Comité Consultatif International du Coton - ICAC
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Mars 2019 Volume XXXVII, No 1 The ISSN 1022-6303 ICAC Recorder Comité Consultatif International du Coton Table des matières • Éditorial...........................................................................................................................................................3 • Gestion des insecticides dans le domaine du coton : Progrès et perspectives...........................................4 • Méthodes de vulgarisation pertinentes pour l’Afrique...............................................................................14 • Le potentiel d’emplois dans l’industrie du textile et de l’habillement en Afrique subsaharienne...........24
The ICAC Recorder, Mars 2019 3 Mars 2018 Volume XXXVI, No 1 The ICAC Éditorial Recorder Comité Consultatif International du Coton Le coton africain a d’énormes possibilités de produire des rendements élevés de manière durable avec de faibles coûts en intrants, moins d’eau et de produits agrochimiques. Des politiques efficaces en matière de bien-être agricole, une bonne recherche agricole, un transfert efficace des technologies vers les exploitations agricoles, des pratiques de marché équi- tables et l’établissement de chaînes de valeur textiles détermineront à terme l’avenir du coton africain. A la suite de la réunion du réseau qui s’est tenue en juillet 2018 à Harare, Zimbabwe, trois volumes spéciaux consécutifs de l’ICAC RECOR- DER sur le thème « Cette fois pour l’Afrique » ont été conçus. Ce volume est le troisième de la série spéciale sur l’Afrique. Je me rends compte qu’il reste encore beaucoup à dire sur les efforts accomplis jusqu’à présent et sur certains nouveaux efforts qui doivent être entrepris. Par conséquent, l’ICAC RECORDER de juin 2019 inclura la dernière série d’articles pour compléter la série spéciale en quatre volumes sur « Cette fois pour l’Afrique ». Le présent volume contient trois articles qui traitent de certaines questions fondamentales. Lors de la réunion plénière de l’ICAC tenue à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en décembre 2018, le Dr Joe Kabissa a fait une présentation impressionnante et percutante sur « la gestion des insecticides : Progrès et perspectives en Afrique ». Son article dans ce volume documente son Tablepoint des matières de vue. Le Dr Kabissa examine les questions liées à la gestion des insecticides en Afrique et souligne la nécessité pour les parties prenantes de bien comprendre les implications liées aux externalités associées à l’utilisation des insecti- • Éditorial ..........................................................................................................................................................3 • Pratiques de production cotonnière – Extraits des données globales, 2017 ..............................................4 cides et la manière la Méditerranée etde les minimiser • Compte rendu et recommandations de la 13 réunion du réseau de l’ICAC sur le coton pour les régionsde e du Moyen-Orient dans l’intérêt d’une production cotonnière durable. Dans leur article très bien rédigé, .................................................................................15 intitulé « Les méthodes de vulgarisation en Afrique », Usha Rani et Prakash décrivent les technologies de vulgarisation de • Annonces......................................................................................................................................................27 pointe qui pourraient convenir aux systèmes de production à petite échelle dans les régions isolées d’Afrique. Le troisième article, rédigé par l’économiste de l’ICAC, Mme Lorena Ruiz et moi-même, explore le potentiel d’emploi dans l’industrie du textile et de l’habillement en Afrique subsaharienne, ce qui pourrait changer la donne pour le continent. Les articles des trois volumes du ICAC RECORDER consacrés à l’Afrique donnent à penser que l’Afrique pourrait faci- lement doubler ses rendements cotonniers au cours des prochaines années. Inutile de dire : « Là où il y a une volonté, il y aura un moyen ». Avec de grandes ressources naturelles que sont le soleil, une chaleur adéquate, de bons sols et de bonnes pluies, le coton africain possède tous les facteurs nécessaires à une bonne croissance et à des rendements élevés. Des recherches scientifiques mondiales ont montré que pour obtenir des rendements élevés, les ressources na- turelles – la lumière du soleil, l’eau, la chaleur et les nutriments – doivent être utilisées davantage pour la production d’éléments fruitiers économiquement importants que pour la production de biomasse végétale de faible valeur. Ces principes de « source à puits » pour un « indice de récolte » plus élevé ont été appliqués en Australie, au Brésil, en Chine, au Mexique, en Turquie et aux États-Unis, et ces pays ont récolté de 1 000 à 2 500 kg de fibre par hectare (kg/ha), contre 160-450 kg/ha dans les pays africains. L’un des arguments a été que le coton est cultivé en Afrique dans des conditions pluviales et que par conséquent, les ren- dements n’augmenteront donc pas. Mais les rendements cotonniers au Brésil sont élevés – plus de 1 500 kg/ha, bien que la production soit complètement pluviale. Les enseignements tirés des six pays mentionnés ci-dessus montrent que les rendements élevés ne sont pas nécessairement dus à l’irrigation, aux intrants agrochimiques élevés et aux pratiques de gestion complexes. La combinaison de l’architecture des plantes, de la géométrie de la plantation, de la gestion du couvert végétal et de la synchronisation des besoins en eau, en nutriments et en lumière de la culture a aidé de nombreux pays à obtenir des rendements élevés avec ou sans coton biotech et des intrants coûteux. Ces technologies simples pourraient aider l’Afrique à atteindre des rendements élevés et à améliorer sa rentabilité. L’Afrique a besoin de confiance en elle-même. Elle a besoin de bons scientifiques locaux dans le domaine cotonnier qui comprennent le terrain et les défis nationaux - et dont les recherches peuvent élaborer des stratégies simples et adaptées au contexte local africain et à la dynamique socio-économique agricole locale des petits producteurs. Avec le vaste réseau existant de téléphones mobiles et d’applications, le transfert de technologie n’est plus le cauchemar qu’il était - comme c’était le cas les années précédentes. Grâce à la combinaison d’une bonne recherche, de bons services de vulgarisation agricole et d’une bonne chaîne de valeur, l’Afrique sera prête pour une croissance rapide des rendements, de la rentabilité et de la durabilité. Pour résumer, il ne serait pas faux d’affirmer que l’Afrique possède toutes les ressources naturelles et tous les talents ; mais l’Afrique est un géant en sommeil. Il est grand temps de se lever, de se réveiller et de montrer au monde ce que peut faire l’Afrique. The ICAC Recorder (ISSN 1022-6303) est publié quatre fois par an par le Secrétariat du Comité consultatif international du coton, 1629 K Street, N.W., Suite 702, Washington, DC 20006, Etats-Unis. Rédacteur en chef : Dr Kashav Kranthi . Prix d’abonnement : 220 USD (version papier). Copyright © CCIC 2019. Aucune reproduction n’est autorisée en totalité ou en partie sans le consentement exprès du Secrétariat.
