Constructions identitaires des sans-papiers à Lausanne

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Constructions identitaires des sans-papiers à Lausanne
Travail personnel
                                                                   de géographie

Constructions identitaires des sans-papiers
                          à Lausanne
                 Laura Mosimann
                 Sous la direction de René Véron, Professeur ordinaire
                 et Paola Rattu, Assistante diplômée

                                            © Michael Allocca

Travaux personnels de géographie | Semestre de printemps 2012

Institut de géographie | www.unil.ch/igul
Constructions identitaires des sans-papiers à Lausanne
Table des matières

1. Introduction ......................................................................................................... 3
    1.1.   Le phénomène des sans-papiers en Suisse .......................................................... 3
           La migration irrégulière ............................................................................................................ 4
           Activités et situation de vie des immigrants sans statut légal .................................................. 4
           La législation suisse ................................................................................................................. 5
    1.2.   La situation à Lausanne........................................................................................... 6
           Les groupes présents .............................................................................................................. 7
           Prise de conscience ................................................................................................................. 8
    1.3.   Question de recherche............................................................................................. 8
2. Problématique ................................................................................................... 10
    2.1.   Revue de la littérature ............................................................................................ 10
    2.2.   Concepts et hypothèse de travail ......................................................................... 12
           Les concepts identitaires ....................................................................................................... 13
           Les concepts des capitaux..................................................................................................... 14
           Les concepts territoriaux ........................................................................................................ 16
3. Méthodologie ..................................................................................................... 18
4. Analyse des résultats ....................................................................................... 20
    4.1.   Présentation des résultats..................................................................................... 20
           Les personnes interviewées .................................................................................................. 20
           Les identités ........................................................................................................................... 21
           Le capital social ..................................................................................................................... 23
           Le capital spatial .................................................................................................................... 25
           Territorialité, espace vécu et sens du lieu .............................................................................. 26
    4.2.   Retour sur l’hypothèse .......................................................................................... 27
    4.3.   Discussion .............................................................................................................. 28
5. Conclusion ......................................................................................................... 30
6. Références bibliographiques ........................................................................... 32
7. Annexes ............................................................................................................. 35
    7.1. Guide de l’entretien avec des sans-papiers ........................................................... 35

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Remerciements
Il me tient à cœur de remercier Ana, Sonia, Nina, Adriana et Elena, les cinq femmes sans-papiers que
j’ai rencontré pour les témoignages – c’est grâce à elles que mon travail a son côté vivant et réel !
Je remercie également le Collectif des sans-papiers de Lausanne qui m’a accueilli d’une manière très
ouverte et chaleureuse lors de leur Assemblée générale.
J’aimerais remercier sincèrement Mme Paola Rattu, la directrice de mon TPR, qui m’a guidé lors de
cette aventure de recherche scientifique. Merci au Professeur Véron qui a accepté le sujet de mon
travail.
Un grand MERCI est également adressé aux personnes qui ont relu mon travail et qui m’ont donné
des commentaires précieux : Theo Margot, Hélène Keller, Mathieu Roduit, ma mère et mon père.

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1. Introduction
Ce Travail Personnel de Recherche (TPR) est effectué à la fin du Bachelor et constitue une première
étude scientifique d’une ampleur quelque peu plus importante que les travaux de séminaire écrits
pendant notre formation. Quand il s’agissait de choisir un thème, c’était rapidement clair pour moi que
j’allais faire mon TPR en géographie sociale, sur un sujet situé à Lausanne ou les environs. La
thématique de la migration m’intéresse depuis longtemps, peut-être est-ce que lié au fait que j’ai
grandi dans un quartier multiculturel et diversifié. Alors que j’étais à la recherche d’un sujet précis pour
mon TPR, différents articles traitant de la question des sans-papiers qui ont été publiés dans les
journaux (Kollbrunner, 2011 et Meier, 2011) m’ont touchée. Je me suis dès lors posé la question « Qui
sont-ils, les sans-papiers qui habitent à Lausanne ? Et comment s’attachent-ils à un territoire où ils ne
sont pas les bienvenus ? » En tant que géographe, je m’intéresse également aux questions de la
territorialité et des identités, et j’ai décidé de lier ces thématiques.
Le présent travail est structuré de la manière suivante : Dans un premier temps, la situation des sans-
papiers dans le contexte suisse et lausannois sera présentée, ensuite la problématique exposée.
Suivront un chapitre sur la méthodologie et enfin une analyse des résultats, avant la conclusion du
travail.
Dans le but de donner la parole à ces personnes vivant dans l’ombre de notre société, j’ai mené cinq
entretiens avec des sans-papiers habitant à Lausanne. Cela m’a permis d’avoir les données
nécessaires provenant de la réalité.

    1.1. Le phénomène des sans-papiers en Suisse

Depuis toujours les êtres humains ont migré dans le but de trouver des meilleures conditions de vie,
un travail ou la paix et la sécurité. Cependant, les mouvements migratoires se sont profondément
transformés durant les décennies passées, influencés par la globalisation et les relations et
interdépendances croissantes à l’échelle mondiale. Des facteurs d’attraction et d’expulsion (« pull- &
push-factors ») entraînent des flux migratoires importants. Les causes principales de ces mouvements
sont économiques : d’une part, ce sont la demande d’une main-d’œuvre bon marché et facilement
renouvelable dans les pays développés, l’espoir d’un meilleur futur, d’autre part les inégalités
croissantes en termes de revenus et de conditions de vie, le manque de perspectives et la pénétration
des pays périphériques par les modèles consuméristes et la culture populaire des sociétés dans les
pays d’émigrations (Longchamp et al., 2005 : 40). Il ne s’agit pas « d’un processus optionnel, mais
d’une nécessité structurale de l’accumulation capitaliste à un stade avancé (!) » (Valli, 2003 : 16).
Les besoins croissants des pays occidentaux sont, entre autres, liés à des changements dans la
structure familiale, tels que l’augmentation des familles monoparentales et l’évolution du travail des
femmes, créant des nouveaux besoins, à savoir l’aide au foyer pour les tâches ménagers et la garde
d’enfants.

