Gorilla Journal Journal de Berggorilla & Regenwald Direkthilfe

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Gorilla Journal Journal de Berggorilla & Regenwald Direkthilfe
Gorilla
                      Journal
Journal de Berggorilla & Regenwald Direkthilfe
No. 50, juin 2015

Le statut des        Pillages des         Une initiative de     Utilisation de
gorilles de Grauer   cultures par les     conser­va­tion dans   pièges vidéos
dans la forêt        gorilles de Bwindi   la forêt d’Ebo        pour des évalua­
d’Usala                                                         tions
BERGGORILLA & REGENWALD DIREKTHILFE

Table des matières                          Auteurs                                      l’Ebo Forest Research Project.
                                                                                             Dr. Bethan Morgan est chef du pro-
R. D. Congo                            3        Ekwoge Enang Abwe est Direc-             gramme d’Afrique Centrale de la So-
Les gorilles du Mont Tshiaberimu       3    teur de l’Ebo Forest Research Project        ciété Zoologique de San Diego, Centre
Le statut des gorilles de Grauer            au Cameroun. Il s’investit depuis 2005       pour la Reproduction des Espèces en
dans la forêt d’Usala                  5    dans la conservation des gorilles et se      Danger (CRES), Programme Interna-
Pistage des gorilles de Grauer au           consacre depuis 2008 au suivi et à la        tional de terrain au Cameroun.
Nord Kivu                              7    collecte de données écologiques sur              Urbain Ngobobo est Directeur du
Histoire de la clôture forestière de        les gorilles d’Ebo.                          DFGFI au Congo depuis 2011. Il est
GRACE                                   9       Escobar Binyinyi travaille depuis        chargé du développement et des ac-
Ouganda                                11   2004 au DFGFI. Il en est maintenant          tivités dans Nkuba-Biruwe et Kahuzi-
Pillages des cultures par les               le Responsable du Programme de Re-           Biega.
gorilles de Bwindi                     11   cherche et de Conservation. Il super-            Stuart Nixon se consacre depuis
Gorilles                               13   vise les activités de la station du Fund’s   1999 à la conservation des grands
Une initiative de conser­va­tion            de Nkuba-Biruwe.                             singes. Il a travaillé depuis 2003 pour
dans la forêt d’Ebo                    13       Prof. Christophe Boesch est direc-       plusieurs ONG dans l’est de la RDC.
Utilisation de pièges vidéos pour           teur de l’institut Max Planck d’Anthro-      Depuis 2014 il est Coordinateur des
des évaluations multi-espèces au            pologie Evolutive (MPI) à Leipzig, Alle-     Programmes sur le terrain du Zoo de
Gabon                                  16   magne, et président de la Wild Chim-         Chester (Royaume-Uni).
Nouveau plan de conservation du             panzee Foundation.                               Luisa Rabanal s’est maintenant
gorille de plaine de l’ouest           19       Dr. Damien Caillaud est assistant        réorientée pour exercer occasionnel-
                                            de recherche au Dian Fossey Gorilla          lement une activité de thérapeute et
                                            Fund’s International (DFGFI) et Direc-       fait partie de l’équipe de chercheurs de
Gorilla Journal 50, juin 2015               teur du Projet de Recherche du DFGFI         l’Université de Salford.
 Editeur : Angela Meder                     sur les Gorilles de Grauer.                      Dr. Martha Robbins est assistante
 Augustenstr. 122, 70197 Stuttgart,             Dr. Josephine Head est biologiste        de recherche au MPI. Elle étudie l’éco-
­Allemagne                                  de conservation. Elle s’intéresse par-       logie comportementale des gorilles
 Fax : +49-711-6159919                      ticulièrement aux facteurs influençant       depuis 1990.
 E-mail : meder@berggorilla.org             le commerce de viande de brousse en              Luitzen Santman est Directeur de
 Traduction : Yves Boutelant, Jean-         Afrique et veut favoriser un change-         GRACE et travaille au site de Kasugho
 Pascal Guéry, Florence Perroux             ment réel de comportement dans la            depuis 2011. Il supervise le programme
 Réalisation : Angela Meder                 consommation de primates.                    de réhabilitation des gorilles et met en
 Couverture : Membres du CAG après              Chrysthome Kaghoma est cher-             place des structures de conservation
 la marche du 20 mai. Photo: ZSSD/          cheur sur le terrain terrain pour le         par les communautés dans la région.
 Abwe Abwe                                  compte de Faune et FFI en République             Nicole Seiler prépare un docto-
                                            Démocratique du Congo.                       rat à l’Institut Max Planck d’Anthro-
Addresse de l’organisation :                    Dr. Sonya Kahlenberg est Direc-          pologie Evolutiveau MPI et effectue
Berggorilla & Regenwald Direkthilfe         trice Générale du Centre de Réhabilita-      des recherches sur la manière dont
c/o Rolf Brunner                            tion et de Formation à la Conservation       les facteurs écologiques et sociaux
Lerchenstr. 5                               (GRACE). Elle est également biolo-           influencent l’utilisation de l’espace et
45473 Muelheim, Allemagne                   giste anthropologue et a étudié le com-      l’habitat chez les gorilles de montagne
E-mail : brunner@berggorilla.org            portement des chimpanzés sauvages            de Bwindi.
Site web:                                   en Ouganda.                                      Magloire Vyalengerera est cher-
http://www.berggorilla.org                      Dr. Hjalmar Kuehl travaille pour le      cheur sur le terrain pour le compte de
                                            MPI et il est chef de projet de la base      FFI en RDC.
Relation bancaire :                         de données A.P.E.S.                              Claude Sikubwabo Kiyengo a tra-
IBAN DE06 3625 0000 0353 3443 15                Loïc Makaga est le responsable sur       vaillé avec l’ICCN à Goma et de 2000 à
BIC SPMHDE3E                                le terrain du Loango Ape Project au          2005 pour l’UICN. De 2006 à 2007 il a
Suisse :                                    Gabon.                                       été chef conservateur du Parc National
IBAN CH90 0900 0000 4046 1685 7                 Daniel M. Mfossa est le coordina-        des Virungas, secteur centre. Il a été
BIC POFICHBEXXX                             teur du Club des Amis des Gorilles de        notre assistant à partir de 2008.