4 The ICAC Recorder, Mars 2019 Mars 2018 Volume XXXVI, No 1 The Gestion des insecticides dans le domaine du ICAC coton : Progrès et perspectives Recorder Comité Consultatif International du Coton Joe C. B. Kabissa, Ancien directeur général de la Commission de coton de Tanzanie. Boîte postale 9161 Dar es Salaam, Tanzanie. Adresse actuelle : Soko Maziwa, Kigamboni; Boîte postale 36518 Kigamboni, Dar es Salaam, Tanzanie ; joekabissa@gmail.com. Résumé l’une des rares cultures d’importance économique majeure dans le monde qui est produite à la fois dans les économies Les insecticides chimiques demeurent un intrant néces- développées et en développement. Dans ces pays, le coton saire pour une production de coton rentable. Récemment, est souvent considéré comme la solution à la réduction de la part du coton sur le marché mondial des insecticides est la pauvreté et à la génération de revenus d’exportation. À ce passée de 24 % en 1994 à 14,8 % en 2010. Cette baisse jour, jusqu’à 80 % de la production mondiale annuelle de correspond à l’adoption accrue du coton transgénique au coton est produite par de petits exploitants vivant en Asie, cours de cette période. Avant l’introduction du coton Bt en en Chine et en Afrique subsaharienne. Le reste est produit 1996, les vers de la capsule mobilisaient au moins 50 % par les grands agriculteurs des pays développés (Kranthi, de tous les insecticides chimiques utilisés sur la culture 2018). chaque année. Le coton Bt est toxique pour les vers de Table des matières la capsule et ne justifie généralement pas une utilisation • Éditorial ..........................................................................................................................................................3 • Pratiques de production cotonnière – Extraits des données globales, 2017 ..............................................4 Sur le marché mondial des fibres, la part du coton dans la supplémentaire • Compte rendu et recommandations d’insecticide, de la 13 réunion du e sauf réseau delorsque l’ICAC sur le coton lespour vers de la production textile est passée de 68 % en 1960 à seulement les régionsde la Méditerranée et du Moyen-Orient .................................................................................15 capsule développent une résistance au coton Bt. Les es- • Annonces ......................................................................................................................................................27 26,5 % en 2018 (ICAC, 2019). En raison de la hausse des timations montrent que la culture extensive du coton Bt coûts de production, le coton a perdu des parts de marché a entraîné une réduction de l’utilisation des insecticides au profit des fibres synthétiques, dont la part s’élève ac- de 268,6 millions de kilogrammes (kg) entre 1996 et 2015 tuellement à 66,1 %. Le principal moteur de la hausse du (Brookes et Barfoot, 2017). Toutefois, la tendance récente coût de production du coton a été la recrudescence mon- à la hausse de l’utilisation des insecticides a été rendue diale de l’utilisation des produits agrochimiques, prin- nécessaire par la nécessité de supprimer une résurgence cipalement des insecticides. En 2006, la protection des mondiale des insectes suceurs, ainsi que par le ver de la cultures représentait jusqu’à 45 % des coûts variables de la capsule rose, qui a récemment développé une résistance production cotonnière dans les pays à faible revenu (Rus- au coton Bt en Chine, en Inde et au Pakistan. En ce qui sell et Kranthi, 2006). En raison des problèmes causés par concerne le coton conventionnel, l’augmentation de l’uti- l’émergence de ravageurs, l’utilisation d’insecticides dans lisation des insecticides répond à la nécessité croissante le monde a augmenté, faisant passer la part de marché du de faire face à la propagation accrue de certains grands ra- coton de 14,8 % à 16,1 % entre 2010 et 2014 (Ferrigno vageurs du coton sur les continents et à l’apparition d’une et al 2017 ; Kranthi, 2018). Paradoxalement, cela se pro- résistance aux insecticides. Dans les pays à faible revenu, duit au moment où les rendements moyens dans les pays l’utilisation accrue d’insecticides est également alimentée à faible revenu sont encore bien inférieurs au rendement par l’intensification du commerce informel de pesticides moyen mondial de 772 kg de fibres/ha (Kranthi, 2018). en raison des défaillances généralisées du marché. Dans Étant donné que la majeure partie du coton est cultivée cet article, je discute de ces développements ainsi que de dans les zones tropicales et subtropicales — où la pression certaines des mesures qui sont nécessaires pour une utili- exercée par les ravageurs a tendance à être forte — une utili- sation plus durable des insecticides dans le coton. sation accrue d’insecticides dans ces pays en est peut-être Mots clés : coton, insecticides, lutte intégrée contre la la conséquence. Toutefois, l’utilisation d’insecticides dans résistance (LIR), externalités, durabilité, défaillances du les pays à faible a souvent tendance à être inappropriée marché et ne repose pas sur des critères rationnels et soigneuse- ment étudiés (Russell et Kranthi, 2006). George Santayana Introduction avait déjà averti dans sa prophétie que « ceux qui ne se Le coton est la fibre naturelle la plus importante au monde. souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter «. Il est cultivé sur jusqu’à 3 % des terres arables du monde A la lumière de ce qui s’est passé pour le coton au siècle dans de nombreux pays situés entre 37 degrés nord et dernier (voir Smith, 1969) et de son influence sur ce qui se 32 degrés sud de l’équateur (ITC, 2011). Le coton est donc passe aujourd’hui, nous nous dirigeons peut-être déjà vers
