Graham Cantieni sous le signe d'Hermès - Monique Brunet-Weinmann - Érudit
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Document generated on 05/18/2021 8:05 p.m. Vie des arts Graham Cantieni sous le signe d’Hermès Monique Brunet-Weinmann Volume 33, Number 132, September–Fall 1988 URI: https://id.erudit.org/iderudit/53850ac See table of contents Publisher(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (print) 1923-3183 (digital) Explore this journal Cite this article Brunet-Weinmann, M. (1988). Graham Cantieni sous le signe d’Hermès. Vie des arts, 33(132), 28–31. Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1988 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Monique Brunet-Weinmann raham Hermès (détail), 1986. Messénie, 1986. Acier peint; 350 x 350 x 464 cm. Huile; 140 x110 cm. Au Symposium Lachine, Carrefour de l'art et de l'industrie, Graham Cantieni a réalisé, en 1986, pour le Musée de Lachine, une pièce tridimensionnelle dédiée à Hermès. Le titre de l'œuvre s'accorde remarquablement bien au site d'exposition. 28
antieni sous le signe d'Hermès Historiquement, Lachine a été la porte et les dominantes de l'œuvre depuis le de l'Orient pour u n Jacques Cartier commencement de leur itinéraire. égaré qui croyait trouver la Chine en «Hermès se meut dans un espace in- Amérique: «Finalement, la Chine my- termédiaire et il en est le médiateur. thique de Cartier échoue dans la réalité Que cette médiation concerne [...] le des rapides de Lachine, tout près de voyage ou la parole, ou qu'elle inter- Montréal. [...] Jacques Cartier rêve le vienne entre le haut et le bas, entre Canada en îles, tout en trouées, en pas- l'Olympe, les h o m m e s et l ' H a d è s , sages, en embouchures, débouchant Hermès est entre-deux. [...] Son destin sur un Ailleurs»1. Et ce fut le rôle de La- se joue sur u n e ligne de partage et chine, concrétisé par son canal, d'être toutes ses fonctions auront à voir peu porte, port, passage des denrées reçues ou prou avec les frontières»3 - en ce et expédiées, zone intermédiaire de sens qu'il les outrepasse - y compris le métissage ouverte à la pénétration de trépas, passage de la vie à la mort, du l'étranger dans l'oikos (maison, en grec) monde solaire au royaume des ombres. de passage. Maître des arts, possédant Le cheminement de Graham Cantieni, la science des nombres et des signes, et de même, s'effectue dans la zone am- la métis, l'intelligence pratique, Hermès biguë de l'entre-deux et entretient la est le dieu des explorateurs solitaires: il t e n s i o n q u i la p a r c o u r t , p a r ses veille aux carrefours où il indique les di- voyages, par son œuvre, par son rap- rections et balise le parcours en le mar- port aux mots, à l'écrit, au texte. quant de bornes, de tas de pierres. Adéquation habile pour une œuvre in Pierre Restany a justement relevé Hermès, 1984. situ, d'autant plus que sa tubulure mé- «L'errance perpétuelle du peintre, ce Fusain, lavis et collage; 65 x 50 cm tallique cadre avec l'environnement in- fils d ' u n Suisse des Grisons, né en dustriel, le cadre et le reflète dans sa Australie à Melbourne et devenu Ca- face sensuelle» synthèse par quoi «la structure en miroir. nadien de Sherbrooke avant de s'ins- peinture s'exprimait dans toute sa plé- taller en France à Barbezieux, dans les nitude». Quand il séjourne u n an et Du point de vue de l'artiste (plus Charentes» 4 . J'insiste sur le fait qu'elle demi à Barbezieux, c'est avec la ferme pragmatique que mytho-critique), la vise à échapper à toute définition, se intention, sitôt installé, de faire le va-et- construction dans laquelle on peut en- meut dans le transculturel, tend à l'as- vient entre Québec et Charentes, de trer, passer, est une simple transposi- similation des cultures qu'elle traverse, garder un pied de chaque côté de