Comité Consultatif International du Coton - ICAC

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Comité Consultatif International du Coton - ICAC
Mars 2019
                                                                                                                                                    Volume XXXVII, No 1

                     The
                                                                                                                                                        ISSN 1022-6303

                      ICAC
                      Recorder
Comité Consultatif International du Coton

Table des matières
   •   Éditorial...........................................................................................................................................................3
   •   Gestion des insecticides dans le domaine du coton : Progrès et perspectives...........................................4
   •   Méthodes de vulgarisation pertinentes pour l’Afrique...............................................................................14
   •   Le potentiel d’emplois dans l’industrie du textile et de l’habillement en Afrique subsaharienne...........24
Comité Consultatif International du Coton - ICAC
Comité Consultatif International du Coton - ICAC
The ICAC Recorder, Mars 2019                                                                                                                                                                                                                       3
                                                                                              Mars 2018
                                                                                       Volume XXXVI, No 1

                  The
                   ICAC                                                                                                              Éditorial
                   Recorder
  Comité Consultatif International du Coton

Le coton africain a d’énormes possibilités de produire des rendements élevés de manière durable avec de faibles coûts en
intrants, moins d’eau et de produits agrochimiques. Des politiques efficaces en matière de bien-être agricole, une bonne
recherche agricole, un transfert efficace des technologies vers les exploitations agricoles, des pratiques de marché équi-
tables et l’établissement de chaînes de valeur textiles détermineront à terme l’avenir du coton africain. A la suite de la
réunion du réseau qui s’est tenue en juillet 2018 à Harare, Zimbabwe, trois volumes spéciaux consécutifs de l’ICAC RECOR-
DER sur le thème « Cette fois pour l’Afrique » ont été conçus. Ce volume est le troisième de la série spéciale sur l’Afrique.
Je me rends compte qu’il reste encore beaucoup à dire sur les efforts accomplis jusqu’à présent et sur certains nouveaux
efforts qui doivent être entrepris. Par conséquent, l’ICAC RECORDER de juin 2019 inclura la dernière série d’articles pour
compléter la série spéciale en quatre volumes sur « Cette fois pour l’Afrique ».
Le présent volume contient trois articles qui traitent de certaines questions fondamentales. Lors de la réunion plénière de
l’ICAC tenue à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en décembre 2018, le Dr Joe Kabissa a fait une présentation impressionnante et
percutante sur « la gestion des insecticides : Progrès et perspectives en Afrique ». Son article dans ce volume documente
son
  Tablepoint
       des matières  de vue. Le Dr Kabissa examine les questions liées à la gestion des insecticides en Afrique et souligne la nécessité
pour    les parties                           prenantes                                de bien                        comprendre                                        les implications liées aux externalités associées à l’utilisation des insecti-
     • Éditorial ..........................................................................................................................................................3
     • Pratiques   de production cotonnière                    – Extraits des données                globales, 2017          ..............................................4

cides   et     la manière   la Méditerranée etde                     les minimiser
     • Compte rendu et recommandations de la 13 réunion du réseau de l’ICAC sur le coton pour
         les régionsde
                                                e

                                                           du Moyen-Orient                                                 dans l’intérêt d’une production cotonnière durable. Dans leur article très bien rédigé,
                                                                                        .................................................................................15

intitulé       « Les méthodes de vulgarisation en Afrique », Usha Rani et Prakash décrivent les technologies de vulgarisation de
     • Annonces......................................................................................................................................................27

