Ariadne auf Naxos - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
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70e édition du Festival L C e Festival d'Aix-en-Provence célèbre cette année sa 70e édition. Cet anniversaire 'est une année particulière pour le Festival d'Aix. Elle est marquée par un double m'offre l'occasion de rendre hommage aux générations d'artistes, de professionnels, de événement. D'abord un anniversaire, ensuite un départ. techniciens et de mécènes du monde entier qui ont forgé l'identité du Festival et qui l'ont fait vivre, tout au long de ces décennies, à travers un formidable travail de coopération. Je Un anniversaire, parce qu'en 1948, à la sortie de la guerre, Gabriel Dussurget – mélomane pense notamment au grand metteur en scène Patrice Chéreau dont les productions auront averti – eut l'idée géniale de créer un festival d'art lyrique à Aix-en-Provence. Depuis marqué l'histoire du Festival. 70 ans, chaque été, le cœur de la ville continue de battre au rythme de la scène mythique de l'Archevêché. La programmation de cette 70e édition sera fidèle à ce qui fait la force et la singularité de la manifestation depuis sa création. Les plus grands compositeurs y seront à l'honneur : Mozart bien Que serait Aix aujourd'hui sans ce prestigieux rendez-vous musical ? Soixante-dix années se sont sûr, qui a toujours occupé une place singulière à Aix, sera présent avec La Flûte enchantée, sous la écoulées à façonner la renommée du Festival, à faire rayonner la ville au-delà des frontières de direction musicale de Raphaël Pichon et mise en scène par Simon McBurney ; de même que Richard l'Hexagone. Mais aussi à partager l'excellence en s'ouvrant – dans une histoire plus récente – à de Strauss, avec son Ariane à Naxos ; ou encore Sergueï Prokofiev avec L’Ange de feu. La programmation nouveaux publics. fera aussi la part belle à l'audace et à la diversité, avec la création mondiale Seven Stones, ou encore l'opéra Orfeo & Majnun qui réunit des compositeurs de trois nationalités et mêle les langues arabe, Un départ, ensuite, puisque Bernard Foccroulle, directeur du Festival depuis 2007, signe ici sa dernière anglaise et française. Fidèle à sa tradition, le Festival dressera également des ponts avec le bassin programmation. Il l'a fait jusqu'au bout avec le professionnalisme et les qualités humaines que chacun méditerranéen et ses artistes émergents, grâce au réseau Medinea ou à l'Orchestre des Jeunes de la lui connaît. Méditerranée. Enfin, comme toujours, le public sera au cœur du Festival et même invité à y jouer sa part, à travers l'opéra participatif Orfeo & Majnun. Je tiens à le remercier pour le travail accompli et les magnifiques souvenirs d'opéras qu'il nous laisse derrière lui. Son formidable parcours aixois ne connaît aucune fausse note et son talent aura marqué Nous fêtons par ailleurs cette année un autre anniversaire, que je tiens aussi à saluer : celui de bien plus qu'une décennie aixoise, le monde de l'art lyrique en général. Je sais qu'il va maintenant l'Académie du Festival, qui célèbre ses 20 ans d'existence. Je veux rendre hommage aux missions se consacrer à des projets plus personnels, notamment l’interprétation et la composition, ses deux remplies par ce centre de perfectionnement vocal et instrumental, qui offre un espace de travail, passions. d'expérimentation et d'ouverture aux jeunes artistes en voie d'insertion dans le milieu professionnel, et qui forme également des médiateurs. À travers l'Académie, le Festival réaffirme la transmission Une très belle page du Festival d'Aix se tourne cette année. À 70 ans, il s’apprête à prendre un nouveau comme l'une de ses valeurs cardinales. départ. Cette édition 2018 sera enfin l'occasion de célébrer le travail extraordinaire accompli par Bernard Foccroulle, qui transmettra le témoin de la direction à Pierre Audi à la fin de l'été et qui signe avec cet anniversaire sa dernière édition. Je tiens à le saluer et à le remercier chaleureusement pour son Maryse Joissains Masini engagement, son exigence constante, ses paris multiples et ses prises de risque durant ses années Maire d'Aix-en-Provence passées à la tête du Festival. Je remercie également toutes les équipes et tous les partenaires, publics et Président du conseil de territoire du Pays d'Aix privés, qui rendent ce moment d'enchantement possible année après année. Je vous souhaite à tous un très beau Festival. Françoise Nyssen Ministre de la Culture 2 3
L Un Festival aux résonances très actuelles L’édition 2018 est exceptionnelle à plus d’un titre : le Festival d'Aix-en-Provence célèbre ses 70 ans, son Académie fête ses 20 ans, et les services éducatif et socio-artistique Passerelles D sont à pied d’œuvre depuis déjà 10 ans. L’excellence artistique est, une fois de plus, au rendez- vous avec une programmation audacieuse où les opéras de Mozart, Strauss, Purcell et Prokofiev, ès l'origine, l'opéra s'est tourné vers les mythes antiques – Orphée, Ariane, Didon, ainsi que deux créations se partagent l’affiche. L’une d’entre elles, Orfeo & Majnun, sera donnée les récits de la guerre de Troie – non par souci passéiste, mais parce que ces récits gratuitement sur le cours Mirabeau. Une offre foisonnante complétée par 23 concerts auxquels immémoriaux continuaient à parler aux êtres humains des temps modernes. De la même prennent part des artistes emblématiques de l'Académie. manière que le chant est un moyen « détourné », sublime, de dire le réel et de décrire les Pour sa 6e édition, Aix en juin propose plus de 25 manifestations dans la ville comme dans la région et passions humaines, les mythes offrent un réservoir inépuisable de récits qui, venant de poursuit ainsi sa politique d’ouverture et d’ancrage dans le paysage culturel régional. Ce prélude au temps immémoriaux, nous atteignent de plein fouet, avec toute la violence des situations Festival réunit plus de 17 000 spectateurs autour de 270 jeunes artistes au rang desquels figurent les paroxystiques, des destins contrariés, des conflits insolubles, des passions les plus aiguës. Lauréats HSBC