Les prairies, une richesse et un support d'innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables
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Les prairies, une richesse INRAE Prod. Anim., 2020, 33 (3), 153-172 et un support d’innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables Audrey MICHAUD1, Sylvain PLANTUREUX2, René BAUMONT1, Luc DELABY3 1 INRAE, Université Clermont Auvergne, Vetagro Sup, UMRH, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France 2 Université de Lorraine, INRAE, LAE, 54000, Nancy, France 3 PEGASE, INRAE, Institut Agro, 35590, Saint Gilles, France Courriel : audrey.michaud@vetagro-sup.fr Aujourd’hui on dispose de connaissances techniques et d’outils pour mieux valoriser les prairies. Au-delà de leur utilisation par les ruminants, elles présentent de nombreux atouts, qu’ils soient environnementaux, de qualité des produits, de santé animale et humaine, ou vis-à-vis des aléas climatiques et économiques. Mais il reste encore à mieux quantifier les services rendus par les prairies, à mieux évaluer leurs réponses faces aux aléas climatiques et à mieux les faire reconnaître. Introduction iminution ou un arrêt de la consom- d a nimales. Redonner une place impor- mation de produits animaux (flexita- tante aux prairies pourrait contribuer risme, végétarisme, véganisme). à une solution à ces différents enjeux L’agriculture, et particulièrement particulièrement pour l’élevage des l’élevage, traverse aujourd’hui une crise À cette crise d’acceptabilité s’ajoutent herbivores ruminants (bovins, ovins, importante. L’élevage est critiqué pour les aléas climatiques et économiques de caprins). En effet, les prairies béné- son impact environnemental : contri- plus en plus fréquents qui affectent les ficient d’une image positive pour le bution au réchauffement climatique systèmes de production et leur viabilité. grand public car elles sont associées à via des déforestations et émission de Dans un contexte de mondialisation où une production « naturelle », et perçues gaz à effets de serre (Steinfeld et al., les cadres règlementaires, les conditions comme favorables en termes de bien- 2006), perte de biodiversité, eutrophi- socio-économiques et l’environnement être animal, de qualité des produits ani- sation des eaux. Les sociétés occiden- sociétal varient fortement d’un pays à maux et de services environnementaux. tales remettent en cause l’élevage pour l’autre, l’agriculture française et euro- Ces qualités des prairies dépendent du des raisons éthiques (bien-être animal, péenne est en plein questionnement : type de prairie, et nous aborderons principe même de l’élevage d’animaux) Quel avenir pour l’élevage ? Quelles dans cet article à la fois les prairies tem- (Lacroix et Gifford, 2019), et pour son formes d’élevage ? Commente rester poraires et les prairies permanentes. Au impact sur la santé humaine, en lien compétitif ? Comment rendre l’activité sein de ces prairies permanentes, les avec une consommation excessive de d’élevage acceptable par la société et prairies semi-naturelles correspondent produits animaux. Dans la plupart des par les éleveurs et durable ? L’élevage aux prairies permanentes plus diver- pays européens, cela se traduit par va devoir se reconfigurer pour répondre sifiées et moins intensifiées, selon la une diminution de la consommation à ces enjeux. définition du groupe d’experts de l’Eu- individuelle de viande, en particulier ropean Grassland Federation (Peeters de viandes rouges (Sanchez-Sabate et Cette remise en cause de l’élevage par et al., 2014) Sabate, 2019 ; Wang et Basso, 2019) une partie minoritaire mais croissante et par une montée en puissance de et influente des citoyens et consom- Malgré les souhaits des pou- courants de pensée prônant une mateurs concerne toutes les filières voirs publics, les surfaces en prairies https://doi.org/10.20870/productions-animales.2020.33.3.4543 INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
154 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY ermanentes ont fortement régressé p atouts qui renforcent l’intérêt des prairies des territoires et de leurs enjeux, pour depuis les années 1970 en France dans les systèmes de production rumi- laisser la place aux cultures (céréales…) comme en Europe, après avoir forte- nants (bovins, ovins et caprins), mais et surfaces légumières (légumineuses ment progressé au cours du 20e siècle. aussi les points-clés à approfondir pour potagères, autres légumes) à destina- Si en France, elles représentent encore appréhender les futurs enjeux. Ce travail tion de l’alimentation humaine dans les environ un tiers de la surface agricole s’inscrit dans un contexte français mais espaces qui leur sont le plus favorables. utile (SAU – Agreste, 2018), leur main- les éléments de discussion peuvent avoir Il faudra de plus réfléchir à la manière de tien est incertain dans de nombreuses une portée plus générique, notamment réorganiser la destination des cultures. zones soit du fait de la concurrence avec pour des zones agro-climatiques com- En effet, aujourd’hui une partie impor- les cultures fourragères et les cultures parables. Nous aborderons les points tante des productions végétales issues de vente, soit parce que menacé par le concernant la prairie et son rôle dans la des terres cultivables (34 % des surfaces changement d’usage des terres (artificia- production de lait et de viande, puis le mondiales) est utilisée pour nourrir les lisation, friche, reforestation). Les raisons rôle de la prairie dans la préservation de animaux d’élevage, avec un rendement principales du désintérêt d’une partie l’environnement. Ensuite nous discute- de valorisation faible puisqu’il faut de des éleveurs pour la prairie résident rons les effets de la prairie sur la santé 2,5 à 10 kg de protéines végétales pour dans le déficit de références techniques, des animaux et des Hommes et du rôle produire 1 kg de protéines animales scientifiques et économiques et dans qu’elle peut jouer dans les systèmes de (Laisse et al., 2018 ; Mottet et al., 2018). des freins sociaux (Michaud et al., 2008). production dans un contexte de change- Il importe cependant de relativiser ce À titre d’exemple, pour une partie des ment climatique et d’aléas économiques, dernier