Distance physique, proximité sociale et inégalités devant le chômage
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Distance physique, proximité sociale et inégalités devant le chômage Emre KORSU, Sandrine WENGLENSKI1 Université Paris-Est Laboratoire Ville Mobilité Transport (LVMT) – UMR INRETS 9403 19, rue Alfred Nobel, 77455 Marne-La-Vallée Cedex 2, France Introduction Les classes populaires sont de loin les principales victimes du chômage. En 1999, en France, 18% des ouvriers non-qualifiés étaient au chômage contre 4% pour les cadres supérieurs. Les théorisations de l’économie et la sociologie du travail ont apporté les explications majeures de cette inégalité de risque de chômage. Mais, aux Etats-Unis, l’économie et la sociologie de la ville ont également proposé des pistes théoriques pour expliquer ces différentiels. Deux facteurs proprement urbains seraient susceptibles d’alimenter le chômage, et plus encore celui des classes populaires. Le premier facteur renvoie à une question de distance/dispersion : c’est l’hypothèse d’un « spatial mismatch ». La dissociation croissante entre lieux d’habitat et lieux d’emploi serait source d’une faible accessibilité à l’emploi pour les catégories d’actifs les plus modestes et les moins motorisés. Les distances internes de la ville dispersée pèseraient sur le destin professionnel de ceux qui contribuent le moins à en imprimer les formes. L’autre ressort urbain évoqué dans l’explication du chômage des catégories populaires est associé au contraire à une question de proximité/concentration et suggère l’existence de « neighbourhood effects ». La concentration des ménages de catégories populaires dans les quartiers les plus dévalorisés de la ville serait génératrice d’un environnement où, dans la proximité de chacun, domine un modèle de pauvreté et de détresse sociale. Ces environnements quotidiens auraient des conséquences sur le destin social des résidents. Autrement dit, la localisation résidentielle aurait des incidences en termes de reproduction sociale. Les analyses issues de ces traditions scientifiques ont suscité des débats d’autant plus vifs, outre- atlantique, que leurs résultats alimentent nécessairement une discussion sur l’opportunité d’une action publique de lutte contre la ségrégation. Le bilan est controversé (Gordon et al., 1989 ; Kain, 1992 ; Ihlanfeld et Sjoquist, 1998 ; Marpsat, 1999, Bacqué et Fol, 2007), mais plusieurs études ont fourni des résultats corroborant l’hypothèse de variables spatiales « agissantes ». Dans le cas français, les recherches empiriques sont beaucoup plus rares (Marpsat et Laurent, 1997 ; Choffel et Delattre, 2003 ; Gaschet et Gaussier, 2003 ; Gobillon et Selod, 2004). La présente contribution souhaite enrichir le corpus empirique existant en questionnant le rôle de l’espace – et de la difficulté à s’en affranchir – dans le risque de chômage des actifs les plus modestes, en explorant le cas de la région parisienne, grande aire urbaine de onze millions d’habitants. On exposera (i) les fondements théoriques des hypothèses sur les effets de l’espace, (ii) les partis pris méthodologiques retenus dans la présente recherche et le corpus des données mobilisées2, puis (iii) les principaux résultats, qui feront l’objet (iv) d’une discussion finale. 1 Maîtres de conférences à l’Université Paris Est – Marne-la-Vallée (France) 2 Nous remercions le Groupe Études et Stratégies des Transports de la Division des Infrastructures et des Transport (DIT) de la DREIF pour la mise à disposition de données nécessaires à la conduite de cette recherche. 1
Les effets de l’espace dans la théorie Pour certains auteurs, la configuration de la ville fournit une part de l’explication des plus grandes difficultés d’emploi rencontrées par les classes populaires. Toutes choses égales par ailleurs, certaines localisations, présentant une faible accessibilité à l’emploi ou un environnement urbain marqué par le chômage et la pauvreté, entraîneraient un sur-risque de chômage. On expose ici les raisons d’un risque de chômage accru et les raisons pour lesquelles les classes populaires y seraient plus spécifiquement exposées. Accessibilité à l’emploi et risque de chômage Les économistes de l’urbain considèrent que le marché du travail fonctionne d’autant mieux qu’il est grand. Offres et demandes d’emploi ont alors de meilleures probabilités de se satisfaire et de se rencontrer rapidement, limitant ainsi les épisodes de chômage (Veltz, 1994 ; Jayet, 2000). Néanmoins, l’offre d’emploi n’est pas dépendante du seul nombre d’emplois présents localement. Du point de vue d’un actif en recherche d’emploi, l’offre réelle ne compte que les emplois qui lui semblent à sa portée depuis son domicile. Autrement dit, l’offre d’emploi effectivement disponible individuellement parmi celle qui est recensée globalement pour une ville est fonction de l’accessibilité. Meilleure est l’accessibilité à l’emploi, plus large est le marché de l’emploi « effectif » des individus (Prud’homme et Lee, 1999). A contrario, une mauvaise accessibilité réduit le volume de l’offre et risque d’induire de plus fortes probabilités de chômage. Deux grands déterminants concourent à la formation du niveau d’accessibilité des actifs aux emplois : la localisation respective des emplois et des résidences produisant la distance « absolue » qui les sépare, et la capacité à s’affranchir de ces distances « absolues » et à les rendre plus « relatives ». Au vu de ces deux facteurs, il est permis de penser que les classes populaires disposent d’une moindre accessibilité à l’emploi dans les villes d’aujourd’hui. Premièrement, pour beaucoup, la localisation intra-urbaine est arbitrée par la capacité d’enchère des candidats. Or, d’une part, pour élire domicile, ces capacités sont les plus modestes chez les