Gorilla Journal Journal de Berggorilla & Regenwald Direkthilfe - Berggorilla & Regenwald Direkthilfe eV
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Gorilla Journal Journal de Berggorilla & Regenwald Direkthilfe No. 57, décembre 2018 De l’application L’impact du Club des Amis Donnes-moi tes de la loi dans voisinage sur des Gorilles dans crottes, je te dirai Itombwe l’espacement des la forêt d’Ebo qui tu es gorilles de Bwindi
BERGGORILLA & REGENWALD DIREKTHILFE Table des matières Auteurs chef du projet des Gorilles de Tshiabe- rimu dans le Parc National des Virunga R. D. Congo 3 Dr. Ekwoge Enang Abwe est Di- pour le compte de la Gorilla Organiza- De l’application de la loi militarisée recteur du Ebo Forest Research Pro- tion. Il a été nommé en 2018 conser- à l’application de la loi avec les ject au Cameroun. Il est investi dans la vateur du secteur du Mont Tshiaberi- communautés dans Itombwe 3 conservation des gorilles depuis 2005 mu du Parc National des Virunga. En Réserve Naturelle d’Itombwe : et il se consacre depuis 2008 au suivi 2017, il est devenu Directeur de la Ré- Une initiative féminine locale 5 et à la collecte de données écologiques serve d’Itombe. Qu’en est-il de la firme Banro dans sur les gorilles d’Ebo. Daniel M. Mfossa est le coordina- la RNI ? 6 Dr. Augustin K. Basabose a dirigé teur du Club des Amis des Gorilles de Bio-surveillance des grands singes plusieurs études consacrées à la biodi- l’Ebo Forest Research Project. Il pré- au moyen de pièges photogra- versité dans l’Albertine Rift. Il a fondé pare son doctorat à l’université ERAIFT phiques dans Kahuzi-Biega 7 et préside la Primate Expertise (PEx), de Kinshasa et effectue des recherches Omari Ilambu 1959–2018 9 une ONG consacrée à la recherche sur sur les gorilles d’Ebo et leur habitat. Ouganda 11 les primates et la conservation dans la Dr. Bethan Morgan est chef du pro- L’impact du voisinage sur les RDC. Il dirige actuellement le Labo- gramme en l’Afrique Centrale de la So- habitudes d’espacement des ratoire de Primatologie du Centre de ciété Zoologique de San Diego, Centre gorilles de Bwindi 11 Recherche en Sciences Naturelles de pour la Reproduction des Espèces en Gorilles 13 Lwiro. Danger (CRES), Programme Interna- Club des Amis des Gorilles dans Laura Hagemann prépare un doc- tional de terrain au Cameroun. la forêt d’Ebo 13 torat à l’Institut Max Planck d’Anthro- Dr. Leonard K. Mubalama est le Donnes-moi tes crottes, je te dirai pologie Evolutive à Leipzig, Allemagne. responsable du programme du WWF qui tu es 17 Elle consacre principalement sa thèse du Sud-Kivu, dans l’est de la RDC. Il Un schéma de categorisation du à l’inférence génétique dans la dyna- participe aux activités de classement braconnage 21 mique des populations de gorilles du d’Itombwe depuis 2010. Parc National de Loango au Gabon. Victory Paluku est garde à l’ICCN Félix Igunzi est employé à Itombwe où il exerce actuellement la fonction de depuis 2014. Ses occupations princi- chef adjoint des gardes de la Réserve pales sont la recherche scientifique et naturelle d’Itombwe. Gorilla Journal 57, décembre 2018 le monitoring. Dr. Martha M. Robbins est assis- Editeur : Angela Meder Gentil Kambale travaille pour le tante de recherche à l’Institut Max Augustenstr. 122, 70197 Stuttgart, compte du WWF à Itombwe depuis 5 Planck pour l’Anthropologie Evolutive. Allemagne ans. Il est actuellement chef de projet Elle étudie l’écologie comportementale E-mail : meder@berggorilla.org par intérim d’Itombwe. des gorilles depuis 1990. Traduction : Yves Boutelant, Jean- Deo Kujirakwinja coordonne les Dr. Nicole Seiler est chercheuse Pascal Guéry, Julia Peguet, Florence travaux de la Wildlife Conservation post doctorale à l’Institut Max Planck Perroux Society (WCS) au Rift Albertin et est d’Anthropologie Evolutive. Elle étu- Réalisation : Angela Meder l’un des principaux ornithologues du die les modèles de déplacement sur le Couverture : L’équipe de monitoring Congo. long terme des gorilles de Bwindi, ain- du CAG utilisant un GPS et une bous- Jean Claude Kyungu Kasolene a si que l’utilisation des habitats des go- sole pour s’orienter dans la forêt dirigé la Réserve de Gorilles de Tay- rilles dans le Parc National de Loango. Photo: ZSSD/Daniel Mfossa na ainsi que la Réserve de Gorilles de Jean de Dieu Wasso travaille pour la communauté de Walikale, et a été l’Africapacity/Rainforest Foundation Addresse de l’organisation : Norway à Bukavu. Berggorilla & Regenwald Direkthilfe Dr. Liz Williamson est assistante c/o Burkhard Broecker Relation bancaire : de recherche à l’Université de Stirling Juedenweg 3 IBAN DE06 3625 0000 0353 3443 15 et coordinatrice de la liste des espèces 33161 Hoevelhof, Allemagne BIC SPMHDE3E menacées de l’UICN pour le taxon E-mail : broecker@berggorilla.org Suisse : grands singes. Elle a commencé son Site web : IBAN CH90 0900 0000 4046 1685 7 travail de terrain sur les grands singes http://www.berggorilla.org BIC POFICHBEXXX en 1982. 2 Gorilla Journal 57, décembre 2018
R. D. CONGO De l’application de la loi Même s’il y a eu des changements, les gées ont été créées pendant la colo- interventions pour appliquer la loi ont nisation et basées sur de restrictions militarisée à l’application été et sont encore conduites par des imposées aux communautés locales. de la loi avec les commu gardes armés soutenus par les forces L’approche basée sur les amendes et nautés dans la Réserve armées (Marijnen 2017). les restrictions a été mise en œuvre d’Itombwe Avec les changements de gouver- depuis et les restrictions sur les res- nance des aires protégées, les prati- sources sont toujours appliquées d’une Les approches de conservation en Ré- ciens de la conservation ont mis en manière ou d’une autre, malgré l’exis- publique Démocratique du Congo ont doute l’approche exclusive des pa- tence de certaines approches et pro- évolué des approches coercitives et de trouilles pour les aires protégées qui cessus de collaboration. haut en bas vers des approches adap- ont été créées, comme Itombwe, grâce Conformément à la loi 014 sur la tatives de cogestion (Inogwabini 2014; à une approche participative (Kuji- conservation de la RDC (Journal