Espace : un commandement dédié pour comprendre et agir

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Espace : un commandement dédié pour comprendre et agir
Espace : un commandement dédié
pour comprendre et agir

Le Commandement de l’espace (CdE) développe en permanence ses capacités de
surveillance et de réaction aux menaces croissantes dans ce domaine.

Le général de brigade aérienne Philippe Dedobbeleer, adjoint au commandant de
l’Espace, l’a expliqué au cours d’une visioconférence organisée, le 8 juin 2021 à
Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Montée en puissance. Organisme interarmées, le CdE dépend directement du
chef d’Etat-major des armées pour la stratégie, les capacités, la coopération
internationale et les opérations. Il est rattaché à l’armée de l’Air et de l’Espace
pour l’expertise, la préparation des forces, la mise en œuvre de contrats
opérationnels, l’élaboration de la doctrine et le retour d’expérience dans le
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domaine spatial et enfin la maîtrise des risques. La pleine capacité des opérations
spatiales militaires devrait être atteinte vers 2030. La tutelle du CdE sur le Centre
national d’études spatiales (CNES) de Toulouse sera redéfinie pour y concentrer
l’expertise de l’écosystème spatial. Celui-ci comprend des entreprises, des pôles
de compétitivité et des centres universitaires à Paris, Lille, Saint-Quentin,
Mulhouse, Besançon, Lyon, Grenoble, Nice, Marseille, Toulon, Bordeaux, Brest,
Rouen et Cayenne (Centre spatial de Kourou). Le centre spatial de Toulouse verra
ses effectifs passer de 200 personnes en 2019 à 500 en 2025. Il devra voir et
écouter l’espace, mieux et plus loin, par l’acquisition de données par des satellites
(optique, radar et infrarouge) à orbites basses, moyennes et hautes. Vu le nombre
croissant d’objets divers dans l’espace à suivre pendant toute leur durée de vie,
les données s’accumulent, de quelques mois à plusieurs décennies. La capacité de
calcul à haute performance de l’intelligence artificielle permettra de traiter leur
comportement quasiment en temps réel et, le cas échéant, d’agir vite puis rendre
compte aux niveaux stratégique et tactique.

Innovation continuelle. Le CdE va construire un incubateur d’innovation dédié
à l’espace militaire et ses applications. Dans un environnement sécurisé, un
réseau aura pour missions de capter des idées, concrétiser des projets et conduire
des expérimentations dans les laboratoires existants. A cet effet, l’Agence de
l’innovation de défense développe des liens avec le CNES, la Direction générale
de l’armement (DGA), la Direction du renseignement militaire, l’Office national
d’études et de recherches aérospatiales et les partenaires alliés.

Souveraineté et interopérabilité. Le développement d’un système spatial
militaire constitue un enjeu de souveraineté numérique et d’autonomie
stratégique, souligne le général Dedobbeleer. Celui d’une compréhension
commune avec des pays alliés permet une interopérabilité des moyens avec des
standards techniques identiques (doctrine, capacités et opérations). En février
2020, la France a adhéré à « l’Initiative opérations spatiales interalliées » (sigle
anglais CSpO) et y a rejoint les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le
Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce forum de réflexion et d’échanges
vise à coordonner les capacités alliées, en augmenter la résilience pour assurer le
soutien aux opérations multi-domaines (terre, air, mer, cyber et spatial), garantir
la liberté d’accès à l’espace et y protéger, en coalition, les moyens qui s’y
trouvent. Il donne lieu à des travaux réguliers, auxquels participent le CdE, la
DGA et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie.
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Loïc Salmon

Armée de l’Air : création du « Commandement de l’espace »

Espace : nouveau théâtre des opérations militaires

Espace exo-atmosphérique : compétition stratégique

14 juillet 2021 : engagements de
haute intensité, technologies de
pointe et anniversaires

L’édition 2021 du défilé du 14 juillet à Paris porte sur les combats possibles de
haute intensité, une technologie élevée, la résilience et le rappel du passé.

Présentée le 4 juin 2021 par le général de corps d’armée Christophe Abad,
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gouverneur militaire de Paris, elle reprend son format traditionnel d’avant la
pandémie du Covid 19. Le défilé du 14 juillet 2021 met ainsi en œuvre : 5.000
participants, dont 4.300 à pied ; 71 avions et 25 hélicoptères ; 221 véhicules ; 200
chevaux de la Garde républicaine. Dans le cadre de l’opération « Takuba » au
Mali, les forces spéciales sont mises à l’honneur avec un détachement de 81
soldats d’Italie, des Pays-Bas, de Belgique, d’Estonie, de République tchèque, de
France, du Portugal et de Suède.

L’action dans les airs. Le défilé des avions, ouvert par la Patrouille de France,
met en scène les missions de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) et de la Marine
nationale. La dissuasion nucléaire est représentée notamment par les Forces
aériennes stratégiques avec 1 avion ravitailleur multi-rôles A330 MRTT et 6
chasseurs Rafale B. La maîtrise de l’espace aérien est matérialisée par 1 AWACS
E3F (détection et commandement aéroporté), 4 chasseurs Mirage 2000-5 et 2
Mirage 2000 B. L’action dans la profondeur se manifeste avec 1 A330 MRTT, 6
Mirage 2000 D, 4 Rafale C et 2 Rafale B. La Marine nationale déploie le Groupe
aérien embarqué avec 1 avion de guet aérien Hawkeye et 8 Rafale Marine. S’y
ajoutent 2 ATL2 de la patrouille maritime, pour les opérations extérieures, et 1
Falcon 50 Marine, pour la lutte contre les trafics illicites. Les trois armées
montrent aussi leurs hélicoptères. L’armée de Terre présente ses missions :
protection du territoire national avec 3 appareils (Puma, Caïman et Cougar) ;
opération « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne avec 3 appareils (1 Tigre
et 2 Caïman). Celles de l’AAE consistent en interventions extérieures et sur le
territoire national, présentées par 2 Caracal, 1 Fennec canon et 1 Fennec TE. La
Marine nationale montre 2 Caïman, 2 Panther et 1 Dauphin pour la maîtrise des
espaces aéromaritimes et le combat naval.