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La migration irrégulière
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La migration irrégulière est une forme de migration qui date du 20             siècle en Europe, liée à
l’introduction de dispositions sur la circulation des personnes et les régimes juridiques des États-
nations modernes. Elle n’est donc pas un phénomène récent, mais s’est accentuée depuis une
vingtaine d’années suite à la fermeture des frontières de plus en plus prononcée et les obstacles
imposés aux migrations par les pays d’immigration. À part la clandestinité, d’autres formes de
migrations se sont développées : la demande d’asile politique, les déplacements pendulaires
transfrontaliers, le nomadisme saisonnier et le regroupement familial. Les pays de provenance sont,
depuis la deuxième moitié des années 1990, localisés dans l’Europe de l’Est et, de plus en plus, dans
les pays du Sud (Valli, 2003 : 17).
Quant à la migration irrégulière, il s’agit de personnes qui habitent dans un pays sans permis de
séjour valable. Cela ne signifie pas qu’elles ne possèdent pas de papiers d’identité ou de passeport.
En Suisse, le terme de « sans-papiers » s’est imposé. Cette notion est apparue dans les années 1970
en France lors des premiers mouvements sociaux de sans-papiers. D’autres termes utilisés
couramment sont « migrants sans autorisation de séjour », « immigrants sans statut légal »,
« migrants en situation irrégulière » ou, en moindre mesure, « clandestins » car souvent connoté
négativement.

Le phénomène des sans-papiers est difficilement quantifiable. Comme ces immigrants irréguliers ne
sont pas enregistrés systématiquement, il n’existe pas de données exactes et les estimations varient
entre 70'000 et 300'000 personnes en Suisse (Efionayi-Mäder et al., 2010 : 6). Une étude effectuée
par un groupe d’experts sur un mandat de l’Office fédérale des migrations (ODM) en 2005 montre qu’il
y aurait environ 90'000 personnes sans permis de séjour en Suisse (Longchamp et al., 2005 : 54).
Ces personnes sont devenues des sans-papiers par différents chemins : Elles sont arrivées
légalement avec un permis de séjour (un visa touristique, par exemple) et ont continué à vivre ici
après son échéance ; elles sont restées après le refus de la demande d’asile ; leur demande d’asile
n’a pas été considérée par les autorités (non entrée en matière ou NEM) ; ce sont des enfants
d’immigrés sans statut légal ; elles sont arrivées en traversant la frontière verte. Les situations des
sans-papiers sont donc individuelles et varient beaucoup d’une personne à l’autre.

Activités et situation de vie des immigrants sans statut légal

La grande majorité de ces personnes poursuit un travail lucratif dans le secteur de la restauration, de
l’hôtellerie, des services ménagers, de la construction ou de l’agriculture en tant que « travailleur ou
travailleuse sans statut légal ». Généralement, les conditions de travail sont très dures en raison du
nombre d’heures par jour et la nature des tâches, ce sont des activités mal rémunérées, avec une
mauvaise réputation, effectuées au noir et sans sécurité. De par leur statut illégal, les sans-papiers
n’ont aucune protection et donc pas la possibilité de lutter contre leur exploitation et les mauvaises
conditions de travail – la peur d’être licencié et remplacé par quelqu’un d’autre ou encore d’être
dénoncé est trop grande. En effet, ils sont presque toujours obligés d’accepter les conditions

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imposées par l’employeur. Du point de vue de ce dernier, cette main-d’œuvre bon marché, flexible et
exploitable présente de nombreux avantages. C’est ce que Emmanuel Terray appelle la
« délocalisation sur place » de la main-d’œuvre (Valli, 2003 : 34).

