Les prairies, une richesse et un support d'innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables

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Les prairies, une richesse et un support d'innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables
Les prairies, une richesse                                                                                                  INRAE Prod. Anim.,
                                                                                                                            2020, 33 (3), 153-172

  et un support d’innovation
  pour des élevages de ruminants
  plus durables et acceptables
Audrey MICHAUD1, Sylvain PLANTUREUX2, René BAUMONT1, Luc DELABY3
1
 INRAE, Université Clermont Auvergne, Vetagro Sup, UMRH, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France
2
 Université de Lorraine, INRAE, LAE, 54000, Nancy, France
3
 PEGASE, INRAE, Institut Agro, 35590, Saint Gilles, France
Courriel : audrey.michaud@vetagro-sup.fr

„„ Aujourd’hui on dispose de connaissances techniques et d’outils pour mieux valoriser les prairies. Au-delà de
leur utilisation par les ruminants, elles présentent de nombreux atouts, qu’ils soient environnementaux, de
qualité des produits, de santé animale et humaine, ou vis-à-vis des aléas climatiques et économiques. Mais il
reste encore à mieux quantifier les services rendus par les prairies, à mieux évaluer leurs réponses faces aux aléas
climatiques et à mieux les faire reconnaître.

Introduction                                              ­ iminution ou un arrêt de la consom-
                                                          d                                             a­ nimales. Redonner une place impor-
                                                          mation de produits animaux (flexita-           tante aux prairies pourrait contribuer
                                                          risme, végétarisme, véganisme).                à une solution à ces différents enjeux
   L’agriculture, et particulièrement                                                                    particulièrement pour l’élevage des
l’élevage, traverse aujourd’hui une crise                    À cette crise d’acceptabilité s’ajoutent    herbivores ruminants (bovins, ovins,
importante. L’élevage est critiqué pour                   les aléas climatiques et économiques de        caprins). En effet, les prairies béné-
son impact environnemental : contri-                      plus en plus fréquents qui affectent les       ficient d’une image positive pour le
bution au réchauffement climatique                        systèmes de production et leur viabilité.      grand public car elles sont associées à
via des déforestations et émission de                     Dans un contexte de mondialisation où          une production « naturelle », et perçues
gaz à effets de serre (Steinfeld et al.,                  les cadres règlementaires, les conditions      comme favorables en termes de bien-
2006), perte de biodiversité, eutrophi-                   socio-économiques et l’environnement           être animal, de qualité des produits ani-
sation des eaux. Les sociétés occiden-                    sociétal varient fortement d’un pays à         maux et de services environnementaux.
tales remettent en cause l’élevage pour                   l’autre, l’agriculture française et euro-      Ces qualités des prairies dépendent du
des raisons éthiques (bien-être animal,                   péenne est en plein questionnement :           type de prairie, et nous aborderons
principe même de l’élevage d’animaux)                     Quel avenir pour l’élevage ? Quelles           dans cet article à la fois les prairies tem-
(Lacroix et Gifford, 2019), et pour son                   formes d’élevage ? Commente rester             poraires et les prairies permanentes. Au
impact sur la santé humaine, en lien                      compétitif ? Comment rendre l’activité         sein de ces prairies permanentes, les
avec une consommation excessive de                        d’élevage acceptable par la société et         prairies semi-naturelles correspondent
produits animaux. Dans la plupart des                     par les éleveurs et durable ? L’élevage        aux prairies permanentes plus diver-
pays européens, cela se traduit par                       va devoir se reconfigurer pour répondre        sifiées et moins intensifiées, selon la
une diminution de la consommation                         à ces enjeux.                                  définition du groupe d’experts de l’Eu-
individuelle de viande, en particulier                                                                   ropean Grassland Federation (Peeters
de viandes rouges (Sanchez-Sabate et                        Cette remise en cause de l’élevage par      et al., 2014)
Sabate, 2019 ; Wang et Basso, 2019)                       une partie minoritaire mais croissante
et par une montée en puissance de                         et influente des citoyens et consom-            Malgré les souhaits des pou-
courants de pensée prônant une                            mateurs concerne toutes les filières          voirs publics, les surfaces en prairies

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2020.33.3.4543                                            INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
Les prairies, une richesse et un support d'innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables
154 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY

­ ermanentes ont fortement régressé
p                                                   atouts qui renforcent l’intérêt des prairies   des territoires et de leurs enjeux, pour
depuis les années 1970 en France                    dans les systèmes de production rumi-          laisser la place aux cultures (céréales…)
comme en Europe, après avoir forte-                 nants (bovins, ovins et caprins), mais         et surfaces légumières (légumineuses
ment progressé au cours du 20e siècle.              aussi les points-clés à approfondir pour       potagères, autres légumes) à destina-
Si en France, elles représentent encore             appréhender les futurs enjeux. Ce travail      tion de l’alimentation humaine dans les
environ un tiers de la surface agricole             s’inscrit dans un contexte français mais       espaces qui leur sont le plus favorables.
utile (SAU – Agreste, 2018), leur main-             les éléments de discussion peuvent avoir       Il faudra de plus réfléchir à la manière de
tien est incertain dans de nombreuses               une portée plus générique, notamment           réorganiser la destination des cultures.
zones soit du fait de la concurrence avec           pour des zones agro-climatiques com-           En effet, aujourd’hui une partie impor-
les cultures fourragères et les cultures            parables. Nous aborderons les points           tante des productions végétales issues
de vente, soit parce que menacé par le              concernant la prairie et son rôle dans la      des terres cultivables (34 % des surfaces
changement d’usage des terres (artificia-           production de lait et de viande, puis le       mondiales) est utilisée pour nourrir les
lisation, friche, reforestation). Les raisons       rôle de la prairie dans la préservation de     animaux d’élevage, avec un rendement
principales du désintérêt d’une partie              l’environnement. Ensuite nous discute-         de valorisation faible puisqu’il faut de
des éleveurs pour la prairie résident               rons les effets de la prairie sur la santé     2,5 à 10 kg de protéines végétales pour
dans le déficit de références techniques,           des animaux et des Hommes et du rôle           produire 1 kg de protéines animales
scientifiques et économiques et dans                qu’elle peut jouer dans les systèmes de        (Laisse et al., 2018 ; Mottet et al., 2018).
des freins sociaux (Michaud et al., 2008).          production dans un contexte de change-         Il importe cependant de relativiser ce
À titre d’exemple, pour une partie des              ment climatique et d’aléas économiques,        dernier argument souvent évoqué. En
éleveurs et de leurs conseillers, les prai-         tout en considérant les principaux freins      effet, les animaux d’élevage et notam-
ries permanentes constituent un modèle              à leur développement dans les systèmes         ment les ruminants en zone peu ou
technique dépassé, inadapté, et les défi-           de production.                                 pas cultivable consomment essentiel-
cits fourragers associés aux sécheresses                                                           lement des produits végétaux qui ne
et canicules de ces dernières années                                                               peuvent pas être directement valori-
aggravent encore ce diagnostic. Il existe
                                                    1. La prairie pour produire                    sés par l’Homme (résidus de culture,
certes des arguments objectifs en défa-             du lait et de la viande                        coproduits des industries agroalimen-
veur des prairies : rendements fourragers                                                          taires, fourrages…). Ainsi, par exemple,
généralement plus faibles que d’autres              „„1.1. Un enjeu fort :                         un système laitier herbager peut pro-
cultures fourragères comme le maïs,                 répondre à la demande                          duire jusqu’à 2 fois plus de « protéines
valeur alimentaire instable, complexité             mondiale                                       consommables par l’Homme » dans le
de gestion, toxicité de certaines espèces,                                                         lait et la viande qu’il n’en consomme
etc. Ces arguments sont souvent les seuls              La population humaine devrait passer        dans les céréales et les protéagineux
mis en avant, sans envisager et promou-             de 7,7 milliards d’habitants actuellement      (Laisse et al., 2018). Pour limiter la com-
voir les atouts associés aux prairies per-          à 9,1 milliards en 2050. (Paillard et al.,     pétition « feed/food », les systèmes
manentes et/ou diversifiées de longue               2010). Cette augmentation sera essen-          d’élevage du futur devront donc être
durée et à leurs usages. Cette réalité              tiellement le fait des pays d’Afrique et       raisonnés en complémentarité avec
perdure, malgré de nombreux travaux                 d’Asie. Même si une partie de l’huma-          les productions végétales destinées à
conduits depuis plusieurs décennies                 nité, particulièrement les pays indus-         l’alimentation humaine et valoriser en
pour apporter plus de références sur les            trialisés, doit impérativement faire des       priorité les coproduits alimentaires et
valeurs agronomique et environnemen-                efforts pour rééquilibrer le ratio végétal/    les fourrages produits sur des zones
tale des prairies, dans l’objectif d’optimi-        animal de son alimentation, assurer au         moins ou non favorables aux cultures.
ser et de favoriser leur intégration dans           niveau mondial la fourniture des pro-          De plus, ce débat se doit d’être associé
les systèmes de production (par exemple             duits animaux reste un enjeu fort. Pour        aux choix d’utilisation non alimentaire
en France : Petit et al., 2004 ; Cruz et al.,       faire face à la demande alimentaire            des terres agricoles (production d’éner-
2010 ; Launay et al., 2011 ; Hulin et al.,          croissante, associée à l’augmentation du       gie, artificialisation…) et à la nécessité
2012 ; Michaud et al., 2013 ; Couvreur              pouvoir d’achat de pays très peuplés, il       de réduire le gaspillage (Paillard et al.,
et al., 2018 ; Petit et al., 2019 ; Hulin et al.,   s’agira au regard des recommandations          2010 ; Couturier et al., 2016).
2019).                                              de la FAO, d’augmenter la production
                                                    de viande au niveau mondial de 70 %            „„1.2. De nouvelles
   Dans ce contexte, cet article a pour             (tout type de viande confondu), celle          connaissances
objectif de proposer un état des lieux              de lait et d’œuf de 60 % (Steinfeld et al.,    et des innovations pour
des connaissances nouvelles et des                  2006 ; Paillard et al., 2010), et ce dans un   une meilleure mise en valeur
innovations en termes d’outils de ges-              contexte tendanciel de réduction des           des surfaces en prairies
tion des prairies, au regard de l’évolution         surfaces (désertification, recouvrement        par l’élevage de ruminants
des enjeux de l’élevage de ruminants en             marin, urbanisation…).
zone tempérée. Les prairies considérées                                                              Les surfaces en herbe et particuliè-
dans cet article sont les prairies per-               Si les productions animales doivent          rement en prairies permanentes sont
manentes et temporaires (encadré 1).                augmenter, il faudra questionner la            le plus souvent situées dans des zones
Cette synthèse permettra d’identifier les           manière d’organiser ces filières au sein       où les cultures ne sont pas possibles

INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
Les prairies, une richesse et un support d'innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables
Les prairies, une richesse et un support d’innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables / 155

Encadré 1. Point sur la définition et le fonctionnement des prairies permanentes et temporaires et l’évaluation de leur
valeur environnementale et ­agricole (valeur nutritive et production).

