accru dans l’ensemble de l’Union européenne passant de 200 600 divorces en 1965 à 705 600 en 2000. Le taux de divortialité, qui était aux alentours de 12-15 % dans les pays d’Europe du Nord et du centre en 1965, dépasse en 2004 40 % dans la plupart des pays (42.4 en France et 43.5 en Angleterre), à l’exception des pays d’Europe du Sud (Fernandez Cordon, 2006). Tableau 2. Indicateur de divortialité 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2004 Espagne - - - - 7,5 10,1 14,8 12,3 14,5 Italie - 5 2,8 3,2 4,1 7,7 8 13 - Grèce - 5,4 5,5 9,9 11 9,1 17,3 18,1 - Suisse 12,7 15,3 20,8 27,3 29,4 33,2 37,8 25,5 44,9 France 11,1 12,1 15,5 22,4 30,7 32,2 38,1 37,8 42,4 Pays bas 7,2 11 19,3 25,3 35,2 30,4 36,4 38,3 35,4 Allemagne 13,2 14,8 22,7 23,2 31,6 28,1 32,5 39,9 46,2 Autriche 14,5 18,2 19,7 26,2 30,8 32,8 38,3 43,4 46,3 Angleterre pays de Galles 1,7 16,2 31,9 39,6 43,8 42,5 45 43,5 - Danemark 18,1 25,1 36,5 39,9 46 43,8 41,2 44,6 47,1 Belgique 8,2 9,7 15,8 20,7 26,8 31,1 54,9 45,5 - Suède 17,6 23,3 49,8 42,4 45,1 44,5 51,6 54,9 51,5 Source : INED
14 Les générations du baby-boom en Europe Si les générations de baby-boomers ont constitué un élément décisif de transformations des sociétés au cours de la seconde partie du XXième siècle, elles continueront à marquer les cinquante prochaines années (figure 5): « la parenthèse du baby-boom sera définitivement fermée lorsque les dernières générations nombreuses, nées au début des années 1970 se seront éteintes » (Monnier, 2007). En effet, ces générations ont une espérance de vie qui s’est considérablement accrue grâce à l’amélioration des techniques et des équipements sanitaires, à l’élévation du niveau de vie et l’amélioration des conditions de confort. Figure 5. Effectifs des générations atteignant 20-24 ans, pour 100 personnes atteignant 60-64 ans. L’espérance de vie aux âges élevés ayant considérablement augmenté, les générations du baby-boom sont les premières à aborder l’âge de la retraite avec souvent un, voire deux parents vivants. Actuellement, les sociologues les désignent sous le vocable de «génération pivot » (Attias-Donfut, 1995).
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 15 Tableau 3. Espérance de la vie à la naissance 1970 1990 2000 2004 Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Suisse 70.1 76.1 74.0 80.7 76.9 82.6 78.5 83.6 Allemagne 67.5 73.5 72.0 78.4 75.0 81.0 76.5 82.1 Autriche 66.5 73.4 72.2 78.8 75.1 81.1 76.5 82.1 France 68.4 74.4 72.8 80.9 75.3 82.7 75.9 83 Suède 72.3 77.1 80.4 76.2 77.4 82.0 75.6 80.4* Pays bas 70.8 76.4 73.8 80.0 75.5 80.5 76.8 81.4 Danemark 70.9 75.7 72.0 77.8 74.5 79.3 75.9 81.7* Belgique 67.9 74.1 72.7 79.3 74.6 80.8 75.9 81.7 Italie 68.7 74.4 73.6 80.1 76.5 82.4. 76.8 82.5* Grèce 71.4 76.0 74.6 79.3 75.6 80.5 76.6 81.3* Espagne 69.9 75.2 73.3 80.3 75.8 82.5 77.2 83.8 Angleterre - - 73.1 78.8 75.6 80.3 73.8 79.0* Source : INED Si l’importance numérique des générations a jusqu’à présent été appréhendée de manière positive, celle-ci pose problème avec l’arrivée progressive de ces générations à l’âge de la retraite, les baby-boomers devenant des papy-boomers. Un contexte particulier pour les baby-boomers Le terme de génération recouvre pour les démographes l’ensemble des personnes nées la même année civile. De ce point de vue, les baby-boomers représentent bien plusieurs générations différentes numériquement de celles qui les précèdent et de celles qui les suivent. Forment-ils pour autant une génération historique animée par « une conscience de génération » ou une génération sociologique définie comme l’ensemble des cohortes connaissant la même situation de génération, partageant des caractéristiques communes, mais distinctes