l'At- tion spatiale des grands dessins au à leur symbiose, s'efforce de substituer lantique. Après avoir passé ici l'année fusain de la série Parataxe réalisée à Bar- la complexité d'une saisie globale (le universitaire 1987-1988, il part pour la bezieux, près de Bordeaux, en 1984 et «tout à la fois» morinien) au simplisme Suisse où il expose, cet automne, à 1985, après un séjour de deux mois en réducteur des contraires («ou bien ceci Neuchâtel et presque simultanément à Grèce: «mon objectif est tout simple- ou bien cela»). Quand il quitte l'Austra- Bruxelles ainsi qu'à Montréal: Galerie ment de remettre en trois dimensions lie pour Montréal, en 1968, il y a vingt de l'UQAM et Maison de la Culture de les plans et les formes sur lesquels je ans, il y est attiré par «quelque chose qui la Côte-des-Neiges. travaille depuis longtemps en deux di- l'intrigue encore aujourd'hui, cette fa- Les peintures sur toile et sur papier mensions. Comme ces derniers sont çon d'être à la fois américaine et euro- qui y sont présentées, tout à la fois ambigus, je veux qu'ils le soient aussi Îïéenne, sans être vraiment ni l'un ni poursuivent la veine exploitée dans Pa- une fois rendus en trois dimensions» 2 . 'autre». Quand il décide de passer sur rataxe et s'en écartent. La probléma- Mais précisément, cette ambiguïté vou- «l'autre bord», d'aller «aux vieux pays», tique fondamentale demeure, à savoir lue, préservée, cultivée, qui caractérise il choisit la France et non l'Angleterre, non la contradiction mais la «tension l'ordonnancement spatial chez Can- «mère patrie» des Australiens, parce entre la trame gestuelle, immédiate, tieni est aussi u n des traits majeurs qu'elle est pour lui le berceau de la spontanée et la trame structurale, pré- d'Hermès. Le titre ici manifeste méta- peinture m o d e r n e , le pays des Ba- cise et fragile», tension qui travaille phoriquement la rencontre incon- ziotes, Manessier et Soulages qui l ' œ u v r e depuis les séries plus an- sciente de l'artiste avec son mythe per- concilient «un sens de construction très ciennes: les Prisons, de 1978, à l'espace sonnel, qui règle le destin de l'homme fort» à «un intérêt certain pour une sur- bloqué par un écheveau gestuel hérité 29
de l'expressionnisme abstrait et les En- fenêtre ou comme écran. La trame ges- notion de délimitation du cadre qui veloppes déployées en 1980, dont le col- tuelle niait ou renforçait le dessin struc- définit la peinture depuis le néoli- l a g e i n a u g u r e la s t r u c t u r a t i o n t u r a n t . Les c o u l e u r s avaient u n e thique, notion qu'elle partage d'ail- symétrique et la mise en abîme du fraîcheur dont on se délectait comme leurs avec le théâtre»6, pour ne retenir cadre. Les Procenium récents, comme d'un sorbet l'été, sans autre motivation que la seule planéité, bidimensionna- Parataxe, tentent de fusionner dans un que de séduire. Cette savoureuse jouis- lité, pour caractériser l'essence de la même tableau deux espaces antago- sance trouvait sa nécessité dans le désir peinture, Cantieni la lui restitue dans sa nistes, «celui de la fenêtre permettant peut-être inconscient d'inscrire u n double existence: linéaire et gestuelle. une imbrication de plans illusoires dans contrepoint à l'austérité tragique des Il n'est donc pas étonnant que toutes les l'espace, et celui de l'écran empêchant dessins au fusain concomitants, qui analogies, dans cette série Proscenium toute fuite perspectiviste»5. Mais l'ac- égarent le regardant dans des laby- (littéralement: «avant-scène») concer- cent s'est déplacé et le traitement de la rinthes souterrains, nocturnes. nent le théâtre, la scène, cette boîte ou- couleur se ressaisit, se resserre. Les Cantieni renonce maintenant à ces verte au regard sur un côté, le rideau toiles de 1985 insistaient sur la frontière jeux subtils