François Bizet, " Le Bunraku un théâtre sans acteurs " acteurs. " - Université de ...
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Demi-journée Japon, 16 mars 2018 Compte-rendu de la conférence n°2: François Bizet, « Le Bunraku un théâtre sans acteurs » acteurs. » Image 1 : Stéphane Hirshi, Michael Ferrier, Bénédicte Gorrillot, François Bizet© Mallaury Mangin & Sasha Picry Lors de l’après-midi Japon organisée par Bénédicte Gorrillot, Maître de conférences en poésie latine et littérature française contemporaine, à la Faculté de Lettres Langues, Arts et Sciences Humaines (FLLASH) de l’université de Valenciennes, le 16 mars 2018 de 15h à 18h, les étudiants de lettres, de Langues, de CAM et d’Histoire, ainsi que Stéphane Hirshi, le Doyen de la FLLASH, plusieurs professeurs de cette Faculté et divers amateurs ont eu la chance d’assister à deux conférences : la première portait sur l’art au temps de Fukushima. Elle nous a été donnée par Michael Ferrier, Professeur de l’université Chuo de Tokyo. Ensuite, son collègue François Bizet, de l’université de Tokyo (campus de Komaba), a pris le relais, nous faisant découvrir le Bunraku, ce fameux « théâtre sans acteur ». C’est donc face à un amphithéâtre comble, même un vendredi après-midi (!), que nos conférenciers se sont lancés dans leurs démonstrations respectives. 1
Image 2: François Bizet, université de Tokyo, à l’université de Valenciennes© Mallaury Mangin & Sasha Picry Avant de laisser la parole au deuxième conférencier, Jordan Gravet, étudiant de Licence 3 de Lettres, l’a présenté au public, dans une petite introduction. François Bizet est actuellement Maître de conférences de langue et littérature françaises à l’université de Tokyo. Mais il a enseigné au Japon, dans plusieurs autres universités, depuis 2004. Avant cela, il a été libraire à Paris puis a enseigné dans diverses universités de Turquie. Il est l’auteur d’Une Communication sans échange : Georges Bataille critique de Jean Genet (2007), de Tozaï !… Corps et cris des marionnettes d’Osaka (2013), et de plusieurs articles, sur Pétrarque, Perec, Guyotat et Volodine notamment. François Bizet est également un collaborateur des revues Fusées, Le Nouveau Commerce et La Revue littéraire. Depuis dix ans, Monsieur Bizet étudie l’art du Bunraku, un genre théâtral spécifique du Japon qui met en scène des marionnettes, un conteur et un musicien, dont il est un théoricien mais aussi un praticien. C’est donc de cette étude et de cette pratique dont il nous a fait bénéficier, lors de sa conférence : « Le Bunraku un Théâtre sans acteur ». 2
Avant de développer son propos, François Bizet a tenu à réaliser lui-même une performance a capella (sans musiciens), d’un rôle de Tayu, afin de faire découvrir de façon vivante ce qu’est le Bunraku, un genre inconnu pour la plupart des spectateurs. Il faut savoir que cet exercice exige un temps de préparation assez long, tant il est éprouvant vocalement. D’ailleurs notre conférencier a dû se chauffer la voix une trentaine de minutes avant la représentation. Il a alors reconstitué avec les moyens du bord une petite scène, a pris place sur une table, assis sur une pile de documents, afin d’être surélevé pour la portée de sa voix et pour retrouver la posture japonaise traditionnelle, puis il a commencé le spectacle. Images 3 et 4: François Bizet, dans sa performance de Tayu © Mallaury Mangin & Sasha Picry Ce qui a suivi était très impressionnant : l’artiste jouait le texte japonais qu’il avait sous les yeux en faisant des effets de voix contradictoires, à la fois très graves et aigus. Le silence solennel qui régnait dans la salle a permis à chacun de ressentir les émotions transmises par notre conteur du jour malgré la barrière de la langue. Effectivement, nous étions tous très attentifs et décontenancés par ce spectacle auquel nous ne sommes pas habitués et auquel nous ne nous attendons pas, quand il est question de théâtre, étant ici aux antipodes de notre culture théâtrale européenne aristotélicienne. Après cette surprenante performance vocale, François Bizet a dû prendre quelques instants pour reprendre son souffle ; il a ainsi profité de ce temps, pour nous montrer la capture filmée d’un extrait d’une des pièces de la célèbre Ariane Mnouchkine, intitulée Tambours sur la digue (1999). Cela lui a servi d’introduction à son propos : l’extrait nous montrait la scène où des marionnettes « jouaient », manipulées par des marionnettistes tandis que les « vrais » acteurs leur prêtaient leurs voix depuis le bas de la scène, selon le principe du doublage au cinéma. 3