des autres (Chauvel, 2002, 20) ? Contexte économique Si on ne peut, à ce stade de l’analyse, répondre à ces questions, on peut déceler un effet de période car les générations du baby-boom ont vécu dans un contexte particulier. Elles sont nées pendant les années d’après-guerre marquées par l’austérité et la privation (les tickets de rationnement ont perduré quelques années après guerre en France ; en 1954, le gouvernement P. Mendes France organise la distribution de lait dans les écoles pour pallier les carences alimentaires des foyers français), mais en même temps leur enfance et leur début de vie adulte
16 Les générations du baby-boom en Europe se sont déroulés durant la période des Trente glorieuses. Sirinelli (2002) distingue en fait deux périodes : la première concerne les années 1945-1955, période de reconstruction, et les deux autres décennies 1955-1975 avec la montée de la consommation et de la qualité des conditions de vie. Les générations nées tout de suite après guerre ont pleinement bénéficié de l’explosion scolaire sans précédent4 et sont entrées sur le marché du travail pendant les années fastes (1965-1975) avec un taux d’urbanisation croissant (53% en 1946 et 73 % en 1975 en France), un taux de chômage très bas5, un dynamisme économique extraordinaire, l’extension de la protection sociale, l’émergence de la société de consommation avec l’augmentation des salaires6, le développement des transports, la diffusion du téléphone et de la télévision et donc la montée en puissance de la publicité et de la communication : c’est la « décade dorée ». Elles ont profité de « l’ascenseur social » à tel point que Louis Chauvel parle de « générations dorées » prises entre une génération « sacrifiée » (orphelins précoces, jeunesse entre les deux guerres et pendant la Seconde Guerre mondiale) et une génération disqualifiée qui connaît de grandes difficultés pour s’insérer sur le marché du travail et le marché du logement. Les générations que nous étudions font donc partie des privilégiées car « situées sur la vague montante de cadres qui s’étoile pour les puinés » (Chauvel, 2002, XV) alors que les générations nées à partir de 1955, qui atteignent 20 ans après 1975, ont connu la montée du chômage de masse et une entrée difficile sur le marché du travail dont ils gardent encore les séquelles aujourd’hui. L’importance numérique des générations nées après guerre a contribué à dynamiser la croissance et à soutenir l’économie des pays industrialisés depuis 1950. Ainsi, entre 1960 et 2000, le PIB total est multiplié au minimum par deux dans l’ensemble des pays industrialisés, la part de la consommation privée en % du PIB représente plus de la moitié. En France, d’après l’INSEE, le pouvoir d’achat a été triplé entre 1954 et 1994 (Barry et Hourriez, 1996). A partir de la consommation privée et de la part des transferts de sécurité sociale, Denise 4 D’après Sirinelli le nombre de bacheliers représente 5.12% d’une classe d’âge en 1950, et 20.17% vingt ans plus tard. (Sirinelli, 2007, 61). D’après Louis Chauvel les cohortes nées entre 1937 et 1947 ont bénéficié d’une accélération extraordinaire, celles nées entre 1950 et1965 d’une croissance plus lente de l’âge de fin d’études (Chauvel, 2002, p 105). En Angleterre, l’âge de fin d’études était de 14 ans en 1918, 15 ans en 1947 et 16 ans en 1972 (N.Abercrombie et al. : Contemporary British Society, Cambridge Polity Press, 1993. 5 En 1968, le taux de chômage dans les deux ans de la sortie des études est de 5 % contre 33 % en 1994 (Chauvel, 2002). 6 Le salaire réel avait quasiment stagné de 1914 à 1950 (20 à 50% d’augmentation selon les estimations), il double de 1955 à 1975 (Fournier et al, 1988).