2 Gorilla Journal 50, juin 2015
R. D. CONGO

Les gorilles du Mont                            Les appuis de Berggorilla sont sur-            Une partie de ces boisements, no-
                                             tout décidés en fonction des demandes          tamment à Vuswagha, Ngitse, Burusi,
Tshiaberimu : quel espoir                    de responsables de sites et couvrent,          Kitolu et Kyondo Mowa, ne sera pas
pour leur survie?                            totalement ou partiellement, des ac-           exploitée, car les arbres sont utilisés
                                             tions ciblées. Ces actions peuvent être        comme support aux plantes de mara-
Des soutiens multiples qui risquent          permanentes ou temporaires : perma-            cuja. Quatre germoirs d’une capacité
d’être interrompus                           nentes avec la fourniture d’équipement         de 10 000 plants chacun ont été im-
Dans nos articles précédents, nous           et de matériel de terrain, temporaires         plantés dans les quatre derniers vil-
avons décrit les efforts significatifs en-   dans ce cas de l’octroi de primes au           lages ci-dessus grâce aux fonds de
trepris sur le terrain par la Berggorilla    personnel engagé temporairement                Berggorilla et ont fonctionné deux fois
& Regenwald Direkthilfe en faveur de         pour des actions sur le terrain (pis-          (deux saisons). Ces 80 000 plants
la conservation des gorilles et de leur      teurs) ou par la distribution de rations       vont permettre la préservation (la non-
habitat au Mont Tshiaberimu et dans la       de brousse. C’est ainsi qu’au Mont             coupe) d’environ 80 à 100 hectares de
réserve de Sarambwe. Ces efforts por-        Tshiaberimu, les gardes ont bénéficié          plantation et procureront aux ménages
taient sur le soutien aux populations        d’une amélioration de leur équipement          bénéficiaires une augmentation de leur
riveraines de ces deux zones proté-          de brousse (bottes, imperméables, ja-          revenu. Plus de 200 personnes sont
gées. En revanche, il n’avait pas été        quettes, sacs de couchage individuels)         concernées par la culture de maracuja
fait mention d’autres actions d’aide à       en 2014. Une action de démarcation             qu’elles ont implantée dans leurs boi-
la protection.                               des limites a été entreprise entre avril       sements. Il sied de rappeler ici que
    Berggorilla, par le biais de ses         et juillet 2014 et les pisteurs/coupeurs       ceux qui avaient reçu des plants en
équipes, appuie aussi bien les popu-         de pistes ont reçu de petites primes de        2011 et 2012 gagnent l’équivalent de
lations riveraines que la protection des     motivations mensuelles.                        240 dollars américains par mois (infor-
habitats et de la faune. De fait, une           Le poste de patrouille de Burusi a          mation de Jean Claude Kyungu). Nous
bonne conservation de l’environne-           bénéficié d’une amélioration de son in-        avons l’espoir que ce projet pourra
ment, spécialement dans les aires pro-       frastructure par la construction d’une         contribuer au bien-être de la popula-
tégées, doit viser aussi bien la protec-     maison en planches de 6 chambres               tion et donc aussi à la préservation des
tion des habitats et de la faune que         destinée à accueillir les visiteurs et         gorilles du Mont Tshiaberimu.
l’aide aux populations environnantes         à améliorer les conditions de vie des             La stratégie de la distribution de
des aires protégées, afin de renforcer       gardes.                                        plants aux communautés riveraines a
leur connaissance sur ces aires, d’ac-          Depuis 2008, Berggorilla a appuyé           suivi celle utilisée dans les pépinières
croître leurs moyens financiers et d’at-     de manière constante des actions de            scolaires : dans un premier temps la
ténuer ou supprimer leur dépendance          reboisement et d’agroforesterie dans           sensibilisation des élèves à l’école, qui
par rapport aux ressources de ces            le secteur du Mont Tshiaberimu tout en         à leur tour sensibilisent les parents; in-
aires protégées.                             soutenant des organisations et asso-           formation au niveau des églises pen-
    Au début de ses activités, Berggo-       ciations locales, des églises, des écoles      dant les cultes et dans les centres de
rilla s’est consacrée spécialement à         et des centres de santé. La production         santé.
l’amélioration de la connaissance des        de 1 165 510 plants dont 35 000 plants
gorilles et de leurs habitats du Mont        par la SAGOT (Solidarité des Amis des
Tshiaberimu, en finançant des projets        Gorilles de Tshiaberimu) et 1 130 510
de recensement, d’amélioration d’équi-       plants par les écoles, centres de san-
pement et de monitoring. Toutes ces          té et églises a été rendue possible par
actions comportaient des subventions,        les appuis de Berggorilla dans le cadre
ainsi que la fourniture de matériel di-      du reboisement autour du Mont Tshia-
vers et d’équipement de terrain : tenues     berimu depuis 2008, ce qui représente
de brousse (bottes, imperméables,            environ 800 hectares. Ce reboisement
sacs de couchage, gourdes, sacs à            semble avoir mis un frein à la destruc-
dos, GPS, caméras digitales), rations        tion de la forêt du parc, car il n’en a plus
de brousse et primes de motivation au        été fait mention dans les différents rap-
personnel, temporaire ou non, engagé         ports de GO (The Gorilla Organization)         Distribution des plantules de
par l’ICCN ou par d’autres partenaires       et de l’ICCN (Institut Congolais pour la       maracuja
pour des actions sur le terrain.             Conservation de la Nature).                              Photo: Jean Claude Kyungu