actifs des catégories populaires3 ; d’autre part, les types d’activité économique qui les emploient ont moins de besoins stratégiques de centralité. Par conséquent, pour ces actifs plus que pour d’autres, la localisation à la fois des résidences et des emplois auxquels ils sont potentiellement candidats encourt le risque d’une faible accessibilité. De fait, en Ile-de-France, le fonctionnement du marché du logement conduit souvent les populations les moins favorisées à occuper les secteurs de la ville offrant les moins bons niveaux d’accessibilité en respect d’une hiérarchie des prix du sol décroissant du centre à la périphérie. Parallèlement, les activités économiques recourant abondamment au travail peu qualifié se dirigent davantage vers les localisations périphériques, dans des zones moins accessibles. Celles qui emploient les actifs les plus qualifiés valorisent le plus les localisations centrales. La géographie des ménages et des entreprises montre donc des configurations très différentes selon la catégorie des actifs. D’un côté, les résidences et les emplois ouvriers sont disséminés dans les zones périphériques peu denses : 48% des résidences et 43% des emplois sont localisés en grande couronne en 1999 (contre respectivement 35% et 25% pour les cadres). A l’autre extrémité, les résidences et les emplois des cadres sont en moyenne plus souvent localisés près du centre de l’agglomération et se concentrent dans des zones restreintes qui se superposent : 33% des résidences et 37% des emplois sont recensés à Paris-centre en 1999 (contre 12% et 21% pour les ouvriers). La grande distance entre les lieux de résidence et les lieux d’emploi ainsi produite contribue naturellement à réduire l’accessibilité à l’emploi des classes populaires, puisqu’elle tend à restreindre le nombre d’emplois présents dans un rayon donné. 3 Initialement, dans la littérature américaine, c’est la ségrégation « raciale » dont sont victimes les Noirs qui explique leur localisation « inadéquate » par rapport aux lieux d’emploi. 2
Deuxièmement, l’effet de ce premier handicap est mécaniquement renforcé par le moindre accès des classes populaires à la voiture, mode de transport qui permet les déplacements les plus rapides. En effet, la voiture a la particularité d’être le transport à la fois le plus coûteux financièrement et le moins coûteux en temps de parcours. La possibilité d’en disposer est donc déterminante en termes d’accessibilité mais elle reste discriminée. En Ile-de-France, en 2001, la part des salariés disposant d’un « accès total »4 à la voiture n’excédait pas 48% des ouvriers et 43% des employés, alors que ceux qui ne disposaient d’aucun accès à la voiture atteignait 25% et 32%. Ces parts étaient respectivement de 66% et 15% pour les cadres supérieurs. Ce moindre accès à la voiture des classes populaires contribue à réduire leur accessibilité à l’emploi dans la mesure où l’usage des transports en commun contraint à des déplacements plus lents et donc à la fréquentation d’espaces et de destinations plus restreints. De fait, en région parisienne en 1999, dans la limite d’un déplacement d’une heure et compte tenu de ses chances d’utiliser la voiture, un ouvrier francilien avait accès à 44% de l’emploi ouvrier régional en moyenne, contre 65% en moyenne pour un cadre supérieur (Wenglenski, 2007). Cette plus faible accessibilité à l’emploi, en moyenne, des classes populaires les pénalise dans l’accès à l’emploi et les rend plus vulnérables face au risque de chômage. Outre-atlantique, la littérature autour de la « Spatial Mismatch Hypothesis » a initié une série de travaux testant ce type d’hypothèses dès la fin des années 1960. Kain (1968), le premier, a montré, pour Chicago et Detroit, que le taux de chômage des Noirs serait moins élevé si ceux-ci n’étaient pas cantonnés aux ghettos du centre quand les emplois se développent en périphérie. Vingt ans plus tard (Kain, 1992), il pointe les limites méthodologiques des recherches qui ne parviennent pas à valider sa propre hypothèse, et que recensent les synthèses mitigées de Jencks et Mayer (1990) et Holzer (1991). Dans les années 1990, l’amélioration des méthodes permet le fleurissement d’études plus favorables à l’hypothèse d’un effet de l’espace sur le risque de chômage des populations défavorisées (Ihlandfeldt et Sjoquist, 1990 ; Ihlanfeldt et Sjoquist, 1998). Dans les années 2000, les approches se renouvellent et se diversifient : Hess (2005) prend en compte les modes de transport disponibles ; Dawkins, Shen et Sanchez (2005) s’interrogent sur la durée du chômage ; Johnson (2006) prend en compte la compétition des actifs pour un même emploi. Cette tradition scientifique se répand en Europe : en Angleterre sur des données désagrégées (Houston, 2005 ; Fieldhouse, 1999) et en France sur la base de données agrégées le plus souvent (Dujardin, Selod et Thomas, 2004 ; Gobillon et Selod, 2004 ; Gaschet et Gaussier, 2003), avec des résultats qui valident généralement l’idée d’une corrélation entre niveau d’accessibilité aux emplois des actifs et taux de chômage. Ségrégation et risque de chômage La division sociale de l’espace urbain constitue un second facteur urbain susceptible d’alimenter le chômage élevé de ceux qui la subissent. En effet, le fonctionnement du marché du logement et les préférences des ménages en matière de choix résidentiel ont pour effet de concentrer une partie des classes populaires entre elles, dans les quartiers les plus dévalorisés de la ville. Ce faisant, dans un contexte où le chômage frappe un ouvrier non-qualifié sur cinq, ces populations connaissent un environnement social qui les expose à la détresse économique et sociale d’un grand nombre. La littérature scientifique anglo-saxonne, qui voit dans le fait de vivre dans un tel voisinage un facteur de risque pour l’accès à l’emploi des habitants, distingue trois pistes pour expliquer ces « effets de quartier » (cf. Massey et Denton, 1995, sur ce point). 4 Ces indicateurs sont produits à partir de l’Enquête Globale de Transports. On dit qu’un actif dispose d’un « accès nul » à la voiture s’il n’a pas le permis de conduire ou vit dans un ménage sans voiture. A l’opposé, l’« accès total » à la voiture correspond à la situation d’un actif qui, ayant le permis de conduire, vit dans un ménage comptant au moins autant de voitures que d’actifs. 3