Offi- Pelissier et al. 2015; Kujirakwinja et al. rakwinja et al. 2018). Depuis le classe- ciel 2014), les écogardes sont autori- 2017, 2018). Les communautés étaient ment de la réserve, la direction d’Itom- sés à porter des armes pour patrouil- exclues des interventions de conserva- bwe a mis en place des comités de ler et sont habilités à procéder à des tion telles que l’application des lois de gouvernance communautaires afin de arrestations et à se défendre en cas protection de la nature. Les commu- faire participer les représentants de d’échanges d’armes à feu avec des nautés ont été principalement prises la communauté à la gestion de la ré- braconniers et d’autres forces armées pour cibles et identifiées comme des serve. En outre, pour répondre aux menaçant leur travail et leur vie. Dans braconniers et associées à la dégrada- défis de gestion et à la gestion ineffi- divers endroits, des tentatives ont été tion de la forêt et à la dépletion des es- cace de la réserve, les membres de menées pour inciter les communautés pèces (Oates 2002; Moreto & Lemieux la communauté et leurs dirigeants ont à effrayer les animaux près des vil- 2015). Avec les changements globaux été impliqués dans diverses activités lages pour les forcer à retourner dans et sur le terrain qui arrivent, des mo- de conservation, soit pour soutenir les la forêt (par exemple, le Massif des dèles innovants ont été mis en place interventions en cours, soit pour en diri- Virunga avec « Humain et Gorille » – afin de préserver les zones protégées, ger certaines. HUGO). particulièrement dans les pays où les Les approches de gestion à Itom- agences gérant les aires protégées bwe sont en cours d’ajustement pour Vers l’implication des communau- sont faibles et manquent de moyens s’adapter aux processus de collabo- tés locales dans les interventions techniques et financiers (Borrini-Feye- ration. Bien que des gardes armés des forces de l’ordre à Itombwe rabend et al. 2004; Berdej et al. 2015). continuent à patrouiller dans certaines La Réserve Naturelle (RN) d’Itombwe a zones de la réserve. Des communau- été légalement établie en 2006 et ses tés ont été chargées de patrouiller limites ont été validées par le gouver- dans des zones situées dans les aires neur du Sud-Kivu en 2016 à la suite de gestion entourant leurs villages. Le d’une implication plus large des parties processus repose sur des structures prenantes. Elle couvre environ 6000 de gouvernance communautaires éta- km avec moins de 50 gardes et un blies, un accord local pour la surveil- financement insuffisant (voir Baruka lance de la communauté, des forma- 2015). Baruka a constaté que la RN tions et des patrouilles dans les zones d’Itombwe était sous-financée à envi- clefs. En conséquence, la couverture ron 80 % de ses besoins en 2015. Elle de la réserve par les patrouilles a aug- est l’un des fiefs des derniers gorilles menté par rapport à l’année précé- de Grauer (Gorilla beringei graue- dente. ri). Malheureusement, les gorilles et d’autres espèces (chimpanzés, élé- Approches policières en Répub- phants, etc.) sont menacées par le lique Démocratique du Congo braconnage traditionnel et armé, l’ex- Limites de la Réserve d’Itombwe Les zones protégées en RDC sont ploitation minière et la fragmentation dans différentes entités administra un héritage de la colonisation (Harroy de l’habitat par l’agriculture et l’éle- tives locales (Chefferie et secteurs) 1993; Van Schuylenbergh 2009; Pouil- vage (Plumptre et al. 2016; Spira et Carte: ICCN RNI lard 2016). La plupart des aires proté- al. 2017). 3 Gorilla Journal 57, décembre 2018
R. D. CONGO Pour relever le défi de patrouiller tratifs. Les secteurs sont priorisés nées sur la base du protocole de cette zone avec un soutien financier selon la présence d’espèces-cibles collecte de données de l’ICCN. insuffisant, en accord avec les struc- nécessitant des actions de conser- Ils ne suivent pas de formation pa- tures de gouvernance établies par la vation, en particulier les gorilles ramilitaire. Leur rôle principal est la communauté locale, les membres de (Gorilla beringei graueri). Une fois surveillance écologique (espèces la communauté ont été formés à la les comités sélectionnés, un accord et activités humaines) ainsi que le conduite de patrouilles et au soutien est signé entre l’ICCN, les commu- signalement d’activités illégales. d’autres interventions telles que la dé- nautés et les ONG d’appui finan- Dans les cas où les éclaireurs se marcation des limites. cier – ONG internationales et natio- déplacent avec des gardes, ce sont Le processus de création des nales. L’accord spécifie les activités les gardes qui peuvent arrêter les groupes de patrouille comprenait : clefs, les résultats et le calendrier. délinquants, sur la base des lois en b. Sélection de la communauté. La vigueur. a. Accord opérationnel entre l’ICCN et sélection des éclaireurs par les d. Patrouilles et rapports. Les éclai- les comités communautaires pour structures de gouvernance locales reurs communautaires sont équi- les patrouilles. La RN d’Itombwe a se fait sur la base de critères pés du matériel nécessaire à la établi six comités de gouvernance convenus tels que savoir lire et collecte de données. Ils recueillent communautaires. Ils constituent le écrire, être en forme, apprendre et des données sur les espèces sau- fondement de l’approche commu- utiliser le matériel de terrain tel que vages qu’ils voient et les activi- nautaire en tant qu’interface avec GPS, smartphone pour la collecte tés humaines qu’ils constatent, l’ICCN (Institut Congolais pour la de données à l’aide de l’application ainsi que toutes caractéristiques Conservation de la Nature) dans Cybertracker. écologiques qui pourraient éclai- les communautés respectives. c. Formation de scouts communau- rer la gestion des stratégies Cette approche est basée sur la taires sélectionnés. Les éclai- ou induire des changements. stratégie de conservation actuelle reurs sélectionnés dans la com- Les données collectées par les des communautés (ICCN 2015). munauté sont formés par les membres des communautés sont Les comités sont sélectionnés en gardes forestiers principaux et les