                                                                                                    3 Gorilla Journal 50, juin 2015
R. D. CONGO

    Berggorilla n’a pas été la seule or-    tion du Mont Tshiaberimu n’auraient         et les plus inaccessibles étendues de
ganisation engagée au Mont Tshiaberi-       plus de sens, donc l’ICCN n’aurait plus     forêt tropicale humide subsistant sur le
mu. GO y a travaillé avec un personnel      de raisons de garder son personnel          continent africain. Située entre le Parc
permanent pendant 15 ans, mais vient        sur le terrain et la population pourrait    National de la Maïko à l’ouest et au
de se retirer en fin décembre 2014.         récupérer les terres. Sans un plaidoyer     nord et les réserves naturelles de Tay-
Durant sa présence, le monitoring des       résolu et une présence musclée sur          na et Kisimba-Ikoba à l’est, bordée par
gorilles était bien assuré, la route me-    le site, le risque de disparition à court   une chaîne de montagnes escarpées
nant vers le Mont Tshiaberimu régu-         terme des gorilles est donc grand.          au sud, la forêt d’Usala reste largement
lièrement entretenue, des séances de            Les questions qui se posent à ce        inexplorée.
sensibilisation de la population étaient    jour sont les suivantes :                       Comme une grande partie de la ré-
tenues et d’autres appuis à la popula-      – Devons-nous assister impuissants à        gion de Maïko-Tayna, les données his-
tion fournis, comme par exemple un              la disparition des gorilles du Mont     toriques concernant les gorilles à Usala
projet de plantation de maracuja et de          Tshiaberimu?                            sont rares. En 1935, le crâne d’un mâle
culture de pomme de terre et un projet      – Quelles actions sont-elles possibles      adulte a été recueilli par des prospec-
d’apiculture. Des alertes pouvaient être        pour éviter la catastrophe?             teurs miniers belges près de Kilima-
lancées par GO en cas de maladie des        – Peut-on trouver d’autres gorilles fe-     mesa puis déposé au Musée royal de
gorilles et des vétérinaires pouvaient          melles et les amener au Mont Tshia-     l’Afrique centrale à Tervuren près de
venir les soigner.                              berimu?                                 Bruxelles. Bien qu’ils n’aient pas visité
                                            – Doit-on laisser s’interrompre le sou-     la forêt d’Usala durant leurs prospec-
Les gorilles du Mont Tshiaberimu :              tien des associations au Mont Tshia-    tions concernant les gorilles orientaux
quel avenir?                                    berimu?                                 en 1959, John Emlen et George Schal-
Plusieurs campagnes de soutien se           J’invite par cet article tout ami des go-   ler (notes complémentaires, 1960) ont
sont concentrées sur le Mont Tshia-         rilles à se pencher sur ces questions.      fourni des rapports anecdotiques sur
berimu. Des infrastructures ont été                      Claude Sikubwabo Kiyengo       l’espèce à Usala, indiquant que les go-
construites, les capacités ont été dé-                                                  rilles étaient localement perçus comme
veloppées. La population a bénéficié                                                    « communs » des deux côtés de la ri-
d’appuis. Cependant la survie des go-       Le statut des gorilles                      vière Lindi.
rilles du Mont Tshiaberimu constitue        de Grauer dans la forêt                         Plus tard dans les années 1990, une
toujours un défi : les gorilles pourront-   d’Usala                                     vaste évaluation des gorilles de Grauer
ils encore survivre longtemps face aux                                                  a été conduite par Jefferson Hall et al.
contraintes actuelles?                      La forêt d’Usala se trouve au coeur         (1998a), excluant largement Usala et la
    Un premier souci est que les go-        des 30 000 km2 de la région de Maïko-       partie est de la forêt du Parc National
rilles du Mont Tshiaberimu ne sont          Tayna à l’est de la République Démo-        de la Maïko (y compris les régions de
qu’au nombre de 6, répartis en deux         cratique du Congo et compte parmi les       Tayna et Kisimba) de leur analyse en
groupes. Le groupe Katsavara avec           plus intactes, les plus reculées mais       raison d’un manque de connaissance
4 gorilles, deux mâles, une femelle et      aussi les plus dépourvues de routes         de la zone.
un bébé. Le groupe Kipura avec deux                                                         En 2003, les communautés des vil-
mâles. La seule femelle est âgée et à                                                   lages de Rama et Kongomani à l’ex-
peine capable de supporter une gesta-                                                   trême est d’Usala ont contacté le
tion. A cause du manque de femelles,                                                    Dian Fossey Gorilla Fund Internatio-
le risque de disparition est très élevé.                                                nal (DFGFI) et l’UGADEC (Union des
En revanche, le danger de capture de                                                    Associations pour la Conservation des
gorilles est peu élevé, car il n’y a pas                                                Gorilles et le Développement Commu-
des jeunes qui pourraient être convoi-                                                  nautaire à l’est du Congo) en les in-
tés par les trafiquants.                                                                formant de la persistance des gorilles
    En second lieu, on se souvient qu’à                                                 à l’ouest de la rivière Lindi et au sud
un moment donné, un groupe armé                                                         de Rama vers Walikale. Entre 2003
Maï Maï avait revendiqué des terres                                                     et 2007, avec un peu de soutien du
dans la région. Un message a été pro-       Le Mont Nkomo qui abrite des                ­DFGFI et de l’UGADEC, des membres
pagé, affirmant que si l’on exterminait     gorilles, vu du village de Rama              des communautés de ces villages
les gorilles, les activités de conserva-                        Photo: Stuart Nixon      ont pu collecter des données limitées

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mais importantes concernant la pré-        n’ait pu être calculée à partir de cette    teurs participants comme région prio-
sence des gorilles dans cette région.      étude, une évaluation très provisoire       ritaire pour la conservation des grands
Ces données initiales ont aussi révélé     de 240 à 410 gorilles sevrés a été don-     singes.
la présence d’autres espèces phares        née pour le site d’étude en convertis-          Une première recommandation
pour l’est de la RDC, notamment le         sant les taux de rencontre de recon-        émergeant de l’atelier sur le plan d’ac-
discret okapi et le paon du Congo, le      naissance (sites de nids frais/km) en       tion 2012 faisait état du besoin urgent
chimpanzé oriental et les éléphants de     taux de rencontre de transect atten-        non seulement de déterminer l’aire
forêt.                                     dus selon Hall et al. (1998b). En outre,    de répartition actuelle des gorilles de
    Cependant ce n’est qu’en avril 2007    l’étude a aussi révélé des taux relative-   Grauer mais aussi d’identifier les po-
que la première tentative d’évaluation     ment bas de chasse par arme à feu (la       pulations prioritaires sur lesquelles
du statut de la faune d’Usala a été        chasse se limitait principalement aux       concentrer les actions de conserva-
faite par le DFGFI (Nixon et al. 2007)     pièges) et d’exploitation minière artisa-   tion. La poursuite de l’engagement au-
avec les communautés de Rama et de         nale active comparés à d’autres forêts      près des communautés a également
Kongomani. Financées par l’USAID,          de la région. Compte tenu de ces ré-        été désignée prioritaire, même s’il a été
les zoos de Columbus et de Busch           sultats positifs, des recommandations       reconnu que de telles activités doivent
Gardens, ces reconnaissances ont ex-       ont été faites pour fournir davantage       être ciblées autour des principales po-
ploré 240 km sur une zone d’approxi-       de soutien aux communautés d’Usala          pulations de grands singes. Ainsi, il a
mativement 850 km2, révélant une po-       afin qu’elles puissent protéger leur pré-   été conseillé de réaliser une évaluation
pulation de gorilles clairsemée mais lo-   cieuse faune sauvage.                       approfondie des populations de go-
calement concentrée sur une aire de            Basée sur un nombre de facteurs         rilles dans les régions historiquement
340 km2 entre les rivières Tamaria et      incluant l’éloignement du site, ce sou-     importantes de leur aire de répartition
Lindi. Pendant l’étude, 34 nids de go-     tien n’est pas parvenu jusqu’aux com-       pour la planification de la conservation
rilles frais et récents ont été réperto-   munautés d’Usala mais en 2012, Usala        à la fois du paysage et du site.
riés et quelques groupes relativement      a été mise en avant dans l’Action pour          Dans le cadre de la mise en œuvre
importants ont été rencontrés (jusqu’à     la Conservation des Grands Singes de        des activités CAP recommandées et
24 individus). Bien qu’aucune estima-      l’UICN en RDC orientale (Maldonado          avec le soutien financier de la fonda-
tion précise concernant l’abondance        et al. 2012) et reconnue par les ac-        tion Arcus, FFI a initié une évaluation

Communautés d’Usala                                                                           Photo: Chrysostome Kaghoma

                                                                                              5 Gorilla Journal 50, juin 2015
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                                                                                         rêt au sud de Rama, effectuant environ
                                                           Manguredjipa
                                                                                         200 km de marches de reconnaissance
                                                                                         à travers la zone de distribution des
                                                  Lin
                         Opienge                                                         gorilles identifiée en 2007. Ces études
                                                     di                   Butembo        ont révélé que la partie ouest de la forêt
                                                                                         d’Usala abrite toujours une population
                                 Loya                                      Lubero        de gorilles significative. Les équipes
          ïko                                                                            ont recensé un total de 28 sites de nids
        Ma                                                        Réserve                frais/récents. La taille moyenne des
                                               Li

