EFFETS DE L'AGILITE ORGANISATIONNELLE SUR LE STRESS PROFESSIONNEL DES CADRES DE SANTE FRANÇAIS A L'ERE DE LA COVID-19

La page est créée Claire Ollivier
 
CONTINUER À LIRE
EFFETS DE L'AGILITE ORGANISATIONNELLE SUR LE STRESS PROFESSIONNEL DES CADRES DE SANTE FRANÇAIS A L'ERE DE LA COVID-19
EFFETS DE L’AGILITE ORGANISATIONNELLE SUR LE STRESS
 PROFESSIONNEL DES CADRES DE SANTE FRANÇAIS A L’ERE DE LA
                                           COVID-19

                Kaouther BEN JEMAA-BOUBAYA, Enseignante-Chercheure,
                                Université de Sorbonne Paris Nord
               Nejla HADDAJI, Enseignante-Chercheure, Université de Carthage.
               Temna SATOURI, Enseignante-Chercheure, Université de Paris 8
                   Ali SMIDA, Professeur, Université de Sorbonne Paris Nord

Résumé
Depuis janvier 2020, la pandémie en lien avec la maladie coronavirus (COVID-19) s’est
propagée largement sur le globe, engorgeant les hôpitaux avec des arrivées massives de patients
présentant des formes graves de la maladie, et se traduisant par une augmentation drastique de la
mortalité au sein même des services de soins. Cette pandémie a eu un impact direct sur les cadres
de santé. De ce fait, les hôpitaux sont confrontés à une épreuve très difficile. Les cadres et
professionnels de santé, victimes d’un stress élevé, doivent agir en urgence en bénéficiant de
l’agilité et de la réorganisation du système de santé nécessaires vis-à-vis d’une telle crise
sanitaire. En nous focalisant sur deux thèmes particuliers de l’agilité organisationnelle, à savoir ;
la valorisation des Ressources Humaines et la maîtrise du changement, et en adoptant les
équations structurelles, nous tenterons dans cette étude de démontrer comment ces deux
composantes de l’agilité organisationnelle renforceront la résilience des cadres de santé en les
aidant à réduire le stress professionnel vécu dans de telle situation. Sur la base de 218
questionnaires recueillis en ligne, nous avons pu prouver le rôle modérateur de la valorisation
des RH dans la réduction du stress professionnel des professionnels de la santé. Quant à la
maîtrise du changement, cette ressource organisationnelle semble réduire directement
l’occurrence du stress professionnel chez le même échantillon. Les contributions théoriques et
managériales et les limites de cette recherche seront discutées tout en ouvrant la voie vers de
nouvelles perspectives de recherche.

Mots clés : Crise sanitaire liée à la covid-19, Stress professionnel, Agilité organisationnelle,
Valorisation des RH, Maîtrise du changement.
Introduction
       Vers la fin de l’année 2019, l’agent pathogène SRARS-COV2 connu sous le nom de la
covid-19 a connu une flambée épidémique incroyable. Le virus initialement apparu en Chine,
s’est largement propagé à tout le globe, notamment en Europe. Laquelle, s’est transformée en
nouvel épicentre de la maladie depuis mars 2020 (Anton, 2020; Kuckertz et al., 2020 ; Diemer,
2020 ; Ferar, 2020 ; Frimousse et Peretti, 2020 ; Legido-quigley, et al., 2020). La France, comme
ses voisins européens, s’est rapidement trouvée en face d’une augmentation phénoménale du
nombre de cas hospitalisés, de personnes présentant des formes cliniques sévères ainsi qu’une
saturation rapide des capacités de réanimation (Diemer, 2020 ; Anton, 2020 ; Daure, 2020). Face
à cette situation chaotique, incertaine et dégradante, la capacité et la réactivité des cadres de
santé a été mise à l’épreuve. Les acteurs appartenant à différents champs d’expertises (médicaux,
administratifs, logistiques, techniques et cliniques) ont été contraints à faire face au manque de
moyens et d’infrastructures, au processus et protocole sanitaire complexe et risqué, aux
compositions de personnel très fluctuantes (des contaminations chez le personnel soignant
obligeant les testés positifs covid-19 à s’isoler en quarantaine) (Wong et al., 2020). Ainsi, les
acteurs hospitaliers sont placés en première ligne d’attaque pour confronter la maladie (Bajji et
Lalaoui, 2021). Ce contexte de crise a déstabilisé les acteurs de santé et leur a causé davantage
de stress professionnel (Rivière et al., 2013 ; Abord de Chatillon et al., 2016 ; Rivière et al.,
2019 ; Rivière, 2019).
      Afin d’éviter une dégradation choquante de la situation sanitaire, l’OMS (Organisation
Mondiale de la Santé) préconise une agilité des systèmes de santé avec davantage « de vélocité et
scalabilité » face à la virulence de la covid-19 (Anton, 2020 ; El-Hage et al, 2020; Suresh et al.,
2021). L’agilité étant définie comme la capacité d'une organisation non seulement à détecter le
changement, mais aussi à s'adapter, à réagir et à être performante face à des environnements en
évolution rapide (Sambamurthy et al., 2003 ; Weill et al., 2002), elle semble être la ressource
organisationnelle la plus convoitée en cette période critique, de par les compétences qu’elle
mobilise et les capacités organisationnelles qu’elle est en mesure de créer (Freiling, 2004;
Freiling et al., 2008).
      En adoptant comme cadre théorique celui de la théorie de Conservation des Ressources
(COR) (Hobfoll, 1989 ; 2001; 2011), notre objectif est d’étudier le rôle de l’agilité
organisationnelle dans la réduction du stress professionnel des cadres de santé. Ainsi, nous nous
proposons d’examiner dans quelles mesures les pratiques d’agilité organisationnelle adoptées
dans les établissements hospitaliers (notamment en termes de valorisation des Ressources
Humaines et de maîtrise du changement) permettraient-elles d’atténuer le stress professionnel
dans le contexte de la crise sanitaire actuelle (la covid 19).
      Sur le plan managérial, s’intéresser à cette problématique représente un enjeu notable pour
les établissements de santé. Il permettra de garantir un bon fonctionnement de leur unité de
travail et une meilleure qualité des soins délivrés. Nous notons qu’aucune recherche jusque-là
n’a étudié les effets de l’agilité organisationnelle sur le stress professionnel à l’ère de la covid-
19.