envoyées au quartier général du fonction de leurs secteurs adminis- directeurs pour la collecte de don- parc et sont saisies à l’aide du lo- giciel SMART (Spatial Monitoring And Reporting Tool) qui archivent et analysent les données des pa- trouilles pour les aires protégées de RDC. e. Partage d’information. Une fois les données analysées, les résultats sont partagés avec les communau- tés lors de leurs réunions, pour des actions ultérieures sur le terrain. De plus, les éclaireurs sont habitués à planifier de futures patrouilles avec les communautés. Leçons tirées a. Mis en confiance et collabora- tion. Les patrouilles communau- taires mises en place ont redonné confiance aux communautés et aux organismes de conservation, qui Couverture des patrouilles par les membres des communautés avec participent directement aux activités comme observations clefs (les pièges, les observations de chimpanzés et de conservation. de céphalophes, etc.) b. Augmenter la couverture de pa- Carte: ICCN RNI trouille et la protection des cibles 4 Gorilla Journal 57, décembre 2018
R. D. CONGO de conservation. La participation nateurs extérieurs ; tory consultations and zoning. Oryx online, des communautés aux patrouilles – jalousie et conflits au sein des com- 49–57 Kujirakwinja, D. et al. (2016): Participatory a permis de combler les défis du munautés ; mapping in the Itombwe Nature Reserve. Go- nombre insuffisant de gardes pour – conflits d’intérêts entre les éco- rilla Journal 53, 9–12 couvrir la réserve. Par conséquent, gardes (rangers) et les éclaireurs Marijnen, E. (2017): The ‘green militarisa- les communautés ont couvertes des communautaires ; tion’ of development aid, the European Com- mission and the Virunga National Park, DR zones qui auraient pu ne pas être – complicité de braconniers et d’éclai- Congo. Third World Quarterly 38, 1566–1582 couvertes par des gardes en raison reurs communautaires pour du bra- Moreto, W. D. & Lemieux, A. M. (2015): Poa- de l’insécurité. Les communautés connage. ching in Uganda: Perspectives of Law En- forcement Rangers. Deviant Behavior 36, étant de la région, elles connaissent 853–873 mieux la région et tous les sentiers. Pour répondre à ces défis, il est pro- Oates, J. F. (2002): Politicians and poachers: Par exemple, en avril 2008, des posé qu’un accord ou un manuel pra- the political economy of wildlife policy in Africa. éclaireurs de la communauté ont ar- tique et opérationnel détaillé soit éla- Book Review. Human Ecology 30 Pelissier, C. et al. (2015): Aires protégées rêté un braconnier avec un fusil de boré et mis en œuvre par les parties d’Afrique Centrale. Etat 2015. P. 256 in: chasse. Le braconnier a été signalé concernées. Mais en plus, la direction Doumenge, C. et al. (eds.): Aires protégées aux autorités locales et à l’ICCN. devrait s’assurer que les autorités tra- d’Afrique Centrale. Etat 2015. Kinshasa, c. Partage de ressources. En signant ditionnelles et politiques locales soient Yaoundé (OFAC) Plumptre, A. J. et al. (2016): Catastrophic de- des accords avec les communau- impliquées dans la mise en application cline of world’s largest primate: 80% loss of tés et en finançant des patrouilles, du processus. Grauer’s gorilla (Gorilla beringei graueri) po- elles bénéficient d’allocations pour Deo Kujirakwinja, Léonard Mubalama, pulation justifies critically endangered status. PLoS ONE 11 subvenir aux besoins des ménages. Jean Claude Kyungu, Victory Paluku, Pouillard, V. (2016): Conservation et captures Cela a été perçu comme un moyen Gentil Kambale, Félix Igunzi et animales au Congo belge (1908–1960). Vers de partager l’argent de la conserva- Jean de Dieu Wasso une histoire de la matérialité des politiques tion avec les communautés. de gestion de la faune. Revue histoire 679, Les activités des patrouilles communautaires 577–604 d. Prise de conscience pratique. La Spira, C. et al. (2017): The socio-economics of ont été financées par WWF, USAID-CARPE, participation des membres des com- Africapacity, Rainforest UK, Berggorilla & Re- artisanal mining and bushmeat hunting around munautés aux patrouilles dans la ré- genwald Direkthilfe, La Vallée des Singes à protected areas: Kahuzi–Biega National Park and Itombwe Nature Reserve, eastern Demo- serve a fait écho à l’ouverture de travers le Conservatoire pour la Protection des cratic Republic of Congo. Oryx online 2017, l’ICCN à la cogestion et au soutien Primates, RACOD et ICCN. 136–144 des communautés. Lors d’un atelier, Van Schuylenbergh, P. (2009): Entre délin- Références quance et résistance au congo belge: l’inter- un représentant des communautés Baruka, G. (2015): Analyse des financements prétation coloniale du braconnage. Afrique et a déclaré que l’approche devrait être des aires protégées en République Démocra- histoire 7, 25–47 étendue à d’autres domaines. tique du Congo (RDC). Université Senghor Berdej, S. et al. (2015): Governance and com- Conclusion munity conservation. 2. Nova Scotia Borrini-Feyerabend, G. et al. (2004): Sharing Réserve Naturelle Les pratiques de gestion de la conser- power: learning by doing in co-management d’Itombwe : Une initiative vation ont évolué pour inclure diverses of natural resources throughout the world. parties prenantes à différents niveaux Tehran (IIED and IUCN/CEESP/CMWG) féminine locale pour venir afin de réduire les menaces anthro- Harroy, J.-P. (1993): Contribution à l’histoire en aide aux familles de jusque 1934 de la création de l’institut des piques sur les espèces clefs. À Itom- parcs nationaux du Congo belge. Civilisations gardes-parcs bwe, les pratiques de patrouille com- 41, 427–442 ICCN (2015): Stratégie nationale de conser- munautaires ont été testées et prouvent vation communautaire dans les aires proté- Femmes Leaders pour l’Environne- qu’il est possible de travailler avec les gées de la RDC (2015–2020). Page 56. ICCN, ment, Unies pour sa Restauration communautés pour la conservation à Kinshasa, DRC (avec pour sigle FLEUR) est une as- long terme. Cependant, certains défis Inogwabini, B. (2014): Conserving biodiversity sociation apolitique créée en 2009 à in the Democratic Republic of Congo: a brief doivent être pris en compte, car l’ap- history, current trends and insights for the fu- l’initiative d’une femme de garde-parc proche n’en est encore qu’au stade ex- ture. Parks 20, 101–110 désirant orienter les activités de l’as- périmental : Journal Officiel (2014): Loi sur la conservation sociation vers l’aspect socio-écono- de la nature. Page Journal Officiel de la Répu- mique des ménages de gardes-parcs blic Démocratique du Congo – la durabilité de l’approche étant don- Kujirakwinja, D. et al. (2018): Establishing the de la Réserve Naturelle d’Itombwe né qu’elle est soutenue par des do- Itombwe Natural Reserve: science, participa- (RNI), dans la province du Sud-Kivu. 5 Gorilla Journal 57, décembre 2018
