De guerre contre des civils non armés
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AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI Index AI : AFR 62/012/01 DOCUMENT PUBLIC Londres, juin 2001 RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO La torture, arme de guerre contre des civils non armés Résumé 1 En octobre 2000, Amnesty International a lancé une campagne internationale pour l’abolition de la torture, Pour un monde sans torture. Cette campagne d’une durée d’un an a pour objectif de mobiliser les femmes et hommes du monde entier, de les amener à rassembler leurs efforts pour en finir avec la torture. Elle se fonde sur l’expérience acquise au cours des quarante dernières années par Amnesty International en matière de recherche et de lutte contre la torture. Parmi les buts de cette campagne figurent deux grands objectifs : la prévention de la torture et la lutte contre l’impunité. Entre autres pays concernés par le fléau de la torture, Amnesty International a choisi d’examiner la situation de la République démocratique du Congo (RDC). Au cours de la campagne contre la torture, le cas d’une femme congolaise, Jeanine Mwayuma Bouchez, a été évoqué parmi les victimes de diverses formes de torture, dont le viol, dont se rendent responsables aux quatre coins du monde des membres des forces de sécurité. Ce cas montre jusqu’à quel point les personnes qui disposent du pouvoir sont prêtes à utiliser la torture afin d’avilir ou de punir les opposants présumés au régime. Ce rapport est surtout axé sur les actes de torture commis par différentes forces armées dans le pays depuis le début de l’an 2000. Les informations obtenues par l’organisation de défense des droits humains au cours de cette période portaient essentiellement sur des faits perpétrés par les armées des gouvernements de RDC, du Rwanda et de l’Ouganda. Depuis le mois d’octobre 2000, des dizaines de soldats et de civils originaires des provinces de l’est du pays, à savoir le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Maniema, ont été arrêtés à Kinshasa et placés en détention par l’armée. Ils ont été victimes de divers actes de torture pendant leur incarcération. Ces personnes étaient soupçonnées d’avoir participé à un présumé complot en vue de renverser le président Laurent-Désiré 1La version originale en langue anglaise du document résumé ici a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre DEMOCRATIC REPUBLIC OF CONGO. Torture: a weapon of war against unarmed civilians. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D’AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - juin 2001. Vous trouverez les documents en français sur LotusNotes, rubrique ÉFAI – IS documents. Vous pouvez également consulter le site Internet des ÉFAI : www.efai.org
Kabila. En janvier et en février 2001, de nombreux soldats et quelques civils originaires de la Province-Orientale et de la province de l’Équateur ont été torturés après avoir été arrêtés en raison de leur implication supposée dans un présumé complot et dans l’assassinat, le 16 janvier 2001, du président Laurent-Désiré Kabila. La torture avait pour but de contraindre les victimes à avouer leur participation au présumé complot ou à mettre en cause d’autres suspects, ou bien de les punir pour leurs infractions supposées. Les journalistes ont été particulièrement pris pour cibles d’actes de torture et d’autres formes de traitement cruel, inhumain ou dégradant, mesures d’intimidation visant à les empêcher d’écrire ou de publier des articles critiques envers le gouvernement de la RDC, ses hauts fonctionnaires ou la politique qu’il met en œuvre. De nombreux défenseurs des droits humains ont également été victimes d’actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, mesures d’intimidation visant à les décourager de poursuivre leur action. Dans l’est de la RDC, de nombreuses personnes ont été cruellement torturées afin de dissuader la population en colère de participer à un soulèvement armé contre les groupes d’opposition armés et les gouvernements du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda qui cherchent à renverser le gouvernement de la République démocratique du Congo. Tout comme le gouvernement de la RDC, les groupes armés d’opposition congolais, en particulier le RCD-Goma et le RCD-ML, ont utilisé la torture comme une arme contre les personnes qui les critiquent et contre celles qui sont supposées soutenir leurs adversaires. Ces actes de torture étaient commis en collaboration avec les alliés rwandais et ougandais de ces groupes ou même sur leur ordre. Les défenseurs des droits humains qui enquêtent sur les atteintes aux droits humains commises par les groupes d’opposition armée et leurs alliés non congolais et les dénoncent sont victimes d’actes de torture en raison de leurs activités. Amnesty International émet un certain nombre de recommandations destinées aux responsables politiques et militaires dont les forces armées auraient commis des actes de torture afin de faire en sorte qu’ils ne tolèrent ni n’ordonnent la torture. L’organisation adresse aussi des recommandations à la communauté internationale dans son ensemble afin qu’elle vienne en aide au peuple de la RDC pour mettre fin à ce fléau qu’est la torture. Amnesty International soutient sans réserve les propos tenus le 30 mai 2001 par Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, qui a déclaré en substance devant le Conseil de sécurité des Nations unies qu’il ne saurait y avoir de paix durable si les responsables ne sont pas amenés à rendre compte des crimes les plus graves.
AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI Index AI : AFR 62/013/01 DOCUMENT PUBLIC Londres, juin 2001 RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO La torture, arme de guerre contre des civils non armés SOMMAIRE Introduction 2 1. Les actes de torture commis 6 par les forces gouvernementales de la RDC 1.1 La torture infligée à des conspirateurs présumés 6 originaires de l’est de la RDC 1.2 La torture infligée aux assassins présumés du président Kabila 12 1.3 Le placement en détention des épouses de personnes 13 soupçonnées de trahison et la torture qui leur a été infligée 1.4 Les viols commis par des soldats gouvernementaux 14 1.5 Des conditions de détention cruelles, 15 inhumaines ou dégradantes 1.6 La torture infligée à des journalistes 19 1.7 La torture infligée à des défenseurs des droits humains 20 2. Les actes de torture commis par des forces 21 gouvernementales rwandaises et ougandaises 3. Les actes de torture commis 23 par les groupes armés d’opposition 3.1 La torture contre des sympathisants présumés 23 du gouvernement de la RDC ou de groupes armés rivaux 3.2 Les viols et autres formes de violence sexuelle 27 infligés par des groupes armés d’opposition 3.3 La torture infligée à des défenseurs 28 des droits humains par des groupes armés 4. Conclusion 30 5. Recommandations 31 5.1 Aux dirigeants de la RDC, du Rwanda, 31 de l’Ouganda et aux autres gouvernements dont les forces sont actives en RDC 5.2 Aux dirigeants des groupes armés de la RDC 32
5.3 Aux autres gouvernements 33 et aux organisations intergouvernementales 6. Annexe 34 Programme en 12 points d’Amnesty International 34 pour la prévention des actes de torture commis par des agents de l’État Liste des sigles utilisés dans ce document 37
Introduction En octobre 2000, Amnesty International a lancé une campagne internationale pour l’abolition de la torture, Pour un monde sans torture. Cette campagne d’une durée d’un an a pour objectif de mobiliser les femmes et hommes du monde entier, de les amener à rassembler leurs efforts pour en finir avec la torture. Elle se fonde sur l’expérience acquise au cours des quarante dernières années par Amnesty International en matière de recherche et de lutte contre la torture. Forte de plus d’un million de membres, Amnesty International aspire à collaborer avec les organisations de défense des droits humains et toutes les personnes intéressées dans le but de renforcer le réseau mondial de lutte contre la torture. Parmi les buts de cette campagne figurent deux grands objectifs : la prévention de la torture et la lutte contre l’impunité. Entre autres pays concernés par le fléau de la torture, Amnesty International a choisi d’examiner la situation de la République démocratique du Congo (RDC). Au cours de la campagne contre la torture, le cas d’une femme congolaise, Jeanine Mwayuma Bouchez, a été évoqué parmi les victimes de diverses formes de torture, dont le viol, dont se rendent responsables aux quatre coins du monde des membres des forces de sécurité. Ce cas devrait donner à la communauté internationale une idée de la façon dont les personnes qui disposent du pouvoir sont prêtes à utiliser la torture afin d’avilir ou de punir les opposants présumés au régime. En publiant ce rapport, Amnesty International cherche à montrer que les actes de torture et les autres formes de traitement cruel, inhumain ou dégradant constituent une pratique endémique en RDC. Depuis des années, l’organisation a publié de nombreux rapports détaillés sur les actes de torture et les autres atteintes aux droits humains qui sont perpétrés en RDC, y compris ceux commis avant mai 1997, lorsque le pays s’appelait encore le Zaïre, sous le régime de l’ancien président Mobutu Sese Seko2. Durant les trois dernières années, un conflit armé auquel participent au moins six pays et autant de groupes politiques armés3 a aggravé la situation des droits humains dans le pays, surtout en ce qui concerne la torture. C’est dans ce contexte que les forces de sécurité utilisent la torture comme une arme de guerre contre des civils non armés, opposants présumés ou avérés du conflit, du gouvernement ou du groupe armé auquel elles appartiennent. Ce rapport est surtout axé sur les actes de torture qui ont été commis par les forces armées dans le pays depuis le début de l’an 2000. Les informations recueillies par Amnesty International depuis le début de l’an 2000 concernent principalement les actes de torture commis par les troupes gouvernementales de la RDC, de l’Ouganda et du Rwanda, ce qui ne signifie absolument pas que les forces armées des autres 2. Des violations extrêmement nombreuses des droits humains, et notamment des actes de torture, ont été commis sous les ordres de Mobutu Sese Seko, chef des forces armées à partir de 1960 et président de 1965 à 1997. 3. Dans l’actuel conflit armé qui a démarré en août 1998, le gouvernement de la RDC est soutenu par les armées de l’Angola, de la Namibie et du Zimbabwe. Les groupes armés d’opposition (voir le paragraphe suivant) sont soutenus par les armées du Burundi, de l’Ouganda et du Rwanda. En 1996, ces six pays ont apporté leur soutien militaire à une coalition de groupes politiques armés congolais dirigée par Laurent-Désiré Kabila afin de renverser l’ancien président Mobutu Sese Seko. Fin juillet 1998, le Burundi, l’Ouganda et le Rwanda ont rompu avec le gouvernement dirigé par Kabila après qu’il leur eut ordonné d’évacuer leurs troupes de la RDC.