À cette incertitude ouvrière s’ajoutent de nombreux problèmes quotidiens tels que l’incertitude
financière, la difficulté d’accès à la formation scolaire des enfants et aux soins, les conditions de
logement souvent précaires et la peur d’être découvert par les autorités. Ces personnes vivant dans
l’ombre de la société essaient de mener une vie « normale » et de subvenir leurs besoins sans se
faire remarquer. Souvent, ils habitent chez la famille ou des connaissances, au moins au début. Ce
sont des petits appartements en sous-location où ils vivent à plusieurs. De telles situations de
logement présentent une source énorme de stress et de conflits interpersonnels. À ajouter à cela le
besoin de cacher la situation aux voisins afin de ne pas être dénoncé.
Nombreux sont les sans-papiers travaillant dans notre pays depuis des années. Ils sont devenus
indispensables pour notre économie et notre société, et vont combler les futures perspectives sur le
marché du travail. De même, selon la Commission fédérale pour les questions de migration (CFM),
« la présence des sans-papiers relève des conditions structurelles de la société, posant ainsi un
problème auquel on ne peut pas apporter une solution définitive. » (CFM, 2011 : 13) La migration
irrégulière dépend surtout du marché du travail, mais est également en lien étroit avec le
développement de la politique de migration. En effet, l’évolution récente reflète ce fait : avec la libre-
circulation de Schengen, la migration est devenue plus facile parce qu’il y a moins de contrôles aux
frontières. Par contre, diverses mesures pour intensifier le contrôle à l’intérieur du pays ont été mises
en place, notamment l’échange de données entre les différentes autorités, la nouvelle loi sur le travail
au noir, la suppression de l’aide sociale pour les requérants d’asile ayant reçu une décision négative
de non-entrée en matière (NEM) (depuis 2004) ou pour les requérants d’asile déboutés (depuis 2008).
Ces changements dans la législation mènent à une hausse du nombre de sans-papiers parmi les
immigrants. La Suisse et les États membres de l’Union européenne ont adopté une politique
restrictive et une démarche répressive en imposant l’ordre juridique de l’État de droit avec le but de
lutter contre l’immigration irrégulière. La loi fédérale contre le travail au noir (entrée en vigueur en
2008) et les poursuites potentielles des personnes qui aident les sans-papiers reflètent cette
approche. Le courant à l’opposé vise une gestion pragmatique et la valorisation des droits
fondamentaux de ces personnes en appelant le principe de proportionnalité et la responsabilité de la
société entière. Suite à une sensibilisation de la société civile et de l’opinion publique, différents
organismes de soutien des sans-papiers ont vu le jour depuis 2001 : des centres d’accueil, des
réseaux de médecins et de solidarité, des collectifs de sans-papiers et des syndicats qui essaient de
résoudre les questions de la vie quotidienne en collaboration avec les autorités.

La législation suisse

Les personnes sans autorisation de séjour sont concernées par différentes lois. Les plus importantes
au niveau fédéral sont la Loi sur l’asile (LAsi) et la Loi sur les étrangers (LEtr). Selon la LAsi, les
requérants d’asile déboutés ou ayant obtenu une décision de non-entrée en matière et de renvoi ont

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la possibilité de demander la régularisation pour cas individuel d’une extrême gravité. D’après la LEtr,
les personnes qui n’ont jamais eu de permis de séjour ou qui l’ont perdu peuvent valoriser leur statut
de séjour par une procédure de cas de rigueur en remplissant différents critères (une durée de séjour
supérieur à quatre ans, le niveau d’intégration, la scolarisation des enfants, la situation économique
stable et indépendante, etc.). Cependant, notre système fédéraliste aboutit à des différences
sensibles au niveau cantonal : à cause de la large liberté d’appréciation des cantons, les chances
dans l’examen des cas de rigueur varient beaucoup d’un endroit à l’autre. Tandis que dans le canton
de Vaud sur les 806 demandes posées entre janvier 2007 et décembre 2009 694 ont été approuvées,
dans le canton de Schwyz une seule demande sur les neuf déposées a été acceptée (CFM, 2010 :
50).
Si les sans-papiers séjournent de manière illégale dans notre pays, ils possèdent tout de même des
droits. Les droits fondamentaux ou les droits de l’Homme ne sont liés à aucun statut de résident, ils
sont universels. De ce fait, les sans-papiers, comme toute personne, ont le droit d’être soignés en cas
de maladie, les médecins et le personnel hospitalier étant soumis au secret professionnel. Ils ont
également le droit à une assurance maladie et accidents. La scolarité est obligatoire, c’est-à-dire que
les enfants sans permis de séjour doivent avoir accès à neuf ans d’école. Pour les enseignants, il
existe également le secret professionnel. Dans certains cantons, il est possible d’entrer dans une
école secondaire comme le lycée. Par contre, faire un apprentissage reste impossible à cause du
manque du permis de travail qui ne peut être obtenu sans autorisation de séjour. La question de
l’accès à une formation professionnelle et post-obligatoire constitue un débat actuel au parquet
politique. Dans son rapport de 2011, la CFM recommande fortement à la Confédération de
reconnaître un statut de séjour indépendant aux jeunes sans-papiers nés en Suisse ou qui ont
effectué au moins 5 années de scolarité obligatoire dans notre pays, pour leur permettre de faire un
apprentissage (CFM, 2011 : 14).

Toute personne vivant en Suisse a droit aux assurances sociales. En effet, les sans-papiers travaillant
illégalement doivent tout de même être déclarés pour avoir l’assurance AVS et AI. Ils toucheront ainsi
une petite pension, même s’ils rentrent dans leur pays d’origine. Les assurances sociales n’ont pas le
droit de dénoncer les sans-papiers à la police des étrangers (UNIA, 2007). Les sans-papiers
employés d’une manière déclarée sont obligés de payer des impôts. En contradiction à cela, ils n’ont
pas droit aux allocations chômage sans autorisation de séjour s’ils perdent leur travail, même s’ils ont
contribué auparavant.
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       1.2. La situation à Lausanne

La Municipalité de Lausanne a constitué en 2001 un groupe de travail pour étudier le phénomène de
l’immigration irrégulière sur le territoire communal avec comme buts principaux de connaître l’ampleur
du phénomène, de déterminer les profils et provenances des immigrants et de décrire leurs conditions
de vie. D’après le rapport final de ce mandat apparu en 2003, entre 4’000 et 6'000 sans-papiers vivent
à Lausanne (Valli, 2003 : 29). Selon une étude présentée par le Bureau international du travail (BIT),

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le nombre de sans-papiers est généralement de 10 à 15% de la population étrangère résidente.
Comme la population immigrée à Lausanne compte environ 45'000 personnes, le nombre de sans-
papiers serait entre 4'500 et 6'750 personnes.
Généralement, ce sont des personnes d’une trentaine d’années qui travaillent pour un salaire de
1'300 à 1'500.- frs par mois. Les secteurs économiques les plus concernés sont l’aide au foyer
(nettoyage, travaux ménagers et garde d’enfants), la restauration, l’hôtellerie et le bâtiment. Ces
chiffres sont confirmés par les résultats de l’enquête GFS sur mandat de l’ODM (CFM, 2010 : 25),
selon laquelle le nombre dans l’agglomération lausannoise s’élève à 6’000-8'000 personnes sans
autorisation de séjour, l’origine du groupe le plus important étant l’Amérique latine. Selon cette
enquête, la moitié, voire plus, sont des femmes ayant des enfants en Suisse ou dans le pays
d’origine.

