FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE - l'UE au secours de l'industrie - Grip
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Féderico Santopinto FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE l’UE au secours de l’industrie LES RAPPORTS DU GRIP 2017/5
© Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité Chaussée de Louvain, 467 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241.84.20 Fax: (32.2) 245.19.33 Courriel: admi@grip.org Site Internet: www.grip.org Twitter : @grip_org Facebook : GRIP.1979 Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est une association sans but lucratif. La reproduction est autorisée, moyennant mention de la source et de l’auteur Photo de couverture : Hélicoptère CH-47 Chinook, durant l’exercice Italian Blade en 2015 (European Defense Agency/Horst Gorup) Prix : 6 euros ISSN : 2466-6734 ISBN : 978-2-87291-097-7 Version PDF : www.grip.org/fr/node/2361 Les rapports du GRIP sont également diffusés sur www.i6doc.com, l’édition universitaire en ligne. Ce rapport est publié dans le cadre du programme « Cellule de veille sur Le GRIP bénéficie du soutien la production et les transferts d’armes dans le monde » subventionné par du Service de l’Éducation permanente la Région wallonne. Les informations délivrées et les opinions exprimées de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans ce texte n’engagent que leur auteur et ne sauraient refléter www.educationpermanente.cfwb.be une position officielle de la Région wallonne.
Federico Santopinto FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE L’UE au secours de l’industrie LES RAPPORTS DU GRIP 2017/5
TABLE DES MATIÈRES LISTE DES ACRONYMES 3 INTRODUCTION 4 1. LA LONGUE MARCHE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE 6 1.1 Une difficile libéralisation des marchés de défense 7 1.2 Vers une politique européenne d’aide à l’industrie de défense 10 2. DES FINANCEMENTS EUROPÉENS POUR LA DÉFENSE 14 3. OBJECTIF : DES INCITATIONS POSITIVES 18 4. ARTICULATION AVEC LA COOPÉRATION STRUCTURÉE PERMANENTE 20 5. DEUX PROBLÈMES MAJEURS À RÉSOUDRE 22 CONCLUSION 24 ANNEXE I 26 Une possible structure administrative pour le FED 26 ANNEXE II 28 Les défis de l’Action préparatoire 28 et les thématiques qui seront financées 28
LISTE DES ACRONYMES AED Agence européenne de défense AP Action préparatoire (dans le domaine de la recherche de défense) BEI Banque européenne d’investissement BITDE Base industrielle et technologique de défense européenne BREXIT Sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne CEE Communauté économique européenne CJUE Cour de justice de l’Union européenne CSP Coopération structurée permanente EATC European Air Transport Command EDAP European Defence Action Plan EFSI European Fund for Strategic Investments (plan Juncker) / Fonds européen pour les investissements stratégiques FED Fonds européen de défense FEDER Fonds européen de développement régional FSI Fonds structurels et d’investissements européen Horizon 2020 Programme-cadre d’aide à la recherche scientifique (2014 -2020) OCCAR Organisation for Joint Armament Cooperation / Organisation conjointe de coopération en matière d’armement PC Programme-cadre d’aide à la recherche scientifique de l’UE PME Petites et moyennes entreprises Programme de défense Programme européen de développement industriel de la défense PSDC Politique (européenne) de sécurité et de défense commune R&D Recherche & développement R&T Recherche & technologie SEAE Service européen pour l’action extérieure TFUE Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne TRL Technology Readiness Level (niveau de maturité technologique) TUE Traité sur l’Union européenne UE Union européenne 3
INTRODUCTION Le Brexit et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ont certes semé le trouble dans les relations internationales. Mais dans le domaine plus spécifique de la défense européenne, ces évènements sont en réalité clarificateurs. Ils clarifient une fois pour toute deux choses. La première est que les pays de l’Union européenne (UE) doivent impérativement retrouver une autonomie stratégique propre, en développant une politique de défense commune. La deuxième est que cela ne peut se faire avec le Royaume-Uni à bord. Il aura donc fallu attendre que l’UE soit secouée par ces deux séismes pour qu’elle se remette en ordre de marche. Aussi, à Bruxelles les initiatives pour relancer la défense européenne désormais fleurissent. L’objectif poursuivi tient en deux sigles : renforcer la BITDE, la base industrielle et technologique de défense européenne, en la mettant en adéquation avec la PSDC, la politique européenne de sécurité et de défense commune. Le tout dans une perspective d’autonomie opérationnelle dont l’élection de Donald Trump aura rappelé la pertinence. Toutes les institutions bruxelloises sont mises à contribution dans cette nouvelle Rapport du GRIP 2017/5| FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE : L’UE au secours de l’industrie dynamique, y compris la principale institution supranationale de l’Union, la Commission européenne. Forte de ses compétences économiques, c’est essentiellement dans le domaine industriel, et donc de la BITDE, que la Commission est appelée à intervenir, en partenariat avec l’Agence européenne de défense (AED) et les États membres. Au fil des années, le rôle de l’exécutif européen dans ce domaine est devenu de plus en plus important, bien qu’il soit resté globalement limité. Or, l’année 2017 pourrait constituer un tournant, à en croire ce que la Commission a proposé dans ses dernières communications datées du 30 novembre 2016 (« Plan d’action européen de la défense ») et du 7 juin 2017 (« Lancement du Fonds européen de la défense »), ainsi que dans la proposition législative