Prairies permanentes, prairies temporaires et prairies artificielles
Les prairies sont des surfaces agricoles dont la végétation est utilisée pour la production de fourrage à récolter et /ou pour le pâturage d’animaux d’élevage. Le
terme « prairies » recouvre les prairies permanentes, les prairies temporaires, et les prairies artificielles (Allen et al., 2011 ; Peeters et al., 2014). La figure 1 montre
la répartition des prairies sur le territoire français et son évolution depuis 1950 selon les régions.
Les prairies permanentes
Ce sont les prairies composées d’espèces pérennes ou natives dans un écosystème géré sur du long terme (Allen et al., 2011 ; Couvreur et al., 2018). Ces surfaces
prairiales sont plus complexes à gérer que les autres types de prairies.
Parmi les prairies permanentes on distingue les prairies semi-naturelles (les plus diversifiées) implantées depuis plus de 10 ans et des prairies plus récentes,
de 5 à 10 ans ou conduite de façon plus intensive (Peeters et al., 2014).
Ces prairies sont composées de graminées (Poacées), légumineuses (Fabacées) et autres dicotylédones appelées en agronomie « diverses ». Les proportions de
graminées, légumineuses et autres dicotylédones varient selon les prairies.
La diversité floristique des prairies permanentes en Europe va de 15 à 100 espèces par prairie permanente (Plantureux et al., 1993 ; Tornambé et al., 2010) avec
des moyennes pouvant atteindre 30 à 60 espèces (Jeangros et Schmid, 1991).
Les prairies temporaires
Ce sont des prairies composées d’espèces semées annuelles, pluriannuelles ou pérennes, de moins de 6 ans (Allen et al., 2011).
Ces prairies sont majoritairement composées de graminées et légumineuses. Les autres dicotylédones entrent dans les mélanges semés avec des objectifs particuliers
(résistance à la sécheresse…).
La diversité floristique des prairies temporaires peut atteindre une dizaine d’espèces en mélange.
Les prairies artificielles
Ces prairies sont des surfaces de moins de 5 ans semées quasi exclusivement en légumineuses fourragères Ces prairies ne sont pas détaillées dans cet article.
Prairies diversifiées
De manière générale, on parlera de prairies diversifiées pour aborder les prairies composées de plusieurs espèces prairiales. Cela peut donc renvoyer aux prairies
temporaires (prairies composées de plus de 3 espèces) et permanentes (prairies composées de plus de 35 espèces). Ces prairies diversifiées peuvent être utilisées
en pâture ou en fauche dans les systèmes de production et sont ainsi considérées dans le système fourrager, le système de pâturage ou le système pastoral si ces
prairies sont aussi composées de ligneux.
Évolution des prairies selon les conditions du milieu et les pratiques de gestion
La composition floristique des prairies, temporaires ou permanentes, évolue selon les conditions du milieu et les pratiques de gestion mises en place. Plusieurs
auteurs ont montré les effets des pratiques de gestion (nombre de coupes, chargement...) et du milieu (altitude, composition du sol) sur la composition de la
végétation, que ce soit la composition botanique ou fonctionnelle (Hopkins, 1986 ; Plantureux et al., 1993 ; Diaz et al., 1998 ; Klimek et al., 2007 ; Batary et al.,
2010 ; Michaud et al., 2011 ; Pierik et al., 2017 ; Roukos et al., 2017).
Estimation de la valeur environnementale des prairies
En fonction de leur composition botanique ou taxonomique
Les espèces prairiales ou la composition floristique d’une praire peut être abordées à partir de leur composition botanique ou taxonomique, i.e. en considérant la
végétation comme un ensemble d’espèces, l’espèce étant une entité propre (Maire, 2009) ; l’abondance et la dominance des espèces présentes seront observées.
En fonction de leur composition fonctionnelle
Elles peuvent également être abordées à partir de la composition fonctionnelle des espèces. Il s’agit ici de regrouper les espèces selon leurs fonctions (plantes qui
utilisent le vent pour la pollinisation...) (Grime, 1977).
Estimation de la valeur agricole des prairies (production, valeur nutritive)
L’approfondissement des connaissances sur les liens entre le milieu, les pratiques de gestion et la végétation a permis de mieux comprendre les facteurs principaux
intervenant dans la prédiction de la production ou de la valeur nutritive. Ces travaux ont notamment été approfondi pour les prairies permanentes, qui du fait
de leur forte diversité, engendrent des difficultés d’estimation de leurs valeurs agricoles (phénologies différentes…). Aujourd’hui des modèles de prédiction plus
ou moins complexes, de la valeur nutritive et de la production des prairies permanentes sont établis à partir de la composition fonctionnelle et notamment des
types fonctionnels proposées par Cruz et al. (2010), de la température et d’autres composants de la végétation (Duru et al., 2008 ; Michaud et al., 2014 ; Pierik
et al., 2017). En prairies temporaires, cela permet de mieux adapter les espèces semées au milieu (Simon et al., 1997 ; Litrico et al., 2016).

                                                                                                                       INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
156 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY

Figure 1. Part des prairies dans la surface agricole de France et évolution des surfaces en prairies depuis 1950 en France et
dans les principales régions herbagères (Agreste, 2018).

pour des raisons d’accessibilité (mon-          f­ onctionnement et la valeur fourragère           contribuer à l’équilibre du système
tagne…), ou de rendement trop faible             de la plupart des espèces qui contri-             d’élevage qui les valorise.
(sols peu fertiles, climat rigoureux…).          buent au rendement des prairies sont
Elles contribuent au développement               désormais connus (Grime et al., 1979 ;               Ainsi aujourd’hui, que ce soit pour
de l’élevage qui ainsi, rend ces sur-            Cruz et al., 2010). Cette connaissance            les prairies temporaires ou les prairies
faces alimentaires « comestibles » pour          affinée des mécanismes biologiques                permanentes, nous disposons de réfé-
l’Homme.                                         et agronomiques permet de propo-                  rences en termes de production et de
                                                 ser des ajustements de pratiques de               valeur alimentaire pour différents cycles
   La très grande diversité des prairies         gestion dans un objectif donné, par               de végétation (figure 2 ; tableau 1). Les
temporaires et permanentes a compli-             exemple le maintien d’une biodiversité            travaux conduits en France (Launay
qué l’acquisition de références sur les          prairiale ou l’augmentation de la pro-            et al., 2011) ont permis de caractériser
déterminants et les caractéristiques             ductivité de la parcelle (De Foucault,            la diversité des types de prairies en
de leur production. Depuis le début              1992 ; Petit et al., 2004 ; Cruz et al., 2010 ;   distinguant les prairies permanentes
des années 2000 de nombreux travaux              Hulin et al., 2012). Les connaissances            (intensives et semi-naturelles) d’alti-
ont permis d’une part, de caractériser           sur la sensibilité des espèces prairiales         tude (5 types), de zones semi-conti-
les performances de certains types de            aux fertilisants ou aux caractéristiques          nentales (6 types), de zones océaniques
prairies, et d’autre part, de proposer           du sol sont également mieux éta-                  (5 types) et de zones côtières (3 types).
des approches plus génériques, en                blies (Ebeling et al., 2008 ; Batary et al.,      Pour ­chacun des 19 types définis par-
s’inspirant notamment des concepts               2010). Les connaissances acquises ces             Launay et al. (2011), des références de
de l’écologie fonctionnelle (Diaz et al.,        dernières années notamment sur les                production et de valeur alimentaire
1998 ; Duru et al., 2007 ; Cruz et al., 2010)    prairies permanentes (Michaud et al.,             ont été données pour le 1er cycle et les
(encadré 1).                                     2011et 2014 ; Hulin et al., 2019) ont ainsi       repousses. Si la production annuelle
                                                été déclinées sur des territoires herba-           moyenne des prairies permanentes est
   On connaît désormais beaucoup                gers français particuliers (Jeannin et al.,        de 6,2 t MS/ha (Baumont et al., 2012),
mieux les déterminants de la compo-             1991 ; Petit et al., 2004 ; Collectif, 2006 ;      ces références confirment la variabilité
sition spécifique, de la croissance et          Galliot et al., 2019), ou à l’échelle de la        de leur production. À l’échelle de l’an-
de la qualité des prairies (Plantureux          France (Launay et al., 2011). Connaître            née, on trouve des prairies permanentes
et al., 1993 ; Klimek et al., 2007 ; Klimas     leur potentiel, leur répartition saison-           produisant de 1 t MS/ha/an à plus de
et Balezentiene, 2008 ; Pakeman                 nière de la production tout comme leur             8 t MS/ha/an (Jeangros et Schmid,
et al., 2009). Les caractéristiques, le         valeur alimentaire peut judicieusement             1991 ; Baumont et al., 2012). En termes

INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
Les prairies, une richesse et un support d’innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables / 157

Figure 2. Services écosystémiques rendus et intérêt et limites des prairies pour l’animal et le troupeau, l’éleveur, le consom-
mateur et le citoyen.