argument souvent évoqué. En éleveurs et de leurs conseillers, les prai- tout en considérant les principaux freins effet, les animaux d’élevage et notam- ries permanentes constituent un modèle à leur développement dans les systèmes ment les ruminants en zone peu ou technique dépassé, inadapté, et les défi- de production. pas cultivable consomment essentiel- cits fourragers associés aux sécheresses lement des produits végétaux qui ne et canicules de ces dernières années peuvent pas être directement valori- aggravent encore ce diagnostic. Il existe 1. La prairie pour produire sés par l’Homme (résidus de culture, certes des arguments objectifs en défa- du lait et de la viande coproduits des industries agroalimen- veur des prairies : rendements fourragers taires, fourrages…). Ainsi, par exemple, généralement plus faibles que d’autres 1.1. Un enjeu fort : un système laitier herbager peut pro- cultures fourragères comme le maïs, répondre à la demande duire jusqu’à 2 fois plus de « protéines valeur alimentaire instable, complexité mondiale consommables par l’Homme » dans le de gestion, toxicité de certaines espèces, lait et la viande qu’il n’en consomme etc. Ces arguments sont souvent les seuls La population humaine devrait passer dans les céréales et les protéagineux mis en avant, sans envisager et promou- de 7,7 milliards d’habitants actuellement (Laisse et al., 2018). Pour limiter la com- voir les atouts associés aux prairies per- à 9,1 milliards en 2050. (Paillard et al., pétition « feed/food », les systèmes manentes et/ou diversifiées de longue 2010). Cette augmentation sera essen- d’élevage du futur devront donc être durée et à leurs usages. Cette réalité tiellement le fait des pays d’Afrique et raisonnés en complémentarité avec perdure, malgré de nombreux travaux d’Asie. Même si une partie de l’huma- les productions végétales destinées à conduits depuis plusieurs décennies nité, particulièrement les pays indus- l’alimentation humaine et valoriser en pour apporter plus de références sur les trialisés, doit impérativement faire des priorité les coproduits alimentaires et valeurs agronomique et environnemen- efforts pour rééquilibrer le ratio végétal/ les fourrages produits sur des zones tale des prairies, dans l’objectif d’optimi- animal de son alimentation, assurer au moins ou non favorables aux cultures. ser et de favoriser leur intégration dans niveau mondial la fourniture des pro- De plus, ce débat se doit d’être associé les systèmes de production (par exemple duits animaux reste un enjeu fort. Pour aux choix d’utilisation non alimentaire en France : Petit et al., 2004 ; Cruz et al., faire face à la demande alimentaire des terres agricoles (production d’éner- 2010 ; Launay et al., 2011 ; Hulin et al., croissante, associée à l’augmentation du gie, artificialisation…) et à la nécessité 2012 ; Michaud et al., 2013 ; Couvreur pouvoir d’achat de pays très peuplés, il de réduire le gaspillage (Paillard et al., et al., 2018 ; Petit et al., 2019 ; Hulin et al., s’agira au regard des recommandations 2010 ; Couturier et al., 2016). 2019). de la FAO, d’augmenter la production de viande au niveau mondial de 70 % 1.2. De nouvelles Dans ce contexte, cet article a pour (tout type de viande confondu), celle connaissances objectif de proposer un état des lieux de lait et d’œuf de 60 % (Steinfeld et al., et des innovations pour des connaissances nouvelles et des 2006 ; Paillard et al., 2010), et ce dans un une meilleure mise en valeur innovations en termes d’outils de ges- contexte tendanciel de réduction des des surfaces en prairies tion des prairies, au regard de l’évolution surfaces (désertification, recouvrement par l’élevage de ruminants des enjeux de l’élevage de ruminants en marin, urbanisation…). zone tempérée. Les prairies considérées Les surfaces en herbe et particuliè- dans cet article sont les prairies per- Si les productions animales doivent rement en prairies permanentes sont manentes et temporaires (encadré 1). augmenter, il faudra questionner la le plus souvent situées dans des zones Cette synthèse permettra d’identifier les manière d’organiser ces filières au sein où les cultures ne sont pas possibles INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
Les prairies, une richesse et un support d’innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables / 155 Encadré 1. Point sur la définition et le fonctionnement des prairies permanentes et temporaires et l’évaluation de leur valeur environnementale et agricole (valeur nutritive et production). Prairies permanentes, prairies temporaires et prairies artificielles Les prairies sont des surfaces agricoles dont la végétation est utilisée pour la production de fourrage à récolter et /ou pour le pâturage d’animaux d’élevage. Le terme « prairies » recouvre les prairies permanentes, les prairies temporaires, et les prairies artificielles (Allen et al., 2011 ; Peeters et al., 2014). La figure 1 montre la répartition des prairies sur le territoire français et son évolution depuis 1950 selon les régions. Les prairies permanentes Ce sont les prairies composées d’espèces pérennes ou natives dans un écosystème géré sur du long terme (Allen et al., 2011 ; Couvreur et al., 2018). Ces surfaces prairiales sont plus complexes à gérer que les autres types de prairies. Parmi les prairies permanentes on distingue les prairies semi-naturelles (les plus diversifiées) implantées depuis plus de 10 ans et des prairies plus récentes, de 5 à 10 ans ou conduite de façon plus intensive (Peeters et al., 2014). Ces prairies sont composées de graminées (Poacées), légumineuses (Fabacées) et autres dicotylédones appelées en agronomie « diverses ». Les proportions de graminées, légumineuses et autres dicotylédones varient selon les prairies. La diversité floristique des prairies permanentes en Europe va de 15 à 100 espèces par prairie permanente (Plantureux et al., 1993 ; Tornambé et al., 2010) avec des moyennes pouvant atteindre 30 à 60 espèces (Jeangros et Schmid, 1991). Les prairies temporaires Ce sont des prairies composées d’espèces semées annuelles, pluriannuelles ou pérennes, de moins de 6 ans (Allen et al., 2011). Ces prairies sont majoritairement composées de graminées et légumineuses. Les autres dicotylédones entrent