R. D. CONGO Qu’en est-il de la firme Banro dans la RNI ? Après plusieurs investigations et vérifications sur le terrain, la direction du site de la RNI regrette de devoir confirmer que la Société Banro y effectue non seulement des travaux d’exploration et de prélèvements d’échantil- lons, mais a également construit des installations dans la réserve en chef- ferie de Luindi, comme on peut le voir sur la carte. Ces travaux ont eu lieu en dépit des engagements pris par Banro lors d’une réunion avec le WWF à Kinshasa, et ce malgré les recommandations émises lors des réunions entre Banro et la Société civile Sud-Kivu pendant les années précédentes. Membres de la FLEUR asbl en La Réserve Naturelle d’Itombwe (RNI) a été créée en 2006 par arrêté pleine activité socio-économique ministériel N° 038/CAB/MIN/ECN-EF/2006 du 11 octobre 2006 et s’étend Photo: Félix Igunzi sur une superficie d’environ 5732 km2. Cette aire protégée d’intérêt national relevant de la catégorie VI de l’UICN est située dans le Massif d’Itombwe et Le faible niveau de vie de la plupart vise à protéger les paysages et habitats naturels les plus emblématiques et des ménages de gardes-parcs a ins- significatifs en termes de biodiversité. Le Massif d’Itombwe fait partie des piré la création de cette initiative fémi- sites prioritaires du fait de son importance biologique, tant au niveau global nine locale qui a permis de venir en qu’au niveau du Rift Albertin. L’arrêté N° 01/008/CAB/GP – SK du 25 février aide à plusieurs familles de gardes- 1998 portant sur des mesures de sauvegarde de la faune et de la flore des parcs. La FLEUR asbl a contribué à Monts d’Itombwe par le Gouverneur de Province du Sud-Kivu traduisait l’auto-prise en charge des femmes de déjà l’intérêt majeur des autorités politiques pour ce sujet au plus fort de gardes-parcs dans leur dimension so- la guerre à l’est de la République Démocratique du Congo. L’obtention en ciale, éducative, économique et éco- juin 2016 de la reconnaissance officielle de la configuration physique des logique. Voici un résumé de ses acti- limites de la RNI par l’arrêté provincial N° 16/026/GP/SK du 20 juin 2016 a vités : officialisé les limites actualisées de la RNI, qui avaient été définies lors d’un processus de délimitation participative avec les parties prenantes locales, Dans le domaine économique ce qui lui a conféré une superficie de 5732 km2 et un périmètre de 568 km. Une cantine privée appuyée par Berg- Jean Claude Kyungu gorilla et portant le nom de cette as- sociation a permis d’occuper environ 30 épouses de gardes du parc. Ces femmes, longtemps sans occupation, arrivent désormais à pallier aux be- soins de leurs ménages à la grande sa- tisfaction de leurs maris et de la com- munauté locale. Violation de la loi 014/003 du 11 février 2014 en rapport à ses articles 25 et 74 relatifs à l’interdiction de toute activité incompatible avec la conserva- Clôture de lʼannée scolaire 2017– tion, et définissant les infractions et les peines relatives en cas d’exploita- 2018 à la satisfaction de certains tion minière dans une aire protégée. enfants des gardes-parc Photo: Félix Igunzi 6 Gorilla Journal 57, décembre 2018
R. D. CONGO l’hôpital général de Mwenga, un hôpi- té demeurent dans le secteur de basse tal d’intérêt public pour la communau- altitude du PNKB, la situation s’est té locale. Les membres ont procédé beaucoup améliorée sur le terrain, ce à l’aménagement de pépinières avec qui a permis à la direction du parc de entre autres des espèces ornemen- reprendre le suivi, principalement dans tales et fruitières. le secteur des hautes terres. La surveillance systématique de Dans le domaine du social la faune sauvage associée à des pa- L’union et la cohésion sociale instau- trouilles régulières de gardes constitue rées par l’association ont renforcé la une composante essentielle en matière Activités génératrices des revenus confiance réciproque et le sens des de gestion d’une aire protégée, car elle de la FLEUR asbl responsabilités des femmes d’éco- renseigne sur l’efficacité du travail en- Photo: Félix Igunzi gardes face aux défis quotidiens de trepris en ce qui concerne les change- leur vie. ments observés dans les populations. Dans le domaine de santé et éduca- Jean Claude Kyungu et Félix Igunzi Malheureusement, peu d’aires proté- tion gées disposent d’informations précises Les recettes issues de la cantine sont de suivi sur des périodes de temps pro- gérées par un comité entièrement fémi- Bio-surveillance à long longées. nin. Elles sont réparties selon les be- terme des grands singes En 2017, Primate Expertise (PEx), soins des ménages considérés comme au moyen de pièges une organisation non-gouvernemen- prioritaires. Ainsi, en 2018, 30 % des photographiques dans le tale congolaise dédiée à la recherche recettes de la FLEUR asbl ont été af- sur les primates et à leur conservation, fectées aux soins médicaux de 36 en- Parc National de Kahuzi- a débuté un programme de suivi dans fants de la RNI et 35 % affectées aux Biega le Parc National de Kahuzi-Biega avec frais scolaires de 27 enfants. des pièges photographiques. Primate Le Parc National de Kahuzi-Biega Expertise a conclu une convention Dans le domaine de l’agriculture et (PNKB) abrite une faune et une flore opérationnelle avec les autorités du élevage exceptionnelles et représente un site L’agriculture de subsistance, la mise majeur du Rift Albertin, Utu l’une 28° des E ré-Musenge en place de jardins potagers et l’éle- gions d’Afrique