Une première piste renvoie aux conditions de la socialisation des jeunes. Grandir dans les quartiers défavorisés, au contact quotidien de la pauvreté, du chômage et de l’insécurité, dans la proximité de groupes de pairs dont certains côtoient déjà l’illégalité, risquerait de détourner les jeunes des normes dominantes et de les conduire vers une socialisation « déviante ». Sans un apprentissage et une intériorisation suffisants du système de normes, de valeurs et de codes comportementaux que transmet une socialisation « normale », ces jeunes rencontreraient, à l’heure de l’entrée dans la vie active, des difficultés spécifiques que le manque de capital scolaire seul n’explique pas. La seconde piste part de certains résultats issus des théories des réseaux (Granovetter, 1973), établissant que les réseaux sociaux constituent une ressource capitale dans la recherche d’emploi. Le rendement d’un réseau social en tant que « relais vers l’emploi » est proportionnel à la capacité de ses membres à faire circuler des informations sur les opportunités d’emploi ou à interférer auprès d’employeurs potentiels. A contrario, cette tradition souligne l’inefficacité des réseaux sociaux bâtis dans les quartiers défavorisés dans ce rôle de relais vers les opportunités d’emploi. Ces quartiers défavorisés concentrent en effet une forte population privée d’emploi, exclue du marché du travail et peu susceptible de détenir des informations sur les opportunités du marché du travail ou d’influencer les employeurs. On peut donc penser que les réseaux sociaux construits dans les quartiers défavorisés sont peu facilitateurs d’accès à l’emploi, ce qui grève les difficultés d’emploi des classes populaires. La troisième piste met en avant les stigmates subis par les quartiers défavorisés et leurs habitants. Les classes populaires des quartiers défavorisés subiraient, dans l’accès à l’emploi, les conséquences de la mauvaise réputation dont sont porteurs ces quartiers dans les représentations collectives. Associant les quartiers défavorisés à des univers pathogènes et délictueux, certains employeurs exprimeraient une franche aversion envers les candidats à l’embauche provenant de ces quartiers. Les recherches empiriques qui ont tenté de tester les effets de quartier sont très abondantes dans les domaines de l’échec scolaire, des problèmes de santé ou des comportements déviants mais ont beaucoup moins exploré le domaine de l’accès à l’emploi. Toutefois, celles qui ont été menées dans cette voie valident l’hypothèse d’une corrélation, toutes choses égales par ailleurs, entre la composition ethnique du quartier et le niveau de salaire des jeunes noirs (Datcher, 1982 ; Corcoran et al., 1989) ou entre le niveau de pauvreté et la probabilité des jeunes adultes d’être employés (Massey et al., 1995 ; O’Reagan et Quigley, 1998). Le suivi des bénéficiaires du Programme Gautreaux (système d’allocation logement en direction des familles quittant les inner- cities pauvres pour louer dans le secteur privé des banlieues de classe moyenne) a permis de confirmer ces résultats en comparant le sort des familles ayant déménagé à celui des familles demeurées dans les centres déshérités (Mendenhall et al., 2006 ; Fauth et al., 2004). Les années 2000 ont également vu cette tradition s’étendre à l’Europe, en particulier pour observer le lien entre le profil du voisinage et la longueur des périodes de transition entre chômage et emploi (Musterd et al., 2003 ; Van der Klaauw et Van Ours, 2003 ; Brannstorm, 2004). En France, les deux seules recherches existantes, reposant sur des échantillons nationaux de petite ou moyenne taille, opposent des résultats divergents. Pour Marpsat et Laurent (1997), les caractéristiques du quartier ne semblent pas peser sur la chance d’être employé pour les jeunes adultes qui y résident ; pour Choffel et Delattre (2002), la probabilité d’être toujours au chômage au bout de 18 mois est plus élevée dans les quartiers pauvres. Dans le cas de l’Île-de-France , dont la spécialisation sociale des espaces résidentiels s’est accrue dans les années 1980 et 1990 (Korsu, 2007), les effets de quartiers ont été établis dans le champ de la réussite scolaire (Korsu, 2002). 4
Méthodologie d’exploration empirique du cas parisien Données et méthode d’analyse La méthode utilisée dans la présente recherche pour explorer l’hypothèse de l’influence de facteurs urbains sur l’accès à l’emploi des actifs est largement éprouvée : on recourt en effet aux techniques de régression logistique permettant d’évaluer l’influence de facteurs sur la probabilité de survenue d’un phénomène. On estime ainsi le risque de chômage des actifs selon les caractéristiques de leur lieu de résidence en termes d’accessibilité et d’environnement social, tout en contrôlant l’effet des autres variables jugées influentes. L’analyse est conduite à partir des données individuelles issues du fichier détail du Recensement Général de la Population française de 1999. Le recours au fichier détail du Recensement singularise notre recherche à plus d’un titre par rapport aux recherches empiriques françaises antérieures testant le même type d’hypothèse5. Premièrement, à notre connaissance, dans le contexte français, c’est la première fois que le Recensement est