La sécurité par les airs. L’AAE montre ses moyens d’engagement, de projection
et de soutien par trois types d’avions de transport, représentés par 1 A400 M, 1
Transall C160 et 2 Casa CN235. S’y ajoute, pour le renseignement, 1 avion léger
de surveillance et de reconnaissance. L’AAE présente 2 Pilatus PC 21 et 2 Xingu
destinés à la formation, l’entraînement et la préparation. La Direction générale de
l’armement déploie le nouvel avion de soutien d’essais en vol TBM 940. La
Sécurité civile montre 1 Beech B200, 1 Canadair et 1 Dash Q400 dédiés à la lutte
contre les incendies et 1 hélicoptère d’intervention. La Gendarmerie déploie 3
hélicoptères (1 EC145 et 2 EC135), destinés à l’assistance, le sauvetage, la
surveillance, le renseignement et l’intervention.
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Les anniversaires. L’année 2021 rappelle les 80 ans du « serment de Koufra »
(division Leclerc), les 80 ans des Forces aériennes françaises libres, les 75 ans de
la base aéronavale de Lann Bihoué, les 60 ans de la Direction générale de
l’armement, les 30 ans de la division « Daguet » et les 10 ans du Service
interarmées des munitions.

Les cérémonies. En ouverture, la musique de la Garde républicaine souligne la
concorde nationale. La clôture met en exergue une jeunesse engagée,
représentée par une chorale de 120 jeunes. Le Chœur de l’armée française
entonne la « Marseillaise ».

Loïc Salmon

14 juillet 2019 : coopération européenne et innovation

14 juillet 2018 : l’engagement citoyen et patriote

14 juillet 2017 : « opérationnels ensemble » en interarmées, interministériel et
international

Stratégie : l’action de la France
dans la zone indopacifique
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La France renforce ses partenariats dans la région indopacifique avec les Etats-
Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde et entend y soutenir le développement d’une
stratégie européenne.

Le général de corps aérien Luc de Rancourt, directeur général adjoint des
relations internationales et de la stratégie, et le contre-amiral Jean-Mathieu Rey,
commandant la zone maritime de l’océan Pacifique et les forces armées en
Polynésie française, l’ont expliqué, le 6 mai 2021 à Paris, lors d’une
visioconférence avec la presse.

Cinq objectifs. Selon le général de Rancourt, la stratégie de la France porte
d’abord sur l’intégrité de sa souveraineté sur les départements et territoires de la
région (La Réunion, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie française)
et la protection de ses ressortissants et de sa zone économique exclusive (9
Mkm2). Ensuite, il s’agit de contribuer à la stabilité et la sécurité régionales par
des coopérations. La Chine, compétiteur stratégique, mène une politique de plus
en plus agressive, dans le cadre de sa rivalité avec les Etats-Unis. La France, par
 son autonomie d’appréciation, propose une voie différente aux autres pays de la
région pour défendre leurs intérêts. En troisième lieu, elle compte préserver un
accès libre et ouvert aux espaces communs et assurer la sécurité des voies de
communications maritimes. Quatrièmement, elle contribue au maintien de la
stabilité stratégique par un action globale fondée sur le multilatéralisme. Ainsi,
elle participe activement aux enceintes régionales, notamment au « Shangri-La
Dialogue » à Singapour depuis 2012. Cette année, elle prend la présidence de la
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Commission de l’océan Indien et de « l’Indian Ocean Naval Symposium ». Dans le
Pacifique Sud, elle est membre du « South Pacific Defence Ministers’ Meeting »
et candidate, en Asie du Sud-Est, à un statut d’observateur à « l’ADMM+ »
(ASEAN Defence Ministers’ Meeting). Cette organisation regroupe les pays de
l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (Bruneï, Cambodge, Indonésie, Laos,
Malaisie, Birmanie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Viêt Nam) ainsi que
l’Australie, la Chine, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, la
Russie et les Etats-Unis. Le cinquième objectif porte sur l’anticipation des risques
sécuritaires induits par le changement climatique. Depuis plusieurs années, le
ministère des Armées mène une cartographie de ces risques dans l’océan Indien
et le Pacifique Sud pour évaluer leurs conséquences en termes de défense et de
sécurité. A ce titre, les forces armées françaises interviennent souvent pour
répondre aux catastrophes naturelles.

Présence militaire régulière. Les forces armées pré-positionnées (6.800
militaires, 15 bâtiments de la Marine nationale, 22 avions de transport et 16
hélicoptères) patrouillent sur la zone indopacifique pour garantir sa capacité
d’évaluation autonome de situation, souligne le contre-amiral Rey. La France
participe à la mission « Aeto », dispositif international de lutte contre la
prolifération nucléaire et les contournements des sanctions établies par le Conseil
de sécurité de l’ONU contre la Corée du Nord. Ainsi, le sous-marin nucléaire
Emeraude, accompagné du bâtiment de soutien Seine, a patrouillé en mer de
Chine jusqu’au 9 février 2021. La frégate Prairial s’est rendue en mer de Chine
orientale du 10 au 19 février et la mission « Jeanne d’Arc » (porte-hélicoptères
amphibie Tonnerre et de la frégate Surcouf) s’y trouve en mai. En juin, 3 Rafale, 2
avions ravitailleurs Phénix et 2 avionsA400M iront jusqu’à Tahiti et Hawaii.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : présence militaire française accrue

Chine : montée en puissance régionale et internationale

Inde : du non-alignement à la volonté de grande puissance
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Marine nationale : la TF 50
américaine sous commandement
français

Pendant sa présence dans le golfe Arabo-Persique dans le cadre de la mission
« Clemenceau 2021 », le Groupe aéronaval (GAN) assure le commandement de la
Force opérationnelle américaine 50 (TF 50) depuis le 31 mars 2021.

Le contre-amiral Marc Aussedat, commandant le GAN, a présenté la situation le
15 avril 2021, au cours d’une visioconférence avec la presse à Paris.