qui a suivi, relative à la création d’un programme d’aide à l’industrie. Si au cours des dernières années elle était restée cantonnée essentiellement à la tentative (incertaine) de créer un marché européen de la défense, la Commission pourrait désormais être impliquée dans le lancement d’une véritable politique d’aide industrielle, avec des budgets conséquents à l’appui. À l’heure où les États membres sont appelés à mutualiser leurs outils militaires et à augmenter leurs dépenses, et ce malgré leurs difficultés budgétaires, cette idée attise inévitablement les convoitises. Toutefois, le fait que l’UE puisse jouer un rôle significatif dans un domaine aussi délicat au regard de la souveraineté nationale est loin d’être évident. Ce qui explique pourquoi il aura fallu tant d’années pour que cette option commence, timidement, à se concrétiser. Un bref coup d’œil en arrière peut d’ailleurs aider à comprendre la complexité du parcours qui pourrait amener l’UE, et à travers elle la Commission, à devenir un acteur notable de la BITDE. 4
Aussi, ce rapport retrace brièvement le début de l’histoire, lorsque la Commission a franchi ses premiers pas dans ces chasses gardées nationales que sont les marchés de défense nationale. - Le premier chapitre examine donc comment elle a initialement tenté de promouvoir une libéralisation partielle dans ce domaine, pour s’orienter ensuite vers une politique destinée à renforcer l’offre. - Le deuxième chapitre se concentre sur les propositions concrètes avancées par la Commission afin de soutenir financièrement l’industrie de défense, ainsi que sur les objectifs qu’elle voudrait poursuivre par ce biais. - Le troisième chapitre revient sur les deux principales propositions formulées par la Commission : le lancement d’une Action préparatoire en soutien de la recherche de défense (2017-2020) et la création d’un programme d’aide à l’industrie (2019-2020), préludes à l’institution d’un éventuel Fonds européen de défense. - Enfin, dans le quatrième et dernier chapitre, les nouveautés proposées par la Commission seront mises en relation avec une autre initiative actuellement débattue par les États membres de l’Union : la création d’une coopération structurée permanente en matière de défense. L’objectif de ce rapport est d’esquisser un panorama complet des nombreuses initiatives actuellement débattues au sein de l’UE pour soutenir la BITDE, en identifiant les principaux défis qu’elles portent en elles. 5
1. LA LONGUE MARCHE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE Lorsque le traité instituant la Communauté économique européenne (CEE) a été signé, le 23 mars 1957, les marchés de défense n’étaient pas concernés par le projet d’intégration économique qui s’amorçait. Les entreprises opérant dans ce secteur pouvaient échapper à la réglementation communautaire, grâce notamment à l’article 223 du traité de Rome, qui permettait aux États membres de les protéger d’une règlementation communautaire destinée à investir, progressivement, les marchés du Vieux Continent. Au fil des années et des nouveaux traités européens ratifiés, le contenu de cette disposition demeurera inaltéré, en permettant aux industries de défense d’échapper à l’inéluctable avancée du marché intérieur et de ses règles, surtout dans le domaine de la concurrence. Seule la numérotation de ce qui fut initialement l’article 223 changera, en devenant l’article 296 du traité instituant l’Union européenne et enfin l’article 346 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Cette exception a toutefois commencé à être remise en cause à partir des années 1990. Rapport du GRIP 2017/5| FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE : L’UE au secours de l’industrie Elle l’a été surtout depuis 1999, lorsque la France et le Royaume-Uni ont proposé à leurs confrères de l’Union de lancer une politique de défense commune, afin de faire de l’UE un acteur crédible sur la scène sécuritaire internationale. Ainsi, dans le contexte de la PSDC qui venait d’être créée, l’exclusion des industries de défense des politiques intégrationnistes de l’Union est apparue soudainement comme contreproductive. Un projet de défense commune, devant aboutir à une autonomie stratégique commune, peut-il être mis en place sans une industrie et un marché de la défense eux aussi communs ? Le diagnostic de la plupart des experts à ce propos est sans appel. Face à l’émergence des nouvelles puissances, ou à la résurgence des anciennes, l’Europe ne peut plus se présenter en ordre dispersé, avec ses marchés de défense fragmentés et ses logiques nationales déconnectées entre elles. La petite taille de certains États européens, les limites des budgets militaires nationaux, les carences en matière de coopération, les gaspillages et les doublons qui en découlent et, enfin, les coûts croissants des systèmes d’armement sont présentés comme autant de facteurs pouvant miner la compétitivité des entreprises de ce secteur, jusqu’à en compromettre leur survie. La solution à ce problème ne pouvait donc être qu’européenne. Intégration, coopérations industrielles, création d’un marché commun de la défense, financement de projets collectifs, économies d’échelle, compétitivité : ce sont les mots d’ordre évoqués dans la myriade de documents et d’analyses visant à justifier l’entrée en scène de l’Union, et notamment de la Commission, dans une équation qui ne pouvait plus être résolue au niveau national. Cette entrée en scène, toutefois, se fera progressivement et difficilement. 6