de l’Académie dont on peut admirer le talent à Aix-en-Provence et alentours. Les enjeux de formation et de transmission restent primordiaux comme en témoignent les actions Les amours à l'opéra sont rarement des fleuves tranquilles : on ne peut qu'être frappé par la force et la menées par l’Académie, par l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée et, plus localement, par diversité des figures féminines qui traversent cette édition, de l'archétype de la femme abandonnée Passerelles. Le Festival est largement diffusé grâce aux retransmissions de nos partenaires Arte et Arte (Didon) ou perdue (Eurydice, Layla), à l'incarnation de la fidélité (Ariane) ou de l'amour libre concert, France Musique et France Télévision, auxquelles s’ajoutent des projections gratuites à Aix- (Zerbinetta). L’Ange de feu nous révèle une héroïne fascinante, condamnée pour sorcellerie dans un en-Provence et ses alentours ainsi que dans le monde. Moyen Âge pas si lointain ; Seven Stones suit le parcours éperdu d'un homme coupable du meurtre de la Poursuivant son expansion à l’étranger, les productions du Festival tournent sur les scènes du femme qu'il aimait, un homme à la recherche du pardon. Seul Mozart parvient à réconcilier le féminin monde entier. Les deux réseaux que le Festival anime – celui d’enoa en Europe et celui de medinea en et le masculin dans La Flûte enchantée, mais à l'intérieur d'un univers dominé par le patriarcat... Méditerranée – font de lui un acteur influent [et engagé] sur la scène internationale. Dans le cadre du débat actuel sur la place faite aux femmes dans notre société, il ne sera pas inutile La part du mécénat occupe une place de taille dans le financement du Festival. Je remercie tous les d'interroger le cadre social, idéologique et philosophique qui a vu naître ces œuvres d'art et qui a mécènes, particuliers et entreprises, au premier rang desquels Altarea Cogedim, partenaire officiel contribué à diffuser largement ce point de vue essentiellement masculin sur la féminité. du Festival. J’exprime enfin toute notre gratitude pour leur soutien renouvelé au ministère de la Culture, à la Mairie Cette année 2018 nous permet aussi de célébrer les vingt ans de notre Académie. Celle-ci a d’Aix-en-Provence, à la Métropole Aix-Marseille-Provence et au Territoire du Pays d’Aix, au Conseil profondément transformé le Festival qui, sans rien perdre de sa vocation initiale, s'est enrichi, départemental des Bouches-du-Rhône et au Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur. rajeuni, diversifié. Il est devenu un pôle incontournable de la création lyrique, il a accueilli, formé et accompagné des dizaines de créateurs et créatrices, et des centaines de jeunes interprètes. 2018 constitue la dernière programmation de Bernard Foccroulle, directeur général du Festival, qui achève ici son troisième mandat. Parallèlement, l'Académie a participé à l'évolution des activités de Passerelles, notre département Je souhaite remercier chaleureusement Bernard Foccroulle pour le travail qu’il a accompli depuis éducatif et socio-artistique qui a, depuis 2007, développé des actions de médiation et des créations 12 ans à la tête de notre Festival. Son enthousiasme, son imagination, son pouvoir de conviction, son participatives en partenariat avec des centaines d'écoles et d'associations, ainsi que des milliers de esprit d’équipe ont permis au Festival de progresser aussi bien sur le plan de l’excellence artistique que jeunes et d'adultes de toutes origines. du développement des publics. Pour succéder à Bernard Foccroulle, la ministre Audrey Azoulay, les collectivités territoriales et moi- Orfeo & Majnun constitue sans doute l'aboutissement de ces axes de travail qui n'ont cessé de nous même, avons choisi en juin 2016, Pierre Audi directeur de l’Opéra d’Amsterdam. Pierre Audi prendra porter au cours de ces années : création, participation, dialogue interculturel, coopération européenne. ses fonctions comme directeur général du Festival d’Aix-en-Provence le 1er septembre 2018 ; depuis 18 Ce projet ambitieux qui associe parade urbaine et opéra en plein air aura galvanisé les énergies de mois en tant que directeur délégué il prépare les programmations des saisons 2019 – 2020 – 2021 en centaines et de milliers de personnes participantes, amateurs et professionnels, dans le cadre festif et liaison avec le Conseil d’Administration et moi-même. collégial de Marseille-Provence 2018. Le 1er juin 2018, le Conseil d’Administration a choisi comme nouveau Président Paul Hermelin. Je me réjouis tout particulièrement de ce choix. Par sa personnalité, par ses attaches avec la Provence, À toutes celles et tous ceux qui nous ont accompagnés et soutenus tout au long de ces années, par son goût de l’opéra, par sa réussite à la tête d’un des groupes les plus prestigieux du CAC 40, Paul responsables politiques, mécènes, spectateurs et spectatrices, je voudrais dire un immense MERCI ! Hermelin devrait encore amplifier le succès de notre Festival. Bernard Foccroulle Bruno Roger Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence Président d’Honneur du Festival d’Aix-en-Provence 4 5
RICHARD STRAUSS (1864-1949) Ariadne auf Naxos OPÉRA EN UN ACTE PRÉCÉDÉ D’UN PROLOGUE Ariane à Naxos LIVRET DE HUGO VON HOFMANNSTHAL CRÉÉ LE 4 OCTOBRE 1916 AU HOFOPER DE VIENNE DIALOGUES ADDITIONNELS DE MARTIN CRIMP, TRADUITS PAR ULRIKE SYHA Direction musicale La Prima Donna / Ariane Un perruquier Marc Albrecht Lise Davidsen* Jean-Gabriel Saint Mise en scène Le Ténor / Bacchus Martin* Katie Mitchell Eric Cutler Un laquais Décors Zerbinetta Sava Vemić Chloe Lamford Sabine Devieilhe* Le Majordome Costumes Le Compositeur Maik Solbach Sarah Blenkinsop Angela Brower L’Homme le plus riche de Lumière Le Maître de musique Vienne James Farncombe Josef Wagner Paul Herwig Dramaturgie Le Maître à danser Sa Femme Martin Crimp Rupert Charlesworth* Julia Wieninger Responsable des Arlequin Orchestre mouvements Huw Montague Rendall Orchestre de Paris Joseph W. Alford Brighella Jonathan Abernethy* Répétitrice de langue Scaramuccio Miriam Kaltenbrunner Emilio Pons Assistant à la direction Truffaldino musicale David Shipley Walter Althammer Naïade Chefs de chant Beate Mordal* Nouvelle production du Festival d'Aix-en-Provence Mathieu Pordoy En coproduction avec Théâtre des Champs-Élysées, Théâtres de la Ville de Luxembourg, Gary Matthewman Dryade Finnish National Opera and Ballet, Royal Danish Opera, Gran Teatre del Liceu Andrea Hill* Assistantes à la mise en scène Écho Éditeur de la partition : Boosey & Hawkes Lily Mc Leish, Elena Galitskaya* Heather Fairbairn* Un officier Spectacle en allemand surtitré en français et anglais | 2h40 entracte compris Petter Moen* Assistante aux décors Théâtre de l'Archevêché | 4, 6, 9, 11, 14 et 16 juillet 2018 | 22h Alejandra Gonzalez Assistante aux costumes Retransmis en direct sur et le 11 juillet et en différé sur et ClassicAllTV Nathalie Pallandre *Anciens et anciennes artistes de l’Académie 7
