Prise en charge des enfants victimes d'inceste - Association Docteurs Bru

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Médecine
                                              & enfance

                                 Prise en charge des enfants
                                 victimes d’inceste
LE DOSSIER
             Il aura fallu une belle dose d’inconscience et d’entêtement pour installer dans les murs du
             17, boulevard de la République à Agen, le centre d’hébergement et de prise en charge de
             jeunes filles victimes d’agressions sexuelles incestueuses, dénommé la « MaJB » (Maison
             d’accueil Jean-Bru). L’idée d’apporter une réponse spécifique à une maltraitance aussi par-
             ticulière que le viol incestueux m’avait été soufflée par une amie, avocate de cour
             d’assises : Maître Monique Smadja.
             A l’époque de la création du centre, en 1996, huit ans avant la révélation de l’affaire d’Ou-
             treau, ce fait de société était totalement tabou, il n’existait pas de modèle satisfaisant pour
             répondre à cette problématique.
             En quinze ans, d’échecs en succès, la MaJB a acquis une expérience qui lui permet de ser-
             vir de référence. Elle intervient en aval du dévoilement et de la judiciarisation ; toutes les
             jeunes filles accueillies sont placées sous l’autorité judiciaire et font l’objet d’une prise en
             charge psychoéducative sur le long terme.
             Le but ultime est de replacer l’enfant dans sa parentalité, en remettant à leur place les
             rôles générationnels et sexuels au sein de la famille, et de donner à l’enfant la possibilité
             de devenir un jour lui-même « parent ». C’est pour cette tâche énorme mais essentielle à la
             restructuration psychique des jeunes filles, que psychiatres, psychologues, éducateurs et
             personnels de la maison s’engagent chaque jour.
             En se dotant d’un conseil d’orientation scientifique et technique, l’Association Docteurs
             Bru s’est également donné pour mission d’associer les pratiques éducatives développées
             à la Maison d’accueil Jean-Bru à un travail de réflexion et de recherche concernant l’inces-
             te, et ce afin de toujours améliorer l’aide apportée aux jeunes filles.
             Ce dossier de Médecine et Enfance est l’expression de cette réflexion.
                                                                                                  Dr Nicole Bru
                                                                   Présidente de l’Association Docteurs Bru

             Sommaire du dossier :
             첸 La prise en charge socio-éducative des jeunes filles victimes d’inceste :
               la Maison d’accueil Jean-Bru, un établissement spécialisé,
               par M. Louvet et J. Argelès
             첸 Prise en charge des fratries confrontées à l’inceste,
               par H. Romano
             첸 La protection de l’enfant victime d’inceste par la révélation des faits,
               par A. Gouttenoire
             첸 La répression de l’inceste sur mineur,
               par A. Gouttenoire
             첸 Spécificités du traumatisme psychique de l’inceste chez l’enfant et de
               sa prise en charge,
               par P. Ayoun
             첸 Une clinique des pères incestueux,
               par L. Massardier
             첸 Et l’inceste maternel ?
               par L. Massardier

                                            décembre 2011
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La prise en charge socio-éducative                                                                  LES FONDEMENTS
                                                                                                    DE L’ACTION ÉDUCATIVE
des jeunes filles victimes d’inceste :
                                                                                                    Sous l’autorité de son directeur, la
la Maison d’accueil Jean-Bru, un                                                                    MaJB est animée par une équipe pluri-
                                                                                                    disciplinaire de professionnels : méde-
établissement spécialisé                                                                            cins, éducateurs spécialisés, moniteurs-
                                                                                                    éducateurs, assistante sociale, services
                                                                                                    généraux…
M. Louvet, directeur de la Maison d’accueil Jean-Bru
                                                                                                    Chaque jeune fille est reconnue en tant
J. Argelès, directeur général et coordonnateur du conseil d’orientation scientifique et technique   que sujet inscrit dans une histoire dont
de l’Association Docteurs Bru                                                                       elle est actrice et dont la singularité de
                                                                                                    ses dires est prise en compte.
La question des agressions sexuelles sur             ticulière. Au fil des ans, ce projet a évo-    La référence à la clinique psychologique
enfants, largement reprise dans les mé-              lué à partir de l’expérience et des ensei-     et à la psychanalyse demeure une clef
dias, est devenue majeure dans notre so-             gnements donnés par les jeunes filles          de compréhension majeure et impor-
ciété. Les services publics et les associa-          elles-mêmes. Aujourd’hui, la MaJB est          tante dans un travail relationnel articu-
tions professionnelles de protection de              une maison d’enfants à caractère social        lé autour de la parole. Il s’agit de per-
l’enfance sont très sollicités par ce problè-        (MECS) qui garde son ambition expéri-          mettre aux jeunes filles, au cours de la
me depuis la fin des années 80.                      mentale et de recherche. Elle accueille        vie quotidienne dans la MaJB, le repéra-
Dans le cadre d’une recherche d’améliora-            25 jeunes filles de dix à vingt et un ans,     ge des phénomènes relationnels qu’elles
tion de l’aide proposée aux enfants vic-             victimes d’inceste ou de violences             mettent en œuvre, d’en favoriser leur
times d’inceste ou de violences sexuelles            sexuelles commises par un proche et            compréhension et de ce fait leur prise
intrafamiliales s’est posée la question de           pour qui un éloignement familial tem-          de conscience.
la spécificité du traumatisme et d’un ac-            poraire a été décidé par l’autorité judi-      L’objectif est que cette prise de
compagnement éducatif adapté. C’est                  ciaire. L’établissement est habilité par le    conscience amène les jeunes filles, en
dans ce mouvement qu’en 1996, à l’ini-               ministère de la Justice (Protection judi-      référence aux options associatives :
tiative du Dr Nicole Bru, est créée la Mai-          ciaire de la jeunesse) et les services du      첸 à se libérer du traumatisme et de
son d’accueil Jean-Bru (MaJB), dont l’ob-            Conseil général du Lot-et-Garonne (Ai-         l’aliénation de l’identité de victime ;
jectif est de venir en aide aux jeunes filles        de sociale à l’enfance).                       첸 à mettre un terme à la confusion dans
victimes d’inceste. Cet établissement spé-           La MaJB reçoit des mineures et des             les processus d’identification générés
cialisé et unique repose sur un projet ex-           jeunes majeures au titre des articles 375      par l’inceste et la violence sexuelle ;
périmental ambitieux qui propose de re-              à 375-8 du Code civil et du décret 75-96       첸 à mettre un terme à la confusion gé-
grouper et de faire vivre ensemble des               du 18 février 1975. Ces jeunes filles          néalogique père, mère, enfant ;
jeunes filles ayant vécu les mêmes agres-            sont confiées à la MaJB par décision ju-       첸 à préparer leur vie de femme.