Les groupes présents

De par les situations et parcours individuels, il est difficile de tracer des profils précis. En effet, l’étude
de Valli montre les caractéristiques des principaux groupes de sans-papiers qui habitent à Lausanne.
Le groupe le plus important, environ la moitié des sans-papiers présents, est constitué par les Latino-
Américains, principalement des familles montrant une proportion élevée de femmes. La plus grande
communauté est formée par les Équatoriens (environ 2'000 à 3'000 personnes), d’autres nationalités
présentes sont le Brésil et la Colombie ou encore la Bolivie, le Chili et le Pérou. Cette migration est
relativement récente, caractérisée par le regroupement familial. La plupart des Latino-Américains qui
arrivent ici ont une bonne formation scolaire et leur participation sociale est élevée.
Un deuxième groupe, très hétérogène, est constitué par les déboutés de la procédure d’asile. Ce sont
les personnes dont la demande d’asile a été rejetée et qui, par la suite, disparaissent sans laisser
d’adresse. Leurs origines sont diverses : Europe de l’Est, Asie centrale, Afrique, Amérique du Sud ou
Sri Lanka. Pour la plupart, ce sont des célibataires montrant une grande mobilité.
Les jeunes Maghrébins forment le troisième groupe, composé d’hommes seuls, pour la plupart très
jeunes (17-30 ans) et souvent très marginalisés.
Finalement, le groupe des anciens clandestins européens, notamment des ex-saisonniers, est
relativement important mais peu visible. Souvent, ces personnes habitent depuis 10 ou 20 ans en
Suisse, sont assez bien intégrés, ont un travail stable et se confondent avec les immigrés réguliers de
la même nationalité. Les nationalités présentes dans ce groupe sont surtout le Portugal, les pays de
l’Ex-Yougoslavie et, en moindre mesure, l’Espagne.
Le reste des sans-papiers fait partie des groupes minoritaires suivants : les nouveaux saisonniers de
l’Est comme les saisonniers dans l’agriculture ou l’hôtellerie et les musiciens de rue, les Asiatiques
(groupe très discret) et les réseaux mafieux et de prostituées parmi lesquelles les Camerounaises et
les Brésiliennes sont sensiblement représentées.
Toutefois, cette catégorisation n’est pas exhaustive et montre seulement certaines tendances. Ce qui
est similaire pour tous les migrants en situation irrégulière est l’extrême précarité de leur situation de
vie et leur grande vulnérabilité. Une bonne partie d’entre eux migre pour des facteurs économiques.

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Prise de conscience

Même si la problématique des sans-papiers n’est pas nouvelle, elle n’est devenue sujet public qu’en
2001, à travers des actions militantes qui rendaient les sans-papiers visibles : À Lausanne, l’église de
Bellevaux a été occupée d’avril à août 2001 par le collectif des sans-papiers nommé à l’époque « En
quatre ans on prend racine ». Les personnes concernées étaient des Kosovares, des saisonniers
ayant perdu leur permis de séjour suite à un changement de la loi sur les saisonniers. C’était le
moment de donner libre cours aux sentiments de déception face à l’impuissance et l’élément
déclencheur de la prise de conscience de la question des sans-papiers (Bourquin, 2003). Les
autorités ont dû admettre que les sans-papiers existaient et un dialogue s’est mis en route.
La revendication des militant-e-s était la régularisation de tous les sans-papiers en Suisse. Au mois de
novembre de la même année, le Conseil national a débattu la question. Il refusait la régularisation et
mettait en place le système d’obtention de permis pour « cas de rigueur ».
Depuis, la lutte et les efforts pour la régularisation des sans-papiers ont continué. Divers associations
et collectifs de soutien et de défense des droits des sans-papiers ont été créés comme le Collectif des
sans-papiers de Lausanne et celui de la Côte pour le canton de Vaud. D’autres institutions sociales
auprès desquelles les sans-papiers de Lausanne peuvent s’adresser sont l’Armée de Salut, le Point
d’Eau (un espace d’hygiène et de soins), le Passage, les Cartons du cœur (distribution de nourriture)
et la Fraternité du Centre Social Protestant, pour donner quelques exemples.
Des manifestations, organisée par des associations de soutien, des sans-papiers eux-mêmes et des
militant-e-s suisses ainsi que des campagnes de sensibilisation et des pétitions se font régulièrement.
À Lausanne, la dernière manifestation s’est déroulée en février de cette année et un stand
d’information pour la population est tenu un samedi par mois par des membres du Collectif des sans-
papiers de Lausanne à la Riponne ou à St. François. Durant le mois de juin 2012, la « Marche
européenne des sans-papiers et migrant-e-s » sera organisée. Des sans-papiers, migrant-e-s et des
associations de plusieurs pays européens, entre autre la France, l’Allemagne, l’Italie et la Suisse, se
sont mis ensemble pour thématiser la problématique à l’échelle européenne, au-delà des frontières
nationales.
En comparaison avec d’autres villes suisses, les autorités de Lausanne sont plutôt favorables aux
sans-papiers. La municipalité de Lausanne, par exemple, veut créer des places d’apprentissage dans
son administration pour les jeunes sans-papiers (Ville de Lausanne, 2010).