Argument Vue d’ensemble E Prologue Dans le palais de l’homme le plus riche de Vienne, on dresse une scène et des coulisses. Le Maître de n 1911, au lendemain de la création du Chevalier à la rose, le compositeur allemand Richard musique interpelle le Majordome pour lui faire part de sa consternation : il a appris qu’une troupe Strauss et le poète viennois Hugo von Hofmannsthal sont désireux de renouveler leur italienne de commedia dell’arte devait improviser une farce après la représentation de l’opera seria collaboration. Hofmannsthal propose à Strauss d’écrire une adaptation du Bourgeois Ariane à Naxos, composé par son élève pour les festivités du soir. Le Majordome lui fait comprendre gentilhomme de Molière. Il s’agirait de traduire et de resserrer la pièce française, et d’y qu’on ne saurait discuter le désir de son maître, lequel a commandé et payé la nouvelle œuvre. Le jeune introduire un opéra sur le sujet mythologique d’Ariane abandonnée sur l’île de Naxos, en lieu Compositeur s’approche du Maître de musique en faisant d’ultimes recommandations aux musiciens. et place du grand Ballet des nations final sur une musique de Lully – cet ouvrage lyrique serait présenté Lorsqu’il aperçoit Zerbinetta dans une loge, son vieux Maître est obligé de lui apprendre la mauvaise comme une création du Maître de musique de Monsieur Jourdain et mêlerait le genre tragique au genre nouvelle : on jouera une farce après son opéra. Le Compositeur s’emporte, et la tension monte encore bouffon. La création de l’œuvre a lieu le 25 octobre 1912 au Théâtre de la Cour de Stuttgart, mais elle se lorsque la Prima Donna qui doit chanter le rôle d’Ariane aperçoit Zerbinetta… Mais le brouhaha des solde par un échec : la soirée est trop longue. Les deux artistes vont néanmoins remettre leur ouvrage coulisses est interrompu par l’arrivée solennelle du Majordome, qui vient annoncer un nouvel ordre sur le métier. Renonçant à la pièce de Molière, ils la remplacent par un Prologue dans les coulisses de son maître. Afin que le feu d’artifice prévu puisse être tiré à 21 heures précises, la bouffonnerie d’Ariane. C’est dans cette nouvelle version qu’Ariane à Naxos est créée le 4 octobre 1916 à l’Opéra de ne sera pas représentée comme un épilogue ni comme un prologue, mais en même temps que l’opera Vienne, rencontrant un succès immédiat qui ne s’est jamais démenti depuis lors. Aujourd’hui encore, seria ! L’annonce fait l’effet d’une bombe. Le Ténor et la Prima Donna sont scandalisés, les Italiens Ariane à Naxos est l’un des rares ouvrages du XXe siècle qui se soit bien implanté dans le répertoire amusés, le Compositeur anéanti. Ce dernier s’emporte contre le Maître de ballet de la troupe italienne, des opéras du monde entier. Avec son orchestre de chambre et sa coloration mozartienne, il a tout qui lui recommande des coupures. Chacun de son côté, la Prima Donna et le Ténor intriguent pour que naturellement trouvé sa place au Festival d’Aix où il a été représenté en 1963, 1966 et 1986. À l’été 2018, l’on coupe dans la partie de l’autre. Lorsque le Compositeur entend Zerbinetta résumer le canevas à ses il est de retour dans une nouvelle mise en scène de Katie Mitchell, dirigée par Marc Albrecht. acolytes à sa manière (« une princesse a été plaquée par son fiancé, et son prochain amant n’est pas encore arrivé »), il tente de rendre la coquette sensible aux subtilités symboliques de son œuvre. Elle Dans la deuxième décennie du XXe siècle, le style des opéras de Richard Strauss évolue vers une forme ne tarde pas à lui faire des confidences enamourées : tout le monde la croit frivole, mais en réalité elle de néo-classicisme qui se souvient de Mozart. Ariane à Naxos, par sa genèse rattachée à Molière, dissimule une âme plus sensible qu’il n’y paraît… Sous le charme, le Compositeur en oublie ses tracas regarde même vers le XVIIe siècle, ce dont certaines danses de la partition et le décorum du livret conçu et vante le pouvoir de la musique. Mais les invités arrivent : tout le monde se prépare à entrer en scène. par Hofmannsthal portent le souvenir. Toutefois, sa manière d’opposer les genres buffa et seria est davantage en lien avec les catégories du XVIIIe siècle. Strauss en profite pour confronter des musiques Opéra très contrastées : danses aux tournures populaires pour les masques italiens, vertiges wagnériens pour le duo d’Ariane et Bacchus, berceuse schubertienne pour les Nymphes, grand air à coloratures pour la Sur l’île de Naxos, trois nymphes (une Naïade, une Dryade et Écho) s’inquiètent de voir Ariane se scène de Zerbinetta. Dans le Prologue, Strauss use d’un « style de conversation » extrêmement souple lamenter sans cesse depuis qu’elle a été abandonnée sur cette rive désertique par son amant Thésée. et expressif, son orchestre de chambre commentant et animant des dialogues d’une grande théâtralité, La voilà qui s’éveille en gémissant. Elle n’attend plus qu’Hermès, le messager de la mort, afin cristallisés autour de la figure attendrissante du Compositeur, rôle confié à une femme en travesti. qu’il l’emmène sur son noir vaisseau. Zerbinetta et sa troupe de masques (Arlequin, Brighella, Si Strauss peut, à travers cette