      La première section de cet article s’attachera ainsi à définir les concepts : stresseurs
organisationnels, stress professionnel et agilité organisationnelle de façon à pouvoir étudier leurs
impacts les uns sur les autres au sein d’une organisation en difficulté dans un contexte de crise.
Nous exposerons ensuite dans la seconde section le cadre méthodologique que nous avons
retenu. La troisième section quant à elle présentera les résultats suivis d’une discussion et de la
conclusion

1. La pandémie de covid-19 : entre stresseurs organisationnels, stress
professionnel et agilité organisationnelle?

     1.1.   Stresseurs organisationnels et stress professionnel : deux concepts en
cascade dans la littérature

      1.1.1.   Stresseurs organisationnels
       La théorie des rôles de Kahn et al. (1964) indique que les tensions de rôle sont liées aux
attentes différentes vis-à-vis de ces acteurs et dans multiples cas en contradiction. Il s’agit d’un
contexte de travail qui met l’individu face à une difficulté, voire une impossibilité à faire face
aux attentes convenablement, qu’il soit à ses yeux ou aux yeux des personnes qui les présentent
(Royal et Brassard, 2010). En effet, la transformation et disparition des frontières
organisationnelles, le développement digital, l’émergence de nouveaux modèles de gouvernance
et d’organisation sont autant de facteurs qui bouleversent les rôles au sein des organisations et
créent des tensions de rôle (Djabi et al, 2019). Selon la littérature les tensions de rôle sont de
trois types : l’ambiguïté de rôle, le conflit de rôle et la surcharge de travail (Commeiras et al.,
2009; Djabi et al, 2019; Rivière et al, 2019).
       Il est à noter que l’individu est en situation de conflit de rôle lorsqu’il est face à des
attentes de rôle incompatibles et contradictoires (Rizzo, et al., 1970). Par ailleurs, il est en
situation d’ambiguïté de rôle lorsque les attentes du rôle ne sont pas claires (Rizzo et al., 1970).
La surcharge de rôle apparaît, enfin, quand le rôle représente des attentes qui dépassent les
capacités de réalisation mobilisées par l’individu (Ben Aissa et Sassi, 2019).

      Bien que plusieurs études dans la littérature ont proposé différentes échelles de mesure des
tensions de rôle, Rizzo et al., (1970) demeure la plus utilisée. Toutefois, cette dernière ne permet
pas de prendre en compte « des dimensions mises au jour de manière éparse dans la littérature:
différentes formes de conflits de rôle, ambiguïté de rôle et surcharge de rôle » (Djabi et al,
2019). A ce titre, Djabi et al., (2019) ont développé une nouvelle échelle de mesure
multidimensionnelle des tensions de rôle au travail afin d’intégrer les dernières avancées de la
littérature et de mieux appréhender la diversité des tensions de rôle au travail et leurs effets
potentiellement différenciés surtout en terme de stress professionnel.