Confiance et interopérabilité. Le golfe Arabo-Persique constitue une vaste
zone d’opérations (voir encadré). Les contacts fréquents avec les Marines des
pays riverains restent professionnels, même avec les forces navales iraniennes,
pour éviter toute escalade, souligne l’amiral Aussedat. Dans le cadre de
l’opération « Inherent Resolve », la TF 50 a pour missions d’accompagner les
forces de sécurité irakiennes, pour empêcher Daech de se reconstituer, et de
maîtriser l’espace aéromaritime de la zone. La TF 50 opère sous les ordres de
l’état-major naval américain, basé à Bahreïn. Le centre des opérations aériennes
de la coalition (83 pays), sous commandement américain, se trouve au Qatar.
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Signe de la confiance établie au cours de dizaines d’années entre les Marines
américaine et française, le commandement français de la TF 50 met en exergue
l’interopérabilité entre les porte-avions Charles-de-Gaulle et Eisenhower, tous
deux à propulsion nucléaire et équipés de catapultes et de brins d’arrêt. Ce
tandem permet une vision plus large de la situation et augmente l’intensité de
l’effort dans les cas d’intervention armée. Ainsi, les deux avions de guet aérien
E-2C Hawkeye du Charles-de-Gaulle, véritables postes de commandement volants,
assurent le relais radio et l’alerte avancée dans l’environnement tactique. Les
avions de chasse Rafale F3-R et les missiles de croisière navals de la frégate
multi-missions Provence donnent une capacité de frappe dans la profondeur. Les
Rafale effectuent 6 à 8 sorties par jour pour des vols de reconnaissance ou des
frappes sur des objectifs identifiés ou pour des engagements d’opportunité au
profit des troupes irakiennes au sol.

Composante américaine. L’amiral Aussedat s’entretient tous les deux jours
avec le vice-amiral commandant la Vème Flotte américaine, dont dépend la TF 50
chargée aussi d’assurer la liberté de navigation dans le détroit d’Ormuz. Le porte-
avions Eisenhower présente les caractéristiques suivantes : déplacement, 100.000
t ; longueur, 322, 8 m ; largeur du pont d’envol, 76 m ; vitesse, 30 nœuds (55
km/h). Il peut embarquer 90 aéronefs, dont : 4 « squadrons » (« flottilles » dans la
Marine française) d’avions d’attaque et d’assaut F/18 Hornet ; 1 squadron
d’avions de guerre électronique EA-6 Prowler ; 1 squadron d’avions de guet
aérien E-2 Hawkeye ; 1 squadron d’hélicoptères de lutte anti-sous-marine
Seahawk ; 1 flotte de soutien logistique Grumman C-2 Greyhound. La Marine
américaine compte 11 porte-avions en service et devrait prendre livraison de 3
autres en 2022, 2027 et 2030.

Loïc Salmon

L’océan Indien est accessible par trois détroits d’importance stratégique, à savoir
Bab-el-Mandeb (vers la mer Rouge et le canal de Suez), Ormuz et Malacca (vers
l’océan Pacifique). Le détroit d’Ormuz relie la mer d’Arabie au golfe Arabo-
Persique. Ce dernier s’étend sur 251.000 km2 avec une longueur de près de 1.000
km, une largeur variant de 200 km à 300 km et une profondeur de 50 m à 90 m. Il
est bordé par : l’Iran au Nord-Est ; l’Irak, le Koweït et l’Arabie saoudite à l’Ouest ;
Bahreïn, le Qatar et les Emirats arabes unis au Sud et à l’Est ; Oman à l’Est par
l’enclave de Moussandan.
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Marine : missions « Clemenceau 2021 » pour le GAN et « Jeanne d’Arc 2021 »
pour le GEAOM

Aviation militaire : les Rafale F3-R en service opérationnel

Marine nationale : groupe aérien aux Etats-Unis, modernisation du porte-avions

Armée de Terre : de la gestion de
crise à la guerre future
Les forces aéroterrestres se préparent à la guerre, asymétrique ou de haute
intensité, par le maintien de leurs capacités et une technicité accrue.

Le général de division (2S) Charles Beaudoin, délégué général du Commissariat
général des expositions et des salons d’armements aéroterrestres, l’a expliqué au
cours d’une visioconférence-débat organisée, le 10 décembre 2020 à Paris, par
l’Association de l’armement terrestre et l’Association 3ED-IHEDN (ex-AACHEAr).
Caractéristiques. Expérimentée, l’armée de Terre (AT) française s’est adaptée
depuis 1990 aux différents conflits en urgence opérationnelle. Outil de puissance
à forte valeur ajoutée avec un savoir-faire spécifique, ses forces spéciales sont
déployées en petits effectifs pour une action rapide et complexe. Disposant de
nouveaux équipements cinq ans avant les autres unités, elles ne coûtent pas cher
par rapport aux effets obtenus par leurs missions. Les capacités de l’AT incluent
les équipements, le soutien (approvisionnements, munitions et pièces de
rechange), la doctrine (règles et modes d’emploi) et l’entraînement des forces.
Destinés à fonctionner par des températures de – 30 °C à + 60 °C, les matériels
doivent allier protection des personnels (blindage) et puissance de feu. Ainsi, dans
tous les types de conflit, le véhicule blindé du combat d’infanterie (28-32 t) passe
là où les autres blindés (10-15 t de plus), notamment allemands et américains, ne
peuvent aller. Les opérations sont conduites en interarmées, voire en interalliés.
Toutefois, l’artillerie permet d’exercer une riposte immédiate, par exemple sur un
PC adverse protégé par des défenses sol-air ou quand un avion n’est pas
disponible sur place au bon moment. L’AT dépend de l’espace pour : la
navigation, grâce aux systèmes de positionnement par satellites (GPS américain
et Galileo européen) et, en cas de brouillage, la centrale inertielle (divers
instruments embarqués) permet de s’en affranchir ; les communications sur
longue distance ou sur le théâtre d’opération ; la cartographie numérisée à bord
des engins blindés. L’AT doit gérer ses équipements existants, faute de moyens
financiers pour se moderniser d’un seul coup.