œuvre, faire preuve de son savoir-faire théâtral et de sa versatilité Scaramuccio et Truffaldino) tentent de la divertir de ses malheurs par une sérénade, puis par une stylistique, Hofmannstahl est aussi à même d’y développer un de ses thèmes de prédilection, celui danse, mais rien à faire. Zerbinetta demande alors à ses compagnons qu’ils la laissent seule avec de la fidélité opposée à la métamorphose : dans son livret, la vie impose l’oubli et la transformation à Ariane. Elle lui fait part de son expérience des hommes : ainsi font-ils tous. Mais Ariane ne l’écoute Ariane comme au Compositeur du Prologue. guère. Zerbinetta se met alors à méditer sur sa propre conduite avec les hommes : chaque fois elle croit n’appartenir qu’à un seul, mais déjà son cœur vagabonde ; c’est comme si elle était à chacun fidèle. Après cet aparté, Arlecchino revient courtiser la belle, et bientôt ses trois autres comparses rivalisent de séduction. S’ensuit un amusant chassé-croisé à l’issue duquel Zerbinetta choisit Arlequin, au grand dam des trois autres ! Alors que les masques se retirent, les nymphes annoncent l’arrivée d’un jeune dieu sur un bateau, qui appelle Circé : c’est Bacchus, à peine échappé des bras de l’enchanteresse. En entendant sa voix, Ariane croit qu’il est le messager de la mort. Mais à son entrée, un trouble la saisit. Lui-même est transporté à la vue d’Ariane, qu’il prend pour une magicienne. L’un et l’autre se sentent mutuellement transformés et, sans savoir ce qui lui arrive vraiment, Ariane accepte de suivre Bacchus. Musique triomphale. Zerbinetta réapparaît alors : n’avait-elle pas vu juste ? 8 9
Photo ©Marco Borggreve Après s’être adonné à de grands ouvrages de l’envergure d’Elektra et de Salomé, Richard Strauss conçoit Ariadne auf Naxos : un ouvrage de chambre, un opéra sur l’opéra, sorte de préfiguration de Capriccio reposant sur le questionnement « Prima la musica, o prima le parole ? » (Qu’est-ce qui a la primauté à l’opéra, la musique ou le mot ?). En quoi Ariadne auf Naxos se démarque-t-il des autres opéras de Strauss ? Après les excès sonores de ces deux opéras composés antérieurement, qui exigeaient un orchestre d’une taille mégalomaniaque allant jusqu’à cent vingt instrumentistes, Strauss prend ici une tout autre orientation. Comme on en trouve déjà la préfiguration dans Le Chevalier à la rose, c’est l’idéal mozartien, et par conséquent la musique de chambre, qui accapare toute son attention – mais évidemment dans une variante ironique. À la virtuosité toujours quelque peu égocentrique des chanteurs sur la scène, répond l’éloquence non moins débordante et virtuose d’un orchestre composé exclusivement de solistes. Dans ce jeu, « charité bien ordonnée commence par soi-même » et chacun est toujours un peu trop imbu de l’importance de son propre rôle. On trouve donc déjà dans l’interaction même entre toutes ces dive et tous ces divi un capital humoristique et c’est ce que nous voulons aussi donner à entendre. Comment la partition d’Ariadne auf Naxos parvient-elle à conjuguer culture populaire et grand art, tragédie et comédie, humour et solennité, Zerbinetta et Ariadne? Il y a un clin d’œil ironique permanent dans cette partition. Rien n’y est ce qu’il paraît être : c’est un jeu de masques musicaux ! Et Strauss se sert de l’injonction pour le moins absurde du mécène de représenter les deux œuvres simultanément, afin d'élaborer un collage virtuose de types d’expressivité contrastés. Ainsi, le pathos des scènes avec Ariane est tout aussi délibérément exagéré que les coloratures de l’insouciante Zerbinetta. De même que les ensembles de comédiens qui viennent La légèreté sans la superficialité se glisser avec désinvolture anticipent déjà le style des Comedian Harmonists1. Quant à la chanson d’Arlequin, qui n’est autre qu’une parodie du « Voi che sapete » de Chérubin dans Les Noces de Figaro de Mozart, elle est reprise par Écho, l’une des trois Nymphes, qui la chante sans vraiment en avoir ENTRETIEN AVEC MARC ALBRECHT, DIRECTEUR MUSICAL conscience. Ce sont toutes ces transitions, passant du buffa au seria et inversement, qui rendent cette partition si séduisante. Vous êtes rompu au répertoire straussien, mais c’est la première fois que vous dirigerez un L’instrumentarium d’Ariadne auf Naxos se révèle atypique. Certains instruments entretiennent opéra au Festival d’Aix-en-Provence. Qu’est-ce que cela vous fait de vous retrouver dans la même un lien privilégié avec tel ou tel personnage… fosse de sa scène historique ? En inventant pour Ariadne cet orchestre de chambre composé de solistes, Strauss s’aventure dans J’ai vraiment hâte de faire de la musique et du théâtre dans ce lieu légendaire ! Et puis, avec Ariadne, un territoire pour lui encore vierge. Avec ce nouveau style de composition, Wagner semble être Strauss s’est plus que jamais laissé aller à son inclination pour le génie du lieu, à savoir Mozart. J’espère définitivement dépassé – quand bien même la scène de Bacchus, à la fin de l’opéra, lui fait clairement donc que la magie de cet endroit singulier sera aussi une source d’inspiration pour notre production référence. Comme jadis le Hammerklavier dans les opéras de Mozart, le piano se voit attribuer dans afin d’atteindre l’essence même de toute comédie : la légèreté sans la superficialité. Ariadne un rôle important. Il est associé à la sphère de Zerbinetta et de ses comédiens et, dans le grand air de bravoure, il acquiert quasiment la fonction d’un personnage agissant. Au cours du Prologue, ce sont les sonorités de la harpe qui enrobent de façon évocatrice les attitudes de la Prima Donna/ Ariadne, tandis que, plus tard dans l’Opéra, c’est l’harmonium qui souvent l’accompagne, tel un habit de deuil, avec une propension pour les tonalités tragiques. Strauss s’autorise même une facétieuse autocitation au milieu du Prologue : le robuste solo de timbales de Also sprach Zarathustra vient donner à l'entrée en scène du personnage pédant du Majordome une pompeuse élégance. 10 11