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 17 Arbonville estime que le niveau de vie des individus et des ménages a été multiplié au moins par trois, voire par quatre ou cinq, au cours de la période (Arbonville, 2006). Contexte social Ce pouvoir d’achat ne profite pas seulement aux générations adultes mais également aux jeunes, notamment aux baby-boomers. Comme l’écrit Sirinelli la concomitance entre ces temps économiquement meilleurs et l’avènement d’une nouvelle génération est essentielle pour comprendre l’histoire de cette génération (Sirinelli, 2007, 54). Avec l’argent de poche que les parents leur donnent, les jeunes des générations du baby-boom constituent un nouveau marché et vont contribuer à l’émergence de la société de consommation avec une « culture jeune » qui a entre autres ses propres revues, ses propres vêtements (la diffusion du jean est symbolique7) et sa propre musique : 1961 : en France, succès des chanteurs comme Brel, Brassens et Ferré, 1962 : J. Hallyday à l’Olympia, 1963 : chanteurs yéyé, C. François et S. Vartan, 1965 , en Angleterre, succès des Beatles, Rolling Stones). C’est aussi le temps de la contestation qui se manifeste en partie dans la musique, car comme l’écrit Sirinelli ce sont bien les baby-boomers qui sans avoir été forcément marqués préalablement par les grandes idéologies d’extrême gauche ont donné comme « piéton de mai » sa consistance statistique et son importance historique au mouvement de mai 1968 ». (Sirinelli, 2007 , 269). Ce mouvement contestataire accompagne la révolution des mœurs et se traduit par un bouleversement de la place de la femme dans la société, aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère publique. En France, Le deuxième sexe de S. de Beauvoir, paru en 1949, donne un nouvel essor au mouvement féministe, et aux associations qui se radicalisent après les événements de 1968 et réclament la liberté des femmes en dehors du mariage, le droit des femmes à reconnaître ou non le père biologique, le droit à l’avortement. En Angleterre, des écrivant féministes comme Germaine Greer et la publication de la revue hebdomadaire « Spare Rib » bouleversent les représentations des relations hommes/femmes. L’essor de l’activité féminine est au cœur des mutations sociales qui transforment les pays industrialisés en particulier les Etats-Unis, l’Angleterre et la France. En 1950, les femmes 7 Entre 1970 et 1976 les ventes de jeans connaissant en France une progression de 300% (D. Borne Histoire de la société française depuis 1945, Paris, Armand Colin, p. 134).
18 Les générations du baby-boom en Europe représentent en France moins de 20 % des actifs et plus de 25 % en Angleterre. En 1999, ces chiffres s’élèvent respectivement à plus de 40 %. La femme acquiert une indépendance financière qui lui permet avec le développement de la contraception de mieux maîtriser sa vie familiale et professionnelle. C’est une véritable révolution qui s’est opérée tout au long du siècle dernier, mais qui s’est accélérée dans les années 1960-1980 avec la diffusion de la pilule, le droit à l’avortement, l’autorité parentale (cf. tableau 4). L’autre révolution est celle de la gestion du temps avec la montée du temps libre et la « civilisation des loisirs ». C’est une des dimensions essentielles de l’évolution des modes de vie : l’apparition du temps libre en fin de semaine (le fameux week-end), la 4ème semaine de vacances en France en 1969, la cinquième en 1981, la retraite à 60 ans en 1981.
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 19 Tableau 4. Quelques Dates Clés Dans L’histoire Des Femmes. Année 1791 La constitution de 1791 laïcise le mariage et libère juridiquement la femme du poids de l’Eglise 1792 Loi sur le divorce qui reconnaît l’égalité des époux et le droit de divorcer par consentement mutuel, supprimée en 1816 et restaurée en 1884. Mais le consentement mutuel étant considéré comme dangereux pour l’institution familiale, celui-ci ne sera pas rétabli avant 1975. 1804 Le Code Civil consacre l’incapacité juridique totale de la femme mariée. La femme est considérée comme une mineure, sous la dépendance de son mari. 1810 La femme adultère est passible de prison, l’homme adultère d’une amende (tout en sachant que les modes de preuve diffèrent d’un sexe à l’autre). 1850 Loi Falloux qui demande aux communes de plus de 800 habitants d’ouvrir et d’entretenir une école de filles 1880 Loi Camille Sée qui institue un enseignement secondaire féminin d’Etat 1881 Droit d’ouvrir un compte à la caisse d’épargne et d’y déposer de l’argent 1907 Droit des femmes mariées de disposer librement de leur salaire 1909 La femme enceinte salariée a droit à un congé de maternité de 8 semaines (sans salaire ?). 1910 Droit de retirer de l’argent sur son compte en banque sans l’autorisation du mari 1915 La femme mariée peut disposer de l’autorité parentale en temps de guerre 1924 Décret qui institue des horaires et des programmes d’études identiques dans le secondaire, pour les garçons et les filles, entraînant une équivalence formelle entre les baccalauréats masculins et féminins 1938 Loi supprimant l’incapacité civile relative à la personne pour la femme mariée 1944 Droit de vote et d’être élue 1965 Le mari ne peut plus s’opposer à l’exercice de l’activité professionnelle de sa femme 1967 Loi Neuwirth autorisant la contraception 1970 L’autorité parentale se substitue à l’autorité paternelle : les deux époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille 1975 Légalisation de l’avortement sous contrôle médical Divorce par consentement mutuel 1985 Égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens et des enfants mineurs 1987 Élargissement des cas où l’autorité parentale peut être conjointe. 