                  Ce que les prairies apportent                                                       Ce que les prairies apportent
                    à l’animal et au troupeau                                                        aux consommateurs et citoyens

     - Une ration complète qui se suffit à elle même                                                               - Une meilleure conformité des pratiques
     - Une valeur nutritive plus stable des prairies                                                               d’élevage
     diversifiées                                                                                                  - Des paysages appréciés, avec des
     - Une souplesse d’exploitation pour les prairies                                                              ruminants dehors
     très diversifiées                                         Services écosystémiques                             - Des produits de qualités nutritionnelle
     - Une expression favorisée des comportements                                                                  et organoleptique élevées
     spontanés (bien-être animal)
                                                            Réduction des pesticides – Équilibre
                                                        agronomique de rotations – Régulation des
                                                     flux d’eau – Réduction de l’érosion – Réduction
     - Une ressource variable en quantité              des pertes de nutriments (nitrates) - Épuration             - Un risque de déséquilibre territorial
     et qualité                                      des eaux – Fixation de C – Enrichissement des                 en monoculture (P. permanentes/
     - Des conditions climatiques parfois             sols en MO – Maintien et accroissement de la                 campagnols) et dans le cas de
     difficiles                                                biodiversité (bocage/habitats)                      pratiques excessives (fertilisation)
     - Toxicité et mortalité associée
      à certaines plantes
                                                        En quoi les prairies répondent
                                                         aux attentes de l’éleveur ?

               - De faibles coûts alimentaires au pâturage
               - Une opportunité d’utilisations multiples associée à la présence
               toute l’année
                                                                                                                   - L’acceptation de l’imprévu et la
               - Un moindre recours aux intrants – Renforcement de l’autonomie
                                                                                                                   nécessité d’anticiper, d’être opportuniste
               alimentaire
                                                                                                                   - Plus grande sensibilité aux aléas
               - Une plasticité d’utilisation grâce à la diversité intra et inter
                                                                                                                   climatiques
               parcellaire
                                                                                                                   - Des performances animales plus
               - Moins de travail autour de l’alimentation (récolte, distribution) et
                                                                                                                   variables
               de la gestion des effluents
               - Un certain épanouissement en regard des attentes sociétales

Tableau 1. Repères de production et de valeur nutritive (en UFL, PDI et UEL) pour des prairies temporaires de type Ray-Grass
anglais/Trèfle blanc et pour trois types de prairies permanentes très courantes en France (Sources : Launay et al., 2011 ;
Jeulin et Delaby, données personnelles).

                                                         Prairie temporaire                                  Prairie permanente :
                                                            (association
                                                         Ray Grass anglais –              d’altitude              des plaines                 océanique
                                                            Trèfle Blanc)                 type PA2           et collines type PSC4            type PO2

Début printemps (stade pâturage)
Production (t MS/ha)                                                1,8                        1,9                       1,6                        1,9
Valeur alimentaire
UFL (/kg MS)                                                       1,00                       0,97                      0,99                      1,04
PDI (/kg MS)                                                       105                        102                       102                       105
UEL (/kg MS)                                                       0,97                       0,97                      0,97                      0,95

Fin printemps (stade récolte ensilage)
Production (t MS/ha)                                                4,0                        5,0                       4,6                       5,2
Valeur alimentaire
UFL (/kg MS)                                                       0,88                       0,76                      0,81                      0,82
PDI (/kg MS)                                                        85                         78                        82                        79
UEL (/kg MS)                                                       1,04                       1,08                      1,06                      1,06

Repousses d’été (6 semaines)
Production (t MS/ha)                                                1,5                      0,8-1,0                  1,0-1,2                    0,6-0,8
Valeur alimentaire
UFL (/kg MS)                                                       0,90                       0,92                      0,83                      0,88
PDI (/kg MS)                                                       105                        105                        93                        98
UEL (/kg MS)                                                       0,98                       0,98                      1,03                      1,00

PA2 : Prairies mixtes d’altitude peu fertilisées à flouve odorante et fétuque rouge, PSC4 : Prairies des plaines et collines pauvres en légumineuses, à agrostide
vulgaire et ray-grass anglais ; PO2 : Prairies océaniques pâturées, fertilisées et faiblement chargées à ray-grass et trèfle blanc. UFL : Unité Fourragère Lait ;
PDI : Protéines Digestibles dans l’Intestin ; UEL : Unité d’Encombrement Lait

                                                                                                              INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
158 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY

de valeur a­ limentaire, la valeur énergé-           prairies sont les typologies de prairies.        qui n’ont pas tous les mêmes besoins.
tique et azotée de la plupart des types              Ces outils permettent de référencer les          Une prairie n’est pas bonne ou mauvaise
de prairies permanentes d’altitude, de               valeurs des prairies d’un point de vue           mais plus ou moins adaptée à une caté-
zone semi-continentale et océanique                  agricole et/ou environnemental, selon            gorie d’animaux à un moment donné
est proche de celle des espèces pures                leur diversité floristique. Ces outils se        de la saison ; des relations entre types
comme le ray-grass, le dactyle et la                 basent sur la diversité des types de             de prairies et fonctions fourragères
fétuque présentes dans les tables INRA               graminées (typologie fonctionnelle               sont proposées dans ce sens (Launay
de la valeur alimentaire des fourrages               ABCD des graminées de prairies (Duru             et al., 2011). D’autres outils, centrés sur
(Baumont et al., 2018).                              et al., 2010) ou prennent en compte l’en-        le troupeau ou la ration, permettent de
                                                     semble de la diversité floristique à une         gérer l’adéquation entre les besoins
   Ces connaissances scientifiques géné-             échelle nationale (Launay et al., 2011)          et les apports aux animaux (système
rales et locales peuvent être diffusées              ou locale (Jeannin et al., 1991 ; Hubert et      d’alimentation INRA 2018 et logiciel
en tant que telles ou sous forme de livre            Pierre, 2003 ; Petit et al., 2004 ; Collectif,   INRAtion® V5 et RUMINAL® développés
pédagogique (Couvreur et al., 2018) ou               2006 ; Galliot et al., 2020). Ces travaux        avec France Conseil Élevage (INRA,
d’outils d’aide à la gestion des prairies.           ont permis de proposer notamment                 2018), permettant ainsi, de mettre à dis-
Au niveau national, ceux-ci sont nom-                des références de valeur alimentaire             position des animaux, des fourrages ou
breux et sont construits en privilégiant             des prairies à l’échelle nationale qui           une ration herbagère journalière répon-
une entrée par la végétation, ou par                 peuvent ensuite être déclinés à une              dant à leur besoin. Les connaissances
l’animal. On trouve des outils d’analyse             échelle locale pour affiner le conseil.          approfondies sur les types de prairies
(figure 3) :                                         Pour un éleveur, mieux connaître la              ont permis d’améliorer ces outils ;
                                                     valeur de chaque type de prairie et son
  i) à l’échelle du troupeau, de la ou des           évolution, lui permet de mieux affecter             ii) à l’échelle du système de pâturage.
parcelles. Les outils les plus classiques            ses prairies (pâture ou herbe récoltée)          Ils sont très développés en France et
qui offrent des repères généraux sur les             aux différentes catégories d’animaux             concernent la conduite des systèmes

Figure 3. Positionnement des principaux outils et jeux ludiques d’analyse pour la gestion des prairies en France (gestion
directe de prairies), selon le niveau d’application de l’outil (parcelle...) et la clé d’entrée choisie (animal ou végétal).

