Prise en charge des enfants victimes d'inceste - Association Docteurs Bru
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Médecine & enfance Prise en charge des enfants victimes d’inceste LE DOSSIER Il aura fallu une belle dose d’inconscience et d’entêtement pour installer dans les murs du 17, boulevard de la République à Agen, le centre d’hébergement et de prise en charge de jeunes filles victimes d’agressions sexuelles incestueuses, dénommé la « MaJB » (Maison d’accueil Jean-Bru). L’idée d’apporter une réponse spécifique à une maltraitance aussi par- ticulière que le viol incestueux m’avait été soufflée par une amie, avocate de cour d’assises : Maître Monique Smadja. A l’époque de la création du centre, en 1996, huit ans avant la révélation de l’affaire d’Ou- treau, ce fait de société était totalement tabou, il n’existait pas de modèle satisfaisant pour répondre à cette problématique. En quinze ans, d’échecs en succès, la MaJB a acquis une expérience qui lui permet de ser- vir de référence. Elle intervient en aval du dévoilement et de la judiciarisation ; toutes les jeunes filles accueillies sont placées sous l’autorité judiciaire et font l’objet d’une prise en charge psychoéducative sur le long terme. Le but ultime est de replacer l’enfant dans sa parentalité, en remettant à leur place les rôles générationnels et sexuels au sein de la famille, et de donner à l’enfant la possibilité de devenir un jour lui-même « parent ». C’est pour cette tâche énorme mais essentielle à la restructuration psychique des jeunes filles, que psychiatres, psychologues, éducateurs et personnels de la maison s’engagent chaque jour. En se dotant d’un conseil d’orientation scientifique et technique, l’Association Docteurs Bru s’est également donné pour mission d’associer les pratiques éducatives développées à la Maison d’accueil Jean-Bru à un travail de réflexion et de recherche concernant l’inces- te, et ce afin de toujours améliorer l’aide apportée aux jeunes filles. Ce dossier de Médecine et Enfance est l’expression de cette réflexion. Dr Nicole Bru Présidente de l’Association Docteurs Bru Sommaire du dossier : 첸 La prise en charge socio-éducative des jeunes filles victimes d’inceste : la Maison d’accueil Jean-Bru, un établissement spécialisé, par M. Louvet et J. Argelès 첸 Prise en charge des fratries confrontées à l’inceste, par H. Romano 첸 La protection de l’enfant victime d’inceste par la révélation des faits, par A. Gouttenoire 첸 La répression de l’inceste sur mineur, par A. Gouttenoire 첸 Spécificités du traumatisme psychique de l’inceste chez l’enfant et de sa prise en charge, par P. Ayoun 첸 Une clinique des pères incestueux, par L. Massardier 첸 Et l’inceste maternel ? par L. Massardier décembre 2011 page 423
Médecine & enfance La prise en charge socio-éducative LES FONDEMENTS DE L’ACTION ÉDUCATIVE des jeunes filles victimes d’inceste : Sous l’autorité de son directeur, la la Maison d’accueil Jean-Bru, un MaJB est animée par une équipe pluri- disciplinaire de professionnels : méde- établissement spécialisé cins, éducateurs spécialisés, moniteurs- éducateurs, assistante sociale, services généraux… M. Louvet, directeur de la Maison d’accueil Jean-Bru Chaque jeune fille est reconnue en tant J. Argelès, directeur général et coordonnateur du conseil d’orientation scientifique et technique que sujet inscrit dans une histoire dont de l’Association Docteurs Bru elle est actrice et dont la singularité de ses dires est prise en compte. La question des agressions sexuelles sur ticulière. Au fil des ans, ce projet a évo- La référence à la clinique psychologique enfants, largement reprise dans les mé- lué à partir de l’expérience et des ensei- et à la psychanalyse demeure une clef dias, est devenue majeure dans notre so- gnements donnés par les jeunes filles de compréhension majeure et impor- ciété. Les services publics et les associa- elles-mêmes. Aujourd’hui, la MaJB est tante dans un travail relationnel articu- tions professionnelles de protection de une maison d’enfants à caractère social lé autour de la parole. Il s’agit de per- l’enfance sont très sollicités par ce problè- (MECS) qui garde son ambition expéri- mettre aux jeunes filles, au cours de la me depuis la fin des années 80. mentale et de recherche. Elle accueille vie quotidienne dans la MaJB, le repéra- Dans le cadre d’une recherche d’améliora- 25 jeunes filles de dix à vingt et un ans, ge des phénomènes relationnels qu’elles tion de l’aide proposée aux enfants vic- victimes d’inceste ou de violences mettent en œuvre, d’en favoriser leur times d’inceste ou de violences sexuelles sexuelles commises par un proche et compréhension et de ce fait leur prise intrafamiliales s’est posée la question de pour qui un éloignement familial tem- de conscience. la spécificité du traumatisme et d’un ac- poraire a été décidé par l’autorité judi- L’objectif est que cette prise de compagnement éducatif adapté. C’est ciaire. L’établissement est habilité par le conscience amène les jeunes filles, en dans ce mouvement qu’en 1996, à l’ini- ministère de la Justice (Protection judi- référence aux options associatives : tiative du Dr Nicole Bru, est créée la Mai- ciaire de la jeunesse) et les services du 첸 à se libérer du traumatisme et de son d’accueil Jean-Bru (MaJB), dont l’ob- Conseil général du Lot-et-Garonne (Ai- l’aliénation de l’identité de victime ; jectif est de venir en aide aux jeunes filles de sociale à l’enfance). 