exploité pour produire une recherche consacrée aux déterminants spatiaux des difficultés d’emploi sur la base de données désagrégées. Les recherches de Gaschet et Gaussier (2003) sur Bordeaux et de Gobillon et Selod (2004) sur Paris s’appuient également sur les données du Recensement mais manipulent des données non individuelles, agrégées à l’échelle des communes. Compte tenu de la problématique abordée, on peut penser que les données individuelles désagrégées autorisent des analyses beaucoup plus fines que les données agrégées spatialement. En deuxième lieu, après délimitation de son champ, l’analyse porte sur près de 100 000 observations, ce qui est très largement supérieur à ce que l’on enregistre dans les recherches similaires mobilisant des données individuelles. Marpsat et Laurent (1997), par exemple, travaillent sur les 1 000 observations de l’enquête « Situations défavorisées » ; Choffel et Delattre (2003) analysent les 7 000 observations de l’enquête « Trajectoires des demandeurs d’emploi et marché local du travail ». Cette grande quantité d’observations réduit substantiellement les risques d’erreur inhérents aux analyses statistiques sur échantillon et renforce la fiabilité et la précision des mesures. Enfin, le Recensement permet de restreindre le champ spatial de l’analyse à une agglomération unique et d’éviter une analyse qui porte, par contrainte, sur la France entière. En effet, la taille réduite des échantillons contraint Marpsat et Laurent (1997) et Choffel et Delattre (2003) à mener leur analyse sur la France entière (les échantillons n’étant représentatifs qu’à cette échelle-là), ce qui a l’inconvénient de mêler des contextes urbains extrêmement différents. Le Recensement permettant la constitution d’un échantillon représentatif à l’échelle d’une agglomération, nous avons pu échapper à cet inconvénient et avons pu centrer l’analyse sur la région parisienne. Conceptuellement, la démarche consiste à mesurer le lien statistique entre une variable à expliquer – le risque de chômage6 – et des variables explicatives – les caractéristiques du lieu de résidence – « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire en neutralisant l’effet éventuel des autres variables actives – les caractéristiques individuelles. Deux modèles ont été testés7 : (1) le lien entre risque de chômage et accessibilité à l’emploi à partir du lieu de résidence ; et (2) le lien entre risque de chômage et environnement social du lieu de résidence. 5 La recherche de Dujardin, Selod et Thomas (2004) y recourt pour l’analyse du cas bruxellois. 6 Dans les recherches antérieures pré-citées, la variable à expliquer varie selon les analyses. Dujardin, Selod et Thomas (2004) ainsi que Marpsat et Laurent (1997) estiment la probabilité pour un actif d’être au chômage à un instant t. Choffel et Delattre (2003) estiment la probabilité, pour un actif au chômage à l’instant t, d’être toujours au chômage à l’instant t+1. Gaschet et Gaussier (2003) et de Gobillon et Selod (2004) veulent expliquer le taux de chômage communal. 7 La variable à expliquer comme les variables explicatives sont conçues sous forme de variables discrètes dichotomiques. 5
Champ et variables observés Le champ de l’analyse concerne les actifs de type salarié non fonctionnaires : les professions libérales et les employés de la fonction publique n’étant pas soumis aux mêmes modalités d’emploi en termes de recrutement et de chômage. Ce champ ne retient également que les personnes résidant en 1999 dans la même commune qu’en 1990, c’est-à-dire les seuls actifs ayant vécu suffisamment durablement dans un environnement aux caractéristiques données pour en avoir éventuellement reçu les influences. Les variables de contrôle retenues sont l’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle (en huit modalités d’après la nomenclature des PCS en 24 postes de l’INSEE), le niveau d’études/dernier diplôme obtenu, la nationalité/pays de naissance, la détention d’une voiture. Les variables descriptives des caractéristiques urbaines en termes d’environnement social et d’accessibilité aux emplois des actifs sont présentées dans le tableau 1. La variable liée à l’accessibilité à l’emploi du lieu de résidence est construite à partir d’un indicateur quantitatif exprimant, pour un actif francilien d’une catégorie sociale donnée et habitant une commune donnée, la part des emplois régionaux de sa catégorie qui lui sont accessibles en moyenne depuis son domicile au terme de déplacements d’une heure au maximum compte tenu de sa propension à l’usage des transports en commun et de la voiture (Wenglenski, 2007)8. Sur la base de cet indicateur, les communes de résidence sont classées en cinq catégories selon l’accessibilité qu’elles offrent aux employés et ouvriers, d’un côté, et aux cadres et professions intermédiaires, de l’autre. Cet indicateur constitue une autre différence avec les recherches empiriques antérieures françaises dans la construction d’une variable d’accessibilité. Les indicateurs d’accessibilité sont en effet souvent exprimés par les caractéristiques des déplacements domicile-travail accomplis par les actifs occupés, ce qui a l’inconvénient d’affecter comme possibilités de déplacement aux chômeurs les pratiques de déplacement des détenteurs d’emploi et plus généralement d’identifier des potentiels à des pratiques. Par ailleurs, quand c’est bien le potentiel d’accès à l’emploi qui est approché par l’indicateur, il est souvent approximatif : taux d’emploi ou distance moyenne aux emplois. La variable liée à l’environnement social de la commune de résidence est conçue à l’échelle des quartiers IRIS (sauf quand l’information n’existe pas). Elle est construite à partir de données portant sur le chômage (taux de chômage calculé à partir du Recensement de la population de 