Discussion sur les paradis fiscaux: Le cas du Luxembourg
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Discussion sur les paradis fiscaux: Le cas du Luxembourg La perspective du développement Rainer Falk Luxembourg juillet 2009 Résumé et Recommandations Le bon fonctionnement des systèmes fiscaux développement à Doha, fin 2008, ou la est un élément primordial de la politique de Conférence de l'ONU sur la crise écono- développement. C'est notammentle cas de la mique et financière mondiale et ses impacts collecte des impôts dans les pays en déve- sur le développement de New York, en juin loppement, et de leur capacité à contrôler et 2009 , des voix s'élèvent pour réclamer un prévenir l'évasion fiscale et la fuite des capi- renforcement du cadre institutionnel de la co- taux. L'imposition est le principal outil de mo- opération fiscale internationale sous l'égide bilisation interne de ressources financières des Nations Unies. Les initiatives concrètes pour le développement. Dans la coopération se limitent cependant aux organisations do- bilatérale au développement, l'aide à la mise minées par les pays du Nord, comme en place de systèmes fiscaux gagne progres- l'OCDE, aux organisations régionales, sivement en importance. Parallèlement, la comme l'Union européenne, et aux conven- coopération internationale en matière de poli- tions fiscales bilatérales, notammentles diffé- tique fiscale revêt depuis peu une importance rentes conventions relatives à la double im- croissante. position. L'efficacité de la coopération fiscale est toute- Pendant ce temps, les pays en développe- fois inversement proportionnelle à l'impor- ment perdent chaque année des milliards : tance qu'on lui accorde. Lors des confé- les particuliers fortunés préfèrent transférer rences internationales, comme la 2ème leur fortune à l'étranger et les entreprises Conférence de l'ONU sur le financement du agissant à l'échelle multilatérale contournent 1
l'imposition fiscale sur certains sites via la po- d'image internationale de la place financière litique de prix de transfert. Les estimations en favorisant la transparence et la justice fis- des pertes subies par les pays en développe- cales. ment en raison de l'évasion fiscale varient Les principaux facteurs qui contribuent à entre 64-124 et plus de 1000 milliards de dol- mentionner le Luxembourg dans le contexte lars en fonction des éléments pris en du débat sur les paradis fiscaux sont le se- compte : fortunes privées, transferts de capi- cret bancaire pour les revenus du capital des taux des entreprises ou "flux financiers illi- non-résidents et le régime fiscal d'exception cites" ( "illicit transfers") en général. dont bénéficient les succursales des entre- Le Luxembourg fait partie intégrante d'un prises étrangères via l'ingénierie financière. système financier de plus en plus mondialisé Sous sa forme actuelle, le secret bancaire fa- où l'évasion fiscale est à l'ordre du jour. En vorise et encourage l'évasion fiscale de pays tant que place financière, le Luxembourg est tiers et rend le site attractif pour le placement intégré au système financier international en d'argent sale, même si ceci reste difficile à tant qu'acteur dans les secteurs "Private Ban- démontrer en raison de l'opacité des flux de king" et "Wealth Management" (15% de part capitaux. Le régime fiscal d'exception dont de marché pour les patrimoines gérés "off- bénéficient les entreprises étrangères reste shore"), en tant que site international pour les l'un des facteurs principaux qui attirent le ca- fonds d'investissement (leader en Europe) et pital étranger au Luxembourg. On peut certes de par sa position évidente de pays d'accueil justifier ce dernier en invoquant la concur- et de transit pour les investissements directs rence fiscale, reste que la frontière entre l'in- étrangers (IDE). Cette étude démontre entre citation à l'évasion fiscale et la concurrence autres qu'à elle seule, la gestion des fortunes fiscale sont floues. En outre, on peut se de- privées au Luxembourg entraîne des pertes mander si l'on n'encourage pas ainsi un nivel- de 2,5 milliards de dollars pour les pays en lement vers le bas difficilement justifiable en voie de développement, soit plusieurs fois la termes d'éthique et de politique de dévelop- somme dépensée par le Luxembourg dans le pement. Par ailleurs, en termes de répartition cadre de l'aide au développement (409 mil- des richesses, une concurrence fiscale ex- lions