Critique de The Purchasing Power Parity Puzzle, de K. Rogoff

 
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École des Hautes Études Commerciales de Montréal

6-252-81 GESTION DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX                 A 2003

     Critique de The Purchasing Power Parity Puzzle, de K. Rogoff

                              Travail présenté à
                            Monsieur Kodjovi Assoé

                                       Par
                               Caroline Lefebvre
                                Christian Mallet
                                Valentin Toma

                              15 septembre 2003
THE PURCHASING POWER PARITY PUZZLE, par Kenneth Rogoff

Dans un article de 1996, Kenneth Rogoff nous présente la parité des pouvoirs d’achat
(PPA) et tente de résoudre une des problématiques majeures qu’elle soulève. À partir de
cet article, nous tenterons tout d’abord d’illustrer la PPA et le casse-tête qu’elle engendre
(selon les termes de Rogoff). Ensuite, nous présenterons une synthèse de l’approche
méthodologique utilisée par l’auteur de même qu’une critique de celle-ci. Enfin, les
conclusions de cet article nous amènerons à nous questionner sur des sujets de recherche
potentiels en vue d’éclaircir d’autres problématiques liées à la parité des pouvoirs
d’achat.

La parité des pouvoirs d’achat et sa problématique

Tout d’abord, afin de bien illustrer la problématique de la PPA dont nous parle Rogoff, il
importe de faire un bref retour en arrière sur son origine et son fonctionnement. Suite à
l’abandon de l’étalon d’or comme standard après la première guerre mondiale, les pays se
sont retrouvés face à un problème de taille : sur quelles bases devaient-ils réajuster les
taux de change en créant le moins de perturbations possibles au niveau des prix. Il était
impossible de retourner aux taux d’avant-guerre, les taux d’inflation ayant variés de
façon disproportionnée durant celle-ci. À cette époque, l’économiste suédois Gustav
Cassel promut alors l’utilisation de la PPA afin de fixer la parité par rapport à l’or, en
compilant les taux d’inflation depuis 1914 et en se servant de ces différentiels pour
calculer quel devrait être le taux de change requis pour maintenir la parité dans les
pouvoirs d’achat.

Comment la parité des pouvoirs d’achat se mesure-t-elle ? Premièrement, la pierre
angulaire de la PPA est ce qu’on appelle la « loi du prix unique ». Celle-ci implique
qu’une fois convertis dans une même devise, tous les prix devraient être égaux, éliminant
ainsi toute possibilité d’arbitrage. Si un même bien se vend plus cher dans un certain
pays, il y aurait possibilité de faire un gain en achetant le bien dans le pays qui le vend
moins cher, puis en le revendant dans le pays où il est plus dispendieux.

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Partant de ce principe, la parité des pouvoirs d’achat absolue affirme que le taux de
change au comptant est déterminé par les prix relatifs de paniers de biens similaires entre
deux pays. Notons avant tout que la théorie de la parité des pouvoirs d’achat s’appuie sur
quelques hypothèses restrictives de départ. Premièrement, les marchés financiers sont
parfaits (aucun coûts de transaction et de fiscalité). Deuxièmement, les marchés de biens
sont parfaits (absence de droit de douane, de coûts de réglementation). Troisièmement, la
structure de consommation est identique entre les deux pays.

Donc, si les marchés étaient efficients, il serait possible de déterminer le taux de change
réel entre deux pays en comparant les prix d’un panier de produits identiques exprimés en
différentes devises. La comparaison se fait donc sur la base du CPI (Consumer Price
Index). Par contre, la principale difficulté vient du fait que les données ne sont pas
toujours disponibles pour la mesurer. De plus, les gouvernements ne construisent pas
nécessairement des indices selon un panier de biens qui soit standard internationalement.
Par ailleurs, ces indices ne donnent aucune indication de ce qu’était la déviation de la
PPA pour l’année de base choisie.

Pour cette raison, la PPA relative est la mesure de la parité qui est la plus utilisée. Elle
implique qu’un changement relatif dans les prix entre deux pays sur une certaine période
donnée détermine le changement dans les taux de change lors cette période. Dit
autrement, le différentiel des taux d’inflation entre deux pays explique donc l’évolution
des taux de change.

De cette façon, si le taux de change au comptant entre deux pays commence à l’équilibre,
un changement dans le différentiel des taux d’inflation entre eux tend à s’annuler sur le
long terme par un changement égal mais opposé dans le taux au comptant. La principale
justification liée à la PPA relative est que si un pays à un taux d’inflation plus élevé que
ses principaux partenaires commerciaux et que son taux de change ne varie pas, ses
exportations de biens et services deviendront moins compétitives avec des produits

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comparables dans d’autre pays. Les importations de l’étranger vont également devenir
plus compétitives sur les prix, par rapport aux biens domestiques ayant un prix plus élevé.
Ce changement amènera donc un déficit du compte-courant de la balance des paiements,
ce qui aura pour effet une dévaluation de la monnaie de ce pays.

