Fortune's Faces: The Roman de la Rose and the Poetics of Contingency (review) - Johns Hopkins University

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Fortune's Faces: The Roman de la Rose and the Poetics of
   Contingency (review)

   Agathe Sultan

   MLN, Volume 119, Number 4, September 2004 (French Issue), pp. 892-896
   (Review)

   Published by Johns Hopkins University Press
   DOI: https://doi.org/10.1353/mln.2004.0136

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le théâtre lui-même qui se donne à voir, l’artificieuse merveille des machines
qui mobilise l’attention. Avec le cri final de Sganarelle—“Mes gages, mes
gages!”—, le burlesque et la bouffonnerie ont le dernier mot: dans ce
moment pourtant solennel, la comédie refuse de céder le pas à la morale”
(306). Speaking of the original, moralistic Don Juan—Tirso de Molina’s, from
1630—Jeanneret concludes that it was “une matière facile à dévoyer. La
coïncidence est frappante: la légende prend corps à l’époque même où le
discours érotique, en France, adopte une tournure polémique. . . . Au
durcissement des interdits répond la montée d’un rêve compensatoire. Ce
rêve, la littérature est là pour lui donner forme” (308).
   Éros rebelle is a genuine achievement. While not every aperçu or reading or
contextualization glitters with surprise or originality, the ensemble is impressive.
Jeanneret tells the story of the attempts to close the seventeenth-century
mind, and of the sometimes heroic resistance to that repression, with an
energy and elegance that make for near-romanesque appeal.
The Johns Hopkins University                                     WALTER STEPHENS

Daniel Heller-Roazen. Fortune’s Faces. The Roman de la Rose
and the Poetics of Contingency.
  Baltimore and London : The Johns Hopkins University Press, 2003.
  206 pages.