The ICAC Recorder, Mars 2019 5 un précipice, à moins que les acteurs du coton ne revoient tendance à se nourrir préférentiellement des capsules du d’urgence leurs stratégies actuelles de production et de cotonnier ainsi que d’autres points de fructification, ce qui protection. Nous devons réduire et optimiser l’utilisation affecte directement le rendement. Pour prévenir de tels des insecticides et rendre ainsi le coton productif, rentable dommages, les vers de la capsule, en tant que groupe, re- et durable à long terme. présentent bien plus de 50% de tous les insecticides utili- sés sur le coton dans le monde (Fitt, 1989 ; Shelton et al., Les petits exploitants face aux 2002). Jusqu’à présent, la plupart des ravageurs suceurs, grands producteurs qui étaient auparavant classés comme ravageurs secon- daires, ont maintenant atteint leur plein statut écono- Les petits exploitants sont mieux décrits comme des agri- mique sur le coton transgénique et sont ciblés pour la lutte culteurs pratiquant une combinaison de production com- insecticide (Ferrigno et al., 2017 ; Kranthi, 2018). C’est ac- merciale et de production de subsistance, dans laquelle la tuellement un gros problème car ceux qui soutiennent le famille fournit la majorité de la main-d’œuvre et l’exploi- coton Bt n’ont pas clairement souligner que les toxines Bt tation constitue la principale source de revenus (Narayan ne tuent que les larves de lépidoptères. et Gulati, 2002). Ils ont tendance à donner la priorité à la production de cultures vivrières et attribuent souvent des Avant 1960, la majeure partie du coton en Afrique subsaha- terres au coton et aux autres cultures sur la base de consi- rienne était cultivée sans insecticide (Matthews, 2014). dérations telles que la main-d’œuvre disponible, la terre, L’utilisation de pratiques culturales, telles que les semis les besoins en intrants et les prix de vente. En outre, le précoces, a été encouragée afin de permettre à la culture de coton étant souvent semé après les cultures vivrières, sa parvenir à maturité et d’être cueillie avant que des orga- culture est peu soignée d’un point de vue agronomique. nismes nuisibles tardifs tels que Dysdercus spp, Oxycare- Ces considérations, entre autres, ont tendance à avoir une nus spp et autres ne s’introduisent sur la culture. Bien que forte incidence sur les types de rendement que les petits le semis précoce permette au coton de mieux se rétablir ou exploitants obtiennent pour leur coton. même d’échapper à l’attaque de H. armigera comparative- ment au coton semé tardivement, la tendance des agricul- Dans les économies développées, les producteurs de co- teurs à semer d’abord des cultures vivrières rend souvent ton adoptent souvent une approche à forte utilisation cette recommandation peu pratique. Pour contourner ce d’intrants et haut rendements sur de grandes parcelles de problème, il est préconisé d’utiliser des variétés qui fleu- terre. Toutefois, en raison de l’adoption et de l’utilisation rissent rapidement sur une période relativement longue accrues de pratiques de lutte intégrée contre les parasites et, par conséquent, capables d’une floraison compensa- (LIR) et d’autres outils, leurs schémas généraux d’utilisa- toire en cas d’attaque du ver de la capsule en début de tion des insecticides ont tendance à être beaucoup plus campagne (Reed, 1965). Pour lutter contre P. gossypiella, organisés que ceux des petits exploitants des pays à faible les agriculteurs sont contraints de détruire les résidus de revenu. En outre, en raison de fortes inquiétudes liées à la récolte après la récolte et de respecter une période de fer- résistance, à la pollution de l’environnement et aux autres meture obligatoire de trois mois par la suite. La période de problèmes sanitaires, l’utilisation d’insecticides dans les fermeture est devenue obligatoire après 1938 (Matthews, économies développées est souvent soumise à des contrôles communication personnelle). En Afrique subsaharienne, juridiques et réglementaires plus stricts (Matteson, 1995) les cicadelles communément appelées jassides, Jacobiasca que dans les pays à faible revenu, où des contrôles ré- lybica — qui avaient tendance à tuer le coton au stade vé- glementaires appropriés font défaut et où de nombreux gétatif — ont, au fil du temps, été contrôlées par une simple gouvernements n’ont pu soutenir de recherches indépen- sélection pour une pilosité accrue des feuilles dans les gé- dantes sur les pesticides. notypes de coton, un trait morphologique qui confère aux variétés de coton une résistance. Bien que les travaux sur Tendances de l’utilisation des insec- ce ravageur aient commencé au début des années 1920, ils ticides dans le coton n’ont pas été publiés avant 1949 (Parnell et al., 1949). Il y aurait 1 326 espèces d’insectes et autres arthropo- Depuis l’avènement des insecticides chimiques, les agri- des associés au coton cultivé dans le monde (Hargreaves, culteurs ont eu tendance à les préférer aux méthodes non 1948). Bon nombre des insectes signalés dans un champ chimiques et cette attitude a tendance à être encouragée de coton se trouvaient là au moment de la récolte, mais par les entreprises agrochimiques. Dans la plupart des n’étaient pas des ravageurs. Néanmoins, un complexe de pays, les données sur l’utilisation des insecticides sur le lépidoptères comprenant Helicoverpa armigera, Helicover- coton sont très rares. Les informations disponibles in- pa zea, Helicoverpa punctigera, Heliothis virescens, Earias diquent que la part du coton sur le marché mondial des spp, Diparopsis spp et Pectinophora gossypiella est souvent insecticides est passée de 24 % en 1994 (Myers & Stolton, le plus nuisible au coton. Elles ont tendance à être collecti- 1999) à 19 % en 2000 et 14,8 % en 2010 (Ferrigno et al., vement appelées « ver de la capsule » car leurs larves ont 2017). Toutefois, en 2014, la part de marché du coton a