1.1 Une difficile libéralisation des marchés de défense En réalité, les premiers pas d’une institution supranationale de l’UE dans cette chasse- gardée nationale qu’est l’industrie de défense ont été franchis par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à la fin des années 1990. À travers un certain nombre d’arrêts, celle-ci a en effet remis en cause l’interprétation que les États membres faisaient de l’actuel article 346 (art. 296 à l’époque) pour exclure de manière systématique et automatique leurs industries de défense du droit communautaire, notamment des règles relatives aux marchés publics, des règles interdisant les offsets et de celles concernant les aides d’État. Article 346 du TFUE (ex-art.223 du Traité instituant la CEE et ex-art. 296 du Traité instituant l’UE) 1. Les dispositions des traités ne font pas obstacle aux règles ci-après : a) Aucun État membre n’est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité, b) Tout État membre peut prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre ; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. 2. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut apporter des modifications à la liste, qu’il a fixée le 15 avril 1958, des produits auxquels les dispositions du paragraphe 1, point b), s’appliquent. L’art. 346 du TFUE prévoit que la production (et le commerce) d’équipements militaires puisse échapper au droit européen seulement si cela est nécessaire afin de préserver les intérêts sécuritaires essentiels des États membres. Selon la Cour de justice, l’invocation d’une telle disposition aurait donc dû se faire dans des cas exceptionnels et dument justifiés, et non de manière systématique. En d’autres termes, pour la CJUE, l’article 346 n’a pas vocation à sanctuariser les industries de défense par rapport au marché intérieur1. 1. Vincenzo Randazzo, « Article 346 and the qualified application of EU law to defence », EUISS Brief, juillet 2014. 7
À partir de là, la Commission tentera d’entrer dans l’équation. L’objectif recherché était certes celui de libéraliser, partiellement au moins, ce secteur, notamment en remettant en question le principe de préférence nationale appliquée aux marchés publics de l’armement par les pays de l’UE. Mais il s’agissait également d’éviter qu’un sujet aussi délicat soit régi par des arrêts de la CJUE. Bref, il fallait combler une lacune législative, en précisant ce que l’art. 346 permet ou ne permet pas de faire. Dès lors, à partir de 1996, la Commission adoptera une série de communications et de documents connexes évoquant (entre autres) cette ambition, dont une communication en 2006 plaidant pour une interprétation restrictive de l’article 3462. Toutefois, il faudra attendre 2007 pour que l’exécutif européen franchisse un pas concret. Cette année-là, la Commission publiera une communication annonçant l’intention d’étendre la réglementation européenne au secteur de la défense, suivie par deux propositions de directives allant dans ce sens3. Celles-ci seront adoptées en 2009, en complétant ce qu’on a appelé le « paquet défense ». Ces directives représentent les premiers actes législatifs de l’UE s’adressant exclusivement aux biens de défense, bien qu’une directive s’adressant aux marchés publics en général, adoptée en 2004, avait déjà mentionné le cas spécifique de la défense4. Chacune des deux directives de 2009 prend en ligne de mire un objectif spécifique, dans le but d’ouvrir partiellement le marché européen des équipements de défense. La première directive s’adresse aux transferts intra-européens de produits liés à la défense. Rapport du GRIP 2017/5| FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE : L’UE au secours de l’industrie Elle vise à simplifier l’octroi des licences que les États membres doivent délivrer afin d’autoriser les exportations de biens et de services de nature militaire nécessaires à la production d’armements, lorsqu’ils doivent être exportés vers d’autres pays membre de l’UE. L’objectif de cet exercice est de faciliter le commerce entre les entreprises européennes de défense et, par ce biais, d’éviter la segmentation du marché et de soutenir leurs chaînes d’approvisionnement5. 2. Documents de la Commission européenne adoptés avant 2007 : - Communication de 1996, « Les défis auxquels sont confrontées les industries européennes liées à la défense – Contribution en vue d’actions au niveau européen » COM (96), 10 final. - Communication de 1997, « Mettre en œuvre la stratégie de l’Union en matière d’industries liées à la défense » suivi du « Plan d’action pour les industries liées à la défense », COM (97) 583 final. - Communication de 2003, « Défense européenne – Questions liées à l’industrie et au marché : vers une politique de l’Union européenne en matière d’équipement de défense », COM (2003) 113. - Livre vert de 2004 sur les marchés publics de la défense, COM (2004) 608. - Communication interprétative de 2006 sur l’application de l’article 296 [devenu article 346] du traité dans le domaine des marchés publics de la défense, COM (2006) 779. - Communication de 2007 « L’Europe dans le monde : un partenariat renforcé pour assurer aux exportateurs européens un meilleur accès aux marchés extérieurs », COM (2007) 183. 3. Communication de la Commission européenne, « Stratégie pour une industrie européenne de la défense plus forte et plus compétitive », COM(2007) 764 final, 5 décembre 2007. 4. Luc Mampaey et Manuela Tudosia, « Le «Paquet défense» de la Commission européenne. Un pas risqué vers le marché européen de l’armement », Note d’Analyse du GRIP, Bruxelles, 25 juin 2008. 5. Directive 2009/43/CE du 6 mai 2009 simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense dans la Communauté, JO L 146 du 10/6/2009. 8