1999) et sur les revenus des ménages (1er décile de la distribution des revenus imposables par unité de consommation du ménage dans le quartier en 2001 d’après la Direction Générale des Impôts). Les quartiers et les communes sont classés selon leur « score » d’après cet indicateur composite9, des plus défavorisés aux plus favorisés, puis regroupés en cinq catégories. Les communes périurbaines de petite taille pour lesquelles aucune information sur les revenus n’est disponible sont regroupées dans une catégorie à part. 8 L’indicateur d’accessibilité élaboré consiste à sommer les emplois présents dans les communes repérées comme destinations atteignables sous contraintes de temps et d’argent. La contrainte de temps est fixée à une heure de déplacement. La contrainte monétaire est exprimée par la propension à mobiliser les différents modes, dont les coûts et les performances différenciés sont décisifs dans la faisabilité d’un déplacement : une destination peut être accessible en voiture et non en transports collectifs compte tenu du périmètre temporel fixé. Des temps de transport dit « synthétiques » intègrent les probabilités différenciées d’usage des modes pour chaque catégorie sociale (Les temps de transport en voiture et en transports collectifs entre toutes les origines et destinations franciliennes sont donnés par des modélisations de la DREIF. Pour un couple d’origine-destination, la durée de trajet « synthétique » est la moyenne des temps de trajet connus dans chaque mode pondérés par la probabilité d’usage de ces modes pour un actif). 9 L’indicateur composite est obtenu en deux étapes : (i) calcul des écarts centrés-réduits pour les distributions relatives aux deux variables (taux de chômage et 1er décile de la distribution des revenus) ; (ii) addition des deux écarts centrés-réduits pour chaque quartier/commune. 6
Un rôle de l’environnement social sur le chômage ? L’hypothèse de facteurs urbains producteurs d’effets négatifs sur l’accès à l’emploi en particulier pour les classes populaires n’apparaît que partiellement confortée par les analyses empiriques menées sur la région parisienne : seul l’environnement social du lieu de résidence semble corrélé au risque de chômage. L’effet attendu des caractéristiques individuelles Les deux modèles testés (tableaux 2 et 3) sont globalement cohérents – les tests statistiques donnent des résultats satisfaisants – significatifs et plutôt performants –, la capacité des modèles à prédire le chômage est non-négligeable (taux de prédictions concordantes entre 60% et 65%). La plupart des variables explicatives individuelles présentent les signes attendus et des coefficients significatifs, à l’exception partielle de l’effet du diplôme pour les cadres et professions intermédiaires et de la catégorie sociale pour les employés et ouvriers. Dans les deux modèles, s’agissant du groupe des cadres et professions intermédiaires comme celui des employés et ouvriers, toutes choses égales par ailleurs, l’âge est bien lié au risque de chômage. Dans le groupe des catégories moyennes et supérieures, les actifs les plus jeunes (les moins de 25 ans) sont devancés par les seniors (les plus de 50 ans) parmi ceux qui encourent les plus grands risques de chômage devant les actifs d’âge intermédiaire (de 25 à 35 ans et de 35 à 50 ans). Dans le groupe des catégories modestes, ce sont les actifs les plus jeunes, directement suivis des 25-35 ans, qui dominent la hiérarchie des risques de chômage, devant les seniors et les actifs d’âge mur. Toutes choses égales par ailleurs, et conformément aux résultats attendus, les femmes encourent davantage le risque de chômage que les hommes dans le groupe des employés et des ouvriers. En revanche, elles y semblent moins souvent vulnérables dans le groupe des cadres et des professions intermédiaires. De façon générale, les différences de chômage entre hommes et femmes sont beaucoup moins marquées en Île-de-France qu’ailleurs (en 1999, le taux de chômage régional atteint 11,3% chez les hommes et 11,8% chez les femmes contre respectivement 10,9% et 15,9% en Province) et en particulier dans les départements de la zone dense (Paris-centre et la petite couronne), où les catégories supérieures sont sur-représentées (INSEE, 2003). Les effets de la catégorie socioprofessionnelle et du niveau d’études semblent se « parasiter » quelque peu. Pour les catégories moyennes et supérieures, la catégorie sociale produit l’effet escompté sur le risque de chômage mais pas le diplôme. Inversement, pour les catégories populaires, le niveau de diplôme produit l’effet escompté sur le risque de chômage mais pas la catégorie sociale. Toutes choses égales par ailleurs, le risque de chômage apparaît moins élevé pour les cadres que pour les professions intermédiaires et, parmi eux, pour les ingénieurs que pour les autres cadres, et pour les agents de maîtrise que pour les autres professions intermédiaires. En revanche, toutes choses égales par ailleurs, le risque de chômage serait supérieur pour les personnes diplômées du baccalauréat que pour celles qui n’ont pas le bac, et pour les diplômés d’un 2ème ou 3ème cycle universitaire par rapport à un 1er cycle universitaire. La double prise en compte de la catégorie sociale et du niveau de diplôme apparaît responsable de ce brouillage : menée sans la catégorie sociale parmi les variables explicatives, l’analyse redonne sa place traditionnelle au diplôme. Symétriquement, pour les classes populaires, toutes choses égales par ailleurs et conformément aux prédictions, le risque de chômage des ouvriers apparaît supérieur à celui des employés. Mais, de façon moins conventionnelle, celui des ouvriers qualifiés apparaît supérieur à celui des non qualifiés, et celui des employés administratifs d’entreprise supérieur à celui des personnels de service aux particuliers et de commerce. En revanche, toutes choses égales par ailleurs, pour ces actifs, conformément aux résultats attendus, le risque de chômage décroît linéairement avec l’élévation du niveau de diplôme. De nouveau, la prise en compte simultanée de la catégorie 7