      1.1.2.   Stress professionnel
      D’après NIOSH (The National Institute for Occupational Safety and Heath), le stress au
travail ou stress professionnel est défini comme l’ensemble des réactions physiques et
émotionnelles négatives, qui se produisent lorsque les exigences du travail ne concordent pas
avec les capacités, les moyens ou encore, les besoins du travailleur. Il s’agit d’une réaction
dépendant de l’émotionnel, du cognitif, du comportemental et du physiologique du sujet. Cette
réaction résulte de l’exposition aux aspects néfastes et négatifs de la nature du travail sur
l’organisme et l’environnement. Le stress professionnel s’avère bénéfique lorsque l’homme se
trouve confronté à un danger réel pour assurer l’adaptation, mais n’est pas en adéquation, lorsque
ce travailleur s’efforce de s’adapter à des conditions de travail difficiles, monotones ou
exigeantes (De Keyser et Hansez, 1996).
      Selon la théorie de préservation des ressources de Hobfoll, (1989 ; 2001 ; 2011), et en
focalisant sur la notion de ressource, le stress et l’usure résultent d’une érosion des ressources de
l’individu (Hobfoll et ali.., 2018 ; Dierendonck et ali., 2001 ; Hatinen et ali., 2004 ; Grandey et
Cropanzano, 1999). Ces situations de déséquilibre se fondent sur deux principes élémentaires,
celui de la primauté du sentiment de perte (Hobfoll, 1989, 2001 ; Hobfoll et Freedy, 1993 ;
Wright et Hobfoll, 2004) et celui de l’importance de l’investissement en ressources (Hobfoll et
Freedy, 1993 ; Maslach et Schaufeli, 1993).
       Pour Hobfoll (2001), la tendance des individus à surestimer les informations négatives
telles que la perte ou les menaces est innée et fait même partie de l’apprentissage de base, de
façon qu’elle devienne une réponse automatique de l’individu au-delà de son niveau de
conscience. Dans un contexte de perte, le gain de ressources devient plus important. En
attribuant un poids au gain, ce principe distingue la théorie de Hobfoll (1989 ; 2011) des théories
de renforcement et du béhaviorisme en général, qui ne différencient pas le poids de la
récompense et de la punition, et pour qui le gain ou la récompense est un moyen qui influence le
comportement. Par ailleurs, mettre l’accent sur la culture partagée qui sous-tend l’évaluation de
la perte différencie également la théorie COR de la théorie transactionnelle de Lazarus et
Folkman (1984) qui laisse à l’individu la liberté d’évaluer l’étendue de la perte ou du gain.
      Le stress professionnel impacte plusieurs niveaux dans la relation entre l’individu et son
travail. Les études sur le stress professionnel mettent en avant des courants théoriques opposés
et/ou complémentaires, afin d’indiquer les différences de perception de ce risque psychosocial
(Sassi, 2011; Ben Aissa et Sassi, 2019). Le stress professionnel impacte plusieurs niveaux dans
la relation entre l’individu et son travail (individuel, interpersonnel et professionnel) (Raix et
Mignée, 1995; Mackay et al, 2004; Kahn et Byosiere, 1992; Légeron, 2008; Steiler et Rüling,
2003; Cox et Leiter, 1992). Le niveau individuel intègre les caractères de personnalité propres à
la personne, son histoire personnelle et son état physique et psychologique (Raix et Mignée,
1995; Mackay et al, 2004; Kahn et Byosiere, 1992; Légeron, 2008; Steiler et Rüling, 2003; Cox
et Leiter, 1992). Le niveau interpersonnel prend en compte les relations et la communication
entre les personnes au sein de l’entreprise, ainsi que l’ambiance professionnelle (Légeron, 2008;
Steiler et Rüling, 2003; Cox et Leiter, 1992).
      Avoir l’impression de reconnaitre son talent, se sentir compris et aidé en cas de difficultés,
représente pour chaque travailleur l’occasion de confirmer sa propre identité et est un élément
essentiel à l’activité du groupe de travail (Cox et Leiter, 1992). L’absence de ces relations
interpersonnelles engendre un sentiment de rejet et peut mener à une détresse psychologiques
susceptibles d’endommager la communication avec le groupe et d’engendrer un stress (Cox et
Leiter, 1992). Enfin, le niveau professionnel s’intéresse à la tâche elle-même, ses spécificités, les
conditions dans lesquelles elle s’exerce (Légeron, 2008). Certaines entreprises génèrent des
systèmes de valeurs et conçoivent des objectifs perçus par l’individu, comme une réelle difficulté
à laquelle une réponse semble peu probable, au regard de l’indigence des ressources mobilisées
(Légeron, 2008; Steiler et Rüling, 2003).
      A cet effet, le stress professionnel impacte négativement le bien être des salariés lorsque
ceux-ci n’ont pas ou plus les moyens de faire face à la situation de déséquilibre engendrée par les
conditions défavorables du travail (Lazarus & Folkman, 1984; Lazarus, 1995). Il est à noter que
pour parler des éléments qui résultent du stress, la littérature évoque « les facteurs de risque
psychologique, les sources de stress, les agents stressants ou les contraintes professionnelles ou
stresseurs » (Harvey et al, 2006, p 20).
1.2. Présentation du modèle de recherche et des hypothèses
      Notre modèle de recherche se propose d’étudier le rôle de l’agilité organisationnelle dans
la réduction du stress professionnel des cadres de santé. Ainsi, dans un premier temps, nous
analyserons les effets de la crise sanitaire sur les cadres de santé en terme de stresseurs
organisationnels et de stress professionnel. Dans un deuxième temps, nous nous proposons
d’examiner dans quelles mesures les pratiques d’agilité organisationnelle adoptées dans les
établissements hospitaliers (notamment en termes de valorisation des Ressources Humaines et de
maîtrise du changement) permettraient-elles de faire face au stress professionnel.

     1.2.1. Cadres de santé à l’épreuve des stresseurs organisationnels et du stress
professionnel à l’ère de la covid-19

      La covid-19 est une pandémie mondiale qui s’est propagé rapidement en France et dans le
monde (Anton, 2020 ; Bajji et Lalaoui, 2021, Suresh et al, 2021). Le nombre de patients covid
augmente de jour en jour ainsi que les exigences des hôpitaux en termes de capacité
d'hébergement des centres de soins covid, soins d'urgence, nombre de soignants et mise en place
d'un traitement avancé / nouvelles modalités (Suresh et al, 2021).
      A cet effet, les cadres de santé (cadres hospitaliers, cadres administratifs, cadres techniques
et cadres socio-éducatifs) sont impactés par ce contexte instable (Krief, 2012). L’environnement
interne de l’hôpital public est propice à l’émergence de conflits, ambiguïté de rôles et surcharge
de travail (Rivière et al, 2013 ; Rivière et al, 2019 ; Rivière, 2019) avant même la découverte de
l’agent pathogène SRARS-COV2 en France. Le milieu hospitalier fait face, depuis 2004, à de
multiples reformes instaurées en terme d’une nouvelle gestion publique axée sur les résultats
ainsi que les moyens nécessaires pour les atteindre (Grenier et Guitton-Philippe, 2011; Grenier et
Denis, 2018). Il est entré dans des zones de turbulence depuis 2004 (Rivière et al, 2019). La
volonté de transformer l’hôpital en entreprise, la soumission de ce dernier aux systèmes
d’évaluation, l’accord des subventions en fonction de la «performance», l’inscription de son
évolution dans la chronicité, l’obligation d’adapter et d’intégrer son mode de fonctionnement à
des registres de savoir-faire organisationnel de plus en plus larges, la compétition accrue du
secteur privé et l’énorme manque des ressources, sont des facteurs qui ont fragilisé l’hôpital
public français avant même l’arrivé de la pandémie de la covid-19 (Grenier et Guitton-Philippe,
2011; Brémond et al, 2013 ; Grenier et Denis, 2018; Rivière et al, 2013 ; Rivière et al, 2019 ;
Rivière, 2019). Ces instabilités ont engendré l’incompatibilité des attentes et des attributions
spécifiques aux différents acteurs ainsi que la « dichotomie » des rôles et des objectifs (Krief,
2012). Elles ont aggravé la situation des cadres de santé et ont engendré des tensions de rôle
(Rivière et al, 2019).
      A ce titre et en continuité avec les travaux de Miri et al. (2014), l’étude de Rivière et al,
(2019) a permis de préciser différentes formes des tensions de rôle, sources du stress
professionnel, chez les cadres de santé français. Selon les auteurs, la perception des changements
liés au Nouveau Management Public a favorisé dégressivement le conflit de rôle, la charge de
travail quantitative, le conflit travail-famille et les attentes de rôles contradictoires. Cela a
impacté négativement le bien être des cadres de santé et a favorisé le stress professionnel de ces
derniers (Rivière et al, 2013 ; Abord de Chatillon et al, 2016 ; Rivière et al, 2019 ; Rivière,
2019). Il est à noter que, cette étude est fondée sur les apports de la théorie des rôles de Kahn et
al., (1964), du modèle du processus séquentiel de Katz et Kahn (1966), du modèle bi-
dimensionnel (« Job Demands ») de Karasek (1979) et du modèle « Job Demands-Resources »
de Demerouti et al. (2001) qui ont indiqué que les tensions de rôle (stresseurs organisationnels)
peuvent déclencher des réactions de stress professionnel.
      Dans la même lignée, plusieurs études se sont préoccupées, depuis le début de la crise
sanitaire, à étudier l’effet de cette dernière sur la santé mentale et psychique des professionnels
de santé (Segers, 2020 ; Pitchot, 2020 ; Krystal et McNeil, 2020 ; Alharbi et al., 2020 ; Bansal et
al., 2020 ; Cullen et al., 2020 ; Fessell et Cherniss, 2020 ; Kang et al., 2020; Wu et al., 2020).
Les résultats de ces travaux indiquent que les attentes de rôle qui se sont développées à l’égard
des cadres de santé dans ce contexte de crise favorisent différentes formes de tensions de rôle et
de stress professionnel.
      De ce fait, dans la continuité de ces études, notre modèle de recherche (illustré en figure 1)
tente de tester comment les tensions de rôle peuvent déclencher des réactions de stress
professionnel chez les cadres de santé à l’ère de la covid-19 ? Dans quelle mesure, la crise
sanitaire a accentué les contraintes des cadres de santé ? Quelles réactions vis-à-vis d’un
environnement en pleine mutation et ambiguïté qu’il soit en terme de procédures ou
d’organisation ?
     En effet, les tensions de rôle des cadres de santé ont été particulièrement accentué par la
pandémie de la covid-19. Face à une menace non anticipée et très peu connue, ils ont occupé une
position d’interface entre différents acteurs : les médecins, les infirmiers et les familles. « Cette
position frontalière est potentiellement source de conflits de rôle au regard des attentes de
chacune de ces parties qui ne sont pas toujours conciliables » (Rivière et al., 2019 ; Segers,
2020).
     En nous basant sur les résultats des travaux précédents et sur une hypothèse générale d’un
impact positif des tensions de rôle sur le stress professionnel, une première hypothèse est
énoncée:

      H1 : Le conflit de rôle à l’ère de la covid-19 est corrélé positivement au stress
professionnel des cadres de santé.

      De même, certains cadres de santé ont été contraints à se séparer de leurs familles afin
d’éviter de contracter le virus et de le transmettre à leurs proches. D’autres ont eu des horaires
variables déstabilisant l’équilibre de vie familiale et professionnelle (Pitchot, 2020; Segers,
2020). L’hypothèse suivante est alors formulée :

      H2 : Le conflit travail-famille à l’ère de la covid-19 est corrélé positivement au stress
professionnel des cadres de santé.
      En outre, des situations d’ambiguïtés de rôle ont submergé l’atmosphère hospitalier
(Pitchot, 2020; Segers, 2020). Les cadres de santé ne peuvent satisfaire simultanément les
attentes professionnelles et familiales, provoquant un conflit travail-famille, source de stress. De
même, le caractère inconnu et mortel de la maladie a mis tous les acteurs hospitaliers dans la
confusion extrême. Les cadres de santé ont dû faire face à une affluence des malades inédite et à
des nouvelles tâches pour lesquelles ils n’ont pas été formées initialement (exemple : supprimer
les consultations non-urgentes, reporter des interventions chirurgicales, fermer les hôpitaux de
jour et certains services, réorienter les différentes compétences vers la prise en charge des
patients covid). S’appuyant sur la littérature et sur l’hypothèse générale d’un effet positif des
tensions de rôle sur le stress professionnel, l’hypothèse suivante est posée :

      H3 : L’ambiguïté de rôle à l’ère de la covid-19 est corrélé positivement au stress
professionnel des cadres de santé.