Tel que le mentionne Rogoff, il existe aujourd’hui une vaste littérature sur le sujet et de
nombreux tests empiriques ont tenté de vérifier la parité des pouvoirs d’achat absolue et
relative. Bien que la plupart n’aient pu prouver que la PPA est un bon prédicateur des
taux de change futurs, il semble qu’il y ait maintenant un certain consensus sur quelques
faits de base. Premièrement, plusieurs études récentes démontrent que les taux de change
réels semblent aller vers la PPA à très long terme et que le temps de convergence est très
lent (les déviations s’estomperaient à un taux de 15% par année seulement).
Deuxièmement, les déviations de la PPA à court terme sont extrêmement larges et
volatiles. À court terme, l’évolution des taux de change serait plutôt déterminée en
fonction des anticipations, de l’évolution des taux d’intérêt, des mouvements de capitaux,
des changements dans les préférences de portfolio, etc., plutôt que par le différentiel des
taux d’inflation.

Partant de ces deux conclusions, Rogoff énonce la problématique suivante : comment est-
il possible de réconcilier la très grande volatilité du taux de change réel à court terme
avec l’extrême lenteur avec laquelle les chocs ont l’air de s’estomper ? En effet, le
consensus dans la littérature sur le sujet démontre que le temps requis pour que les
déviations par rapport à la PPA diminuent de 50% est d’environ 3 à 5 ans. Tel que
mentionné précédemment, les chocs monétaires et financiers semblent avoir un rôle
dominant pour expliquer la très grande volatilité à court terme. Pourtant, ces chocs
devraient être neutres et annulés à moyen terme, il est alors difficile de concevoir
pourquoi la convergence vers la PPA soit aussi lente à se réaliser.

Ainsi, le principal objectif de Rogoff dans cet article est de tenter de résoudre cette
problématique. Pour ce faire, il présentera différentes études empiriques sur le sujet
venant confirmer ou infirmer la PPA. En conclusion, il énoncera que le marché des biens

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internationaux, même si de plus en plus intégré, est encore assez segmenté. Les coûts de
transports, les barrières tarifaires et non tarifaires, les coûts de l’information et un
manque de mobilité des travailleurs entraînent une large bande dans laquelle les taux
nominaux peuvent bouger, sans pour autant entraîner une réponse immédiate dans les
prix domestiques relatifs. La volatilité à court terme peut donc être très élevée, sans
nécessairement entraîner de changements dans le taux de change. La convergence vers la
PPA se fait donc à très long terme. Rogoff convient que sa conclusion n’est pas parfaite,
mais satisfaisante pour l’instant, vu l’impossibilité d’éclaircir ce casse-tête autrement.
Voyons maintenant qu’elle fut la méthodologie utilisée par l’auteur pour arriver à cette
conclusion.

Méthodologie

L’approche méthodologique de l’auteur est constituée essentiellement d’une revue de
littérature d’articles de recherche et d’études empiriques qui traitent du problème de la
PPA. Tout d’abord, il discute des preuves empiriques ayant trait à la « loi du prix
unique » et dénote que la plupart des articles démontrent une importante volatilité des
déviations de celle-ci sur une variété de biens. Il cite des exemples touchant la volatilité
intra-nationale comparativement à la volatilité internationale, la volatilité des variations
de la « loi du prix unique » dans le 20e siècle comparativement aux siècles précédents et,
enfin, des causes de frictions potentielles tels les coûts de transports, les barrières
tarifaires et non-tarifaires et le « Pricing to Market ».

Rogoff aborde ensuite le thème de la convergence à long terme vers la PPA. Il met en
relief une série d’études récentes qui ont surmonté le test du « random walk » pour les
taux d’échange réels.       À partir de ceci, il souligne le fait que, bien qu’il y ait des
limitations au niveau des résultats d’horizon au niveau de la convergence au PPA, il y
existe un bon degré de consensus au niveau de la littérature récente.

Ensuite, il traite de modifications apportées à la PPA dans la pratique qui permettent de
mieux expliquer les taux d’échanges réels à long terme. Ainsi, il traite de trois thèmes

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qui ont été étudiés dans la littérature, soit (i) l’hypothèse de Balassa-Samuelson (ii) les
déficits accumulés du compte courant et la dépréciation des taux d’échange à long terme
(iii) les dépenses gouvernementales et le taux d’échange réel. De cette façon, il tente de
réconcilier le taux de convergence plutôt lent avec les théories alternatives touchant les
facteurs de fluctuations des taux d’échange.

Enfin, il discute des nouvelles percées dans les travaux d’auto régressions à variables
multiples qui permettraient de mieux décortiquer les différents chocs affectant le taux de
change réel.

Critiques et commentaires

Historiquement, les critiques de la PPA ne se sont pas fait rares. Par exemple, Balassa
(1964) et Samuelson (1964) soutiennent tous deux que la PPA ne se vérifie pas en longue
période en raison des différents taux de croissance de la productivité, selon les pays, dans
le secteur des biens échangeables. Une croissance relativement rapide de la productivité
entraînerait une hausse des salaires et, partant, des prix relatifs des biens non
échangeables, et l’augmentation du niveau général des prix qui en résulterait provoquerait
une appréciation du taux de change réel.