sociale et du niveau de diplôme peut brouiller leur rôle respectif. Ces apories trouvent peut-être aussi des éléments d’explication dans la sélection de l’échantillon : très stables du point de vue de l’habitat (puisqu’ils habitaient le même lieu au précédent Recensement), les actifs observés sont peut-être d’autant plus souvent au chômage que les emplois auxquels ils postulent sont plus spécialisés et à recrutement moins local (ouvriers qualifiés, employés administratifs d’entreprise). La variable nationalité/pays de naissance influence également le risque de chômage dans le sens escompté. Toutes choses égales par ailleurs, les citoyens français nés en France apparaissent moins menacés par le chômage que les étrangers nés à l’étranger. Ces derniers bénéficient eux- mêmes généralement de préjugés positifs et sont moins exposés que les Français nés à l’étranger ou dans les départements et territoires d’outre-mer, c’est-à-dire pour partie les immigrés naturalisés et les natifs d’anciennes colonies françaises, qui sont davantage victimes d’antipathie raciale ; mais ceci, toujours moins que les étrangers nés en France. Parmi ces derniers, la probabilité d’être au chômage se montre même la plus élevée au sein des catégories supérieures, comme si ces actifs n’étaient pas considérés comme des candidats crédibles aux fonctions qualifiées. Enfin, conformément aux prédictions, la possession ou non d’une voiture semble bien liée au risque de chômage, même si le sens de la causalité reste ambigu. Car il est tout aussi vraisemblable que le statut d’activité explique la possession d’une voiture que l’inverse. Toutes choses égales par ailleurs, le risque de chômage est le plus important pour les actifs membres de ménages sans voiture et le plus faible pour les actifs membres de ménages comptant deux voitures ou plus. D’une situation à l’autre, le risque de chômage double : passant de 6-7% sans voiture à 13-14% avec deux voitures au moins chez les cadres et professions intermédiaires et de 8-9% à 16-18% chez les employés et ouvriers, selon le modèle testé. L’effet contraire de l’accessibilité à l’emploi Un premier modèle a cherché à mesurer, à caractéristiques individuelles égales, la corrélation entre le risque de chômage et l’accessibilité à l’emploi d’un actif depuis sa commune de résidence compte tenu de sa catégorie sociale (tableau 2). L’analyse statistique révèle que, toutes choses égales par ailleurs, le risque de chômage varie significativement avec l’accessibilité à l’emploi depuis le lieu de résidence, mais ceci dans le sens opposé au pronostic envisagé. Il semble que plus faible est l’accessibilité des actifs aux emplois de leur catégorie, meilleure est leur probabilité d’être employés : les probabilités de chômage estimées se hiérarchisent de façon très ordonnée dans ce sens (notons que, pour les actifs des classes moyennes et supérieures, les coefficients ne sont pas significatifs au seuil fixé). Pour l’actif-type10 des classes moyennes et supérieures, la probabilité d’être au chômage s’élève à 6,59% dans les communes de très faible accessibilité ; 7,31% dans les communes de médiocre accessibilité et 7,04% dans les communes d’accessibilité moyenne, puis respectivement 8,16% et 8,22% dans les communes d’accessibilité bonne et très bonne. De la même façon, pour l’actif- type des classes populaires, la probabilité d’être au chômage s’échelonne progressivement de 10,24% dans les communes de mauvaise accessibilité ; à 10,38% dans les communes d’accessibilité médiocre ; 10,36% dans les communes d’accessibilité moyenne ; 11,41% dans les communes de bonne accessibilité et 11,45% dans les communes de très bonne accessibilité. 10 L’actif-type correspond à l’individu qui présente les caractéristiques de référence dans l’analyse de régression. Pour les catégories moyennes et supérieures, il s’agit d’un homme, entre 35 et 50 ans, français né en France, disposant d'une voiture dans son ménage et habitant une commune depuis laquelle l' accessibilité à l' emploi est bonne, diplômé d' un bac+2 et de profession intermédiaire administrative d’entreprise. Pour les catégories populaires, il s’agit d’un homme ayant les mêmes caractéristiques mais détenteur du bac et employé administratif d’entreprise. 8
En comparaison, on constate que, parmi les recherches françaises déjà mentionnées, celles qui reposent sur des données agrégées spatialement observent bien, elles, un lien significatif et dans le sens attendu, quoique faible, entre la variation des taux de chômage locaux et celle des variables d’accessibilité (Dujardin, Selod et Thomas, 2004, pour Bruxelles ; Gaschet et Gaussier, 2003, pour Bordeaux ; Gobillon et Selod, 2004, pour Paris). En revanche, parmi celles qui sont menées, comme présentement, au niveau individuel, les résultats apparaissent plus concordants. D’un part, Dujardin, Selod et Thomas (2004), lorsqu’ils procèdent à une analyse sur données individuelles, constatent que les variables d’accessibilité jouent significativement dans le sens contraire à l’effet attendu. D’autre part, Choffel et Delattre (2003) relèvent un effet des variables d’accessibilité sur la durée moyenne du chômage mais en mobilisant pour cela des caractéristiques individuelles renseignant sur les possibilités de déplacement, sans lien avec les opportunités d’emploi existantes effectivement accessibles (détention du permis de conduire, disposition de moyens de transport, titre de transport gratuit ou réduit). Autrement dit, les résultats obtenus avec ces