첸 à mettre un terme à la confusion dans victimes d’inceste. Cet établissement spé- La MaJB reçoit des mineures et des les processus d’identification générés cialisé et unique repose sur un projet ex- jeunes majeures au titre des articles 375 par l’inceste et la violence sexuelle ; périmental ambitieux qui propose de re- à 375-8 du Code civil et du décret 75-96 첸 à mettre un terme à la confusion gé- grouper et de faire vivre ensemble des du 18 février 1975. Ces jeunes filles néalogique père, mère, enfant ; jeunes filles ayant vécu les mêmes agres- sont confiées à la MaJB par décision ju- 첸 à préparer leur vie de femme. sions sexuelles. diciaire ou par l’Aide sociale à l’enfance, Ce choix, ce pari fait par le Dr Nicole après décision judiciaire ou en accueil Bru était, à l’époque, en rupture avec les provisoire. La zone géographique de re- LES SUPPORTS orientations préconisées par les autori- crutement est habituellement régiona- PRINCIPAUX DE L’ACTION tés de la protection de l’enfance, peu fa- le, mais, étant donné la problématique vorables à la spécialisation de foyers traitée et les nécessités d’éloignement, L’action éducative repose sur quatre rassemblant dans un même lieu des toutes les demandes sont étudiées, en points principaux : jeunes présentant un même profil ou un tenant compte des possibilités de rela- 첸 répondre aux besoins de protection par diagnostic commun. tion avec la famille. l’éloignement du milieu familial lorsque Le conseil scientifique de l’association, L’établissement est situé au centre de la cela est nécessaire et ordonné par l’au- sous l’impulsion du Dr Ginette Raim- ville d’Agen dans une grande maison torité judiciaire ; bault, psychiatre, psychanalyste, direc- bourgeoise. Dans une maison attenan- 첸 faire vivre ensemble des jeunes filles teur de recherche à l’Inserm, a claire- te, un service d’accès à l’autonomie per- toutes concernées par une probléma- ment défini l’établissement comme un met la prise en charge des jeunes filles tique d’inceste ou de violences sexuelles, foyer éducatif et thérapeutique, mais proches de la majorité. afin de favoriser un sentiment d’appar- aussi comme un lieu de réflexion et de Les jeunes majeures sont logées en ap- tenance à un groupe humain, sentiment recherche permanent sur le traitement partement, en ville ou au foyer des altéré par le vécu incestueux ; psychosocial de cette maltraitance par- jeunes travailleurs d’Agen. 첸 avoir pour support de travail la parole décembre 2011 page 424
Médecine & enfance critère de l’agression sexuelle subie De même, les activités socioculturelles L’ASSOCIATION DOCTEURS BRU pour les aider à se désaliéner de ce sta- sont pensées comme moyen de sociali- C’est à l’initiative du Dr Nicole Bru, alors tut de victime. Cela passe par la recon- sation et outil de médiation relationnel- propriétaire et dirigeante des laboratoires naissance initiale du traumatisme subi, le permettant de travailler la revalorisa- pharmaceutiques Upsa, qu’a vu le jour l’As- pour qu’avec le temps et l’écoute de leur tion et l’estime de soi. Elles sont aussi sociation Docteurs Bru. parole, les jeunes filles ne se considè- l’occasion d’élargir et d’enrichir les En 1996, cette association a créé à Agen le rent plus uniquement comme des vic- connaissances culturelles des jeunes seul établissement spécialisé dans la prise times mais comme des sujets respon- filles. Elles sont réalisées à l’intérieur ou en charge des jeunes filles victimes d’inces- sables de leur devenir. dans des associations choisies par les te ou de violences sexuelles intrafamiliales. L’expérience montre que la spécificité jeunes filles. Au cours des années, ce lieu d’accueil a su du travail de l’équipe éducative, centré Les sorties individuelles sont accordées faire évoluer son projet d’établissement à sur l’écoute, l’analyse de la parole et des sur demande des jeunes filles. Elles leur partir de l’expérience acquise et proposer comportements destructeurs, permet permettent de s’autonomiser dans la de nouvelles réponses psycho-éducatives aux jeunes filles de dépasser la répéti- vie courante et de se créer un réseau sans cesse réajustées. Cet établissement tion de conduites souvent mortifères. social. Ces sorties libres posent égale- garde ainsi l’esprit de recherche qui a inau- Cela pose le cadre et les limites de l’ac- ment le problème de la sexualité. Leur guré son ouverture. Forte de ses acquis et tion et des indications à l’admission. vécu d’agressions sexuelles a souvent sous l’impulsion de son conseil d’orienta- La MaJB propose avant tout un accom- affecté leur relation à elle-même et à tion scientifique et technique composé de pagnement éducatif dans un environne- l’autre, à travers une représentation de médecins psychiatres, pédiatres, psycho- ment thérapeutique ; elle n’est pas une la sexualité qui peut être déviante, dis- logues cliniciens, juristes et professionnels structure médicalisée. De ce fait, les sociée des sentiments amoureux. de l’enfance, l’Association Docteurs Bru ar- jeunes filles présentant des pathologies L’équipe éducative assume alors son rô- ticule son expérience clinique avec les diffé- mentales ou des déficiences intellec- le de protection et de prévention en ac- rents travaux de recherche qu’elle mène tuelles ne permettant pas d’envisager compagnant la jeune fille dans ce che- seule ou en partenariat. Elle organise égale- leur adhésion au projet de l’établisse- minement vers plus de discernement et ment des colloques et des formations pro- ment ne peuvent y être admises. de respect d’elle-même. fessionnelles, et fonctionne comme centre En ce qui concerne le suivi médical, les ressource auprès des intervenants concer- La « vie de tous les jours » jeunes filles, après deux mois d’observa- nés par cette maltraitance particulière. Il s’agit pour l’équipe éducative de ré- tion, passent à la CPAM un bilan de san- MaJB : 17, boulevard de la République, 47000 Agen. pondre aux besoins élémentaires des té qui permet de lister les besoins (or- Association Docteurs Bru : 46, rue Boissière, 75116 Paris, jeunes filles (alimentation, hygiène, thodontie, orthophonie, gynécolo- tél. : 01 44 34 81 02, site : www.associationdocteursbru.com. sommeil, sécurité et protection, recon- gie…). Les suivis médicaux se font à naissance et appartenance sociale, esti- l’extérieur, avec ou sans accompagne- délivrée par la jeune fille dans sa vie au me de soi, soutien, valorisation, nécessi- ment du personnel encadrant, qui est le quotidien, et ce dans un cadre structu- té d’un cadre, soins, etc.). garant de la prise du traitement suivant rant et protecteur ; C’est au travers de tous les actes de la les prescriptions médicales. 