pointe qui pourraient convenir aux systèmes de production à petite échelle dans les régions isolées d’Afrique. Le troisième
article, rédigé par l’économiste de l’ICAC, Mme Lorena Ruiz et moi-même, explore le potentiel d’emploi dans l’industrie du
textile et de l’habillement en Afrique subsaharienne, ce qui pourrait changer la donne pour le continent.
Les articles des trois volumes du ICAC RECORDER consacrés à l’Afrique donnent à penser que l’Afrique pourrait faci-
lement doubler ses rendements cotonniers au cours des prochaines années. Inutile de dire : « Là où il y a une volonté,
il y aura un moyen ». Avec de grandes ressources naturelles que sont le soleil, une chaleur adéquate, de bons sols et
de bonnes pluies, le coton africain possède tous les facteurs nécessaires à une bonne croissance et à des rendements
élevés. Des recherches scientifiques mondiales ont montré que pour obtenir des rendements élevés, les ressources na-
turelles – la lumière du soleil, l’eau, la chaleur et les nutriments – doivent être utilisées davantage pour la production
d’éléments fruitiers économiquement importants que pour la production de biomasse végétale de faible valeur. Ces
principes de « source à puits » pour un « indice de récolte » plus élevé ont été appliqués en Australie, au Brésil, en Chine,
au Mexique, en Turquie et aux États-Unis, et ces pays ont récolté de 1 000 à 2 500 kg de fibre par hectare (kg/ha), contre
160-450 kg/ha dans les pays africains.
L’un des arguments a été que le coton est cultivé en Afrique dans des conditions pluviales et que par conséquent, les ren-
dements n’augmenteront donc pas. Mais les rendements cotonniers au Brésil sont élevés – plus de 1 500 kg/ha, bien que
la production soit complètement pluviale. Les enseignements tirés des six pays mentionnés ci-dessus montrent que les
rendements élevés ne sont pas nécessairement dus à l’irrigation, aux intrants agrochimiques élevés et aux pratiques de
gestion complexes. La combinaison de l’architecture des plantes, de la géométrie de la plantation, de la gestion du couvert
végétal et de la synchronisation des besoins en eau, en nutriments et en lumière de la culture a aidé de nombreux pays à
obtenir des rendements élevés avec ou sans coton biotech et des intrants coûteux. Ces technologies simples pourraient
aider l’Afrique à atteindre des rendements élevés et à améliorer sa rentabilité.
L’Afrique a besoin de confiance en elle-même. Elle a besoin de bons scientifiques locaux dans le domaine cotonnier qui
comprennent le terrain et les défis nationaux - et dont les recherches peuvent élaborer des stratégies simples et adaptées
au contexte local africain et à la dynamique socio-économique agricole locale des petits producteurs. Avec le vaste réseau
existant de téléphones mobiles et d’applications, le transfert de technologie n’est plus le cauchemar qu’il était - comme
c’était le cas les années précédentes. Grâce à la combinaison d’une bonne recherche, de bons services de vulgarisation
agricole et d’une bonne chaîne de valeur, l’Afrique sera prête pour une croissance rapide des rendements, de la rentabilité
et de la durabilité. Pour résumer, il ne serait pas faux d’affirmer que l’Afrique possède toutes les ressources naturelles et
tous les talents ; mais l’Afrique est un géant en sommeil. Il est grand temps de se lever, de se réveiller et de montrer au
monde ce que peut faire l’Afrique.

The ICAC Recorder (ISSN 1022-6303) est publié quatre fois par an par le Secrétariat du Comité consultatif international du coton, 1629 K Street, N.W.,
Suite 702, Washington, DC 20006, Etats-Unis. Rédacteur en chef : Dr Kashav Kranthi . Prix d’abonnement : 220 USD (version papier).
Copyright © CCIC 2019. Aucune reproduction n’est autorisée en totalité ou en partie sans le consentement exprès du Secrétariat.
Comité Consultatif International du Coton - ICAC
4                                                                                                                                                                                                              The ICAC Recorder, Mars 2019

                                                                                                                                                Mars 2018
                                                                                                                                         Volume XXXVI, No 1

                            The                                                   Gestion des insecticides dans le domaine du
                             ICAC                                                       coton : Progrès et perspectives
                             Recorder
   Comité Consultatif International du Coton
                                      Joe C. B. Kabissa, Ancien directeur général de la Commission de coton de Tanzanie.
                                    Boîte postale 9161 Dar es Salaam, Tanzanie. Adresse actuelle : Soko Maziwa, Kigamboni;
                                       Boîte postale 36518 Kigamboni, Dar es Salaam, Tanzanie ; joekabissa@gmail.com.