                                                                  des Gorilles
                                                 nd

                        Parc National de                                                 groupes de nids de gorilles était égale-
                                                   i

                                                    Rama          de Tayna
                        la Maïko                                                         ment similaire à celle de 2007. Ces ré-
                                                                                         sultats suggèrent, malgré un manque
                                               Kilimamesa
                                                                                         total de protection active ou de sta-
Lubutu                                                                                   tut d’aire protégée, que cette popula-
                                                                                         tion est restée relativement stable au
                                            Oso                                          cours des 7 années précédentes. Nos
             L  owa                                                                      résultats montrent également des ni-
                                                                                         veaux peu élevés de chasse par arme
                         protected areas                       Masisi                    à feu, d’exploitation minière et d’empiè-
                                                   Walikale                              tement sur les forêts, comme en 2007.
                         gorilla nests
  Punia                                                                                  C’est tout à fait remarquable dans le
                         Usala Forest                                       Goma         contexte actuel de la RDC, en parti-
                         river                                                           culier quand les études dans d’autres
                                                                                         régions prioritaires ont montré des dé-
La ligne en pointillé représente la limite de la forêt d’Usala                           clins brutaux et des extinctions locales
                             Carte: Angela Meder, carte originale: Stuart Nixon          (Nixon et al. 2010, Hart et al. 2009).
                                                                                         Il est presque certain que l’apparente
de la situation des grands singes dans      dans la région de Kilimamesa en 2012.        stabilité de cette population de gorilles
la forêt d’Usala en septembre 2013,         Suite à cette réunion, il a été décidé par   résulte de son éloignement des voies
en commençant par des réunions pré-         l’équipe de FFI avec les communautés         de circulation, des rivières navigables,
alables avec les communautés dans           de revenir au printemps 2014 et de me-       des grands villages et des villes. Alors
le village de Rama. Au cours de ces         ner à bien des enquêtes participatives.      que l’inaccessibilité d’Usala constitue
consultations fructueuses, l’équipe a          En mars 2014, l’équipe d’étude de         un défi logistique sérieux pour la mise
été bien accueillie par les communau-       FFI s’est donc rendue à Mohangha,            en place d’activités de conservation,
tés, cependant elles ont fermement ex-      a rencontré les habitants d’Usala et         elle offre également un important po-
primé leur frustration face au manque       organisé avec des porteurs le trans-         tentiel pour la protection à long terme
de soutien apporté depuis 2007. Mal-        port à pied sur 150 km de 100 kg de          de ses gorilles et du reste de la faune
gré cela, la communauté est restée          matériel et plus de 250 kg de rations        sauvage.
désireuse de s’engager aux côtés de         jusqu’à Rama, un défi logistique aux             Malgré ces résultats encourageants,
l’équipe de FFI et de partager des infor-   proportions épiques! Après son arrivée       il faut se garder de tout optimisme ex-
mations sur la présence des gorilles et     à Rama 5 jours plus tard, l’équipe a         cessif. La pression agricole et l’insé-
les menaces. Les membres de la com-         visité les villages de Baraza et Mbe-        curité à l’est engendrent des déplace-
munauté qui ont assisté à ces réunions      kini en compagnie des chefs tradi-           ments massifs et des réinstallations
ont rapporté que les gorilles étaient       tionnels, informant les villageois des       sur tout l’escarpement ouest du Rift
toujours présents au sud de Rama et         études à venir, recrutant des pisteurs et    Albertin. Les communautés de Rama
au sud-ouest en direction de la rivière     des porteurs et les sensibilisant sur les    craignent que de nouvelles installa-
Oso, toutefois ils ont également signalé    questions de conservation des grands         tions incontrôlées dans cette région
une chasse sporadique aux éléphants         singes.                                      compromettent leur avenir. La com-
de forêt, à l’okapi et aux grands singes       Suite à cela, 2 équipes se sont ren-      munauté de Rama souffre d’extrême
par des groupes armés. Un groupe            dues en forêt et ont conduit un total de     pauvreté et vit en isolement presque
entier de 9 gorilles a même été tué         42 jours de travail de terrain dans la fo-   total. Ses principales sources de re-

