Contexte international et national de la gestion des espèces exotiques envahissantes - Oncfs
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Introduction Contexte international et national de la gestion des espèces exotiques envahissantes Yohann Soubeyran1, Nicolas Poulet2, François Delaquaize3 1 Comité français de l’UICN. 2 Agence française pour la biodiversité. 3 Ministère de la Transition écologique et solidaire, Direction de l’eau et de la biodiversité. © C. Cottaz/ONCFS Contacts : yohann.soubeyran@uicn.fr ; nicolas.poulet@afbiodiversite.fr ; francois.delaquaize@developpement-durable.gouv.fr La tortue de Floride, qui s’est répandue en Europe suite à des relâchers dans la nature par des particuliers, constitue une menace pour la cistude d’Europe. Les espèces exotiques envahissantes constituent l’une des principales pressions actuelles pesant sur la biodiversité mondiale, au même titre que la destruction des habitats naturels, la surexploitation des ressources ou le changement climatique. Ces espèces introduites par l’homme, volontairement ou accidentellement, lorsqu’elles se révèlent envahissantes – car toutes les espèces exotiques ne le sont pas –, sont à l’origine d’impacts multiples affectant les espèces indigènes, les habitats naturels et les services rendus par les écosystèmes, mais également les activités économiques et la santé humaine. Des politiques internationales et nationales sont développées et mises en œuvre pour faire face à l’ampleur des problèmes dus aux espèces invasives. De la Convention sur la diversité grands thèmes sectoriels dès 1992 (article États signataires, dont les États membres biologique à la stratégie 8h de la Convention). En 2000, l’Union de l’Union européenne (UE), se sont nationale relative aux espèces internationale pour la conservation de la engagés à atteindre d’ici 2020. exotiques envahissantes nature (UICN) publiait les premières lignes « D’ici à 2020, les espèces exotiques directrices pour prévenir la perte de bio- envahissantes et les voies d’introduction Du fait de l’importance de la question diversité à cause des EEE. Plus récemment, sont identifiées et classées en ordre de des espèces exotiques envahissantes (ou un objectif spécifique, l’objectif 9 d’Aichi, priorité, les espèces prioritaires sont EEE), la Convention sur la diversité biolo- lui est dédié dans le plan stratégique 2011- contrôlées ou éradiquées et des mesures gique (CDB) a inscrit ce sujet parmi ses 2020 adopté par la Convention que les sont en place pour gérer les voies de 4 Introduction
N° 321 ❙ 4e trimestre 2018 pénétration, afin d’empêcher l’introduction et l’établissement de ces espèces. » En Europe, la convention de Berne a fourni un premier cadre pour formuler des recommandations pour la prévention et la gestion de ces espèces et a fait émerger la première stratégie européenne sur ce sujet en 2003. Reprenant ces recomman- dations, l’UE a publié cinq ans plus tard une communication intitulée « Vers une stratégie européenne relative aux EEE » et a repris en 2011 l’objectif 9 d’Aichi dans sa « stratégie pour la biodiversité ». L’UE a aussi intégré progressivement certains aspects de la problématique dans diffé- rents cadres législatifs, comme ceux relatifs à la santé des végétaux et aux maladies des animaux, au commerce des espèces sauvages (CITES) ou à l’utilisation La stratégie d’espèces exotiques pour l’aquaculture. nationale Mais ce n’est réellement qu’à partir de relative aux EEE 2014 que la problématique des espèces a été publiée en invasives due à l’action de l’homme est mars 2017. Pour prise à bras-le-corps par l’UE, avec la structurer la lutte, elle propose un publication d’un nouveau règlement cadre organisé en © MEEM relatif à la prévention et à la gestion de 5 axes, 12 objectifs leur introduction et de leur propagation. et 38 actions. Ce règlement s’articule autour d’une liste des EEE préoccupantes pour l’Union euro- péenne (49 espèces à ce jour1) dont l’im- la coopération et l’information entre les nationale de lutte contre les organismes portation, la vente, l’achat, le transport, États membres. De nouveaux processus nuisibles). La