      La situation sanitaire très complexe a engendré, aussi, une surcharge de travail
phénoménale et un rythme sans répit pour les professionnels de « première ligne ». D’une part,
une charge de travail quantitative (accroissement de la charge administrative avec des conditions
de travail difficiles et risqués; la progression du virus, du nombre de personnes contaminées, des
décès ou du taux d’hospitalisation en soins intensifs) et d’autre part, une charge de travail
émotionnelle (« une ambiance lourde, une organisation des activités défaillante, l’absentéisme
de plus en plus fréquent des collègues, être confronté en permanence à la souffrance et à la
mort, encore le sentiment d’être de moins en moins respecté par les structures hospitalières et
les autorités politiques, une pression sociétale qui ne autorise pas à ces derniers à exprimer
leurs souffrances et à montrer le moindre signe faiblesse») (Pitchot, 2020 ; Segers, 2020).
       S’appuyant sur la littérature et l’hypothèse générale que la charge de travail développe du
stress professionnel, l’hypothèse H4 déclinée en deux sous hypothèses, peut être émise :
      H4 : La charge de travail à l’ère de la covid-19 est corrélé positivement au stress
professionnel des cadres de santé.
      H4a : La charge de travail quantitative liée au contexte sanitaire de la covid-19 est corrélé
positivement au stress professionnel des cadres de santé.
      H4b : La charge de travail émotionnelle liée au contexte sanitaire de la covid-19 est
      corrélé positivement au stress professionnel des cadres de santé.
      1.2.2.   Agilité organisationnelle dans les hôpitaux à l’ère de la covid-19
      Depuis le début de la crise sanitaire (covid-19), l’hôpital fait face à de nouvelles exigences
pour rivaliser avec la situation actuelle critique à laquelle sont confrontés les acteurs hospitaliers
qui doivent changer les priorités et en développer de nouvelles pour aboutir à des stratégies
efficaces. L'idée de « s'adapter à des changements imposés » implique d’être agile et de s'aligner
(Vaishnavi et al, 2019). De ce fait, l’agilité joue un rôle important dans les processus
d’amélioration des opérations de réponses face à une situation de crise qui est de plus en plus
dynamique (Suresh et al, 2021).
        De ce fait, l’agilité organisationnelle peut être définie comme la capacité d'un
établissement non seulement à repérer le changement, mais aussi à s'adapter, à réagir et à être
performant face à des environnements en évolution fulgurante comme le cas de la pandémie de
la covid-19 (Weill et al., 2002 ; Sambamurthy et al., 2003). En outre, il s’agit d’un processus qui
se modifie constamment afin d’adapter l’organisation à un environnement complexe, turbulent,
incertain et en constante évolution (Goldman, et al., 1995; Shafer, 1997; Jorroff et al., 2003;
Charbonnier-Voirin, 2011; Rima et Mindaugas, 2018). Dans ce processus, le niveau élevé
d’agilité organisationnelle devient un objectif et les organisations définissent différentes
stratégies pour atteindre ces objectifs de la manière la plus efficace et la plus efficiente possible
(Rima et Mindaugas, 2018). Ainsi, l’agilité a fait l’objet de plusieurs recherches empiriques qui
montrent sa relation positive avec la performance (Tarafdar et Qrunfleh, 2017; Mirghafoori et
al., 2017 ; Chan et al., 2017; Verma et al., 2017). Elle est considérée comme une compétence
nécessaire afin d’améliorer les performances vis-à-vis d’un contexte turbulent ou de crise (Ismail
et al., 2011; Blome et al., 2013; Sanchez et Nagi, 2001).
       Suresh et al, (2021) ont analysé dans leur papier : « the factors that influence the agility of
covid-19 hospitals », les déterminants de l’agilité organisationnelle. Les auteurs ont conclu que
les facteurs suivants contribuent à l'agilité des soins covid-19: construire une équipe
d'intervention rapide, soutenir les équipes en mobilisant les ressources nécessaires et en
déterminant les responsabilités professionnelles des membres afin d’encourager l’autonomie et
l’efficacité, communiquer d’une manière transparente sur les nouvelles procédures et systèmes
de travail, préparer les employés au changement physique, technologique et humain de leur cadre
de travail (par exemple : intégrer dans les esprits de personnel des nouvelles habitudes de
prévention des infections et le contrôle du virus comme l'hygiène des mains) (Lai et al, 2020 ;
Bashirian et al, 2020). Ainsi, parmi les armes de l’agilité organisationnelle, les auteurs ont noté
l’importance de la décentralisation de la prise de décision ou « une stratégie auto-organisée » et
l’adoption d’une stratégie flexible afin d’assurer une plus grande adaptabilité, rapidité et
dynamisme. L’objectif principal est de pouvoir sauver les vies des patients des soins intensifs,
diminuer la mortalité et développer la résilience (Anton, 2020 ; Suresh et al, 2021). A ce titre, il
est nécessaire de faire face aux épreuves de l'environnement de travail et des situations qui créent
le stress quotidien dans les soins covid (Pitchot, 2020 ; Segers, 2020).
       En guise de synthèse, favoriser l’agilité organisationnelle, à l’ère de la covid-19, consiste à
créer un écosystème qui valorise les interactions entre les personnes agissant en « première
ligne » (Suresh et al, 2021). En effet, le plus important dans cette période difficile est de
valoriser les ressources humaines et de créer un écosystème qui s’adapte et maintient la
résilience (Suresh et al, 2021).
      Toutes ces formes d’agilité développées dans les hôpitaux, vis-à-vis de la pandémie de la
covid-19, peuvent avoir des conséquences en terme de stress professionnel. A ce titre,
l’hypothèse H5 déclinée en sous hypothèses est émise :
     H5 : Les pratiques de l’agilité organisationnelle modèrent l’effet des stresseurs
organisationnels sur le stress professionnel des cadres de santé à l’ère de la covid-19.
     H5a. La valorisation des ressources humaines modère l’effet des stresseurs
organisationnels sur stress professionnel des cadres de santé à l’ère de la covid-19.
      H5b. La maîtrise du changement modère l’effet des stresseurs organisationnels sur stress
professionnel des cadres de santé à l’ère de la covid-19.
     Aux vues de toutes nos hypothèses formulées, notre modèle conceptuel de recherche se
formule comme suivant :
                                     Figure 1. Modèle de recherche
Source : développé par les auteurs
2. Méthodologie et étude empirique
      Notre échantillon est constitué de cadres de santé appartenant à différents champs
d’expertise (infirmier, administratif, logistique et technique). Le cadre de santé étant un
professionnel ayant suivi une formation de management pour avoir les capacités d’encadrer une
équipe. Le choix de cette population est justifié par la problématique de l’étude, où nous avons
tenté d’examiner l’impact de certaines pratiques d’agilité organisationnelle adoptées dans les
établissements hospitaliers sur la réduction du stress professionnel dans un contexte particulier ;
celui de la covid-19. Le questionnaire étant administré en ligne (sur la plateforme Google form),
nous avons obtenu 218 réponses. L’échantillon est composé de 68.35% de femmes et 31.65%
hommes 76.14% ont moins de 40 ans et 47.25% sont mariés.
     2.1. Échelles de mesure