첸 promouvoir la solidarité entre jeunes vie quotidienne, sorte de « quotidien- Les contacts avec la famille (rencontre, filles au sein de la maison référence. thérapie » que se fonde l’action de l’éta- visite ou téléphone) peuvent être auto- Ces points se déclinent ensuite conformé- blissement. En effet, tous les actes ano- risés, médiatisés ou interdits, selon l’or- ment au projet d’établissement en axes dins de la vie quotidienne sont d’une donnance du juge. Après s’être assurés de travail et modalités d’intervention. grande importance pour ces jeunes de la légalité des visites ou des appels, filles dont le vécu d’agressions sexuelles les éducateurs tentent de favoriser la LA PRISE EN CHARGE ÉDUCATIVE, a profondément altéré les repères. Il est compréhension des enjeux familiaux en SCOLAIRE, SOCIALE ET MÉDICALE important que des règles précises et cours, pour permettre à la jeune fille de L’adhésion de la jeune fille au projet claires soient établies et participent au se positionner plus clairement et plus li- éducatif proposé est déterminante et in- cadre structurant dont elles ont besoin. brement dans le système familial, et ce dispensable pour mener à bien l’accom- La scolarité ou la formation profession- en lien avec le « service famille », qui est pagnement, car la vie en collectivité nelle est obligatoire. Les jeunes filles plus particulièrement en charge du tra- peut être difficile pour certaines jeunes sont toutes inscrites dans les différents vail avec la famille. filles, qui ont déjà vécu l’exclusion du établissements scolaires ou d’apprentis- milieu familial ou le renvoi de précé- sage publics ou privés d’Agen et de ses UN ENVIRONNEMENT dents établissements. alentours. Une éducatrice scolaire assu- THÉRAPEUTIQUE INSTITUTIONNEL Il s’agit là du premier paradoxe à rele- re l’aide aux devoirs au sein de l’établis- « Etre victime d’inceste, est-ce un ver : rassembler des jeunes filles sur le sement chaque soir et le mercredi. symptôme ou une maladie en soi qui décembre 2011 page 425
Médecine & enfance appellerait uniquement une réponse bonne distance dans leurs relations psychologique, rencontre avec le juge thérapeutique ? » interroge le Dr Ginet- avec les jeunes filles. d’instruction, l’avocat, l’administrateur te Raimbault. ad hoc, et ce jusqu’à l’audience finale La MaJB n’est pas un établissement de Un espace de parole privé à (classement sans suite, non-lieu, correc- soins au sens administratif du terme. l’extérieur de l’établissement tionnelle, cour d’assises). Ces actes se- Cependant, et dans la suite logique de L’expérience au début de la création de ront ainsi mieux compris et leurs effets son histoire, l’accompagnement éduca- la MaJB associait vie quotidienne, so- moins traumatisants. tif mené par les professionnels s’intègre cialisation et thérapie dans un même dans un « environnement thérapeutique lieu. Cette pratique s’est révélée source LE SERVICE FAMILLE institutionnel » qui détermine la façon de confusion pour les jeunes filles. La loi du 5 mars 2007 réformant la pro- de prendre en charge les jeunes filles, Après réflexion, il a été décidé que le tection de l’enfance renforce le droit de notamment par : lieu « pour vivre » devait être séparé du l’enfant d’entretenir des relations avec 첸 la mise en place d’un cadre social et lieu « pour se soigner ». Le suivi psycho- sa famille lorsque son intérêt impose éducatif où les règles sont à respecter, thérapique est maintenant proposé en qu’il soit confié à un établissement. les rapports éducatifs clairement expli- dehors de l’établissement, chez un thé- C’est le juge qui fixe les modalités de cités, la parole, l’échange et la négocia- rapeute psychologue ou psychiatre du l’exercice du droit de visite et d’héber- tion prioritaires ; secteur public ou privé. gement. Il peut, si l’intérêt de l’enfant 첸 une disponibilité d’écoute qui permet l’exige, décider que l’exercice de ces à la jeune fille de s’exprimer et qui favo- LA PRISE EN COMPTE droits ou de l’un d’eux soit provisoire- rise ainsi l’émergence d’une parole sin- DU CONTEXTE JUDICIAIRE ment suspendu. Le juge peut également gulière et authentique pour avancer Les jeunes filles sont confiées à la MaJB décider que le droit de visite du ou des dans la symbolisation du discours en suite à une décision judiciaire (juge des parents ne peut être exercé qu’en pré- lieu et place de la répétition des pas- enfants) prononçant le retrait momenta- sence d’un tiers (visite médiatisée). sages à l’acte ; né du milieu familial. Cette décision Sauf décision contraire, les parents res- 첸 la permanence de l’élaboration en trouve son fondement dans les articles tent titulaires de l’autorité parentale. groupe de la question du traumatisme 375 et suivants du Code civil. C’est une C’est le « service famille » qui rencontre sexuel vécu par chaque jeune fille et de mesure de protection (procédure civile la famille sur son lieu de vie, souvent ses manifestations dans la vie quoti- d’assistance éducative). Mais, dans