1994 Loi du 8 juillet posant le principe de l’autorité parentale conjointe à l’égard de tous les enfants (légitimes ou naturels) quelle que soit la situation matrimoniale de leurs parents (mariage, séparation, divorce) 2002 Congé paternel de 14 jours Sources : C. Clément,2008 établi d’après Thierry Blöss et Alain Frickey, La femme dans la société française, op. Cit., Thévenot Anne, Les femmes dans le divorce en France aujourd’hui. Étude psychologique, Thèse de psychologie, dirigée par André Tabouret-Keller, Strasbourg, Université Louis Pasteur Strasbourg I, 1993, 337 p., Insee, Les femmes, Paris, Insee (Contours et caractères), 1994.
20 Les générations du baby-boom en Europe Les baby-boomers et leur logement Les générations du baby-boom ont donc bénéficié de l’élévation continue du niveau de vie que ce soit en matière de revenus, de santé, d’éducation et de conditions de travail. En matière d’habitat, elles ont connu la révolution qui s’est opérée sur une période d’une cinquantaine d’années grâce à l’urbanisation, l’amélioration spectaculaire du confort des logements, la diffusion de la propriété. Une amélioration extraordinaire des conditions de logement lié au renouvellement du parc En 1945, lorsque la majorité des enquêtés étaient encore enfants ou jeunes adultes, la situation du logement était catastrophique en Europe. Pour remédier à la pénurie de logement aggravée par le baby-boom et les migrations, quelles soient internes ou internationales, les pays entreprennent un effort de construction considérable. Il faut rappeler que dès la fin du 19ème siècle, les pays du Nord de l’Europe ont mis en place des politiques sociales visant à combattre le paupérisme issu de la révolution industrielle. Néanmoins, la pensée économique restait dominée par les doctrines « libérales » selon lesquelles l’Etat ne devait pas intervenir dans l’économie, en particulier dans le secteur du logement. Il a fallu une très grave pénurie de logements, résultant de l’insuffisance de la construction entre 1918 et 1940 et des conséquences de la Seconde guerre mondiale - à savoir la destruction d’une grande partie du parc de logements dans les pays belligérants-, pour que les pays industrialisés cherchent des solutions afin de répondre aux besoins de logement des populations. Comme le décrit M. Mouillart (Lefebvre et al. 1992), il existait deux voies possibles : l’intervention directe de l’Etat dans le secteur du logement avec la construction de logements et les actions, notamment financières, visant à inciter les autres acteurs économiques à investir dans le logement. Trois objectifs étaient fixés : construire un nombre élevé de logements, loger seulement les ménages aux revenus modestes, offrir un logement à tous les ménages sans exception et sans aucun critère de ressources. Les pays scandinaves et le Royaume-Uni, pays où l’intervention de l’Etat était déjà légitime avant guerre, privilégièrent la troisième démarche, tandis que les pays d’Europe Occidentale comme la France, la Belgique, l’Allemagne fédérale et la Suisse, où l’action de l’Etat était moins légitime, adoptèrent des politiques qui visaient à répondre aux deux premiers objectifs : construire un nombre suffisant de logements et résoudre le problème de logement des familles défavorisées. Dans les pays de
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 21 l’Europe du Sud, l’intervention de l’Etat restait très faible, les politiques ayant essentiellement pour objectif l’aide aux ménages. Le renouvellement du parc entrepris par les différents pays a permis de répondre aux besoins de logement de la population, et surtout des familles nombreuses avec la reprise de la natalité mais aussi avec l’arrivée des migrants à la recherche d’emplois. L’urbanisation, déjà bien avancée dans les pays comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, s’accélère à partir des années 1950 en France et en Espagne (75 %), 60-67 % en Grèce, Italie ou Autriche (Arbonville, 2006). En cinquante ans, la France est passée d’un monde rural encore proche par certains aspects du XIXème siècle à une société urbaine dans laquelle les trois quarts de la population résident dans des villes. Figure 6. Proportions de population urbaine (classement selon le % croissant en 2000) P. 100 100 75 50 25 10 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 Année Belgique Royaume-Uni Pays-Bas Suède États-Unis France Italie Irlande Autriche Grèce Portugal Japon Suisse Espagne Finlande Roumanie Source : Arbonville, 2006 Rappelons qu’en 1946, la situation était catastrophique aussi bien en Grande-Bretagne qu’en France.8 En France, l’état déplorable du parc de logement (l’âge moyen des logements dépassait 100 ans en 1945 et à peine 1 % des logements disposaient des WC, d’une salle de 8 En Grande-Bretagne, le manque de logements était estimé à 1.5 millions en 1950 (Marwick, 1982, p. 66). Pour la France, 500 000 logements avaient été détruits, 1 400 000 endommagés pendant la seconde guerre mondiale (Merlin, 1988).