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R. D. CONGO

venus sont l’agriculture itinérante, la      de surveillance de la faune sauvage et              fécales. Mais la majorité des données
chasse de subsistance, un peu d’ex-          identifier les mesures d’incitation ap-             nécessaires à la connaissance et à la
ploitation minière artisanale et le trans-   propriées pour la conservation de la                protection des populations de gorilles
port de matières commerciales de Mo-         forêt d’Usala sera essentielle pour la              requièrent de suivre des groupes bien
hanga jusqu’à Oninga (une importante         protection de cette très importante po-             identifiés pendant plusieurs mois,
ville minière située à environ 75 km         pulation de gorilles à l’avenir.                    parfois plusieurs années.
à l’ouest de Rama). Les alternatives           Stuart Nixon, Chrysostome Kaghoma                     Le pistage des groupes de gorilles
abordables à la viande de brousse sont                      et Magloire Vyalengerera             permet de récolter de précieuses infor-
rares et l’accès aux soins médicaux                                                              mations sur leur régime alimentaire, le
et à l’éducation sont quasiment inexis-      Références                                          type de forêt préféré par les gorilles, la
                                             Emlen, J. T. & Schaller, G. B. (1960) : Distribu-
tants. La densité de la population hu-       tion and status of the mountain gorilla (Gorilla    distance parcourue chaque jour par les
maine actuelle le long du rift Albertin      gorilla beringei) 1959. Zoologica 45 (1), 41–52     groupes, la taille du domaine vital des
à l’est de la RDC compte parmi la plus       Hall, J. S. et al. (1998a) : Distribution, abun-    groupes, le degré de chevauchement
élevée de tout le continent et la pénu-      dance and conservation status of Grauer’s go-       entre domaine vitaux de groupes voi-
                                             rilla. Oryx 32 (2), 122–130
rie de terres continue d’être une source     Hall, J. S. et al. (1998b) : Survey of Grauer’s     sins et la saisonnalité du régime ali-
majeure de conflit. Alors que la sécurité    gorillas (Gorilla gorilla graueri) and eastern      mentaire ou des déplacements des go-
s’améliore, l’immigration et les installa-   chimpanzees (Pan troglodytes schweinfur-            rilles.
                                             thi) in the Kahuzi-Biega National Park lowland
tions dans les forêts de l’est du Congo      sector and adjacent forest in eastern Demo-
                                                                                                     L’organisation Dian Fossey Gorilla
devraient augmenter sensiblement au          cratic Republic of Congo. International Journal     Fund International (DFGFI) a établi en
cours des prochaines décennies. Cette        of Primatology 19 (2), 207–235                      2012 une station de recherche et de
expansion programmée laisse sérieu-          Maldonado, O. et al. (2012) : Grauer’s Goril-       protection des gorilles de Grauer (Go-
                                             las and Chimpanzees in Eastern Democratic
sement penser que la forêt d’Usala va        Republic of Congo (Kahuzi-Biega, Maiko, Tay-        rilla beringei graueri) dans une zone
être de plus en plus menacée au cours        na and Itombwe Landscape): Conservation             de basse altitude de l’est de la Répu-
des prochaines années et que sa po-          Action Plan 2012–2022. Gland, Switzerland           blique Démocratique du Congo. Située
                                             (IUCN/SSC Primate Specialist Group, Ministry
pulation de gorilles risque bien de dis-                                                         dans une forêt non-classée, entre les
                                             of Environment, Nature Conservation & Tou-
paraître.                                    rism, ICCN & JGI)                                   Parcs Nationaux de Kahuzi-Biega et
    Malheureusement depuis août 2014         Nixon, S. (2010) : Participatory assessment of      de Maïko, la station de Nkuba-Biruwe
la sécurité s’est considérablement dé-       Grauer’s eastern gorilla and other wildlife in      permet aux pisteurs et chercheurs de
                                             the Lubutu sector of Maiko National Park and
tériorée au sud et à l’ouest de Rama,        adjacent forest. Unpublished report submitted       DFGFI d’étudier et de protéger les go-
coupant l’accès piéton à la région et        to FFI, FZS, ICCN, ZSL                              rilles et leur habitat dans une zone de
ayant pour conséquence d’empêcher            Nixon, S. et al. (2007) : A prospection survey of   700 km2. Depuis 2014, le pistage de
FFI de visiter de nouveau Usala et de        the Usala Forest and proposed Usala Commu-          trois groupes de gorilles vivant au sud
                                             nity Reserve, Democratic Republic of Congo,
poursuivre les enquêtes participatives       March–April 2007. Unpublished report submit-        de la zone d’étude est devenu l’activité
prévues. L’équipe continue cependant         ted to DFGFI                                        principale du projet. Le but est de col-
d’être en contact avec les communau-                                                             lecter des données essentielles sur la
tés d’Usala et travaille en étroite colla-                                                       façon dont les groupes de gorilles uti-
boration avec ses partenaires, l’Institut    Pistage des gorilles de
Jane Goodall en RDC et l’UGADEC,             Grauer au Nord Kivu
afin de développer une stratégie ho-
listique pour la conservation d’Usala        Protéger efficacement une population
lorsque la sécurité s’améliorera. Le zoo     de gorille nécessite une solide con­nais­
de Chester en Angleterre fournit égale-      sance de la démographie, de l’écologie
ment un soutien technique et contribue       et du comportement des groupes so­
à la mise en place de cette stratégie.       ciaux. La densité des groupes de go­
La poursuite de l’engagement auprès          rille (nombre de groupes par km2) et
des communautés d’Usala pour amé-            la distribution de la taille des groupes
liorer l’éducation environnementale et       peuvent être mesurés par la méthode
à la santé, pour développer des alter-       des transects. Les échanges d’indivi­
natives réalistes à la dépendance en-        dus entre groupes sociaux peuvent                   Groupe de gorilles de Grauer
vers la viande de brousse, pour éta-         être étudiés à l’aide de prélèvement                photographié par un appareil à
blir des programmes communautaires           génétiques non-invasifs de matières                 déclenchement automatique

                                                                                                         7 Gorilla Journal 50, juin 2015
R. D. CONGO

                                                                                        teurs ne rencontrent pas les gorilles,
                                                                                        ne perturbent donc pas leurs dépla-
                                                                                        cements et ne causent pas de stress.
                                                                                        L’absence de contacts avec les gorilles
                                                                                        permet également de ne pas les ha-
                                                                                        bituer à la présence humaine. Dans
                                                                                        une zone où le braconnage, les activi-
                                                                                        tés minières et la présence de groupes
                                                                                        armés en forêt sont une menace très
                                                                                        importante pour la faune, habituer les
                                                                                        gorilles à l’homme les exposerait au
                                                                                        braconnage. Leur peur de l’homme est
                                                                                        leur meilleure protection.
                                                                                            Lorsque le pistage débute dans une
                                                                                        nouvelle zone, les pisteurs doivent
                                                                                        d’abord localiser un groupe de go-
                                                                                        rilles. Les coordonnées géographiques
                                                                                        de plusieurs points distants de 3 km
                                                                                        environ sont entrées dans des GPS.
                                                                                        Des équipes de pisteurs se rendent
Les pisteurs de gorilles Wasso et Jadot en train d’identifier des plantes               à ces points en utilisant leur boussole
consommées par les gorilles (ici la Palisota ambigua).                                  et marchent en suivant approximative-
                                              Photo: Damien Caillaud, DFGFI             ment un cercle d’un diamètre d’environ
                                                                                        800 à 1000 m autour de ces points. Les
lisent leur habitat (régime alimentaire,    simplement couvert de feuilles mortes       pisteurs se concentrent sur les zones
mouvements des groupes, variations          sur lesquelles les empreintes des go-
saisonnières) tout en les protégeant du     rilles sont particulièrement difficiles à
braconnage.                                 détecter. Seuls les chasseurs les plus
    Le pistage consiste à suivre la piste   expérimentés sont capables de pister
des gorilles d’un site de nid à un autre    les animaux dans un tel milieu.
en repérant les traces laissées par les         Les pisteurs de la station de Nku-
animaux : végétation fraichement apla-      ba-Biruwe sont tous originaires des vil-
tie, empreintes de pied ou de main,         lages voisins et connaissent parfaite-
restes de nourriture, crottes. Le pis-      ment la forêt. Plusieurs d’entre eux sont
tage est d’autant plus facile que la vé-    d’anciens chasseurs, reconverti dans
gétation herbacée est dense et que les      la conservation. Malgré tout, plusieurs
gorilles se déplacent sur de faibles dis-   mois de pratique ont été nécessaires
tances. Les gorilles de montagne (Go-       pour que les pisteurs deviennent ca-
rilla beringei beringei) et certaines po-   pables de suivre à distance un groupe
pulations de gorilles de Grauer, par        de gorilles pendant plusieurs semaines
exemple, vivent dans des forêts d’al-       sans perdre leur trace.
titude caractérisées par la présence            L’objectif des pisteurs de DFGFI
d’une abondante végétation terrestre        est de suivre un groupe de gorille à la
rendant le pistage relativement aisé.       fois pendant plusieurs semaines tout
Les gorilles de plaines de l’ouest (Go-     en veillant à rester un jour derrière le
rilla gorilla gorilla) et les gorilles de   groupe. Cela signifie que chaque jour,
Grauer de basse altitude, en revanche,      les pisteurs débutent le pistage au site    Localisation du Site de Recherche
fréquentent généralement des forêts         de nid quitté par les gorilles la veille,   et de Conservation de Nkuba-
dont le sous-bois est clair. La végéta-     et terminent le pistage au site de nid      Biruwe, entre les Parcs Nationaux
tion terrestre herbacée n’est présente      le plus récent, quitté par le gorilles le   de Maïko et de Kahuzi-Biega
que dans certaines zones. Le sol est        matin même. De cette façon, les pis-               Carte: Damien Caillaud, DFGFI