sions sexuelles.                                     diciaire ou par l’Aide sociale à l’enfance,
Ce choix, ce pari fait par le Dr Nicole              après décision judiciaire ou en accueil
Bru était, à l’époque, en rupture avec les           provisoire. La zone géographique de re-
                                                                                                    LES SUPPORTS
orientations préconisées par les autori-             crutement est habituellement régiona-          PRINCIPAUX DE L’ACTION
tés de la protection de l’enfance, peu fa-           le, mais, étant donné la problématique
vorables à la spécialisation de foyers               traitée et les nécessités d’éloignement,       L’action éducative repose sur quatre
rassemblant dans un même lieu des                    toutes les demandes sont étudiées, en          points principaux :
jeunes présentant un même profil ou un               tenant compte des possibilités de rela-        첸 répondre aux besoins de protection par
diagnostic commun.                                   tion avec la famille.                          l’éloignement du milieu familial lorsque
Le conseil scientifique de l’association,            L’établissement est situé au centre de la      cela est nécessaire et ordonné par l’au-
sous l’impulsion du Dr Ginette Raim-                 ville d’Agen dans une grande maison            torité judiciaire ;
bault, psychiatre, psychanalyste, direc-             bourgeoise. Dans une maison attenan-           첸 faire vivre ensemble des jeunes filles
teur de recherche à l’Inserm, a claire-              te, un service d’accès à l’autonomie per-      toutes concernées par une probléma-
ment défini l’établissement comme un                 met la prise en charge des jeunes filles       tique d’inceste ou de violences sexuelles,
foyer éducatif et thérapeutique, mais                proches de la majorité.                        afin de favoriser un sentiment d’appar-
aussi comme un lieu de réflexion et de               Les jeunes majeures sont logées en ap-         tenance à un groupe humain, sentiment
recherche permanent sur le traitement                partement, en ville ou au foyer des            altéré par le vécu incestueux ;
psychosocial de cette maltraitance par-              jeunes travailleurs d’Agen.                    첸 avoir pour support de travail la parole
                                                                    décembre 2011
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                                                                 critère de l’agression sexuelle subie         De même, les activités socioculturelles
 L’ASSOCIATION DOCTEURS BRU                                      pour les aider à se désaliéner de ce sta-     sont pensées comme moyen de sociali-
 C’est à l’initiative du Dr Nicole Bru, alors                    tut de victime. Cela passe par la recon-      sation et outil de médiation relationnel-
 propriétaire et dirigeante des laboratoires                     naissance initiale du traumatisme subi,       le permettant de travailler la revalorisa-
 pharmaceutiques Upsa, qu’a vu le jour l’As-                     pour qu’avec le temps et l’écoute de leur     tion et l’estime de soi. Elles sont aussi
 sociation Docteurs Bru.                                         parole, les jeunes filles ne se considè-      l’occasion d’élargir et d’enrichir les
 En 1996, cette association a créé à Agen le                     rent plus uniquement comme des vic-           connaissances culturelles des jeunes
 seul établissement spécialisé dans la prise                     times mais comme des sujets respon-           filles. Elles sont réalisées à l’intérieur ou
 en charge des jeunes filles victimes d’inces-                   sables de leur devenir.                       dans des associations choisies par les
 te ou de violences sexuelles intrafamiliales.                   L’expérience montre que la spécificité        jeunes filles.
 Au cours des années, ce lieu d’accueil a su                     du travail de l’équipe éducative, centré      Les sorties individuelles sont accordées
 faire évoluer son projet d’établissement à                      sur l’écoute, l’analyse de la parole et des   sur demande des jeunes filles. Elles leur
 partir de l’expérience acquise et proposer                      comportements destructeurs, permet            permettent de s’autonomiser dans la
 de nouvelles réponses psycho-éducatives                         aux jeunes filles de dépasser la répéti-      vie courante et de se créer un réseau
 sans cesse réajustées. Cet établissement                        tion de conduites souvent mortifères.         social. Ces sorties libres posent égale-
 garde ainsi l’esprit de recherche qui a inau-                   Cela pose le cadre et les limites de l’ac-    ment le problème de la sexualité. Leur
 guré son ouverture. Forte de ses acquis et                      tion et des indications à l’admission.        vécu d’agressions sexuelles a souvent
 sous l’impulsion de son conseil d’orienta-                      La MaJB propose avant tout un accom-          affecté leur relation à elle-même et à
 tion scientifique et technique composé de                       pagnement éducatif dans un environne-         l’autre, à travers une représentation de
 médecins psychiatres, pédiatres, psycho-                        ment thérapeutique ; elle n’est pas une       la sexualité qui peut être déviante, dis-
 logues cliniciens, juristes et professionnels                   structure médicalisée. De ce fait, les        sociée des sentiments amoureux.
 de l’enfance, l’Association Docteurs Bru ar-                    jeunes filles présentant des pathologies      L’équipe éducative assume alors son rô-
 ticule son expérience clinique avec les diffé-                  mentales ou des déficiences intellec-         le de protection et de prévention en ac-
 rents travaux de recherche qu’elle mène                         tuelles ne permettant pas d’envisager         compagnant la jeune fille dans ce che-
 seule ou en partenariat. Elle organise égale-                   leur adhésion au projet de l’établisse-       minement vers plus de discernement et
 ment des colloques et des formations pro-                       ment ne peuvent y être admises.               de respect d’elle-même.
 fessionnelles, et fonctionne comme centre                                                                     En ce qui concerne le suivi médical, les
 ressource auprès des intervenants concer-
                                                                 La « vie de tous les jours »                  jeunes filles, après deux mois d’observa-
 nés par cette maltraitance particulière.                        Il s’agit pour l’équipe éducative de ré-      tion, passent à la CPAM un bilan de san-
 MaJB : 17, boulevard de la République, 47000 Agen.              pondre aux besoins élémentaires des           té qui permet de lister les besoins (or-
 Association Docteurs Bru : 46, rue Boissière, 75116 Paris,      jeunes filles (alimentation, hygiène,         thodontie, orthophonie, gynécolo-
 tél. : 01 44 34 81 02, site : www.associationdocteursbru.com.