États qui prennent part au conflit n’ont pas commis de telles violations. Les nombreux autres cas survenus auparavant ont fait l’objet de nombreux rapports publiés depuis la reprise du conflit armé en août 19984. Le 19 juin 2001, Amnesty International a publié un rapport intitulé Rwandese-controlled eastern DRC : Devastating human toll [L’Est de la RDC sous contrôle rwandais. De terribles pertes humaines] (index AI : AFR 62/012/01) dans lequel sont décrits les homicides généralisés et les autres graves atteintes aux droits humains qui sont perpétrés dans les zones de l’est de la RDC sous contrôle des forces rwandaises et de leurs alliés, ou de leurs adversaires appartenant à des groupes politiques armés congolais. L’organisation est consciente que ce rapport n’est pas exhaustif, étant donné qu’elle n’a pu enquêter sur tous les cas de torture qui ont été commis dans le pays, et que la liste des victimes citées dans le présent rapport est par conséquent loin d’être complète. Outre les forces armées de la RDC, les forces gouvernementales ougandaises et rwandaises ont pratiqué la torture dans le pays lors de l’actuel conflit armé. Parmi les groupes d’opposition armée qui ont commis des actes de torture figurent le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), basé à Goma et le Rassemblement congolais pour la démocratie – Mouvement de libération (RCD- ML)5. Des factions armées de moindre importance se sont également rendues responsables d’atteintes aux droits humains, notamment la milice congolaise Maï maï (Eau eau) ainsi que des groupes armés de Hutu rwandais qui sont basés en RDC 6 et sont opposés aussi bien au Rwanda et à l’Ouganda qu’au RCD-Goma et au RCD-ML qui cherchent à renverser le gouvernement de la RDC. À la fin de l’année 2000, lors de visites dans l’est du pays – sous le contrôle, selon les zones, de l’Ouganda, du Rwanda, du RCD-Goma et du RCD-ML – et dans Kinshasa, la capitale, sous le contrôle du gouvernement de la RDC, les délégués d’Amnesty International ont recueilli des informations sur de nombreux cas de torture. La plupart des informations relatives aux actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants qui figurent dans le présent rapport ont été recueillies lors de ces visites. Les délégués de l’organisation se sont rendu compte au cours des entretiens avec les victimes, les témoins et les défenseurs des droits humains que les dirigeants de toutes les parties au conflit étaient au courant de la pratique de la torture, voire, dans certains cas, avaient ordonné des actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cependant, lorsque l’organisation a interrogé les différentes autorités à propos des informations faisant état d’actes de torture commis par leurs forces armées, les autorités ont systématiquement nié avoir fermé les yeux sur ces exactions, reconnaissant par là même que de tels actes constituent des atteintes aux droits fondamentaux qui sont intolérables. Pourtant, les autorités restent peu actives, voire inactives, ne prenant de mesures ni pour prévenir les violations graves des droits humains ni pour traduire en justice les responsables présumés. Les actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants vont à 4. Depuis août 1998, Amnesty International a publié, entre autres rapports : République démocratique du Congo. La guerre contre les civils non armés (index AI : AFR 62/36/98) ; République démocratique du Congo. La dignité humaine réduite à néant (index AI : AFR 62/007/00) ; et République démocratique du Congo. Des rumeurs de conspiration donnent lieu à une violente répression (index AI : AFR 62/004/01). 5. En mars 2001, le RCD-ML a fusionné avec le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) – sous l’égide du gouvernement ougandais – pour former le Front pour la libération du Congo (FLC), dirigé par Jean-Pierre Bemba, le fondateur du MLC. 6. Le principal groupe armé de Hutu rwandais est connu sous le nom d’Armée de libération du Rwanda (ALIR).
l’encontre des principaux traités africains et internationaux relatifs aux droits humains auxquels sont parties pratiquement tous les États impliqués dans le conflit armé en RDC. Ces formes d’atteintes aux droits humains contreviennent notamment à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants7. Dans la définition qui figure à l’article premier de cette Convention, le terme « torture » désigne « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsque de telles douleurs ou souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ». Aucun gouvernement ne peut justifier la torture, quelle que soit la forme qu’elle prend, comme la conséquence légitime d’un conflit armé ou comme un comportement normal en temps de guerre. Ils ne peuvent non plus l’expliquer comme une réaction aux atteintes aux droits humains commises par les opposants, armés ou non armés, contre leurs troupes ou les civils des zones qu’ils contrôlent. L’article 2 de la Convention dispose : « 1. Tout État partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction. 2. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. 3. L’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture. » Par ailleurs, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) 8 dispose dans son article 7 : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants […] » L’article 10 du PIDCP précise : « Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. » 7. Sont parties à la Convention, entre autres, le Burundi, la Namibie, l’Ouganda et la RDC. 8. Tous les États qui prennent part au conflit qui se déroule en RDC sont parties au PIDCP.