    1.3. Question de recherche

    L'identité est une structure fondamentale de l'humain. Il s'agit d'une construction sociale de
    dimension individuelle et collective ayant un caractère pluriel. De plus, l'identité peut
    fonctionner comme moyen de légitimer un groupe dans un espace, et s'avère être un outil
    politique où la composante spatiale apparaît en tant qu'élément clé (Di Méo, 2004).

Pour mon Travail Personnel de Recherche je m'intéresse aux sans-papiers de Lausanne, plus
précisément à leur identité et la construction de celle-ci. D'après Guérin-Pace, dans le contexte de la

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globalisation et la mobilité internationale, de plus en plus d'identités fragmentées ou recomposées
sont observables, formées par la multi-appartenance à laquelle l'individu donne sens. La dimension
géographique de l'identité correspond à « l'ensemble du parcours géographique et le sens donné aux
lieux, passés ou présents, vécus, pratiqués ou même imaginaires, qui constituent un élément
essentiel de compréhension des appartenances et des comportements individuels » (Guérin-Pace,
2006 : 300). Ma question de départ est la suivante :
Comment les sans-papiers à Lausanne vivent-ils, s'identifient-ils, s'approprient-ils et s'enracinent-ils
dans un territoire qui n'est pas le leur et où, officiellement, ils n'ont pas le droit de rester ? Comment
expliquer la construction de l'identité des sans-papiers? Comment expliquer le processus
d'identification au territoire? Comment construisent-ils leur(s) identité(s) géographique(s) ?
Un facteur important pour la réussite du projet migratoire est le réseau social de l’immigré qui l’aide
lors de son installation et représente l’une des stratégies de survie. Comment se constitue donc ce
« capital social » des sans-papiers à Lausanne ? Et quel est son rôle dans le processus
d’identification territoriale ?

Comme énoncé dans le chapitre précédent, les familles migrantes d'Amérique latine constituent le
plus grand groupe de migrants en situation irrégulière à Lausanne. De par la situation délicate des
personnes en question et les données et connaissances imprécises disponibles, je vais limiter mon
étude à ce groupe. Souvent, il s'agit de familles migrantes avec une proportion élevée de femmes qui
assument la subsistance de la famille restée dans le pays d'origine ou qui soutiennent les nouveaux
arrivés. La solidarité communautaire est importante et ces personnes disposent de fortes capacités
d'intégration. De plus, leur participation sociale est élevée (Valli, 2003 : 17-18). Il est donc intéressant
de s'interroger sur l'identité de ces personnes, d'une part du point de vue de la communauté et son
identité collective, et d'autre part du point de vue spatial. Selon James Martin (2003 : 98) la dimension
spatiale est un élément clé dans la formation des identités, c'est ce qu'il appelle « spatiality ».
Comment ces migrants sans permis de séjour s'identifient au territoire de Lausanne? Quelle place la
dimension spatiale occupe-t-elle dans la construction identitaire des sans-papiers ?

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2. Problématique

    2.1. Revue de la littérature

Ce chapitre est dédié à la présentation et à la comparaison des différentes théories en lien avec mon
Travail Personnel de Recherche. L’étude de l’identité des sans-papiers à Lausanne touche des
champs théoriques appartenant aussi bien à la géographie, à la sociologie ou encore à la
psychologie. Ces champs théoriques impliquent des thématiques aussi variées que l’identité
individuelle, collective et communautaire, la migration, l’exclusion et la domination, le territoire, les
composantes spatiales de l’identité ainsi que le sens du lieu, pour en citer quelques-unes. Afin de
pouvoir choisir les « lunettes théoriques » les plus adéquates, il s’agit d’examiner les apports des
différentes théories.

Une des principales approches traitant de l’identité est celle produite par les sociologues et les
psychologues. Dans la société d'accueil, les sans-papiers forment un groupe social spécifique. Suite
au changement des cadres de référence, la situation précaire dans le pays d’immigration, la
valorisation couramment négative et autres difficultés, les immigrés font face à de nouvelles
interrogations sur leur identité, jusqu'à devoir en reconstruire une nouvelle parfois. Les sans-papiers
représentent un groupe marginal mal vu, non reconnu ou même oublié par notre société, caractérisés
par un sentiment de leur impuissance sociale, « [...] dans la mesure où ils ont une conscience confuse
des rapports sociaux qui définissent leur place dans la société. » (Taboada-Leonetti, 1981 : 153) Les
sociologues proposent qu’il y ait une interaction dialectique entre les identités (individuelles et
collectives) et que cette interaction contienne une part de la dynamique des mouvements sociaux : «
[...] [les] minorités dominées [ont] peu de chances de revaloriser [leur] identité personnelle si l’identité
collective ne l’est pas. [...] [Cette] identité collective devient réalité dans le jeu de l’engagement et de
l’action. » (Taboada-Leonetti, 1981 : 161)
Les géographes proposent une approche différente de l’identité. Pour eux, c’est un récit « [...] dont la
fonction est de rendre normal, logique, nécessaire, inévitable le sentiment d’appartenir, avec une forte
intensité, à un groupe.» (Martin, 1994 : 23) Selon Martin, l’identité est basée sur un choix de l’individu
en tant qu’acteur. Elle est attachée à une pluralité de groupes définis par la situation dans laquelle
chaque personne se trouve et les événements qui succèdent dans le temps. Pourtant, le choix
d’identités est restreint dans le cas des sans-papiers : leur présence clandestine les oblige à vivre
d’une manière prudente voire cachée. De plus, le niveau socio-économique précaire et un degré de
formation souvent insuffisant limitent également le nombre de choix d’identités possible. De ce fait, la
question de comment l’individu s’inscrit dans un collectif, d’une part, et comment ce passage induit un
rapport à l’espace, d’autre part (Gervais-Lambony, 2004 : 478), est particulièrement intéressante.
Une autre approche théorique à prendre en compte dans l’étude de l’identité des sans-papiers en tant
que minorité marginalisée est celle de Pierre Bourdieu. En faisant référence aux relations de pouvoir
entre les groupes, Bourdieu a élaboré une théorie autour des capitaux (social, culturel et spatial) où
c’est la solidarité qui rend possible de tirer des profits de l’appartenance à un groupe, et l’échange
entre les individus du groupe représente la reconnaissance mutuelle. De par leur situation délicate