8 Gorilla Journal 50, juin 2015
R. D. CONGO

où se trouvent les plantes habituelle-        traces particulièrement difficiles à dé-         GRACE a reҫu ses premiers gorilles
ment consommées par les gorilles, et          chiffrer. Lorsque la piste est perdue, les   en 2010 et est actuellement un logis
recherchent des signes datant de 1 à 3        pisteurs retournent au dernier endroit       pour 13 individus dont l’âge varie de 3
jours. Cette technique permets de trou-       où des traces ont été vues et se dis-        à 13 ans. Les gorilles, tous orphelins,
ver une piste fraiche plus rapidement         persent ensuite en marchant en cercle        sont gérés dans un unique groupe so-
qu’en recherchant des traces aléatoire-       à environ 100–200 m autours de ces           cial intégré avec des femelles adultes
ment en forêt. Lorsqu’une piste fraîche       traces. Les pisteurs utilisent des tal-      agissant comme des mères déléguées
est trouvée, elle est remontée jusqu’à        kie-walkies pour rester en contact du-       pour les jeunes individus. Environ 90%
ce que les nids les plus récents soient       rant ces recherches qui peuvent par-         de régime des gorilles consiste à des
localisés.                                    fois durer une heure ou davantage. Les       plantes (plus de 45 espèces) que les
    Une équipe de pistage se compose          petites radios s’avèrent extrèmement         gorilles mangent typiquement dans le
de 3 à 4 pisteurs et d’un chef d’équipe.      utiles pour coordonner les recherches.       milieu sauvage. Jusqu’ici récemment,
Chacun a un rôle déterminé. Ainsi,                Le pistage est à la base de toute ac-    plus de 300 kg de végétation étaient
notre pisteur Lumumba est spécialisé          tivité de recherche sur les gorilles. Bien   collectés chaque jour pour les gorilles
dans la détection des signes et la dé-        équipé et bien formés à l’utilisation du     par les agents de GRACE. Cependant,
termination de l’âge des signes. Mo-          GPS et de la boussole, les pisteurs          pour le moment, les gorilles peuvent
koley quant à lui est capable de diffé-       sont capables d’apprendre en quelque         se procurer eux-mêmes leur fourage à
rencier et d’interpréter les signes de        mois à suivre de façon continue un           l’intérieur de la clôture forestière nou-
toutes les espèces animales de la fo-         groupe d’une dizaine de gorilles. Les        vellement construite et qui a récem-
rêt. Jadot, un autre pisteur, connaît les     pisteurs mettent ainsi au service de la      ment ouvert ses portes à GRACE.
noms de toutes les plantes consom-            recherche et de la conservation leurs            Comme part de son plan directeur,
mées par les grands singes. Le chef           connaissances traditionnelles de la fo-      en février 2012, GRACE a commencé
d’équipe reste toujours au milieu de la       rêt.                                         à construire une clôture de 10 hectares
piste des gorilles avec son GPS allumé           Escobar Binyinyi, Urbain Ngobobo et       pour les gorilles dans un milieu fores-
en permanence et note dans un car-                                     Damien Caillaud     tier sur la propreté de GRACE. Ce nou-
net toutes les découvertes de l’équipe.                                                    vel espace, qui inclut des arbres mûrs
De nombreuses données sont collec-                                                         avec un sous-bois dense, procure aux
tées. Le GPS enregistre automatique-          Histoire de la clôture                       gorilles un apparent environnement
ment les coordonnées tous les 50 m.           forestière de GRACE                          plus sauvage leur permettant de pra-
Les pisteurs identifient et notent toutes                                                  tiquer des critiques habiletés de survie
les espèces de plantes consommées             Localisé dans la région de Kasugho           tels que le fourage, la construction des
par les gorilles, ainsi que la localisation   au Nord Kivu, à l’est de la République       nids, les mouvements de coordination
GPS des sites d’alimentation. Le type         Démocratique du Congo (RDC), près            du groupe.
de végétation environnant les sites           de la Réserve Naturelle de Tayna, le             Bien qu’une forêt idéale était iden-
d’alimentation est également noté. En-        Centre de réhabilitation, de conserva-       tifiée pour la clôture, l’éloignement de
fin, les nids rencontrés en fin de pis-       tion et d’éducation de gorilles (GRACE)      GRACE, sa localisation montagneuse
tage sont dénombrés et décrits.               est le seul emplacement au monde             ont fait de la construction un très grand
    Malgré l’expertise des pisteurs, il       qui fourni des soins de réhabilitation       défis. Sans route disponible d’accès au
peut arriver que la piste des gorilles        aux gorilles de Grauer (Gorilla berin-       site de construction, toute pièce d’équi-
soit perdue. Le risque de perdre la piste     gei graueri) sauvés par les autorités en     pement et matériels utilisés devaient
est plus important lorsque le groupe          charge des animaux sauvages après            être transportés à la montagne par la
suivi est de petite taille. Parfois aus-      avoir été illégalement capturés par des      main. Plus de 200 personnes issues
si, le groupe se divise en petits sous-       braconniers et des négociants. La mis-       des communautés locales, plus de
groupes qui se déplacent à plusieurs          sion fondamentale de GRACE est de            leur moitié étant des femmes, ont tra-
dizaines de mètres les uns des autres,        fournir un environnement sain et natu-       vaillé avec GRACE pour construire la
rendant le piste beaucoup moins vi-           ralistique, un soins excellent aux go-       clôture forestière. Les travailleurs ont
sible. Les pluies nocturnes sont égale-       rilles sauvés pour assurer leur bien-        débroussé la forêt pour le périmètre
ment susceptibles d’effacer les traces        être et maximiser leurs chances pour         de la clôture, ils ont percé les trous
laissées le jour précédent par gorilles.      une réintroduction heureuse, si cette        dans la roche pour l’emplacement de
Il arrive enfin parfois que deux groupes      stratégie de conservation est poursui-       370 poteaux de l’enclos, et ont enfilé
de gorilles se rencontrent, rendant les       vie.                                         26 km des fils électriques alimentés