la éloigné. Cela permet d’apporter à l’équi- dienne de la MaJB (actes ou paroles) ; plupart des situations, les jeunes filles pe de la MaJB des éléments de compré- 첸 la réponse des professionnels qui ont sont également concernées par la procé- hension de l’histoire des jeunes filles, à se confronter, à faire face, à contenir dure pénale en cours visant la personne car on ne saurait s’intéresser à l’inceste les manifestations parfois violentes des qu’elles ont désignée comme auteur de sans s’interroger sur le fonctionnement jeunes filles, qui dans ce lieu ne sont pas l’agression. Lors de cette procédure, le de chacun des membres de la famille. motifs d’exclusion, mais éléments Code pénal prévoit des mesures de pro- A partir de ces éléments cliniques, il d’analyse et de compréhension de leurs tection pour les mineurs (enregistrement s’agit d’aider la jeune fille à se (re)situer difficultés et de leurs blessures, qui ici vidéo, administrateur ad hoc, accompa- à sa place d’enfant dans une famille qui ne déterminent pas une identité. gnement lors des différents actes de pro- a pu fonctionner dans la confusion des Ce souci thérapeutique se manifeste cédure notamment), car l’enquête préli- sexes et des générations ; il s’agit de lui par : minaire ou l’instruction reposent très donner des points de repère pour qu’el- 첸 une clinique de la parole et la prise en souvent sur la seule parole de la jeune le se reconstruise elle-même, hors de compte de la parole délivrée par les fille. Tous les actes judiciaires vont alors cette confusion. Elle pourra ainsi se li- jeunes filles dans tous les actes de la vie se porter sur la vérification de cette paro- bérer d’une inscription généalogique quotidienne ou dans les relations avec le, de cette révélation. Et dans ce cadre, subie et répétitive, et éviter les repro- les adultes ; la nécessité de l’établissement des faits et ductions transgénérationnelles des mal- 첸 un groupe de travail d’analyse des pra- de la recherche de la vérité l’emporte traitances. tiques et de formation des professionnels souvent, malgré la volonté des acteurs, En lien avec les référents du département dans leur relation quotidienne assuré sur la protection de la jeune fille. Elle re- d’origine (ASE, AEMO) s’organisent les par un psychiatre psychanalyste. Ce tra- vit ainsi, par la succession des récits lors rencontres avec les familles : séjours de vail hebdomadaire d’analyse des pra- des actes de procédure, des événements vacances, visites médiatisées, rencontres tiques et des vécus permet aux profes- douloureux. Si nécessaire, la jeune fille avec la fratrie, préparation au retour sionnels d’aborder leurs propres conflits sera accompagnée par un professionnel dans le respect du cadre judiciaire posé. intrapsychiques et institutionnels dans de la MaJB tout au long de cette procé- L’action du service famille est toujours in- leur vie personnelle et professionnelle, dure et lors des différents actes : police, teractive avec le travail de l’internat. et garantit ainsi leur maintien de la gendarmerie, expertise médico-légale ou Après leur départ de l’établissement, les décembre 2011 page 426
Médecine & enfance « anciennes » qui en font la demande rience acquise avec les jeunes filles, et ce traumatique » [7, 8] , qui conduit à de peuvent revenir passer quelques jours sans renoncer aux principes fondateurs. A multiples signes de souffrance. au foyer. Ces retours leur permettent de partir d’une prise en charge en internat, bénéficier du soutien de l’équipe dans c’est le besoin de chaque jeune fille qui les moments difficiles de leur existence. est pris en compte en fonction de la réalité LE LIEN FRATERNEL Elles peuvent être reçues dans la struc- de son histoire et de la place du traumatis- À L’ÉPREUVE DE L’INCESTE ture elle-même ou à l’extérieur, en fonc- me dans cette histoire. La jeune fille est tion des disponibilités. ainsi au cœur du dispositif éducatif et thé- L’inceste implique l’ensemble d’une fa- Depuis sa création il y a maintenant qua- rapeutique proposé par la MaJB, qui indi- mille. Pourtant peu d’attention est por- torze ans, la MaJB n’a cessé de faire évo- vidualise sa réponse à partir « d’un projet tée aux fratries, alors que frères et luer son projet technique, nourri de l’expé- pour la jeune fille ». 첸 sœurs interrogent, chacun à leur ni- veau, le dysfonctionnement familial. Cet oubli des frères et sœurs est d’autant Prise en charge des fratries plus dommageable que les suivis de fra- tries en contexte traumatique permet- tent de constater que les frères et sœurs confrontées à l’inceste ne se portent pas mieux que l’enfant vic- time, même s’ils n’ont pas été directe- ment impliqués dans l’événement [9] ni H. Romano, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie clinique, psychothérapeute ; abusés [10]. S’ils n’ont pas été agressés membre du conseil d’orientation scientifique et technique de l’Association Docteurs Bru ; dans leur corps, ils ont été abusés psychi- consultation spécialisée de psycho-traumatisme ; chercheur associée au laboratoire Inserm U669 Pr M.R. Moro, CHU Henri-Mondor, Samu 94, Créteil quement par ce que représente l’inceste, à savoir le déni d’altérité, le viol de l’inti- Cet article propose de présenter les consé- et ce qui a pu s’élaborer psychiquement mité et de l’intégrité, l’attaque des quences sur les frères et sœurs des situa- au fur et à mesure de l’histoire de cha- croyances et du sentiment fondamental tions incestueuses et l’impact de ces agres- cun. Au sein du lien fraternel, un accord de sécurité psychique, la transgression, sions sur le lien fraternel. La fratrie peut inconscient lie les membres de la fratrie le secret, les mensonges. La