!                                                                                                        10
autant du point de vue institutionnel (sans permis de séjour) que socio-économique, les sans-papiers
constituent un groupe défavorisé dans notre société, disposant d’un capital total réduit. Tandis qu’ils
possèdent un niveau de capital économique et de capital culturel bas, leur capital social est
potentiellement élevé : d’après Valli (Valli, 2003 : 20-21) la solidarité familiale et communautaire entre
les personnes illégalement résidentes à Lausanne ainsi que leur réseau social sont très étendus,
notamment parmi les familles migrantes d’Amérique latine qui constituent avec 2"000 à 3"000
personnes le plus grand groupe (environ 50%) des migrants irréguliers séjournant à Lausanne. Cette
solidarité, coopération et confiance communautaire garantissent la subsistance des nouveaux arrivés,
augmentent les capacités d’intégration et facilitent l’obtention d’un travail. De plus, la participation
sociale est amplifiée à travers la scolarisation des enfants, l’organisation de cours de français pour les
adultes et d’espagnol pour les enfants, des initiatives culturelles et autres. Souvent, ce sont les
familles déjà installées en Suisse qui fournissent les moyens financiers pour le voyage de nouveaux
migrants et subviennent à leurs besoins pendant les premiers temps, la famille ou les amis logeant et
nourrissant les nouveaux arrivés pour ainsi réduire les coûts et risques. Cela est confirmé par
Espinosa et Douglas, deux sociologues américains : « The steady accumulation of social capital
through the expansion of networks alters the distribution of costs, benefits, risks, and rewards within
the migrant!s social environment, thereby transforming the context within which future migration
decisions are made, creating feedback loop that is particularly powerful in the case of undocumented
migration. » (Espinosa, 1997 : 143) De plus, le réseau social diminue le stress et les coûts psychiques
de la personne migrante.
Finalement, l’approche proposée par les partisans de la géographie humaniste est également à
considérer. Ils étudient le sens attribué au lieu par ses habitants, les significations émotionnelles,
affectives et sociales ainsi que le rôle de l’espace dans la construction de l’identité. Cela mène à la
question de comment les sans-papiers perçoivent leur lieu d’habitation et de quel sens et quelle
importance ils apportent à celui-ci. Dans cette approche, les territoires et lieux sont porteurs de sens
et il s’agit alors de comprendre comment les individus vivent, s’identifient, s’approprient et s’enracinent
dans un territoire à travers les structures imaginaires (rêves, symboles, images) de l’être humain (Da
Cunha, 2006 : 191). Quel est l’espace vécu des sans-papiers à Lausanne ? Est-ce que les personnes
qui séjournent illégalement à Lausanne construisent-ils une identité territoriale (positive), voire une
fierté d’appartenance, ainsi que un attachement au lieu de séjour ? Et comment l’expliquer ? Telles
sont des questions à poser dans le cadre de la géographie humaniste.

L’approche théorique sur laquelle je vais me baser principalement pour l’étude des constructions
identitaires des sans-papiers à Lausanne est celle du capital social ainsi que l’étude de leurs relations
au territoire : l’espace vécu, l’attachement au lieu de séjour et au pays d’origine et la dimension
symbolique du territoire dans le contexte de la marginalisation, de l’exclusion et de la domination. Je
m’intéresse spécialement à la focalisation sur ces deux approches car elles me permettront d’inclure à
la fois la thématique de la construction des représentations et des identités, de leurs composantes
spatiales et de leur réseau social et communautaire comme capital social. Ou comme le dit Claval :
« Peut-il y avoir des identités sans référent spatial ? [...] Non, tout d’abord : les groupes éclatés

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souffrent à tel point de ne pas disposer de référents spatiaux qui garantissent leur existence qu’ils se
le créent dans l’imaginaire. » (Claval, 1995 : 102)

    2.2. Concepts et hypothèse de travail

La partie suivante contient la présentation des concepts-clés ainsi que de l’hypothèse de ma
recherche. La plupart des concepts ont déjà été mentionnés dans le chapitre précédent, il s’agit
maintenant de définir leurs dimensions, leurs indicateurs ainsi que les relations qui les réunissent.
Enfin, l’hypothèse sera posée.