La torture est également prohibée par l’article 3 commun aux Conventions de Genève qui ont force contraignante pour les États et les groupes d’opposition politique armée. Cet article s’applique aux « personnes qui ne participent pas directement aux hostilités » et prohibe en particulier « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ». À travers toute la RDC, les conditions de détention sont éprouvantes et constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant. De telles conditions vont à l’encontre de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus qui détaille les mesures à prendre pour faire en sorte que les détenus ne soient victimes d’aucune forme de mauvais traitements. En particulier, la Règle n° 10 précise : « Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, la surface minimum, l’éclairage, le chauffage et la ventilation. » L’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement interdit lui aussi expressément la torture, dans son Principe 6 : « Aucune personne soumise à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement ne sera soumise à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Aucune circonstance quelle qu’elle soit ne peut être invoquée pour justifier la torture ou toute autre peine ou traitement de caractère cruel, inhumain ou dégradant. » La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à laquelle sont parties tous les États prenant part au conflit armé en RDC, dispose dans son article 5 : « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdites. » En RDC, la torture est souvent pratiquée lorsque les prisonniers sont en détention au secret. Toute personne qui est arrêtée, détenue ou emprisonnée a le droit de prévenir, ou de faire prévenir par les autorités, sa famille ou ses amis. Le Principe 16 de l’Ensemble de principes dispose : « Dans les plus brefs délais après l’arrestation et après chaque transfert d’un lieu de détention ou d’emprisonnement
à un autre, la personne détenue ou emprisonnée pourra aviser ou requérir l’autorité compétente d’aviser sa famille ou, s’il y a lieu, d’autres personnes de son choix, de son arrestation, de sa détention ou de son emprisonnement, ou de son transfert et du lieu où elle est détenue. » La Règle 92 de l’Ensemble de règles minima dispose : « Un prévenu doit immédiatement pouvoir informer sa famille de sa détention et se voir attribuer toutes les facilités raisonnables pour pouvoir communiquer avec celle-ci et ses amis et recevoir des visites de ces personnes, sous la seule réserve des restrictions et de la surveillance qui sont nécessaires dans l’intérêt de l’administration de la justice, de la sécurité et du bon ordre de l’établissement. » 1. Les actes de torture commis par les forces gouvernementales de la RDC Les forces gouvernementales de la RDC ont systématiquement utilisé la torture contre des opposants présumés ou avérés, en particulier contre ceux qui semblaient menacer le pouvoir en place. 1.1 La torture infligée à des conspirateurs présumés originaires de l’est de la RDC Depuis octobre 2000, des dizaines de soldats et de civils originaires des provinces situées à l’est du pays – le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Maniema – ont été arrêtés et placés en détention par les militaires. Ils se sont alors vu infliger diverses formes de torture. Ils étaient soupçonnés d’avoir pris part à un prétendu complot ourdi par l’ancien commandant de l’armée Anselme Masasu Nindaga, afin de renverser le président Laurent-Désiré Kabila. On les a torturés afin de leur faire « avouer » leur participation à la prétendue conspiration ou le nom des autres personnes suspectées, ou tout simplement afin de les punir pour ce crime supposé. En novembre 2000, Anselme Masasu Nindaga et huit autres hommes ont été transférés depuis Kinshasa vers la province de Katanga où ils ont été exécutés fin novembre. Ils auraient été reconnus coupables par la Cour d’ordre militaire (COM) d’avoir conspiré pour renverser le gouvernement. Le procès, s’il a réellement eu lieu, a été manifestement inique : il s’est déroulé dans le secret et aucune information ne fait état d’une quelconque défense dont les accusés auraient bénéficié. Les dispositions statutaires régissant la COM interdisent de faire appel de ses décisions auprès d’une juridiction supérieure ; par ailleurs, rien ne prouve que les condamnés ont eu la possibilité de demander la grâce présidentielle. Célestin Mafuluko Mukungo figure parmi les victimes de torture. Agent de la Police nationale congolaise (PNC), il a été arrêté le 28 octobre 2000 par des membres de la Détection militaire des activités anti-patrie (DEMIAP), le service de sécurité
militaire. Il était accusé d’avoir participé à des réunions organisées par Anselme Masasu Nindaga. Son arrestation aurait été ordonnée par un officier de la Force d’intervention spéciale (FIS). Cet homme a été détenu à la Cité de l’OUA, un centre de détention tristement célèbre pour les détentions politiques et la torture sous le régime de Mobutu. Là, pieds et poings liés, allongé sur le ventre, il a été battu à maintes reprises à coups de cordelette et de barre de fer. Ces actes de torture se sont déroulés au cours de son interrogatoire, dans la matinée et la soirée des 28 et 29 octobre. Le 15 décembre 2000, Célestin Mafuluko Mukungo s’est échappé. Par la suite, il a affirmé avoir été détenu avec 30 autres personnes dans une cellule d’environ 10 mètres carrés. De peur d’être de nouveau arrêté et torturé, il s’est enfui vers le Congo voisin. Certains membres des services de sécurité, en particulier ceux de l’Agence nationale de renseignements (ANR) venus de l’est de la RDC, qui s’étaient évadés en novembre et décembre 2000 de crainte d’être arrêtés, ont été torturés après avoir été renvoyés de force de Brazzaville, capitale de la République du Congo limitrophe. Les 19 victimes étaient Gervais Baguma Safari, Depho Balungwe Birashirwa, Cyprien Bakenga Kakomore, Adolphe Bashizi Mufungizi, Marcellin Rugogero Kabuna, Muzima Mwenyezi, Henri Materanya