Conflictualité évolutive. Le budget de l’AT correspond à 22 % du budget total
des trois armées et à 20 % de celui du soutien, rappelle le général Beaudoin. Ses
matériels, d’une durée de vie de 40-50 ans, sont à 80 % âgés de 30 ans. Il faut 15
ans pour en concevoir un, qui devra être modernisé au bout de 10 ans pour éviter
le déclassement. La guerre froide (1947-1991) a mobilisé effectifs et stocks
importants, qui ont diminué lors des « dividendes de la paix ». L’AMX 30 a été
remplacé par le char Leclerc, dont le coût de soutien a explosé en raison de
l’électronique embarquée. Depuis, l’AT s’est adaptée au changement de la
conflictualité…avec les mêmes matériels. Les opérations sont passées de
l’interposition, sans perte, entre deux factions en Côte d’Ivoire (2007), à une
longue présence, avec pertes, en Afghanistan sur un espace restreint (2001-2014)
et dans la bande sahélo-saharienne aux grandes élongations (depuis 2013). Le
drone armé est apparu lors des combats en Afghanistan, en Irak (2003) et dans le
Haut-Karabagh (2020). L’AT a été formatée pour la gestion de crise et non pour la
guerre, souligne le général Beaudoin. Entre 1990 et 2017, la diminution des
budgets militaires a conduit à une réduction des capacités, mais sans abandons.
La guerre symétrique apparaît peu probable jusqu’aux événements en Ukraine
(2014) ou dans le Haut-Karabagh (2020) significatifs de la résurgence d’Etats
puissances comme la Russie et la Turquie. La prochaine guerre se déroulera en
zone urbaine, face à des adversaires disposant de drones armés ou kamikazes,
avec le souci de limiter au maximum les pertes en vies humaines. Par ailleurs, les
industriels de l’armement changent leurs procédés, élaborent des outils
numériques et ne reconstruisent plus les systèmes obsolètes. Système de forces,
Scorpion, conçu en 2005, atteindra sa pleine puissance en 2025 pour durer 40
ans. Des équipements à bas coût, rustiques mais peu performants, ne
remplaceront jamais la haute technologie pour conserver la supériorité
opérationnelle. La simulation au combat de haute intensité, du soldat en régiment
au général dans un PC de division, effective en caserne, se fera bientôt sur le
terrain. Elle prépare le personnel à partir en opération de quatre mois au moyen
d’une zone numérisée (ville, montagne, fleuve, route etc.) pour imaginer un mode
d’action face à l’adversaire.

Perspectives à moyen et long termes. D’ici à 2050, les deux tiers de la
population mondiale résideront dans les grandes métropoles. Dans
l’environnement complexe des Etats faillis, le combat terrestre se déroulera de
plus en plus en zone urbaine, où l’adversaire se réfugiera en comptant sur
l’attitude ambigüe des habitants, et de préférence la nuit quand sa présence est
estimée et peu certaine. Il a fallu 90.000 hommes et des bombardements aériens
pour prendre Mossoul (Irak, 2014), défendue par 1.000 combattants de Daech.
Bientôt, il sera possible de détecter le départ d’un missile ou le tir d’un fusil. Le
combat connecté, dès 2030, passera au traitement de données par l’intelligence
artificielle pour déceler les signaux faibles de l’ennemi. Grâce à un « cloud »,
celle-ci gérera les flux de données à très haut débit, destinées au soldat qui les
recevra sur son écran pour pouvoir réagir très vite. Toutefois, l’homme restera
dans la boucle, comme pour le pilotage des drones armés. Des petits drones
pourront lancer des grenades avec précision pour éviter les dommages
collatéraux. Les prochains investissements porteront sur de nouveaux drones, la
lutte anti-drones par brouillage, mitraillage de saturation ou laser actif qui suit
une cible mouvante pour la neutraliser. L’adversaire pourrait cumuler les effets
d’essaims de drones et…de drones anti-drones ! Les matériels de plus de 20 t du
programme Scorpion seront renouvelés avec la prise en compte de la défense
contre les engins explosifs improvisés, suite au retour d’expérience de l’opération
« Pamir » en Afghanistan. La défense sol-air sera modernisée en 2035.
L’adversaire pouvant détecter l’arrivée d’un avion, la portée de l’artillerie sera
doublée à 80 Km avec une précision métrique, grâce à des munitions à propulsion
additionnelle vers 2040. A cette date, l’hélicoptère d’attaque Tigre sera remplacé.
Toutefois, avertit le général Beaudoin, des choix s’imposeront pour tenir les
engagements et alléger les contrôles pour diminuer les coûts et raccourcir les
délais de construction et de livraison.

Coopérations européennes. Prévu pour 2028, l’Eurodrone devrait être aussi
performant que le Reaper américain pour le même prix. Le MGCS (système de
combat terrestre principal) franco-allemand doit remplacer les chars Leopard 2 et
Leclerc en 2035. Le partenariat franco-belge CaMo (2019) a permis la production
en série des blindés légers Griffon et Jaguar, composants du système de combat
Scorpion. Enfin, le traité de Lancaster House (2010) prévoit l’interopérabilité des
AT française et britannique par des exercices conjoints réguliers.

Loïc Salmon

Armée de Terre : entraînement et juste équilibre technologique

Armée de Terre : « Scorpion », le combat collaboratif infovalorisé

Armement : l’influence des SALA sur la conflictualité future

Marine : missions « Clemenceau
2021 » pour le GAN et « Jeanne
d’Arc 2021 » pour le GEAOM
Le groupe aéronaval (GAN) a quitté Toulon le 21 février 2021 pour la mission
« Clemenceau » (quatre mois) jusqu’en océan Indien. La mission « Jeanne d’Arc »
(146 jours), qui emmène le Groupe école d’application des officiers de marine
(GEAOM) jusqu’en mer de Chine et au Japon, est partie de Toulon le 18 février.

Ces deux missions présentent un volet opérationnel avec des spécificités : lutte
contre le terrorisme islamiste et renforcement des partenariats pour le GAN ;
formation, coopération et assistance humanitaire pour le GEAOM.