stratégie propose un cadre l’utilisation et la libération dans l’environ- vont également s’imposer, comme la d’action national pour structurer l’action nement sont interdits, et pour lesquelles consultation obligatoire du public sur les collective sur ces enjeux. Organisée en des mesures de maîtrise sont également plans d’action et les mesures de gestion. cinq axes thématiques et douze objectifs, © C. Cottaz/ONCFS obligatoires. Il s’agit du premier texte La publication du règlement a ainsi été elle identifie 38 actions concernant la réglementaire européen spécifiquement l’occasion de repenser et de bâtir une prévention, l’établissement d’un système dédié à cette problématique. Il permet de réelle stratégie nationale sur cette thé- national de surveillance, la maîtrise des répondre aux engagements interna- matique, mobilisant tous les acteurs espèces déjà établies, la restauration éco- tionaux de l’Union et vient combler un impliqués ou concernés. logique, la réglementation, le dévelop- vide législatif européen en proposant une La stratégie nationale relative aux EEE pement des connaissances, la formation gestion harmonisée à l’échelle de l’UE. a été publiée en mars 20172. Son élabo- et la sensibilisation de toutes les parties L’adoption d’un règlement plutôt que ration s’inscrit dans le cadre de la stratégie prenantes. d’une directive marque le caractère d’ur- nationale pour la biodiversité 2011-2020 gence à agir et confère à cette politique et fait suite aux premières assises natio- un aspect contraignant pour les États nales sur les espèces exotiques envahis- De la stratégie nationale membres. santes, organisées par l’UICN France et à la mise en œuvre des actions Ce nouveau règlement européen ses partenaires en septembre 2014. sur le terrain entraîne des responsabilités pour la France Coordonnée par le ministère de la et l’oblige à s’organiser, à rendre compte Transition écologique et solidaire, elle Il s’agit dorénavant de décliner la stra- des actions et à obtenir des résultats. Le s’appuie sur un comité de pilotage réu- tégie en un plan d’action opérationnel règlement interroge l’organisation des nissant différents organismes : les prin- avec des moyens humains et financiers acteurs et impose des actions à mener cipaux opérateurs du ministère (ONCFS, adéquats. Les premières actions en cours pour répondre efficacement aux enjeux AFB, MNHN, ONF, CEREMA), mais éga- concernent par exemple l’élaboration de des EEE. Des plans d’action relatifs aux lement des gestionnaires d’espaces pro- listes nationales d’espèces exotiques hié- voies d’introduction prioritaires et aux tégés (parcs naturels régionaux, rarchisées, l’organisation d’un réseau de espèces déjà largement répandues doivent Fédération des conservatoires d’espaces surveillance et d’un système d’infor- être mis en œuvre, ainsi que des systèmes naturels), des ONG (dont l’UICN France), mation, l’évaluation des voies et vecteurs de surveillance du territoire et de rap- les administrations et acteurs concernés d’introduction, l’élaboration des premiers portage. De nouvelles méthodes de travail par les problématiques d’impacts écono- plans nationaux de lutte, la création d’un doivent être adoptées, comme l’analyse miques et sanitaires (ministère de l’Agri- centre de ressources. Prévenir, surveiller coûts-bénéfices, l’évaluation des actions, culture et de l’Alimentation, ministère des (en amont au niveau des points d’intro- Solidarités et de la Santé, Fédération duction privilégiés, et en aval sur les ter- 1. Règlements d’exécution (UE) 2016/1141 et ritoires et chez les détenteurs de spé- 2017/1263 de la Commission adoptant une liste des cimens vivants), intervenir : voilà les trois espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour 2. http://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/ l’Union conformément au règlement (UE) no 1143/2014 default/files/17039_Strategie-nationale-especes- maîtres mots de la gestion des espèces du Parlement européen et du Conseil. exotiques-invahissantes.pdf exotiques envahissantes. Introduction 5