dans les mélanges semés avec des objectifs particuliers (résistance à la sécheresse…). La diversité floristique des prairies temporaires peut atteindre une dizaine d’espèces en mélange. Les prairies artificielles Ces prairies sont des surfaces de moins de 5 ans semées quasi exclusivement en légumineuses fourragères Ces prairies ne sont pas détaillées dans cet article. Prairies diversifiées De manière générale, on parlera de prairies diversifiées pour aborder les prairies composées de plusieurs espèces prairiales. Cela peut donc renvoyer aux prairies temporaires (prairies composées de plus de 3 espèces) et permanentes (prairies composées de plus de 35 espèces). Ces prairies diversifiées peuvent être utilisées en pâture ou en fauche dans les systèmes de production et sont ainsi considérées dans le système fourrager, le système de pâturage ou le système pastoral si ces prairies sont aussi composées de ligneux. Évolution des prairies selon les conditions du milieu et les pratiques de gestion La composition floristique des prairies, temporaires ou permanentes, évolue selon les conditions du milieu et les pratiques de gestion mises en place. Plusieurs auteurs ont montré les effets des pratiques de gestion (nombre de coupes, chargement...) et du milieu (altitude, composition du sol) sur la composition de la végétation, que ce soit la composition botanique ou fonctionnelle (Hopkins, 1986 ; Plantureux et al., 1993 ; Diaz et al., 1998 ; Klimek et al., 2007 ; Batary et al., 2010 ; Michaud et al., 2011 ; Pierik et al., 2017 ; Roukos et al., 2017). Estimation de la valeur environnementale des prairies En fonction de leur composition botanique ou taxonomique Les espèces prairiales ou la composition floristique d’une praire peut être abordées à partir de leur composition botanique ou taxonomique, i.e. en considérant la végétation comme un ensemble d’espèces, l’espèce étant une entité propre (Maire, 2009) ; l’abondance et la dominance des espèces présentes seront observées. En fonction de leur composition fonctionnelle Elles peuvent également être abordées à partir de la composition fonctionnelle des espèces. Il s’agit ici de regrouper les espèces selon leurs fonctions (plantes qui utilisent le vent pour la pollinisation...) (Grime, 1977). Estimation de la valeur agricole des prairies (production, valeur nutritive) L’approfondissement des connaissances sur les liens entre le milieu, les pratiques de gestion et la végétation a permis de mieux comprendre les facteurs principaux intervenant dans la prédiction de la production ou de la valeur nutritive. Ces travaux ont notamment été approfondi pour les prairies permanentes, qui du fait de leur forte diversité, engendrent des difficultés d’estimation de leurs valeurs agricoles (phénologies différentes…). Aujourd’hui des modèles de prédiction plus ou moins complexes, de la valeur nutritive et de la production des prairies permanentes sont établis à partir de la composition fonctionnelle et notamment des types fonctionnels proposées par Cruz et al. (2010), de la température et d’autres composants de la végétation (Duru et al., 2008 ; Michaud et al., 2014 ; Pierik et al., 2017). En prairies temporaires, cela permet de mieux adapter les espèces semées au milieu (Simon et al., 1997 ; Litrico et al., 2016). INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
156 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY Figure 1. Part des prairies dans la surface agricole de France et évolution des surfaces en prairies depuis 1950 en France et dans les principales régions herbagères (Agreste, 2018). pour des raisons d’accessibilité (mon- f onctionnement et la valeur fourragère contribuer à l’équilibre du système tagne…), ou de rendement trop faible de la plupart des espèces qui contri- d’élevage qui les valorise. (sols peu fertiles, climat rigoureux…). buent au rendement des prairies sont Elles contribuent au développement désormais connus (Grime et al., 1979 ; Ainsi aujourd’hui, que ce soit pour de l’élevage qui ainsi, rend ces sur- Cruz et al., 2010). Cette connaissance les prairies temporaires ou les prairies faces alimentaires « comestibles » pour affinée des mécanismes biologiques permanentes, nous disposons de réfé- l’Homme. et agronomiques permet de propo- rences en termes de production et de ser des ajustements de pratiques de valeur alimentaire pour différents cycles La très grande diversité des prairies gestion dans un objectif donné, par de végétation (figure 2 ; tableau 1). Les temporaires et permanentes a compli- exemple le maintien d’une biodiversité travaux conduits en France (Launay qué l’acquisition de références sur les prairiale ou l’augmentation de la pro- et al., 2011) ont permis de caractériser déterminants et les caractéristiques ductivité de la parcelle (De Foucault, la diversité des types de prairies en de leur production. Depuis le début 1992 ; Petit et al., 2004 ; Cruz et al., 2010 ; distinguant les prairies permanentes des années 2000 de nombreux travaux Hulin et al., 2012). Les connaissances (intensives et semi-naturelles) d’alti- ont permis d’une part, de caractériser sur la sensibilité des espèces prairiales tude (5 types), de zones semi-conti- les performances de certains types de aux fertilisants ou aux caractéristiques nentales (6 types), de zones océaniques prairies, et d’autre part, de proposer du sol sont également mieux éta- (5 types) et de zones côtières (3 types). des approches plus génériques, en blies (Ebeling et al., 2008 ; Batary et al., Pour chacun des 19 types définis par- s’inspirant notamment des concepts 2010). Les connaissances acquises ces Launay et al. (2011), des références de de l’écologie fonctionnelle (Diaz et al., dernières années notamment sur les production et de valeur alimentaire 1998 ; Duru et al., 2007 ; Cruz et al., 2010) prairies permanentes (Michaud et al., ont été données pour le 1er cycle et les (encadré 1). 2011et 2014 ; Hulin et al., 2019) ont ainsi repousses. Si la production annuelle été déclinées sur des territoires herba- moyenne des prairies permanentes est On connaît désormais beaucoup gers français particuliers (Jeannin et al., de 6,2 t MS/ha (Baumont et al., 2012), mieux les déterminants de la compo- 1991 ; Petit et al., 2004 ; Collectif, 2006 ; ces références confirment la variabilité sition spécifique, de la croissance et Galliot et al., 2019), ou à l’échelle de la de leur production. À l’échelle de l’an- de la qualité des prairies (Plantureux France (Launay et al., 2011). Connaître née, on trouve des prairies permanentes et al., 1993 ; Klimek et al., 2007 ; Klimas leur potentiel, leur répartition saison- produisant de 1 t MS/ha/an à plus de et Balezentiene, 2008 ; Pakeman nière de la production tout comme leur 8 t MS/ha/an (Jeangros et Schmid, et al., 2009). Les caractéristiques, le valeur alimentaire peut judicieusement 1991 ; Baumont et al., 2012). En termes INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