Clemenceau 2021. En Méditerranée orientale, le GAN participe à l’opération
américaine « Inherent Resolve » contre le djihadisme au Levant, via son
intégration au dispositif français « Chammal » de soutien des forces irakiennes,
engagées au sol pour détruire les capacités militaires de Daech. Dans le cadre des
opérations « Inherent Resolve » et « Agénor » (Union européenne) en mer Rouge,
dans le golfe Arabo-Persique et en océan Indien (mer d’Arabie), il approfondit les
connaissances des zones traversées et assure une présence opérationnelle,
réactive et adaptable pour garantir la sécurité régionale. Le GAN se compose du
porte-avions Charles-de-Gaulle, qui embarque : 20 avions de chasse Rafale marine
(F3R) ; 2 avions de guet aérien E-2C Hawkeye ; 2 hélicoptères Dauphin pour la
sécurité des équipages et les missions de recherche et de secours ; 1 hélicoptère
Caïman pour les luttes anti-sous-marine et antinavire et le transport logistique. Il
est escorté par : la frégate de défense aérienne et de commandement des
opérations aériennes Chevalier-Paul ; la frégate multi-missions Provence,
renforcée temporairement par sa jumelle Auvergne, pour les luttes anti-sous-
marine et antinavire, l’appui aux opérations terrestres et la projection de
puissance, chacune embarquant un hélicoptère Caïman ; un sous-marin nucléaire
d’attaque pour le recueil de renseignement, l’intervention contre des enaces
navales ou sous-marines et la mise en œuvre de forces spéciales ; le bâtiment de
commandement et de ravitaillement Var. En outre, un avion de patrouille
maritime Atlantique-2, basé à terre, assure, pour le GAN, des missions de
renseignement en haute mer, de lutte anti-sous-marine et, éventuellement, de
puissance de feu sur des objectifs terrestres par des bombes guidées laser.
« Clemenceau 2021 » prévoit la participation partielle de la frégate belge
Leopold-1er, d’une frégate grecque et du destroyer américain Porter.

Jeanne d’Arc 2021. Dans le cadre de la présence française ans la zone
indopacifique, le GEAOM intègre la « Combined Task Force 150 » de la coalition
internationale en océan Indien, pour lutter contre les trafics et activités illicites
liées au terrorisme et sécuriser les espaces maritimes. Il contribue au maintien de
la connaissance des zones et de l’étude de leurs évolutions, afin d’anticiper
l’apparition des crises tout en conservant une liberté autonome d’appréciation de
la situation. Le GEAOM se compose du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre et
de la frégate Surcouf. Outre un groupement tactique et des hélicoptères de
l’armée de Terre, les deux navires embarquent 148 officiers de Marine en
formation, dont 14 femmes, 8 enseignes de vaisseau étrangers (Allemagne,
Cameroun, Côte d’Ivoire, Madagascar, Togo et Viêt Nam) et 5 officiers invités
(Egypte, Ethiopie, Indonésie, Malaisie et Maroc). « Jeanne d’Arc 2021 » inclut des
exercices majeurs avec les Marines d’Inde, d’Australie, du Japon et des Etats-
Unis.

Loïc Salmon

L’océan Indien : enjeux stratégiques et militaires

Marine nationale : l’aéronavale, tournée vers les opérations

Marine nationale : opération « Agénor » et missions « Foch » et « Jeanne d’Arc »
Afrique : l’opération « Barkhane »,
créer de l’incertitude chez
l’adversaire

Quoiqu’affaiblies par les actions conjointes et imprévisibles de la force Barkhane
et de ses partenaires, les organisations terroristes du Sahel veulent toujours
exporter le djihadisme.

Le général de division Marc Conruyt, commandant la force Barkhane dans la
bande sahélo-saharienne, a présenté la situation le 11 février 2021 lors d’une
visioconférence avec la presse à Paris.

Deux actions majeures. Une première opération de grande ampleur dénommée
« Bourrasque », lancée contre l’organisation « Etat islamique au grand Sahara »
(EIGS), s’est déroulée du 28 septembre au 1er novembre 2020 dans le Liptako
Gourma, zone frontière entre le Mali et le Niger. Elle a mobilisé 3.000 militaires,
dont 1.600 Français de la force Barkhane et 1.400 des forces armées maliennes et
nigériennes, avec des moyens aériens français, britanniques, américains et
danois. La seconde opération dénommée « Eclipse », qui a visé le
« Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans » (RVIM), a eu lieu
dans la région de Mopti (Mali), près de la frontière avec le Burkina Faso, du 2 au
20 janvier 2021 sur une zone d’environ 300 km sur 450 km. Elle a mobilisé 3.400
militaires, dont 1.500 de la force Barkhane et 1.900 des forces armées du Burkina
Faso, du Mali et du Niger. Au cours des deux opérations, la précision du
renseignement a permis de déjouer les modes opératoires adverses.

Les conséquences. Selon le général Conruyt, « Bourrasque » a cassé la
dynamique qu’avait l’EIGS en 2019. Ce dernier, qui a perdu des ressources en
combattants et armements, fuit désormais le combat. Toutefois, il conserve une
capacité de nuisance contre des cibles civiles au Niger. Lors de l’opération
« Eclipse » le RVIM a subi des pertes moindres que l’EIGS et se montre plus
agressif. Porteur d’un projet politique, le RVIM recourt à l’intimidation des
populations, l’embrigadement des jeunes, l’action indirecte, le renseignement et
la manipulation de l’information. La désinformation, qui existe depuis longtemps
dans la bande sahélo-saharienne, exerce une influence sur les populations locales
avec un écho parmi certains cercles à Bamako, mais n’a guère d’effet important
sur le terrain, précise le général Conruyt. La force Barkhane procède aussi à des
actions informationnelles, en complément des autres moyens à sa disposition. De
son côté, à partir de sa base arrière dans la région, l’organisation « Al-Qaïda au
Maghreb islamique » tente d’exporter le djihadisme, notamment vers le Mali et le
Bénin et dispose de cellules dormantes en Côte d’Ivoire et au Sénégal.

Les partenariats. La task force européenne Takuba, composée notamment de
membres des forces spéciales tchèques et estoniennes, accompagne les unités
maliennes qui conservent leur liberté d’action. La compréhension de la menace,
indique le général Conruyt, repose sur le partage de renseignement avec les pays
partenaires et frontaliers ainsi que sur une coordination avec les forces françaises
stationnées en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Gabon. Enfin, les Etats-Unis
maintiennent une coopération importante en matière de renseignement, de
ravitaillement en vol et de transport stratégique.

L’avenir de « Barkhane ». A l’issue du sommet des 15-16 février à N’Djamena
(Tchad) avec les dirigeants du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et
Tchad), le président de la République, Emmanuel Macron, a exclu, dans
l’immédiat, toute baisse des effectifs de la force Barkhane (5.100 militaires).

Loïc Salmon

Afrique : quelles perspectives pour l’opération « Barkhane » ?