indicateurs sont conformes à ceux que l’on obtient : une probabilité supérieure d’être chômeur lorsque l’on appartient à un ménage sans voiture que lorsque l’on est membre d’un ménage avec une voiture, et à plus forte raison pour un individu membre d’un ménage ayant plus d’une voiture. D’un côté, la corrélation avec la situation d’emploi des actifs est observée positivement pour la variable « disposer d’une voiture » ; de l’autre, elle est négative pour la variable « être à portée d’un grand nombre d’emplois ». Tout se passe comme si, contrairement à nos prospectives, pour une part de ces actifs, et en particulier pour les plus modestes (pour les autres, les résultats ne sont pas significatifs), la détention d’un emploi était la condition première de la conduite d’un projet résidentiel menant à l’éloignement, quand les marges de manœuvres sont étroites, et à l’indispensable acquisition d’une voiture. Un environnement social actif sur les classes populaires Le second modèle élaboré (tableau 3) a cherché à explorer le lien statistique entre le risque de chômage et les caractéristiques sociales du quartier de résidence. Ce facteur urbain, l’exposition à un environnement social défavorisé, semble produire un effet plus tangible que le premier, les résultats de l’analyse de régression corroborant l’hypothèse de départ. Pour les deux groupes d’actifs, le risque de chômage varie dans le sens prédit avec le degré de pauvreté et de chômage observé dans le quartier de résidence. Pour l’actif-type de catégorie moyenne ou supérieure, la probabilité d’être au chômage, qui s’élève à 7,47% dans les quartiers « favorisés », progresse à mesure que le profil socio- économique du quartier de résidence se dégrade : elle s’établit à 7,78% dans les quartiers où l’environnement social est « moyen » ; elle atteint 7,81% dans les quartiers où l’environnement social est « médiocre » ; et s’élève à 8,56% dans les quartiers où l’environnement social est « défavorisé », et jusqu’à 10,37% dans les quartiers « très défavorisés ». Autrement dit, pour un français entre 35 et 50 ans, diplômé d’un bac+2, de profession intermédiaire et disposant d’une voiture, la probabilité de se trouver au chômage peut croître d’un tiers selon son quartier d’habitation (de 7,47% à 10,37%). Néanmoins, les coefficients estimés ne sont pas significatifs pour des risques d’erreur inférieurs à 5%. En revanche, pour un actif des classes populaires, cette variation du risque de chômage selon la localisation résidentielle se montre non seulement significative mais bien plus importante. Pour un actif aux mêmes caractéristiques mais détenteur du bac (plutôt qu’un bac+2) et employé administratif (plutôt que profession intermédiaire), la probabilité d’être au chômage varie quasiment du simple au double : de 8,89% dans les quartiers défavorisés à 16,01% dans les quartiers très défavorisés. Les actifs des classes populaires apparaissent beaucoup plus sensibles à l’effet de l’environnement social sur leur destin professionnel. Au regard de ces résultats, résider dans un quartier présentant une pauvreté et à un chômage importants et récurrents semble aggraver les conditions d’accès à l’emploi des actifs. Mais les 9
candidats à l’emploi des classes populaires apparaissent deux fois plus vulnérables aux externalités de quartier que leurs homologues des classes moyennes et supérieures. Toutes choses égales par ailleurs, les actifs semblent en passer plus souvent par le chômage lorsqu’ils résident dans des environnements sociaux difficiles plutôt qu’en quartiers plus ordinaires ou plus favorisés, mais ce contexte est plus spécialement pénalisant pour les classes populaires. Ces résultats sont concordants avec ceux des autres recherches précitées qui, quelles que soient la variable à expliquer (taux de chômage, durée du chômage, etc.) et les variables explicatives utilisées pour traduire l’environnement social (taux de chômage, taux de mères célibataires, taux de propriétaires, appartenance du quartier à une ZUS, etc.) observent les signes d’un effet de quartier. Une interprétation délicate L’existence potentielle de corrélations L’analyse économétrique du lien entre situation d’emploi des actifs et caractéristique de leur lieu de résidence en région parisienne indique que le risque de chômage des actifs est positivement corrélé à leur proximité résidentielle aux modèles d’exclusion sociale, mais négativement corrélé à l’éloignement résidentiel des opportunités d’emploi. Ces deux constats apparaissent très robustes pour le groupe des employés et ouvriers, mais beaucoup moins assurés pour le groupe des cadres et professions intermédiaires. Ces résultats peuvent être interprétés dans le sens d’un lien de causalité entre les variables mises en présence (conforme ou contraire à nos hypothèses liminaires) et refléter effectivement la non dépendance du chômage au degré d’accessibilité des actifs aux emplois, d’un côté, mais l’influence réelle du quartier sur le destin professionnel et social de leurs habitants, de l’autre. Concernant l’accès physique à l’emploi, l’absence de lien entre la moindre accessibilité et les difficultés d’emploi peut s’expliquer par le contexte francilien. En Ile-de-France, certains actifs subissent certes une sous-accessibilité à l’emploi en comparaison de ceux qui bénéficient des positions les plus centrales ou disposent librement d’une voiture, mais, en moyenne, cette moindre accessibilité n’est pas une faible accessibilité : elle n’est peut-être pas de nature à provoquer des difficultés supplémentaires dans l’accès à l’emploi des actifs. L’accès à la voiture est certes différencié mais largement banalisé, le système de transports collectifs et routiers est de grande qualité et l’organisation urbaine, malgré la tendance à l’étalement, reste relativement