les plus riches en ma- vage de lapins font partie des activités tière de biodiversité. Itebero Parc National quotidiennes et obligatoires de chaque Le secteur des hautes terres du de Kahuzi-Biega membre de la FLEUR asbl. PNKB est dominé par la forêt mon- Hombo DEMOCRATIC REPUBLIC OF tagneuse où l’on rencontre à la fois THE CONGO Dans le domaine d’écologie et ges- les gorilles de Grauer (Gorilla berin- tion des ressources naturelles gei graueri) et les chimpanzés de l’est Lu La FLEUR asbl a reboisé une étendue (Pan troglodytes schweinfurthii). ho de 42,5 hectares localisée à l’ouest de Les activités humaines illégales font 2° S ho Kalehe peser de lourdes menaces sur la bio- diversité de Kahuzi et l’instabilité poli- uzi Luka Lake tique qui sévit dans la région depuis Kivu Kah deux décennies a entraîné une dimi- nution massive du nombre de grands Tshibati mammifères. Les grands singes et les ga Tshivanga Bie éléphants ont particulièrement souffert denational cette instabilité puisque la quasi-to- Cyan- park border gugu talité roadde la population d’éléphantsLugulu et la Célébration de la JIF 2018 avec des moitié de la population de gorilles ont Nzovu Bukavu river Ruzi membres de la FLEUR asbl été abattues dans le secteur de hauteNgoma entourées de leurs maris mountain altitude du parc (Yamagiwa Lubimb 2003). zi 0 20 km e Walungu Photo: Félix Igunzi Même si des poches isolées d’insécuri- 7 Gorilla Journal 57, décembre 2018
R. D. CONGO des ateliers de formation pour le per- sonnel des parcs nationaux où les assistants locaux acquièrent de l’ex- périence et des connaissances en matière de collecte de données spé- cifiques, améliorant ainsi leur aptitude à suivre l’évolution des différents ob- jectifs de conservation, y compris la dynamique des populations de grands singes. Méthodologie Les pièges photos ont systématique- ment été installés au sein d’une zone quadrillée de 20 km2 composée de car- rés de 1 x 1 km disposés sur la zone centrale du domaine vital des grands Un dos argenté gorille de Grauer conduisant un groupe de 3 femelles singes. A l’intérieur de cette zone, 10 adultes, chacune transportant un petit dépendant transects linéaires de 4 km chacun ont été tracés le long desquels nous avons parc lui permettant de mettre en place piégés par des collets et par consé- enregistré des informations sur les un programme de bio-surveillance sys- quent gravement blessés, ce qui peut grands singes et les autres animaux tématique utilisant des pièges photo- entraîner la perte d’un membre ou leur sauvages à l’aide des pièges photo- graphiques. Le programme est mis en mort. graphiques. œuvre en collaboration avec le PNKB. Le projet comprend un volet non né- Pour analyser les espèces animales Il s’agit du tout premier programme de gligeable relatif au renforcement des partageant le même habitat que les suivi à long terme utilisant de façon capacités. Le renforcement des com- grands singes, 24 pièges photos ont systématique les pièges photos pour pétences locales et la formation du per- été posés (16 le long de 8 transects étudier des espèces animales particu- sonnel des aires protégées de l’ICCN linéaires et 8 en bordure du parc pour lièrement insaisissables et partageant constituent la clé du succès pour la identifier les animaux impliqués dans le même habitat que les grands singes conservation à long terme des gorilles au sein du parc national. de Grauer. Primate Expertise anime continué p. 10 Le programme permet aussi de do- cumenter les caractéristiques compor- tementales clés des grands singes non habitués de Kahuzi et de déterminer comment ces caractéristiques obser- vées, combinées aux données éco- logiques, peuvent permettre de com- prendre les variations existant entre les systèmes sociaux des grands singes en Afrique. En outre, les pièges pho- tos peuvent permettre de comprendre comment les blessures causées par les collets impactent le comportement des grands singes, et notamment celui des individus non habitués difficiles à observer en forêt. Même si les grands singes ne sont pas forcément les cibles des chasseurs de viande de brousse, beaucoup d’entre eux se retrouvent Gorille femelle adultes transportant un petit dépendant 8 Gorilla Journal 57, décembre 2018
R. D. CONGO Omari Ilambu 1959–2018 Omari Ilambu était un défenseur de la nature très aimé et très respecté qui nous a quittés subitement en novembre 2018. Omari a travaillé pendant près de 30 ans pour l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), la Wildlife Conservation Society (WCS) et le Fonds Mondial pour la Nature (WWF). Ici, ses anciens collègues du WWF se souviennent de lui. Omari a été notre collègue en République Démocratique du Congo de 2005 à 2013. Il a rejoint le WWF en 2005 en tant que Conseiller pour le Parc National de la Salonga où il a entrepris, aux côtés de l’ICCN et d’autres partenaires, la tâche herculéenne de revitaliser le système d’application de la loi et la gestion de l’un des plus grands parcs nationaux du monde – une contribution essen- tielle à la protection des valeurs universelles de ce site du patrimoine mondial en péril. En parallèle, il n’a jamais perdu de vue l’importance de travailler sans relâche pour établir des relations avec les communautés vivant à l’intérieur et en périphérie du parc ainsi qu’avec les responsables locaux et provinciaux. En 2008, Omari est devenu responsable pour l’ensemble du paysage de la Salonga, où il a continué à assurer la coordination entre de nombreux partenaires et à jeter les bases du modèle de cogestion développé aujourd’hui par l’ICCN et le WWF. De 2012 à 2013, Omari a été Conseiller Senior en matière d’aires protégées pour le programme national du WWF visant à renforcer la planification et la gestion du réseau des aires protégées considérées dans le contexte contemporain de la RDC. Dans le cadre des évaluations de terrain conduites dans les régions reculées du pays, l’expérience et le leadership d’Omari ont été une source d’inspiration pour les jeunes professionnels de l’équipe. Sa profonde compréhension et sa connaissance des défis auxquels fait face la biodiversité de la RDC, à propos de laquelle il était si enthousiaste, ont