destructivité être en souffrance mais aussi une véritable pour ne jamais parler, évoquer ou res- psychique peut être durable et venir han- ressource pour permettre aux enfants de sentir certains événements. Ce « pacte ter la vie d’adulte de chacun des enfants. continuer à vivre. Nous limiterons notre dénégatif » [6] n’est jamais formulé ex- Notre expérience clinique auprès de fra- discussion aux situations où l’auteur est plicitement. Il se traduit par des opéra- tries nous amène à constater des consé- l’un des parents et aux cas où l’abus n’est tions de refoulement, de dénégation, ou quences variables selon les situations : pas commis par un des membres de la fra- de déni, de désaveu, de rejet, ou d’en- implication d’un membre ou de l’en- trie, les processus alors en jeu nécessitant kystement. Ces opérations permettent semble du groupe fratrie, connaissance une analyse spécifique [1-4]. de maintenir une cohésion entre les en- ou non des faits avant la révélation, âge fants, qui risquerait d’être mise à mal si des enfants, reconnaissance ou non des LE LIEN FRATERNEL certaines choses, certaines informations faits par le(s) mis en cause [7, 8]. maintenues hors conscience venaient à Quand un seul enfant de la fratrie est Le dictionnaire Larousse définit la fra- être révélées. Lorsqu’un événement victime d’abus, les conséquences sur le trie comme « l’ensemble des frères et traumatique vient faire irruption dans lien fraternel ressemblent à celles sœurs d’une même famille ». Si l’on en- la vie d’une famille, l’équilibre fraternel constatées chez les fratries d’un enfant visage la fratrie au niveau psychique, la est violemment bouleversé et le lien fra- porteur de handicap, de maladie grave relation fraternelle est à envisager com- ternel réinterrogé. Un deuil, une mala- ou victime d’événements traumatiques me un véritable espace relationnel. die, un grave accident, la maltraitance de nature non intentionnelle, dont tout C’est-à-dire qu’au sein des fratries, la vie intrafamiliale peuvent ainsi durable- le quotidien se trouve violemment bou- de chacun se constitue avec ses enjeux ment affecter le lien fraternel. Cette dé- leversé [8, 9, 11] : pleurs, angoisse, tristes- de rivalité et de jalousie, ses alliances, liaison post-traumatique nécessite alors se, rejet, colère, agressivité, jalousie, sa vie fantasmatique et imaginaire. La un remaniement de l’espace psychique conduite autoagressive, sentiment d’in- fratrie peut ainsi être entendue comme de chacun des membres de la fratrie, compréhension, culpabilité de n’avoir un processus fondamental de l’organi- comme de celui constitutif du lien fra- pas pu empêcher les actes commis ou de sation psychique, instaurant entre cha- ternel, ce qui ne se fait pas sans difficul- n’avoir pas pu intervenir, pas vu, etc. Ces cun de ses membres un espace intersub- té. Le pacte dénégatif n’est plus opé- troubles sont souvent peu repérés, ou si- jectif [5]. Le lien fraternel représente ce rant, et les fratries s’organisent autour non banalisés, car bien souvent la préoc- qui est intériorisé entre frères et sœurs de ce que nous avons appelé le « pacte cupation est centrée sur l’enfant victime. décembre 2011 page 427
Médecine & enfance La transgression de l’interdit fondamen- l’égard des parents et les dysfonctionne- laissé des places vides : celle du parent tal qu’est l’inceste est source de déstruc- ments parentaux à l’œuvre dans de tels auteur, exclu pour une durée toujours turation majeure au sein des familles. Et contextes expliquent que le lien frater- incertaine de la vie familiale ; celle du il est ici important de rappeler que la nel soit bien souvent sacrifié au profit du parent non mis en cause, généralement problématique œdipienne des enfants lien parental : face au doute quant à la dans l’incapacité d’être dans une attitude n’est pas sans lien avec leur ressenti. réalité des faits, la fratrie s’identifie plus protectrice à l’égard des enfants et qui Lorsque le secret est levé, les frères et facilement à l’auteur qu’au frère ou réagit souvent par une passivité mortifè- sœurs non concernés par l’abus sexuel sœur victime. La reconnaissance des re. Ces places abandonnées insécurisent peuvent être submergés par ce que peut faits par l’auteur ne signifie pas pour au- la fratrie, qui peut tenter de trouver un signifier l’inceste, à savoir la mise en ac- tant l’acceptation de cette information nouvel équilibre en se réappropriant te, dans la réalité, de fantasmes œdi- par la fratrie, qui peut, là aussi, réagir l’une ou l’autre place. A un autre niveau, piens. Selon l’âge de chacun, la différen- par le déni pour se protéger de cette réa- une violence extrême peut se manifester ce d’âge et le genre (garçon, fille), les re- lité impensable. L’agressivité qui ne peut alors que précédemment les liens maniements du complexe œdipien solli- pas s’agir contre l’auteur se retourne n’étaient pas marqués par des relations citeront avec plus ou moins d’intensité le alors souvent contre l’enfant lui-même de ce type. Cette agressivité peut se com- complexe fraternel. La mise en acte du (conduites dangereuses, automutila- prendre par le fait que les membres de la fantasme œdipien par l’un d’eux peut en- tion, tentative de suicide) ou contre la fratrie peuvent être envahis par la ter- traîner une profonde culpabilité, à l’ori- victime. reur de subir, de ce frère ou de cette gine de conduites autoagressives et d’at- Quand tous les membres de la fratrie ont sœur, les violences incestueuses ; simul- titudes violentes contre lui-même et/ou été abusés, les enjeux sont rendus parti- tanément, les enfants victimes sont sub- contre les autres. Cette violence est sou- culièrement complexes : les enfants