Kasisi, Georges Yenga Muhindo, Yves Kompany Kizito, Vital Malekera Balolebwami, Joseph Balegamire Bafunyembaka, Pascal Marhegane Bishunvu, Bernard Bahaya Maheshe, André Ndjaki Munganga, Elias Kashindi Mubone, Théodore Basole Bazirabora, Jimmy Bisimwa Cubaka, Marcellin Cikuru Chambu et Justin Kikuni. Ils ont été arrêtés le 28 janvier 2001 et placés en détention le même jour, à Brazzaville, par la police congolaise. Le 29 janvier, ils ont été transférés dans les locaux de la sécurité militaire, après quoi ils ont été remis aux autorités de la RDC et placés en détention au secret pendant trois jours par la Direction de la Sûreté intérieure (DSI), à Kinshasa, qui dépend de l’ANR. Ils ont été fouettés et frappés avec des cordelettes à maintes reprises, le but recherché étant de les forcer à avouer qu’ils avaient participé au présumé complot dont le chef supposé était Anselme Masasu Nindaga. Ils ont été privés de nourriture et enfermés dans une cellule minuscule où ne pénétrait que très peu d’air et de lumière. Ils utilisaient des sacs en plastique pour faire leurs besoins. Au bout de trois jours, ils ont été transférés au bloc 1 de la prison principale de Kinshasa, le Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK), où ils se trouvaient encore au début de juin. Amnesty International examine à ce jour des informations selon lesquelles les 19 détenus ont été échangés contre plusieurs dizaines d’opposants au régime de la République du Congo qui avaient été arrêtés à Kinshasa. Tout en condamnant la torture par l’ANR des 19 détenus renvoyés illégalement de la République du Congo, Amnesty International s’oppose et condamne le renvoi forcé des demandeurs d’asile en RDC où l’on pouvait supposer qu’ils allaient être torturés. Les autorités de la République du Congo ont également contrevenu à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, à laquelle ce pays est partie. L’article 33 de la Convention est rédigé en ces termes : « Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières
des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » D’après les informations reçues par Amnesty International, les forces de sécurité ont torturé de nombreuses personnes pour contraindre ces dernières à compromettre dans des crimes contre l’État des opposants présumés ou avérés du gouvernement. Ainsi, Augustin Mudianji Nkashama, employé de Jonas Mukamba Kadiata, a été torturé peu de temps après avoir été arrêté par la DEMIAP, au mois de juin 2000. Les agents de la DEMIAP l’ont d’abord interrogé dans l’ancien hôtel Memling, qui sert aujourd’hui de bureau de la DEMIAP et de centre de détention, à propos d’une réunion politique qui se serait déroulée dans la maison de Jonas Mukamba Kadiata. Ce dernier avait d’ailleurs précédemment été arrêté en raison de sa participation à une prétendue réunion antigouvernementale. Les réponses d’Augustin Mudianji Nkashama n’ayant pas satisfait les agents qui l’interrogeaient, ils l’ont entraîné derrière une guérite et l’ont frappé et fouetté sur les fesses à l’aide de ceintures et de cordes à nœuds. Cet homme a montré aux délégués d’Amnesty International une cicatrice qu’il a sur la tête et qui résulte des coups qu’il a reçus. D’après son témoignage, il aurait été fouetté au moins une centaine de fois par un officier de la DEMIAP tandis que deux caporaux le maintenaient à terre. Les interrogatoires et les coups se sont poursuivis un deuxième jour. En octobre 2000, Kikuni Masudi, ancien membre du Groupe spécial de sécurité présidentielle (GSSP, sous contrôle direct du président Laurent-Désiré Kabila), a été
torturé avec une grande violence par des agents de l’ANR, avenue Kapenda, à Lubumbashi, capitale de la province du Katanga. Cet homme avait fait partie d’un groupe de soldats qui s’était retiré de Pweto, à la frontière entre la RDC et la Zambie, après la prise de cette ville par les troupes du Rwanda et du RCD-Goma. Des agents de l’ANR l’ont arrêté le 7 octobre alors qu’il essayait de retrouver un membre de sa famille dans la ville de Lubumbashi. Il a été conduit au centre de détention de l’ANR où il aurait été fouetté et frappé à plusieurs reprises à coups de crosse de fusil et de bâton. Il aurait eu la jambe et le bras gauches fracturés. Il aurait été ensuite enduit d’huile de palme et forcé à s’asseoir sur les charbons ardents d’un brasero. Il aurait également eu les pieds broyés à coups de marteau. Il semble qu’il ait été torturé durant toute sa détention, jusqu’au 13 octobre. Les premiers éléments connus sur son cas donnaient à croire qu’il était mort sous la torture. Il semble cependant, selon des informations reçues par Amnesty International au début de juin 2001, que des soldats du camp Vangu à Lubumbashi l’ont emmené à l’hôpital Sendwe, où il serait encore en traitement. Son rétablissement complet ne semble guère pouvoir être espéré, étant donné la gravité de ses blessures et l’absence de soins médicaux appropriés. Pour autant que l’on sache, les autorités n’ont pas cherché à traduire en justice les membres des forces de sécurité qui sont présumés responsables des actes de torture commis contre cet homme. Si les agents de l’ANR ont arrêté Kikuni Masudi, c’est manifestement parce qu’ils étaient convaincus que cet homme appartenait au groupe ethnique tutsi, ce qui n’était d’ailleurs pas le cas. Depuis le mois d’août 1998, les Tutsi ont été victimes de nombreuses violations des droits humains commises par les autorités de la RDC. Celles-ci s’en prennent à eux parce qu’ils sont censés apporter leur soutien au gouvernement rwandais à majorité tutsi et aux groupes d’opposition armée