                                                                 sommeil, sécurité et protection, recon-       gie…). Les suivis médicaux se font à
                                                                 naissance et appartenance sociale, esti-      l’extérieur, avec ou sans accompagne-
délivrée par la jeune fille dans sa vie au                       me de soi, soutien, valorisation, nécessi-    ment du personnel encadrant, qui est le
quotidien, et ce dans un cadre structu-                          té d’un cadre, soins, etc.).                  garant de la prise du traitement suivant
rant et protecteur ;                                             C’est au travers de tous les actes de la      les prescriptions médicales.
첸 promouvoir la solidarité entre jeunes                          vie quotidienne, sorte de « quotidien-        Les contacts avec la famille (rencontre,
filles au sein de la maison référence.                           thérapie » que se fonde l’action de l’éta-    visite ou téléphone) peuvent être auto-
Ces points se déclinent ensuite conformé-                        blissement. En effet, tous les actes ano-     risés, médiatisés ou interdits, selon l’or-
ment au projet d’établissement en axes                           dins de la vie quotidienne sont d’une         donnance du juge. Après s’être assurés
de travail et modalités d’intervention.                          grande importance pour ces jeunes             de la légalité des visites ou des appels,
                                                                 filles dont le vécu d’agressions sexuelles    les éducateurs tentent de favoriser la
LA PRISE EN CHARGE ÉDUCATIVE,                                    a profondément altéré les repères. Il est     compréhension des enjeux familiaux en
SCOLAIRE, SOCIALE ET MÉDICALE                                    important que des règles précises et          cours, pour permettre à la jeune fille de
L’adhésion de la jeune fille au projet                           claires soient établies et participent au     se positionner plus clairement et plus li-
éducatif proposé est déterminante et in-                         cadre structurant dont elles ont besoin.      brement dans le système familial, et ce
dispensable pour mener à bien l’accom-                           La scolarité ou la formation profession-      en lien avec le « service famille », qui est
pagnement, car la vie en collectivité                            nelle est obligatoire. Les jeunes filles      plus particulièrement en charge du tra-
peut être difficile pour certaines jeunes                        sont toutes inscrites dans les différents     vail avec la famille.
filles, qui ont déjà vécu l’exclusion du                         établissements scolaires ou d’apprentis-
milieu familial ou le renvoi de précé-                           sage publics ou privés d’Agen et de ses       UN ENVIRONNEMENT
dents établissements.                                            alentours. Une éducatrice scolaire assu-      THÉRAPEUTIQUE INSTITUTIONNEL
Il s’agit là du premier paradoxe à rele-                         re l’aide aux devoirs au sein de l’établis-   « Etre victime d’inceste, est-ce un
ver : rassembler des jeunes filles sur le                        sement chaque soir et le mercredi.            symptôme ou une maladie en soi qui
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appellerait uniquement une réponse            bonne distance dans leurs relations             psychologique, rencontre avec le juge
thérapeutique ? » interroge le Dr Ginet-      avec les jeunes filles.                         d’instruction, l’avocat, l’administrateur
te Raimbault.                                                                                 ad hoc, et ce jusqu’à l’audience finale
La MaJB n’est pas un établissement de         Un espace de parole privé à                     (classement sans suite, non-lieu, correc-
soins au sens administratif du terme.         l’extérieur de l’établissement                  tionnelle, cour d’assises). Ces actes se-
Cependant, et dans la suite logique de        L’expérience au début de la création de         ront ainsi mieux compris et leurs effets
son histoire, l’accompagnement éduca-         la MaJB associait vie quotidienne, so-          moins traumatisants.
tif mené par les professionnels s’intègre     cialisation et thérapie dans un même
dans un « environnement thérapeutique         lieu. Cette pratique s’est révélée source       LE SERVICE FAMILLE
institutionnel » qui détermine la façon       de confusion pour les jeunes filles.            La loi du 5 mars 2007 réformant la pro-
de prendre en charge les jeunes filles,       Après réflexion, il a été décidé que le         tection de l’enfance renforce le droit de
notamment par :                               lieu « pour vivre » devait être séparé du       l’enfant d’entretenir des relations avec
첸 la mise en place d’un cadre social et       lieu « pour se soigner ». Le suivi psycho-      sa famille lorsque son intérêt impose
éducatif où les règles sont à respecter,      thérapique est maintenant proposé en            qu’il soit confié à un établissement.
les rapports éducatifs clairement expli-      dehors de l’établissement, chez un thé-         C’est le juge qui fixe les modalités de
cités, la parole, l’échange et la négocia-    rapeute psychologue ou psychiatre du            l’exercice du droit de visite et d’héber-
tion prioritaires ;                           secteur public ou privé.                        gement. Il peut, si l’intérêt de l’enfant
첸 une disponibilité d’écoute qui permet                                                       l’exige, décider que l’exercice de ces
à la jeune fille de s’exprimer et qui favo-   LA PRISE EN COMPTE                              droits ou de l’un d’eux soit provisoire-
rise ainsi l’émergence d’une parole sin-      DU CONTEXTE JUDICIAIRE                          ment suspendu. Le juge peut également
gulière et authentique pour avancer           Les jeunes filles sont confiées à la MaJB       décider que le droit de visite du ou des
dans la symbolisation du discours en          suite à une décision judiciaire (juge des       parents ne peut être exercé qu’en pré-
lieu et place de la répétition des pas-       enfants) prononçant le retrait momenta-         sence d’un tiers (visite médiatisée).
sages à l’acte ;                              né du milieu familial. Cette décision           Sauf décision contraire, les parents res-
첸 la permanence de l’élaboration en           trouve son fondement dans les articles          tent titulaires de l’autorité parentale.