À partir du Chevalier à la rose, Richard Strauss revient à la tradition viennoise des opéras mozartiens du XVIIIe siècle. Le rôle travesti du Compositeur renvoie d’ailleurs aussi bien à Octavian qu’à Chérubin ; Zerbinetta a un air de Despina dans Così fan tutte. Mais Ariane fait également penser à Brünnhilde attendant Siegfried, si bien que Le Ring de Wagner n’est jamais très loin non plus… Dans la dernière scène en tout cas les réminiscences wagnériennes sont très manifestes et elles expriment là encore une intention humoristique. On se croirait parfois au dernier acte de Siegfried – Strauss en a même copié la longueur excessive ! Et nous n’avons ici aucun mal à comprendre la Prima Donna qui, dans le Prologue, se plaignait des trop nombreuses notes aiguës du Ténor… Pour maîtriser cette scène sur le plan sonore, Strauss a recours à différentes astuces : ainsi, ce n’est qu’au finale que les trente-six musiciens du petit orchestre joueront en tutti, et c’est à ce moment seulement que les cuivres et les percussions (autres que les timbales) interviennent pour la première fois. Les redoublements d’octaves aux cordes produisent un son plus épais, pour ainsi dire « gonflé ». On ne sera d’ailleurs pas étonné que la tonalité, elle aussi, joue ici un rôle de citation : le rideau tombe, comme au Crépuscule des dieux, dans le ton de mi majeur. Propos recueillis par Aurélie Barbuscia 1. Sextuor vocal allemand célèbre dans toute l’Europe pendant l’entre-deux-guerres. Son répertoire mêlait chansons, opérette et comédie musicale dans des arrangements aux harmonies raffinées, interprétés avec une grande élégance vocale. Ruth Amarante in Blaubart, choreography Pina Bausch © Maarten Vanden Abeele 12 13
Photo © Stephen Cummiskey Le mécène commanditaire (l’homme le plus riche de Vienne) s’exprime exclusivement par l’entremise de son Majordome (Diabolus ex machina). Vous avez pourtant choisi de faire apparaître sur scène ce mécène. Qu’est-ce que sa présence physique est susceptible d’apporter à l’action ? Nous avons décidé de faire apparaître le personnage du mécène après avoir étudié la genèse de l’œuvre. Dans la version originelle datant de 1912, la représentation d’Ariadne auf Naxos suivait une adaptation du Bourgeois gentilhomme de Molière. Monsieur Jourdain, le « bourgeois gentilhomme » lui-même, était le commanditaire de l’opéra ; il y assistait et le commentait. Dans la deuxième version, Monsieur Jourdain a été remplacé par « l’homme le plus riche de Vienne », qui transmet ses instructions par la voix de son majordome, le Haushofmeister. Mais contrairement à Monsieur Jourdain, il ne semble pas assister au spectacle qu’il a commandité. Nous avons donc décidé d’explorer cette idée et de rendre sa présence manifeste, comme l’était celle de Monsieur Jourdain dans la première version. Par ailleurs, on souligne souvent la principale difficulté que cette œuvre présente à un metteur en scène, et qui consiste précisément à relier ses deux parties dans une trame cohérente. Dans notre approche, la maison et le personnel du mécène (ainsi que le mécène lui-même et son épouse) sont présents tout au long de la seconde partie. Le fait de voir cet homme assister à l’opéra et à la comédie-ballet qu’il a lui- même commandités nous permet d’interroger la relation entre l’opéra et ses mécènes. Quels sont pour vous les points forts et les faiblesses du livret d’Hofmannsthal ? Que reste-t-il du Bourgeois gentilhomme de Molière dans cette seconde version ? La grande force du livret d’Hofmannsthal réside dans l’humour et le brio du Prologue, auxquels Strauss répond avec beaucoup de panache. Son principal défaut – du moins dans la deuxième version – est la rupture de situation : puisque l’opéra est censé être joué pour le mécène, la deuxième partie n’est plus ancrée à la première. En lisant attentivement leur correspondance, Martin Crimp a relevé les tensions entre Hofmannstahl et Strauss à ce sujet. Strauss souhaitait que la fin du livret reprenne des personnages du Prologue, mais Hofmannsthal y était réticent. Le choc des mondes et des cultures La mise en abyme que l’opéra Ariane à Naxos propose, cette image pirandellienne du théâtre dans le théâtre, ainsi que la dimension de « théâtre de troupe » avec dix-sept chanteurs / ENTRETIEN AVEC KATIE MITCHELL, METTEUSE EN SCÈNE comédiens sur scène sont certainement des éléments grisants pour la femme de théâtre que vous êtes… Absolument ! Je suis fascinée par la multiplicité des strates dans cet opéra, et par les univers différents Avant d’accepter la mise en scène d’un opéra, vous tâchez toujours d’en écouter la musique, vous qui y coexistent. J’aime ce choc des mondes et des cultures entre l’art noble du Compositeur d’Ariane, l’art vous intéressez à ses sonorités comme à ses mouvements en faisant initialement abstraction populaire de Zerbinetta et de ses quatre acolytes danseurs, et le cadre de vie de ce riche mécène viennois. de toute dimension narrative. Quels aspects musicaux d’Ariane à Naxos vous ont-ils séduite ? J’apprécie tout particulièrement l’interaction entre les rôles parlés et les rôles chantés dans le Prologue, Bien que vous soyez une habituée du Festival d’Aix, il s’agit curieusement de votre première mais aussi l’aspect mélancolique de la musique d’Ariane dans la seconde partie. Au-delà de la musique, mise en scène sur les planches emblématiques du Théâtre de l’Archevêché. Quels sentiments l’intérêt de cet opéra réside dans l’idée du méta-cadre. Nous sommes plongés dans la demeure d’un cela vous inspire-t-il, et comment cela influence-t-il votre travail ? homme fortuné, où deux troupes doivent se partager l’affiche pour jouer l’une un opéra sur le mythe Je suis absolument ravie de mettre en scène un opéra dans cet environnement extérieur, et d’accepter d'Ariane, et l’autre une comédie-ballet. Le commanditaire ordonne que ces deux productions soient l’irruption potentiellement chaotique de la météo ! Cet espace présente des défis intéressants tant jouées non pas l’une après l’autre mais simultanément, et je suis très enthousiaste à l’idée de recréer pour le metteur en scène que pour le scénographe, car il offre peu de profondeur et ne dispose pas de l’univers de ce riche individu parallèlement aux spectacles qui sont donnés sous son toit. coulisses très vastes. Les contraintes sont donc plus importantes que dans une grande maison d’opéra, mais j’aime ces exigences nouvelles et j’ai beaucoup apprécié de travailler de nouveau avec Chloe Lamford sur les décors de cet opéra. Propos recueillis par Aurélie Barbuscia 14 15