Bande sahélo-saharienne : opérations aériennes, permanence et réactivité

Afrique : soutiens intégrés à l’opération « Barkhane »

Armée de l’Air et de l’Espace : «
Skyros 2021 », mission en
interalliés en Eurasie
Pour démontrer sa capacité à intervenir à grande distance et sous court préavis,
l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) entreprend la mission « Skyros 2021 » (20
janvier – 5 février) », qui se déroule jusqu’en Inde.

La projection de puissance. Placée sous le commandement opérationnel de
l’Etat-major des armées, « Skyros 2021 » vise à former les équipages français aux
missions exigeantes de la projection et à valoriser l’interopérabilité avec les
armées de l’Air des pays partenaires concernés : Djibouti, Inde, Emirats arabes
unis, Egypte et Grèce. Cette mission mobilise 170 aviateurs, 4 avions de chasse
Rafale B, 2 avions de transport militaire polyvalents A400M Atlas, 1 avion de
transport et de ravitaillement A330 Phénix et 15 t (190 m3) de fret. Elle met en
œuvre des moyens d’appui à la manœuvre aérienne, à savoir transit, systèmes
d’information et de communication et protection défense, à partir d’une structure
de commandement centralisées basée à Lyon-Mont-Verdun. Chaque escale donne
l’occasion d’entraînements communs : combats aériens, ravitaillements en vol
croisés et raids conjoints. « Skyros 2021 » constitue un jalon capital pour l’AAE en
vue de pouvoir déployer, à partir de 2023, 20 Rafale et 10 A330 Phénix jusqu’à
20.000 km en 48 heures. Cette mission s’inscrit dans la stratégie de défense de la
France dans les zones Asie-Pacifique, Proche et Moyen-Orient et bassin
méditerranéen.

Les escales. Le traité de coopération en matière de défense, signé en 2011 avec
la République de Djibouti, permet d’y stationner 1.500 militaires français,
capables d’accueillir et de projeter rapidement des forces en cas de crise dans la
sous-région, vers l’océan Indien ou le Moyen-Orient. La base aérienne 188 abrite
l’escadron de chasse 3/11 « Corse », équipé de Mirage 2000-5, et l’escadron de
transport 88 « Larzac », équipé d’hélicoptères Puma et d’avions de transport
tactique, logistique et de fret Casa CN-235. L’espace aérien de 250 km de long et
de 200 km de large permet des exercices grandeur nature au milieu du désert.
L’ancienne coopération aéronautique avec l’Inde a été consolidée par l’achat de
36 Rafale en 2016. Les armées de l’Air indienne et française se côtoient lors de
l’exercice multilatéral « Pitch Black » en Australie (2018), l’escale en Inde de la
mission « Pégase » (2018) et l’exercice bilatéral « Garuda », organisé tous les
deux ans en France ou en Inde. Le dernier s’est déroulé en 2019 à Mont-de-
Marsan avec la participation de 4 avions de chasse indiens SU-30. La base
aérienne française 104 aux Emirats arabes unis permet une projection de force
dans la zone indopacifique et une présence préventive, nécessaire à un
engagement immédiat. Outre le partenariat opérationnel dans la lutte anti-drones
ou la guerre électronique, l’AAE participe aux exercices majeurs de défense
aérienne « Desert Flag » et « Falcon Shield ». Le plan annuel de coopération
entre la France et l’Egypte porte notamment sur la formation, les échanges, les
exercices et les équipements. Déjà détentrice de Mirage 2000, l’Egypte a acheté
24 Rafale en 2015. « Skyros 2021 » renforce les capacités aériennes communes
pour contribuer à la sécurité et à la stabilité dans la région. Membres de l’Union
européenne et de l’OTAN, la Grèce et la France maintiennent des positions
similaires en matière de sécurité. La Force aérienne hellénique dispose de Mirage
2000 et a signé un contrat d’achat de 18 Rafale en janvier 2021. L’AAE va
participer à l’édition 2021 de l’exercice « Iniochos » en Grèce.

Loïc Salmon

Armée de l’Air : « Pégase 2018 », projection lointaine dans le Pacifique

Armée de l’Air : CDAOA, permanence et réactivité

Patrouille de France, la tournée américaine de 2017
Europe : dynamique de défense et
coopération en Centrafrique

L’Union européenne (UE) relance son projet de défense sur les plans politique,
capacitaire et opérationnel et contribue à la reconstruction des forces de défense
et de sécurité de la Centrafrique.

Le colonel (Air) Patrice Morand, adjoint au chef de service du bureau Europe,
Amérique du Nord et action multilatérale de la Direction générale des relations
internationales et de la stratégie, l’a expliqué à la presse le 23 janvier 2020 à
Paris. En complément, la mission de formation de l’UE en République
centrafricaine (EUTM-RCA) a été présentée par son commandant, le général de
brigade Eric Peltier, en visioconférence depuis Bangui.

Le contexte stratégique. Selon le colonel Morand, l’environnement
international en matière de défense et de sécurité se caractérise par : des crises
au Sahel, en Libye, au Levant et dans le golfe Arabo-Persique ; le terrorisme ; le
cyber ; l’espace ; la guerre hybride ; la course aux armements, consécutive aux
retraits des Etats-Unis et de la Russie du traité sur les armes nucléaires à portée
intermédiaire en 2019. Toutefois, l’OTAN reste le principal pilier de défense
collective. De plus, les Etats membres de l’UE accroissent leurs budgets de
défense. Enfin, des coopérations bilatérales existent entre la France, la Grande-
Bretagne, l’Italie, l’Espagne, l’Estonie, les pays scandinaves, la Belgique et le
Portugal.

Le pilier politique. A l’issue des attentats terroristes à Paris en 2015, l’article
42.7 du traité de l’UE a été activé pour la première fois par la France, rappelle le
colonel Morand. En 2016, la nécessité de disposer d’une autonomie stratégique a
été affirmée au sein de l’UE dans le cadre de sa stratégie globale. A l’instigation
de la France, l’Initiative européenne d’intervention, instaurée en juin 2018,
permet l’émergence d’une culture stratégique commune par des groupes de
travail qui partagent l’analyse stratégique. Elle regroupe déjà 13 pays :
Allemagne ; Belgique ; Danemark ; Norvège ; Suède ; Finlande ; Espagne ;
Estonie ; Italie ; France ; Grande-Bretagne ; Pays-Bas ; Portugal. Enfin, l’UE a
manifesté sa volonté de développer une base industrielle et technologique de
défense autonome.