groupe de la question du traumatisme          375 et suivants du Code civil. C’est une        C’est le « service famille » qui rencontre
sexuel vécu par chaque jeune fille et de      mesure de protection (procédure civile          la famille sur son lieu de vie, souvent
ses manifestations dans la vie quoti-         d’assistance éducative). Mais, dans la          éloigné. Cela permet d’apporter à l’équi-
dienne de la MaJB (actes ou paroles) ;        plupart des situations, les jeunes filles       pe de la MaJB des éléments de compré-
첸 la réponse des professionnels qui ont       sont également concernées par la procé-         hension de l’histoire des jeunes filles,
à se confronter, à faire face, à contenir     dure pénale en cours visant la personne         car on ne saurait s’intéresser à l’inceste
les manifestations parfois violentes des      qu’elles ont désignée comme auteur de           sans s’interroger sur le fonctionnement
jeunes filles, qui dans ce lieu ne sont pas   l’agression. Lors de cette procédure, le        de chacun des membres de la famille.
motifs d’exclusion, mais éléments             Code pénal prévoit des mesures de pro-          A partir de ces éléments cliniques, il
d’analyse et de compréhension de leurs        tection pour les mineurs (enregistrement        s’agit d’aider la jeune fille à se (re)situer
difficultés et de leurs blessures, qui ici    vidéo, administrateur ad hoc, accompa-          à sa place d’enfant dans une famille qui
ne déterminent pas une identité.              gnement lors des différents actes de pro-       a pu fonctionner dans la confusion des
Ce souci thérapeutique se manifeste           cédure notamment), car l’enquête préli-         sexes et des générations ; il s’agit de lui
par :                                         minaire ou l’instruction reposent très          donner des points de repère pour qu’el-
첸 une clinique de la parole et la prise en    souvent sur la seule parole de la jeune         le se reconstruise elle-même, hors de
compte de la parole délivrée par les          fille. Tous les actes judiciaires vont alors    cette confusion. Elle pourra ainsi se li-
jeunes filles dans tous les actes de la vie   se porter sur la vérification de cette paro-    bérer d’une inscription généalogique
quotidienne ou dans les relations avec        le, de cette révélation. Et dans ce cadre,      subie et répétitive, et éviter les repro-
les adultes ;                                 la nécessité de l’établissement des faits et    ductions transgénérationnelles des mal-
첸 un groupe de travail d’analyse des pra-     de la recherche de la vérité l’emporte          traitances.
tiques et de formation des professionnels     souvent, malgré la volonté des acteurs,         En lien avec les référents du département
dans leur relation quotidienne assuré         sur la protection de la jeune fille. Elle re-   d’origine (ASE, AEMO) s’organisent les
par un psychiatre psychanalyste. Ce tra-      vit ainsi, par la succession des récits lors    rencontres avec les familles : séjours de
vail hebdomadaire d’analyse des pra-          des actes de procédure, des événements          vacances, visites médiatisées, rencontres
tiques et des vécus permet aux profes-        douloureux. Si nécessaire, la jeune fille       avec la fratrie, préparation au retour
sionnels d’aborder leurs propres conflits     sera accompagnée par un professionnel           dans le respect du cadre judiciaire posé.
intrapsychiques et institutionnels dans       de la MaJB tout au long de cette procé-         L’action du service famille est toujours in-
leur vie personnelle et professionnelle,      dure et lors des différents actes : police,     teractive avec le travail de l’internat.
et garantit ainsi leur maintien de la         gendarmerie, expertise médico-légale ou         Après leur départ de l’établissement, les
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« anciennes » qui en font la demande               rience acquise avec les jeunes filles, et ce   traumatique » [7, 8] , qui conduit à de
peuvent revenir passer quelques jours              sans renoncer aux principes fondateurs. A      multiples signes de souffrance.
au foyer. Ces retours leur permettent de           partir d’une prise en charge en internat,
bénéficier du soutien de l’équipe dans             c’est le besoin de chaque jeune fille qui
les moments difficiles de leur existence.          est pris en compte en fonction de la réalité
                                                                                                  LE LIEN FRATERNEL
Elles peuvent être reçues dans la struc-           de son histoire et de la place du traumatis-   À L’ÉPREUVE DE L’INCESTE
ture elle-même ou à l’extérieur, en fonc-          me dans cette histoire. La jeune fille est
tion des disponibilités.                           ainsi au cœur du dispositif éducatif et thé-   L’inceste implique l’ensemble d’une fa-
Depuis sa création il y a maintenant qua-          rapeutique proposé par la MaJB, qui indi-      mille. Pourtant peu d’attention est por-
torze ans, la MaJB n’a cessé de faire évo-         vidualise sa réponse à partir « d’un projet    tée aux fratries, alors que frères et
luer son projet technique, nourri de l’expé-       pour la jeune fille ».                    첸    sœurs interrogent, chacun à leur ni-
                                                                                                  veau, le dysfonctionnement familial.
                                                                                                  Cet oubli des frères et sœurs est d’autant
Prise en charge des fratries                                                                      plus dommageable que les suivis de fra-
                                                                                                  tries en contexte traumatique permet-
                                                                                                  tent de constater que les frères et sœurs
confrontées à l’inceste                                                                           ne se portent pas mieux que l’enfant vic-
                                                                                                  time, même s’ils n’ont pas été directe-
                                                                                                  ment impliqués dans l’événement [9] ni
H. Romano, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie clinique, psychothérapeute ;      abusés [10]. S’ils n’ont pas été agressés
membre du conseil d’orientation scientifique et technique de l’Association Docteurs Bru ;         dans leur corps, ils ont été abusés psychi-
consultation spécialisée de psycho-traumatisme ; chercheur associée au laboratoire Inserm U669
Pr M.R. Moro, CHU Henri-Mondor, Samu 94, Créteil
                                                                                                  quement par ce que représente l’inceste,
                                                                                                  à savoir le déni d’altérité, le viol de l’inti-
Cet article propose de présenter les consé-        et ce qui a pu s’élaborer psychiquement        mité et de l’intégrité, l’attaque des
quences sur les frères et sœurs des situa-         au fur et à mesure de l’histoire de cha-       croyances et du sentiment fondamental
tions incestueuses et l’impact de ces agres-       cun. Au sein du lien fraternel, un accord      de sécurité psychique, la transgression,
sions sur le lien fraternel. La fratrie peut       inconscient lie les membres de la fratrie      le secret, les mensonges. La destructivité
être en souffrance mais aussi une véritable        pour ne jamais parler, évoquer ou res-         psychique peut être durable et venir han-
ressource pour permettre aux enfants de            sentir certains événements. Ce « pacte         ter la vie d’adulte de chacun des enfants.