ont mergés par la terreur de faire à l’autre ce vent majorée par la croyance des enfants souvent été placés dans un contexte qu’ils ont subi. Le lien fraternel représen- et adolescents (abusés et non abusés) en d’emprise qui les a détruits psychique- te un risque permanent de passer à l’ac- une inéluctabilité intergénérationnelle ment (et ce d’autant plus que les abus te ; pour tenter de maintenir à distance le qui conduirait à prendre la place d’au- ont duré) ; ils peuvent présenter des frère ou la sœur, tout en se protégeant teur au sein des familles incestueuses ; troubles post-traumatiques importants eux-mêmes de tout risque de passage à mais elle n’est pas facilement exprimée (souvent peu repérés), en particulier des l’acte, les enfants peuvent mettre en pla- par ces enfants, qui tentent de maintenir reviviscences, des attitudes d’évitement, ce des attitudes de rejet et d’une rare vio- ces pensées intrusives à distance par d’hypervigilance et de contrôle. La révé- lence. crainte qu’elles ne se réalisent. lation peut être spontanée avec une di- Les auditions et les mesures judiciaires mension protectrice, par exemple quand LE LIEN FRATERNEL peuvent amener la fratrie à être sans un enfant dénonce l’auteur pour proté- cesse interrogée sur sa place au moment ger les plus jeunes ; elle peut aussi s’ins- COMME RESSOURCE POUR des faits, sur ce qu’elle a vu, entendu, crire dans un contexte de vengeance à SUBJECTIVER L’INCESTE sur ce qu’elle savait ou non, sur ce qu’el- l’égard d’un des enfants, par exemple le aurait dû dénoncer. Ces multiples in- lorsque l’un deux « découvre » que Prendre soin des frères et sœurs dans un terrogations renforcent la culpabilité et d’autres « font aussi ça » avec leur père ; contexte d’inceste suppose de com- les sentiments ambivalents à l’égard de elle peut enfin témoigner d’une volonté prendre la manière dont chacun d’eux l’enfant abusé, comme vis-à-vis de l’au- de se dégager de l’emprise de l’auteur et est affecté par cette situation (ses diffi- teur et du parent non mis en cause ; co- de faire « que ça s’arrête ». Ces différents cultés, comme ses ressources), tout en habitent alors chagrin et colère, haine et niveaux permettent de comprendre que portant attention aux conséquences sur amour, inquiétude et jalousie, rumina- les répercussions sur le lien fraternel ne le lien fraternel. Dans l’urgence qui suit tion constante et oubli des faits, etc. seront pas les mêmes à l’issue de la révé- une révélation d’inceste, toute l’atten- Lorsque le parent mis en cause ne recon- lation. Ainsi il peut y avoir une véritable tion est portée sur l’enfant ou les enfants naît pas l’inceste, la fratrie non abusée adhésion psychique, qui ne permet plus victimes. Le plus souvent, la fratrie est peut mettre en doute la parole de l’en- à l’un d’exister sans l’autre. Chacun se « oubliée » [12], et ce d’autant plus qu’elle fant victime et le stigmatiser comme res- protège alors mutuellement, et cette om- n’a pas été abusée. Ce secret autour de ponsable de tout ce qui arrive. Cette né- nipotence relationnelle peut être renfor- la fratrie participe à la dynamique inces- gation par l’auteur place la fratrie dans cée lorsque le parent non mis en cause tueuse, car elle maintient le silence et le une confusion qui peut venir renforcer est défaillant dans sa capacité à rassurer tabou autour des enfants. L’absence de la déliaison fraternelle, ce dont témoi- les enfants. A l’extrême, le risque est ce- prise en charge des fratries non abusées gnent les réactions de colère, d’agressi- lui de passage à l’acte incestueux au sein est aussi souvent justifiée par la crainte vité et de rejet qui s’expriment alors. La même de la fratrie. La révélation de l’in- de les « traumatiser davantage » ou par dépendance affective des enfants à ceste a bouleversé l’équilibre familial et l’âge des enfants, jugés « trop petits ». décembre 2011 page 428
Médecine & enfance Au-delà du tabou de l’inceste, « c’est la s’agit pas d’une recherche de la vérité [5] KAËS R. : « Le complexe fraternel. Aspects de sa spécificité », Topique, 1993 ; 51 : 5-42. parole sur l’acte » [13] qui devient interdi- mais d’une dynamique commune qui [6] KAËS R. : « Le pacte dénégatif dans les ensembles transubjec- te. Si les enfants n’ont pas, selon leur permettra de sortir de la sidération psy- tifs », in MISSENARD A. et al. : Le négatif, figures et modalités, Dunod, Paris, 1989 ; p. 101-36. âge, les mêmes ressources pour com- chique dans laquelle cette situation a [7] ROMANO H. : La maltraitance et ses conséquences chez l’en- prendre ce qui est en train de se passer, placé les enfants et de décrypter les fant. Descriptions cliniques, évaluation et prise en charge, Fa- ils sont tous impliqués dans cette situa- conflits à l’œuvre. bert, Paris, 2009. [8] ROMANO H. : « Incidence du trauma sur le lien fraternel », Neu- tion et ne sont pas préservés des consé- ropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescence, 2009 ; 57 : 293-302. quences. Si aucune explication claire ne [9] SCELLES R. et al. : Fratries confrontées au traumatisme, Publi- CONCLUSION cations des universités de Rouen et du Havre, 2009. lui est donnée, la fratrie se reconstitue [10] RAIMBAULT G., AYOUN P., MASSARDIER L. : Questions une histoire à partir de bribes enten- La fratrie blessée par l’inceste met en d’inceste, Odile Jacob, Paris, 2005. [11] PARRET C. : « Comment prendre en compte le rôle de la fa- dues. L’arrêt des abus dans les actes ne exergue les facteurs de vulnérabilité du mille dans les conséquences potentielles de la maltraitance signifie pas l’arrêt de leurs conséquences lien fraternel, mais il nous semble im- sexuelle lorsque la victime est un enfant », Conférence de consensus sur les abus sexuels, Anaes, 2003. dans le psychisme, en particulier de portant de l’envisager également com- [12] ALI HAMED N., CHATELLE N., DE BECKER E. : « La fratrie celles liées aux secrets et au processus me un espace de ressources spécifiques oubliée dans les situations d’inceste », Enfance & Psy, 2008 ; 2 : d’emprise. La fratrie élabore des théo- [7, 17-19], comme facteur de créativité 167-73. [13] SABOURIN P. : « Face à l’inceste, la thérapie familiale : pour- ries, pour donner sens à ce qui est en permettant aux enfants de survivre au quoi ? » in GABEL M. : Les enfants victimes d’abus sexuel, PUF, train d’arriver, à partir des représenta- traumatisme et de se dégager du pacte Paris, 1996 ; p. 213-25. [14] MUGNIER J.P. : Les stratégies de l’indifférence, ESF, Paris, tions souvent angoissantes de ce qu’elle traumatique de l’inceste et de ses réper- 2002. vit. Les enfants peuvent alors exprimer cussions dans la dynamique familiale. 첸 [15] CIRILLO S., DI BLASIO P. : La famille maltraitance, Fabert, Paris, 2005. une « diabolisation » anxieuse à l’égard [16] ROMANO H. : « Prise en charge des enfants et des adoles- de tout ce qui peut concerner la sexuali- Références cents victimes d’événements traumatiques », Stress et Trauma, [1] DE BECKER E., CHAPELLE S. : « L’accompagnement systé- 2006, 6 : 239-46. té [12], une véritable angoisse par rap- mique des familles abusives », Thérapie familiale, 2010 ; 31 : 65-78. [17] SCELLES R. : « La fratrie comme ressource », Contraste, port à leur intégrité corporelle, et une [2] DE BECKER E. : « Transgressions sexuelles au sein de la fratrie : 2003 ; 18 : 95-117. perte du sentiment de sécurité qu’ils évaluation et traitement », Psychothérapie, 2005 ; 25 : 173-86. [18] SCELLES R. : « Le processus de résilience dans les familles », [3] HAESEVOETS Y.H. : L’enfant en question, DeBoeck universi- in MARTY F. et al. : Figures et traitements du traumatisme, Du- avaient au préalable à l’égard de leurs té, Bruxelles, 2000. nod, Paris, 2001 ; p. 173-95. parents et qui atteint tous les adultes. [4] HAYEZ J.Y., DE BECKER E. : L’enfant victime d’abus sexuel et [19] TILMANS-OTSTYN E., MEYNCKENS-FOUREZ M. : Les res- sa famille : évaluation et traitement, PUF, Paris, 1997. sources de la fratrie, Erès, Ramonville Saint-Agne, 1999. L’enfant abusé, comme l’enfant maltrai- té, continue de subir psychiquement les conséquences des violences longtemps après leur arrêt dans la réalité, avec des conséquences multiples [14, 15]. Au ni- La protection de l’enfant victime veau médical, la prise en charge par le médecin généraliste ou le pédiatre de d’inceste par la révélation des faits fratries exposées à un contexte inces- tueux nécessite d’être vigilant aux maux du corps, à ces plaintes somatiques qui A. Gouttenoire, faculté de droit de Bordeaux, présidente de l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance de Gironde, membre du conseil d’orientation scientifique et technique viennent souvent en place de mots im- de l’Association Docteurs Bru possibles, sans minimiser les consé- quences lorsque frères et sœurs ne sont La première et la plus indispensable pro- dispositions relatives au secret profes- pas directement repérés comme ayant tection dont doit bénéficier le mineur victi- sionnel et des dispositions relatives à la été victimes des abus. Le travail théra- me de la part des adultes qui sont appelés protection des mineurs victimes d’abus peutique auprès des fratries nécessite à le prendre en charge à un titre ou un sexuels permet d’affirmer que le médecin de penser chaque enfant dans sa singu- autre, et notamment dans le cadre médi- peut révéler des faits incestueux commis larité, tout en reconnaissant au lien fra- cal, réside dans la révélation des abus sur un mineur sans qu’il soit tenu à une ternel des ressources spécifiques sus- dont il fait l’objet. Cette révélation est en véritable obligation de dénonciation. ceptibles d’aider chacun des frères et effet une étape indispensable pour que sœurs à se dégager de l’impact trauma- soit mise en œuvre à la fois la répression LE DROIT DE DÉNONCER tique de l’inceste. Un temps individuel à de l’inceste (cf infra) et la protection de chacun des enfants est d’abord proposé, l’enfant, le cas échéant à travers un éloi- Si l’article 226-13 du Code pénal sanc- pour les autoriser à s’exprimer sans gnement de l’auteur des faits. tionne d’un an d’emprisonnement et de craindre de représailles, d’être jugé ou La révélation de faits dont le médecin a eu 15 000 euros d’amende la « révélation de blesser l’autre [16]. Dans un second connaissance dans le cadre de l’exercice d’une information à caractère secret par temps, lorsque cela est possible, le tra- de sa profession soulève la question du une personne qui en est dépositaire soit vail avec la fratrie peut s’organiser. Il ne secret professionnel. La confrontation des par état ou par profession », l’article décembre 2011 page 429