6 The ICAC Recorder, Mars 2019 atteint 16,1 % (Ferrigno et al., 2017). La baisse de l’utili- Figure 2. Ver tacheté, Earias vittella – dommages sation des insecticides entre 1994 et 2010 correspond à aux bottons floraux une période d’adoption accrue du coton transgénique et d’utilisation des pratiques de la LIR. L’utilisation d’insec- ticides s’est accrue dans le monde entier à partir de 2014, tant pour le coton transgénique que pour le coton conven- tionnel. Facteurs favorisant l’utilisation accrue d’insecticides sur le coton H. armigera et les mouches blanches sont devenues résistantes aux insecticides chimiques : Le cas de l’ASS En Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC), le dispositif ins- titutionnel a favorisé pendant de nombreuses années une production de coton à haute utilisation d'intrants (Tschir- ley et al., 2009). Par conséquent, les agriculteurs dans ces régions ont obtenu des rendements moyens par hectare Les réponses technologiques aux problèmes plus élevés que les cotonculteurs d’Afrique orientale et de ravageurs ne durent pas éternellement : Le méridionale (AOM). Toutefois, les statistiques de l’AOC cas du coton Bt ont montré une baisse des rendements cotonniers et un C’est un truisme que là où le coton transgénique a été accroissement de l’utilisation des pesticides (Zepeda et al., commercialisé, la plupart des vers de la capsule ont ra- 2007). Étant donné que le coton en l’Afrique de l’ouest et pidement été relégués au statut non économique. Dans centrale a généralement été pulvérisé plus fréquemment ces pays, la fréquence des pulvérisations d’insecticides que le coton en Afrique orientale et méridionale (jusqu’à ainsi que les quantités globales d’insecticides utilisées 15 fois pour les premiers, contre seulement 6 à 8 pour les pour le coton ont considérablement diminué (Shelton et derniers), H. armigera et Bemisia tabaci ont acquis une al., 2002). Cependant, d’autres insectes — notamment les résistance aux insecticides à base de pyréthroïde en AOC, mouches blanches, les mirides, les punaises puantes et les mais pas en AOM, bien qu’il ait été introduit pour le coton cochenilles, qui étaient auparavant considérés comme des à peu près au même moment au début des années 80 (Ka- ravageurs secondaires avant l’introduction du coton trans- bissa, 1997 ; Martin et al., 2005). De plus, comme les para- génique — sont désormais devenus de facto des ravageurs sites suceurs en AOC se déplacent du coton aux cultures économiques dans la plupart des pays où le coton transgé- légumières et inversement, pulvériser les deux plantes nique est cultivé (Ferrigno et al., 2017 ; Kranthi, 2018). Le hôtes avec des insecticides ayant le même mode d’action changement de statut des parasites suceurs à la suite de accélère inévitablement la résistance. l’adoption à grande échelle du coton transgénique a néces- Figure 1. Ver africain de la capsule, Helicoverpa sité l’utilisation accrue d’insecticides afin de lutter contre armigera – dommages causés aux bottons floraux eux. Dans certains pays, notamment en Inde, les dégâts causés par les insectes ravageurs ont continué d’être importants, même sur le coton Bt, ce qui a nécessité une reprise des pulvérisations d’insecticides pour les combattre. De telles situations sont imputées à la faiblesse des contrôles régle- mentaires et juridiques sur les systèmes de production, de multiplication, de distribution et de vente des semences Bt, ce qui se traduit par des marchés parallèles florissants pour la vente de semences recyclées ainsi que de se- mences Bt bon marché mais fausses (Ferrigno et al., 2017 ; Kranthi, 2018). En Inde, faute de contrôles agronomiques appropriés sur la libération des variétés de coton en Inde, plus de 800 nouveaux hybrides du coton Bt ont été ap- prouvés, dont la plupart étaient sensibles aux insectes suceurs de sève, ce qui a entraîné un doublement de l’uti- lisation des insecticides sur coton pendant cette période
The ICAC Recorder, Mars 2019 7 (Kranthi, 2013). L’utilisation d’Insecticides a encore aug- tie le résultat des réformes des politiques de marché qui menté après 2011 en Inde en raison du développement ont débuté au début des années 1990. Auparavant, les pro- de la résistance des aleurodes (mouches blanches) et des ducteurs de coton de l’Afrique subsaharienne dépendaient jassides aux insecticides, et de la résistance des vers roses des coopératives de commercialisation, des offices de à Cry1Ac en 2009 et à Cry1Ac + Cry2Ab en 2014. En Chine commercialisation ou des sociétés d’État pour la fourniture et au Pakistan, l’utilisation continue de variétés contenant d’intrants saisonniers. Les administrations coloniales et le gène unique Cry1Ac a rendu les populations du vers post-indépendance ont choisi de recourir à de telles insti- rose de la capsule, Pectinophora gossypiella, résistantes aux tutions car elles ont compris depuis longtemps que, pour toxines du Bt, obligeant les agriculteurs de ces pays à uti- des raisons géographiques et de pauvreté, les petits exploi- liser des insecticides sur le coton Bt (Kranthi, 2018). Ces tants constituent le groupe le plus difficile à atteindre pour développements servent à confirmer davantage le fait que les commerçants privés ou même pour le gouvernement les réponses technologiques aux problèmes d’insectes (Dorward et al., 1998). En outre, la présence d’un nombre nuisibles ne durent pas éternellement. relativement restreint d’acteurs clés sur le marché coton- nier a permis de faciliter la réglementation et le contrôle Accroissement de mondialisation des de certains intrants relativement sensibles, notamment parasites du coton les insecticides. Le coton a connu récemment une expansion accrue de Après la libéralisation, la prolifération des échanges in- l’éventail de certains parasites bien établis dans de nou- formels a permis aux agriculteurs d’avoir accès à toutes velles régions du monde. Afin de minimiser les pertes de sortes d’insecticides, et progressivement, ils ont pris de récoltes dues à ces « nouveaux parasites », les agriculteurs plus en plus leurs propres décisions sur les insecticides à ont dû pulvériser leurs cultures plus souvent que d’habi- acheter et à utiliser. Cette situation a également été favo- tude. Parmi les parasites récemment introduits, figure An- risée par la diminution des prix de détail des insecticides thonomus grandis grandis dans plusieurs pays d’Amérique à mesure qu’expirait la protection par brevet de la plupart du Sud, notamment l’Argentine, le Brésil, la Colombie et le des insecticides et que leur vente en tant que génériques Paraguay (Showler, 2009). En Afrique, Spodoptera frugi- prenait effet (Shepard et Farolfi, 1999). En Tanzanie, par perda a été observé pour la première fois au Bénin, puis exemple, le nombre de points de vente de pesticides entre au Nigeria en 