continuer à vivre. Nous limiterons notre           dénégatif » [6] n’est jamais formulé ex-       Notre expérience clinique auprès de fra-
discussion aux situations où l’auteur est          plicitement. Il se traduit par des opéra-      tries nous amène à constater des consé-
l’un des parents et aux cas où l’abus n’est        tions de refoulement, de dénégation, ou        quences variables selon les situations :
pas commis par un des membres de la fra-           de déni, de désaveu, de rejet, ou d’en-        implication d’un membre ou de l’en-
trie, les processus alors en jeu nécessitant       kystement. Ces opérations permettent           semble du groupe fratrie, connaissance
une analyse spécifique [1-4].                      de maintenir une cohésion entre les en-        ou non des faits avant la révélation, âge
                                                   fants, qui risquerait d’être mise à mal si     des enfants, reconnaissance ou non des
LE LIEN FRATERNEL                                  certaines choses, certaines informations       faits par le(s) mis en cause [7, 8].
                                                   maintenues hors conscience venaient à          Quand un seul enfant de la fratrie est
Le dictionnaire Larousse définit la fra-           être révélées. Lorsqu’un événement             victime d’abus, les conséquences sur le
trie comme « l’ensemble des frères et              traumatique vient faire irruption dans         lien fraternel ressemblent à celles
sœurs d’une même famille ». Si l’on en-            la vie d’une famille, l’équilibre fraternel    constatées chez les fratries d’un enfant
visage la fratrie au niveau psychique, la          est violemment bouleversé et le lien fra-      porteur de handicap, de maladie grave
relation fraternelle est à envisager com-          ternel réinterrogé. Un deuil, une mala-        ou victime d’événements traumatiques
me un véritable espace relationnel.                die, un grave accident, la maltraitance        de nature non intentionnelle, dont tout
C’est-à-dire qu’au sein des fratries, la vie       intrafamiliale peuvent ainsi durable-          le quotidien se trouve violemment bou-
de chacun se constitue avec ses enjeux             ment affecter le lien fraternel. Cette dé-     leversé [8, 9, 11] : pleurs, angoisse, tristes-
de rivalité et de jalousie, ses alliances,         liaison post-traumatique nécessite alors       se, rejet, colère, agressivité, jalousie,
sa vie fantasmatique et imaginaire. La             un remaniement de l’espace psychique           conduite autoagressive, sentiment d’in-
fratrie peut ainsi être entendue comme             de chacun des membres de la fratrie,           compréhension, culpabilité de n’avoir
un processus fondamental de l’organi-              comme de celui constitutif du lien fra-        pas pu empêcher les actes commis ou de
sation psychique, instaurant entre cha-            ternel, ce qui ne se fait pas sans difficul-   n’avoir pas pu intervenir, pas vu, etc. Ces
cun de ses membres un espace intersub-             té. Le pacte dénégatif n’est plus opé-         troubles sont souvent peu repérés, ou si-
jectif [5]. Le lien fraternel représente ce        rant, et les fratries s’organisent autour      non banalisés, car bien souvent la préoc-
qui est intériorisé entre frères et sœurs          de ce que nous avons appelé le « pacte         cupation est centrée sur l’enfant victime.
                                                                  décembre 2011
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La transgression de l’interdit fondamen-        l’égard des parents et les dysfonctionne-        laissé des places vides : celle du parent
tal qu’est l’inceste est source de déstruc-     ments parentaux à l’œuvre dans de tels           auteur, exclu pour une durée toujours
turation majeure au sein des familles. Et       contextes expliquent que le lien frater-         incertaine de la vie familiale ; celle du
il est ici important de rappeler que la         nel soit bien souvent sacrifié au profit du      parent non mis en cause, généralement
problématique œdipienne des enfants             lien parental : face au doute quant à la         dans l’incapacité d’être dans une attitude
n’est pas sans lien avec leur ressenti.         réalité des faits, la fratrie s’identifie plus   protectrice à l’égard des enfants et qui
Lorsque le secret est levé, les frères et       facilement à l’auteur qu’au frère ou             réagit souvent par une passivité mortifè-
sœurs non concernés par l’abus sexuel           sœur victime. La reconnaissance des              re. Ces places abandonnées insécurisent
peuvent être submergés par ce que peut          faits par l’auteur ne signifie pas pour au-      la fratrie, qui peut tenter de trouver un
signifier l’inceste, à savoir la mise en ac-    tant l’acceptation de cette information          nouvel équilibre en se réappropriant
te, dans la réalité, de fantasmes œdi-          par la fratrie, qui peut, là aussi, réagir       l’une ou l’autre place. A un autre niveau,
piens. Selon l’âge de chacun, la différen-      par le déni pour se protéger de cette réa-       une violence extrême peut se manifester
ce d’âge et le genre (garçon, fille), les re-   lité impensable. L’agressivité qui ne peut       alors que précédemment les liens
maniements du complexe œdipien solli-           pas s’agir contre l’auteur se retourne           n’étaient pas marqués par des relations
citeront avec plus ou moins d’intensité le      alors souvent contre l’enfant lui-même           de ce type. Cette agressivité peut se com-
complexe fraternel. La mise en acte du          (conduites dangereuses, automutila-              prendre par le fait que les membres de la
fantasme œdipien par l’un d’eux peut en-        tion, tentative de suicide) ou contre la         fratrie peuvent être envahis par la ter-
traîner une profonde culpabilité, à l’ori-      victime.                                         reur de subir, de ce frère ou de cette
gine de conduites autoagressives et d’at-       Quand tous les membres de la fratrie ont         sœur, les violences incestueuses ; simul-
titudes violentes contre lui-même et/ou         été abusés, les enjeux sont rendus parti-        tanément, les enfants victimes sont sub-
contre les autres. Cette violence est sou-      culièrement complexes : les enfants ont          mergés par la terreur de faire à l’autre ce
vent majorée par la croyance des enfants        souvent été placés dans un contexte              qu’ils ont subi. Le lien fraternel représen-
et adolescents (abusés et non abusés) en        d’emprise qui les a détruits psychique-          te un risque permanent de passer à l’ac-
une inéluctabilité intergénérationnelle         ment (et ce d’autant plus que les abus           te ; pour tenter de maintenir à distance le
qui conduirait à prendre la place d’au-         ont duré) ; ils peuvent présenter des            frère ou la sœur, tout en se protégeant
teur au sein des familles incestueuses ;        troubles post-traumatiques importants            eux-mêmes de tout risque de passage à
mais elle n’est pas facilement exprimée         (souvent peu repérés), en particulier des        l’acte, les enfants peuvent mettre en pla-
par ces enfants, qui tentent de maintenir       reviviscences, des attitudes d’évitement,        ce des attitudes de rejet et d’une rare vio-
ces pensées intrusives à distance par           d’hypervigilance et de contrôle. La révé-        lence.