Fruit d’une thèse de doctorat consacrée au Roman de la Rose de Guillaume de
Lorris et Jean de Meun, le livre que donne Daniel Heller-Roazen vient
s’ajouter au nombre déjà important de ses articles et traductions ; la diversité
de ces travaux témoigne de la curiosité intellectuelle de leur auteur, dont les
intérêts vont aussi bien à la philosophie qu’à la littérature comparée. Dans le
domaine des lettres médiévales, il fallait non seulement de l’audace, mais
encore de l’érudition pour se prononcer, à la suite de tant d’éminents
romanistes, sur ce que l’on peut appeler le chef-d’œuvre de la littérature
européenne du Moyen Age.
   Copié, glosé et remanié dans un grand nombre de manuscrits, traduit dans
plusieurs langues vernaculaires, le Roman de la Rose se situe au centre des
écritures médiévales. Depuis la fin du XIIIe siècle jusqu’aux premières
impressions de la Renaissance, en passant par sa mise en prose sous la plume
de Jean Molinet, il n’a cessé d’être lu. Son rôle déterminant dans la naissance
de la critique littéraire se mesure à la virulence des débats qu’il a suscités,
parmi lesquels la fameuse querelle. Même si le ton des critiques actuels n’est
plus celui de Christine de Pisan et des frères Col, le foisonnement des travaux
que le Roman inspire aujourd’hui encore est remarquable : livres et conféren-
ces se succèdent, sans parvenir, semble-t-il, à épuiser la richesse de leur objet.
Celle-ci tient moins aux dimensions de l’œuvre (plus de quatre mille
octosyllabes pour la partie attribuée à Guillaume de Lorris, et près de dix-huit
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mille pour celle de Jean de Meun) ou à l’extraordinaire densité de son
écriture (que la diversité de ses motifs a fait qualifier d’encyclopédique) qu’à
la subtilité de sa forme. C’est que le Roman de la Rose pose une énigme sans
cesse renouvelée, laquelle n’est autre que celle de ses propres conditions
d’existence. Commencé par Guillaume, continué par Jean, le texte s’offre à
ses lecteurs comme une œuvre à la fois une et double, dans une construction
paradoxale.
   Que le roman soit marqué par une telle bipartition (d’ailleurs soulignée
par la mise en page de certains manuscrits) n’a pas échappé à ses premiers
commentateurs modernes. Mais ceux-ci, de Paulin Paris à C. S. Lewis, n’y ont
vu qu’un défaut de cohérence, aggravé par le désordre de la partie de Jean de
Meun. Si les écrits de Roger Dragonetti, au terme d’un revirement complet
de la critique, insistent au contraire sur l’unité de l’œuvre – au point de
postuler l’existence d’un seul et unique auteur –, peu d’ouvrages ont depuis
lors abordé le texte dans son ensemble. Sans chercher à résoudre l’ambiguïté
de sa construction, Daniel Heller-Roazen définit, quant à lui, le Roman de la
Rose comme un texte « complètement incomplet » (7), car placé, dans son
écriture même, sous le signe de la contingence.
   L’objet de Fortune’s Faces consiste ainsi à mettre au jour ce qui, à chaque
niveau de la construction du roman, témoigne de sa capacité à différer de lui-
même (« its own capacity to be different from itself », 10). La démarche
adoptée par l’auteur, sans viser à l’exhaustivité, se donne pour but d’éclairer
l’ensemble de l’œuvre grâce à l’analyse de certains points considérés comme
emblématiques au regard de la question posée. Structures de l’énonciation,
figures de rhétorique, développements thématiques se révèlent appartenir à
la même problématique de la contingence ; cessant d’être perçue comme un
phénomène extérieur à l’œuvre, celle-ci se dévoile et acquiert le statut positif
d’une véritable matière, essentielle à la compréhension de la poétique du
Roman de la Rose.
   Mais qu’est-ce que la contingence, et que nous dit-elle de l’œuvre litté-
raire ? La première partie de Fortune’s Faces, intitulée « Inventio Linguae : The
Language of Contingency », précise et développe les enjeux de cette notion
philosophique dans la pensée médiévale. Dès le Peri Hermeneias d’Aristote, la
contingence (tÚ §ndexÒmenon) apparaît étroitement liée à la théorie du
langage. Les énoncés se rapportant à des événements contingents outrepas-
sent le fonctionnement canonique de la parole, définie comme l’expres-
sion, vraie ou fausse, des choses existantes. Si la transmission par Boèce du De
Interpretatione occasionne une radicalisation de la pensée aristotélicienne – le
mot de contingentia permettant de condenser la notion de potentialité
(dÊnamia) et celle d’événement, d’« avoir-lieu » (sumba¤nein) –, le problème
de la contingence reste d’ordre linguistique. Conforme à son objet, lequel est
instable et muable, le langage de la contingence « tend également vers la
vérité et vers le mensonge » : comme tel, il est irréductiblement indéfini.
Pour Abélard, cette indéfinition est une indétermination (indeterminatum) de
la parole. Au paradoxe de la necessitas sub disjunctione – en vertu duquel les
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possibles « existent sur le mode de la non-existence, et n’existent pas sur le
mode de l’existence » (23) – répond une formulation spécifique, celle du