Les prairies, une richesse et un support d’innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables / 157 Figure 2. Services écosystémiques rendus et intérêt et limites des prairies pour l’animal et le troupeau, l’éleveur, le consom- mateur et le citoyen. Ce que les prairies apportent Ce que les prairies apportent à l’animal et au troupeau aux consommateurs et citoyens - Une ration complète qui se suffit à elle même - Une meilleure conformité des pratiques - Une valeur nutritive plus stable des prairies d’élevage diversifiées - Des paysages appréciés, avec des - Une souplesse d’exploitation pour les prairies ruminants dehors très diversifiées Services écosystémiques - Des produits de qualités nutritionnelle - Une expression favorisée des comportements et organoleptique élevées spontanés (bien-être animal) Réduction des pesticides – Équilibre agronomique de rotations – Régulation des flux d’eau – Réduction de l’érosion – Réduction - Une ressource variable en quantité des pertes de nutriments (nitrates) - Épuration - Un risque de déséquilibre territorial et qualité des eaux – Fixation de C – Enrichissement des en monoculture (P. permanentes/ - Des conditions climatiques parfois sols en MO – Maintien et accroissement de la campagnols) et dans le cas de difficiles biodiversité (bocage/habitats) pratiques excessives (fertilisation) - Toxicité et mortalité associée à certaines plantes En quoi les prairies répondent aux attentes de l’éleveur ? - De faibles coûts alimentaires au pâturage - Une opportunité d’utilisations multiples associée à la présence toute l’année - L’acceptation de l’imprévu et la - Un moindre recours aux intrants – Renforcement de l’autonomie nécessité d’anticiper, d’être opportuniste alimentaire - Plus grande sensibilité aux aléas - Une plasticité d’utilisation grâce à la diversité intra et inter climatiques parcellaire - Des performances animales plus - Moins de travail autour de l’alimentation (récolte, distribution) et variables de la gestion des effluents - Un certain épanouissement en regard des attentes sociétales Tableau 1. Repères de production et de valeur nutritive (en UFL, PDI et UEL) pour des prairies temporaires de type Ray-Grass anglais/Trèfle blanc et pour trois types de prairies permanentes très courantes en France (Sources : Launay et al., 2011 ; Jeulin et Delaby, données personnelles). Prairie temporaire Prairie permanente : (association Ray Grass anglais – d’altitude des plaines océanique Trèfle Blanc) type PA2 et collines type PSC4 type PO2 Début printemps (stade pâturage) Production (t MS/ha) 1,8 1,9 1,6 1,9 Valeur alimentaire UFL (/kg MS) 1,00 0,97 0,99 1,04 PDI (/kg MS) 105 102 102 105 UEL (/kg MS) 0,97 0,97 0,97 0,95 Fin printemps (stade récolte ensilage) Production (t MS/ha) 4,0 5,0 4,6 5,2 Valeur alimentaire UFL (/kg MS) 0,88 0,76 0,81 0,82 PDI (/kg MS) 85 78 82 79 UEL (/kg MS) 1,04 1,08 1,06 1,06 Repousses d’été (6 semaines) Production (t MS/ha) 1,5 0,8-1,0 1,0-1,2 0,6-0,8 Valeur alimentaire UFL (/kg MS) 0,90 0,92 0,83 0,88 PDI (/kg MS) 105 105 93 98 UEL (/kg MS) 0,98 0,98 1,03 1,00 PA2 : Prairies mixtes d’altitude peu fertilisées à flouve odorante et fétuque rouge, PSC4 : Prairies des plaines et collines pauvres en légumineuses, à agrostide vulgaire et ray-grass anglais ; PO2 : Prairies océaniques pâturées, fertilisées et faiblement chargées à ray-grass et trèfle blanc. UFL : Unité Fourragère Lait ; PDI : Protéines Digestibles dans l’Intestin ; UEL : Unité d’Encombrement Lait INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
158 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY de valeur a limentaire, la valeur énergé- prairies sont les typologies de prairies. qui n’ont pas tous les mêmes besoins. tique et azotée de la plupart des types Ces outils permettent de référencer les Une prairie n’est pas bonne ou mauvaise de prairies permanentes d’altitude, de valeurs des prairies d’un point de vue mais plus ou moins adaptée à une caté- zone semi-continentale et océanique agricole et/ou environnemental, selon gorie d’animaux à un moment donné est proche de celle des espèces pures leur diversité floristique. Ces outils se de la saison ; des relations entre types comme le ray-grass, le dactyle et la basent sur la diversité des types de de prairies et fonctions fourragères fétuque présentes dans les tables INRA graminées (typologie fonctionnelle sont proposées dans ce sens (Launay de la valeur alimentaire des fourrages ABCD des graminées de prairies (Duru et al., 2011). D’autres outils, centrés sur (Baumont et al., 2018). et al., 2010) ou prennent en compte l’en- le troupeau ou la ration, permettent de semble de la diversité floristique à une gérer l’adéquation entre les besoins Ces connaissances scientifiques géné- échelle nationale (Launay et al., 2011) et les apports aux animaux (système rales et locales peuvent être diffusées ou locale (Jeannin et al., 1991 ; Hubert et d’alimentation INRA 2018 et logiciel en tant que telles ou sous forme de livre Pierre, 2003 ; Petit et al., 2004 ; Collectif, INRAtion® V5 et RUMINAL® développés pédagogique (Couvreur et al., 2018) ou 2006 ; Galliot et al., 2020). Ces travaux avec France Conseil Élevage (INRA, d’outils d’aide à la gestion des prairies. ont permis de proposer notamment 2018), permettant ainsi, de mettre à dis- Au niveau national, ceux-ci sont nom- des références de valeur alimentaire position des animaux, des fourrages ou breux et sont construits en privilégiant des prairies à l’échelle nationale qui une ration herbagère journalière répon- une entrée par la végétation, ou par peuvent