crainte qu’elles ne se réalisent.               lation peut être spontanée avec une di-
Les auditions et les mesures judiciaires        mension protectrice, par exemple quand           LE LIEN FRATERNEL
peuvent amener la fratrie à être sans           un enfant dénonce l’auteur pour proté-
cesse interrogée sur sa place au moment         ger les plus jeunes ; elle peut aussi s’ins-     COMME RESSOURCE POUR
des faits, sur ce qu’elle a vu, entendu,        crire dans un contexte de vengeance à            SUBJECTIVER L’INCESTE
sur ce qu’elle savait ou non, sur ce qu’el-     l’égard d’un des enfants, par exemple
le aurait dû dénoncer. Ces multiples in-        lorsque l’un deux « découvre » que               Prendre soin des frères et sœurs dans un
terrogations renforcent la culpabilité et       d’autres « font aussi ça » avec leur père ;      contexte d’inceste suppose de com-
les sentiments ambivalents à l’égard de         elle peut enfin témoigner d’une volonté          prendre la manière dont chacun d’eux
l’enfant abusé, comme vis-à-vis de l’au-        de se dégager de l’emprise de l’auteur et        est affecté par cette situation (ses diffi-
teur et du parent non mis en cause ; co-        de faire « que ça s’arrête ». Ces différents     cultés, comme ses ressources), tout en
habitent alors chagrin et colère, haine et      niveaux permettent de comprendre que             portant attention aux conséquences sur
amour, inquiétude et jalousie, rumina-          les répercussions sur le lien fraternel ne       le lien fraternel. Dans l’urgence qui suit
tion constante et oubli des faits, etc.         seront pas les mêmes à l’issue de la révé-       une révélation d’inceste, toute l’atten-
Lorsque le parent mis en cause ne recon-        lation. Ainsi il peut y avoir une véritable      tion est portée sur l’enfant ou les enfants
naît pas l’inceste, la fratrie non abusée       adhésion psychique, qui ne permet plus           victimes. Le plus souvent, la fratrie est
peut mettre en doute la parole de l’en-         à l’un d’exister sans l’autre. Chacun se         « oubliée » [12], et ce d’autant plus qu’elle
fant victime et le stigmatiser comme res-       protège alors mutuellement, et cette om-         n’a pas été abusée. Ce secret autour de
ponsable de tout ce qui arrive. Cette né-       nipotence relationnelle peut être renfor-        la fratrie participe à la dynamique inces-
gation par l’auteur place la fratrie dans       cée lorsque le parent non mis en cause           tueuse, car elle maintient le silence et le
une confusion qui peut venir renforcer          est défaillant dans sa capacité à rassurer       tabou autour des enfants. L’absence de
la déliaison fraternelle, ce dont témoi-        les enfants. A l’extrême, le risque est ce-      prise en charge des fratries non abusées
gnent les réactions de colère, d’agressi-       lui de passage à l’acte incestueux au sein       est aussi souvent justifiée par la crainte
vité et de rejet qui s’expriment alors. La      même de la fratrie. La révélation de l’in-       de les « traumatiser davantage » ou par
dépendance affective des enfants à              ceste a bouleversé l’équilibre familial et       l’âge des enfants, jugés « trop petits ».
                                                              décembre 2011
                                                                 page 428
Médecine
                                                                         & enfance

Au-delà du tabou de l’inceste, « c’est la       s’agit pas d’une recherche de la vérité                                 [5] KAËS R. : « Le complexe fraternel. Aspects de sa spécificité »,
                                                                                                                        Topique, 1993 ; 51 : 5-42.
parole sur l’acte » [13] qui devient interdi-   mais d’une dynamique commune qui                                        [6] KAËS R. : « Le pacte dénégatif dans les ensembles transubjec-
te. Si les enfants n’ont pas, selon leur        permettra de sortir de la sidération psy-                               tifs », in MISSENARD A. et al. : Le négatif, figures et modalités,
                                                                                                                        Dunod, Paris, 1989 ; p. 101-36.
âge, les mêmes ressources pour com-             chique dans laquelle cette situation a                                  [7] ROMANO H. : La maltraitance et ses conséquences chez l’en-
prendre ce qui est en train de se passer,       placé les enfants et de décrypter les                                   fant. Descriptions cliniques, évaluation et prise en charge, Fa-
ils sont tous impliqués dans cette situa-       conflits à l’œuvre.                                                     bert, Paris, 2009.
                                                                                                                        [8] ROMANO H. : « Incidence du trauma sur le lien fraternel », Neu-
tion et ne sont pas préservés des consé-                                                                                ropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescence, 2009 ; 57 : 293-302.
quences. Si aucune explication claire ne                                                                                [9] SCELLES R. et al. : Fratries confrontées au traumatisme, Publi-
                                                 CONCLUSION                                                             cations des universités de Rouen et du Havre, 2009.
lui est donnée, la fratrie se reconstitue                                                                               [10] RAIMBAULT G., AYOUN P., MASSARDIER L. : Questions
une histoire à partir de bribes enten-          La fratrie blessée par l’inceste met en                                 d’inceste, Odile Jacob, Paris, 2005.