Florence Henri © Galleria Martini & Ronchetti, courtesy Archives Florence Henri Florence Henri © Galleria Martini & Ronchetti, courtesy Archives Florence Henri 16 17
« Maudits soient ces remaniements ! » MARTIN CRIMP HOFMANNSTHAL À STRAUSS, 8 MAI 1916. L ’œuvre musicale et théâtrale que nous critiques, écrivit Hofmannsthal, se sont attaquées En composant ce nouveau Vorspiel pour la certaine vacuité dans le final d’Ariane et Bacchus, connaissons aujourd’hui sous le nom à l’œuvre « comme la cognée sur l’arbre ». La Version 2, Strauss fait preuve d’un incroyable désormais privé de son cadre métathéâtral. Par d’Ariane à Naxos était à l’origine une soirée semblait interminable. Les férus d’opéra esprit et d’une très grande invention pour exemple, l’écrivain et critique Romain Rolland, adaptation du Bourgeois gentilhomme s’ennuyaient pendant la pièce, les férus de théâtre représenter les orgueils et les angoisses des ami de Strauss, ne mâcha pas ses mots en (1670) de Molière par Hofmannsthal. s’ennuyaient pendant l’opéra. Pour couronner coulisses qu’il semble manifestement très bien déclarant : « L’impression d’ensemble est une Dans cette pièce satirique, l’antihéros le tout, il y avait deux entractes interminables. connaître. Il émit toutefois certaines réserves déception… Au lieu de terminer, comme il aurait éponyme, Monsieur Jourdain, est moqué Hofmannsthal, mortifié, commença presque quant au retrait des spectateurs présents sur fallu, par un septuor ironique des cinq bouffes et pour ses prétentions aristocratiques. La première aussitôt à écrire une nouvelle version – la Version 2 scène pendant l’opéra Ariane à Naxos, peut- des deux tragiques, les bouffes sont éliminés et partie de l’adaptation reprend plutôt fidèlement de 1916 – à laquelle nous allons assister ce soir. être conscient que les deux parties de l’œuvre l’on nous offre, seule, une tragédie pompeuse et la pièce de Molière : on y voit Monsieur Jourdain manquaient à présent d’unité. Strauss suggéra glacée à deux personnages ampoulés. » tenter en vain d’apprendre le chant, la danse, Strauss ne fut pas immédiatement séduit par la d’ailleurs à plusieurs reprises de rappeler des l’escrime et autres talents réservés à la haute nouvelle idée d’Hofmannsthal. Bien qu’il ait à personnages du Vorspiel vers la fin de l’œuvre Sensibles à cette critique et ayant à l’esprit société. Pour toutes ces scènes, Strauss composa l’origine vivement critiqué certains des passages afin de remplacer les personnages de Molière qui la forme originale de cette œuvre de Strauss/ une musique de scène entraînante. La seconde les plus obscurs de son texte, en particulier avaient été abandonnés. Cette idée fut totalement Hofmannsthal, nous avons ainsi modestement partie de l’adaptation était une représentation tout ce qui avait trait à la « transfiguration » rejetée par Hofmannsthal pour qui, avec le tenté de réintroduire des spectateurs sur scène du court opéra Ariane à Naxos lui-même dans d’Ariane et de son nouveau dieu/amant Bacchus, temps, et probablement pour quelques raisons pour notre représentation de cette Version 2. lequel intervenaient étrangement plusieurs Strauss était réticent à l’idée d’apporter des personnelles (voir sa longue correspondance avec personnages de la commedia dell’arte. L’idée changements. Il semble que ce soit le manque Ottonie Degenfeld, la jeune veuve à qui il dédia La correspondance vive et souvent intense d’Hofmannsthal était que la légende « antique » d’occasion de composer quelque chose de secrètement l’opéra), la relation « mythique » entre Hofmannsthal et Strauss (Hofmannsthal de l’abandon d’Ariane par Thésée racontée dans nouveau pendant la guerre 1914-1918 qui finit d’Ariane et Bacchus était devenue une véritable pouvait être particulièrement susceptible) révèle un style baroque venait parfaitement couronner la par le pousser à réécrire l’œuvre selon le plan de obsession. Strauss, comme beaucoup d’autres, qu’en définitive, les deux hommes, malgré leurs soirée et que Jourdain offrait cette représentation secours d’Hofmannsthal. avait toujours eu du mal à comprendre cette différences, partageaient la même vision de l’œuvre dans le but d’impressionner une dame de la haute relation. Il la poussa pourtant à sa façon jusqu’à qui devait selon eux, se terminer avec « quelques société, Dorimène, qui ne pourrait ainsi refuser Dans la Version 2, toutes les références à la pièce un paroxysme magistral (certains critiques iront répliques en prose ». Malheureusement, sans de devenir sa maitresse. de Molière ont disparu. La seconde partie, la jusqu’à dire qu’il la « wagnérisa »). doute épuisés par l’interminable processus de représentation lyrique d’Ariane à Naxos elle- révision (« Maudits soient ces remaniements ! »), Jourdain et ses courtisans parasites ne quittent même, reste en grande partie inchangée, malgré Cette version de 1916 beaucoup plus compacte fut ils ne parvinrent jamais à ce résultat. jamais la scène et assistent à l’opéra Ariane à quelques passages importants supprimés par dans l’ensemble bien reçue. Certains critiques Naxos tout en le commentant. Mais Jourdain est Strauss. La première partie est désormais un contemporains pointèrent pourtant du doigt une © Martin Crimp, mars 2018 dupé. Avant la fin de l’opéra, Dorimène s’éclipse Vorspiel ou Prologue, une comédie dynamique Bibliographie : avec son amant aristocrate, Dorante. L’œuvre où l’on observe les artistes se préparer en STRAUSS, Richard, Ariadne auf Naxos Op. 60, 1, Oper in einem Aufzug von Hugo von Hofmannsthal zu spielen nach dem "Bürger als se termine avec un Jourdain mélancolique et coulisse à interpréter l’opéra, non pas pour Edelmann" de Molière, Fürstner Musikverlag