Football et acteurs sociaux : coup d'oeil sur les interactions entre policiers et supporters à risque

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Football et acteurs sociaux :
     coup d’œil sur les interactions entre policiers et supporters à risque
                           en Belgique francophone
                                      Bertrand Fincoeur,
                                          Chercheur,
                                              et
                                André Lemaître, Professeur,
                         Université de Liège, Service de criminologie

        Le paysage du supportérisme à risque en Belgique francophone est depuis quelques
années en pleine recomposition. Sous l’influence de divers facteurs – impact de la « loi
football », améliorations de l’infrastructure, travail des stewards ou des fan coaches,
perfectionnement policier –, la violence dans les stades a sensiblement reculé et les incidents
qui se produisent encore aujourd’hui dans les enceintes de football sont devenus marginaux.
Le développement des mesures de sécurité et de prévention a en partie également entraîné un
déplacement des problèmes à l’extérieur du stade même s’il est plutôt malaisé voire
impossible de déterminer l’ampleur de ce déplacement. Signalons toutefois que ce phénomène
peut s’expliquer par la volonté des individus en mal de sensations fortes d’éviter d’être
repérés ainsi que par la plus grande difficulté à mener les actions souhaitées dans un lieu
sécurisé comme le sont aujourd’hui le stade et ses alentours directs. A l’instar de Tsoukala,
nous pouvons donc affirmer que la mise en œuvre de la prévention contribue dans une
certaine mesure à l’aggravation du phénomène puisqu’elle entraîne un déplacement spatio-
temporel des violences ainsi que leur planification et leur radicalisation (Tsoukala, 1996).

La chute quantitative des incidents et la paix relative qui en résulte ne sont toutefois pas
attribuables au seul génie des concepteurs de politiques de sécurisation des lieux publics. Les
trublions des décennies 1980 et 1990, âge d’or du phénomène, prennent en effet de l’âge et
leur stabilisation professionnelle ou familiale semble jouer un rôle important dans la réduction
des incidents.

Parallèlement, les noyaux durs doivent faire face à un déficit de relève. Les plus jeunes se
tournent en effet plutôt vers le modèle ultra, en pleine expansion, que vers les groupes « à
l’anglaise ». La réduction de l’activité de ces derniers ne joue en outre pas en leur faveur. La
fréquence des incidents d’antan créait de la cohésion entre les membres du groupe. A
l’inverse, leur raréfaction a des conséquences sur le pouvoir d’attraction de noyaux durs
également davantage surveillés, donc plus méfiants et de ce fait moins ouverts aux nouveaux
arrivants.

Le phénomène prend donc de nouvelles formes avec l’apparition puis le développement d’un
supportérisme « ultra » jusqu’ici plus soucieux d’assurer la mise en spectacle euphorique de
son soutien que d’organiser des incidents violents avec ses adversaires. Cette mouvance ultra
ne s’implante toutefois réellement que dans la partie francophone, donc latine, du pays,
habitée de nombreuses personnes issues de l’immigration italienne. L’objectif des ultras,
désireux de « paraître » (Ehrenberg, 1986), est le plus souvent tourné vers l’animation du
stade avant et pendant la rencontre. Poussant le supportérisme à l’extrême, les ultras posent
actuellement moins des problèmes de violence que des soucis en termes de sécurité,
notamment en raison de l’utilisation d’engins pyrotechniques. Le passage à l’acte violent n’est
toutefois pas exclu mais sera davantage considéré comme un moyen que comme une fin.

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Hooligans classiques et supporters ultras cohabitent par conséquent à présent dans les stades
belges francophones, posant des problèmes variés et difficilement assimilables. Dans ce
contexte, il est intéressant de se pencher sur les rapports qu’entretiennent entre elles ces deux
philosophies du soutien ainsi que sur ceux qui se construisent ou se perpétuent entre
supporters et policiers.