                                                                                                                        [11] PARRET C. : « Comment prendre en compte le rôle de la fa-
dues. L’arrêt des abus dans les actes ne        exergue les facteurs de vulnérabilité du                                mille dans les conséquences potentielles de la maltraitance
signifie pas l’arrêt de leurs conséquences      lien fraternel, mais il nous semble im-                                 sexuelle lorsque la victime est un enfant », Conférence de
                                                                                                                        consensus sur les abus sexuels, Anaes, 2003.
dans le psychisme, en particulier de            portant de l’envisager également com-                                   [12] ALI HAMED N., CHATELLE N., DE BECKER E. : « La fratrie
celles liées aux secrets et au processus        me un espace de ressources spécifiques                                  oubliée dans les situations d’inceste », Enfance & Psy, 2008 ; 2 :
d’emprise. La fratrie élabore des théo-         [7, 17-19], comme facteur de créativité                                 167-73.
                                                                                                                        [13] SABOURIN P. : « Face à l’inceste, la thérapie familiale : pour-
ries, pour donner sens à ce qui est en          permettant aux enfants de survivre au                                   quoi ? » in GABEL M. : Les enfants victimes d’abus sexuel, PUF,
train d’arriver, à partir des représenta-       traumatisme et de se dégager du pacte                                   Paris, 1996 ; p. 213-25.
                                                                                                                        [14] MUGNIER J.P. : Les stratégies de l’indifférence, ESF, Paris,
tions souvent angoissantes de ce qu’elle        traumatique de l’inceste et de ses réper-                               2002.
vit. Les enfants peuvent alors exprimer         cussions dans la dynamique familiale. 첸                                 [15] CIRILLO S., DI BLASIO P. : La famille maltraitance, Fabert,
                                                                                                                        Paris, 2005.
une « diabolisation » anxieuse à l’égard                                                                                [16] ROMANO H. : « Prise en charge des enfants et des adoles-
de tout ce qui peut concerner la sexuali-       Références                                                              cents victimes d’événements traumatiques », Stress et Trauma,
                                                [1] DE BECKER E., CHAPELLE S. : « L’accompagnement systé-               2006, 6 : 239-46.
té [12], une véritable angoisse par rap-        mique des familles abusives », Thérapie familiale, 2010 ; 31 : 65-78.   [17] SCELLES R. : « La fratrie comme ressource », Contraste,
port à leur intégrité corporelle, et une        [2] DE BECKER E. : « Transgressions sexuelles au sein de la fratrie :   2003 ; 18 : 95-117.
perte du sentiment de sécurité qu’ils           évaluation et traitement », Psychothérapie, 2005 ; 25 : 173-86.         [18] SCELLES R. : « Le processus de résilience dans les familles »,
                                                [3] HAESEVOETS Y.H. : L’enfant en question, DeBoeck universi-           in MARTY F. et al. : Figures et traitements du traumatisme, Du-
avaient au préalable à l’égard de leurs         té, Bruxelles, 2000.                                                    nod, Paris, 2001 ; p. 173-95.
parents et qui atteint tous les adultes.        [4] HAYEZ J.Y., DE BECKER E. : L’enfant victime d’abus sexuel et        [19] TILMANS-OTSTYN E., MEYNCKENS-FOUREZ M. : Les res-
                                                sa famille : évaluation et traitement, PUF, Paris, 1997.                sources de la fratrie, Erès, Ramonville Saint-Agne, 1999.
L’enfant abusé, comme l’enfant maltrai-
té, continue de subir psychiquement les
conséquences des violences longtemps
après leur arrêt dans la réalité, avec des
conséquences multiples [14, 15]. Au ni-
                                                La protection de l’enfant victime
veau médical, la prise en charge par le
médecin généraliste ou le pédiatre de
                                                d’inceste par la révélation des faits
fratries exposées à un contexte inces-
tueux nécessite d’être vigilant aux maux
du corps, à ces plaintes somatiques qui         A. Gouttenoire, faculté de droit de Bordeaux, présidente de l’Observatoire départemental de la
                                                protection de l’enfance de Gironde, membre du conseil d’orientation scientifique et technique
viennent souvent en place de mots im-
                                                de l’Association Docteurs Bru
possibles, sans minimiser les consé-
quences lorsque frères et sœurs ne sont         La première et la plus indispensable pro-                               dispositions relatives au secret profes-
pas directement repérés comme ayant             tection dont doit bénéficier le mineur victi-                           sionnel et des dispositions relatives à la
été victimes des abus. Le travail théra-        me de la part des adultes qui sont appelés                              protection des mineurs victimes d’abus
peutique auprès des fratries nécessite          à le prendre en charge à un titre ou un                                 sexuels permet d’affirmer que le médecin
de penser chaque enfant dans sa singu-          autre, et notamment dans le cadre médi-                                 peut révéler des faits incestueux commis
larité, tout en reconnaissant au lien fra-      cal, réside dans la révélation des abus                                 sur un mineur sans qu’il soit tenu à une
ternel des ressources spécifiques sus-          dont il fait l’objet. Cette révélation est en                           véritable obligation de dénonciation.
ceptibles d’aider chacun des frères et          effet une étape indispensable pour que
sœurs à se dégager de l’impact trauma-          soit mise en œuvre à la fois la répression                               LE DROIT DE DÉNONCER
tique de l’inceste. Un temps individuel à       de l’inceste (cf infra) et la protection de
chacun des enfants est d’abord proposé,         l’enfant, le cas échéant à travers un éloi-                             Si l’article 226-13 du Code pénal sanc-
pour les autoriser à s’exprimer sans            gnement de l’auteur des faits.                                          tionne d’un an d’emprisonnement et de
craindre de représailles, d’être jugé ou        La révélation de faits dont le médecin a eu                             15 000 euros d’amende la « révélation
de blesser l’autre [16]. Dans un second         connaissance dans le cadre de l’exercice                                d’une information à caractère secret par
temps, lorsque cela est possible, le tra-       de sa profession soulève la question du                                 une personne qui en est dépositaire soit
vail avec la fratrie peut s’organiser. Il ne    secret professionnel. La confrontation des                              par état ou par profession », l’article
                                                                     décembre 2011
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Médecine
                                                             & enfance

226-14 du Code pénal prévoit que cette        connue par deux sortes de dispositions.      fonction de son âge et de sa maturité,
disposition n’est pas applicable « à celui    Les premières dispositions concernent        sont préalablement informés, selon des
qui informe des autorités judiciaires, mé-    les professionnels intervenant « dans le     modalités adaptées, sauf si cette infor-
dicales ou administratives de privations      cadre médical ». L’article L 1110-4 du       mation est contraire à l’intérêt de l’en-
ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit     Code de santé publique issu de la loi du     fant ». Le principe est donc que le méde-
d’atteintes ou de mutilations sexuelles,      4 mars 2002 prévoit en effet dans son        cin doit avertir les parents qu’il va parta-
dont il a eu connaissance et qui ont été      alinéa 3 que « deux ou plusieurs profes-     ger les informations concernant leur en-
infligés à un mineur ou à une personne        sionnels de santé peuvent toutefois,         fant avec d’autres professionnels, sauf
qui n’est pas en mesure de se protéger en     sauf opposition de la personne dûment        s’il estime que le fait d’avertir les parents
raison de son âge ou de son incapacité        avertie, échanger des informations rela-     peut mettre l’enfant en danger.