Le pilier capacitaire. Les Etats membres partagent leurs priorités en matière de
capacités, notamment par la revue annuelle de coordination de défense pour
éviter les duplications, indique le colonel Morand. En 2017, la création de la
« Coopération structurée permanente » a déjà permis de renforcer la mobilisation
de 25 Etats membres autour de 47 projets. La France participe à 37 d’entre eux
et en coordonne 11. La revue stratégique 2020 constituera un point d’étape et
une réflexion sur les orientations futures. La mise en place du Fonds européen de
défense, d’un montant de 13 Mds€, apporte, pour la première fois, un soutien
budgétaire européen à des projets capacitaires communs, en vue de renforcer la
compétitivité et l’autonomie de l’industrie européenne. Le cadre financier
pluriannuel (2021-2027) vise à faciliter la coopération entre grands groupes et
petites et moyennes entreprises dans l’innovation, la recherche et le
développement, depuis les études amont à la réalisation de prototypes. En outre,
la Commission européenne dispose d’une Direction générale de l’industrie, de la
défense et de l’espace depuis le 1er janvier 2020.

Le pilier opérationnel. L’UE est déjà engagée dans les opérations « Atalante »
(lutte contre la piraterie en océan Indien) et « Sophia » (lutte contre l’immigration
clandestine en Méditerranée), rappelle le colonel Morand. Elle remplit aussi des
missions de formation (sigle anglais EUTM) au Mali ou en Centrafrique (voir plus
loin). Depuis 2017, ces engagements sont notamment renforcés par la mise en
place de la « Capacité militaire de planification et de conduite des opérations ».
D’ici fin 2020, cette structure de commandement pourra contrôler les missions de
type EUTM et un engagement européen jusqu’à 2.500 militaires. En 2018, l’UE a
constitué la « Facilité européenne pour la paix » (FEP), à savoir un fonds de 10,5
Mds€ pour financer des actions opérationnelles relevant de la politique étrangère
et de la sécurité commune. La FEP doit permettre de compléter l’action des
EUTM dans une logique de formation et d’équipements, y compris létaux. Pour
répondre à un besoin précis, des missions européennes peuvent être mises sur
pied. Ainsi, la force d’intervention « Takuba », résultat d’une analyse stratégique
commune, porte sur l’envoi au Sahel de forces spéciales de six pays européens et
dont la gestion sera assurée par le Centre de planification et de conduite des
opérations à Paris. Enfin, se développe un état-major « opératif » pour de futurs
groupements tactiques interarmées européens de réaction rapide (1.500
militaires), déployables en 10 jours sur un théâtre de crise hors UE pendant une
période de 30 à 120 jours.

L’EUTM-RCA. Mise en place en juillet 2016 à la demande du gouvernement
centrafricain, la mission EUTM-RCA a pour mandat d’aider à reconstruire, dans la
durée, les forces locales de défense et de sécurité, explique le général Peltier. Elle
compte 180 militaires de 11 pays contributeurs, dont 8 européens. Son état-major
de 20 cadres apporte un conseil stratégique pour aider l’armée à se constituer
une ossature administrative, réglementaire et doctrinale, avec un modèle
logistique et un autre de ressources humaines. La formation opérationnelle va de
celle du combattant individuel à celle du niveau de compagnie d’infanterie. En
outre, il s’agit de former des formateurs dans les domaines de l’informatique, des
transmissions ou de la topographie. L’EUTM-RCA a déjà formé 6.000 soldats
répartis dans 5 bataillons, dont 4 d’infanterie et 1 amphibie fluvial. Parmi eux,
1.500 soldats sont déjà déployés à l’extérieur de Bangui et appuyés par la Mission
multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la stabilisation en
Centrafrique (MINUSCA). Un chômage important permet de sélectionner 1.000
recrues sur 20.000 candidats. Il s’agit ensuite de passer d’une armée de
projection à une armée de garnison, pour restaurer l’autorité de l’Etat sur un
territoire de 623.000 km2 et peuplé de 4,6 millions d’habitants. Malgré les
accords de paix de fin 2019, des groupes armés exercent une violence récurrente.
Par ailleurs, l’EUTM-RCA entretient également des relations avec l’Union
africaine, la France, les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Celle-ci a affecté
quelques officiers à la MINUSCA et a ouvert un centre d’entraînement à
proximité de Bangui. Elle propose un aguerrissement complémentaire aux soldats
centrafricains, avant leur déploiement dans les bataillons. L’arrivée prochaine en
Centrafrique d’une mission militaire russe, officielle, permettra à l’EUTM-RCA de
coordonner les formations, pour éviter toute redondance et rechercher
l’efficacité.

Loïc Salmon

Depuis le 30 janvier 2020, la mission européenne de surveillance maritime
EMASoH est opérationnelle dans le golfe Arabo-Persique et le détroit d’Ormuz. La
frégate française Courbet a été rejointe par la frégate néerlandaise De-Ruyter mi-
février. Une frégate danoise arrivera en septembre. L’état-major de l’EMASoH,
implanté sur la base française d’Abou Dhabi, compte des officiers belges,
néerlandais, danois et français.

Défense : montée en puissance de l’Initiative européenne d’intervention

Europe : défense future, la dimension militaire

Centrafrique : passage de relais des forces Sangaris et EUFOR RCA à la
MINUSCA

Armée de Terre : retours
d’expériences et interculturalité
Le monde militaire et celui des entreprises multinationales, confrontés tous deux
à l’interculturalité, y adaptent leur formation en permanence.

Cette question a été abordée au cours d’un colloque organisé, le 27 novembre
2019 à Paris, par l’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger. Y sont
notamment intervenus : le général de corps d’armée Patrick Destremau, directeur
de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et de
l’Enseignement militaire supérieur ; Alain Juillet, président de l’Académie
d’intelligence économique ; Pascal Monpetit, consultant international ; Marie
Serre, anthropologue.