Les services de police font en effet partie intégrante du paysage les soirs de match de football.
Acteur incontournable, il ne laisse pas indifférent les autres personnages partageant la scène
avec lui. Aujourd’hui, la tendance est à la baisse de mobilisation des effectifs policiers. Ces
derniers coûtent en effet chers et les décideurs politiques cherchent à réduire la charge pour le
contribuable. Ceci passe par un allègement de la présence policière en uniforme et à l’inverse
par un accroissement, mais non proportionnel, de la présence policière individualisée et de
proximité qui se concrétise sous la forme des « spotters ». « Ces policiers en civil
accompagnent le side durant les matches de compétition. Ils créent une interaction
personnalisée. Ils sont connus par l’ensemble du groupe et connaissent individuellement
chaque membre du noyau dur, la richesse du contact étant facilitée par leurs affinités avec le
domaine footballistique. Ils assurent une mission de renseignements et n’interviennent jamais
dans les actions de répression directe » (Comeron, 1992, 838). Comme nous allons le voir, ce
dernier point fait toutefois débat.

Au gré d’entretiens avec des supporters à risque, nous avons pu nous faire une idée de la
perception des policiers, en civil ou en tenue de maintien de l’ordre, par les différents
supporters.

Effet dissuasif et provocation

L’arsenal policier déployé les jours de match refroidit en partie bon nombre de fauteurs de
troubles potentiels. Son effet dissuasif est manifeste, non par crainte de recevoir un coup de
matraque mais par désir d’éviter des ennuis consécutifs à une éventuelle identification. La
conscience d’un rapport de forces déséquilibré incite en outre à la prudence. Les supporters
savent en effet qu’un affrontement avec les policiers se solde souvent par une défaite. Le
plaisir du jeu et le désir de limiter la participation à celui-ci aux individus consentants (les
groupes rivaux) rendent également les bagarres avec la police peu fréquentes. Faute de
partenaires de jeu, un baroud d’honneur contre les forces de l’ordre permettra toutefois
éventuellement de ne pas rentrer bredouille et d’avoir satisfait le besoin d’adrénaline que
connaissent les supporters à risque.

Il importe également de se poser la question de l’éventuel caractère déclencheur joué par la
présence des forces de l’ordre dans et hors du stade. « Pour légitime qu’elle soit, une telle
mobilisation doit être discutée par une sociologie dont la finalité est d’identifier les divers
déterminants qui concourent au développement des violences dans un stade. (…), il est
possible de se demander si (les policiers) n’influencent pas négativement les conduites des
supporters (…). Tout comme les particularités de l’univers carcéral attiseraient la solidarité
entre les détenus (cf. Foucault), le relatif coudoiement entre les forces de l’ordre et certains
supporters encouragerait l’organisation de ces derniers » (Nuytens, 2001, 131). Penchons-
nous par conséquent sur l’éventuel effet provocateur des services de police.

La police exerce-t-elle dans certains cas une influence négative sur les conduites des
supporters ? La question mérite d’être posée. L’heure est en tout cas à une présence réelle
mais voulue plus discrète, légèrement en retrait mais sur les lieux en un minimum de temps.

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La pratique ne rejoint toutefois pas toujours la théorie et les comités d’accueil musclés à la
descente des cars ne relèvent ni du fantasme ni de l’exagération.

Plus graves en revanche sont les accusations d’un grand nombre de supporters à risque selon
lesquelles les policiers provoquent sciemment ceux dont ils sont censés juguler les dérives.
Nous avons recueilli dans nos enquêtes de nombreux témoignages d’individus se plaignant
des provocations verbales (insultes), gestuelles (maniement ostensible de la matraque) et/ou
attitudinales (le fait d’être hautain, par exemple) dont ils seraient l’objet. Nombre de policiers
aimeraient également la bagarre et n’hésiteraient pas à tenter d’exciter les supporters au sang
chaud afin de se défouler. Cette pratique, lorsqu’elle est avérée, n’est par ailleurs pas sans
rappeler un élément des institutions totales (Goffman, 1968). Bénéficiant du monopole de la
violence légitime (voyez la controverse sur ce point entre Bittner et Brodeur), les policiers
seraient donc occasionnellement à l’origine de débordements qu’ils prendraient par la suite
plaisir à réprimer.