La deuxième directive concerne la passation des marchés publics de l’armement, et s’insère donc dans le sillage des arrêts de la CJUE examinés plus haut. Le sujet est évidemment très délicat, car il touche de plein fouet la souveraineté nationale des États membres, et la possibilité pour eux d’avoir recours à des politiques protectionnistes pour protéger leurs entreprises clés dans ce domaine. À travers l’élaboration de cette directive, la Commission espère limiter le recours au principe de préférence nationale et aux offsets lorsque les gouvernements européens achètent des équipements militaires. Elle voudrait que les entreprises non nationales, mais appartenant néanmoins à un pays membre de l’UE, puissent entrer dans le jeu, au nom de la concurrence6. La portée de l’article 346 du TFUE n’est cependant pas remise en question. Il s’agit plutôt d’encadrer son recours, de mieux le préciser pour éviter les abus et les interprétations trop extensives. Inédites, les directives de 2009 auront toutes les peines du monde à s’imposer dans les législations nationales. Celle qui concerne les marchés publics, en particulier, ne sera transposée qu’en 2013, alors que théoriquement elle aurait dû l’être au plus tard pour le second semestre 20117. Un retard qui en dit long sur l’empressement des gouvernements nationaux de soumettre leurs acquisitions en matière de défense à la concurrence européenne. Une fois transposée, la directive sur les marchés publics ne sera d’ailleurs que partiellement respectée8. Et ce ne seront pas seulement les États membres qui continueront à contourner le droit européen en la matière. La Commission se montrera plus que réticente à lancer des procédures d’infraction à ce propos9. Malgré ces réticences, le « paquet défense » de 2009 a tout de même permis d’enregistrer quelques progrès. Selon une étude menée par la Fondation pour la recherche stratégique, entre 2012 et 2014 le montant des marchés relevant du secteur de la défense attribués via la directive (donc via une procédure de concurrence ouverte) est passé de 2 % à 20 % des dépenses totales en achat d’équipements militaires de la part des États membres10. La Commission confirmera ce progrès dans un rapport d’évaluation en 2016. Ces résultats doivent toutefois être relativisés11. En premier lieu parce que le nombre de contrats contournant la directive reste important (80 %). Et en deuxième lieu parce que, lorsque les États membres ouvrent les portes de leurs marchés publics à la concurrence européenne, dans la plupart des cas ils finissent quand même par attribuer le marché en question à une entreprise nationale12. 6. Directive 2009/81/CE du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE, JOUE L 2016/76 du 20/08/2009. 7. Parlement européen, Direction générale pour les relations extérieures, The impact of the defence package Directives on European defence, étude commanditée par la sous-commission sécurité et défense, 20 avril 2015. 8. Lire à ce propos l’étude détaillée menée par Hélène Masson et Kévin Martin, « La directive 2009/81/CE : d’hésitants premiers pas », Défense & Industrie (Fondation pour la recherche stratégique), n° 2, mars 2015. 9. Olivier Jehin, « La Commission continue à avoir peur de son ombre », Europe Diplomatie & Défense, EDD 923, 29 septembre 2016. 10. Kevin Martin, « Mise en œuvre de la directive MPDS : un état des lieux », Défense & Industrie (Fondation pour la recherche stratégique), n° 8, octobre 2016, p. 21. 11. Nicolas Gros-Verheyde, « Marchés publics de défense, transferts : des directives encore peu appliquées ? », Bruxelles 2 Pro, 5 décembre 2016. 12. Parlement européen, Direction générale pour les relations extérieures, op. cit., p. 36. 9
Bref, la libéralisation partielle des marchés de défense progresse difficilement et lentement, et ce malgré toutes les précautions prises par la Commission européenne afin de préserver les garanties offertes par l’article 346 du TFUE. Aussi, pour renforcer les industries de défense du continent et soutenir leur intégration, une autre stratégie a pris progressivement forme. Celle-ci vise à développer une véritable politique d’aide industrielle au niveau européen, de nature cette fois-ci keynésienne plutôt qu’orthodoxe. 1.2 Vers une politique européenne d’aide à l’industrie de défense L’idée de développer une véritable politique de soutien à l’industrie européenne dans ce domaine n’est pas nouvelle. La Commission avait déjà lancé des initiatives visant à encourager la coopération entre PME ou à promouvoir l’adoption de normes et de procédures de certification à l’échelle européenne. Mais c’est seulement dans une nouvelle communication adoptée en 2013 que l’option de puiser dans le budget européen sera clairement évoquée13. L’objectif poursuivi est simple : en attendant une libéralisation plus poussée des marchés de défense, qui dépendra in fine du bon vouloir des États membres, pourquoi ne pas utiliser une partie du budget communautaire afin de soutenir la recherche dans le secteur de la défense ? Rapport du GRIP 2017/5| FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE : L’UE au secours de l’industrie Cette proposition est une première dans l’histoire de l’intégration européenne, si l’on considère que le budget en question n’a jamais été utilisé à des fins militaires. Et elle est à ce titre délicate. Dès lors, dans la communication de 2013, la Commission proposera de se focaliser sur les biens à double usage14, en exploitant pour cela le Programme- cadre d’aide à la recherche scientifique couvrant la période 2014-2020 (Horizon 2020). Ce dernier d’ailleurs avait déjà été étendu au domaine de la sécurité intérieure en 2005. Ainsi, à partir de 2014, la Commission intégrera définitivement les biens à double usage parmi les secteurs pouvant bénéficier de subsides pour la recherche scientifique, comme la communication de 2013 l’avait annoncé. La communication de 2013, toutefois, n’est pas restée cantonnée aux biens à double usage. Elle suggèrera aussi de lancer, à titre expérimental, une Action préparatoire de trois ans, exclusivement dédiée au financement de la recherche dans le domaine de la PSDC, c’est-à-dire de la défense. L’idée devra encore murir, mais les bases pour une politique d’aide substantielle et palpable de l’UE en matière de défense étaient désormais jetées. Dans ce contexte, le Parlement européen jouera un rôle très actif, en se posant comme un véritable fer de lance. En 2015, il lancera un premier Projet pilote – de petite envergure – doté de 1,5 million d’euros afin d’expérimenter le financement de la recherche de défense, en confiant sa gestion à l’Agence européenne de défense. 