Les enjeux stratégiques. L’interculturalité se trouve au cœur de nos pratiques
et engagements, où la connaissance de l’autre accroît l’efficacité, souligne le
général Destremau. Reconnaître la particularité d’un point de vue différent du
nôtre constitue un avantage. Ainsi, par le dialogue entre civils et militaires,
l’IHEDN intègre les différences, constantes et régularités pour saisir la relativité
de son propre point de vue. Il favorise les échanges entre les cultures des
secteurs privé et public, entreprises, administrations, associations et mouvements
politiques qui s’ignorent. La règle de « Chatham House » (échange d’informations
sous réserve d’un anonymat total) permet de découvrir un monde inédit et de
travailler ensemble dans un but commun. Les différentes cultures déterminent
des manières de vivre et d’agir, qui ne se réduisent pas aux différences des
religions. Les spécificités d’un ministère font prendre conscience de la nécessité
de l’action interministérielle. Dans le domaine académique, l’interdisciplinarité,
indispensable pour la crédibilité, apparaît difficile à mettre en œuvre. Il s’agit de
rapprocher des mondes, qui habituellement ne se parlent pas. La prospective de
défense globale nécessite de connaître la situation internationale, enjeu majeur
de la culture stratégique. La thèse de l’autonomie stratégique européenne recourt
à l’interculturalité pour transcender les particularités de chaque pays, en vue
d’une défense commune. Un accord sur les moyens nécessite de s’entendre pour
garantir l’indépendance. L’erreur de l’Union européenne a été de construire
l’Europe des marchés et non celle des citoyens. Dans la perspective d’une défense
européenne, la France doit comprendre les perceptions qu’elle suscite. Face à
l’internationalisation des confrontations, la diplomatie recherche les coopérations
pour ajuster les forces, afin de résoudre les conflits. Les opérations interalliées se
trouvent au cœur des engagements diplomatiques et de la réflexion stratégique.
L’intérêt commun exige un lien solidaire pour conduire une opération en commun
sur la base d’une culture stratégique commune. Cela implique agilité, souplesse
et adaptation aux circonstances, car l’art de la guerre ne se réduit jamais à une
mécanique.

Les « multinationales ». Les grands groupes, qui absorbent des entreprises
dans le monde entier, doivent en fédérer les personnels, pour les faire adhérer à
des objectifs qui n’étaient pas les leurs, explique Alain Juillet. Ils y parviennent
par : des objectifs partagés et non pas imposés ; l’expertise des salariés ; un
regard objectif sur l’entreprise rachetée. L’alliance entre Volvo (Suède) et
Renault (France) a échoué en 1993 dans sa tentative de constituer un
constructeur automobile de taille mondiale, en raison des comportements trop
différents des personnels. Il convient de connaître l’histoire de l’autre pour bâtir
une histoire commune, par exemple un dirigeant génial ou une spécialité unique.
L’emploi d’une langue de travail commune, en général l’anglais, facilite la qualité
des échanges. Or il semble difficile d’imposer l’anglais dans les grandes
entreprises françaises. L’altérité (« aimer l’autre ») consiste à respecter chaque
salarié, pour qu’il croit avoir une perspective de carrière par une égalité de
traitement. Mais souvent, le recrutement de dirigeants par leur origine commune
provoque la perte de cadres moyens très compétents…qui partent avec leur
expertise ! La solution passe d’abord par l’apprentissage du travail en groupe,
souligne Alain Juillet. En France, le classement de sortie d’une grande école crée
des rangs qui ont tendance à se maintenir à vie. Aux Etats-Unis et en Chine, les
cadres sont jugés sur leur capacité à travailler en groupes interchangeables. Pour
une mission donnée, des personnels issus de différents services et métiers sont
regroupés pour partager réflexions et résultats. Avant une expatriation, les cadres
et leur famille devraient suivre une formation spécifique sur le pays d’accueil
pour en connaître les codes. Par exemple, au Japon, la décision au sein d’une
entreprise part d’en bas, alors qu’elle vient d’en haut aux Etats-Unis. Dans
l’ensemble, lors de négociations, les Extrême-Orientaux disent toujours « oui »
pour ne pas perdre la face. Le chef ne parle pratiquement pas, pour ne pas se
trouver en porte à faux avec ses subordonnés. L’astuce consiste alors à demander
une suspension de séance, au cours de laquelle les interprètes respectifs se
concertent sur la signification réelle du « oui » à la question posée. Seule une
bonne culture locale permet de bien comprendre ses interlocuteurs. Il s’agit de
créer, par la formation, une communauté de valeurs pour fédérer des gens de
cultures d’entreprise différentes. Enfin, l’absence de respect des spécialistes peut
entraîner des problèmes internes considérables et conduire à la disparition
d’entreprises.

Les défis interculturels. Les entreprises multinationales doivent adapter leur
manière de communiquer et bien comprendre le processus de décision, estime
Pascal Monpetit. En matière de communication, celle-ci apparaît conflictuelle et
de façon explicite en Russie et implicite en France. Elle prend une forme
d’évitement et de façon explicite aux Etats-Unis, mais implicite en Chine et en
Suède. Au sein d’une entreprise, la décision se prend en équipe aux Etats-Unis, au
niveau des spécialistes au milieu de l’organisation en Allemagne et au Japon, par
une cascade de délégations en France et de façon autocratique en Russie… qui
n’a pu créer d’entreprise multinationale en 30 ans !

Loïc Salmon

L’interculturalité nécessite un travail sur soi pour rencontrer l’altérité, explique
Marie Serre (photo). Il existe un décalage dans le temps entre l’identité (moi) qui
s’oppose à l’altérité (eux) et ne partage pas la même vision du monde ni le jeu des
rapports sociaux de classe et de race (fait historique). De la représentation de
l’autre et de soi s’ensuit une inégalité dans les relations internationales, où les
objectifs peuvent diverger ou converger. L’ethnocentrisme privilégie les codes et
croyances du groupe d’appartenance. Sa déconstruction, qui change le mode de
pensée, implique de réfléchir à des questions comme « Pourquoi je pense ça ? »,
« Pourquoi j’agis comme ça ? » ou « Pourquoi je ressens ça ? ». Le dialogue
permet de coopérer par le partage de croyances et d’expériences. Trop peu
d’informations conduit à remplir les caractéristiques manquantes à partir de
stéréotypes, généralités et préjugés personnels. Mais trop d’informations
concentre l’attention sur les détails qui confirment les croyances antérieures.

Armée de Terre : opérations et relations internationales

Défense : se réapproprier la question militaire

Sûreté : élément stratégique des entreprises internationales
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