syncatégorème « ou », opérateur logique de la contingence. A ce point, l’on
comprend que le problème du langage de la contingence, délaissé par la
théologie, puisse devenir l’affaire des poètes : située au seuil du langage, la
parole contingente ressortit à la rhétorique. Cependant, peut-on encore
parler d’un langage ? Etrangers à la grammaire telle que l’entend Dante, les
idiomes vulgaires illustrent une nouvelle fonction de la langue ; délivrée de la
tâche de signifier, la poésie se donne comme « un vers de dreit nien » en tant
qu’elle invente un langage autre, voire peut-être quelque chose d’autre
qu’un langage, « something other than any language at all » (28).
   La deuxième partie (« The Nameless Lover, or The Contingent Subject »)
met en pleine lumière les questions qu’implique l’énonciation complexe du
Roman de la Rose. Parler de « subjectivité » serait anachronique, dans la
mesure où les grammairiens médiévaux reconnaissent dans le pronom je un
pur embrayeur du discours, qui ne détermine aucune propriété. De fait, dans
le récit de Guillaume de Lorris et Jean de Meun, le je représente le masque
(persona) d’au moins deux voix poétiques distinctes – duplicité référentielle
qui dissimule cependant d’autres fractures. Comme le montre Daniel Heller-
Roazen avec une remarquable finesse, les premiers vers du roman mettent en
œuvre un double dédoublement : à travers une subtile construction tempo-
relle, le sujet de l’énonciation se distingue aussi bien du sujet de l’énoncé
que de l’acteur du rêve ; dès son prologue, le récit se présente comme
« l’anamnèse d’une prolepse » (« an anamnesis of a prolepsis », 44). Ainsi la
diffraction du sujet poétique se révèle-t-elle moins autobiographique qu’allé-
gorique au sens propre du terme, puisqu’elle ne peut être séparée du
mouvement par lequel l’œuvre se dévoile en tant que songe ; de même que
le poème, simultanément texte et glose, est à lui-même sa propre senefiance,
de même le je du poème « reveals itself to the very degree that it shows itself
to be other than itself » (45). Dans la seconde partie de l’œuvre, cette
structure de dédoublement devient le signe d’une perte, comme le prouve la
scène centrale de la nomination des auteurs. Ce passage, selon Daniel Heller-
Roazen, « stages a double movement in which identification and the loss of
identity, the ascription of names and their withholding, cannot be told apart,
a movement in which the constitution of the poetic subject provokes his
simultaneous deconstitution as such ». Le pronom de la première personne
du singulier constitue ainsi ce par quoi l’énonciateur du poème articule une
infinie non-coïncidence avec lui-même (53). En ce sens, le Roman de la Rose
s’inscrit, tout en l’approfondissant, dans la tradition lyrique du trobar :
Amour, qui l’expose à la mort, rend le sujet lyrique capable d’être autre que
lui-même, ou de ne pas être. Le véritable sujet du Roman de la Rose se trouve
être son langage, en tant qu’il est contingent : l’indistinction entre identité et
altérité qui caractérise le sujet poétique renvoie à la forme paradoxale du
texte, dont la propre destruction marque aussi son accomplissement.
   Cette incessante altération se lit de manière exemplaire dans la figure de
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Fortune, à laquelle est entièrement consacrée la troisième partie de l’ouvrage
(« Fortune, or The Contingent Figure »). Le paradoxe de la Fortune médié-
vale tient à ce qu’elle opère la synthèse de la Fors Fortuna romaine et de la
tÊxh grecque. Ainsi les fruits portés par Fortune, instables et muables, se
dérobent-ils à toute appropriation : « when she offers, she truly takes, and
when she takes, inversely, she ultimately gives » (70). Inscrit dans la figure
d’un chiasme, ce double mouvement se résout chez Jean de Meun en un seul
mouvement circulaire, par lequel la roue de Fortune devient l’emblème
littéral du paradoxe de la contingence tel que l’avait exposé Abélard. Les
biens de Fortune sont forains, étrangers à ceux de Raison ; la philosophie
scolastique assimile d’ailleurs le concept de fortune à une cause sans
fondement (« sine ratione »). L’on reconnaît là une explicitation des termes
d’Aristote, qui assignait à la fortune un statut singulier dans l’ordre des
causes. « As what occurs by accident », écrit Daniel Heller-Roazen, « Fortune
is what exists not as itself but as another ; it is what takes place, distinguishing
itself from itself, simultaneously as itself and as ‘something different’. Insofar
as it ‘is’ at all, fortune is thus different from itself ; its esse per se, paradoxically,
is an esse per accidens, since for it to be seipsum is for it to be in quantum
alterum » (84). Il devient alors possible d’appréhender la place particulière
dévolue à Fortune dans le Roman de la Rose. Entité sans voix, présente sur le
seul mode de la prosopopée, celle-ci apparaît toujours dédoublée. Sa
perpétuelle métamorphose exhibe le mécanisme même de la personnification
allégorique, mettant au jour les opérations les plus fondamentales du