Plusieurs concepts interviennent dans la question de recherche, à savoir comment les migrants sans
permis de séjour s’identifient à Lausanne, comment expliquer la construction de leur identité et quel
est leur espace vécu ? Construisent-ils une identité territoriale (positive), une fierté d’appartenance,
voire un attachement à leur lieu de séjour ?
Comme énoncé plus haut, l’approche théorique de base sera celle du capital social ainsi que la
géographie humaniste avec l’étude des relations au territoire. En effet, les concepts-clés à identifier
sont les différentes formes de l’identité (individuelle, collective, communautaire, nationale et
territoriale), les capitaux social, spatial et culturel, l’espace, le territoire, la territorialité, « spatiality »
aussi bien que l’espace vécu, le sens du lieu et « l’identité de localité ».
!

Carte conceptuelle

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Les concepts identitaires

En sociologie et psychologie, il est possible de définir l'identité comme « une réalité subjective par
laquelle l’individu se définit dans ses rapports à la société dans ce qu’il y a à ses yeux unique : son
identité personnelle – et ce par quoi il se sent similaire aux autres : son identité sociale, l’une
répondant au besoin de différenciation, l’autre au besoin de similitude et d’appartenance catégorielle.»
(Taboada-Leonetti, 1981 : 138) L’identité inclue donc le double-aspect du « Je » et du « Moi », l’image
de soi et de ses rapports avec le groupe social. Tandis que l’identité individuelle est considérée
comme l’image de soi d’un individu, l’identité collective est l’image de soi d’un groupe ou d’un acteur
social collectif.
Pour les géographes, l’identité résulte d’un construit social qui prend la forme d’un discours dans
lequel se manifeste à la fois l’histoire, l’espace et la culture. L’identité est ainsi multiple, parfois
contradictoire, fracturée et varie dans le temps (Martin, 1994 : 23). La construction de l’identité a lieu
en partie dans l’imaginaire de l’individu et, de ce fait, est fortement liée aux symboles qu’il attribue à
son environnement et ses expériences. Selon Ernesto Laclau (Martin, 2005 : 100), l’identité est
disloquée, c’est-à-dire vécue comme partiellement incomplète, dans le sens qu’elle se constitue à
travers la différenciation de « l’autre » en devenant dépendante de cet « autre ». « Dislocation does
not automatically involve crisis or total instability, yet in certain contexts – of great social and economic
disruption, for example – challenges to personal and collective identity can multiply dislocations to the
degree that a reassertion of a full identity becomes imperative. » En effet, il s’agit d’inclure les quatre
dimensions de l’identité qui sont le temps, le choix, l’espace et le politique. La dimension du temps
s’impose du fait que l’identité est évoluant et instable, comme évoqué plus haut. Avec le temps,
l’identité d’une personne immigrée va changer : plus longtemps elle habite le nouvel endroit, plus elle
va connaître le lieu et construire un nouveau réseau social. C’est pour cela qu’avec le temps son
identité va se focaliser sur Lausanne, un nouvel espace. Quant au choix, il est entendu que la plupart
du temps l’individu est libre de choisir à qui et quoi il veut s’identifier, avec certaines limites
évidemment. Dans le cas des sans-papiers, cette marge de décision active est restreinte. D’un côté
ces personnes, en tant que clandestins, ne peuvent pas circuler librement et sont perpétuellement
confrontées à des circonstances précaires. De l’autre côté elles se trouvent dans une situation difficile
notamment face à la langue étrangère du pays d’arrivée et à leurs soucis et problèmes qui les ont
poussé à quitter leur pays. Finalement, la dimension politique comprend les règes et le cadre défini
par la société et les politiciens.

La notion d'identité regroupe plusieurs dimensions comme l’identité individuelle (ou personnelle),
l’identité collective (ou sociale), l’identité nationale, l’identité communautaire, ou encore l’identité
territoriale. Tandis que l’identité individuelle comprend ce qui est unique pour chaque individu, l’image
de soi et le besoin de différenciation, l’identité collective inclut le besoin de similitude et
d’appartenance catégorielle ainsi que l’image de soi d’un groupe ou d’un acteur collectif. En effet,
c’est le rapport que chaque individu entretient avec le groupe social. L’identité de groupe social peut
être considérée autant comme « un modèle proposé – et même imposé – aux individus qui constituent