2016. Il s’est maintenant disséminé en l’In- 1995 et 2001 a augmenté de 30 % (Williamson, 2003). de et dans 44 pays d’Afrique subsaharienne, où il a causé Plus récemment, Kabissa (2016) a découvert que bien d’importants dégâts à plusieurs cultures, notamment le que les producteurs de coton aient obtenu jusqu’à 30 % maïs (Rwomushana et al, 2018). En 2018, la légionnaire de leurs besoins en insecticides auprès des détaillants et d’automne a gravement endommagé le maïs et le coton en des marchés ouverts, 40 % de ces insecticides avaient une Tanzanie. Pour le coton, aucun des pyréthroïdes synthé- date limite d’utilisation. Suite au commerce informel, les tiques normalement utilisés pour lutter contre H. armige- produits agrochimiques contrefaits au Kenya ont repré- ra n’a été capable de le supprimer. Au Brésil, l’entrée de senté 15 % du marché des pesticides et ont entraîné des H. armigera après 2012 a nécessité une utilisation accrue pertes de rendement de 40 % à 60 % là où ils ont été utilisés d’insecticides sur le coton et sur ses plantes hôtes non (Williamson, 2003). En raison de la faible application de la transgéniques. L’introduction du charançon de la capsule législation sur les pesticides dans les pays à faible revenu, le a également compliqué l’utilisation des refuges dans les commerce informel associé à la commercialisation agressive programmes de gestion de la résistance aux insecticides d’insecticides a permis à certains pesticides extrêmement pour le coton Bt (Barbosa, 2016). Un nouveau méga-rava- dangereux de continuer à être largement disponibles pour les geur, dû à l’hybridation de Helicoverpa armigera et de He- communautés paysannes principalement analphabètes. En licoverpa zea, a été découvert au Brésil en 2017 (Liete et al., 2017, l’utilisation de monocrotophos et autres insecticides 2017 ; Anderson et al., 2018). Ces ravageurs hybrides re- extrêmement dangereux sur le coton tardif en Inde a causé présentent une menace énorme pour le coton et de nom- la mort de 63 agriculteurs dans l’État de Maharashtra, au breuses autres cultures au Brésil et en Amérique du Sud. centre de l’Inde (Matthews, communication personnelle). En raison du manque de capacités institutionnelles pour Dans de nombreux pays de l’ESA, on a tenté de résoudre faire face à la propagation d’espèces de parasites envahis- les problèmes saisonniers d’approvisionnement en in- santes, les pays à faible revenu continueront à dépendre trants dans une ère de post-libéralisation en introduisant de l’utilisation d’approches de type « extincteurs d’incen- une certaine forme d’arrangements contractuels agricoles die » pour faire face aux nouveaux nuisibles. (Minot & Sawyer, 2014). Jusqu’à présent, ces tentatives Défaillances du marché dans les pays à ont donné des résultats mitigés. La capacité et la volon- faible revenu té des égreneurs de fournir des services tels que le crédit d’intrants, les services de vulgarisation et les débouchés La tendance vers une utilisation accrue d’insecticides sur commerciaux pour le coton-graine des agriculteurs sont le coton dans de nombreux pays à faible revenu est en par- fragilisées lorsqu’un grand nombre d’égreneurs opérent
8 The ICAC Recorder, Mars 2019 dans le pays et que les contrats dans le cadre de l’agricul- de H. armigera d’un ravageur mineur à un ravageur ma- ture contractuelle deviennent de plus en plus menaçants jeur du coton après 1981 à la suite de l’introduction de par des pratiques abusives généralisées impliquant, d’une pyréthroïdes synthétiques en Inde est un autre indicateur part, la vente parallèle par les agriculteurs et, d’autre part, de la nature à double tranchant des insecticides. La re- les achats parallèles par les égreneurs. De telles tendances crudescence actuelle des ravageurs suceurs du coton dans ont assez souvent perturbé le caractère sacré des contrats le monde entier est un témoignage significatif de la façon et il ne fait aucun doute que les accords pris dans le cadre dont la perturbation des agro-écosystèmes, soit par l’intro- de l’agriculture contractuelle ne sont pas aussi répandus duction de nouvelles variétés ou d’insecticides chimiques qu’ils le devraient (Tschirley et al, 2009 ; Minot et Sawy- ou encore de toxines Bt, peut provoquer la réapparition de er, 2014). En Afrique de l’ouest et centrale, où un modèle ravageurs auparavant inoffensifs sur les cultures. alternatif implique l’utilisation de sociétés cotonnières Outre la résistance et la résurgence, l’utilisation aveugle semi-privatisées telles que la SONAPRA, la SOFITEX, la d’insecticides chimiques a eu d’autres impacts sur l’envi- SODECOTTON, la CMDT et la SODEFITEX pour la fourni- ronnement en général et la santé humaine en particulier. ture de crédit en intrants et d’autres services essentiels En Inde, les utilisateurs de pulvérisateur à dos tiennent aux producteurs de coton, il semble également qu’elle souvent la buse sur la lance devant leur corps, ce qui en- soit susceptible de plusieurs malversations, notamment traîne une mauvaise répartition des pesticides dans la le détournement d’insecticides destinés au coton vers des culture, une exposition plus importante de l’opérateur, cultures vivrières, ainsi que leur vente à travers les fron- causant davantage de décès lorsque des insecticides ex- tières nationales (Ferrigno et al., 2017). trêmement dangereux sont utilisés (Matthews, commu- nication personnelle). Malgré le peu de données publiées Impacts de l’utilisation accrue sur les cas d’empoisonnement, de décès et de maladies d’insecticides sur le coton chroniques liés aux insecticides, il est évident que les pays Il est communément reconnu que les insecticides à faible revenu ont tendance à supporter des coûts de san- chimiques ne résolvent pas de façon permanente les pro- té élevés liés aux pesticides (Wilson et Tisdell, 2001 ; Fer- blèmes de parasites auxquels la société est confrontée. rigno et al 2017). Toutefois, la plupart des petits exploitants ne réalisent pas que les insecticides chimiques, qui peuvent être re- Nécessité de la gestion des lativement bon marché pour les utilisateurs individuels, insecticides ont tendance à imposer des