langage figuré. Le monde inversé de Fortune est en effet celui dans lequel
l’impossibilité de la représentation donne lieu à la possibilité du langage
littéraire lui-même. C’est parce que Fortune n’existe pas, parce que, « pur
défaut » d’être, elle n’offre pas de prise à Raison, qu’elle peut donner à voir
l’irréductible contingence du langage. « The figure of Fortune is a properly
poetic one […] because it constitutes a figure for nothing and for no one ; its
significance lies in the fact that it carries the very structure of figural
personification to its limits, at which, in a simultaneous formation and
deformation, there emerges a ‘void’ that exists in language alone » (97).
   Cette exploration des différents aspects de la contingence se clôt, dans la
quatrième partie (« Through the Looking-Glass : The Knowledge of
Contingency »), avec l’analyse détaillée d’un passage crucial du roman. Car si
la contingence est repérable sous plusieurs formes dans l’œuvre, elle se
trouve explicitement thématisée à l’endroit où Nature, dans sa « confes-
sion », aborde le problème de la connaissance divine des futurs contingents.
Loin de se réduire à un simple emprunt au De Consolatione de Boèce, le
traitement de cette quaestio scolastique acquiert une nouvelle dimension dans
le Roman de la Rose ; en effet, à travers une réflexion métaphysique sur le
statut de ce qui peut être ou ne pas être, c’est en définitive sur sa propre
contingence que le texte s’interroge. Conjoignant philosophie et philologie,
Daniel Heller-Roazen retrace les développements médiévaux de la quaestio de
futuris contingentibus, ce qui lui permet d’éclaircir les subtilités de la discussion
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menée par Nature. Désormais spécifiquement théologique, le problème –
qui demeure très controversé tout au long du XIIIe siècle – consiste en la
double impossibilité par laquelle prescience divine et libre arbitre semblent
s’exclure mutuellement. Comment penser leur simultanéité ? Dans le Roman
de la Rose, le débat prend la forme d’une réfutation méthodique de deux
séries d’arguments, avant d’aboutir à une résolution, selon laquelle la
contingence est l’objet d’une double appréhension : l’introduction du
concept d’éternité permet de saisir l’articulation entre intellect divin et
connaissance humaine. Mais à ce point du texte, la présence de la métaphore
du « mirouer pardurable » ne peut être interprétée que comme une curieuse
transposition de la question vers le terrain de la poétique, et comme l’indice
d’une auto-référentialité. « For, as the crucial instrument that allows for the
simultaneous identity and difference of contingency and necessity, the
‘eternal mirror’ is the perfect figure for the work that incessantly maintains
itself in its capacity to be otherwise but which, once produced, must
nevertheless be as it is, determined by the implacable, irrevocable ‘retrospective
necessity’ (necessitez en regart) of its actual form » (130).
   Que le Roman de la Rose ne soit pleinement compréhensible qu’au prix
d’une connaissance approfondie de ses enjeux philosophiques avait été,
avant la parution du livre de Daniel Heller-Roazen, une évidence maintes fois
rappelée. Très rares sont pourtant les ouvrages ayant atteint une telle
intelligence des textes, aussi bien poétiques que philosophiques. La familia-
rité de l’auteur avec les langues anciennes lui permet des citations de
première main, dont les commentaires montrent une parfaite maîtrise des
termes techniques, ainsi qu’une sensibilité littéraire hors du commun. En
philologue accompli, Daniel Heller-Roazen demeure attentif à ce qui, dans la
philosophie, est irréductible aux idées – c’est-à-dire à son langage. Tel est
bien le sens du va-et-vient entre les sources théoriques et le Roman de la Rose,
par lequel ce livre démontre avec brio combien un problème philosophique,
toujours déjà inscrit dans la lettre d’un texte, ne peut que différer de lui-
même.
   A la lecture d’un ouvrage aussi marquant que Fortune’s Faces, force est donc
de constater qu’avoir réinterprété le Roman de la Rose ne constitue que le
moindre de ses mérites. Si cette étude extrêmement précise ne perd jamais
de vue son objectif, sa précision est pourtant ce qui permet à Fortune’s Faces de
contenir plus – ou autre chose – que ce qui s’y trouve. Car ce n’est pas
seulement le roman de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun qui peut être
saisi sous l’aspect de la contingence, mais encore la poésie, voire le langage.
Fidèle à son objet, à la manière d’un « biau mirouer poli », le livre de Daniel
Heller-Roazen fait apparaître les potentialités de la littérature. Ainsi nous est-
il donné de lire un ouvrage exemplaire, s’il est vrai que, selon l’expression de
Giorgio Agamben dans Stanze (trad. Y. Hersant, [Paris : Rivages, 1994] 9), « la
quête critique consiste, non point à retrouver son objet, mais à assurer les
conditions de son inaccessibilité ».
Université de Paris IV–Sorbonne                                   AGATHE SULTAN
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