22 Les générations du baby-boom en Europe bains et du chauffage central) était dû également au manque de constructions de l’entre-deux- guerres lié au retrait des investisseurs locatifs avec le contrôle des loyers. En Angleterre également, le niveau de construction entre les deux guerres avait été très bas ; à cet état de fait se sont ajoutés les bombardements de la seconde guerre mondiale qui ont détruit un grand nombre de logements. L’effort massif de construction ne débutera réellement qu’après la naissance des premières générations du baby-boom, c’est-à-dire à partir du début des années 1950, notamment avec les prêts du Crédits foncier en France, et le Housing Act de 1949 en Grande-Bretagne (Marwick, 1982, 59). Figure 7. Répartition des constructions de l’après guerre 1946-1970 1971-1980 >1980 Allemagne 1998 Belgique 1995 Royaume-Uni 1996 Italie 1991 France 1996 Suède 1990 Grèce 1991 Danemark 1999 Espagne 1991 Autriche 1998 Pays-Bas 1998 Luxembourg 1997 Finlande 1998 Portugal 1995 Irlande 2000 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 P. 100 Source : Arbonville, 2006 Evolution des conditions de logement Les générations du baby-boom vont donc connaître durant leur enfance des conditions de logement difficiles dans les deux pays. Nombre d’entre eux vivront chez leurs grands-parents en raison de la pénurie de logement empêchant les jeunes de s’installer dans un logement indépendant9. En France, d’après une enquête réalisée en région parisienne en 1952, 36 % des jeunes couples cohabitent avec leurs parents ou beaux-parents (Girard et Bastide, 1952). Il a fallu attendre longtemps pour doter le stock de logements des conforts minimums, tels que l’eau courante, les WC, et le chauffage. Entre 1945 et 1970, les taux des résidences 9 « In a time of serious housing shortage, many couples had to begin married life in the home of one or other parent, more usually the wife’s parents » (Marwick, 1982, p. 66).