physique ou psychique », ou encore « au       tives à une même personne prise en           Pour autant, aucune disposition légale
médecin qui, avec l’accord de la victime,     charge afin d’assurer la continuité des      ne fait obligation au médecin de révéler
porte à la connaissance du procureur de       soins ou de déterminer la meilleure pri-     les faits incestueux dont il a eu connais-
la République les sévices et privations       se en charge sanitaire possible ».           sance ; la seule obligation qui pèse sur
qu’il a constatés sur le plan physique ou     Les secondes dispositions relatives au       lui est de protéger l’enfant.
psychique dans l’exercice de sa profes-       partage d’informations à caractère se-
sion et qui lui permettent de présumer        cret sont spécifiques à la protection de
que des violences physiques, sexuelles ou     l’enfance. La loi du 5 mars 2007 réfor-
                                                                                           L’OBLIGATION
psychiques de toute nature ont été com-       mant la protection de l’enfance a en ef-     DE PROTÉGER
mises. Lorsque la victime est un mineur       fet instauré la possibilité d’échanger
ou une personne qui n’est pas en mesure       entre professionnels des informations à      Selon l’article 434-3 du Code pénal, « Le
de se protéger en raison de son âge ou de     caractère secret afin d’assurer une          fait, pour quiconque ayant connaissan-
son incapacité physique ou psychique,         meilleure prise en charge ou la continui-    ce de privations, de mauvais traite-
son accord n’est pas nécessaire ».            té de soins de l’enfant. Le nouvel article   ments ou d’atteintes sexuelles infligés à
Ces dispositions du Code pénal permet-        L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et    un mineur de quinze ans ou à une per-
tent donc incontestablement aux per-          des familles prévoit ainsi que « par ex-     sonne qui n’est pas en mesure de se pro-
sonnes tenues au secret professionnel de      ception à l’article 226-13 du Code pénal,    téger en raison de son âge, d’une mala-
révéler des faits secrets dont elles ont eu   les personnes soumises au secret profes-     die, d’une infirmité, d’une déficience
connaissance dans le cadre de l’exercice      sionnel qui mettent en œuvre la poli-        physique ou psychique ou d’un état de
de leur profession sans craindre d’être       tique de protection de l’enfance définie     grossesse, de ne pas informer les autori-
poursuivies pour violation du secret pro-     à l’article L. 112-3 ou qui lui apportent    tés judiciaires ou administratives est pu-
fessionnel. Les faits secrets susceptibles    leur concours sont autorisées à partager     ni de trois ans d’emprisonnement et de
d’être révélés pour protéger une person-      entre elles des informations à caractère     45 000 euros d’amende ». Toutefois,
ne recoupent toutes les formes de mau-        secret, afin d’évaluer une situation indi-   l’alinéa 2 de ce même texte dispose que
vais traitements, qu’il s’agisse de priva-    viduelle, de déterminer et de mettre en      « sont exceptées des dispositions qui
tions, de sévices, d’atteintes ou de muti-    œuvre les actions de protection et d’aide    précèdent les personnes astreintes au
lations sexuelles. S’agissant des victimes    dont les mineurs et leur famille peuvent     secret dans les conditions prévues par
protégées, le texte vise les mineurs, sans    bénéficier ». On peut sans aucun doute       l’article 226-13 ». Ainsi, le médecin, te-
considération d’âge. Les abus sexuels         affirmer que le pédiatre est une person-     nu au secret professionnel, n’est pas te-
commis sur des mineurs dans le cadre          ne qui apporte son concours à la protec-     nu de dénoncer les abus sexuels sur mi-
familial concernent à l’évidence des faits    tion de l’enfance et qu’il bénéficie, à ce   neur dont il a eu connaissance. On se
qui peuvent être révélés par le médecin       titre, du droit de partager les informa-     trouve donc en présence d’une option
qui en a connaissance dans le cadre des       tions dont il a eu connaissance dans le      de conscience, qui permet au profes-
soins qu’il prodigue à l’enfant. La révéla-   cadre de sa profession avec d’autres mé-     sionnel de choisir en conscience entre la
tion qu’il est susceptible de faire de ces    decins, des infirmières ou des assis-        dénonciation et le secret.
faits n’est subordonnée ni au consente-       tantes sociales par exemple. Il faut ce-     Cette option s’efface cependant lorsque
ment de l’enfant concerné, ni évidem-         pendant préciser que le partage des in-      la révélation de l’abus sexuel est le seul
ment au consentement de ses parents.          formations relatives à une situation indi-   moyen de protéger l’enfant. L’article 223-
Indépendamment du droit de dénoncer           viduelle est strictement limité à ce qui     6 du Code pénal dispose en effet que
les faits aux autorités administratives       est nécessaire à l’accomplissement de la     « Quiconque pouvant empêcher par son
ou judiciaires, le médecin peut partager      mission de protection de l’enfance. La       action immédiate, sans risque pour lui ou
les informations relatives à un enfant        loi prévoit en outre que « le père, la mè-   pour les tiers, soit un crime, soit un délit
avec d’autres professionnels. Cette pos-      re, toute autre personne exerçant l’auto-    contre l’intégrité corporelle de la person-
sibilité de partage d’informations est re-    rité parentale, le tuteur, l’enfant, en      ne s’abstient volontairement de le faire
                                                           décembre 2011
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