                                                                      Entrée
                                                                      animal

          HerbVAlo
     (Delagarde et al., 2017)

                                                                                 Calendrier
                                           Pâtur’Plan                             pâturage
         INRAtion                        (Delaby et al., 2014)                  (Balent, 1993)
         RUMINAL       ®
                                          Méthode
                                          grenouille                           Bilan fourrager
     Troupeau                         (Agreil et al., 2004)                     (Coleou, 1960)

    Parcelle(s)                          Système                                 Système                        Exploitation
                                        de pâturage                              fourrager                      agricole

                                     Pâturage tournant                             Dialog
                                       dynamique                           (Theau et al., 2010)

     Typologie                                                                  Pâtur’ajuste
   fonctionnelle                                                            (Agreil et al., 2011)
       ABCD
 (Duru et al., 2010)                                                                                                  DIAM
                                                                                Jeu AEOLE                       (Farruggia et al., 2012)
    Typologies
 (Jeannin et al 1991 ; Hubert et Pierre 2003 ; Petit et al., 2004 ;            Rami Fourrager
 Collectif, 2006 ; Hulin et al., 2011 ; Launay et al., 2011)
                                                                            (Martin et al., 2011)
                           Somme T
                                                                       Entrée
                                                                 par la végétation

INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
Les prairies, une richesse et un support d’innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables / 159

herbagers avec une pression forte sur              „„ 1.3. Besoins de recherche                  des systèmes herbagers, et des prai-
l’herbe (par exemple Pâtur’Plan, Delaby            et d’innovation                               ries. L’utilisation de drones et d’images
et al., 2014), ceux adoptant un pâturage                                                         provenant de satellites fait également
tournant plus ou moins lent ou des sys-              Même si les connaissances sur les           l’objet de recherches pour développer
tèmes plus extensifs reposant sur des              prairies ont fortement progressé ces          de nouveaux outils de caractérisation
couverts avec des ligneux (méthode                 dernières années notamment à l’échelle        et de gestion des prairies (Pottier et al.,
Grenouille en milieu méditerranéen,                de la communauté végétale, il reste à         2017).
Agreil et al., 2004). Des outils d’analyse         approfondir les connaissances sur la
a posteriori qui permettent d’objecti-             compréhension de l’évolution de la
ver la valorisation de ces prairies, tel           valeur agricole des prairies temporaires
                                                                                                 2. La prairie pour
Herb’Valo (Delagarde et al., 2017) sont            et permanentes dans une dynamique             préserver et améliorer
également disponibles ;                            intra et interannuelle pour mieux com-        l’environnement
                                                   prendre les marges de manœuvres en
   iii) à l’échelle du système fourrager. Le       termes de gestion agricole (pratiques
                                                                                                 „„2.1. Un enjeu fort :
système fourrager inclut les parcelles             agricoles). Mieux comprendre les effets
                                                                                                 contribuer à la transition
destinées au pâturage et les parcelles             des pratiques de gestion sur l’évolution
                                                                                                 agroécologique
destinées aux stocks pour l’hiver. Ces             d’une prairie et plus largement le com-
outils peuvent être simples à appré-               portement des prairies en termes d’évo-          Les modes de production à venir
hender comme le calcul du bilan four-              lution de flore constituent également         devront rester productifs mais plus
rager (Coleou, 1960) ou plus complexe              une piste à travailler que ce soit pour       respectueux de la planète, car les acti-
en tenant compte de la gestion du                  la valeur de production ou environne-         vités agricoles ont un impact fort sur
pâturage et des stocks en zone prai-               mentale de la prairie. L’augmentation         l’environnement (Stassart et al., 2012).
riale (Dialog -Theau et al., 2018) ou en           des dégâts liés à la faune sauvage            En effet le secteur mondial de l’élevage
milieu pastoral (Pâtur’Ajuste -Agreil              (sangliers, campagnols…) nécessite            utilise 30 % des terres, 32 % de l’eau
et al., 2011). Ils permettent d’avoir un           également de mieux comprendre la              potable et de pluie et contribue pour
regard global sur le pâturage et/ou                dynamique de restauration des prairies        18 % aux émissions de gaz à effet de
les stocks de fourrages. Des jeux sont             pour optimiser leur gestion.                  serre (Herrero et al., 2015). L’élevage,
également disponibles pour simuler                                                               dans sa forme intensive – au sens
de manière ludique la gestion de son                  Les connaissances sur la gestion des       associé à un recours important aux
système fourrager (Rami fourrager,                 prairies permanentes et temporaires           intrants du fait d’un déséquilibre entre
Martin et al., 2011) et la complémen-              ne manquent pas et répondent à des            les potentialités du milieu et le char-
tarité entre les prairies (jeu AEOLE non           attentes différentes au niveau de la          gement animal par unité de surface –,
publié) ;                                          parcelle, de la sole pâturée, du système      contribue également à plusieurs autres
                                                   fourrager. Aujourd’hui il existe très peu     problèmes environnementaux majeurs,
   iv) à l’échelle de l’exploitation agricole.     d’outils développés à une échelle ter-        tels que l’eutrophisation, la dégradation
Ces outils ont plutôt vocation à avoir             ritoriale plus large que l’exploitation       des sols, la déforestation et la perte de
un regard plus global sur le système :             agricole. Quelques jeux abordent ces          biodiversité (Steinfeld et al., 2006). Ces
ils intègrent une analyse du bilan four-           aspects (Ryschawy et al., 2019 ; Dernat       éléments alimentent les questions sur
rager et d’autres performances de l’ex-            et al., 2020) mais ne sont pas centrés        la place de l’élevage dans le paysage
ploitation agricole, liées à la présence           sur la gestion des prairies. De tels outils   mondial de demain et contribuent à
de prairies, comme la performance                  pourraient avoir un intérêt pour réflé-       renouveler les attentes sociétales vis-
environnementale (Diagnostic DIAM                  chir une gestion collective des prairies      à-vis de l’agriculture (environnement,
-Farruggia et al., 2012cf. § 2.2).                 à l’échelle d’un territoire ou répondre à     risques sanitaires…).
                                                   des attentes plus globales, notamment
   Les agriculteurs s’approprient assez            environnementales (flux d’eau, bocage,           Face à ces constats, les alternatives
facilement ces outils. Des formations              paysage).                                     consistent soit à réduire les impacts
sont parfois nécessaires auprès des                                                              négatifs par une amélioration des sys-
organismes de conseil ou des créateurs                La gestion des prairies peut égale-        tèmes existants, soit à concevoir de
des outils. Pour faciliter la dissémina-           ment être facilitée par l’utilisation des     nouveaux systèmes comme le propose
tion d’innovations et les échanges, des            techniques d’élevage de précision,            l’agroécologie, à laquelle se rattachent
groupes locaux et nationaux de conseil-            notamment les capteurs de mouve-              les systèmes de production autonomes
lers et acteurs du terrain sont mis en             ments ou de géolocalisation (Shalloo          et économes (e.g.Alard et al., 2002)
place (RMT Prairies Demain1).                      et al., 2018). Ces outils, en cours de        et l’agriculture biologique (Tichit et
                                                   développement, pourraient notam-              Dumont, 2016). Au-delà de la réduc-
                                                   ment permettre un enregistrement              tion des impacts environnementaux,
                                                   automatisé du calendrier de pâturage,         l’agroécologie propose de substituer
1 RMT : Réseau Mixte Technologique concernant
la valorisation des prairies (2014-19), dont les
                                                   élément de mémoire indispensable à            les intrants chimiques et énergétiques
activités élargies se poursuivent au sein du RMT   l’analyse du réalisé et à une meilleure       par des processus naturels, en jouant
« Avenirs Prairies » (2021-25).                    compréhension du fonctionnement               notamment sur la diversité des