congolais qui sont en guerre contre le gouvernement de la RDC dans le nord et l’est du pays. Ainsi, à la fin de l’année 1998, de nombreux Tutsi ont été tués au moment où la coalition armée semblait sur le point de prendre la capitale, Kinshasa9. Les enfants sont également victimes d’actes de torture. Vers la mi-novembre 2000, les membres des forces de sécurité ont violemment battu la femme et les deux enfants de Mangoni Siane, un garde du corps du chef de l’opposition Joseph Olengha N’koy, afin de leur faire dire où se cachait ce dernier. Joseph Olengha N’koy est le président des Forces novatrices pour l’union et la solidarité (FONUS). Il a été relâché le 19 juin 2000 et se cache, depuis, par peur d’être à nouveau arrêté. Lorsque les proches de Mangoni Siane ont été arrêtés à leur domicile, sa femme a été giflée et ses enfants ont été battus à coups de cordelette. Les soldats les ont menacés de mort. À la fin de l’année 2000, des délégués d’Amnesty International se sont rendus à Kinshasa et ont pu constater que ces deux enfants avaient toujours le corps tuméfié à cause des coups qu’ils avaient reçus. Quant à Mangoni Siane, il était encore dans la clandestinité. La violence physique exercée contre des enfants est une violation de la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée le 28 septembre 1990 par la RDC10. L’article 37 de la Convention dispose : « Les États parties veillent à ce que nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Les personnes proches du pouvoir ont également chargé des membres des forces de sécurité de torturer des individus dans le but de régler leurs propres comptes. Au début du mois de février 2001, Rachel Chakupewa et sa nièce, Marie Muzingwa, ont été torturées après avoir été accusées d’avoir tenté d’empoisonner des proches du président Kabila. Ce crime supposé aurait eu lieu au cours d’une cérémonie funèbre en l’honneur d’un membre de la famille du président. Les deux femmes auraient été violemment battues par des membres des forces de sécurité, dans l’hôtel Okapi, à Kinshasa, où se déroulaient les funérailles. Elles ont ensuite été amenées dans une cellule de la Garde spéciale présidentielle (GSP)11 située dans le Palais de marbre, une résidence présidentielle, puis dans un bâtiment appelé Groupe Litho Moboti (GLM), l’un des centres de détention les plus connus de la GSP à Kinshasa. Depuis plusieurs années, ce bâtiment sert de centre de détention aux services de sécurité militaire de la GSP (c’était déjà le cas pour l’organisme précédent, le GSSP). Dans la nuit du 6 au 7 février 2001, Rachel Chakupewa a été fouettée plusieurs heures durant par cinq soldats. Elle a également été battue à coups de tube métallique jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Selon certains témoignages, lorsque les coups se sont arrêtés, la victime était couverte de sang, défigurée et incapable du moindre geste. Des membres de la famille de Rachel Chakupewa auraient en vain sollicité l’aide de nombreux responsables gouvernementaux et militaires, à qui ils ont demandé de faire mener une enquête sur ce cas de torture et de faire traduire en justice les auteurs présumés de ces actes. 9. Voir le rapport d’Amnesty International République démocratique du Congo. La guerre contre les civils non armés (index AI :AFR 62/36/98), du 23 novembre 1998. 10. Tous les États qui prennent part au conflit qui se déroule en RDC sont parties à la Convention relative aux droits de l’enfant. 11. Cette unité était auparavant appelée Groupe spécial de sécurité présidentielle (GSSP).
D’autres personnes ont été torturées afin qu’elles révèlent où se cachent des opposants au gouvernement ou bien pour contraindre les opposants à se rendre. Le 9 juin 2000, François Kimbembe Akwapo, garde du corps à la résidence du chef de l’opposition Joseph Olengha N’koy, a été arrêté par des membres de la Police d’intervention rapide (PIR). Au cours de son arrestation, il a été violemment battu. Cet homme a été mis en détention dans une cellule située dans les quartiers généraux de la PIR, avenue Victoire, à Kinshasa. Le lendemain après-midi, il a été relâché. D’autres victimes de la torture sont des étudiants qui ont eu maille à partir avec des membres de forces de sécurité. Vital Ntaboba Badheka, qui étudie l’anglais à l’Institut pédagogique national (IPN) à Kinshasa, et plusieurs de ses collègues ont été torturés pour avoir protesté contre l’acte d’un soldat de la police militaire, qui avait volé à un étudiant un sac contenant de l’argent. Badheka était un responsable étudiant de la brigade de l’IPN du Comité du pouvoir populaire (CPP), proche du pouvoir. Le 16 novembre 2000, des soldats venus du camp Kokolo ont arrêté 12 étudiants devant l’entrée de l’institut. Tout en les menaçant de leurs fusils, les soldats les ont fait monter sur un camion et leur ont donné l’ordre de fermer les yeux. Ils les ont battus à coups de cordelettes. Une fois arrivés au camp, ils leur ont donné à chacun 25 coups de fouet sur les fesses. Des soldats leur ont pris leurs affaires, y compris les documents et les montres, et ils les ont ensuite enfermés dans une pièce juste assez grande pour qu’ils puissent se tenir debout. Peu de temps après, les soldats les ont fait sortir de la pièce pour les frapper de nouveau sur le dos, les fesses et les jambes, après leur avoir fait enlever leurs vêtements. Ensuite, ils leur ont ordonné de faire des pompes ; chaque défaillance était punie par des coups de fouet. Puis les soldats leur ont ordonné de se tenir sur les mains pendant quinze minutes, et à chaque chute ils les battaient. Après plusieurs autres séances de ce style, ils ont fait entrer les étudiants dans une cellule où d’autres militaires les ont roués de coups. Ils leur ont fait nettoyer à main nue des excréments humains, alors que les étudiants étaient toujours nus et avaient des blessures à vif. Le lendemain à l’aube, ils ont été forcés d’aller couper de l’herbe, tandis que des soldats les fouettaient lorsqu’ils passaient à proximité. Vers 10 heures ce même jour, des soldats les ont fait monter sur un camion et leur ont dit qu’ils allaient être exécutés. En fait les soldats les ont reconduits directement à l’IPN où ils les ont libérés. Les responsables du CPP ont assuré les victimes venues se plaindre qu’ils mèneraient des enquêtes sur les accusations et qu’ils traduiraient en justice les responsables présumés, mais au moment où ces lignes sont écrites aucune action n’a été entreprise.