De fait, on doit à Paul Samuelson la citation peut-être la plus critique à propos de la PPA
absolue : « À moins d’atteindre un haut degré de sophistication, la parité des pouvoirs
d’achat est une théorie trompeuse et prétentieuse : elle nous promet une chose bien rare
en économie, des prévisions chiffrées détaillées »

Plus récemment, une problématique soulevée par plusieurs articles et concernant plus
particulièrement la méthodologie de Rogoff est reliée à l’estimation de la demie-vie de 3
à 5 ans à laquelle il fait allusion.

“It would seem hard to explain the short –term volatility (of real exchange rates) without
a dominant role for shocks to money and financial markets. But given that such shocks

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should be largely neutral in the medium run, it is hard to see how this explanation is
consistent with a half life for PPP deviations on three to five years” 1

Ainsi, malgré le rôle primordial de la demi-vie dans son article, il n’existe pas de
méthodologie exacte pour déterminer les frontières de cette demi-vie de façon précise.

Dans leur article, Murray et Papell (2000)2 stipulent que les articles utilisés par Rogoff
n’utilisent pas les techniques appropriées pour mesurer la persistance du PPA. Selon eux,
la plupart des articles de recherche qui tentent de résoudre la question de la PPA utilisent
le consensus de 3 à 5 ans comme point de départ pour leur analyse. Or, les preuves
d’horizon à long terme qu’utilise Rogoff sont principalement préoccupées par la question
à savoir si les « unit roots » dans les taux d’échange réels peuvent être rejetés Par
conséquent, celles-ci s’avèrent inappropriés pour mesurer le problème de la persistance.
Murray et Papell, en revanche, tiennent compte de la corrélation en série, de l’incertitude
d’échantillonnage et surtout, des erreurs reliées à la taille de l’échantillonnage. Ainsi,
en calculant les intervalles de confiance et les que les estimations ponctuelles pour le long
terme et les données suite à 1973, ils arrivent à la conclusion que les méthodes à variables
uniques n’offrent que peu d’information sur la quantification exacte des demi-vies.

Taylor (2000)3 reprend en quelque sorte le même argument en soulevant le fait que les
études empiriques, jusqu’à présent, utilisent une méthodologie impliquant (i) des données
surtout mensuelles, trimestrielles ou annuelles (i.e. à basse fréquence) d’une part et (ii)
des modèles à spécification linéaire d’une autre part. Or, cette réalité peut avoir des
conséquences au niveau du biais analytique de la lenteur de la convergence et du test de
« random walk ». L’auteur stipule que si l’horizon d’ajustement se mesure en termes de
journées plutôt que de mois, alors les données utilisées jusqu’à présent n’arrivent pas bien
à le représenter. De la même façon, si les coûts d’arbitrage sont d’une importance telle
qu’ils produisent une bande d’inactivité non-négligeable pour le test du « random walk »,

1
 “The Purchasing Power Parity Puzzle”, K.Rogoff, Journal of Economic Literature, June 1996, p.664
2
 “The Purchasing Power Parity Persistence Paradigm”, C.J. Murray& D.H Papell, Journal of International
Economics, June 29, 2000

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alors un modèle linéaire ne peut pas bien représenter la convergence.               De ceci découle
l’insistance de l’auteur de prendre en considération le contexte institutionnel et le cadre
logistique des marchés lorsque l’on effectue des études sur le PPA.

Questions de recherche potentielles

À partir de la dernière section de l’article de Rogoff, il est possible de cerner quelques
pistes de recherche intéressantes au niveau de problème du PPA. Tout d’abord, comme
le soulève l’auteur,      il existe de nouvelles percées en ce qui concernent les auto-
régressions à variables multiples qui permettraient de mieux décortiquer les différents
chocs affectant le taux de change réel.

Or, de notre côté, une autre question nous vient à l’esprit. D’une part, dans la section 4
de l’Article, l’auteur suggère qu’une explication éventuelle au problème du PPA ne
doive pas se pencher de façon trop importante sur des facteurs institutionnels propre au
20e siècle. D’autre part, dans sa conclusion, il stipule qu’il est difficile d’expliquer la
volatilité et la persistance des déviations au PPP sans tenir compte du fait que les
marchés des biens internationaux sont loin d’être aussi bien intégrés que les marchés de
biens domestiques.

Ainsi, il nous semble qu’il serait intéressant d’étudier comment l’évolution de
l’intégration des biens internationaux, en vertu du nouveau contexte de mondialisation,
affecterait les théories déjà existantes sur le PPA. De plus, on sait qu’une part sans cesse
croissante des biens échangeables sur les marchés internationaux est constituée de biens
intangibles. Donc, une meilleure compréhension de cette réalité pourrait parvenir à
éclaircir quelques-uns des mystères entourant la PPA, à la fois dans le présent et dans le
futur, compte tenu de l’émergence de la nouvelle économie dite « de savoir ».

3
 "Potential Pitfalls for the Purchasing Power Parity Puzzle?", A.M.Taylor , NBER Working Papers 7577,
Mars 2000

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