de dollars). De plus, de par sa position cessive n'est pas souhaitable. de pays d'accueil et de transit pour les inves- À ces problèmes s'ajoute le fait que la plupart tissements directs étrangers, le Luxembourg de nombreuses dérogations dont le Luxem- offre l'environnement idéal pour les stratégies bourg bénéficie actuellement ont un carac- d'évasion fiscale des entreprises transnatio- tère provisoire. C'est en particulier le cas des nales. dérogations prévues dans le cadre de la di- La position officielle, qui fait plus ou moins rective sur la taxation des revenus de l'unanimité chez les politiques et selon la- l'épargne qui autorisent le Luxembourg (de quelle le Luxembourg ne serait pas un para- même que l'Autriche et la Belgique) à perce- dis fiscal, est pour le moins contestable. Elle voir une retenue à la source au lieu de parti- est facile à réfuter, ce même selon les cri- ciper à l'échange automatique d'informations. tères fixés par l'OCDE. L'application des La position récente visant à appliquer systé- normes de l'OCDE dans les Conventions de matiquement la norme de l'OCDE, dont double imposition en cours de négociation l'adoption a fait l'objet de nombreuses réti- (qui a conduit à la suppression du Luxem- cences, pour la taxation des revenus de bourg de la "liste grise" de l'OCDE) ne l'épargne au sein de l'UE méconnaît le carac- change rien au fait que le Luxembourg pré- tère novateur du règlement de l'UE sur la sente nettement les traits d'un paradis fiscal. taxation des intérêts de l'épargne et l'évolu- En effet, le secret bancaire n'est levé qu'en tion du débat international concernant ces cas de soupçons concrets et spécifiques, questions. Il serait illusoire d'espérer que la voire sur demande expresse et individuelle majorité des pays membres de l'UE ac- des pays tiers. La politique officielle actuelle ceptent une remise en cause de la directive ne peut donc remédier aux problèmes sur la taxation des revenus de l'épargne. 2
Le débat sur la norme de l'OCDE et la direc- Une politique proactive visant à assurer tive de l'UE relative aux revenus de l'épargne la pérennité de la place financière peut est symptomatique de la politique luxembour- s'appuyer sur certains atouts du sec- geoise, qu'on peut caractériser de défensive teur financier local : une politique de et axée sur la protection des particularismes produits novatrice, une capacité à tirer nationaux dans un environnement internatio- parti de l'avantage du "first mover" et, nal en pleine évolution. En d'autres termes : surtout, le potentiel que représentent la stratégie adoptée au niveau international l'expérience, les compétences et l'ex- vise avant tout à gagner du temps.(1) On pertise acquises. Ces facteurs rendent peut cependant se demander si une po- le site attractif en tant que fournisseur litique fiscale internationale plus proac- de services financiers, ce indépendam- tive ne servirait pas mieux les intérêts ment des dérogations fiscales. du pays à long terme. Ceci d'autant Certes, cette politique active ne peut se plus que les actuels problèmes d'image résumer à la promotion de produits in- de la place financière, la pression inter- telligents et innovants (même si ces nationale croissante et la nouvelle place derniers devaient mettre l'accent sur qu'occupe la fiscalité dans la politique les "investissements éthiques" ou la d'aide au développement pourraient à promotion de microcrédits), ni à une long terme affecter également les do- simple promesse de contribuer, au ni- maines où la politique du Luxembourg a veau international, à la lutte contre les eu un impact positif au cours des der- niches fiscales. L'essentiel serait d'ac- nières années. C'est notamment le cas cepter la remise en cause du fonction- l'augmentation de l'aide publique au nement de la place financière et de sa développement à plus de 0,7% du reve- compatibilité avec le développement nu national brut qui fait du pays un mo- mondial, notamment concernant le rôle dèle en matière d'aide au développe- du secret bancaire ou du régime fiscal ment. Dans le contexte des rapports d'exception. La mise à disposition d'in- Nord-Sud, une place financière tournée formations supplémentaires serait éga- vers l'avenir devrait s'inspirer du prin- lement essentielle : ainsi, il serait judi- cipe : "Il faut non seulement donner da- cieux de publier non seulement l'origine vantage, mais aussi prendre moins". et la destination des flux d'investisse- ments