ensuite être déclinés à une dant à leur besoin. Les connaissances l’animal. On trouve des outils d’analyse échelle locale pour affiner le conseil. approfondies sur les types de prairies (figure 3) : Pour un éleveur, mieux connaître la ont permis d’améliorer ces outils ; valeur de chaque type de prairie et son i) à l’échelle du troupeau, de la ou des évolution, lui permet de mieux affecter ii) à l’échelle du système de pâturage. parcelles. Les outils les plus classiques ses prairies (pâture ou herbe récoltée) Ils sont très développés en France et qui offrent des repères généraux sur les aux différentes catégories d’animaux concernent la conduite des systèmes Figure 3. Positionnement des principaux outils et jeux ludiques d’analyse pour la gestion des prairies en France (gestion directe de prairies), selon le niveau d’application de l’outil (parcelle...) et la clé d’entrée choisie (animal ou végétal). Entrée animal HerbVAlo (Delagarde et al., 2017) Calendrier Pâtur’Plan pâturage INRAtion (Delaby et al., 2014) (Balent, 1993) RUMINAL ® Méthode grenouille Bilan fourrager Troupeau (Agreil et al., 2004) (Coleou, 1960) Parcelle(s) Système Système Exploitation de pâturage fourrager agricole Pâturage tournant Dialog dynamique (Theau et al., 2010) Typologie Pâtur’ajuste fonctionnelle (Agreil et al., 2011) ABCD (Duru et al., 2010) DIAM Jeu AEOLE (Farruggia et al., 2012) Typologies (Jeannin et al 1991 ; Hubert et Pierre 2003 ; Petit et al., 2004 ; Rami Fourrager Collectif, 2006 ; Hulin et al., 2011 ; Launay et al., 2011) (Martin et al., 2011) Somme T Entrée par la végétation INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
Les prairies, une richesse et un support d’innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables / 159 herbagers avec une pression forte sur 1.3. Besoins de recherche des systèmes herbagers, et des prai- l’herbe (par exemple Pâtur’Plan, Delaby et d’innovation ries. L’utilisation de drones et d’images et al., 2014), ceux adoptant un pâturage provenant de satellites fait également tournant plus ou moins lent ou des sys- Même si les connaissances sur les l’objet de recherches pour développer tèmes plus extensifs reposant sur des prairies ont fortement progressé ces de nouveaux outils de caractérisation couverts avec des ligneux (méthode dernières années notamment à l’échelle et de gestion des prairies (Pottier et al., Grenouille en milieu méditerranéen, de la communauté végétale, il reste à 2017). Agreil et al., 2004). Des outils d’analyse approfondir les connaissances sur la a posteriori qui permettent d’objecti- compréhension de l’évolution de la ver la valorisation de ces prairies, tel valeur agricole des prairies temporaires 2. La prairie pour Herb’Valo (Delagarde et al., 2017) sont et permanentes dans une dynamique préserver et améliorer également disponibles ; intra et interannuelle pour mieux com- l’environnement prendre les marges de manœuvres en iii) à l’échelle du système fourrager. Le termes de gestion agricole (pratiques 2.1. Un enjeu fort : système fourrager inclut les parcelles agricoles). Mieux comprendre les effets contribuer à la transition destinées au pâturage et les parcelles des pratiques de gestion sur l’évolution agroécologique destinées aux stocks pour l’hiver. Ces d’une prairie et plus largement le com- outils peuvent être simples à appré- portement des prairies en termes d’évo- Les modes de production à venir hender comme le calcul du bilan four- lution de flore constituent également devront rester productifs mais plus rager (Coleou, 1960) ou plus complexe une piste à travailler que ce soit pour respectueux de la planète, car les acti- en tenant compte de la gestion du la valeur de production ou environne- vités agricoles ont un impact fort sur pâturage et des stocks en zone prai- mentale de la prairie. L’augmentation l’environnement (Stassart et al., 2012). riale (Dialog -Theau et al., 2018) ou en des dégâts liés à la faune sauvage En effet le secteur mondial de l’élevage milieu pastoral (Pâtur’Ajuste -Agreil (sangliers, campagnols…) nécessite utilise 30 % des terres, 32 % de l’eau et al., 2011). Ils permettent d’avoir un également de mieux comprendre la potable et de pluie et contribue pour regard global sur le pâturage et/ou dynamique de restauration des prairies 18 % aux émissions de gaz à effet de les stocks de fourrages. Des jeux sont pour optimiser leur gestion. serre (Herrero et al., 2015). L’élevage, également disponibles pour simuler dans sa forme intensive – au sens de manière ludique la gestion de son Les connaissances sur la gestion des associé à un recours important aux système fourrager (Rami fourrager, prairies permanentes et temporaires intrants du fait d’un déséquilibre entre Martin et al., 2011) et la complémen- ne manquent pas et répondent à des les potentialités du milieu et le char- tarité entre les prairies (jeu AEOLE non attentes différentes au niveau de la gement animal par unité de surface –, publié) ; parcelle, de la sole pâturée, du système contribue également à plusieurs autres fourrager. Aujourd’hui il existe très peu problèmes environnementaux majeurs, iv) à l’échelle de l’exploitation agricole. d’outils développés à une échelle ter- tels que l’eutrophisation, la dégradation Ces outils ont plutôt vocation à avoir ritoriale plus large que l’exploitation des sols, la déforestation et la perte de un regard plus global sur le système : agricole. Quelques jeux abordent ces biodiversité (Steinfeld et al., 2006). Ces ils intègrent une analyse du bilan four- aspects (Ryschawy et al., 2019 ; Dernat éléments alimentent les questions sur rager et d’autres performances de l’ex- et al., 2020) mais ne sont pas centrés la place de l’élevage dans le paysage ploitation agricole, liées à la présence sur la gestion des prairies. De tels outils mondial de demain et contribuent à de prairies, comme la performance pourraient avoir un intérêt pour réflé- renouveler les attentes sociétales vis- environnementale (Diagnostic DIAM chir une gestion collective des prairies à-vis de l’agriculture (environnement, -Farruggia et al., 2012cf. § 2.2). à l’échelle d’un territoire ou répondre à risques sanitaires…). des attentes plus globales, notamment Les agriculteurs s’approprient assez environnementales (flux d’eau, bocage, Face à ces constats, les alternatives facilement ces outils. Des formations paysage). consistent soit à réduire les impacts sont parfois nécessaires auprès des négatifs par une amélioration des sys- organismes de conseil ou des créateurs La gestion des prairies peut égale- tèmes existants, soit à concevoir de des outils. Pour faciliter la dissémina- ment être facilitée par l’utilisation des nouveaux systèmes comme le propose tion d’innovations et les échanges, des techniques d’élevage de précision, l’agroécologie, à laquelle se rattachent groupes locaux et nationaux de conseil- notamment les capteurs de mouve- les systèmes de production autonomes lers et acteurs du terrain sont mis en ments ou de géolocalisation (Shalloo et économes (e.g.Alard et al., 2002) place (RMT Prairies Demain1). et al., 2018). Ces outils, en cours de et l’agriculture biologique (Tichit et développement, pourraient notam- Dumont, 2016). Au-delà de la réduc- ment permettre un enregistrement tion des impacts environnementaux, automatisé du calendrier de pâturage, l’agroécologie propose de substituer 1 RMT : Réseau Mixte Technologique concernant la valorisation des prairies (2014-19), dont les élément de mémoire indispensable à les intrants chimiques et énergétiques activités élargies se poursuivent au sein du RMT l’analyse du réalisé et à une meilleure par des processus naturels, en jouant « Avenirs Prairies » (2021-25). compréhension du fonctionnement notamment sur la diversité des INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
160 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY s ystèmes et un meilleur bouclage des titre, les bénéfices environnementaux gestion des prairies qui permettent cycles (minéraux, énergie, eau). La prai- des prairies permanentes et temporaires de mieux exprimer ce potentiel de rie permanente et, dans une moindre sont multiples : limitation de l’érosion, services rendus. Les typologies de mesure, la prairie temporaire, s’ins- régulation des flux d’eaux (prévention prairies récentes intègrent un certain crivent parfaitement dans cette option des crues, stockage d’eau), filtration des nombre de services écosystémiques agroécologique. Si la productivité par polluants minéraux et organiques pour en se basant sur la composition floris- hectare ou par animal de ces systèmes les prairies en général et préservation de tique des prairies (Launay et al., 2011 ; alternatifs peut être plus faible de 5 à la biodiversité floristique, faunistique et Theau et al., 2017 ; Galliot et al., 2020). 30 % selon les situations (De Ponti et al., microbienne (surtout si la gestion de la Un outil à l’échelle du système d’exploi- 2012 ; Ponisio et al., 2014), ils montrent prairie est extensive), réduction du bilan tation intègre les aspects agricoles et les d’autres intérêts, comme une meilleure des GES en élevage via une séquestra- services rendus par les prairies : DIAM résilience au changement climatique tion de carbone proche de celle d’une (Farruggia et al., 2012). Ce type d’outils (Chen et Chappell, 2009) ou le respect forêt, intérêt paysager plus particuliè- permet de montrer l’intérêt environ- de l’environnement (Tuomisto et al., rement pour les prairies permanentes nemental des systèmes prairiaux à un 2012). Ces systèmes de production (Mauchamp et al., 2013). public de conseillers, d’agriculteurs et reposant fortement sur l’herbe et le lien de citoyens (figure 4). au sol sont donc des pistes très intéres- Tout bénéfice pour l’Homme tiré des santes pour faire face aux enjeux agri- écosystèmes agricoles est lié à deux 2.3. Besoins de recherche coles et environnementaux dans une types de facteurs : les services écosys- et d’innovation vision d’augmentation de la production témiques proprement dit, et l’utilisation agricole mondiale tout en considérant de « capital humain » (intrants, énergie, L’analyse des services écosysté- des spécificités territoriales où les sys- main-d’œuvre…) pour assurer ces béné- miques rendus permet de valoriser le tèmes herbagers seraient certes moins fices. Pour produire une tonne de four- rôle environnemental des systèmes productifs mais compenseraient cela rage, une prairie utilise généralement herbagers à différentes échelles (terri- par une meilleure valeur environne- moins de capital humain (engrais, pes- toire, système…). Cependant ces ser- mentale (Huguenin-Elie et al., 2018). ticides, machinisme, temps de travail), vices rendus ne sont pas suffisamment qu’une culture fourragère (Couvreur communiqués auprès de la société et 2.2. Une capacité et al., 2018). En ce sens le bénéfice tiré ne sont donc pas estimé et rémunéré à des prairies à produire par l’Homme des prairies est intéressant leur juste valeur. Plusieurs voies doivent des services écosystémiques car il repose en grande partie sur les ser- être envisagées : En premier lieu, il est vices écosystémiques. nécessaire de disposer d’une quanti- Le concept de « Service Éco fication économique des services. Si systémique » (SE), même s’il est encore Ainsi le concept de services écosysté- celle-ci est en cours, elle reste à appro- peu utilisé par le grand public, four- miques permet de mettre en évidence fondir d’autant plus que ce concept de nit un cadre de réflexion qui permet les multiples effets positifs des prairies. monétarisation de la nature ne fait pas de mettre en avant les bénéfices de Plusieurs travaux ont essayé de lister l’unanimité. Des connaissances restent l’usage des prairies dans les systèmes ces services rendus au niveau d’un pay- à acquérir sur la rémunération du stoc- d’élevage, en partie décrit auparavant sage (Lavorel et al., 2011 ; Lasseur et al., kage de carbone par les prairies et des sous le terme de « multifonctionna- 2018) ou par les prairies permanentes recherches sur ce sujet sont en cours, lité » (Béranger et Bonnemaire, 2008 ; (Baumont et al., 2012 ; Michaud et al., ainsi que sur le niveau de stockage Amiaud et Carrère, 2012). Ce concept, 2013 ; Galliot et al., 2019) de manière précis et le nombre d’années à partir apparu dans les années 1970 a d’abord plus ou moins exhaustive (Therond et al., duquel les sols prairiaux ne stockent été défini au début des années 2000 2017 ; Lemaire et al., 2019). Certains plus de carbone (Label Bas Carbone, comme un ensemble d’avantages (ou d’entre eux vont jusqu’à une évaluation en cours). Il semble également impor- de bénéfices) que l’Homme retire des des services de manière qualitative ou tant de chiffrer le coût, en argent et en écosystèmes (Millenium Ecosystem quantitative (Therond et al., 2017). Ces temps, de la mise en place « technique » Assessment, 2005 ; Fisher et Turner, évaluations qualitatives sont certes peu de ces services, c’est-à-dire la traduc- 2008). L’étude française EFESE d’éva- précises car elles sont souvent calculées tion concrète en pratiques de gestion luation des SE a remis en cause cette de manière indirecte comme le service mises en œuvre sur une ferme, en chif- définition (Therond et al., 2017). Elle de pollinisation ou de séquestration du frage du temps de travail pour chaque définit les SE, non plus comme les avan- carbone mais apportent des éléments service ou en cahier des charges. Cela tages, mais comme les processus écolo- de repères pour la société. Les évalua- permettra aux décideurs politiques de giques ou les éléments de la structure tions quantitatives sont plus rares car proposer aux éleveurs des mesures de de l’écosystème dont l’Homme dérive plus complexes à mettre en œuvre mais compensation financière, les incitant des avantages. seraient pertinentes pour discuter de la par là-même à conserver des prairies, juste valeur de ces services. et à les conserver dans un état per- Les écosystèmes prairiaux sont à mettant la fourniture de services éco- l’origine de nombreux bénéfices dont Ces connaissances commencent systémiques. Enfin, le prix de vente l’Homme tire avantage (figure 2). À ce à être transférées dans des outils de des produits animaux devra pouvoir INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
Les prairies, une richesse et un support d’innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables / 161 prendre en compte de manière plus Figure 4. Exemple de représentations sous forme de radars avec l’outil DIAM ou moins complète le paiement de ces (DIAgnostic Multifonctionnel de la surface fourragère), des atouts environne- mentaux des prairies permanentes et des atouts pour les fromages. services. L’évaluation quantitative des conséquences de la disparition des ser- vices devrait également être dévelop- pée, de manière à mieux communiquer sur les enjeux à maintenir ces services existants. Au final, la rémunération des services nécessite à la fois de progresser dans les connaissances agronomiques et économiques, mais implique aussi des innovations sur le plan politique et social. 3. La prairie pour améliorer la santé des consommateurs, la santé et le bien-être des animaux et la qualité des produits 3.1. Des enjeux forts : assurer la santé des Hommes, des animaux et le bien-être des animaux Les modes de production actuels et le suivi sanitaire des produits nous permettent d’accéder à une nourri- ture saine et indemne de risques ali- mentaires immédiats et graves (telles les zoonoses, intoxications, contami- L’outil de diagnostic DIAM permet de quantifier les atouts des prairies permanentes ou diversifiées pour nations). Par ailleurs, les produits ani- l’environnement ou pour la qualité des fromages dans le cas d’exploitations agricoles en transformation maux permettent d’assurer un apport fromagère. Ce diagnostic s’appuie sur une caractérisation des prairies permanentes sur l’ensemble de nutritionnel essentiel en certains l’exploitation agricole et permet de discuter de perspectives de gestion de ces surfaces au regard d’enjeux nutriments aussi bien dans les pays environnementaux. TP : Taux Protéique ; TB : Taux Butyreux ; PVL : Potentialité de Valorisation du Lait. développés pour certaines fractions de la population (protéines pour les leurs aliments (Lacroix et Giffort, 2019 ; interrelations dans un objectif de santé personnes âgées…) que pour des pays Sanchez-Sabate et Sabate, 2019 ; Wang et de bien-être de ces différents objets en développement, et permettent et Basso, 2019). Si la santé du consom- (Rockström et al., 2009). Que ce soit aussi de contribuer au bien-être de mateur est à garantir, la prise en par leurs modes de conduite moins l’Homme par la qualité organoleptique compte de celle des animaux d’élevage impactants pour l’environnement, les et technologique des produits princi- ainsi que leur bien-être s’ajoute à cette services qu’elles rendent (Lasseur et al., palement dans les pays à fort pouvoir exigence. En effet, ces éléments font 2018) ou par leurs effets sur la santé d’achat, surtout les pays à forte tra- l’objet de questionnements récurrents des animaux (Likkesfeldt et Svendsen, dition culinaire. Cependant plusieurs et influents de la part de la société, de 2007 ; Zeiler et al., 2010 ; Durand et al., événements de ces dernières décen- plus en plus sensible aux modes de 2013) les prairies peuvent constituer nies (crise de la vache folle, remise en production des animaux et à leurs une réponse intéressante aux enjeux cause de l’utilisation des pesticides…) conséquences sur l’animal (Saatkamp de santé globale. ont instauré une méfiance de la part et al., 2019). Le concept de « santé glo- des citoyens face aux risques sanitaires bale » (Koplan et al., 2009) ou « santé Enfin, le bien-être de l’animal et sa plus sournois, à long terme associés unique » (Duru et al., 2016) permet de santé sont des éléments qui font débat aux aliments consommés, particuliè- faire le lien entre santé humaine, santé dans la société occidentale. Cela induit rement dans les pays à fort pouvoir animale et celle de l’environnement. même des réflexions plus globales d’achat. Certains citoyens veulent Cette approche globale et systémique sur le lien que l’Homme doit entrete- mieux connaître ce qu’ils mangent, vise à appréhender les humains, les nir avec l’animal, ce qui questionne l’origine et le comment sont produits animaux, l’environnement et leurs d’une part, les modes de production INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