Résumé                                                                                                                                                                         l’une des rares cultures d’importance économique majeure
                                                                                                                                                                               dans le monde qui est produite à la fois dans les économies
Les insecticides chimiques demeurent un intrant néces-
                                                                                                                                                                               développées et en développement. Dans ces pays, le coton
saire pour une production de coton rentable. Récemment,
                                                                                                                                                                               est souvent considéré comme la solution à la réduction de
la part du coton sur le marché mondial des insecticides est
                                                                                                                                                                               la pauvreté et à la génération de revenus d’exportation. À ce
passée de 24 % en 1994 à 14,8 % en 2010. Cette baisse
                                                                                                                                                                               jour, jusqu’à 80 % de la production mondiale annuelle de
correspond à l’adoption accrue du coton transgénique au
                                                                                                                                                                               coton est produite par de petits exploitants vivant en Asie,
cours de cette période. Avant l’introduction du coton Bt en
                                                                                                                                                                               en Chine et en Afrique subsaharienne. Le reste est produit
1996, les vers de la capsule mobilisaient au moins 50 %
                                                                                                                                                                               par les grands agriculteurs des pays développés (Kranthi,
de tous les insecticides chimiques utilisés sur la culture
                                                                                                                                                                               2018).
chaque          année. Le coton Bt est toxique pour les vers de
  Table des matières

la capsule             et ne justifie généralement pas une utilisation
     • Éditorial ..........................................................................................................................................................3
     • Pratiques de production cotonnière – Extraits des données globales, 2017 ..............................................4
                                                                                                                                                                               Sur le marché mondial des fibres, la part du coton dans la
supplémentaire
     • Compte rendu et recommandations      d’insecticide,     de la 13 réunion du
                                                                            e
                                                                                              sauf
                                                                                                 réseau delorsque l’ICAC sur le coton         lespour vers de la               production textile est passée de 68 % en 1960 à seulement
          les régionsde la Méditerranée et du Moyen-Orient .................................................................................15
capsule développent une résistance au coton Bt. Les es-
     •   Annonces  ......................................................................................................................................................27    26,5 % en 2018 (ICAC, 2019). En raison de la hausse des
timations montrent que la culture extensive du coton Bt                                                                                                                        coûts de production, le coton a perdu des parts de marché
a entraîné une réduction de l’utilisation des insecticides                                                                                                                     au profit des fibres synthétiques, dont la part s’élève ac-
de 268,6 millions de kilogrammes (kg) entre 1996 et 2015                                                                                                                       tuellement à 66,1 %. Le principal moteur de la hausse du
(Brookes et Barfoot, 2017). Toutefois, la tendance récente                                                                                                                     coût de production du coton a été la recrudescence mon-
à la hausse de l’utilisation des insecticides a été rendue                                                                                                                     diale de l’utilisation des produits agrochimiques, prin-
nécessaire par la nécessité de supprimer une résurgence                                                                                                                        cipalement des insecticides. En 2006, la protection des
mondiale des insectes suceurs, ainsi que par le ver de la                                                                                                                      cultures représentait jusqu’à 45 % des coûts variables de la
capsule rose, qui a récemment développé une résistance                                                                                                                         production cotonnière dans les pays à faible revenu (Rus-
au coton Bt en Chine, en Inde et au Pakistan. En ce qui                                                                                                                        sell et Kranthi, 2006). En raison des problèmes causés par
concerne le coton conventionnel, l’augmentation de l’uti-                                                                                                                      l’émergence de ravageurs, l’utilisation d’insecticides dans
lisation des insecticides répond à la nécessité croissante                                                                                                                     le monde a augmenté, faisant passer la part de marché du
de faire face à la propagation accrue de certains grands ra-                                                                                                                   coton de 14,8 % à 16,1 % entre 2010 et 2014 (Ferrigno
vageurs du coton sur les continents et à l’apparition d’une                                                                                                                    et al 2017 ; Kranthi, 2018). Paradoxalement, cela se pro-
résistance aux insecticides. Dans les pays à faible revenu,                                                                                                                    duit au moment où les rendements moyens dans les pays
l’utilisation accrue d’insecticides est également alimentée                                                                                                                    à faible revenu sont encore bien inférieurs au rendement
par l’intensification du commerce informel de pesticides                                                                                                                       moyen mondial de 772 kg de fibres/ha (Kranthi, 2018).
en raison des défaillances généralisées du marché. Dans                                                                                                                        Étant donné que la majeure partie du coton est cultivée
cet article, je discute de ces développements ainsi que de                                                                                                                     dans les zones tropicales et subtropicales — où la pression
certaines des mesures qui sont nécessaires pour une utili-                                                                                                                     exercée par les ravageurs a tendance à être forte — une utili-
sation plus durable des insecticides dans le coton.                                                                                                                            sation accrue d’insecticides dans ces pays en est peut-être
Mots clés : coton, insecticides, lutte intégrée contre la                                                                                                                      la conséquence. Toutefois, l’utilisation d’insecticides dans
résistance (LIR), externalités, durabilité, défaillances du                                                                                                                    les pays à faible a souvent tendance à être inappropriée
marché                                                                                                                                                                         et ne repose pas sur des critères rationnels et soigneuse-
                                                                                                                                                                               ment étudiés (Russell et Kranthi, 2006). George Santayana
Introduction                                                                                                                                                                   avait déjà averti dans sa prophétie que « ceux qui ne se
Le coton est la fibre naturelle la plus importante au monde.                                                                                                                   souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter «.
Il est cultivé sur jusqu’à 3 % des terres arables du monde                                                                                                                     A la lumière de ce qui s’est passé pour le coton au siècle
dans de nombreux pays situés entre 37 degrés nord et                                                                                                                           dernier (voir Smith, 1969) et de son influence sur ce qui se
32 degrés sud de l’équateur (ITC, 2011). Le coton est donc                                                                                                                     passe aujourd’hui, nous nous dirigeons peut-être déjà vers
Comité Consultatif International du Coton - ICAC
The ICAC Recorder, Mars 2019                                                                                                 5