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 23 principales en France qui bénéficiaient de l’eau courante, des WC intérieurs, d’une baignoire et du chauffage central, sont passés seulement de 5% à un peu moins d’un tiers. Figure 8. Logements non équipés en baignoire ou douche (%) Grèce 1991 Portugal 1997 Ex-RDA 1993 Finlande 1998 Belgique 1994 Espagne 1991 Danemark 1999 Autriche 1998 Irlande 1999 Royaume-Uni 1996 France 1996 Luxembourg 1995 Allemagne 1993 Suède 1995 Italie 1995 Pays-Bas 1998 0 5 10 15 P. 100 Source : Arbonville, 2006 Selon l’enquête Biographies et Entourage, les deux tiers des baby-boomers (nés entre 1946 et 1950), à leur naissance, vivaient dans des logements sans aucun confort, c'est-à-dire soit avec l’eau ou les WC uniquement. La majorité d’entre eux a donc connu durant l’enfance des conditions de vie difficiles, que ce soit à la ferme ou dans des vieux immeubles des centres villes où l’eau se trouvait alors sur le palier ou encore au rez-de-chaussée.10 En fait, ce n’est que vers 30 ans (entre 1976 et1980) qu’ils voient une amélioration sensible de leurs conditions de logements.11 Outre le manque de confort, les baby-boomers ont connu pendant leur enfance des logements surpeuplés souvent en raison de leur petite dimension mais également de la taille de la fratrie (liée au phénomène du baby-boom) et parfois de la présence des grands-parents. En France, la taille moyenne des logements en 1954 s’élevait à 2.7 pièces alors que la taille des ménages était supérieure à 3 personnes. Au recensement de 1954, 31 % des ménages de 4 personnes disposent d’une ou deux pièces pour se loger ; 47 % à Paris (Cahen, 1957). 10 En 1954, 35 % des logements des communes rurales avaient l’eau dans la cour, et 34 % dans le logement (Cahen, 1957). En 1954, 15 % des logements parisiens ont l’eau à l’étage et 3 % dans la cour, mais on note de grandes différences entre arrondissement : 26 % des logements dans le 3è ont l’eau à l’étage contre 10 % dans le 15è.et 12 % dans le 16è. Les petites villes apparaissent défavorisées par rapport à Paris. A Amiens, 13% des logements ont l’eau dans la cour, 26 % ailleurs : fontaine, pompes (Cahen, 1957). 11 A trente ans, trois enquêtés sur quatre disposaient des WC et d’une baignoire ou d’une douche et 9 sur 10 à 40 ans.
24 Les générations du baby-boom en Europe Les baby-boomers anglais n’ont pas connu de meilleures conditions de logement durant leur enfance : « The worst conditions of all were in the decaying tenements of industrial Scotland…;and in those larger houses in what had formerly been in inner London now divided into a multiplicity of often one-room flats in this kind of accommodation primitives facilities were shared by several families : one lavatory on a landing… » (Marwick, 1982, p. 59). Durant leur enfance et leur jeunesse, les baby-boomers ont vu se développer le nombre de biens de consommation à l’intérieur de leur logement. A commencer par le lave-linge, les fours électriques, les aspirateurs, puis la télévision. Ces objets de consommation, les médias en particulier, ont contribué à l’émergence d’un « esprit baby-boomer » et à la transformation des jeunes baby-boomers en consommateurs. Ils ont été les principaux bénéficiaires des évolutions technologiques. Figure 9. Niveau de confort des logements selon l’âge des baby-boomers (cohorte née entre 1945 et 1950) Source : Enquête Biographies et entourage, 2000
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 25 Diffusion massive de la propriété La dernière tendance, qui a profondément bouleversé les sociétés européennes avec l’amélioration des logements et l’urbanisation, est la progression spectaculaire de la propriété. Alors qu’en 1950, le taux de propriétaires dans tous les pays européens (à l’exception de l’Irlande) est inférieur à 50 %, 50 ans plus tard, l’ensemble des pays (à l’exception de l’Allemagne et de la Suède)12, ont désormais plus de la moitié de leur parc occupé par des ménages propriétaires : les plus forts taux de propriétaires (supérieurs à 65 %) s’observent en Europe du Sud, au Royaume-Uni et en Irlande. Les enquêtés ont effectué leurs parcours résidentiels dans un contexte de diffusion de la propriété sans précédent aussi bien en Grande-Bretagne qu’en France.13 Ce qui relevait de l’utopie au 19ième siècle et demi-échec dans l’entre deux guerres se concrétise enfin au cours de la seconde moitié du 20ième siècle (Bonvalet, 1998). En France, 34 % seulement des ménages étaient propriétaires en 1954 contre 56 % en 2002. En Grande-Bretagne, 29 % en 1951 contre 67 % en 2001. C’est l’Angleterre qui a connu la progression de l’accession à la propriété la plus rapide depuis la seconde guerre mondiale (graphique 2). Entre 1950 et 1980, le taux de propriétaires occupants est passé de 29 % à 56 %, soit une progression proche de 30 points en trente ans (Ghekière, 1991). La Grande-Bretagne a en effet quelques spécificités qui rendent son cas particulièrement intéressant en ce qui concerne les parcours résidentiels. Après un développement considérable des logements sociaux à l’arrivée au pouvoir du gouvernement travailliste en 194514, la politique menée depuis 1980 a continué d’encourager l’accession à la propriété, l’étendant à des ménages généralement exclus du marché de l’acquisition. Le désir d’être propriétaire est bien installé chez les Britanniques. Cette préférence, en partie culturelle, s’est renforcée au cours des années 1980 avec la politique de Margaret Thatcher. Pour Thatcher et son gouvernement, être propriétaire d’un logement représentait un symbole fort de réussite. En 12 Les statuts d’occupation semblent très mal définis dans les statistiques internationales en Suède (Arbonville, 2006), et en Allemagne suite à la réunification ( Louvot-Runavot, 2001). 13 A 10 ans, 38 % des enquêtés qui vivaient dans leur famille, avaient des parents ou grands-parents propriétaires du logement. 14 Entre 1950 et 1980, le parc locatif public géré par les Collectivités locales est passé de 2 500 000 logements à 6 500 000 en 1980 (Ghekière, 1991).