N° 321 ❙ 4e trimestre 2018 Des dynamiques territoriales ces réflexions et travaux développés dans néanmoins déterminante pour répondre à soutenir et sur lesquelles les régions et les départements, laisser aux objectifs de la stratégie (comme celui la stratégie nationale doit s’appuyer s’exprimer différentes approches, créer de la surveillance biologique du territoire) des synergies entre les partenaires déjà et aux exigences du règlement européen. Si la stratégie nationale offre un cadre mobilisés et ceux qui restent à mobiliser, Cette question se pose également à général de réflexion et d’harmonisation, pour faire converger l’action publique et l’échelon territorial en termes d’articu- l’échelon territorial s’est parfois organisé les préoccupations de terrain. lation de la politique sur les EEE avec bien avant pour tenter de répondre aux d’autres politiques locales environnemen- problématiques locales rencontrées en Des difficultés de gestion auxquelles tales et d’aménagement comme la trame matière d’organisation, de coordination la stratégie doit faire face et proposer verte et bleue, les schémas régionaux de et de définition d’actions prioritaires. Des des solutions cohérence écologique, les schémas direc- stratégies territoriales accompagnées de teurs d’aménagement et de gestion des plans d’action sont ainsi mises en œuvre Les difficultés de gestion des EEE sur le eaux. en fonction des forces vives et des moyens terrain restent pour autant multiples et L'une des difficultés rencontrées par les disponibles, pouvant aller d’un dépar- ne se limitent pas aux seuls aspects tech- acteurs de terrain est que la concordance tement à un bassin versant complet, en niques des interventions à mettre en entre les stratégies, les plans d’action et passant par une région. Par exemple, la œuvre, avec l’évidente nécessité de favo- la mise en œuvre concrète d’interventions stratégie réunionnaise de lutte contre les riser des programmes de recherche et est loin d’être évidente. La maîtrise des EEE a été publiée en 2010. Différents développement sur l’acquisition de EEE s’inscrit dans un contexte donné et groupes de travail territoriaux ont été connaissances écologiques et d’outils de impose nécessairement des priorités à créés sur cette thématique avec des gestion. La politique nationale en matière définir ainsi que des choix stratégiques à modalités d’organisation et de fonction- d’EEE reste partagée entre trois ministères opérer sur les objectifs à atteindre et les nement diverses, mais un même objectif : principaux (écologie, agriculture, santé) modes d’intervention à mettre en place mieux partager l’information et coor- selon la nature des impacts causés par ces (Faut-il intervenir ? Quelles sont les donner les actions. La multiplication de espèces. Si des ponts existent entre ces chances de succès ? Où ? Qui ? Avec colloques sur le sujet, de synthèses, différents ministères, notamment entre quelles ressources ? Comment ?). d’offres de formation, de supports de sen- l’agriculture et l’écologie pour, par Finalement, la gestion reste une démarche sibilisation et une médiatisation accrue exemple, l’élaboration des arrêtés inter- d’apprentissage collective, qui s’appuie sur certaines espèces témoignent d’une ministériels définissant les espèces inter- nécessairement sur des connaissances à prise en compte croissante des espèces dites d’introduction dans l’environ- partager (dont certaines restent encore à invasives et de leurs impacts depuis une nement, de détention, de vente et de acquérir) sur la biologie et les techniques vingtaine d’années. La nouvelle stratégie transport, une meilleure articulation et de gestion des espèces et sur la circulation nationale relative aux EEE doit évi- mutualisation des moyens entre les diffé- des informations. Dans ce contexte, la demment s’appuyer sur cette dynamique, rents ministères et services de l’État sera création du futur centre de ressources sur les EEE constituera un outil précieux. Au-delà de la nécessaire priorisation des actions à mener (car on ne peut pas agir partout sur toutes les espèces) se pose évidemment la question du financement des actions. Les problèmes sont bien connus : l’absence de fonds pouvant