13. Communication de la Commission européenne, « Vers un secteur de la défense et de la sécurité plus compétitif et plus efficace », COM(2013) 542 final, 24 juillet 2013. 14. Un bien à double usage désigne un bien ou une technologie pouvant avoir une utilisation tant civile que militaire. 10
L’objectif du Projet pilote est d’ouvrir la voie à l’Action préparatoire proposée par la Commission, qui devra disposer de sommes plus conséquentes, quoiqu’encore limitées15. Finalement, en 2016 la Commission adoptera une nouvelle communication intitulée « European Defence Action Plan » (EDAP)16. Ce document officialisera le lancement de l’Action préparatoire, en suggérant un budget de 90 millions d’euros pour la période 2017-2020. Après cet essai, si le Projet pilote puis l’Action préparatoire produisent les résultats espérés, l’UE pourrait passer au niveau supérieur. Dans le cadre de sa prochaine programmation financière pluriannuelle pour la période 2021-2027, qu’elle devra adopter en 2020, elle pourrait dégager cette fois-ci une somme plus substantielle, en entérinant définitivement la présence d’une rubrique militaire dans le budget communautaire. À ce propos, le montant de 500 millions d’euros par an est avancé. Mais il n’y a pas que cela. La communication de 2016 met la barre encore plus haut, en soumettant aux États membres quatre autres propositions, à ce stade néanmoins encore à négocier : 1) La première et plus importante vise à créer un Fonds européen de défense, devant soutenir le développement de projets industriels, voire les acquisitions de capacités militaires en commun. 2) La deuxième concerne les prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI), que la Commission voudrait étendre aux PME opérant dans le secteur de la défense. 3) La troisième s’adresse aux différents fonds d’investissements de l’UE, qui pourraient eux aussi soutenir directement ou indirectement l’industrie de défense européenne. 4) Enfin, l’UE envisage la possibilité de soustraire une partie des investissements des États membres en matière de défense du calcul sur les déficits publics régulés par le Pacte de stabilité et de croissance. Ces propositions formulées par la Commission, et notamment celle qui concerne le Fonds européen de défense, prendront les États membres par surprise. Les capitales nationales ne s’attendaient pas à ce que de telles idées, jusqu’il y a peu évoquées de manière encore très vague dans les couloirs bruxellois, puissent avancer aussi rapidement. Mais elles joueront le jeu. Le Conseil européen accueillera favorablement la communication de la Commission de 2016, en demandant à l’exécutif européen de mieux spécifier ses ambitions. 15. Santopinto Federico, « Le financement de la recherche de défense par l’UE », Note d’Analyse du GRIP, 21 mars 2016, Bruxelles. 16. Communication de la Commission européenne, « Plan d’action européen de la défense », COM (2016) 950 final, 30 novembre 2016. 11
Ce sera chose faite le 7 juin 2017, lorsque la Commission publiera une nouvelle Communication17 et présentera une proposition législative en la matière18. Dans cette dernière, l’exécutif européen propose de lancer un programme de deux ans (2019 et 2020) afin de soutenir des projets industriels de développement de capacités de défense, parallèlement à l’Action préparatoire, qui est censée intervenir sur la recherche en amont. Le programme et l’Action préparatoire devant confluer à terme dans le Fonds européen de défense. L’idée de financer les industries de défense européennes au niveau de l’UE semble donc susciter un certain enthousiasme. Elle en suscite en tout cas plus que l’idée de libéraliser sérieusement les marchés de défense. Certes, rien n’est encore acquis dans ce domaine. Il n’en demeure pas moins que, progressivement, l’Union et sa principale institution supranationale, la Commission, ont réussi à mettre un pied dans ce domaine privilégié et protégé qu’est l’industrie de défense. Rapport du GRIP 2017/5| FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE : L’UE au secours de l’industrie 17. Communication de la Commission européenne, Lancement du Fonds européen de défense, COM (2017) 295 final, 7 juin 2017. 18. Commission européenne, Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense visant à soutenir la compétitivité et la capacité d’innovation de l’industrie de défense de l’UE, COM (2017) 294 final, 7 juin 2017. 12