compacte et dense. Le tout assure à l’ensemble des actifs une offre d’emplois accessibles relativement abondante, y compris aux employés et ouvriers que les contraintes financières conduisent à habiter les lieux les plus excentrés ou les moins bien desservis. De la même façon, concernant le rôle du voisinage, la possibilité d’une influence préjudiciable de certains environnements sociaux défavorisés sur les chances d’accès à l’emploi peut se trouver parfaitement avérée. En moyenne, dans ces quartiers, une personne sur dix vit dans un ménage disposant de moins de 2 700 euros de revenus imposables annuels par unité de consommation et près d’un actif sur trois est touché par le chômage. Ces chiffres témoignent d’un environnement social où la pauvreté et le chômage ne sont jamais très loin, et on peut bien croire que les mécanismes évoqués précédemment y soient à l’œuvre et que les habitants de ces quartiers soient effectivement confrontés aux conséquences diverses de l’exposition durable à un tel environnement. La conséquence potentielle de partis pris méthodologiques Au total, la contrainte résidentielle serait peu en cause dans l’inégalité sociale face au chômage s’agissant du degré d’accessibilité caractérisant l’habitat des actifs, mais le serait pour les catégories populaires, s’agissant du profil social des quartiers. Pourtant, symétriquement, les 10
résultats obtenus peuvent être mis en doute parce que considérés comme de purs artefacts des caractéristiques méthodologiques de l’analyse. En effet, l’indicateur d’accessibilité élaboré est susceptible de mal mesurer l’accessibilité réelle. (i) Il néglige la question des représentations subjectives de la distance (sentiment de légitimité à occuper et à parcourir les espaces, par exemple) ; (ii) il distingue grossièrement les catégories d’emplois ; (iii) il mesure l’accessibilité à l’aune de l’ensemble des emplois occupés, et non à pourvoir. Dans leur recherche sur Bordeaux, Gaschet et Gaussier (2003) tentent de déjouer ce problème en recourant à des données qui cependant en posent d’autres, les offres d’emploi enregistrées par l’ANPE ne représentant approximativement qu’un quart de l’offre réelle du marché (Jayet, 2000). La correction de certaines des imperfections de l’indicateur d’accessibilité pourrait peut-être modifier le constat d’une indépendance statistique entre chômage et accessibilité chez les actifs des catégories moyennes et supérieures et d’une corrélation qui apparaît « à contresens » pour les plus modestes. L’analyse de l’influence de l’environnement social élargi peut faire l’objet de commentaires similaires. Une des grandes faiblesses de l’analyse quantitative conçue « toutes choses égales par ailleurs » est de s’exposer à d’importants biais de sélection. L’analyse menée suggère que deux individus de même profil social mais résidant dans des quartiers différents en termes d’environnement social encourent des risques de chômage inégaux. Cette démarche occulte le fait que deux individus habitant deux quartiers différents de la ville ne sont sans doute jamais identiques socialement, la différence de leurs lieux de résidence révélant précisément leurs différences sociales. Pour l’individu qui réside dans le quartier défavorisé, cette localisation résidentielle a une forte probabilité de traduire une position sociale relative inférieure, en dépit de l’apparence des caractéristiques observées, et dont l’explication réside dans des caractéristiques « cachées » (moindres ressources économiques, sociales ou symboliques, origine sociale plus modeste, absence de patrimoine familial, statut familial, etc.) que l’on assimile ici à un effet « environnemental ». Ce qui est considéré comme lié à l’exposition durable à un environnement social défavorisé peut tout simplement relever d’un effet « social » supplémentaire, lié aux caractéristiques individuelles non-observées ou mal observées, indépendant de l’environnement résidentiel. Il est extrêmement difficile de se prémunir contre ce biais de sélection et, incontestablement, nos résultats en sont potentiellement affectés. On trouve, dans les recherches antérieures, des tentatives méthodologiques pour le déjouer mais le remède n’apparaît pas toujours idoine. Dujardin, Selod et Thomas (2004), par exemple, proposent de restreindre le champ de l’analyse aux seuls jeunes actifs résidant encore chez leurs parents. Une telle restriction aurait pour effet de neutraliser le biais de sélection dans la mesure où le choix de localisation résidentielle devient alors exogène aux individus retenus pour l’analyse (puisque le choix du lieu de résidence n’est pas accompli par les jeunes eux-mêmes). D’après les auteurs, dans ces conditions, les localisations résidentielles sont « aléatoires » au sens où les jeunes n’y sont pour rien et le biais de sélection est donc neutralisé : on peut dès lors considérer identiques socialement deux jeunes habitant des quartiers très différents. Aux sociologues, ce procédé apparaît illusoire car il revient à concevoir l’identité sociale des enfants comme indépendante de celle des parents. Une des pistes sans doute les plus fécondes pour évaluer le risque de biais de sélection qui pèse sur ces résultats ou pour tester le poids des représentations sur la définition d’une accessibilité individuelle passe par des recherches qualitatives, davantage monographiques. Des résultats convergents avec ceux de nos recherches quantitatives pourraient permettre de lever la suspicion que l’on a soulignée. L’interprétation potentielle des corrélations observées Ceci étant, une fois précisées les conditions méthodologiques de leur production, spécifiques mais rigoureuses, nos résultats peuvent légitimement être considérés comme consistants tout en 11
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