                                                                                                  9 Gorilla Journal 50, juin 2015
R. D. CONGO

par des panneaux solaires. Les experts      première expérience de forêt depuis         partir de cinq miradors situés aux alen-
des gorilles de Dallas et Houston Zoos      leur capture du milieu sauvage. C’était     tours du périmètre de la clôture. L’ob-
et Disney Animal Kingdom des Etats-         incertain de comment le groupe pour-        jectif est de suivre comment le groupe
Unis ont été consultés sur la forme de      rait réagir avec son nouveau entou-         est en train d’utiliser la forêt et quel im-
la clôture, mais le projet tout entier a    rage, mais dès l’entrée dans la clôture,    pact le nouvel espace a sur le compor-
été dirigé par le personnel congolais       les gorilles, conduits par la femelle do-   tement d’individus et sur la dynamique
de GRACE, conduit par Jackson Ka-           minante du groupe (Pinga : 13 ans) ont      du groupe.
buyaya Mbeke (Principal Manager de          immédiatement commencé à se nour-              L’autre mission principale de
GRACE) et Georges Kayisavira Kakule         rir de la végétation et à explorer calme-   GRACE est de travailler avec les com-
(Coordonnateur de la Maintenance).          ment la forêt. Dans quelques minutes,       munautés locales sur des programmes
Le projet a été financé par les parte-      les jeunes gorilles sautaient et jouaient   d’éducation à la conservation pour ai-
naires à long terme de GRACE, le Dian       dans les arbres comme s’ils n’avaient       der à protéger le reste des gorilles sau-
Fossey Gorilla Fund International, mê-      jamais quitté leur logis, la forêt. Main-   vages de Grauer, le seul grand singe
mement que Dallas et Houston Zoos           tenant le groupe de GRACE passe plus        endemique à l’est de la RDC.
par une subvention de Margot Marsh          de 8 heures chaque jour à l’intérieur de       Beaucoup de gens vivant dans la
Biodiversity Foundation.                    ce nouvel habitat, et est concilié mer-     région de Kasugho n’ont jamais vu
   Après plusieurs commencements et         veilleusement à la vie de la forêt.         un gorille vivant et connaissent moins
arrêts dus aux défis logistiques, la clô-       A l’évolution scientifique de voir      à propos de ces animaux, ce qui de-
ture forestière des gorilles de GRACE       comment les gorilles sont en train de       vient difficile d’obéir aux lois proté-
a été finalement achevée en février         s’adapter à leur nouvel environnement       geant les gorilles. La nouvelle clôture
2015. Suivant les derniers contrôles de     et pour suivre le progrès général de        forestière de gorilles jouera un rôle im-
sureté, les portes ont été ouvertes pour    réhabilitation pour tous les individus,     portant dans les efforts éducationnels
les gorilles en mars 2015. Pendant          GRACE a récemment lancé un pro-             de GRACE. Les écoliers locaux ainsi
des années, les gorilles de GRACE           gramme d’observation comportemen-           que les adultes seront bientôt à me-
n’avaient pas été dans une forêt. Pour      tal; une équipe de recherche observe        sure de visiter GRACE et de faire des
quelques-uns d’entre eux, c’était leur      les gorilles à longueur de la journée à     tours éducationnels et voir le groupe
                                                                                        des gorilles à partir d’une plateforme
                                                                                        aux alentours de l’enclos. Notre pro-
                                                                                        gramme au visiteur visera à enseigner
                                                                                        à propos des gorilles de Grauer et les
                                                                                        menaces dont ils font face et inspirer
                                                                                        au visiteur la fierté d’avoir ce magni-
                                                                                        fique grand singe comme une partie
                                                                                        de l’héritage naturel de l’est de la RDC.
                                                                                           La nouvelle clôture forestière de
                                                                                        GRACE est une source de fierté pour
                                                                                        le personnel de GRACE et la commu-
                                                                                        nauté locale, et nous espérons que cet
                                                                                        habitat va aider à préparer les gorilles
                                                                                        pour un retour potentiel dans le mi-
                                                                                        lieu sauvage. Dans un temps record, il
                                                                                        est merveilleux d’observer le groupe de
                                                                                        GRACE avoir le plaisir dans un espace
                                                                                        qui les permet d’être réellement encore
                                                                                        des gorilles.
                                                                                        Sonya Kahlenberg et Luitzen Santman

                                                                                        Pour plus information à propos de
                                                                                        GRACE, s’il vous plait, visitez www.
L’un des orphelins grimpe sur un arbre du nouvel enclos                                 gracegorillas.org ou suivez nous sur
                                                   Photo: Andrew Bernard                Facebook.

10 Gorilla Journal 50, juin 2015
OUGANDA

Utilisation des terres                      beaucoup l’attention de par leur grande       tir de Bwindi. Nous voulions étudier le
                                            taille, de par l’importance des dégâts        comportement de tous les groupes de
communautaires et                           qu’ils occasionnent et de par la valeur       gorilles habitués, et pas seulement des
pillages des cultures par                   économique qu’ils représentent.               groupes connus pour sortir du parc ef-
les gorilles de Bwindi                          De plus, la densité des gorilles          fectuer des raids, car nous étions aussi
                                            de Bwindi augmente très probable-             intéressés de savoir pourquoi certains
Les conflits entre les hommes et les        ment (Roy et al. 2014) et si la ges-          groupes ne quittaient pas le parc et ne
animaux est l’une des principales me-       tion conservationniste actuelle réussit,      pillaient pas les cultures. Nous avons
naces à la survie de beaucoup d’es-         la population devrait continuer d’aug-        étudié les comportements d’explora-
pèces sauvages, et présentent aussi         menter. Donc, on peut probablement            tion et de pillage de 13 groupes de go-
des risques pour les populations hu-        s’attendre à ce que plusieurs groupes         rilles habitués, localisés dans trois ré-
maines locales. Si ce type de conflits      de gorilles vont sortir en dehors du parc     gions (Ruhija, Buhoma et Rushaga),
n’est pas traité de manière adéquat, le     et mettre une plus grande pression sur        à travers le parc pendant une période
soutien local en faveur de la conserva-     les moyens de subsistance locaux, et          de 13 mois allant de mai 2012 à juin
tion décline drastiquement. C’est pour-     conduire à une exacerbation de l’am-          2013. Pour ce faire, nous avons formé
quoi la résolution des conflits homme–      pleur du conflit hommes–gorilles.             11 chercheurs et assistants de terrain
animaux est un point crucial pour l’ave-        Le conflit hommes–gorilles est un         locaux à la collecte de données sur les
nir de la conservation des espèces          des problèmes majeurs de la conser-           sorties des groupes de gorilles, leur
(Woodroffe et al. 2005).                    vation des gorilles de Bwindi. La fré-        comportement, leur régime alimentaire
   Dans le Parc National de la Forêt        quence à laquelle les gorilles sortent        et leurs habitudes de pillage. De plus,
Impénétrable de Bwindi, Ouganda, les        du parc et effectuent des raids dans          ces assistants furent formés à suivre,
gorilles de montagne, qui sont en dan-      les cultures varient drastiquement pour       tous les mois, environ 800 arbres frui-
ger critique de disparition, sortent par-   les différents groupes habitués. Un des       tiers marqués afin de calculer une dis-
fois du parc et vont piller les champs      groupes, le groupe Nkuringo, passe            ponibilité moyenne en fruits par région.
alentours. Le pillage par les gorilles      plus de temps en dehors du parc que           Parallèlement à la collecte de données
et leurs déplacements en dehors du          dans le parc, et effectue plus de raids       comportementales sur les gorilles,
parc représentent des menaces pour          que tous les autres groupes. En 2005,         nous avons travaillé avec quatre assis-
les communautés locales, comme les          une zone tampon a été mise en place           tants de terrain expérimentés en bota-
dommages et les pertes causées aux          par l’Uganda Wildlife Authority (Autori-      nique qui ont formés l’équipe d’échan-
cultures, l’angoisse, les blessures et la   té de la Faune Sauvage d’Ouganda) et          tillonnage végétal. Pendant plus de
mise en danger des personnes. D’un          le Programme International de Conser-         deux ans, ils ont aidé à compter et me-
autre côté, les gorilles font face à un     vation des Gorilles afin d’empêcher ces       surer environ 94 000 plantes et arbres
risque accru d’attraper des maladies        escapades en dehors du parc et ces            à travers toute l’aire de répartition des
des hommes ou du bétail, d’entrer en        pillages de cultures. Malgré cela, cette      gorilles afin d’avoir une estimation de
contact de manière incontrôlée avec         zone fut mal gérée, en permettant à           la disponibilité en plantes herbacées
les humains et leurs déchets, d’être        la végétation herbacée et aux arbres          pour chaque groupe à l’intérieur de la
harcelés par les populations locales et     fruitiers de se régénérer, créant ainsi       forêt. Comme nous étions également
même abattus par représailles (Golds-       un excellent habitat pour les gorilles        intéressés de connaître la disponibili-
mith et al. 2006; Madden 2006; Hoc-         (Goldsmith et al. 2006; Kalpers et al.        té alimentaire en dehors du parc, nous
kings & Humle 2009). Bwindi est entou-      2010). Finalement, la zone tampon fut         avons marché environ 56 km en enre-
rée par une des plus hautes densités        convertie, en juin 2013, en plantations       gistrant toutes les parcelles et les dif-
de population rurale au monde (plus         de thé.                                       férentes utilisations de la terre dans
de 300 personnes au km2) et toutes les          Beaucoup de facteurs ont été sug-         les 50 m autour de la limite du parc.
terres adjacentes au parc sont gérées       gérés pour expliquer le fait que les go-      Nous avons traversé des marais, des
par les communautés locales. Dès que        rilles sortent en dehors de Bwindi, y         troupeaux de bétails et des champs de
les gorilles sortent de Bwindi, ils se      compris le manque de ressources ali-          maïs, nous avons dû éviter des ravins
retrouvent d’emblée sur des parcelles       mentaires en forêt. Nous avons donc           et des falaises abruptes, nous avons
agricoles ou en friche. C’est la raison     étudié si la rareté alimentaire dans le       glissé le long des flancs de collines es-
pour laquelle les gorilles font partie      parc et si la disponibilité en aliments ap-   carpées et nous avons été exposés à
des quelques espèces qui effectuent         pétents dans les cultures en dehors du        la fois aux rayons chauds du soleil de
des raids dans les champs. Ils attirent     parc pouvaient inciter les gorilles à sor-    la saison sèche et aux pluies torren-