      -Tensions de rôle : l’échelle retenue pour évaluer les tensions de rôle est une échelle
récente (Djabi et al., 2019). Elle constitue une meilleure alternative par rapport à l’échelle de
Rizzo et al., (1970). En effet, cette nouvelle échelle a l’avantage de traduire les fondements
conceptuels dont elle découle et a été validée dans un contexte francophone. Il s’agit d’une
échelle à quatre dimensions à savoir ; les attentes contradictoires, les attentes ambiguës, les
attentes excessives (charge quantitative du travail) et les attentes en conflit avec celles de
l’individu.
      - La charge émotionnelle : composée de six items (Harris, 1989), cette échelle permet
d’évaluer la fatigue psychologique engendrée par la relation et le contexte du soin. Ainsi, les
répondants sont invités à indiquer leur niveau d’accord ou de désaccord avec les six propositions
de l’échelle.
      - Conflit Travail/Famille : l’empiètement du travail sur les responsabilités et rôles
familiaux est mesuré par l’échelle de Natemeyer et al., (1996) à cinq items où les répondants
sont invités à se prononcer quant à leur degré d’accord ou de désaccord par rapport aux
différentes propositions.
     - Stress professionnel : Job Induced Tension de House et Rizzo (1972) est l’échelle
unidimensionnelle retenue pour évaluer la tension manifeste chez les répondants, où ils sont
amenés à indiquer leur niveau d’accord ou de désaccord par rapport à sept propositions.
       - Agilité organisationnelle : pour mesurer l’agilité organisationnelle, nous avons retenu
deux thèmes en raison de leur pertinence par rapport à notre population d’étude (Charbonnier-
Voirin, 2011). Il s’agit essentiellement du thème « pratiques orientées vers la maîtrise du
changement » et celui de « la valorisation des RH ». Le premier thème est représenté à travers
trois dimensions, à savoir ; la proactivité de l’établissement, la réactivité de ses équipes et enfin
la capacité de l’établissement en question à communiquer sa vision stratégique. Le second thème
est lui représenté à travers quatre dimensions qui sont ; Évaluation et Reconnaissance des
Performances (ERP), Développement des Compétences et Partage des Connaissances (DCPC),
Créativité et Amélioration Continue (CAC) et Délégation des Responsabilités (DR).
      2.2. Analyse des résultats
      Les données recueillies en ligne ont fait l’objet d’une analyse exploratoire sous SPSS 25.
L’objectif était de réduire le nombre des items. Grâce à une analyse en composantes principales,
nous nous sommes proposés de déterminer qu’un même indicateur ne peut mesurer plus d’un
construit (Collier, 2020). Dans une étape ultérieure, grâce à une analyse factorielle confirmatoire
sous AMOS 24, nous avons tenté de rattacher chaque item au construit qu’il est supposé
mesurer. C’est aussi au niveau de cette analyse que nous pouvons apprécier la fiabilité, la
validité de chaque construit et de juger de la qualité psychométrique du modèle de mesure grâce
à une série d’indicateurs. La fiabilité de chaque construit est appréciée à travers la fiabilité
composite C.R, une meilleure alternative au coefficient alpha de Crombach, notamment lorsqu’il
est question des équations structurelles (Hair et al., 2017).
       Pour tester les hypothèses de recherche préalablement émises, nous avons eu recours aux
équations structurelles afin de réaliser une analyse en pistes causales (Path Analysis) (Roussel et
al., 2002). Enfin, les liens de modération des différentes pratiques d’agilité organisationnelle ont
été testés suivant la démarche de Dawson (2014). En centrant tous les indicateurs des variables
du modèle afin de réduire la multi colinéarité (Aguinis, et al., 2017 ; Zhao et al., 2011), de
nouvelles variables d’interaction ont été introduites en multipliant les scores des variables
indépendantes avec ceux des variables modératrices.
      À l’issue du test des statistiques descriptives et de l’analyse exploratoire, nous avons prêté
toutes les échelles à une analyse confirmatoire. Tous les items ont des loadings supérieurs à 0.7
ce qui indique une fiabilité des indicateurs (Hulland, 1999). Toutes les variances moyennes
extraites (AVE) dépassent le seuil de 0.5 indiquant la validité convergente des tous les construits
(Bagozzi et Yi, 1988 ; Fornell et Larcker, 1981). De plus toutes les fiabilités composites (CR)
dépassent le seuil de 0.7 reflétant une bonne cohérence interne de tous les construits. Ainsi,
chaque item est sensé rendre compte du construit qu’il est supposé mesurer (Gefen et al., 2000).
Par ailleurs, tous les indices d’ajustement du modèle de mesure (CFI, TLI, IFI) dépassent le seuil
recommandé de 0.9 indiquant un bon ajustement du modèle par rapport aux données. Enfin, pour
juger de la validité discriminante, nous devons nous assurer que nos évaluations correspondent
aux critères standards, à savoir ; CR > 0,7, AVE > 0,5, CR > AVE et MaxR(H) > MSV (Hair et
al., 2010 ; Malhorta et Dash, 2011). Le tableau (1.) récapitule les indicateurs issus du modèle de
mesure.
      Pour nous assurer de l’invariance du modèle de mesure, nous avons procédé au test de la
différence du khi-deux entre le modèle non contraint (χ2 = 3405.7, dl = 1872) et le modèle
totalement contraint (χ2 =3474.8, dl = 1918). La différence est ainsi (χ2 = 69.1, dl = 46 ; p =
0.015). Il en ressort que le modèle est invariant.
       Une fois l’invariance du modèle de mesure est vérifiée, nous passons à l’examen des liens
directs. Dans notre modèle, le stress professionnel est retenu comme une variable dépendante
expliquée par quatre variables exogènes à savoir, des attentes ambigües, des attentes excessives,
une charge émotionnelle et un empiètement du travail sur les responsabilités familiales du
professionnel de santé. L’examen des résultats issus de l’analyse structurelle a révélé en effet que
des attentes excessives (γ = 0.270 ; t = 2.183 ; p < 0.05) conjuguées avec un empiètement du
travail sur les responsabilités et rôles familiaux (γ = 0.366 ; t = 3.36 ; p < 0.001) prédisent la
manifestation du stress professionnel (R2 = 0.428). Il semble que dans notre population d’étude,
les professionnels de santé ont développé une certaine familiarité avec leurs conditions
spécifiques du travail de manière à ne plus ressentir une charge émotionnelle dans l’exercice de
leurs fonctions.
      Pour tester les liens de modération, nous avons eu recours au test des effets d’interaction
(Dawson, 2014). Pour pallier la multicolinéarité qui peut biaiser les résultats de l’analyse, nous
avons centré et réduit les variables. Ainsi, seule la variable DCPC ou développement des
compétences et partage des connaissances du thème « Valoridation des RH » semble modérer
négativement l’effet du conflit travail/famille sur le stress professionnel (γ = -0.118 ; t = -2.322 ;
p < 0.05). La figure (1.) Montre comment le DCPC amortit la relation positive entre le conflit
travail/famille d’une part et le stress professionnel de l’autre part. Par contre, seule la dimension
RCST ou la Réactivité des équipes face à la capacité de l’organisation à Communiquer sa vision
stratégique, semble entretenir des liens directs négatifs avec le stress professionnel (γ = -0.147 ; t
= -2.188 ; p < 0.05). Le tableau (2.) synthétise l’ensemble des liens directs et de modération.