et précieux sur la limite et la levé ou baissé alors avatar de l'écran, entre la zone interne et la zone enca- couleur. Il radicalise la décision du ses franges (le «dripping» au côté infé- drante, qu'elles fonctionnent comme geste, l'immédiateté de la trace qu'il rieur du centre). La boîte perspectiviste 87/438,1987. Acrylique; 95 x 131,5 cm. (Photo Serge Clément) veut obtenir sans reprise dans la jus- tesse du premier jet. De même, l'idéal serait que les deux zones de couleurs, différentes mais de valeurs égales ou proches, soient obtenues sans recou- vrement. Ni Charles Gagnon, ni Jean McEwen: j'ai pensé au Motherwell de la série Open, à cette différence près (es- sentielle!) que la gestualité remplace le colorfield et la projection volumétrique (hexaèdre, octaèdre...), la planéité d'un tracé linéaire. Précisément, c'est dans cette double transgression que se situe la difficulté, l'ambiguïté et la portée cri- tique de l'effort de Graham Cantieni. Alors que Greenberg «abandonne la 30
est réversible, parfois se creuse, parfois aussi bien en être le désorganisateur. Il l'autre face du destin d'Hermès, le tra- se projette vers le spectateur, égale- est à la fois l'ordre et le désordre [...] le ficant de grands chemins. Mais il s'agit ment au-dedans et au-dehors, comme désordre réglé». On ne saurait mieux dire toujours du même destin: l'art est l'or. si la surface jouait le rôle d'un miroir. pour suggérer l'espace où s'égare le re- C'est encore mieux que de trouver du Dans ses «Quelques réflexions gard, comme dans u n labyrinthique cuivre en cherchant l'or de la Chine! • concernant l'œuvre» Hermès dans ses [>alais des glaces. Réminiscences de 1. Heinz Weinmann, Du Canada au Québec. Montréal, «Notes d'atelier, espace et lieu de Para- 'exploration des mines d'or abandon- L'Hexagone, 1987, p. 74. 2. Graham Cantieni, Hermès, Entretien avec Alfred taxe», Graham Cantieni établit la théo- nées du désert australien, des galeries Cyril, Éditions 5155, 1986, p. 17. rie de ce qu'il appelle «l'espace-miroir». souterraines, des puits, des travées? 3. Laurence Kahn-Lyotard, le mot «hermès», dans le Dictionnaire des mythologies, Flammarion, 1981, T.I. Cette obsession du plasticien nous ra- Certainement: tout se tient dans la lo- p. 501 et 503. mène à la double vocation d'Hermès gique de l'imaginaire. Pourquoi, sinon, 4. Pierre Restany, La Peinture sans fin d'un monde sans dont la p o s i t i o n b é n é f i q u e «vient Cantieni aurait-il choisi le site désaf- raison, dans les Cahiers du CRIC. Éditions Charles le Bouil, 1985, p. 33. comme l'exact miroir de sa pratique fecté d ' u n e mine de cuivre à Eustis, 5. Cantieni, «Notes d'atelier» dans les Cahiers du CRIC, subversive. [...] Hermès est un brouil- près de Sherbrooke, comme lieu de op. cit., p. 14. leur de piste... S'il peut représenter performances et d'installations en 1982? 6. Nicole Dubreuil-Blondin, La Fonction critique dans le Pop Art américain. Presses de l'Université de Mon- l'ordonnancement d'un espace, il peut Les mines, tas de cailloux chers à tréal, 1980, p. 30. 139, 1986. Gouache; 100 x 126 cm. Coll. particulière (Photo Michel Filion) Hermès pour borner les chemins... Le l a b y r i n t h e s o u t e r r a i n est aussi le Royaume des Morts, exploré dans le dernier numéro de la revue 10-5155-20 qu'il avait fondée la même année. Le titre est carrefour des routes qui mè- nent à Sherbrooke, donc se situe sous l'égide d'Hermès. L'Allégorie de Temps et d'Amour de 1981, série de monotypes et collages sur le thème des Vanités, ex- plorait aussi l'espace-temps de la mort. Cocteau nous a montré dans Orphée qu'on y pénètre en traversant le miroir, en passant de l'autre côté... En somme, si Cantieni avait trouvé de l'or en Australie, il aurait accompli 31
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