être débloqués rapidement pour des actions immédiates ; des cadres de financement peu adaptés aux actions concrètes et/ou rapides (lourdeur administrative des demandes de subventions européennes, actions considérées comme non priori- taires par certains financeurs) ; la plupart du temps, les financements à court terme ne permettent pas de mener des actions de gestion jusqu’au bout, d’améliorer les protocoles, de dresser des bilans, de valo- riser et partager les résultats. L’absence de financement pérenne est une réelle difficulté. L’arrêt brutal du financement d’un programme de maîtrise peut réduire à néant les efforts entrepris depuis plu- sieurs années, et dans la pire des situations condamner à l’extinction à court terme des espèces dont la survie dépend de ces © E. Mazaubert programmes, particulièrement en outre-mer. Une autre difficulté concerne la com- L’herbe de la Pampa, prisée pour ses qualités ornementales, est une compétitrice des plantes natives munication sur le sujet, et au-delà l’accep- très adaptable et capable de proliférer rapidement dans la nature dans une large gamme de milieux tation sociale des actions de lutte. et de climats. L’implication du grand public est 6 Introduction
N° 321 ❙ 4e trimestre 2018 maladies ou espèces jugées menaçantes, comme le frelon asiatique. Les actions de lutte, qui consistent en des arrachages de plantes, piégeages et tirs d’animaux, peuvent être également mal perçues, surtout lorsqu’elles concernent les mam- mifères et les oiseaux. Enfin, les EEE et leur gestion font encore régulièrement l’objet de débats et de controverses dans des articles scientifiques mais également dans la presse, alimentés par une forme de « déni », alors qu’une abondante litté- rature scientifique et de nombreux exemples sur le terrain démontrent clai- rement les impacts négatifs de ces espèces. En conclusion La publication de la stratégie nationale relative aux EEE constitue une étape déterminante pour renforcer et structurer l’action collective en matière de pré- © E. Mazaubert vention, de sensibilisation, de surveillance, de maîtrise sur le long terme et d’amélio- ration des connaissances. Elle invite et La grenouille taureau, originaire d’Amérique du Nord, est l'une des plus grosses grenouilles encourage toutes les parties prenantes à au monde. Redoutable prédatrice de batraciens, amphibiens, poissons et même d'oiseaux, se mobiliser et crée un consensus sur la elle s’est répandue à l’état sauvage en divers endroits d’Europe où elle met en danger l’équilibre des écosystèmes aquatiques. nécessité d’agir, en plaçant la gestion des EEE au centre d’un véritable travail col- lectif, seul susceptible de répondre aux essentielle, par exemple pour éviter à des phénomènes extrêmes et fortement enjeux actuels et à venir des invasions travers les flux touristiques ou le e-com- médiatisés, l’impact de la plupart des EEE biologiques. merce des introductions volontaires ou reste peu visible en apparence et in fine Les articles de ce numéro spécial de involontaires d’espèces. Mais a contrario peu impactant pour la vie quotidienne des Faune sauvage sont une très belle illus- des évolutions climatiques marquées par populations, hormis certains vecteurs de tration des actions de prévention et de Le myriophylle du Brésil est originaire d’Amérique du Sud. Introduit pour sa beauté dans les aquariums et les bassins, à l’instar des jussies, il est devenu © A. Dutartre tout comme elles un envahisseur des zones humides naturelles. Introduction 7
N° 321 ❙ 4e trimestre 2018 gestion des EEE menées dans les terri- Si l’État n’est pas dans une posture d’inter- fait à travers l’observation des espaces et toires. En guise de conclusion, nous sou- diction de cette valorisation, qui d’ailleurs essentiellement de manière visuelle. Mais haitons proposer un focus sur deux sujets est autorisée par la réglementation euro- la qualité de la surveillance environne- qui nous semblent importants et de plus péenne sous réserve de conditions, il sou- mentale dépend avant tout de la diversité en plus d’actualité : le premier concerne haite néanmoins un encadrement dras- des approches utilisées