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ce groupe, que le résultat d’une production sociale dont les individus sont les acteurs. » (Taboada-
Leonetti, 1981 : 138)
L’identité n’est pas un concept mesurable de manière quantitative, il s’agit plutôt de déterminer des
indicateurs pour pouvoir la décrire qualitativement. Concernant l’identité individuelle, il est question de
déceler l’image de soi et les rapports avec le groupe social la personne en question possède. Qu’est-
ce qui différencie cette personne des personnes de son entourage? Par contre, un indicateur pour
l’identité collective est leur appartenance catégorielle, c’est-à-dire les sentiments d’appartenance à un
groupe et le besoin de similitude. À qui l’individu s’identifie-t-il ? Fréquente-t-il des associations ou
collectivités de soutien et d’entraide ? Quelles valeurs attribue-t-il l'environnement qui l'entoure ? Il est
fondamental de poser ces questions aux sans-papiers se retrouvant face à un changement complet
des cadres de référence et à une situation difficile, voire précaire et marginalisée.
L’identité nationale et l’identité communautaire rassemblent les références rattachées à une
communauté historique, constituant l’élément de départ pour la reconstruction de l’identité après le
changement de contexte. C’est le cas pour les personnes sans permis de séjour et les migrants en
général. L’identification avec les personnes de la même nationalité ou avec leur communauté va
consolider leur sentiment d’enracinement. Quant à l’identité nationale, il s’agit de l’identification avec
son pays d’origine, avec ses compatriotes et donc avec les autres immigrés de même origine. Les
indicateurs peuvent être par exemple la fréquentation de fêtes nationales avec ses compatriotes, la
lecture ou non de journaux de son pays d’origine ou l’importance attribuée au pays de provenance et
aux symboles nationaux tels que le drapeau ou la musique. L’identité communautaire comprend une
communauté plus ou moins étendue qui n’est pas liée à une nationalité : la communauté des
immigrants latino-américains ou la communauté des sans-papiers, par exemple. Pour « mesurer »
l’identité communautaire, il faudrait examiner la fréquentation et la participation d’événements et de
réunions de la communauté, voir si la personne s’implique dans l’organisation d’activités pour la
communauté, etc. Dans les deux cas, plus l’effort d’intégration aux pays de séjour est grand, moins
l’identité nationale ou communautaire est importante. Néanmoins, cette dernière peut aider à
l’intégration à travers l’organisation de cours de langue, d’entraide, etc.
Ce dernier concept nous renvoie à celui de l’identité territoriale : le sentiment d’attachement à un
espace particulier. Selon Yves Guermond (2008), la construction de l’identité territoriale dépend de
l’efficacité des représentations symboliques telles que le paysage, l’histoire et le patrimoine qui sont
mobilisées pour la développer. Étant donné que les immigrés partagent à la base d’autres
représentations symboliques (celles de leur culture d’origine), il est intéressant de voir s’ils
développent le sentiment identitaire face au nouveau territoire et, dans le cas échéant, comment cela
se produit. Parmi les indicateurs, il y a les connaissances de la ville de Lausanne, de son quartier, des
rues et monuments ainsi que les valeurs attribuées au paysage urbain.

Les concepts des capitaux

Un autre groupe de concepts est celui des capitaux. Les différents capitaux sont : le capital social, le
capital culturel et le capital spatial. Pour Pierre Bourdieu, le capital social « est l’ensemble des
ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations

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plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance ; ou, en d’autres
termes, à l’appartenance à un groupe, comme ensemble d’agents [!] qui sont aussi unis par des
liaisons permanentes et utiles. » (Bourdieu, 1980 : 2) En d’autres termes, c’est le réseau social dont
chaque personne dispose, caractérisé par la solidarité familiale et communautaire, par l’appartenance
à un groupe et l’échange qui se fait entre les personnes. Le capital social possède une dimension
quantitative et une dimension qualitative. Le quantitatif contient le nombre de liens avec d’autres
immigrants, avec des Suisses et avec des associations et collectivités de soutien et d’entraide. Pour
mesurer le capital social de manière qualitative, il faut examiner la force de la relation avec les
personnes ayant de l’expérience de migration et le niveau d’attachement au lieu. Les indicateurs sont
donc la forme des relations que le sans-papiers entretien avec les personnes de son réseau social
(amis, collègues, connaissances vagues ou fonctionnelles) et la fréquence des rencontres.
Concernant le niveau d’attachement, il s’agit d’observer l’intensité du vœu d’y rester ou alors de partir
et le niveau des connaissances du lieu.
Le capital culturel est l’ensemble des possessions d’objets culturels tels que des livres, des tableaux,
des instruments, etc., mais également des titres scolaires, des brevets et son niveau de formation. Par
conséquent, le capital culturel contient une dimension matérielle et une dimension immatérielle. Pour
la dimension matérielle les indicateurs sont le nombre de livres, de tableaux, d’instruments, de
musique etc. que la personne possède, pour la dimension immatérielle ce sont le nombre de titres
scolaires, de brevets et le niveau de formation.
Le concept de capital spatial comprend l’ensemble des ressources spatiales matérielles telles que
l’habitat et les mobilités, immatérielles (les télécommunications) et idéelles, comme le stock de
compétences, d’appétences et d’imaginaires spatiaux, que l’individu doit mobiliser dans sa vie
quotidienne pour accéder aux autres capitaux (Cailly, 2007). À travers l’action et les choix, il peut
valoriser, échanger ou cumuler les différentes ressources (par exemple se déplacer, choisir son lieu
de résidence, etc.) pour atteindre des profits non spatiaux. Ainsi, le capital spatial constitue un
ensemble de valeurs accumulées et mobilisées pour produire d’autres valeurs. La richesse d’une
personne en capital spatial ne dépend pas de sa richesse en d’autres capitaux (social, culturel,
économique). Selon Cailly, « [l’] expérience géographique des individus comporte aussi ses logiques
propres. » De ce fait, il s’agit de l’étudier à l’aide des indicateurs suivants pour comprendre la
dimension spatiale de l’identité (individuelle) : pour la dimension matérielle ceux-ci sont les moyens de
transport, le rayon des déplacements, leur nombre et fréquence, la forme d’habitat (appartement,
chambre, maison individuelle) et le nombre de colocataires. Pour la dimension immatérielle ce sont le
portable, le téléphone et l’accès à internet et pour la dimension idéelle les connaissances et
l’imagination de l’espace. Cette dernière peut être décrite avec le concept de « spatiality » (Martin,
2005 : 98) : la spatialité est une dimension-clé dans la formation des identités car elles sont
construites en relation avec des lieux spécifiques (autant territoriaux que sociaux). Pour la
construction des identités collectives, les expériences communes faites dans une localité renforcent le
sentiment d’appartenance. Cette localité peut également servir comme « position » de rencontre et de
résistance.

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