Image 5 : Ariane Mnouchkine, Tambours sur la digue, capture photo par Sasha Picry et Mallaury Mangin François Bizet nous a alors expliqué que, à l’origine, les acteurs disaient le texte sur scène mais que, lors du passage au film, tout a dû être repensé afin d’accentuer le côté « marionnette ». Mnouchkine a donc produit un spectacle inspiré du Bunraku. Ensuite, notre conférencier nous a montré un second extrait filmé, mais cette fois d’une véritable pièce de Bunraku: La Légende des 47 Ronin. C’est à travers cette dernière que Monsieur Bizet a pu nous expliquer plus précisément en quoi ce type de spectacle consistait. Le Bunraku est un genre théâtral japonais, toujours existant, qui met en scène d’une part, les marionnettes et leurs marionnettistes sur scène, et d’autre part, sur un autre plan, le conteur : le Tayu, accroupi sur un tabouret et accompagné d’un musicien qui joue du shamizen, un instrument à cordes ressemblant à une mandoline. Le spectateur est donc face à deux scènes distinctes, mais simultanées dans le temps. Ainsi, l’espace est duel : sur la gauche, une représentation muette, où se joue l’articulation dynamique des corps grâce aux marionnettes, et sur la droite, une performance musicale où se joue l’articulation des sons, de façon quasi immobile, avec le musicien et le conteur. La parole émise par le Tayu a pour but de « toucher » la marionnette et de la faire agir ; la voix ne sort pas du personnage mais elle est projetée sur celui-ci. Ce théâtre à double foyer sert la théâtralité. Même si nous nous concentrons sur l’action, le dédoublement de la scène permet de garder les musiciens dans un coin de notre champ de vision à droite et de ne pas céder à l’illusion réaliste du drame joué à gauche. La visibilité des marionnettistes derrière les marionnettes interdit aussi cette illusion : on voit toujours ce qui manipule les figures de la fiction et que toute fiction est fabrication par l’homme. 4
Plus tard, lors de la conférence, Monsieur Bizet a abordé une autre spécificité du Bunraku qui a à nouveau perturbé notre esprit et notre vision occidentale : les entrées et sorties des artistes. Si nous voyons clairement les marionnettes et leurs manipulateurs entrer en scène au début de la pièce, le conteur et le musicien, eux, apparaissent de façon tout à fait singulière : ils surgissent, littéralement. Le duo est placé sur une plateforme tournante, ils s’installent dans les coulisses, à l’abri des regards et c’est un technicien qui les fait brutalement passer sous la lumière des projecteurs. Au cours de la pièce, il y aura ainsi quatre à cinq changements de conteur et musicien. L’artifice est à nouveau souligné : tout est de la main de l’homme, guidé par elle et éphémère. Le plus étonnant, dans tout cela, est qu’aucun « couple » ne reviendra pour saluer son public. Image 10: François Bizet expliquant la machinerie des musiciens © Mallaury Mangin & Sasha Picry Après avoir exposé ces caractéristiques propres au théâtre japonais et surtout, au Bunraku, François Bizet nous a proposé une réflexion sur ses différences avec le théâtre occidental. En effet, quand notre conférencier a assisté à une pièce de Bunraku pour la première fois, son esprit français en est ressorti bouleversé. Étant habitués à l’unicité des rôles du théâtre européen, nous n’avons jamais envisagé une telle forme d’incarnation, qui passe par un dédoublement (marionnette, marionnettiste) voire une triplication (marionnette, marionnettiste, Tayu et même Tayus successifs) : le Bunraku remet donc en question l’unité glorieuse du théâtre, héritée de nos ancêtres latins et grecs. En effet, dans notre culture occidentale, les pièces sont le plus souvent jouées par des acteurs qui interprètent un rôle chacun. De plus, la distribution se fait selon des critères de sexe, d’âge, … Cette conception du spectacle vivant nous vient de la théorie d’Aristote : « La tragédie est l'imitation (mimêsis) d'une action (…) imitation qui est faite par des personnages en action et non au moyen d'un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation (catharsis) propre à pareilles émotions. ». Comme nous pouvons le voir, cette vision antique est toujours d’actualité aujourd’hui ; il ne viendrait à l’esprit d’aucun dramaturge (du moins jusqu’au milieu du XXe siècle) de séparer l’action de la voix. Selon Diderot, au XVIIIe, si on touche à cette règle, c’est le dogme du théâtre qui s’écroule. Toutefois, cette réflexion est typique de l’Occident, puisque, en Orient, le Bunraku est un mode théâtral alternatif qui va au rebours de ces règles. Dans le Bunraku, personne ne joue (ne représente un autre): ni les marionnettes, ni les marionnettistes, ni le musicien, ni le conteur. Pourtant, c’est bien du théâtre. En réalité, l’art du Bunraku est que tout joue (exerce une action). Ce genre théâtral japonais nous semble, à nous Européens, très moderne (même s’il est très traditionnel là-bas) de par l’élargissement de l’espace scénique et sonore : car avec le Bunraku, on ne met plus l’accent sur le signifié mais sur le signifiant ; ainsi l’histoire, le récit n’entrave pas la liberté d’expression. 6
Malgré l’heure tardive (plus de 18h) les questions ont été nombreuses auxquelles François Bizet a répondu avec beaucoup de générosité et de précision. Le public a notamment mieux compris en quoi le théâtre japonais non mimétique, du dédoublement cultivé, avait pu influencer profondément Paul Claudel ou Antonin Artaud, et un certain théâtre français extrême contemporain qui joue au maximum sur la séparation de la voix, du corps et du rôle. Image 11: Michael Ferrier, François Bizet, Mallaury Mangin & Sasha Picry © Mallaury Mangin & Sasha Picry Compte-rendu et photos de Mallaury Mangin et Sasha Picry, Licence 2, Lettres-Arts-Humanités. 7
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