conséquences négatives sur Les insectes et leurs alliés continueront d’être nos prin- l’ensemble de la communauté des agriculteurs en raison cipaux concurrents pour un approvisionnement limité en de leurs effets secondaires. On sait que les insecticides ont aliments et en fibres (Winston, 1998). Afin de minimiser un coût supérieur à leur prix d’achat lorsqu’ils sont utili- leurs impacts, nous devons adopter des programmes de sés de manière abusive, mal manipulés et mal appliqués, si gestion des insecticides qui cherchent à utiliser les insec- bien que leur prix d’achat initial est souvent plus que dou- ticides de manière plus rationnelle que par le passé. Étant blé par les coûts cachés pour la société liés au traitement donné que l’utilisation d’insecticides chimiques peut poser de la résistance induite par l’insecticide, à la suppression des risques pour la santé humaine, les espèces non ciblées des ennemis naturels et de la pollution environnementale et l’environnement, et parce que les insecticides ont ten- (Knipling 1979 ; Regev, 1984 ; Wilson et Tisdell, 2001). dance à être librement disséminés dans l’environnement L’histoire de la production du coton se caractérise souvent et à devenir inefficaces en cas de surutilisation, notre ap- par des récits largement liés aux effets négatifs de la surex- proche de leur utilisation devrait tenir compte rigoureuse- ploitation des insecticides chimiques. L’histoire du coton ment de ces aspects ((NAS, 2000). dans la vallée de Canete au Pérou dans les années 1960, Rio Grande Texas dans les années 1970, Ord River Valley 1ère étape : Changer les mentalités en Australie dans les années 1980 et le programme Gezi- L’humanité a tendance à considérer les insectes nuisibles ra au Soudan dans les années 1960 (parmi tant d’autres) comme un problème à contrôler plutôt qu’une partie inté- confirment de manière frappante que l’utilisation des in- grante de la nature qui devrait être gérée de manière effi- secticides chimiques dans les systèmes de culture est ana- cace et respectueuse de l’environnement (Winston, 1998). logue à l’utilisation d’une épée à double tranchant (Wilson Cette mentalité doit changer car, pour chaque action en- & Tisdell, 2001). Ce qui s’est passé au Soudan – où l’uti- visagée contre eux, les insectes ont toujours trouvé des lisation d’insecticides contre les jassides, principal rava- moyens de la contrer ou de la contourner. L’idée que les geur économique du Soudan au début des années 1960, a insectes ont aussi le droit de vivre a peut-être été mieux contribué à élever H. armigera de son statut de ravageur illustrée par ce qui est arrivé à l’apôtre chrétien Paul en secondaire au statut de ravageur économique – a une forte Turquie. Au cours d’une des nuits qu’il passa en voyage incidence sur la situation actuelle du coton Bt. L’élévation missionnaire, il se rendit compte que la maison d’hôtes
The ICAC Recorder, Mars 2019 9 où il devait passer la nuit était fortement Figure 3. Surveillance des champs pour détecter les dégâts causés infestée de punaises de lit. Plutôt que d’ap- par les organismes nuisibles et seuils économiques peler le pouvoir divin pour les tuer, il leur ordonna simplement de sortir de la maison et de rester à l’extérieur. Le lendemain ma- tin, il les a simplement autorisés à revenir (Cimok, 2012). La nécessité de faire preuve de retenue avant de s’attaquer aux insectes nuisibles aux cultures est l’un des principes sous-jacents de la lutte intégrée. Cette der- nière préconise clairement et catégorique- ment la tolérance à l’égard des dommages causés aux insectes jusqu’à un certain seuil au-delà duquel des mesures correctives doivent être prises à leur encontre. En d’autres termes, la lutte intégrée appelle à notre coexistence qualifiée avec des arthropodes. Plus important encore, la mise en place et la conservation d’une faune bénéfique dans les écosystèmes cotonniers par le biais d’interventions humaines soigneusement étudiées contribueraient dans une large mesure à assurer une gestion durable et Figure 4. Formation sur le terrain des dépisteurs pour la surveillance des insectes nuisibles et des maladies écologique des ravageurs. Ces interventions concernent principalement l’introduction de nouvelles variétés, les pesticides et les pratiques culturales. 2ème étape : Passage des pro- grammes de pulvérisation pré- ventifs aux programmes de pul- vérisation « nécessaires » Jusqu’à récemment, l’utilisation d’insecti- cides sur le coton reposait généralement sur la norme séculaire des pulvérisations hebdomadaires ou bihebdomadaires d’in- secticides désignés, commençant soit au début de la floraison, soit un nombre déter- miné de jours après le semis. Il est mainte- nant nécessaire de changer de paradigme et de passer de régimes de « pluie de la mort » basés sur un calendrier prophylactique ou préventif, aux programmes de pulvérisa- tion « au besoin », car les insectes nuisibles En outre, le respect de technologies appropriées d’appli- ne surviennent pas régulièrement sur le coton et qu’ils ne cation de pesticides renforce également les approches de causent pas toujours des dommages économiques quand lutte intégrée. ils sont présents. Toutefois, pour réussir ce changement, les agriculteurs doivent être formés à l’utilisation de seuils Depuis le début des années 1970, les agriculteurs du Zim- d’action pratiques et fondés sur la recherche, en fonction babwe ont été formés à la rationalisation de l’utilisation du niveau d’infestation ou de dégâts causés aux cultures, d’insecticides sur le coton contre H. armigera et D. castanea et sur la manière d’identifier correctement l’espèce para- par le biais de l’institutionnalisation du dépistage et de la site en question, ainsi que les ennemis naturels qui appa- pulvérisation en fonction des seuils à l’aide du tableau de raissent de temps en temps sur le coton. Idéalement, les correspondance (peg board) (Matthews, 2014). De même, agriculteurs baseront leur décision de pulvériser ou non les agriculteurs égyptiens utilisent depuis longtemps des sur une combinaison de ces paramètres (Matthews, 2014). fenêtres de pulvérisation afin d’optimiser le contrôle de P.