     Figure1. Le Développement des Compétences et Partage des connaissances modère
(réduit) la relation entre le conflit T/F et le stress.
Tableau 1. Validité et fiabilité du modèle de mesure

                                                                                                   T    de AVE
Construits                                                                                         Student (MSV ;MaxR(H))
                                                                                    Loadings
                                                                                    Standardisés
Tensions de rôle au travail (Djabi et al., 2019)
Attentes ambiguës                                                                   (C.R. = .80)           .67 (.16 ; .81)
Je manque d’indications pour savoir comment réaliser mon travail.                   .86            6.64
Globalement, les attentes vis-à-vis de mon travail restent assez floues.            .77            **
Attentes excessives (Charge de travail quantitative)                                (C.R. = .74)           .58 (.46 ; .74)
Je me sens surchargé(e) par tous les comptes-rendus/Reportings que je dois faire.   .77            8.98
Il y a tellement de choses à faire qu’il est difficile d’être performant en tout.   .76            **
Charge émotionnelle de travail (Harris , 1989)                                      (C.R. =.91)            .62 (.17 ; .91)
Dans mon travail je suis confronté(e) à des questions de Vie ou de mort.            .74            10.31
Dans mon travail, je côtoie des personnes souffrantes ou en fin de vie.             .79            12.13
Dans mon travail je dois m’occuper de patients difficiles.                          .82            13.14
Dans mon travail, je dois consoler des personnes en deuil.                          .77            12.14
Dans mon travail, je dois faire face à des personnes agressives.                    .81            12.41
Je dois gérer l’entourage et la famille des patients.                                              .78            **
Conflit Travail/Famille (Netemeyer et ali., 1996)                                                  (C.R. = .91)           .67 (.46 ; .91)
Les charges du travail perturbent ma vie familiale.                                                .83            12.56
Les charges de mon travail me stressent tellement qu'il m'est difficile de faire face à mes devoirs
familiaux.                                                                                          .87           13.18
Les charges de mon travail ne me permettent pas d'accomplir certaines choses chez moi à cause
des exigences de mon travail.                                                                 .85                 12.81
Les charges de mon travail sont tellement importantes qu'il m'est difficile d'accomplir mes
responsabilités familiales.                                                                 .78                   11.71
Les charges de mon travail perturbent ma vie familiale                                             .75            **
Stress (House et Rizzo, 1972)                                                                      (C.R. =.84)            .57 (.35 ; .84)
Je me sens agité(e) et nerveux (se).                                                               .79            10.41
Cela m’empêche de dormir la nuit.                                                                  .76            10.11
Cela tend à influencer directement ma santé.                                                       .74            9.88
Souvent je me sens complètement faible à cause de cette situation.                                 .72            **
Maîtrise du changement (Charbonnier-Voirin, 2011)
Proactivité                                                                                        (C.R. =.81)            .58 (.41 ; .81)
Mon établissement développe une culture du changement auprès du personnel.                         .75            9.73
Mon établissement nous permet de saisir de nouvelles opportunités pour se développer.           .81           10.17
Mon établissement crée et innove en permanence pour devancer les autres organismes.             .73           **
Réactivité des équipes face à la capacité de l’organisation à communique sa vision
stratégique                                                                        (C.R. =.86)                        .67 (.41 ; .88)
Nos équipes s’adaptent très rapidement à des évolutions majeures en lien avec la situation
actuelle.                                                                                  .70                11.41
Les informations concernant mon établissement et ses plans d’action sont diffusées à tous les
niveaux, en des termes compréhensibles par tous.                                              .86             14.48
Nos équipes sont informées des transformations à venir et de leur déroulement.                  .87           **
Valorisation des Ressources Humaines (Charbonnier-Voirin, 2011)
Évaluation et Reconnaissance des Performances                                                   (C.R. =.84)           .63 (.45 ; .84)
L'établissement fixe pour chaque membre du personnel des objectifs individuels clairs.          .73           11.12
L'établissement met en place un système d’évaluation, où chaque salarié peut facilement faire le
lien entre son activité propre et l’activité globale.                                            .81          12.32
Les contributions individuelles au succès organisationnel sont précisément évaluées.            .83           **
Développement des compétences et partage des connaissances                                      (C.R. =.87)           .69 (.45 ; .89)
Tout nouveau savoir crucial pour l'établissement est rapidement transmis.                       .80           **
L'établissement organise la gestion et le partage des connaissances et savoir-faire entre les
membres du personnel.                                                                         .91             14.33
Les compétences du personnel sont développées en prévision des futures évolutions de
l’établissement.                                                                     .79                      12.45
Statistiques d’ajustement du modèle (χ2 = 734.47 ; df = 395 ; CFI = 0.91 ; TLI = 0.90 ; IFI = 0.91 ; RMSEA = 0.06).
** = Éléments contraints pour identification. C.R. = Composite Reliability. AVE = Average Variance Extracted. MSV = Maximum Shared
Variance. MaxR (H) = Maximum Reliability.
Tableau 2. Résultats de l’analyse en pistes causales sous AMOS
Variables                Variables indépendantes       Coefficients           de T de Student
dépendantes                                            régression
                         Attentes excessives           γ = 0.370                  4.623*
Stress                   Conflit travail/famille       γ = .324                   4.422*
R2 = 0.548               RCST                          γ = -0.147                 -2.188**
                         InterCFTDCPC                  γ = -0.08                  -2.004**
RCST = Réactivité des équipes et capacité de communication de la vision stratégique.
InterCFTDCPC = effet d’interaction entre CFT et DCPC
(*) p < .001 ; (**) p < .05