26 Les générations du baby-boom en Europe même temps, la conviction de l’époque était qu’une nation de propriétaires est aussi une nation de consommateurs, facteur stimulant l’économie à son tour. Thatcher a introduit un programme appelé « le droit d’acheter », qui s’appliquait exclusivement aux locataires du parc social. Avec l’aide des primes et des incitations à l’acquisition au cours des années 1980, 1,5 million de locataires sont devenus propriétaires. Le taux atteint actuellement plus des deux tiers des ménages. Figure 10. Evolution du taux de propriétaires aux Etats-Unis et dans différents pays européens Source : Arbonville, 2006 Ainsi on constate que le nombre de logements qui était occupé par un propriétaire a fortement augmenté entre 1981 et 2003 tandis que le nombre de logements dans le parc social (propriété des municipalités ou autorités locales) a diminué (figure 11) Cette baisse du nombre de logements du parc social a été en partie compensée par un accroissement dans le secteur appartenant aux associations privées. Néanmoins, la construction des logements dans le parc social sur cette période devançait la demande. Depuis les années 1990, les associations privées (« registered social landlords », qui sont pour la plupart « housing associations ») ont
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 27 dominé la construction de logements dans le parc social – seulement 1% a été construit par des collectivités locales en 2003/2004 (Summerfield et Gill, 2005). Figure 11. Evolution du stock de logements en Grande-Bretagne selon le statut d’occupation Millions 20 18 Propriétaire 16 14 12 10 8 Parc social (collectivité locale) 6 4 Parc privé 2 Parc social (associations privées) 0 81 83 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 Source : (Summerfield et Gill, 2005) La politique du « droit d’acheter » existe toujours en 2007, et bien qu’elle ne s’applique qu’aux seuls locataires actuels du parc social (des collectivités locales), la préférence pour la propriété a été fortement intégrée par les Britanniques locataires. Ainsi, en l’espace de quelques années, l’opinion publique à l’égard du statut de propriétaire et de ses avantages a complètement changé. Avant 1980, devenir propriétaire était plutôt vu comme un risque que la moitié de la population ne voulait pas prendre. L’accès à un prêt était relativement difficile et l’idée d’une longue période d’endettement effrayait beaucoup d’acheteurs potentiels. Même si les taux de chômage restaient plutôt bas jusqu’aux années 1970, les risques associés au remboursement d’un prêt, et les frais potentiels de la maintenance d’un logement, détournaient beaucoup de personnes vers le parc locatif privé ou social. Ainsi, beaucoup de jeunes couples préféraient rester locataires, situation qu’ils croyaient plus sûre. En 2007, la situation s’est quasiment inversée. La crainte de la précarité et le chômage, ainsi que les soucis pour les niveaux futurs de retraite incitent les individus et les familles à devenir propriétaires, plutôt que de rester locataires et ce d’autant plus que le marché de l’accession à la propriété se caractérise par une grande fluidité.