fourni d’importantes orientations aux réflexions du programme sur l’avenir du réseau national des aires protégées. Omari était unique. Il n’a jamais été désabusé par l’environnement difficile de la conservation en RDC et a plutôt maintenu son intégrité innée, son attitude positive, son enthousiasme et son plaisir au contact de la nature. Nous avons beaucoup de bons souvenirs d’Omari – un en particulier capture l’essence d’Omari. En 2006, Omari a accueilli une délégation en visite à Monkoto. Il était si enthousiaste à l’idée de présenter le parc et ses habitants au groupe, et l’itinéraire comprenait quelque chose de spé- cial, une « surprise » dans la forêt. C’était quelque part au-delà de Lo- kofa et pour l’atteindre, nous avons eu droit à une longue marche dans la boue jusqu’aux cuisses. Quand nous sommes arrivés, la grande surprise était ... une forêt de Gilber- tiodendron ! Omari était si heureux, si fier. C’est l’Omari dont nous nous souviendrons toujours. Paya de Marcken, Cyril Pélissier et Lisa Steel Omari Ilambu (à gauche) Photos: dessus Richard Carroll/WWF-US, dessous Lisa Steel/WWF-DRC 9 Gorilla Journal 57, décembre 2018
R. D. CONGO pièges photographiques. PEx a besoin de fonds supplémentaires pour pouvoir procéder à cette étude. Les babouins sont de loin ceux qui sont le plus obser- vés lors de raids sur les cultures. Conclusion Grâce aux vaillants gardes et trackers du PNKB, l’activité se poursuit malgré le manque de fonds pour financer les opérations mensuelles sur le terrain. Nous avons besoin de rations alimen- taires pour le courageux personnel du parc qui travaille dans des conditions difficiles afin de protéger les gorilles de Grauer et la faune sauvage extrême- ment menacés. Nous avons désespé- Trois femelles chimpanzés adultes transportant leur petit et se déplaçant rément besoin d’autres pièges photos seules avec des individus immatures, loin des mâles adultes car ce programme important n’a pour l’instant couvert qu’une petite partie du les attaques des cultures). Les pièges adultes chimpanzés : trois femelles go- secteur de haute altitude du PNKB. Il photos étaient ensuite visités une fois rilles adultes avec des jeunes non se- faut en effet installer plus de pièges par mois afin de télécharger les don- vrés conduits par un dos argenté et caméras dans des zones variées du nées enregistrées. des chimpanzés femelles se déplaçant parc afin d’évaluer les différences en avec leurs petits non sevrés et leurs matière de richesse de la faune entre Résultats du programme à mi- jeunes loin des mâles adultes, une ca- les sites. Nous sommes très reconnais- parcours ractéristique sociale souvent observée sants au Japan Monkey Center et à Les données pour 10 mois consécutifs dans d’autres populations de chimpan- Wild Earth Allies de nous avoir fourni (décembre 2017 à septembre 2018) zés étudiées à long terme. On observe les quelques pièges photographiques sont disponibles. Plusieurs centaines que les femelles chimpanzés créent avec lesquels nous avons commencé d’heures d’images de faune sauvage des liens sociaux forts et durables cette importante activité. ont été enregistrées mais doivent en- avec d’autres femelles, même en ab- Augustin Kanyunyi Basabose core être analysées pour évaluer la sence de partenaires étroitement ap- Références densité et l’abondance des différentes parentés (Lehmann & Boesch 2009). Lehmann, J. & Boesch, C. (2009): Sociality of espèces animales partageant le même Les différences de sexe dans les sché- the dispersing sex: the nature of social bonds habitat que les grands singes dans le mas d’association des chimpanzés va- in West African female chimpanzees, Pan tro- Parc National de Kahuzi-Biega. Une rient considérablement selon les sites glodytes. Animal Behaviour 77 (2), 377–387 Pepper, J. W. et al. (1999): General grega- analyse préliminaire a révélé que 40 en Afrique (Pepper et al. 1999) et il riousness and specific social preferences espèces de vertébrés ont été identi- est intéressant de connaître le modèle among wild chimpanzees. International Jour- fiées au sein de l’habitat des gorilles de qui peut être appliqué aux chimpanzés nal of Primatology 20, 613–632 Yamagiwa, J. (2003): Bush-meat poaching of Grauer grâce aux 24 pièges photogra- de Kahuzi en observant les séquences larger mammals and the crisis of conservation phiques posés dans le PNKB. des pièges caméras. in the Kahuzi-Biega National Park, Democra- Les enquêtes sur les grands singes Il n’existe pas d’information suf- tic Republic of Congo. Journal of Sustainable utilisant des pièges photos donnent fisante sur les espèces animales im- Forestry 16, 115–135 de très bons résultats car elles ren- pliquées dans les attaques sur les seignent sur certaines caractéristiques cultures, ce qui engendre des conflits comportementales socio-écologiques entre la direction du parc et les fer- d’animaux non habitués. Les photos miers voisins. PEx a démarré un pro- montrent des images d’une famille de gramme afin de documenter les ani- gorilles sauvages (non habituée aux maux quittant la forêt et franchissant la hommes) et un groupe de femelles lisière du parc grâce aux données des 10 Gorilla Journal 57, décembre 2018
OUGANDA L’impact du voisinage maine vital) sur un mois ou une an- activités à certains endroits. Ces zones née, ou la fréquence à laquelle ils re- sont appelées le domaine vital de l’ani- sur les habitudes tournent dans certaines zones. Pour mal. Les domaines vitaux de différents d’espacement des gorilles les espèces vivant en groupe, tous ces groupes ne se chevauchent pas for- de Bwindi modèles semblent être influencés par cément et peuvent demeurer fixes à l’accès à la nourriture mais aussi par l’emplacement, ce qui permet géné- Trouver de la nourriture et des parte- des facteurs sociaux, tels que la taille ralement un accès exclusif à tout ou naires est vital pour tous les animaux, des groupes, mais également par les partie du domaine vital. Les animaux afin qu’ils grandissent, maintiennent groupes voisins. Comprendre com- avec de telles habitudes d’espacement leurs fonctions métaboliques et se re- ment ces facteurs affectent les habi- sont appelés