10 The ICAC Recorder, Mars 2019 gossypiella et de Spodoptera littoralis par des insecticides partie parce que la plupart des agriculteurs n’ont pas les (Sawicki et al., 1989). Suite aux échecs massifs du contrôle moyens de les utiliser aussi souvent que le recommandent des pesticides au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Bé- les institutions de R&D pour des raisons purement finan- nin dans les années 90, les agriculteurs dans la plupart cières. Le dépistage a donc été introduit pour les aider à des pays de l’AOC ont adopté, de plus en plus, une pratique économiser l’utilisation des insecticides et à optimiser les appelée « pulvérisation ciblée », qui les oblige à inspecter coûts de production. Toutefois, à mesure que leur utilisa- leurs champs de coton chaque semaine pour détecter des tion sur le coton s’est intensifiée, en particulier dans l’AOC, parasites sur 40 plants de coton, et utiliser des seuils fixe la résistance est finalement apparue. La résistance aux in- désignés pour les principaux ravageurs de coton, et de pul- secticides est inconnue ailleurs en Afrique subsaharienne, vériser uniquement si ces seuils sont atteints. Le déploie- où l’approche de la production de coton à faibles intrants/ ment de cette approche a été facilité par l’adoption de l’ap- faibles rendements est toujours valable (Matthews, 2014). proche Farmer Field School (école agricole sur le terrain) Dans d’autres pays producteurs de coton en dehors de pour former les agriculteurs : des réductions significatives l’Afrique subsaharienne, la LIR est devenue la réponse des applications de pesticides ont été obtenues (Martin et logique aux problèmes résultant de la surexploitation al., 2005 ; Settle et a.,l 2014). des insecticides chimiques (Smith, 1969). L’Australie est 3ème étape : Passer de la généralité à la sélec- peut-être l’un des pays où la lutte intégrée a été d’une aide précieuse. Entre 1960 et 1990, les producteurs de coton tivité australiens ont tellement misé sur l’utilisation unilatérale Jusqu’à présent, les pressions exercées par les progrès d’insecticides chimiques que H. armigera est finalement scientifiques, les préoccupations de la société et les exi- devenu résistant à presque tous les insecticides recom- gences de la réglementation ont entraîné le retrait de cer- mandés. Toutefois, après l’adoption à l’échelle nationale de tains insecticides connus, mais anciens et dangereux, ce coton transgénique, de nouvelles pratiques de production et qui a conduit à la mise au point de nouveaux insecticides l’adoption de la LIR, le pays a réussi à réduire considéra- moins nocifs pour la santé humaine et les organismes blement l’utilisation d’insecticides sur le coton de 1 000 non ciblés ; de nouveaux modes d’action (donc moins sus- tonnes d’ingrédient actif entre 1998 et 2003 à seulement ceptibles de résister aux ravageurs), et une grande com- 50 tonnes entre 2008 et 2013, tout en augmentant les ren- patibilité avec les programmes actuels de lutte intégrée dements moyens du coton irrigué de 1 200 kg/ha dans les contre les ravageurs (NAS, 2000). En résumé, l’utilisation années 1970 à 2 270 kg/ha actuellement (Rapport sur le des insecticides neuroactifs de première génération - effi- développement durable, 2014). caces, peu coûteux et persistants - s’est progressivement Traditionnellement, la LIR a toujours fait appel à une com- déplacée vers des produits plus récents, sélectifs et rela- binaison de quatre tactiques pour lutter contre les rava- tivement plus sûrs, tels que les avermectines, les néoni- geurs : cotinoïdes et les diamides anthraniliques, entre autres. En ce qui concerne le coton, les insecticides chimiques les • Méthodes culturales, plus utilisés appartiennent à seulement trois grandes ca- • Résistance de la plante hôte, tégories d’insecticides : pyréthroïdes synthétiques, orga- nophosphates et néonicotinoïdes (Kranthi, 2018). Afin de • Agents de biocontrôle, et faire face à certains des problèmes nouveaux et émergents • Insecticides chimiques. de ravageurs du coton, il conviendrait d’étudier la possi- Cette « boîte à outils de la LIR » connaît actuellement une bilité d’adopter une nouvelle chimie et d’autres tactiques, évolution rapide, parallèlement au besoin croissant de telles que le traitement des semences avec des insecticides nouvelles options offrant une gestion efficace, économique systémiques. De telles approches peuvent fournir des ré- et respectueuse de l’environnement, comme le requiert le ponses à la résurgence des ravageurs suceurs en début de réenregistrement des insecticides existants ; l’avènement campagne. de nouveaux insecticides à modes d’action novateurs ; 4ème étape : Promouvoir l’utilisation accrue l’émergence de nouvelles espèces de ravageurs sur le coton ; le développement et l’émergence de nouvelles technologies de tactiques multiples (lutte intégrée contre basées sur le génie génétique et de nouveaux outils tels que les ravageurs) les drones et les systèmes d’information géographique, qui En Afrique subsaharienne, l’utilisation combinée de pra- peuvent aider les agriculteurs à lutter plus efficacement tiques de gestion des cultures et de variétés désignées contre les ravageurs (NAS, 2000). On pourrait faire beau- pour lutter contre des organismes nuisibles spécifiques coup plus avec les technologies et les phéromones « géné- tels que les jassides a permis de commercialiser le coton tiques mâles-stériles », mais cela ne pourrait être faisable avec succès avant l’introduction d’insecticides chimiques. qu’à l’échelle d’une région, et non sur de petites exploita- Même après l’introduction des insecticides, l’utilisation tions agricoles individuelles. de ces dernières est restée largement limitée, en grande