Un autre étudiant, Odon Tshibola Muloji, a été torturé après qu’une lettre a été trouvée sur lui, écrite par un journaliste qui s’est enfui du pays et donc considérée comme subversive par la police de la RDC. Cet étudiant en visite à Brazzaville, capitale du Congo, pour y voir un de ses amis étudiants en exil, s’est fait remettre une lettre par un journaliste également en exil, écrite à l’attention de ses parents vivant à Kinshasa. La police a trouvé la lettre au cours d’une fouille généralisée des passagers en provenance de Brazzaville. Le 25 octobre, Tshibola a été arrêté et emmené dans les locaux de l’Inspection provinciale de Kinshasa (IPK). Les policiers l’ont battu à coups de ceinture militaire afin de lui faire reconnaître qu’il avait connaissance des activités antigouvernementales menées par des étudiants, notamment par ceux originaires comme lui de la province de Kasaï, et qu’il y prenait part. Le 3 novembre, il a été transféré dans un centre de détention de l’ANR, où il a de nouveau été battu durant l’interrogatoire. Cet homme a été détenu au secret aussi bien à l’IPK qu’à l’ANR. En décembre 2000, il a été transféré au CPRK. Son dossier aurait été transmis d’abord à la COM puis à la Cour de sûreté de l’État. Toutefois, il n’a toujours pas été établi clairement s’il avait été inculpé d’une infraction ou bien s’il serait éventuellement traduit en justice. D’après les informations dont dispose Amnesty International, il semble que Tshibola soit un prisonnier d’opinion qui n’a commis aucune infraction pénale connue. En mai 2001, cet homme souffrait, semble-t-il, de douleurs aiguës au niveau du bas-ventre et aux yeux, résultant des coups reçus. Il souffrirait également d’une hernie. Dans certains cas, les victimes de torture n’ont pas su ou n’ont pas réellement compris pourquoi elles avaient été arrêtées puis torturées. Marcel Mwapu Kadilu a été torturé sans aucun motif compréhensible après avoir été arrêté au début d’août 2000 au Palais de marbre, la résidence présidentielle à Kinshasa. Il s’était rendu là-bas afin de rendre visite à son oncle qui y exerçait un emploi. Six soldats l’ont accusé d’être venu à la présidence pour préparer un coup d’État et l’ont menacé d’un couteau. Les soldats l’ont emmené dans une construction distincte du bâtiment principal et lui ont assené des coups de fouet sur la tête, la poitrine et les bras. Ensuite, ils l’ont transféré dans une cellule souterraine où se trouvaient une dizaine de personnes, dont des soldats. Selon le récit fait par Marcel Mwapu Kadilu aux représentants d’Amnesty International, cette cellule très sombre, pourvue d’une porte basse et dénuée de fenêtre, mesurait environ quatre mètres sur trois. Il n’était autorisé à en sortir que pendant une demi-heure environ chaque jour, entre 7 et 8 heures du matin. Tous les jours, vers 10 heures du matin, il était fouetté 10 à 20 fois sur les fesses. Une nuit, plusieurs soldats armés sont venus le voir pour le convaincre de s’engager dans l’armée, apparemment en échange de sa libération. À la fin de la semaine, sans avoir été nourri une seule fois, il a été relâché sans aucune explication.