et des acteurs les risques liés à la valorisation écono- tique des filières (tant en termes de mobilisés. De plus en plus d’expériences mique des EEE, le second le rôle des préconisations au niveau des procédés de montrent à cet égard l’intérêt d’arriver à sciences participatives et des nouvelles traitement des spécimens vivants que de mobiliser le grand public. Les programmes technologies de l’information et de la contrôles des installations) et une exi- de science participative connaissent un communication (NTIC) dans la surveil- gence de haute qualité, au même titre que succès croissant et s’appuient de plus en lance biologique du territoire. les industries utilisant des produits plus sur des outils connectés (smartphone, toxiques pour l’environnement, auxquels tablette, etc.). Ils visent à collecter un La valorisation économique des EEE on peut assimiler les EEE. grand nombre d’informations grâce à une comme outil de gestion : participation du public dans le cadre d’une des propositions émergentes Les sciences participatives et les NTIC démarche scientifique et pédagogique. De à encadrer fortement au service de la surveillance tels types de programmes offrent des opportunités importantes en matière de Face à l’extension des fronts de coloni- La mise en place de réseaux de surveil- mobilisation et de sensibilisation des sation, aux arrivées de nouvelles espèces, lance soulève de nombreuses questions citoyens, d’acquisition d’informations aux moyens de contrôle parfois limités des (Quels acteurs mobilisés ? Quels proto- complémentaires sur la distribution géo- populations d’EEE, la solution de greffer coles ? Quelles espèces surveillées ?). Le graphique des espèces et participent éga- une composante économique via une valo- signalement de nouvelles espèces sur un lement au renforcement des synergies risation est tentante. Cette valorisation territoire a longtemps été, et reste encore entre recherche, gestion et grand public. peut s’effectuer sous plusieurs formes : soit aujourd’hui, une affaire de naturalistes : L’Europe vient ainsi de déployer une appli- à travers une transformation des déchets les conservatoires botaniques, les agents cation pour smartphone permettant de issus de la gestion des EEE (compostage, de terrain de l’ONCFS, de l’AFB et de signaler les EEE réglementées au niveau bioénergie…), soit à travers une valori- l’ONF, mais également ceux des services de l’Union (http://digitalearthlab.jrc. sation spécifique sur des produits de niche de l’agriculture (les fédérations régionales ec.europa.eu/app/invasive-alien-species- (agroalimentaire, industrie textile, maté- de lutte et de défense contre les orga- europe). Des plateformes de signalement riaux, cosmétique, compléments alimen- nismes nuisibles par exemple), les gestion- en ligne sont également développées en taires, pharmacie, etc.). Des produits issus naires d’espaces protégés et les associa- métropole (voir par exemple : http://eee. d’EEE existent déjà sur le marché, comme tions de protection de la nature sont les mnhn.fr/signalement/) comme en outre- • le resvératrol présent dans la racine de premiers contributeurs en termes d’alertes mer (https://www.especesinvasives.re/ ; renouée du Japon (Fallopia japonica) et sur l’arrivée de ces dernières. Le travail se http://www.cen.nc/web/cen/signaler). ayant des propriétés anti-oxydantes, les écrevisses de Louisiane (Procambarus clarkii) et du Pacifique (Pacifastacus lenius- culus) ou la crépidule (Crepidula fornicata) pour la consommation, les peaux de visons d’Amérique (Neovison vison) d’élevage pour l’habillement. Un récent rapport met en garde sur les risques de la création de filières économiques à partir d’EEE, dont le premier écueil est de pérenniser une matière pre- mière dont le stock in fine doit tendre vers zéro au détriment des impacts environne- mentaux : risques de dispersion accrue et non contrôlée, risque de banalisation de ces espèces et d’abandon des actions de lutte, risque de modification du comportement des espèces et aggravement du phé- nomène d’invasion (« surcompensation écologique »), risque de perturbation des milieux du fait de techniques de prélè- vement non sélectives, etc. (encadré 1). © A. Rouxel/ONCFS N id de frelons asiatiques. Cette espèce de plus en plus nombreuse dans nos contrées contribue à la décimation des abeilles mellifères. 8 Introduction