The ICAC Recorder, Mars 2019 11 Passer de la parole aux actes en ce être de réduire considérablement l’utilisation des insecti- cides. À cette fin, les gouvernements doivent user de leur qui concerne la lutte intégrée contre influence, de leurs pouvoirs législatifs et autres pour sen- les ravageurs (LIR) sibiliser le public en général et les agriculteurs en parti- Les tentatives visant à remplacer le paradigme de la lutte culier aux effets négatifs de l’utilisation non éclairée d’in- insecticide par d’autres méthodes permettant une utili- secticides. On ne saurait trop insister sur la nécessité pour sation plus durable des insecticides ont jusqu’à présent eu les gouvernements de réglementer à nouveau les marchés un succès limité, en particulier dans les pays à faible revenu. des pesticides après le gâchis de la libéralisation, compte Parsa et al. (2014) ont identifié 51 raisons potentielles tenu de l’inefficacité de l’application des lois antérieures pour expliquer ce phénomène. Parmi les principales rai- qui n’ont pas permis de restreidre suffisamment l’utilisa- sons, on peut citer la nécessité pour les agriculteurs de tion des pesticides, conduisant à une utilisation accrue de trouver des solutions simples à des problèmes apparem- pratiques antiparasitaires dangereuses, inefficaces et non ment complexes, alors que les institutions de R&D n’en viables. ont pas encore fait assez pour les rendre pratiques et ef- L’une des options préconisées pour garantir une utilisa- ficaces. D’autres facteurs incluent les besoins plus impor- tion sûre et efficace des insecticides sur le coton consiste tants de la LIR en termes de temps et de connaissances à déployer des systèmes qui mettent l’accent sur « l’uti- comparativement au contrôle conventionnel, et le manque lisation d’insecticides exclusivement sur ordonnance ». de collaboration adéquate entre les gouvernements et Aux États-Unis, où quelques États ont adopté de tels pro- les autres institutions, notamment la R&D, les services grammes, il est obligatoire que les insecticides ne soient de vulgarisation et les ONG pour la promotion des pra- appliqués qu’après qu’un prescripteur ou un responsable tiques de LIR. Les entreprises agrochimiques n’ont natu- professionnel agréé de la lutte antiparasitaire ait évalué rellement pas été en mesure de soutenir la lutte intégrée le problème et établi qu’une application d’insecticide soit contre les ravageurs, qui cherche à minimiser l’utilisation effectivement justifiée (Whitaker, 1998). Ces pratiques, des insecticides. En dépit des nombreux défis, la LIR a au qui, dans le cas des produits pharmaceutiques à usage moins contribué à promouvoir une approche plus éclairée humain, exigent que les médicaments désignés soient dé- de la lutte antiparasitaire en encourageant la surveillance livrés sur ordonnance, ont contribué à réduire l’abus de systématique des parasites sur les cultures, ainsi qu’une médicaments dans les pays à faible revenu. L’adoption sur prise en compte accrue de facteurs multiples tels que les ordonnance d’insecticides peut, espérons-le, contribuer à niveaux de dommages, d’infestation parasitaire et la pré- limiter certaines des pratiques abusives généralement as- sence ou l’absence d’ennemis naturels avant de prendre la sociées à l’utilisation d’insecticides. Toutefois, si l’on sou- décision de pulvériser. haite que ces systèmes soient mis en place et finalement adoptés dans les pays en développement, il faudra procé- Les politiques gouvernementales se der à une refonte institutionnelle des systèmes actuels de concentrent de plus en plus sur la fourniture de services de soutien aux agriculteurs, par le biais d’organisations non gouvernementales et d’institu- réduction de l’utilisation d’insecti- tions de R&D. cides sur le coton L’autre option de gestion de l’utilisation des insecticides Dans la pratique de la lutte antiparasitaire, les agriculteurs implique que les gouvernements utilisent des instruments continueront à surutiliser les insecticides sur le coton car économiques pour réduire délibérément l’utilisation des il existe un écart fondamental entre leur point de vue et ce- insecticides, favorisant ainsi le développement et l’adop- lui de la société. Alors que les agriculteurs ont tendance à tion de méthodes de lutte antiparasitaire alternatives. Par ne considérer que les coûts monétaires directs des insecti- exemple, en 1995, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas cides, la société a tendance à ajouter à ce coût l’impact des ont adopté collectivement une législation prévoyant une dommages futurs résultant de la résistance et de la sup- réduction de 50 % ou plus de l’utilisation de pesticides pression des ennemis naturels, ainsi que le coût de la pol- agricoles dans leur pays d’ici l’an 2000. Ces réductions, lution environnementale. La différence des coûts a conduit qui répondaient aux protestations du public face à la pol- à une surexploitation des insecticides, car les utilisateurs lution de l’environnement et à la nécessité de maintenir d’insecticides perçoivent souvent le coût des insecticides la compétitivité de l’agriculture, ont été réalisées sans af- comme étant beaucoup plus faible que ce qu’il devrait être, fecter de manière significative le rendement des cultures en termes de dommages à long terme et de pollution (Re- (Matteson, 1995). Récemment, des chercheurs français gev, 1984 ; Wilson & Tisdell, 2001). (Lechenet et al., 2017) ont démontré que la faible utili- Comme il est pratiquement impossible de contrôler les sation de pesticides diminue rarement la productivité et effets nocifs des insecticides une fois qu’ils ont été appli- la rentabilité des exploitations agricoles. Ils n’ont déce- qués, l’objectif des politiques gouvernementales devrait lé aucun conflit entre une faible utilisation de pesticides
Vous pouvez aussi lire