                                                                                                 INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
160 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY

s­ ystèmes et un meilleur bouclage des         titre, les bénéfices environnementaux          gestion des prairies qui permettent
 cycles (minéraux, énergie, eau). La prai-     des prairies permanentes et temporaires        de mieux exprimer ce potentiel de
 rie permanente et, dans une moindre           sont multiples : limitation de l’érosion,      services rendus. Les typologies de
 mesure, la prairie temporaire, s’ins-         régulation des flux d’eaux (prévention         prairies récentes intègrent un certain
 crivent parfaitement dans cette option        des crues, stockage d’eau), filtration des     nombre de services écosystémiques
 agroécologique. Si la productivité par        polluants minéraux et organiques pour          en se basant sur la composition floris-
 hectare ou par animal de ces systèmes         les prairies en général et préservation de     tique des prairies (Launay et al., 2011 ;
 alternatifs peut être plus faible de 5 à      la biodiversité floristique, faunistique et    Theau et al., 2017 ; Galliot et al., 2020).
 30 % selon les situations (De Ponti et al.,   microbienne (surtout si la gestion de la       Un outil à l’échelle du système d’exploi-
 2012 ; Ponisio et al., 2014), ils montrent    prairie est extensive), réduction du bilan     tation intègre les aspects agricoles et les
 d’autres intérêts, comme une meilleure        des GES en élevage via une séquestra-          services rendus par les prairies : DIAM
 résilience au changement climatique           tion de carbone proche de celle d’une          (Farruggia et al., 2012). Ce type d’outils
 (Chen et Chappell, 2009) ou le respect        forêt, intérêt paysager plus particuliè-       permet de montrer l’intérêt environ-
 de l’environnement (Tuomisto et al.,          rement pour les prairies permanentes           nemental des systèmes prairiaux à un
2012). Ces systèmes de production              (Mauchamp et al., 2013).                       public de conseillers, d’agriculteurs et
reposant fortement sur l’herbe et le lien                                                     de citoyens (figure 4).
au sol sont donc des pistes très intéres-         Tout bénéfice pour l’Homme tiré des
santes pour faire face aux enjeux agri-        écosystèmes agricoles est lié à deux           „„ 2.3. Besoins de recherche
coles et environnementaux dans une             types de facteurs : les services écosys-       et d’innovation
vision d’augmentation de la production         témiques proprement dit, et l’utilisation
agricole mondiale tout en considérant          de « capital humain » (intrants, énergie,         L’analyse des services écosysté-
des spécificités territoriales où les sys-     main-d’œuvre…) pour assurer ces béné-          miques rendus permet de valoriser le
tèmes herbagers seraient certes moins          fices. Pour produire une tonne de four-        rôle environnemental des systèmes
productifs mais compenseraient cela            rage, une prairie utilise généralement         herbagers à différentes échelles (terri-
par une meilleure valeur environne-            moins de capital humain (engrais, pes-         toire, système…). Cependant ces ser-
mentale (Huguenin-Elie et al., 2018).          ticides, machinisme, temps de travail),        vices rendus ne sont pas suffisamment
                                               qu’une culture fourragère (Couvreur            communiqués auprès de la société et
„„2.2. Une capacité                            et al., 2018). En ce sens le bénéfice tiré     ne sont donc pas estimé et rémunéré à
des prairies à produire                        par l’Homme des prairies est intéressant       leur juste valeur. Plusieurs voies doivent
des services écosystémiques                    car il repose en grande partie sur les ser-    être envisagées : En premier lieu, il est
                                               vices écosystémiques.                          nécessaire de disposer d’une quanti-
   Le concept de « Service Éco­                                                               fication économique des services. Si
systémique » (SE), même s’il est encore          Ainsi le concept de services écosysté-       celle-ci est en cours, elle reste à appro-
peu utilisé par le grand public, four-         miques permet de mettre en évidence            fondir d’autant plus que ce concept de
nit un cadre de réflexion qui permet           les multiples effets positifs des prairies.    monétarisation de la nature ne fait pas
de mettre en avant les bénéfices de            Plusieurs travaux ont essayé de lister         l’unanimité. Des connaissances restent
l’usage des prairies dans les systèmes         ces services rendus au niveau d’un pay-        à acquérir sur la rémunération du stoc-
d’élevage, en partie décrit auparavant         sage (Lavorel et al., 2011 ; Lasseur et al.,   kage de carbone par les prairies et des
sous le terme de « multifonctionna-            2018) ou par les prairies permanentes          recherches sur ce sujet sont en cours,
lité » (Béranger et Bonnemaire, 2008 ;         (Baumont et al., 2012 ; Michaud et al.,        ainsi que sur le niveau de stockage
Amiaud et Carrère, 2012). Ce concept,          2013 ; Galliot et al., 2019) de manière        précis et le nombre d’années à partir
apparu dans les années 1970 a d’abord          plus ou moins exhaustive (Therond et al.,      duquel les sols prairiaux ne stockent
été défini au début des années 2000            2017 ; Lemaire et al., 2019). Certains         plus de carbone (Label Bas Carbone,
comme un ensemble d’avantages (ou              d’entre eux vont jusqu’à une évaluation        en cours). Il semble également impor-
de bénéfices) que l’Homme retire des           des services de manière qualitative ou         tant de chiffrer le coût, en argent et en
écosystèmes (Millenium Ecosystem               quantitative (Therond et al., 2017). Ces       temps, de la mise en place « technique »
Assessment, 2005 ; Fisher et Turner,           évaluations qualitatives sont certes peu       de ces services, c’est-à-dire la traduc-
2008). L’étude française EFESE d’éva-          précises car elles sont souvent calculées      tion concrète en pratiques de gestion
luation des SE a remis en cause cette          de manière indirecte comme le service          mises en œuvre sur une ferme, en chif-
définition (Therond et al., 2017). Elle        de pollinisation ou de séquestration du        frage du temps de travail pour chaque
définit les SE, non plus comme les avan-       carbone mais apportent des éléments            service ou en cahier des charges. Cela
tages, mais comme les processus écolo-         de repères pour la société. Les évalua-        permettra aux décideurs politiques de
giques ou les éléments de la structure         tions quantitatives sont plus rares car        proposer aux éleveurs des mesures de
de l’écosystème dont l’Homme dérive            plus complexes à mettre en œuvre mais          compensation financière, les incitant
des avantages.                                 seraient pertinentes pour discuter de la       par là-même à conserver des prairies,
                                               juste valeur de ces services.                  et à les conserver dans un état per-
   Les écosystèmes prairiaux sont à                                                           mettant la fourniture de services éco-
l’origine de nombreux bénéfices dont             Ces connaissances commencent                 systémiques. Enfin, le prix de vente
l’Homme tire avantage (figure 2). À ce         à être transférées dans des outils de          des produits animaux devra pouvoir

INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
Les prairies, une richesse et un support d’innovation pour des élevages de ruminants plus durables et acceptables / 161

prendre en compte de manière plus            Figure 4. Exemple de représentations sous forme de radars avec l’outil DIAM
ou moins complète le paiement de ces         (DIAgnostic Multifonctionnel de la surface fourragère), des atouts environne-
                                             mentaux des prairies permanentes et des atouts pour les fromages.
services. L’évaluation quantitative des
conséquences de la disparition des ser-
vices devrait également être dévelop-
pée, de manière à mieux communiquer
sur les enjeux à maintenir ces services
existants. Au final, la rémunération des
services nécessite à la fois de progresser
dans les connaissances agronomiques
et économiques, mais implique aussi
des innovations sur le plan politique et
social.

3. La prairie
pour améliorer la santé
des consommateurs,
la santé et le bien-être
des animaux et la qualité
des produits

„„3.1. Des enjeux
forts : assurer la santé
des Hommes, des animaux
et le bien-être des animaux

   Les modes de production actuels
et le suivi sanitaire des produits nous
permettent d’accéder à une nourri-
ture saine et indemne de risques ali-
mentaires immédiats et graves (telles
les zoonoses, intoxications, contami-
                                             L’outil de diagnostic DIAM permet de quantifier les atouts des prairies permanentes ou diversifiées pour
nations). Par ailleurs, les produits ani-    l’environnement ou pour la qualité des fromages dans le cas d’exploitations agricoles en transformation
maux permettent d’assurer un apport          fromagère. Ce diagnostic s’appuie sur une caractérisation des prairies permanentes sur l’ensemble de
nutritionnel essentiel en certains           l’exploitation agricole et permet de discuter de perspectives de gestion de ces surfaces au regard d’enjeux
nutriments aussi bien dans les pays          environnementaux. TP : Taux Protéique ; TB : Taux Butyreux ; PVL : Potentialité de Valorisation du Lait.
développés pour certaines fractions
de la population (protéines pour les         leurs aliments (Lacroix et Giffort, 2019 ;             interrelations dans un objectif de santé
personnes âgées…) que pour des pays          Sanchez-Sabate et Sabate, 2019 ; Wang                  et de bien-être de ces différents objets
en développement, et permettent              et Basso, 2019). Si la santé du consom-                (Rockström et al., 2009). Que ce soit
aussi de contribuer au bien-être de          mateur est à garantir, la prise en                     par leurs modes de conduite moins
l’Homme par la qualité organoleptique        compte de celle des animaux d’élevage                  impactants pour l’environnement, les
et technologique des produits princi-        ainsi que leur bien-être s’ajoute à cette              services qu’elles rendent (Lasseur et al.,
palement dans les pays à fort pouvoir        exigence. En effet, ces éléments font                  2018) ou par leurs effets sur la santé
d’achat, surtout les pays à forte tra-       l’objet de questionnements récurrents                  des animaux (Likkesfeldt et Svendsen,
dition culinaire. Cependant plusieurs        et influents de la part de la société, de              2007 ; Zeiler et al., 2010 ; Durand et al.,
événements de ces dernières décen-           plus en plus sensible aux modes de                     2013) les prairies peuvent constituer
nies (crise de la vache folle, remise en     production des animaux et à leurs                      une réponse intéressante aux enjeux
cause de l’utilisation des pesticides…)      conséquences sur l’animal (Saatkamp                    de santé globale.
ont instauré une méfiance de la part         et al., 2019). Le concept de « santé glo-
des citoyens face aux risques sanitaires     bale » (Koplan et al., 2009) ou « santé                  Enfin, le bien-être de l’animal et sa
plus sournois, à long terme associés         unique » (Duru et al., 2016) permet de                 santé sont des éléments qui font débat
aux aliments consommés, particuliè-          faire le lien entre santé humaine, santé               dans la société occidentale. Cela induit
rement dans les pays à fort pouvoir          animale et celle de l’environnement.                   même des réflexions plus globales
d’achat. Certains citoyens veulent           Cette approche globale et systémique                   sur le lien que l’Homme doit entrete-
mieux connaître ce qu’ils mangent,           vise à appréhender les humains, les                    nir avec l’animal, ce qui questionne
l’origine et le comment sont produits        animaux, l’environnement et leurs                      d’une part, les modes de production