L’UE entre la libéralisation des marchés de défenses et le soutien à l’industrie militaire : Les étapes principales d’une longue marche 1996 - 2007 2005 Années 90 Documents de la Intégration de la sécurité 2004 Arrêts de la CJUE Commission intérieure dans Directive sur les marchés Interprétations Propositions d’ouverture les programmes cadres Art. 346 TFUE publics en général restrictives de des marchés de défense d’aide à la recherche La directive évoque le cas l’art.296 TUE et premières mesures (non scientifique (PC) spécifique de la défense. (346 TFUE). financières) de politique Action préparatoire de industrielle. 2004-2006, PC en 2007. 2007 Communication de la Commission sur le « paquet défense » 2009 Ouverture des marchés 2009 Directive sur les transferts Directive sur les marchés publics intra communautaires de défense Faciliter le commerce entre Ouverture partielle des marchés les entreprises de défense UE, de défense à la concurrence UE, soutenir les chaines d’approvisionnement encadrement du recours à l’art. 346TFUE intra-européennes. par les États membres. 2013 Communication de la Commission sur la défense - Proposition d’étendre les PC de l’UE (aide à la recherche scientifique) au domaine du double usage. - Proposition relative à une Action préparatoire exclusivement axée sur la recherche de défense. 2015 2014 Projet pilote du PE sur Intégration des biens la recherche de défense à double usage Budget de 1,5 m€. PC d’aide à la recherche Exclusivement scientifique de 2014-2020 pour la défense. (Horizon 2020). Gestion confiées à l’AED. 2016 Communication de la Commission sur la défense - Lancement de l’Action préparatoire pour la recherche de défense (2017-2020, 90 m€). - Proposition de créer un Fonds européen de défense (développement des capacités et acquisitions). - Proposition d’étendre les prêts de la BEI et les fonds structurels aux PME de défense. 2017 - 2019 2017 Action préparatoire Communication de la Commission sur le Fonds européen de défense (AP) Précisions relatives au projet évoqué dans la communication de 2016. sur la recherche de défense Proposition de règlement de la Commission pour créer un Programme de développement Budget de 90 m€. industriel de défense (2019-202) Gestion confiée à l’AED. Soutien financier pour les projets de développement des capacités L’AP doit anticiper le FED « volet recherche ». 2019 - 2020 2021 Programme de développement 2021 - 2027 Financement des PME industriel de défense Fonds européen de défense de défense par la BEI Budget de 2,5 M€ ? « Volet recherche » : 500 m€/par an ? et d’autres outils Ce programme doit anticiper la création « volet capacités » 5 M€/an ? financiers UE ? du Fonds européen de défense « volet capacités ». Documents d’orientations, propositions Mesures visant à libéraliser les marchés de défense Mesures visant à financer l’industrie m = millions ; M = milliards 13
2. DES FINANCEMENTS EUROPÉENS POUR LA DÉFENSE La coopération, plutôt que la concurrence, apparait comme le nouveau moyen privilégié par la Commission pour renforcer la BITDE et soutenir son intégration. Ce qui ne veut pas dire que l’exécutif européen ait oublié son objectif de libéraliser les marchés, en poussant notamment les États membres à respecter pleinement les directives de 2009. Dans sa communication de 2016, la Commission a même formulé de nouvelles recommandations à ce sujet, en s’annonçant finalement prête à lancer des procédures d’infractions en la matière. Malgré cela, l’ouverture des marchés semble désormais un projet secondaire par rapport à l’idée de soutenir financièrement l’industrie de défense, qui s’impose comme la principale priorité à suivre dans le futur19. Ainsi, comme examiné dans le paragraphe précédent, les communications de 2016 et de 2017 et la proposition législative formulée par la suite par la Commission suggèrent plusieurs mesures pour soutenir le financement des capacités militaires européennes, et ce dans toutes leurs différentes phases20 : à partir de la recherche technologique dès ses premières étapes (R&T), Rapport du GRIP 2017/5| FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE : L’UE au secours de l’industrie en passant par le développement de projets industriels (R&D) et le soutien aux PME impliquées dans ce processus, jusqu’à de possibles achats groupés. R&D et R&T Les termes R&D (Recherche et Développement) et R&T (Recherche et Technologie) sont utilisés ici en référence aux niveaux de maturité des technologies qui font l’objet d’activités de recherche (en anglais TRL : Technology Readiness Level). La R&D commence là où la recherche scientifique est traduite en recherche et développement appliqués (pour une utilisation concrète), jusqu’à la pleine maturité technologique. La R&T est un sous-groupe de la R&D qui intervient dans les premières phases de recherche, lorsque la maturité technologique est encore à un niveau bas (identification des principes, conceptualisation, travail en laboratoire, démonstrateurs technologiques, etc.). 19. Voir la dépêche de Nicolas Gros-Verheyde, note 12. 20. Discours du Commissaire européen Elżbieta Bieńkowska (Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME), prononcé le 10 novembre 2016 lors de la conférence annuelle de l’Agence européenne de défense [lire ici]. 14
Les principales initiatives prises pour concrétiser cette ambition peuvent être ainsi résumées : 1) Comme examiné, la Commission a lancé en 2017 une Action préparatoire (2017-2020) de 90 millions d’euros devant couvrir la recherche de défense dans les premières phases de maturité technologique (R&T), jusqu’au niveau des prototypes industriels. Les 90 millions d’euros en question proviennent du budget de l’UE. Pour plus d’informations sur l’Action préparatoire, voire l’Annexe II. 2) La Commission propose en outre de lancer un Programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (Programme de défense) pour financer, en 2019 et 2020, le développement de projets industriels à plus haute maturité technologique ainsi que d’éventuelles acquisitions communes. L’idée ici est surtout de soutenir financièrement l’élaboration de prototypes (l’une des phases les plus risquées en termes d’investissements industriels), en prenant donc le relais de l’Action préparatoire. Le budget de ce programme devrait être de 2,5 milliards : 500 millions venant des caisses de l’UE et deux milliards venant des contributions volontaires des États membres. Cependant, pour des raisons légales et d’opportunité politique, la contribution de l’UE ne pourra s’étendre à d’éventuelles acquisitions, mais devra