directs, mais aussi les régions et pays d'origine des actifs gérés au Luxembourg. Ces questions, parmi d'autres, pour- raient faire l'objet d'enquêtes au sein d'une commission nationale indépen- dante. La crédibilité d'une telle commis- sion dépendrait aussi de la présence en son sein de personnes critiques à l'égard du système actuel.2 D'autres éléments pourraient favoriser une approche plus proactive de la poli- 1 Les récentes déclarations du directeur de l'ABBL (As- tique financière internationale : sociation des Banques et Banquiers), Jean-Jacques Rommes, illustrent parfaitement cette attitude : "S'il avait fallu faire des concessions et assouplir le secret bancaire au moment de l'accord de Feira (taxation des En principe, la récente proposition revenus de l'épargne dans l'UE), cela aurait été une catastrophe. Actuellement, ce n'est plus un gros pro- blème." (Entretien avec le Letzebuerger Journal, 2 (6) Le Luxembourg Institute for Global Integrity (LIG- 20.5.2009, supplément "place financière") FI), créé récemment, ne remplit pas ce critère. 3
d'Edmond Israel (cf. d'Letzebuerger rôle précurseur dans une telle initiative - in Land, 15.5.2009) va dans le bon ternationale. sens : le Luxembourg devrait Il reste probablement beaucoup de- che prendre l'initiative d'une conférence min à parcourir avant la mise en place fiscale internationale et favoriser à d'une approche multilatérale. Le Luxem - terme la mise en place multilatérale bourg devrait donc adopter des stratégies d'une organisation fiscale internatio- de transition. Ces dernières pourraient - re nale compétente au niveau mondial poser sur une sorte de clause " de la na- pour les questions d'équité et de tion la plus favorisée" au profit des pays transparence du système financier. du Sud : si le Luxembourg fait des Cette dernière aurait, entre autres, concessions sur l'échange d'informations l'avantage de ne pas exclure les dans le cadre de l'OCDE ou de la direc- pays en développement, contraire- tive de l'UE sur la taxation des intérêts ment aux organismes (OCDE, UE) où (sans ces concessions, la pérennité de la les questions fiscales transfronta- place financière ne pourra être assurée), lières sont actuellement négociées. le Luxembourg devrait également mettre Le Luxembourg devrait envisager ces informations à la disposition des pays d'adhérer à l'initiative "International en développement afin de les soutenir Tax Compact" ("Pacte fiscal interna- dans leur lutte contre l'évasion fiscale. De tional") présentée à Doha et soute- même, le Luxembourg devrait reverser nue par la Commission Stiglitz. Afin les revenus des intérêts de capitaux pro- de taxer de façon adéquate non venant des pays en voie de développe- seulement les revenus de place- ment aux pays dont ils sont issus (comme ments privés mais aussi les béné- c'est le cas dans le cadre de l'UE). fices des entreprises, les entreprises Le Luxembourg devrait réexaminer sa co- transnationales devraient présenter opération bilatérale au développement et leurs bilans par pays ("country-by- envisager d'investir davantage dans la country reporting"). Ainsi, il leur se- mise en place d'un système de percep- rait plus difficile de dissimuler une tion des impôts efficaces dans les pays partie des gains via les transactions partenaires. Parmi les mesures à pro- internes ou de comptabiliser ces mouvoir dans les pays en développement derniers là où les impôts sont les - ce particulièrement après la suppression plus faibles, notamment dans les pa- de recettes douanières suite à la libérali- radis fiscaux. Cette comptabilité par sation du commerce - on peut citer la pays pourrait être introduite dans le mise en place d'impôts directs progres- cadre d'un accord international ou sifs, l'amélioration de la rémunération et mise en œuvre immédiatement par de la formation des fonctionnaires des im- l'International Accounting Standards pôts et, plus généralement, la création et Board (IASB). L'IASB élabore des le développement des administrations fis- normes comptables pour les socié- cales dans l'optique du renforcement des tés transnationales, normes qui sont capacités institutionnelles. ensuite transposées en droit national. Le Luxembourg pourrait, ici encore, jouer un . L’ét u d e co m p l è t e (en alle m a n d) pe u t êtr e tél é c h a r g é e ici htt p://ww w . c e r c l e . l u/arti cl e. p h p 3 ? i d _ a r t i c l e = 1 2 9 6 4
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