                                                                                                11 Gorilla Journal 50, juin 2015
OUGANDA

tielles et aux collines glissantes à la
saison des pluies.
    Nos résultats révèlent que les go-
rilles de Bwindi sortent du parc pour
aller se nourrir de végétation herba-
cée dans les plantations de thé ou de
pins et dans les parcelles non culti-
vées en dehors de la forêt, ainsi que
pour consommer les cultures appé-
tentes dans les jardins des habitants.
Ce n’est pas un manque de ressources
alimentaires dans la forêt qui pousse
les gorilles à sortir et à effectuer des pil-
lages des champs. Nous avons consta-
té que le thé ne dissuade pas les go-
rilles de quitter le parc. Nous pensons
que c’est parce que les plantations de
thé contiennent des plantes herbacées
régulièrement consommées par les
gorilles. De plus, ces plantations ne
forment pas une barrière continue qui
pourrait arrêter les gorilles et les empê-
cher de s’aventurer plus loin dans les
terres des communautés.                         Carte du Parc National de la Forêt Impénétrable de Bwindi montrant les
    La perte de la crainte des humains          aires de distribution des groupes de cette étude
par les gorilles habitués a aussi été                                                                Dessin : Nicole Seiler
avancée comme jouant un rôle dans le
comportement de pillage des gorilles            pensons que les plantations comme               Pour prévenir une intensification
de montagne. Malgré cela, le groupe             les bananiers ou les eucalyptus doivent     du conflit, il est crucial d’améliorer les
Oruzogo, un groupe habitué, ne pille            être évitées parce qu’ils semblent atti-    stratégies d’utilisation des terres aux-
les champs que depuis quelques an-              rer les gorilles. Nous recommandons         quelles la faune sauvage du parc est
nées, alors que le groupe Kyagurilo             d’enlever la nourriture herbacée qui        sensible. Enfin, cette étude montre que
qui est habitué depuis le début des an-         pousse sur les parcelles non cultivées      la recherche et le management doivent
nées 90 n’a jamais été rapporté avoir           et dans les plantations, et donc de         travailler main dans la main pour amé-
pillé des jardins. De plus, le manager          maintenir les terres dépourvues d’ali-      liorer et mettre en place des straté-
de l’aire de conservation de Bwindi a           ments consommés par les gorilles. Si        gies de gestion pour conserver les go-
rapporté que de groupes non-habitués            elles sont plantées de façon continue       rilles de montagne de Bwindi. Alors que
avaient été observés en train de piller         et dépourvues d’herbes, les planta-         beaucoup de résultats de cette étude
les champs. C’est pourquoi nous pen-            tions de thé pourraient être la meilleure   doivent être spécifiques à Bwindi, cette
sons que le niveau d’habituation des            stratégie pour dissuader les gorilles       étude souligne l’importance d’utiliser la
groupes ne joue pas un rôle majeur.             de se traverser les terres communau-        recherche pour guider la prise de déci-
    Pour faire en sorte que les gorilles        taires. La zone tampon près du groupe       sion en termes de gestion de la conser-
arrêtent utiliser les zones en dehors           de Nkuringo a été plantée de théiers en     vation des gorilles et d’autres espèces.
du parc national, nous recommandons             2013, ce qui devrait alléger la plupart         Nicole Seiler et Martha M. Robbins
de modifier l’utilisation des terres en-        des problèmes si la zone est correcte-
tourant Bwindi afin de les transformer          ment gérée. Quoi qu’il en soit, il sera     Nous remercient grandement Uganda Wildlife
en habitat non-attractif. Cela peut être        important d’évaluer l’effet des planta-     Authority, le Ugandan National Council of
réalisé en plantant des cultures tam-           tions de thé dans la zone tampon sur        Science and Technology, l’Institute of Tropi-
                                                                                            cal Forest Conservation (Institut de Conser-
pons qui sont riches en fibres et en            les déplacements en dehors du parc et       vation de la Forêt Tropicale), Berggorilla &
composés secondaires, mais pauvres              les comportements de pillage de la part     Regenwald Direkthilfe, Deutscher Akademis-
en sucres et en sodium. De plus, nous           du groupe de Nkuringo.                      cher Austauschdienst, la Max Planck Society,

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