rester bornée au développement des capacités. Le rôle de l’UE face aux acquisitions communes serait donc essentiellement de coordination, et visera à établir des procédures communes, à identifier les montages financiers possibles et à fournir un appui administratif aux États concernés. Évidemment, les contributions de chaque État membre au Programme de défense se feront exclusivement sur la base des achats et des investissements auxquels ils souhaiteront participer. Les pays de l’UE garderont la pleine souveraineté sur les équipements ainsi acquis. En cela, le Programme de défense peut être perçu comme un système administratif définissant des règles communes, pour créer autant de pots communs qu’il y aura de projets, chaque pot étant alimenté principalement par ceux qui le souhaitent, ainsi que par une aide supplémentaire de l’UE. Grâce à ce système, les États membres pourront garder leur pleine souveraineté sur leurs dépenses militaires, tout en bénéficiant de possibles contributions communautaires (à l’exception des éventuels achats groupés). 3) À plus long terme, la Commission souhaite regrouper ces activités dans le cadre d’un Fonds européen de défense (FED). Le FED, qui pourrait voir le jour à partir de 2021 dans le cadre de la prochaine programmation financière pluriannuelle (2021-2027), devrait être doté d’une structure administrative propre (voir l’Annexe I), et devrait être composé de deux volets différents : un « volet recherche » et un « volet capacités ». 15
Bien que complémentaires entre eux, les deux volets du Fonds devraient s’appuyer sur une base juridique différente et, surtout, pourraient être financés de manière différente. Le FED « volet recherche » devrait reprendre l’héritage de l’Action préparatoire et disposer de 500 millions d’euros par an provenant du budget de l’UE. Le FED « volet capacités » devrait prendre le relais du Programme de défense et bénéficier annuellement d’un milliard d’euros venant du budget de l’UE et de quatre milliards d’euros venant des contributions volontaires des États membres. Recherche et développement (R&D) Niveau bas de maturité technologique Niveau élevé de maturité technologique Produits finis (Recherche et Technologie - R&T) Financement de projets Financement de projets et développement Acquisitions de recherche des capacités et achats groupés Source : budget de l’UE Source: budget de l’UE (1/5) + contrib. des EM (4/5) Source: contrib.des EM Action préparatoire Programme de défense Coordination 90 millions d’euros de 2017 à 2020 2,5 milliards d’euros de 2019 à 2020 et administration UE = 500 millions € par les structures EM = 2 milliards € de l’UE Fonds européen de défense 2021 - 2027 ? Rapport du GRIP 2017/5| FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE : L’UE au secours de l’industrie FED «volet capacité» Coordination FED «volet recherche» 5 milliards d’euros par an et administration 500 millions d’euros par an UE = 1 milliard € par les structures EM = 4 milliards € du FED L’Action préparatoire, le Programme de défense et le FED ne sont pas les seuls instruments imaginés pour soutenir l’industrie de défense. La Commission espère impliquer la Banque européenne d’investissement (BEI) dans le processus. Actuellement, les statuts de la BEI ne lui permettent pas d’octroyer des prêts dans le domaine de la défense, bien qu’elle puisse soutenir certaines activités à double-usage. Or, la Commission propose aux États membres d’adopter les modifications statutaires nécessaires pour lever cette limite (le Conseil d’administration de la Banque est composé de représentants des États membres de l’UE et de la Commission). L’objectif est notamment celui de soutenir « la chaîne d’approvisionnement de la défense », c’est-à-dire les PME et les entreprises intermédiaires qui interviennent, à travers la sous-traitance, dans la production de biens et services de défense. En outre, il est important de souligner que le Fonds européen pour les investissements stratégiques (le EFSI, appelé aussi « Fonds Juncker ») ainsi que d’autres programmes d’aide de la Commission se basent entre autres sur des prêts de la BEI. Les sommes en jeu pourraient donc être importantes. Enfin, la Commission demande aux États membres de mieux prendre en compte les besoins des industries de défense dans le cadre des Fonds structurels et d’investissement européens (FSI). Les FSI sont des outils de financement dont l’UE dispose afin de promouvoir le développement économique et les infrastructures en Europe, notamment dans régions les plus défavorisées. 16
Le FEDER (Fonds européen de développement régional) est sans doute l’outil le plus intéressant pour le secteur de la défense. Il est géré par les entités régionales des États membres, qui doivent établir des plans de développement et de modernisation économique afin de pouvoir en bénéficier. La Commission voudrait donc que les autorités régionales susceptibles de bénéficier du FEDER définissent des priorités de développement régional dans le cadre desquels les PME opérant dans la défense soient mieux intégrées. 17