Nous sommes par ailleurs tentés de nous demander si les mesures préventives et répressives –
et spécialement l’intervention policière en cas de contact physique entre supporters – ne
constituent pas dans certains cas une condition de production de la violence. Sans la certitude
que les forces de l’ordre vont venir mettre fin aux affrontements, ce qui aura pour effet une
réduction du risque de blessure grave puisque la bagarre se verra avortée, de nombreux
combattants d’un soir ne se risqueraient de leurs propres aveux pas à se rencontrer. La police,
par son rôle indirect de protection des hooligans, notamment des plus faibles d’entre eux,
contribuerait ainsi à la réalité des violences. Cette hypothèse doit toutefois être tempérée au
regard de la mode actuelle qui veut que les affrontements soient de plus en plus souvent
organisés dans un cadre spatio-temporel déplacé, hors de tout contrôle. Le cas échéant, ceci
aura toutefois pour conséquence un durcissement et une certaine radicalisation des incidents
suite à l’écrémage qualitatif qui s’est produit dans les noyaux durs : ne se retrouveront que les
individus les plus déterminés.

La profession de « spotter » : la double contrainte en action ?

Les rapports entre supporters à risque et policiers en civil apparaît comme très différente de
celle entre ces mêmes supporters et les policiers en uniforme. Voulue différente, cette relation
nous a souvent été décrite par les personnes rencontrées de façon positive. Tantôt jugés
apaisants, tantôt considérés comme des éléments à part entière de la vie du groupe, les
spotters, par leur rôle privilégié de proximité, contribuent également à canaliser les dérives de
leurs supporters. Leur fonction demeure néanmoins assez trouble, notamment au vu des liens
qui se nouent parfois entre représentants de l’ordre et contrevenants.

L’appréciation de leur mission diverge en effet sensiblement d’une police à l’autre et la
politique mise en œuvre au niveau local s’en ressent. La façon de concevoir la fonction
semble en effet plutôt aléatoire, chaque spotter ayant une définition personnelle des missions
qui lui sont confiées. Pour certains, le spotter est là avant tout pour établir un rôle de
confiance censé prévenir d’éventuels débordements ; pour cela, toute attitude répressive est
écartée puisqu’un tel positionnement ne pourrait que mettre à mal la confiance établie et
reviendrait dès lors à se voir rejetés du groupe et privés d’informations. D’autres se placent
par contre davantage dans la lignée de la politique prônée par le Service Public Fédéral
Intérieur (nouvelle dénomination du Ministère de l’Intérieur). « La gestion des informations et
le fonctionnement des spotters (…) ne sont pas mis pleinement en œuvre partout. (…) Les
spotters sont et restent des policiers et doivent donc accomplir leurs missions en tant que

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telles. (…) Si l’on veut et ose investir dans une approche à long terme et si l’on veut et ose
verbaliser les personnes qu’il faut verbaliser, l’engagement policier lors de matches de
football aurait déjà pu être réduit de manière drastique. Certains ont déjà clairement prouvé
que c’est possible. Il est donc incompréhensible que certains policiers mettent tant d’énergie
dans la recherche d’échappatoires pour finalement ne pas contrer leurs propres supporters à
risques… De plus, il semble qu’une forme avancée d’estompement de la norme soit présente
chez certains. Nous devons d’urgence nous défaire de l’idée qu’un stade de football est un
endroit où tout est permis sous le prétexte d’exprimer des émotions ou frustrations. (…) Cette
manière de travailler nécessitera de la part de la plupart des services de police, mais aussi de
la part des fonctionnaires de police individuels, un changement complet des modes de pensée
actuels (…) » (Vanhecke, 2005). On le constate, le discours est sans ambages : certains
professionnels failliraient à leur mission de collecte de preuves. Les carences en la matière,
ainsi que celles concernant l’identification des fauteurs de troubles, conduiraient à une
politique de verbalisation insuffisante, renforçant dès lors le sentiment d’impunité des
supporters à risque.