                                                                                                    INRAE Productions Animales, 2020, numéro 3
162 / Audrey michaud, Sylvain plantureux, René baumont, Luc DELABY

a­ gricoles, et d’autre part, la consom-           Si le bien manger et la santé du            en tant qu’arômes ou sous forme de
 mation de la viande et de produits             consommateur sont mises en avant,              tisanes (www.degustonfoin.fr).
 animaux en général. Les systèmes her-          celle des ruminants est également
 bagers prennent tout leur sens dans de         concernée. Les rôles des antioxy-              „„3.3. Besoins de recherche
 tels débats, mais il importe d’objectiver      dants contre les problèmes liés au             et d’innovation
 les effets positifs associés aux prairies      stress oxydatif sont bien connus chez
 sur ces éléments de débats et de les           plusieurs espèces animales (Miller                La quantification de l’effet santé
 faire reconnaître comme tels (Mee et           et al., 1993 ; Celi, 2010 ; Niki, 2010) et     des prairies diversifiées est une piste
 Boyle, 2020).                                  quelques effets sont mis en évidence           de recherche importante puisqu’elle
                                                comme la supplémentation en vita-              constituerait un argument supplé-
„„3.2. L’herbe influence                        mine E et en sélénium sur la réduction         mentaire pour les valoriser dans les
favorablement                                   du risque de mammites (Zeiler et al.,          systèmes de production. Il convien-
la santé des Hommes                             2010). L’effet d’autres métabolites            drait ­d’associer agronomes, zootech-
et des animaux, la qualité                      secondaires sur la santé des animaux           niciens, vétérinaires, toxicologues,
organoleptique des produits                     a été mis en avant comme l’effet des           pharmacologues et médecins dans des
animaux et le bien-être                         tanins condensés sur l’activité anti-          programmes de recherche, rejoignant
des animaux                                     parasitaire (Minh et al., 2003 ; Hoste         le concept de « santé unique ou glo-
                                                et al., 2005). Plus largement certains         bale ». Si des travaux ont été menés en
   Si les produits laitiers ont pu faire        effets sur les animaux des espèces             regard du potentiel rôle « santé » des
l’objet de critiques en raison de leur          prairiales et fourragères qu’ils soient        prairies (Bareille et al., 2019 ; Sulpice
teneur élevée en acides gras saturés,           médicinaux ou toxiques sont assez              et al., 2019) et particulièrement des
facteur de risque des maladies cardio-          bien connus (Valnet, 1972 ; Bruneton,          prairies diversifiées, il reste encore
vasculaires, celles-ci sont à relativiser       2016), notamment dans le domaine               des pistes de recherche à creuser. Les
aujourd’hui notamment par la mise               vétérinaire. À ce titre, des « prairies        santés animale et humaine sont émi-
en évidence d’un effet de la compo-             médicaments » sont mises en place              nemment multifactorielles, et parvenir
sition de la ration des animaux sur la          par certains éleveurs, dans l’objectif         à isoler le rôle spécifique de la prairie
composition en acides gras, selon les           de tester l’effet santé d’une plante           est un défi expérimental important.
espèces végétales (Martin et al., 2019)         ou d’un cocktail de plantes réputées           Par ailleurs, le fait de savoir qu’une
(figure 2). Les prairies sont riches en         bénéfiques. Des espèces ayant un               espèce que l’on peut retrouver dans
acides gras de type oméga 3 que l’on            rôle pour la santé sont proposées aux          les prairies est potentiellement favo-
retrouve ensuite dans les produits lai-         animaux durant une période donnée              rable à la santé ne suffit pas : encore
tiers (Chilliard et al., 2007), ce qui aurait   sous forme de plante seule ou en               faut-il que la prairie en contienne, que
alors un effet de protection vis-à-vis          mélange dans la prairie ou encore de           l’animal la consomme, et en connaître
des risques de maladies cardiovascu-            bosquets implantés sur les bords de            les doses efficaces, les formes molé-
laires. La composition floristique des          la prairie. Enfin, les prairies par le biais   culaires qui déclenchent un réel effet
prairies, leurs conditions de croissance        du pâturage permettent à l’animal de           sur la santé et les synergies et antago-
(climat, sol), le stade de récolte et le        mieux exprimer un comportement                 nismes potentiels. Les techniques de
mode de conservation de l’herbe ont             naturel en le laissant choisir sa nour-        dosage des molécules d’intérêt pour
un rôle déterminant sur la nature et la         riture et se déplacer librement.               la santé ont beaucoup progressé ces
quantité des métabolites secondaires                                                           dernières années, en abaissant les
(Fraisse et al., 2007) dont certains d’in-         Les prairies jouent également un            seuils de détection, les coûts d’ana-
térêt pour la santé humaine : composés          rôle dans la qualité organoleptique            lyse et en permettant l’analyse « à haut
phénoliques, terpènes, caroténoïdes,            des produits animaux. Des liens entre le       débit » ce qui ouvre des perspectives
alcaloïdes et quinones (Mulligan et             système de pâturage ou le type de prai-        intéressantes. Bien que la composition
Doherty, 2008 ; Poutaraud et al., 2017).        ries et l’onctuosité, la couleur, la flaveur   en métabolites secondaires des princi-
La teneur de l’herbe en caroténoïdes,           ou le goût du fromage ont été établis          pales espèces/variétés fourragères soit
précurseurs de la vitamine A ou en              (Jeangros et al., 1997 ; Farruggia et al.,     connue (Nozière et al., 2006 ; Reynaud
polyphénols joue un rôle avéré dans             2008 ; Coppa et al., 2012) mais doivent        et al., 2010 ; Graulet et al., 2012 ;
la limitation des phénomènes oxy-               être mieux maitrisé et mis en valeur.          Pickworth et al., 2012), celle de plantes
datifs, à l’origine de maladies infec-          Plusieurs fromages AOP de montagne             présentes en plus faible proportion
tieuses et inflammatoires (Miller et al.,       mettent d’ailleurs en avant ce point           dans les prairies permanentes ou très
1993 ; Likkesfeldt et Svendsen, 2007 ;          dans leur communication, en faveur             diversifiées reste à établir. En outre, et
Farruggia et al., 2008 ; Durand et al.,         d’une reconnaissance et une meilleure          dans une approche d’agroforesterie, le
2013). De nombreux travaux sont en              valorisation de leurs produits. L’AOP          rôle des ligneux présents dans les prai-
cours pour préciser les liens entre la          Comté a ainsi proposé une rosace des           ries est encore largement méconnu,
qualité de l’herbe consommée par les            arômes de ses fromages, en lien avec la        malgré des premières études sur leurs
ruminants, la qualité des produits ani-         diversité des prairies. De manière plus        valeurs alimentaires (Emile et al., 2017).
maux (lait, viande, fromage) et la santé        anecdotique, le foin de prairies diver-        Les effets des plantes à métabolites
de l’Homme (Martin et al., 2019).               sifiées peut être utilisé dans la cuisine,     secondaires sur la santé de l’animal ou

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