3. OBJECTIF : DES INCITATIONS POSITIVES Le Fonds européen de défense, ainsi que le Programme de défense et l’Action préparatoire qui doivent le précéder, sont les propositions phares de la Commission. Ces outils doivent jouer un rôle essentiel au sein du plus vaste projet de défense européenne : ils doivent promouvoir des investissements communs et coordonnés dans des domaines capacitaires considérés comme lacunaires au niveau européen, et qui seraient en même temps déterminants afin que l’UE puisse acquérir son autonomie stratégique propre. Les déficits capacitaires de l’UE ont été identifiés par les États membres dans de nombreux documents élaborés dans le cadre de la PSDC et de l’AED, et sont objets d’analyses et discussions continues au sein de l’Union. Le document phare dans ce domaine est le « Capability Development Plan (CDP) », dont la dernière version a été adoptée par l’AED en 2014 et la prochaine mise à jour est attendue pour 2018. Toutefois, depuis que l’UE s’est dotée d’une nouvelle Stratégie en juin 201621, suivie par un Plan de mise en œuvre en novembre de cette même année22, Bruxelles entend renforcer ses Rapport du GRIP 2017/5| FONDS EUROPÉEN DE LA DÉFENSE : L’UE au secours de l’industrie procédures visant à identifier les priorités capacitaires à soutenir au niveau européen. La mise en place d’une conférence annuelle de coordination pour la planification capacitaire (CARD) entre États membres est envisagée à ce propos. Son objectif est de rendre les planifications nationales en la matière plus transparentes, afin de mieux cerner les lacunes mais aussi d’assurer à terme une synchronisation des acquisitions23. Plus concrètement, les priorités vers lesquelles les subventions de l’UE pourraient être orientées devraient concerner des systèmes d’armes très coûteux (comme par exemple les drones de reconnaissance et de surveillance, les capacités d’imagerie satellitaire, les communications par satellite, l’accès à l’espace, le transport aérien stratégique, le ravitaillement en vol, les munitions de précision), mais aussi des matériels plus accessibles (hélicoptères et transport tactique, systèmes de protection des soldats en opération). Dans sa proposition législative concernant le Programme de défense pour les années 2019-2020, la contribution budgétaire de l’UE devrait intervenir notamment dans les domaines de la conception, de l’élaboration de prototypes, des essais ainsi que de la qualification et la certification24. 21. Union européenne, Shared Vision, Common Action: A Stronger Europe - A Global Strategy for the European Union’s Foreign And Security Policy, juin 2016. 22. Conseil de l’Union européenne, Implementation Plan on Security and Defence, 14392/16, 14 novembre 2016. 23. Gros-Verheyde Nicolas, « CARD : une revue annuelle coordonnée de la défense. Pour quoi faire? » ; Bruxelles 2 Pro, 23 février 2017. 24. Art. 6 de la Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense visant à soutenir la compétitivité et la capacité d’innovation de l’industrie de défense de l’UE, COM (2017) 294 final, 7 juin 2017. 18
L’objectif est louable mais le défi est de taille. L’idée que la Commission puisse gérer, ou cogérer avec les États membres, un budget structurel destiné à l’industrie de défense est très complexe à mettre en œuvre. En effet, comme examiné précédemment, l’UE est censée intervenir à plusieurs niveaux, avec des bases juridiques et des sources de financement différentes : l’Action préparatoire et, après elle, le FED « volet recherche », devraient agir au niveau de la R&T via le budget européen, alors le Programme de défense, et ensuite le FED « volet capacités », sont censés agir au niveau des phases successives de la R&D via les contributions nationales ad hoc et le budget européen. Sans compter que des achats groupés pourraient être pris en charge par le Programme de défense (et ensuite le FED « volet capacités »), mais cette fois-ci sans le recours au budget UE. Cette dichotomie peut paraitre absconse à première vue. Elle est pourtant indispensable. Elle est le fruit d’un compromis entre, d’un côté, la volonté de lancer des projets capacitaires communs au niveau de l’UE et, de l’autre côté, la nécessité de garantir la pleine souveraineté des États membres sur leurs dépenses militaires et sur les équipements qu’ils entendent développer et acquérir. Si les États membres peuvent accepter que le budget communautaire couvre entièrement des projets à faible niveau de maturité technologique (R&T), face à des niveaux plus élevés de maturité technologique, ils veulent garder la mainmise. La nécessité de créer deux systèmes de financement différents vient de là. Ainsi, c’est bien pour pousser les États membres à agir ensemble dans les phases plus élevées de la R&D que la Commission voudrait contribuer à alimenter le Programme de défense (et ensuite le FED « volet capacités »), malgré le fait que cet outil soit censé être financé en premier lieu par les capitales européennes. La contribution UE représente donc une incitation positive, devant pousser les pays de l’UE à investir ensemble dans le cadre de ces projets capacitaires ayant des niveaux plus élevés de maturité technologique, et pour lesquels les collaborations sont plus difficiles. Afin d’atteindre cet objectif, ce cofinancement du Programme de défense devrait atteindre 20 % des coûts de l’action. Le recours possible au budget européen n’est cependant pas la seule incitation positive proposée par la Commission. À terme, l’exécutif européen émet l’hypothèse que les contributions des États membres à ce fonds puissent provenir de titres de créance spécifiquement liés au projet en cause. L’architecture financière imaginée par l’exécutif européen reste encore entièrement à définir à ce propos, mais le fait que l’UE envisage l’émission d’obligations pour soutenir l’industrie de défense demeure une nouveauté intéressante dans le panorama politique actuel. La dernière incitation positive proposée par la Commission concerne justement la dette. L’exécutif européen suggère que les capitaux que les États membres apporteraient au FED « volet capacités » puissent ne pas être pris en compte dans le calcul des déficits publics prévu par le Pacte de stabilité et de croissance. Là aussi, toutefois, de longues et difficiles négociations entre Bruxelles et certaines capitales, notamment Berlin, devront être lancées avant de comprendre la faisabilité d’une telle option. 19
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