   3. Conclusion et implications

      Depuis janvier 2020, le globe entier est contraint à faire face à une pandémie qui appelle
la réactivité des hôpitaux. La covid-19 est venue influencer « en première ligne » les cadres
de santé. A ce titre, ces derniers sont d’ores épuisés par des multiples réformes et
transformations organisationnelles (Rivière et al., 2019).
      De nombreux travaux ont étudié le stress professionnel des professionnels de santé à
l’ère de la covid-19. Notre papier s’inscrit dans cette optique. Notre recherche montre l’effet
néfaste de la pandémie de la covid-19 en termes de tensions de rôle et de stress professionnel
sur les cadres de santé. En outre, nous avons tenté d’étudier l’effet de l’agilité
organisationnelle à atténuer le stress de ces derniers.
       A cet effet, la littérature met l’accent sur les tensions de rôle des cadres de santé avant
l’ère de la covid-19 (Rivière, 2019; Rivière et al.,2019; Miri et al. 2014). En continuité de ces
travaux, nous avons analysé différentes formes des stresseurs organisationnels chez les cadres
de santé français à l’ère de la pandémie de la covid-19. Cette recherche révèle que la crise
sanitaire active plusieurs types de tensions de rôle.
      Bien que les cadres de santé ont été l’« acteur pivot » (Rivière et al., 2019) et ont fait
face à une augmentation drastique des patients et des interlocuteurs (Pitchot, 2020; Segers,
2020). Ces derniers ont souffert des risques liés à la pandémie de la covid-19. Elle a accentué
les contraintes de ces derniers et engendré des réactions vis-à-vis de cet environnement en
pleine incertitude, complexité et ambiguïté.
     Nos résultats indiquent que les stresseurs organisationnels, précédemment cités,
impactent positivement le stress professionnel. Bien que les scores relatifs de ces derniers sont
peu élevés. Néanmoins, ils sont significatifs. En cela, corroborent les résultats de Rivière
(2019) ; Rivière et al.,( 2019) et Miri et al. (2014), qui stipulent que les tensions de rôle
engendrent un stress professionnel chez les cadres de santé.
      Nos résultats valident aussi les apports de la théorie des rôles de Kahn et al., (1964), du
modèle du processus séquentiel de Katz et Kahn (1966), du modèle bi-dimensionnel (« Job
Demands») de Karasek (1979) et du modèle « Job Demands-Resources » de Demerouti et al.
(2001) qui ont indiqué que les tensions de rôle (stresseurs organisationnels) peuvent
déclencher des réactions de stress professionnel.
       Dans la lignée des travaux de Rivière et al., (2019), nous avons différencié l’impact
relatif des différents stresseurs organisationnels étudiés sur le stress professionnel des cadres
de santé. Entre autre, confortent les résultats de ces derniers. En effet, nous avançons, avec
précaution, que l’impact de la crise sanitaire engendre du stress à cause des attentes excessifs
ou la charge quantitative du travail.
      En effet, Rivière et al., (2019) ont constaté que la surcharge de travail quantitative est le
plus important prédicteur du stress professionnel chez les cadres de santé à l’encontre de la
charge de travail émotionnelle qui n’a pas un impact significatif sur le stress de ces derniers.
A ce titre, nos résultats semblent s’orienter vers le même sens. En effet, il s’avère que ces
professionnels de santé sont d’ores et déjà épuisés avant même le démarrage de la crise
sanitaire et à cause des énormes transformations liées à la réforme du Nouveau Management
Public (Rivière, 2019; Rivière et al., 2019). Ils ont souffert des attentes excessives, une
surcharge de travail phénoménale et un rythme sans répit. La charge de travail a été
quantitative avec des attentes excessives face à l’accroissement exponentiel du nombre des
personnes contaminées et nécessitant des soins intensifs. Ces derniers ont évolué dans une
ambiance lourde à cause du fait qu’ils ont été confrontés en permanence à la souffrance et à la
mort. Les exigences excessifs des autorités politiques, le changement récurent du protocole
sanitaire, la pression des familles en termes des informations sur les patients hospitalisés et
isolés, les craintes de la dégénération de la situation et la saturation des hôpitaux, la phobie de
devoir choisir entre les malades et l’attente des résultats efficaces vis-à-vis de la maladie sont
autant des facteurs qui ont alourdi la charge de travail des cadres de santé (Pitchot, 2020 ;
Segers, 2020). Tous ces facteurs ont représenté un principal prédicteur du stress professionnel.
      Par ailleurs, et encore une fois dans la même lignée de Rivière et al., (2019), la charge
émotionnelle de ce cadre de santé n’a pas représenté un facteur significatif du stress. Il semble
que le cloisonnement des malades covid-19 dans des services spécifiques a écarté les risques
de contamination et a conforté nos professionnels de santé.
      Le conflit de rôle entre la vie professionnelle et la vie familiale apparaît comme le
deuxième facteur prédicteur du stress professionnel pour les cadres de santé. Nos résultats
corroborent ceux de Rivière et al., (2019) et Rivière (2019). A ce titre, notre étude indique
que la séparation des cadres de santé de leurs familles et leurs craintes de contracter le virus et
de contaminer leurs proches est stressant. Il semble logique que le chamboulement total du
rythme familiale, l’éloignement et la distanciation familiale imposés à ces cadres de santé qui
ont majoritairement des enfants à charge ont un effet positif sur le stress professionnel. De
Vous pouvez aussi lire