28 Les générations du baby-boom en Europe Contrairement à la France, la propriété ne constitue pas un obstacle à la mobilité. En effet, la grande fluidité du marché du logement conjuguée à la diversité du parc de logement en termes de taille et de prix, favorise l’accession à la propriété des jeunes ménages et l’adaptation permanente du logement à l’évolution de la taille de la famille et des revenus. Le marché du logement est surtout un marché de mutation et de transaction dans le parc ancien (Ghekière, 1991). La politique menée depuis la seconde guerre mondiale et, en particulier, depuis les années 1980, explique le pourcentage très élevé de propriétaires parmi les baby-boomers, plus de 80 %. La France connaît elle aussi une progression de la propriété mais moindre que celle de l’Angleterre puisqu’en trente ans le taux de propriétaire augmente de 16 points : de 35 % en 1954 à 51 % en 1984. Cette diffusion de la propriété ne s'est pas faite de manière linéaire (Topalov, 1987). Les années 1950-1963, qui correspondent à la période où les enquêtés plus âgés deviennent indépendants et fondent famille, se caractérisent par une forte croissance de la production de logements neufs, notamment de logements destinés à la propriété. De nombreux cadres supérieurs et moyens résolvent leurs problèmes de logement en achetant leur résidence principale. Cependant, les types de logement mis sur le marché et les prêts qui les accompagnent, favorisent également l'augmentation du nombre de propriétaires parmi les ouvriers et les employés. Cette période est suivie, de 1963 à 1968, d'un fléchissement qui touche toutes les catégories sociales, mais particulièrement les ouvriers. Ensuite la diffusion de la propriété reprend, mais à un rythme moins rapide que celui des années 1950. Les cadres, mais aussi les ouvriers qualifiés et les contremaîtres, en sont les principaux bénéficiaires, tandis que les ouvriers spécialisés et les manœuvres restent à l'écart de cette croissance. Après 1974 apparaît à nouveau une baisse, bien que la construction de maisons individuelles en accession à la propriété, favorisée par la réforme de 1977, se maintienne et s'accroisse même au cours des années 1980. Les enquêtés selon les générations vont donc bénéficier de conditions plus ou moins favorables. Les générations nées juste avant la guerre ont profité du contexte très favorable des années 55-65 pour devenir rapidement propriétaires alors que les plus jeunes qui appartiennent aux générations du baby-boom ont eu de moins bonnes conditions en raison du retournement de la conjoncture économique et du ralentissement de l’inflation. En effet, les générations nées entre les deux guerres sont celles qui vont profiter de toutes les transformations des modes de financement du logement. A partir des années 50, le
Comportements résidentiels de la génération du baby-boom 29 crédit se développe avec les prêts du Crédit foncier et les ménages qui au départ étaient réticents à l’idée même de crédit se laissent d’autant plus séduire par l’accession à la propriété que la loi de 1948 met fin au blocage des loyers (Loiseau et Bonvalet, 2005). Figure 12. Taux de propriétaire selon l’âge de la personne de référence. Taux de propriétaire selon l'âge de la personne de référence 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% < 25 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55-59 60-64 65-69 70-74 75-79 > 80 ans ans 1973 1978 1984 1988 1992 1996 2002 Source : Minodier, Rieg, 2007 d’après les enquêtes logement INSEE Les données de l’enquête SHARE15 permettent de resituer les cas de la France et de l’Angleterre par rapport à l’ensemble de l’Europe car malgré les tendances lourdes qui ont marqué les marchés du logement dans tous les pays européens (urbanisation, confort et propriété), de grandes différences subsistent en matière de statuts d’occupation, de mobilité résidentielle et d’adaptation du logement. Ces différences sont liées, comme nous l’allons le voir à l’histoire des pays (notamment la Seconde Guerre mondiale), au rôle de l’Etat et de la famille dans le logement, mais également à l’attachement à la propriété. Des modèles spécifiques demeurent avec une opposition entre Europe du Nord et Europe du Sud. Par exemple en Espagne, la forte proportion de propriétaires résulte du maintien des politiques d’aide à l’accession à la propriété sur une longue période (Fernandez Cordon et Léal, 2006). Déjà la politique franquiste visait à favoriser la propriété, la location étant taxée 15 L’enquête SHARE (Survey of Health and Retirement in Europe) dont la France fait partie, est conçue notamment pour s’interroger sur les comportements et valeurs des baby-boomers européens. Les champs couverts par l’enquête concernent la santé (santé physique et psychique, consommation de soins), le social (aide sociale, logement, emploi, …), et l’économie (revenus, transfert, …). Les pays qui font partie de cette enquête sont le Danemark, la Suède, la Hollande, la Belgique, la France, la Suisse, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. La Grande Bretagne ayant déjà mené une enquête du type SHARE (English Longitudinal Study of Ageing, 2002), une comparaison sera possible avec les pays étudiés dans l’enquête SHARE.
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