1.2 La torture infligée aux assassins présumés du président Kabila De nombreux soldats et quelques civils ont été arrêtés en janvier et en février 2001 en relation avec un prétendu complot en vue d’un coup d’État et l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila le 16 janvier 2001. La plupart des personnes qui ont été arrêtées étaient originaires de la Province-Orientale et de la province de l’Équateur, qui sont aux mains des groupes d’opposition armée et des forces armées ougandaises et rwandaises ; c’est, semble-t-il, en raison de leur origine que ces personnes ont été soupçonnées des infractions qui leur étaient imputées. Le brigadier Jean-Calvin Kandolo a été torturé après avoir été arrêté le 25 janvier 2001. Il a été violemment battu les 27 et 29 janvier, puis de nouveau les 2 et 10 février, à chaque fois, entre minuit et trois heures du matin. Il est resté menotté durant sa détention au GLM puis il a été transféré au CPRK. D’après les informations reçues par Amnesty International, il souffre de plusieurs blessures et a des cicatrices sur les testicules, les fesses, et sur toute la longueur des jambes, y compris sur les pieds. Emmanuel Mokede Etisala, capitaine de l’armée, aurait également été torturé au GLM peu de temps après son arrestation, à l’aube du 4 février 2001. Il a reçu des coups de pied et de poing ; il a été battu à coups de bâtons, de cordelettes et de barres de fer. Il aurait également été brûlé avec un allume-cigare. Bete Ngoma, un officier du service de sécurité militaire, a lui aussi été violemment battu avec des bâtons et des cordelettes après avoir été arrêté le 1er février 2001. Le 23 février, il a été transféré au CPRK. Jean-Luc Bekama, ancien soldat et conseiller du ministre adjoint des Affaires étrangères, a été torturé après son arrestation par des membres des services de sécurité le 31 janvier 2001. Il a été détenu pendant dix jours les chaînes au pied, avec 14 personnes dans une cellule large de trois mètres sur deux. Tous les occupants de cette cellule dormaient à même le sol et utilisaient des sacs en plastique pour faire leurs besoins. Les soldats ont battu Jean-Luc Bekama à coups de cordelettes, de fils électriques, de chaînes antivol et de bâtons. Le 23 février 2001, il a été transféré au CPRK, le corps recouvert de cicatrices. D’autres soldats ont été arrêtés entre janvier et février 2001 et pareillement torturés ou maltraités au GLM, notamment quatre capitaines – Éric Bowanga Bolumbu, Jean-Denis Bokoli Botikala, Baudouin Mongambi Mwenga Kosso, Jean-Lieven Liando Iyolesa, l’ancien colonel Jean- Marie Ndjoli-e-Mingolomba Lokenyo, le lieutenant-colonel Itele Ituko, et le médecin militaire Luc Mayolo. D’autres personnes ont été placées en détention en raison du prétendu complot et de
l’assassinat du président Kabila, y compris l’ancien diplomate Emmanuel Dungia. Ce dernier n’a pas été torturé, mais il a été arrêté sur dénonciation d’Itele Ituko, dénonciation extorquée par la torture. Depuis son arrivée au pouvoir en mai 1997, le gouvernement de la RDC a orchestré une campagne d’arrestations, de détentions, de torture, voire d’homicides, contre des membres des anciennes Forces armées zaïroises (ex-FAZ) qui servaient sous l’ancien président Mobutu Sese Seko. La plupart d’entre eux étaient soupçonnés de comploter pour chasser le gouvernement en place et reprendre le pouvoir12. Un certain nombre de soldats de l’ex-FAZ ont été cruellement torturés après la prétendue découverte, dans la commune de Ngaliema, province de Kinshasa, d’une cache d’armes qui auraient été destinées à être utilisées dans une attaque contre le gouvernement. Amnesty International reconnaît que, dans le cas où des preuves suffisantes existent, les autorités seraient en droit d’arrêter des personnes qui ont préconisé la violence ou qui ont commis des actes de violence. Cependant, la détention illégale ou la torture ou autres formes de mauvais traitements constituent une violation flagrante des droits fondamentaux. Le 20 avril 2001, des hommes armés habillés en civil ont fait irruption dans la maison de Constant Koyekwe Ngoysu, un ancien membre de la Division spéciale présidentielle (DSP) du président Mobutu. Ils lui ont tiré dans les jambes et lui ont brisé les os. Puis ils l’ont traîné sur le sol et emmené dans une jeep où se trouvaient ses agresseurs. Au mois de mai, il a été confirmé que cet homme était détenu au CPRK où il lui aurait été interdit de recevoir des visites, même de membres de sa famille. Son état de santé serait précaire parce qu’il n’a pas reçu de soins médicaux appropriés pour les blessures qui lui ont été infligées au moment de son arrestation. Cet homme avait été détenu dans le bâtiment du GLM depuis le mois de juin 2000, après quoi il avait été relâché le 9 mars 2001 à la suite d’une décision du président Joseph Kabila de fermer tous les centres de détention non officiels. 1.3 Le placement en détention des épouses de personnes soupçonnées de trahison et la torture qui leur a été infligée Cinq femmes, dont quatre épouses de soldats accusés d’avoir pris part à l’assassinat du président Kabila, ont été torturées au cours de leur détention dans le bâtiment du GLM. Elles ont été arrêtées dans les deux semaines qui ont suivi l’assassinat du président Kabila. Parmi ces victimes figure notamment Peggy Fono Onokoko, épouse du lieutenant Mwenze Muzele, l’assassin présumé du président. Les autres femmes sont Charlotte Atandjo Otshudi, Luziba Nabintu, Coco Chibalonza Balole et Angélique Bilbago, tante de Peggy Fono Onokoko. Durant plusieurs semaines, matin et soir, un commandant de la GSP aurait battu ces femmes, nues, bras et jambes attachés. Elles auraient reçu des coups de bâton, de cordelette, de câble électrique et de chaîne. Il semblerait également que le commandant se soit servi d’une baïonnette pour couper les cheveux de Peggy Fono Onokoko et de sa fille née en 1999, Madi Muzele. D’après les informations 12. Voir le rapport d’Amnesty International, République démocratique du Congo. Alliance mortelle dans les forêts congolaises, index AI : AFR 62/33/97, publié le 3 décembre 1997.
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