Tout ceci renvoie selon nous à l’essence même de la fonction de spotter, plutôt mal vécue par
certains. Leur rôle est en effet pour le moins ambigu. « Il a un peu un rôle de faux cul »,
souligne même une des personnes concernées puisqu’il « doit sympathiser avec les supporters
mais va après aller raconter ce qu’il a vu ». La profession nous semble relever à certains
égards de la double contrainte. Cette notion (en anglais : « double bind »), centrale dans les
théories systémiques et mise en évidence dans les années 1950 par Bateson, met en lumière
un système d’injonctions dites paradoxales consistant en des ordres implicites ou explicites
intimés à quelqu’un qui ne peut satisfaire l’un sans violer l’autre. Les spotters ont en effet
pour objectif de récolter des preuves mais aussi d’obtenir des informations. Ils doivent pour
cela casser l’anonymat entre les supporters qu’ils sont supposés encadrer et eux. Leur
intégration au milieu est le plus souvent lente et progressive, elle nécessite plusieurs mois et la
confiance ne peut s’établir que lorsque le supporter a acquis la conviction que le spotter est
digne de respect. Différents moyens peuvent être mis en œuvre pour y parvenir, souvent par
l’intermédiaire de petits services rendus aux supporters afin de créer un climat positif (aide
dans des problèmes judiciaires, sociaux…). Le spotter a donc besoin d’un climat de
confiance. Il utilise beaucoup le dialogue mais est aussi là pour fixer des limites. C’est là
qu’interviennent les injonctions paradoxales. Ce qu’il nous semble pertinent d’évoquer ici est
que la confiance indispensable dont doit bénéficier le spotter auprès du groupe (sans laquelle
il ne recevra que difficilement des informations) ne peut que difficilement s’accommoder
d’une attitude répressive à outrance. S’il peut rappeler à l’ordre un supporter excité, on
conçoit mal qu’un spotter soit la première autorité sanctionnatrice des tribunes. Le rôle du
spotter ne consiste cependant pas en théorie à verbaliser lui-même les incidents constatés : son
rôle est censé se limiter à la collecte de preuves. Collecte de preuve mais recueil
d’informations venant des supporters à risques : l’équilibre est malaisé à trouver et, pour les
plus scrupuleux, pose véritablement problème. Sur ces bases, certains spotters peuvent, il est
vrai, parfois tomber dans ce que l’on pourrait appeler une dérive de compassion à l’égard des
supporters qu’ils sont censés surveiller, privilégiant les bons rapports humains aux plus
ingrates tâches de police. Mais la dérive tient-elle au manque de bon vouloir de quelques
individus ou à la nature pathogène d’une profession mal définie et mal vécue ? On le voit, le
rôle de spotter pose certaines questions dont certaines sont restées sans réponse ou ne font pas
suffisamment l’objet de discussions. La question du seuil de tolérance de ces policiers en civil
est également régulièrement à l’ordre du jour. En toute hypothèse, il importe de clarifier la
situation tant pour les spotters que pour les supporters. Il est en effet essentiel que les
individus jugés à risque sachent à quoi s’attendre. Les spotters sont évidemment connus de

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chacun des membres du noyau dur mais il convient de jouer cartes sur table. Tous savent que
les spotters demeurent policiers – et certains se méfient d’eux à ce titre – mais la plupart
reconnaissent toutefois le rôle positif de ces professionnels et se félicitent de l’aide ponctuelle
que les spotters leur fournissent.

Alliances inattendues ?

La relation entre hooligans et spotters semble n’être que peu comparable avec les rapports
qu’entretiennent les supporters ultras et les services de police. Au gré de nos entretiens, s’est
en effet petit à petit dessinée l’image selon laquelle les (spotters) policiers verraient chez les
hooligans des adversaires solides, coriaces mais également loyaux et respectables. Hooligans
comme policiers connaissent le rôle et les motivations de leurs opposants : contourner le
dispositif policier et affronter les hooligans adverses pour les premiers ; contrôler et gérer les
hooligans afin de mener à bien la mission de maintien de l’ordre public pour les seconds. Les
objectifs sont clairement antinomiques mais annoncés comme tels. La confrontation peut dès
lors se dérouler dès lors dans un climat de respect mutuel.