territoriaux. Pour main- produisent. La manière dont les ani- tudes d’espacement des animaux est tenir l’exclusivité, les animaux territo- maux utilisent leur environnement pour fondamental pour comprendre l’abon- riaux excluent activement leurs congé- trouver nourriture et partenaires se re- dance et la répartition des animaux, la nères d’une zone déterminée. Pour ce flètent dans leurs habitudes d’espace- capacité biotique, le choix de l’habitat faire, ils utilisent une défense active : ment ou dans la manière dont ils uti- ainsi que pour mieux gérer les groupes par exemple, les loups sont agressifs lisent leur habitat. Les habitudes d’es- et leur conservation. envers leurs voisins, les chimpanzés pacement peuvent décrire la distance D’une manière générale, les ani- patrouillent les limites de leur territoire parcourue quotidiennement par les maux ne se promènent pas sans but et les lions utilisent un marquage olfac- animaux, leur rayon d’action (ou do- dans l’environnement. Ils limitent leurs tif pour signaler l’exclusion. Ces com- portements suscitent alors une réac- tion d’évitement par les congénères. En revanche, les domaines vitaux d’autres animaux peuvent se chevau- cher et leurs emplacements peuvent varier. Cela ne permet généralement pas un accès exclusif de ces zones par des groupes uniques. Les ani- maux qui évoluent dans ce type de domaine vital sont considérés comme non-territoriaux. Les espèces non-ter- ritoriales, telles que les éléphants ou les babouins olives, n’excluent pas ac- tivement les voisins de leur domaine vital, qui présente des chevauche- ments étendus avec les domaines du voisinage (Brown & Orians 1970; Burt 1946). Chez les animaux territo- riaux, les modèles d’espacement sont largement déterminés par la compéti- tion entre groupes. En revanche, pour les animaux non-territoriaux, on pense que le rôle de la concurrence avec le voisinage ne joue qu’un rôle faible, mais pour l’instant on comprend en- core assez mal ce rôle (Adams 2001). Les gorilles sont un modèle intéres- sant pour étudier le rôle de la concur- rence entre groupes. Ils sont connus pour le haut degré de chevauchement Domaines vitaux des 13 groupes d’étude de gorilles du Parc National de de leurs domaines vitaux entre groupes Bwindi, Ouganda (figure modifiée d’après Seiler et al. 2017) voisins, sur tous les sites où ils ont été 11 Gorilla Journal 57, décembre 2018
OUGANDA étudiés (Caillaud et al. 2014; Ganas & cueilli des données de localisation cun leurs zones centrales de qualité Robbins 2005). Les gorilles se nour- sur les habitudes de répartition de 13 et qu’elles s’excluent mutuellement en rissent principalement de végétation groupes de gorilles de montagne ha- grande partie. Cela suggère que les herbacée, disponible en abondance, et bitués à l’homme, pendant environ un groupes voisins sont dans une stra- ils semblent ne pas défendre leur nour- an et demi. Pour obtenir des données tégie active d’évitement, bien que les riture. Les gorilles de montagne sont de localisation simultanées sur tous les gorilles d’une manière générale ne donc qualifiés comme étant non-territo- groupes habitués, nous avons fait ap- défendent pas leurs domaines vitaux. riaux. Cependant, la concurrence entre pel à 11 assistants locaux formés à la Cela pose la question de savoir com- les groupes est intense quant à la quête recherche et au terrain pour nous aider ment les gorilles évitent leurs voisins de partenaires sexuels. Cette compéti- dans cette collecte. Nous avons pu tra- et maintiennent ces zones vitales cen- tion pour l’accouplement est fortement vailler avec des groupes situés dans trales, qui s’excluent largement, et ce, liée aux rencontres entre groupes voi- les quatre zones principales de Bwindi: sans défendre leur domaine vital. sins, qui est la seule occasion que les Buhoma, Ruhija, Rushaga et Nkuringo. Il existe trois possibilités vraisem- femelles ont de passer d’un groupe Notre analyse a révélé que les blables qui pourraient expliquer que à l’autre. Lors de ces rencontres, les groupes de gorilles voisins étaient leur comportement conduise à un tel mâles se montrent agressifs envers les confrontés à une concurrence entre schéma. Premièrement, nous pensons mâles étrangers pour empêcher à la groupes. Plus la densité de gorilles à que les gorilles pourraient se souve- fois leurs femelles de partir dans l’autre proximité d’un groupe est élevée, plus nir des lieux de rencontre entre les groupe, mais également pour éviter la zone utilisée par un groupe sur un groupes et éviteraient ces zones par la l’infanticide de leur progéniture. La plu- mois est petite et moins souvent un suite. Deuxièmement, les gorilles pour- part des rencontres entre groupes sont groupe se verra retourner vers cer- raient utiliser les coups à la poitrine caractérisées par des signaux agres- taines zones. De plus, après une ren- pour localiser puis éviter leurs voisins. sifs entre mâles impliquant des dé- contre entre deux groupes, on a ob- Troisièmement, ils peuvent utiliser les monstrations de force et des coups à servé une augmentation de la distance signes d’une recherche de nourriture, la poitrine ; en revanche, seule une très parcourue par ces groupes ce jour-là. tels qu’une végétation piétinée, des petite proportion implique des agres- Malgré le chevauchement important du excréments et des restes de nourri- sions physiques. De plus, malgré un domaine vital entre les groupes voi- ture, pour éviter les zones précédem- chevauchement étendu des domaines sins, les zones centrales, c’est-à-dire ment utilisées par des groupes voisins. vitaux entre les groupes, les rencontres les zones d’utilisation intensive de leur De telles habitudes d’espacement qui se font rares ; elles se produisent envi- domaine vital, étaient en grande partie évitent la concurrence avec les voisins ron une fois par mois chez les gorilles mutuellement exclusives. Enfin, nous peuvent avoir des conséquences im- de montagne (Sicotte 1993; Robbins & avons montré que les groupes rédui- portantes pour la conservation de cette Sawyer 2007). saient leur utilisation des zones pré- espèce en danger critique d’extinction. Pour étudier le rôle de la