162 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY a gricoles, et d’autre part, la consom- Si le bien manger et la santé du en tant qu’arômes ou sous forme de mation de la viande et de produits consommateur sont mises en avant, tisanes (www.degustonfoin.fr). animaux en général. Les systèmes her- celle des ruminants est également bagers prennent tout leur sens dans de concernée. Les rôles des antioxy- 3.3. Besoins de recherche tels débats, mais il importe d’objectiver dants contre les problèmes liés au et d’innovation les effets positifs associés aux prairies stress oxydatif sont bien connus chez sur ces éléments de débats et de les plusieurs espèces animales (Miller La quantification de l’effet santé faire reconnaître comme tels (Mee et et al., 1993 ; Celi, 2010 ; Niki, 2010) et des prairies diversifiées est une piste Boyle, 2020). quelques effets sont mis en évidence de recherche importante puisqu’elle comme la supplémentation en vita- constituerait un argument supplé- 3.2. L’herbe influence mine E et en sélénium sur la réduction mentaire pour les valoriser dans les favorablement du risque de mammites (Zeiler et al., systèmes de production. Il convien- la santé des Hommes 2010). L’effet d’autres métabolites drait d’associer agronomes, zootech- et des animaux, la qualité secondaires sur la santé des animaux niciens, vétérinaires, toxicologues, organoleptique des produits a été mis en avant comme l’effet des pharmacologues et médecins dans des animaux et le bien-être tanins condensés sur l’activité anti- programmes de recherche, rejoignant des animaux parasitaire (Minh et al., 2003 ; Hoste le concept de « santé unique ou glo- et al., 2005). Plus largement certains bale ». Si des travaux ont été menés en Si les produits laitiers ont pu faire effets sur les animaux des espèces regard du potentiel rôle « santé » des l’objet de critiques en raison de leur prairiales et fourragères qu’ils soient prairies (Bareille et al., 2019 ; Sulpice teneur élevée en acides gras saturés, médicinaux ou toxiques sont assez et al., 2019) et particulièrement des facteur de risque des maladies cardio- bien connus (Valnet, 1972 ; Bruneton, prairies diversifiées, il reste encore vasculaires, celles-ci sont à relativiser 2016), notamment dans le domaine des pistes de recherche à creuser. Les aujourd’hui notamment par la mise vétérinaire. À ce titre, des « prairies santés animale et humaine sont émi- en évidence d’un effet de la compo- médicaments » sont mises en place nemment multifactorielles, et parvenir sition de la ration des animaux sur la par certains éleveurs, dans l’objectif à isoler le rôle spécifique de la prairie composition en acides gras, selon les de tester l’effet santé d’une plante est un défi expérimental important. espèces végétales (Martin et al., 2019) ou d’un cocktail de plantes réputées Par ailleurs, le fait de savoir qu’une (figure 2). Les prairies sont riches en bénéfiques. Des espèces ayant un espèce que l’on peut retrouver dans acides gras de type oméga 3 que l’on rôle pour la santé sont proposées aux les prairies est potentiellement favo- retrouve ensuite dans les produits lai- animaux durant une période donnée rable à la santé ne suffit pas : encore tiers (Chilliard et al., 2007), ce qui aurait sous forme de plante seule ou en faut-il que la prairie en contienne, que alors un effet de protection vis-à-vis mélange dans la prairie ou encore de l’animal la consomme, et en connaître des risques de maladies cardiovascu- bosquets implantés sur les bords de les doses efficaces, les formes molé- laires. La composition floristique des la prairie. Enfin, les prairies par le biais culaires qui déclenchent un réel effet prairies, leurs conditions de croissance du pâturage permettent à l’animal de sur la santé et les synergies et antago- (climat, sol), le stade de récolte et le mieux exprimer un comportement nismes potentiels. Les techniques de mode de conservation de l’herbe ont naturel en le laissant choisir sa nour- dosage des molécules d’intérêt pour un rôle déterminant sur la nature et la riture et se déplacer librement. la santé ont beaucoup progressé ces quantité des métabolites secondaires dernières années, en abaissant les (Fraisse et al., 2007) dont certains d’in- Les prairies jouent également un seuils de détection, les coûts d’ana- térêt pour la santé humaine : composés rôle dans la qualité organoleptique lyse et en permettant l’analyse « à haut phénoliques, terpènes, caroténoïdes, des produits animaux. Des liens entre le débit » ce qui ouvre des perspectives alcaloïdes et quinones (Mulligan et système de pâturage ou le type de prai- intéressantes. Bien que la composition Doherty, 2008 ; Poutaraud et al., 2017). ries et l’onctuosité, la couleur, la flaveur en métabolites secondaires des princi- La teneur de l’herbe en caroténoïdes, ou le goût du fromage ont été établis pales espèces/variétés fourragères soit précurseurs de la vitamine A ou en (Jeangros et al., 1997 ; Farruggia et al., connue (Nozière et al., 2006 ; Reynaud polyphénols joue un rôle avéré dans 2008 ; Coppa et al., 2012) mais doivent et al., 2010 ; Graulet et al., 2012 ; la limitation des phénomènes oxy- être mieux maitrisé et mis en valeur. Pickworth et al., 2012), celle de plantes datifs, à l’origine de maladies infec- Plusieurs fromages AOP de montagne présentes en plus faible proportion tieuses et inflammatoires (Miller et al., mettent d’ailleurs en avant ce point dans les prairies permanentes ou très 1993 ; Likkesfeldt et Svendsen, 2007 ; dans leur communication, en faveur diversifiées reste à établir. En outre, et Farruggia et al., 2008 ; Durand et al., d’une reconnaissance et une meilleure dans une approche d’agroforesterie, le 2013). De nombreux travaux sont en valorisation de leurs produits. L’AOP rôle des ligneux présents dans les prai- cours pour préciser les liens entre la Comté a ainsi proposé une rosace des ries est encore largement méconnu, qualité de l’herbe consommée par les arômes de ses fromages, en lien avec la malgré des premières études sur leurs ruminants, la qualité des produits ani- diversité des prairies. De manière plus valeurs alimentaires (Emile et al., 2017). maux (lait, viande, fromage) et la santé anecdotique, le foin de prairies diver- Les effets des plantes à métabolites de l’Homme (Martin et al., 2019). sifiées peut être utilisé dans la cuisine, secondaires sur la santé de l’animal ou INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
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