A côté des hooligans classiques, les ultras ne semblent en revanche pas bénéficier de la même
considération de la part des représentants de l’ordre. Nous estimons qu’il y a à cet égard un
réel décalage. Loin d’être considérés comme des adversaires durs mais loyaux, donc dignes de
respect, les ultras nous ont apparu dans le discours des policiers faire l’objet de peu de
considération. « Les ultras, eux, ils ne comprennent rien du tout », « Les ultras, je ne les
respecte pas », « Pour moi, ce sont plus des gamins de merde » : les allusions sont peu
équivoques. Si les supporters violents à l’anglaise sont plus calculateurs, ils sont aussi plus
prévisibles ; l’ultra, bercé d’images de stades méditerranéens incandescents, offre quant à lui
une image de romantique immature qui dérange.

Il est cependant tout aussi essentiel de préciser que si les policiers semblent moins
respectueux des ultras, la réciproque est vraie et sans doute plus intense. Différents jeunes
ultras n’hésitent pas à s’afficher ouvertement « anti-flic » et font circuler librement des
messages de ce style (notamment la mention ACAB : All Cops Are Bastard). Le mouvement
ultra, poussant la révolte adolescente à son paroxysme, rejette en effet les institutions de
contrôle social, porte haut la contestation de ces dernières, véhicule fièrement ses idées
libertaires (le droit d’allumer des fumigènes dans un stade, par exemple) et se montre peu
réceptif aux messages qui viendraient les mettre à mal. Le dialogue apparaît donc souvent
bouché et l’impasse représente trop régulièrement l’unique issue. S’il est assez simple
d’admettre que le libéralisme des ultras s’accommode mal des nécessités sécuritaires des
services de police, il importe ici de prendre conscience de cette situation de blocage. La
logique du cercle vicieux ne trouve-t-elle pas ici une occasion de s’exprimer, la police et les
ultras contribuant par leur attitude respective à rendre caduque toute possibilité de dialogue
constructif et à maintenir voire faire évoluer les ultras dans un processus déviant ? Ceci est en
réalité à situer dans la lignée directe des apprentissages transmis par Cohen il y a quarante ans
déjà : « The history of a deviant act is a history of an interaction process. The antecedents of
the act are an unfolding sequence of acts contributed by a set of actors. (…) One determinant
of ego’s response to alter’s attempts at control (…) is certainly the perceived legitimacy of
alter’s behaviour. Whether ego yields or resists, plays the part of the good loser or the abused
victim, takes his medicine or is driven to aggravated deviance, depends in part on whether
alter has the right to do what he does, whether the response is proportional to the offense,
and so on. Normative rules also regulate the deviant’s response to the intervention of control
agents. How the control agent responds to the deviant, after the first confrontation, depends

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on his perception of the legitimacy of the deviant’s response to him, and not only on the
nature of the original deviant act » (Cohen, 1965).

Le tableau ci-dessous offre un essai de synthèse quant à la représentation que se font les
policiers (dont les spotters) des supporters à risque. Cette manière de voir conditionne selon
nous le type d’intervention et le mode de gestion des conflits choisis. Ainsi, les conflits avec
les ultras pourtant en demande de médiation ne seront par exemple que rarement gérés de la
sorte.

      Tentative de modélisation de la représentation policière des hooligans et des ultras
                HOOLIGAN                                            ULTRA
             Le « vrai criminel »                             La « petite frappe »
               Le bon méchant                                Le mauvais méchant
               Respect mutuel                                   Mépris mutuel

Le respect mutuel dont il est question ici entre hooligans et membres des services de police ne
vaudra en revanche bien entendu pas lorsque des provocations comme citées supra verront le
jour. Le respect le plus fort apparaîtra en réalité entre spotters et hooligans.