concur- cédemment utilisées par leurs voisins. Le fait d’avoir des zones centrales ex- rence entre les groupes de gorilles de Tous ces résultats suggèrent que les clusives réduit la quantité d’espace dis- montagne dans le Parc National Impé- groupes cherchent à s’éviter les uns ponible pour chaque groupe et dimi- nétrable de Bwindi, en Ouganda, nous les autres. nue donc la capacité biotique de Bwin- avons examiné l’effet des groupes En conclusion, nos résultats four- di malgré des ressources alimentaires voisins (en densité de groupes et fré- nissent l’une des premières preuves abondantes. Nos résultats soulignent quence des rencontres entre groupes) de la concurrence entre groupes de qu’il pourrait ne pas y avoir de distinc- sur les habitudes d’espacement des gorilles de montagne. Nous avons clai- tion claire entre animaux territoriaux et groupes. Nous avons ainsi quanti- rement démontré que même dans les non-territoriaux, car des animaux, tels fié la distance parcourue quotidienne- espèces non-territoriales, telles que que les gorilles de montagne de Bwin- ment, la taille du domaine vital sur un les gorilles de montagne, les voisins di, peuvent combiner certains aspects mois et la fréquence des visites répé- influent de manière fondamentale sur du comportement territorial avec un tées vers des parties spécifiques de les habitudes d’espacement et que les comportement non-territorial. leur domaine vital. Nous avons égale- mouvements des groupes semblent Nicole Seiler et Martha M. Robbins ment examiné comment et quand les limités par le voisinage. Notre étude groupes de gorilles voisins utilisent les est la première à montrer que, mal- Nous remercions chaleureusement la Ugan- zones partagées de leurs domaines gré le chevauchement des domaines da Wildlife Authority (l’Autorité de la Faune vitaux. Pour ce faire, nous avons re- vitaux, les groupes de gorilles ont cha- Sauvage d’Ouganda), le Ugandan Natio- 12 Gorilla Journal 57, décembre 2018
GORILLES nal Council of Science and Technology (le Conseil National Ougandais pour la Science Bataba gorilla Ndokmen Nord et la Technologie), l’Institute of Tropical Forest distribution Conservation (l’Institut pour la Conservation des Forêts Tropicales), le Berggorilla & Re- genwald Direkthilfe e. V., le Deutscher Aka- Iboti demischer Austauschdienst (l’Office allemand d’échanges universitaires), la Max Planck So- Locndeng ciety, et un merci spécial à tous les assis- Mopoun Locnanga tants de recherche rigoureux et dévoués et Ndokbagengue au personnel du Parc de Bwindi. Nous remer- cions également Roger Mundry et Christophe Njuma Boesch pour leur aide dans cette recherche. Bekob Proposed Sah’aa Articles originaux Ndokama Ebo National Park Seiler, N., Boesch, C., Mundry, R., Stephens, C. & Robbins, M. M. (2017): Space Partitioning in Wild, Non-Territorial Mountain Gorillas: The Ebo’oh Impact of Food and Neighbours. Royal Mamba Society Open Science 4 (11), 170720 Seiler, N., Boesch, C., Stephens, C. et al. (2018): Social and Ecological Cor- relates of Space Use Patterns in Bwin- di Mountain Gorillas. American Jour- nal of Primatology 80 (4), e22754 0 3 6 12 km Références Adams, E. S. (2001): Approaches to the Study of Territory Size and Shape. Annual Review of La forêt d’Ebo, où se trouvent les 3 communautés – Locndeng, Iboti et Ecology and Systematics 32, 277–303 Brown, J. L. & Orians, G. H. (1970): Spacing Locnanga –, avec la répartition approximative des populations de gorille Patterns in Mobile Animals. Annual Review of Ecology and Systematics 1, 239–262 Burt, W. H. (1946): Territoriality and Home Club des Amis des tion de gorilles par un groupe de scien- tifiques en 2002 dans la forêt d’Ebo Range Concepts as Applied to Mammals. Gorilles : Patrouille et (Morgan et al. 2003), San Diego Zoo Journal of Mammalogy 24, 346–352 Caillaud, D. et al. (2014): Mountain Gorilla conservation de l’habitat Global a démarré un programme de Ranging Patterns: Influence of Group Size and des gorilles par les recherche sur la biodiversité et de sen- Group Dynamics. American Journal of Prima- tology 76, 730–746 communautés locales sibilisation à la conservation dans la Ganas, J. & Robbins, M. M. (2005): Ranging dans la forêt d’Ebo région appelé Ebo Forest Research Behavior of the Mountain Gorillas (Gorilla be- Project (EFRP). Entre autres objectifs, ringei beringei) in Bwindi Impenetrable Natio- La forêt d’Ebo est l’une des plus vastes l’EFRP évalue la biodiversité de la fo- nal Park, Uganda: A Test of the Ecological Constraints Model. Behavioral Ecology and étendues arborées intactes du hot spot rêt en menant des inventaires annuels Sociobiology 58 (3), 277–288 de biodiversité du Golfe de Guinée des grands mammifères et encourage Robbins, M. M. & Sawyer, S. C. (2007): In- (Morgan et al. 2011). Elle est actuelle- les communautés à s’engager dans la tergroup Encounters in Mountain Gorillas of Bwindi Impenetrable National Park, Uganda. ment en cours de classement en parc conservation de la biodiversité par le Behaviour 144 (12), 1497–1520 national par le gouvernement du Ca- biais de partenariats et d’une collabo- Sicotte, P. (1993): Inter-Group Encounters meroun. La forêt abrite un assemblage ration avec un large éventail d’acteurs and Female Transfer in Mountain Gorillas: In- unique de primates dont une petite dans la zone forestière d’Ebo (Mfossa fluence of Group Composition on Male Be- havior. American Journal of Primatology 30, population de gorilles, l’une des plus et al. 2017). L’un de ces acteurs ma- 21–36 importantes populations de chimpan- jeurs est le « Club des Amis des Go- Wang, M. & Grimm, V. (2007): Home Range zés du Nigéria-Cameroun et de drills, rilles » (CAG) constitué par un réseau Dynamics and Population Regulation: An In- ainsi que l’une des deux populations de « gardiens des gorilles » volontaires dividual-Based Model of the Common Shrew Sorex araneus. Ecological Modelling 205 restantes de colobes de Preuss (Mor- issus des trois communautés les plus (3–4), 397–409 gan 2010). Après la première observa- proches du domaine vital des gorilles. 13 Gorilla Journal 57, décembre 2018
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