un précipice, à moins que les acteurs du coton ne revoient       tendance à se nourrir préférentiellement des capsules du
d’urgence leurs stratégies actuelles de production et de         cotonnier ainsi que d’autres points de fructification, ce qui
protection. Nous devons réduire et optimiser l’utilisation       affecte directement le rendement. Pour prévenir de tels
des insecticides et rendre ainsi le coton productif, rentable    dommages, les vers de la capsule, en tant que groupe, re-
et durable à long terme.                                         présentent bien plus de 50% de tous les insecticides utili-
                                                                 sés sur le coton dans le monde (Fitt, 1989 ; Shelton et al.,
Les petits exploitants face aux                                  2002). Jusqu’à présent, la plupart des ravageurs suceurs,
grands producteurs                                               qui étaient auparavant classés comme ravageurs secon-
                                                                 daires, ont maintenant atteint leur plein statut écono-
Les petits exploitants sont mieux décrits comme des agri-        mique sur le coton transgénique et sont ciblés pour la lutte
culteurs pratiquant une combinaison de production com-           insecticide (Ferrigno et al., 2017 ; Kranthi, 2018). C’est ac-
merciale et de production de subsistance, dans laquelle la       tuellement un gros problème car ceux qui soutiennent le
famille fournit la majorité de la main-d’œuvre et l’exploi-      coton Bt n’ont pas clairement souligner que les toxines Bt
tation constitue la principale source de revenus (Narayan        ne tuent que les larves de lépidoptères.
et Gulati, 2002). Ils ont tendance à donner la priorité à la
production de cultures vivrières et attribuent souvent des       Avant 1960, la majeure partie du coton en Afrique subsaha-
terres au coton et aux autres cultures sur la base de consi-     rienne était cultivée sans insecticide (Matthews, 2014).
dérations telles que la main-d’œuvre disponible, la terre,       L’utilisation de pratiques culturales, telles que les semis
les besoins en intrants et les prix de vente. En outre, le       précoces, a été encouragée afin de permettre à la culture de
coton étant souvent semé après les cultures vivrières, sa        parvenir à maturité et d’être cueillie avant que des orga-
culture est peu soignée d’un point de vue agronomique.           nismes nuisibles tardifs tels que Dysdercus spp, Oxycare-
Ces considérations, entre autres, ont tendance à avoir une       nus spp et autres ne s’introduisent sur la culture. Bien que
forte incidence sur les types de rendement que les petits        le semis précoce permette au coton de mieux se rétablir ou
exploitants obtiennent pour leur coton.                          même d’échapper à l’attaque de H. armigera comparative-
                                                                 ment au coton semé tardivement, la tendance des agricul-
Dans les économies développées, les producteurs de co-           teurs à semer d’abord des cultures vivrières rend souvent
ton adoptent souvent une approche à forte utilisation            cette recommandation peu pratique. Pour contourner ce
d’intrants et haut rendements sur de grandes parcelles de        problème, il est préconisé d’utiliser des variétés qui fleu-