Médecine & enfance 226-14 du Code pénal prévoit que cette connue par deux sortes de dispositions. fonction de son âge et de sa maturité, disposition n’est pas applicable « à celui Les premières dispositions concernent sont préalablement informés, selon des qui informe des autorités judiciaires, mé- les professionnels intervenant « dans le modalités adaptées, sauf si cette infor- dicales ou administratives de privations cadre médical ». L’article L 1110-4 du mation est contraire à l’intérêt de l’en- ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit Code de santé publique issu de la loi du fant ». Le principe est donc que le méde- d’atteintes ou de mutilations sexuelles, 4 mars 2002 prévoit en effet dans son cin doit avertir les parents qu’il va parta- dont il a eu connaissance et qui ont été alinéa 3 que « deux ou plusieurs profes- ger les informations concernant leur en- infligés à un mineur ou à une personne sionnels de santé peuvent toutefois, fant avec d’autres professionnels, sauf qui n’est pas en mesure de se protéger en sauf opposition de la personne dûment s’il estime que le fait d’avertir les parents raison de son âge ou de son incapacité avertie, échanger des informations rela- peut mettre l’enfant en danger. physique ou psychique », ou encore « au tives à une même personne prise en Pour autant, aucune disposition légale médecin qui, avec l’accord de la victime, charge afin d’assurer la continuité des ne fait obligation au médecin de révéler porte à la connaissance du procureur de soins ou de déterminer la meilleure pri- les faits incestueux dont il a eu connais- la République les sévices et privations se en charge sanitaire possible ». sance ; la seule obligation qui pèse sur qu’il a constatés sur le plan physique ou Les secondes dispositions relatives au lui est de protéger l’enfant. psychique dans l’exercice de sa profes- partage d’informations à caractère se- sion et qui lui permettent de présumer cret sont spécifiques à la protection de que des violences physiques, sexuelles ou l’enfance. La loi du 5 mars 2007 réfor- L’OBLIGATION psychiques de toute nature ont été com- mant la protection de l’enfance a en ef- DE PROTÉGER mises. Lorsque la victime est un mineur fet instauré la possibilité d’échanger ou une personne qui n’est pas en mesure entre professionnels des informations à Selon l’article 434-3 du Code pénal, « Le de se protéger en raison de son âge ou de caractère secret afin d’assurer une fait, pour quiconque ayant connaissan- son incapacité physique ou psychique, meilleure prise en charge ou la continui- ce de privations, de mauvais traite- son accord n’est pas nécessaire ». té de soins de l’enfant. Le nouvel article ments ou d’atteintes sexuelles infligés à Ces dispositions du Code pénal permet- L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et un mineur de quinze ans ou à une per- tent donc incontestablement aux per- des familles prévoit ainsi que « par ex- sonne qui n’est pas en mesure de se pro- sonnes tenues au secret professionnel de ception à l’article 226-13 du Code pénal, téger en raison de son âge, d’une mala- révéler des faits secrets dont elles ont eu les personnes soumises au secret profes- die, d’une infirmité, d’une déficience connaissance dans le cadre de l’exercice sionnel qui mettent en œuvre la poli- physique ou psychique ou d’un état de de leur profession sans craindre d’être tique de protection de l’enfance définie grossesse, de ne pas informer les autori- poursuivies pour violation du secret pro- à l’article L. 112-3 ou qui lui apportent tés judiciaires ou administratives est pu- fessionnel. Les faits secrets susceptibles leur concours sont autorisées à partager ni de trois ans d’emprisonnement et de d’être révélés pour protéger une person- entre elles des informations à caractère 45 000 euros d’amende ». Toutefois, ne recoupent toutes les formes de mau- secret, afin d’évaluer une situation indi- l’alinéa 2 de ce même texte dispose que vais traitements, qu’il s’agisse de priva- viduelle, de déterminer et de mettre en « sont exceptées des dispositions qui tions, de sévices, d’atteintes ou de muti- œuvre les actions de protection et d’aide précèdent les personnes astreintes au lations sexuelles. S’agissant des victimes dont les mineurs et leur famille peuvent secret dans les conditions prévues par protégées, le texte vise les mineurs, sans bénéficier ». On peut sans aucun doute l’article 226-13 ». Ainsi, le médecin, te- considération d’âge. Les abus sexuels affirmer que le pédiatre est une person- nu au secret professionnel, n’est pas te- commis sur des mineurs dans le cadre ne qui apporte son concours à la protec- nu de dénoncer les abus sexuels sur mi- familial concernent à l’évidence des faits tion de l’enfance et qu’il bénéficie, à ce neur dont il a eu connaissance. On se qui peuvent être révélés par le médecin titre, du droit de partager les informa- trouve donc en présence d’une option qui en a connaissance dans le cadre des tions dont il a eu connaissance dans le de conscience, qui permet au profes- soins qu’il prodigue à l’enfant. La révéla- cadre de sa profession avec d’autres mé- sionnel de choisir en conscience entre la tion qu’il est susceptible de faire de ces decins, des infirmières ou des assis- dénonciation et le secret. faits n’est subordonnée ni au consente- tantes sociales par exemple. Il faut ce- Cette option s’efface cependant lorsque ment de l’enfant concerné, ni évidem- pendant préciser que le partage des in- la révélation de l’abus sexuel est le seul ment au consentement de ses parents. formations relatives à une situation indi- moyen de protéger l’enfant. L’article 223- Indépendamment du droit de dénoncer viduelle est strictement limité à ce qui 6 du Code pénal dispose en effet que les faits aux autorités administratives est nécessaire à l’accomplissement de la « Quiconque pouvant empêcher par son ou judiciaires, le médecin peut partager mission de protection de l’enfance. La action immédiate, sans risque pour lui ou les informations relatives à un enfant loi prévoit en outre que « le père, la mè- pour les tiers, soit un crime, soit un délit avec d’autres professionnels. Cette pos- re, toute autre personne exerçant l’auto- contre l’intégrité corporelle de la person- sibilité de partage d’informations est re- rité parentale, le tuteur, l’enfant, en ne s’abstient volontairement de le faire décembre 2011 page 430
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