N° 321 ❙ 4e trimestre 2018 Encadré 1 • Enjeux et risques de la valorisation socio-économique des EEE Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN, chargée de mission espèces exotiques envahissantes Contact : emmanuelle.sarat@uicn.fr Les EEE représentent des sources importantes de difficultés « gagnant-gagnant », sont rarement évalués et restent à pour les acteurs des territoires qui y sont confrontés : rythme démontrer. S’ils sont mis en œuvre sans précautions et sans d’introduction croissant, régulation constante et complexe à prendre en compte d’importantes considérations écolo- mettre en œuvre, dépenses publiques associées élevées. En giques, ces programmes peuvent s’avérer contre-productifs parallèle, lorsqu’elles sont établies en milieux naturels, ces et présenter de nombreux risques. La dépendance écono- espèces peuvent parfois être envisagées comme des res- mique qui résulte de la valorisation peut induire des effets sources commercialement exploitables : pêche, production « pervers », comme les introductions volontaires, souvent de bois, extraction de composés pour l’industrie pharmaceu- associées à la transmission de pathogènes, le maintien des tique, etc. populations à des seuils d’exploitation « durable », des Cette valorisation socio-économique apparaît de prime abord impacts sur les espèces indigènes ou encore l’intégration des comme une solution permettant de concilier les enjeux de EEE dans la culture locale, leur donnant une image faus- conservation de la biodiversité et le développement écono- sement positive. mique local. Mais qu’en est-il réellement ? Que nous disent L’étude montre que la valorisation socio-économique ne les retours d’expériences ? La promesse économique de cette constitue pas une solution miracle aux difficultés de régu- exploitation est-elle au rendez-vous ? Observe-t-on une lation des EEE. Pour minimiser les risques d’échec, elle doit régression des populations d’EEE ? Quelles sont les incidences s’intégrer dans une stratégie globale de gestion, laquelle doit de cette valorisation sur les milieux naturels ? s’appuyer sur des objectifs écologiques clairs. Malgré les Pour répondre à ces interrogations, le groupe de travail importants risques soulevés, des propositions de projets national « Invasions biologiques en milieux aquatiques », émergent et un cadre de réflexion est nécessaire pour fournir coordonné par l’UICN France et l’AFB, a réalisé une étude sur un appui technique aux structures amenées à donner des avis les enjeux et les risques de la valorisation socio-économique sur de tels projets. Ainsi, 25 questions assorties de 50 points des EEE établies dans les milieux naturels. Fondé sur une de vigilance sont proposées pour identifier de manière perti- importante revue de la bibliographie existante et sur une nente les enjeux et les risques des projets d’exploitation com- enquête internationale menée en collaboration avec l’Office merciale d’EEE avant leur mise en œuvre, afin de s’assurer de international de l’eau, ce travail a mobilisé plus de leur innocuité pour l’environnement. 60 contributeurs. Bien que des retombées économiques et sociales soient parfois possibles, l’analyse de 39 cas de valorisation recensés Source : UICN France. 2018. La valorisation socio-économique des espèces exotiques envahissantes établies en milieux naturels : un moyen de régulation adapté ? Première au plan international montre que les intérêts écologiques, analyse et identification de points de vigilance. France. 84 p. http://www.gt-ibma.eu/ proposés comme argument de cette démarche wp-content/uploads/2018/03/valorisation_socio_eco_eee_uicn_afb.pdf L’utilisation commerciale des écrevisses exotiques (ici, l’écrevisse du Pacifique) a accéléré de façon très importante leur dispersion géographique © N. Poulet/AFB et le nombre d’introductions dans les cours d’eau européens. Introduction 9
Vous pouvez aussi lire