Nous pensons néanmoins également pouvoir identifier des alliés pour les divers mouvements
ultras. Nous pensons en effet que ces derniers rencontrent un soutien du côté des journalistes
et des supporters classiques non fanatisés. Les médias, tout d’abord. Il n’est en effet pas rare
que la presse locale loue les tifos réalisés par les ultras à l’occasion des matches tandis qu’elle
stigmatise les débordements violents d’après match des hooligans. Ce traitement médiatique à
deux vitesses agace par ailleurs les hooligans, victimes d’une certaine jalousie vis-à-vis de
leurs compagnons de tribune. A côté des médias, nous pensons aussi pouvoir avancer l’idée
selon laquelle les ultras seraient mieux perçus des supporters classiques, séduits par la
dimension esthétique du spectacle offert à chaque match. Cet écho rencontré leur permet
d’éviter une situation d’isolement qui pourrait entraver leur développement. Enfin, les clubs
sont également très soucieux de ne pas se priver de ces dizaines de supporters qui encouragent
sans répit l’équipe et cèdent inlassablement aux sirènes d’un merchandising en plein essor.

Relations entre hooligans et ultras

Dans la plupart des clubs belges francophones, là où un supportérisme de type ultra a vu le
jour, il est par ailleurs intéressant d’examiner les relations entre les ultras et les supporters
considérés hooligans. Sans entrer dans le détail et dans les limites imposées par cet article,
nous pouvons affirmer que des rapports parfois tumultueux ont jusqu’ici pu être observés.
Conflit de générations entre des jeunes supporters qui jouent sur la visibilité et la
scénarisation de leur soutien et des plus anciens jouant davantage la carte de la discrétion en
tribunes pour mieux se révéler hors du stade, l’opposition entre ultras et hooligans ne suit pas
un long fleuve tranquille. Historiquement, ce sont les mouvements hooligans qui se trouvaient
les premiers dans les travées des stades où allaient les rejoindre quelques années plus tard les
premières associations de supporters ultras. Depuis, comme nous l’avons évoqué, les deux
tendances ont suivi un chemin inverse : les hooligans voient leurs effectifs se réduire pendant
que les groupes ultras grossissent chaque année. La tentation est donc grande pour les ultras
de s’arroger le leadership de la tribune au sein de laquelle les deux groupes cohabitent. Les
problèmes qui apparaissent interviennent dans ce contexte. De manière générale, les hooligans
désirent que les groupes ultras ne leur manquent pas de respect. Si ce dernier est présent, les
choses se passent bien. Les hooligans traitent néanmoins le plus souvent les ultras avec un peu

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de condescendance et certains espéreraient voir les seconds reprendre leur flambeau et
défendre leur étendard. Les ultras, malgré quelques accrochages ponctuels avec les hooligans,
demandent également parfois l’aide de ces derniers, essentiellement par besoin de protection
en cas de danger. Les interactions entre les uns et les autres sont donc réelles et les intérêts
peuvent à l’occasion se confondre ou se croiser. C’est précisément dans cette évolution de la
scène ultra, qui demeurera dans l’exubérance de bon aloi ou se radicalisera suivant des
procédés bien connus, que se situent la principale interrogation et le défi majeur des
prochaines années.

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Bittner, E. (2003). De la faculté d’user de la force comme fondement du rôle de la police, in
J.P. Brodeur, D. Monjardet (dir.), Connaître la police. Grands textes de la recherche
anglo-saxonne. Paris, IHESI, 47-62.
Brodeur, J.P. (1984). La police : mythes et réalités. Criminologie, Vol. XVII, n°1, 9-41.
Cohen, A. (1965). The Sociology of the Deviant Act : Anomie Theory and Beyond. American
Sociological Review, Vol. 30, n°1, February, 5-14.
Comeron, M. (1992). Sécurité et violence dans les stades de football. Revue de Droit Pénal et
de Criminologie, n°9-10, 829-850.
Ehrenberg, A. (1986). La rage de paraître. Autrement, n°80, 148-158.
Goffman, E. (1968). Asiles. Paris, Les Editions de Minuit, Coll. Le sens commun.
Nuytens, W. (2001). La violence des supporters autonomes de football : à la recherche de
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française.
Tsoukala, A. (1996). Vers une homogénéisation des stratégies policières en Europe ? Les
Cahiers de la Sécurité intérieure, n°26, 108-117.
Vanhecke, J. (2005). De la quantité à la qualité. Le Journal de la police et L’officier de
Police, n°9, novembre, 8-16.

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