GmbH : Berlin, 1912. envieux du savoir-vivre inné d’une aristocratie Jourdain, mais pour « l’homme le plus riche de STRAUSS, Franz et Alice (dir.), The Correspondence between Richard Strauss and Hugo von Hofmannsthal, trad. Hans Hammelmann et Ewald Osers, Collins : Londres, 1961. qu’il continue à admirer malgré – ou peut-être en Vienne » qui décide soudainement que l’histoire HOFMANNSTHAL, Hugo von et DEGENFELD, Ottonie von, The poet and the countess: Hugo von Hofmannsthal's Correspondence With raison – du mépris avec lequel il a été traité. sérieuse de l’abandon d’Ariane doit être jouée Countess Ottonie Degenfeld, trad. W. Eric Barcel, New York : Camden House, 2000. SIMULTANÉMENT à L’Infidèle Zerbinetta et ses ROLLAND, Romain, Richard Strauss et Romain Rolland: correspondance - Cahiers Romain Rolland vol. 3, avant-propos de Gustave Samazeuilh, Paris : Albin Michel, 1950. La première représentation de cette version initiale Quatre Amants, une comédie qui devait à l’origine FORSYTH, Karen, Ariadne auf Naxos by Hugo von Hofmannsthal and Richard Strauss: its Genesis and Meaning. Oxford : Oxford de l’œuvre – Version 1 – fut un échec total. Les être interprétée juste après. University Press, 1982. DEL MAR, Norman, Richard Strauss: a critical commentary on his life and works, vol. 2, London : Barrie & Rockliff, 1969. 18 19
Florence Henri © Galleria Martini & Ronchetti, courtesy Archives Florence Henri Florence Henri © Galleria Martini & Ronchetti, courtesy Archives Florence Henri 20 21
« J’aurais seulement aimé que l’échange entre Bacchus et Ariane ait plus de poids, avec un Notes dramaturgiques de Martin Crimp crescendo interne plus enlevé… stimulez encore un peu votre Pégase. » LA GENÈSE D'ARIADNE AUF NAXOS À TRAVERS QUELQUES Mi-juillet 1911 EXTRAITS DE LA CORRESPONDANCE ENTRE RICHARD STRAUSS ET Hofmannsthal est à la fois blessé et dérouté par la réaction de Strauss – « Je vous dirai sans dissimuler avoir été quelque peu contrarié par la froideur et le laconisme des paroles que vous avez eues en recevant HUGO VON HOFMANNSTHAL le texte achevé d’Ariane » – et cherche désespérément des circonstances atténuantes, parmi lesquelles le manque de qualité du texte manuscrit qu’il déplore ici : « En écrivant cette lettre ou en lisant le manuscrit, vous n’étiez peut-être pas de l’humeur qu’il fallait, cela arrive si facilement chez les tempéraments créateurs ; je vois bien également qu’une 15 mai 1911 construction si subtile, écrite à la main, est mille fois moins propice à la lecture qu’un exemplaire Hofmannsthal propose à Strauss de se joindre à lui pour réaliser l'adaptation du Bourgeois gentilhomme de dactylographié (malheureusement, ma secrétaire, malade, était absente); c’est pourquoi je ne Molière, à laquelle succèderait un court opéra, Ariadne auf Naxos. Le poète conçoit l’ensemble comme un laisse pas d’espérer que, si vous reprenez ce texte, vous n’en percevrez que mieux les qualités. » événement de style baroque offert en cadeau au metteur en scène Max Reinhardt, qui avait contribué au Il explique qu’Ariane « se confiera totalement à lui [Bacchus] comme à la mort seule on se confie. » Ce succès du Chevalier à la rose. Dans l'esprit de l'allégorie baroque, l'opera seria Ariadne auf Naxos s’enrichit personnage constitue à ses yeux un modèle de fidélité féminine, exact opposé de Zerbinetta. de personnages comiques issus de la commedia dell’arte sur lesquels repose le divertissement: « Le divertissement Ariane à Naxos est joué après le dîner devant Jourdain, le comte et la 19 juillet 1911 prétendue marquise, il est entrecoupé çà et là de brèves remarques des spectateurs et clôt la Strauss admet diplomatiquement que tous ses doutes se sont dissipés depuis que le texte est pièce. » dactylographié, « maintenant que vous m’avez mis le nez dessus » – dit-il – (le chant de Bacchus est Pour le dire autrement, ce seront des personnages appartenant à la pièce de Molière qui assisteront sur désormais à son goût). scène à la représentation d'Ariadne auf Naxos. Strauss continue cependant de penser qu'une pièce, quelle qu’elle soit, ne devrait pas avoir besoin d’explications préalables de la part de son auteur : 22 mai 1911 ,« Le symbole vivant doit émerger tout seul de l’action, et non en être extrait après coup par des Strauss écrit à Hofmannsthal : gloses pénibles. » « Ariane peut devenir très jolie. Comme la charpente dramatique est en soi très mince, tout dépend justement de sa réalisation poétique. Mais avec vous, on n’a pas à se faire de souci quant 23 juillet 1911 au bel élan des vers. Donc, sellez Pégase ! » Hofmannsthal écrit une lettre longue de trois pages à Strauss, dans laquelle il l’accuse de n'être pas Strauss se révèle ici particulièrement enthousiaste à l'idée de composer un « morceau de bravoure » assez réceptif : pour le personnage bouffe de Zerbinetta : « Cette productivité réceptrice, j’étais en droit de l’espérer de vous précisément dans une affaire « Dionysos puisse-t-il vous éclairer ! J’attends ! » aussi délicate que la fabrication d’un poème destiné à la musique. » Dans cette même lettre, il évoque toutefois l'idée d'ajouter – en guise d’explication – une « scène en 25 mai 1911 prose qui précède l’opéra. » Il s'agit là de la première allusion à ce qui deviendra plus tard le Vorspiel Initialement surpris par l’intuition de Strauss selon laquelle il faut « donner plus d’éclat à Zerbinetta », (Prologue) de la deuxième version : Hofmannsthal finit par se laisser convaincre. Il en convient : le scénario de l'opéra est « un peu mince », « On a ainsi une occasion déguisée en plaisanterie d’expliquer très clairement l’opposition mais « l’élément bouffe ne confère-t-il pas un charme puissant qui supprime toute monotonie ? » symbolique entre les deux femmes. Cela vous est-il sympathique? » 27 / 28 mai 1911 24 juillet 1911 Pour ce qui est de la relation entre Ariane et Bacchus, « l’intrigue en soi n’intéresse pas » Strauss. Et Strauss répond poliment – « Grand merci pour votre lettre très intéressante » – avant de donner l’avis de Hofmannsthal de lui répondre qu'il ne doute