terre. Toutefois, en raison de l’adoption et de l’utilisation    rissent rapidement sur une période relativement longue
accrues de pratiques de lutte intégrée contre les parasites      et, par conséquent, capables d’une floraison compensa-
(LIR) et d’autres outils, leurs schémas généraux d’utilisa-      toire en cas d’attaque du ver de la capsule en début de
tion des insecticides ont tendance à être beaucoup plus          campagne (Reed, 1965). Pour lutter contre P. gossypiella,
organisés que ceux des petits exploitants des pays à faible      les agriculteurs sont contraints de détruire les résidus de
revenu. En outre, en raison de fortes inquiétudes liées à la     récolte après la récolte et de respecter une période de fer-
résistance, à la pollution de l’environnement et aux autres      meture obligatoire de trois mois par la suite. La période de
problèmes sanitaires, l’utilisation d’insecticides dans les      fermeture est devenue obligatoire après 1938 (Matthews,
économies développées est souvent soumise à des contrôles        communication personnelle). En Afrique subsaharienne,
juridiques et réglementaires plus stricts (Matteson, 1995)       les cicadelles communément appelées jassides, Jacobiasca
que dans les pays à faible revenu, où des contrôles ré-          lybica — qui avaient tendance à tuer le coton au stade vé-
glementaires appropriés font défaut et où de nombreux            gétatif — ont, au fil du temps, été contrôlées par une simple
gouvernements n’ont pu soutenir de recherches indépen-           sélection pour une pilosité accrue des feuilles dans les gé-
dantes sur les pesticides.                                       notypes de coton, un trait morphologique qui confère aux
                                                                 variétés de coton une résistance. Bien que les travaux sur
Tendances de l’utilisation des insec-                            ce ravageur aient commencé au début des années 1920, ils
ticides dans le coton                                            n’ont pas été publiés avant 1949 (Parnell et al., 1949).
Il y aurait 1 326 espèces d’insectes et autres arthropo-         Depuis l’avènement des insecticides chimiques, les agri-
des associés au coton cultivé dans le monde (Hargreaves,         culteurs ont eu tendance à les préférer aux méthodes non
1948). Bon nombre des insectes signalés dans un champ            chimiques et cette attitude a tendance à être encouragée
de coton se trouvaient là au moment de la récolte, mais          par les entreprises agrochimiques. Dans la plupart des
n’étaient pas des ravageurs. Néanmoins, un complexe de           pays, les données sur l’utilisation des insecticides sur le
lépidoptères comprenant Helicoverpa armigera, Helicover-         coton sont très rares. Les informations disponibles in-
pa zea, Helicoverpa punctigera, Heliothis virescens, Earias      diquent que la part du coton sur le marché mondial des
spp, Diparopsis spp et Pectinophora gossypiella est souvent      insecticides est passée de 24 % en 1994 (Myers & Stolton,
le plus nuisible au coton. Elles ont tendance à être collecti-   1999) à 19 % en 2000 et 14,8 % en 2010 (Ferrigno et al.,
vement appelées « ver de la capsule » car leurs larves ont       2017). Toutefois, en 2014, la part de marché du coton a
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6                                                                                               The ICAC Recorder, Mars 2019