pas de la qualité de son travail et que la relation Ariane/ Levin, son ami berlinois, à propos du texte – « Je n’ai pas la moindre idée de ce que cela signifie ni du Bacchus se révèle – grâce à sa plume – pleine de poésie et de subtilité : rapport que cela entretient avec Molière ». Strauss se dit en revanche conquis par cette nouvelle scène « Je devrais l’écrire d’une façon bien lamentable pour que l’ouvrage ne finisse pas par vous « où toute l’action est expliquée et justifiée. » ‘intéresser’. » 26 juillet 1911 14 juillet 1911 Levin manque tout simplement d’imagination selon Hofmannsthal, qui vient juste de faire lire le Après avoir reçu de la part d’Hofmannsthal la nouvelle mouture de la scène finale entre Ariane script à certains de ses amis, parmi lesquels Ottonie Degenfeld : et Bacchus, Strauss reste sceptique quant à cette relation Ariane/Bacchus dont il ne saisit pas les « Spontanément, sans que j’aie à demander rien, le charme de la fin fut compris… En un mot, motivations : je fus très satisfait. » 22 23
Pendant l’automne 1911, Hofmannsthal met tout en œuvre pour s’assurer du recrutement *** de Max Reinhardt en qualité de metteur en scène. Il semblerait que Strauss n'était pas ARIADNE AUF NAXOS, Opéra en un acte à représenter après contre l'idée de se passer de Reinhardt. Au début de 1912, Hofmannsthal et Strauss Le Bourgeois Gentilhomme de Molière finalisent l’adaptation du texte de Molière. Il est question de faire la première à Dresde Première, Stuttgart, Königliches Hoftheater, Kleines Haus, 25 octobre 1912. ou à Stuttgart. C’est Stuttgart qui finit par être retenue pour la première, immédiatement suivie de représentations à Dresde. *** 5 décembre 1912 Hofmannsthal : « J’ai entendu Ariane ici et j’ai de nouveau été profondément touché par la pureté et la 7 février 1912 beauté de cet ouvrage. » Ce dernier est cependant attristé par le faible niveau de remplissage de la salle Hofmannsthal annonce que le texte sera publié dans la Neue Freie Presse du 26 mai 1912, ce qui lui de Dresde et en colère contre la presse qui « se contente de frapper comme la cognée sur l’arbre. » donnera l’occasion « d’exposer… l’idée d’Ariane » dans une courte introduction. 9 janvier 1913 19 avril 1912 Alors que la première version de l'opéra est encore à l'affiche, Hofmannsthal songe déjà à la seconde « Il me faut les derniers mots de Jourdain ! » : Strauss demande à Hofmannsthal les derniers mots de version. Il propose d'abandonner tout lien avec la pièce de Molière et de commencer par la scène de Jourdain, parlés et non chantés. Ils contribueront à conclure l'ouvrage en attirant l’attention du public transition se déroulant « dans le château d’un homme riche, d’un mécène. » sur les personnages qui, sur scène, assistent à l'opéra. Hofmannsthal s'exécute et les fait parvenir à Strauss le jour même. 13 février 1913 Hofmannsthal est consterné car il ne cesse de lire dans la presse que le public bâille pendant le Molière : 20 juin 1912 « ‘Bâiller’, voilà le deuxième mot que je lis quand les jacasseries des misérables scribes de la Strauss dédie la partition à Max Reinhardt et signe « en témoignage de notre respect et de notre presse me tombent le soir sous la main… j’aimerais savoir qui bâillait à Stuttgart ! On siffle un gratitude », suivi de son nom et de celui d’Hofmannsthal. classique de la littérature universelle [la pièce de Molière], comme à Munich. » Les répétitions ont commencé à Stuttgart. Strauss écrit : « Je crois que la partition montrera à ceux qui sont capables de quelque chose une nouvelle 1 mars 1913 voie pour l’opéra. » Strauss tente de le consoler en lui annonçant que la première berlinoise « a été merveilleuse. » 23 juin 1912 3 juin 1913 Strauss regrette que Hofmannsthal n’ait pas fait allusion au « problème d’Ariane » dans l’article du Neue Hofmannsthal reste déçu par la réception de la pièce de Molière. Bien que certains ajustements aient Freie Presse. d'ores et déjà été mis en place, il croit qu’une solution plus radicale s’impose désormais : « À quoi bon ces rafistolages de fortune : l’unique remède est dans mon bureau depuis huit 28 juin 1912 jours… il s’agit du nouveau prologue, cette scène jouée dans les loges, remaniée avec beaucoup Hofmannsthal affirme qu'il n'y a plus aucun problème, puisqu'il a désormais tout expliqué dans la de fraîcheur et de bonne humeur. » nouvelle « scène de transition ». Le voilà qui dicte à Strauss la marche à suivre : « Puisque j’assène maintenant point par point pour le faire entrer dans la tête de l’auditeur, grâce « Vous vous mettez aussitôt au travail ; c’est pur et sans aspérités, gai et sérieux… le monde à la scène de transition, ce qu’à l’époque je fus obligé de vous dire par lettre. » entier en sera surpris et enchanté… Comme la belle Ariane, une fois sur ce piédestal, sera pure et entière, harmonieuse ! » Cette scène en coulisses destinée à former un pont entre l’adaptation du texte de Molière et l’opéra Ariadne auf Naxos devait initialement ne recourir qu’à la voix parlée. Adaptée par Hofmannsthal et 15 juin 1913 mise en musique par Strauss, elle devient le Vorspiel de la deuxième version d’Ariadne. Strauss ne tarde pas à lui répondre : « pour parler franchement, je n’ai pas encore réussi à y prendre goût… En outre, je ne démords 21 juillet 1912 pas de notre premier travail et je trouve sa construction et son idée si réussies que la nouvelle « Ariane est terminée. » : Strauss achève la partition, dont il transmet les dernières pages à l'éditeur. version sera toujours pour moi une œuvre estropiée. » 13 octobre 1912 Décembre 1913 Strauss se dit satisfait des répétitions : Strauss est toujours contre l'idée de réajuster, voire de séparer l'opéra de la pièce de Molière. Il suggère « L’œuvre produit un très bel effet. Molière est extraordinairement drôle. » de poursuivre en justice certains critiques – « faut-il accepter toutes ces bêtises sans se défendre? » Strauss évoque aussi le problème des deux entractes de 50 minutes, qui ont saboté la première de Stuttgart : 24 25
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