atteint 16,1 % (Ferrigno et al., 2017). La baisse de l’utili-      Figure 2. Ver tacheté, Earias vittella – dommages
sation des insecticides entre 1994 et 2010 correspond à                            aux bottons floraux
une période d’adoption accrue du coton transgénique et
d’utilisation des pratiques de la LIR. L’utilisation d’insec-
ticides s’est accrue dans le monde entier à partir de 2014,
tant pour le coton transgénique que pour le coton conven-
tionnel.

Facteurs favorisant l’utilisation
accrue d’insecticides sur le coton
H. armigera et les mouches blanches sont
devenues résistantes aux insecticides
chimiques : Le cas de l’ASS
En Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC), le dispositif ins-
titutionnel a favorisé pendant de nombreuses années une
production de coton à haute utilisation d'intrants (Tschir-
ley et al., 2009). Par conséquent, les agriculteurs dans ces
régions ont obtenu des rendements moyens par hectare            Les réponses technologiques aux problèmes
plus élevés que les cotonculteurs d’Afrique orientale et        de ravageurs ne durent pas éternellement : Le
méridionale (AOM). Toutefois, les statistiques de l’AOC         cas du coton Bt
ont montré une baisse des rendements cotonniers et un
                                                                C’est un truisme que là où le coton transgénique a été
accroissement de l’utilisation des pesticides (Zepeda et al.,
                                                                commercialisé, la plupart des vers de la capsule ont ra-
2007). Étant donné que le coton en l’Afrique de l’ouest et
                                                                pidement été relégués au statut non économique. Dans
centrale a généralement été pulvérisé plus fréquemment
                                                                ces pays, la fréquence des pulvérisations d’insecticides
que le coton en Afrique orientale et méridionale (jusqu’à
                                                                ainsi que les quantités globales d’insecticides utilisées
15 fois pour les premiers, contre seulement 6 à 8 pour les
                                                                pour le coton ont considérablement diminué (Shelton et
derniers), H. armigera et Bemisia tabaci ont acquis une
                                                                al., 2002). Cependant, d’autres insectes — notamment les
résistance aux insecticides à base de pyréthroïde en AOC,
                                                                mouches blanches, les mirides, les punaises puantes et les
mais pas en AOM, bien qu’il ait été introduit pour le coton
                                                                cochenilles, qui étaient auparavant considérés comme des
à peu près au même moment au début des années 80 (Ka-
                                                                ravageurs secondaires avant l’introduction du coton trans-
bissa, 1997 ; Martin et al., 2005). De plus, comme les para-
                                                                génique — sont désormais devenus de facto des ravageurs
sites suceurs en AOC se déplacent du coton aux cultures
                                                                économiques dans la plupart des pays où le coton transgé-
légumières et inversement, pulvériser les deux plantes
                                                                nique est cultivé (Ferrigno et al., 2017 ; Kranthi, 2018). Le
hôtes avec des insecticides ayant le même mode d’action
                                                                changement de statut des parasites suceurs à la suite de
accélère inévitablement la résistance.
                                                                l’adoption à grande échelle du coton transgénique a néces-
     Figure 1. Ver africain de la capsule, Helicoverpa          sité l’utilisation accrue d’insecticides afin de lutter contre
    armigera – dommages causés aux bottons floraux              eux.
                                                                Dans certains pays, notamment en Inde, les dégâts causés
                                                                par les insectes ravageurs ont continué d’être importants,
                                                                même sur le coton Bt, ce qui a nécessité une reprise des
                                                                pulvérisations d’insecticides pour les combattre. De telles
                                                                situations sont imputées à la faiblesse des contrôles régle-
                                                                mentaires et juridiques sur les systèmes de production, de
                                                                multiplication, de distribution et de vente des semences
                                                                Bt, ce qui se traduit par des marchés parallèles florissants
                                                                pour la vente de semences recyclées ainsi que de se-
                                                                mences Bt bon marché mais fausses (Ferrigno et al., 2017 ;
                                                                Kranthi, 2018). En Inde, faute de contrôles agronomiques
                                                                appropriés sur la libération des variétés de coton en Inde,
                                                                plus de 800 nouveaux hybrides du coton Bt ont été ap-
                                                                prouvés, dont la plupart étaient sensibles aux insectes
                                                                suceurs de sève, ce qui a entraîné un doublement de l’uti-
                                                                lisation des insecticides sur coton pendant cette période
Comité Consultatif International du Coton - ICAC
The ICAC Recorder, Mars 2019                                                                                                    7

(Kranthi, 2013). L’utilisation d’Insecticides a encore aug-       tie le résultat des réformes des politiques de marché qui
menté après 2011 en Inde en raison du développement               ont débuté au début des années 1990. Auparavant, les pro-
de la résistance des aleurodes (mouches blanches) et des          ducteurs de coton de l’Afrique subsaharienne dépendaient
jassides aux insecticides, et de la résistance des vers roses     des coopératives de commercialisation, des offices de
à Cry1Ac en 2009 et à Cry1Ac + Cry2Ab en 2014. En Chine           commercialisation ou des sociétés d’État pour la fourniture
et au Pakistan, l’utilisation continue de variétés contenant      d’intrants saisonniers. Les administrations coloniales et
le gène unique Cry1Ac a rendu les populations du vers             post-indépendance ont choisi de recourir à de telles insti-
rose de la capsule, Pectinophora gossypiella, résistantes aux     tutions car elles ont compris depuis longtemps que, pour
toxines du Bt, obligeant les agriculteurs de ces pays à uti-      des raisons géographiques et de pauvreté, les petits exploi-
liser des insecticides sur le coton Bt (Kranthi, 2018). Ces       tants constituent le groupe le plus difficile à atteindre pour
développements servent à confirmer davantage le fait que          les commerçants privés ou même pour le gouvernement
les réponses technologiques aux problèmes d’insectes              (Dorward et al., 1998). En outre, la présence d’un nombre
nuisibles ne durent pas éternellement.                            relativement restreint d’acteurs clés sur le marché coton-
                                                                  nier a permis de faciliter la réglementation et le contrôle
Accroissement de mondialisation des                               de certains intrants relativement sensibles, notamment
parasites du coton                                                les insecticides.
Le coton a connu récemment une expansion accrue de                Après la libéralisation, la prolifération des échanges in-
l’éventail de certains parasites bien établis dans de nou-        formels a permis aux agriculteurs d’avoir accès à toutes
velles régions du monde. Afin de minimiser les pertes de          sortes d’insecticides, et progressivement, ils ont pris de
récoltes dues à ces « nouveaux parasites », les agriculteurs      plus en plus leurs propres décisions sur les insecticides à
ont dû pulvériser leurs cultures plus souvent que d’habi-         acheter et à utiliser. Cette situation a également été favo-
tude. Parmi les parasites récemment introduits, figure An-        risée par la diminution des prix de détail des insecticides
thonomus grandis grandis dans plusieurs pays d’Amérique           à mesure qu’expirait la protection par brevet de la plupart
du Sud, notamment l’Argentine, le Brésil, la Colombie et le       des insecticides et que leur vente en tant que génériques
Paraguay (Showler, 2009). En Afrique, Spodoptera frugi-           prenait effet (Shepard et Farolfi, 1999). En Tanzanie, par
perda a été observé pour la première fois au Bénin, puis          exemple, le nombre de points de vente de pesticides entre
au Nigeria en 2016. Il s’est maintenant disséminé en l’In-        1995 et 2001 a augmenté de 30 % (Williamson, 2003).
de et dans 44 pays d’Afrique subsaharienne, où il a causé         Plus récemment, Kabissa (2016) a découvert que bien
d’importants dégâts à plusieurs cultures, notamment le            que les producteurs de coton aient obtenu jusqu’à 30 %
maïs (Rwomushana et al, 2018). En 2018, la légionnaire            de leurs besoins en insecticides auprès des détaillants et
d’automne a gravement endommagé le maïs et le coton en            des marchés ouverts, 40 % de ces insecticides avaient une
Tanzanie. Pour le coton, aucun des pyréthroïdes synthé-           date limite d’utilisation. Suite au commerce informel, les
tiques normalement utilisés pour lutter contre H. armige-         produits agrochimiques contrefaits au Kenya ont repré-
ra n’a été capable de le supprimer. Au Brésil, l’entrée de        senté 15 % du marché des pesticides et ont entraîné des
H. armigera après 2012 a nécessité une utilisation accrue         pertes de rendement de 40 % à 60 % là où ils ont été utilisés
d’insecticides sur le coton et sur ses plantes hôtes non          (Williamson, 2003). En raison de la faible application de la
transgéniques. L’introduction du charançon de la capsule          législation sur les pesticides dans les pays à faible revenu, le
a également compliqué l’utilisation des refuges dans les          commerce informel associé à la commercialisation agressive
programmes de gestion de la résistance aux insecticides           d’insecticides a permis à certains pesticides extrêmement
pour le coton Bt (Barbosa, 2016). Un nouveau méga-rava-           dangereux de continuer à être largement disponibles pour les
geur, dû à l’hybridation de Helicoverpa armigera et de He-        communautés paysannes principalement analphabètes. En
licoverpa zea, a été découvert au Brésil en 2017 (Liete et al.,   2017, l’utilisation de monocrotophos et autres insecticides
2017 ; Anderson et al., 2018). Ces ravageurs hybrides re-         extrêmement dangereux sur le coton tardif en Inde a causé
présentent une menace énorme pour le coton et de nom-             la mort de 63 agriculteurs dans l’État de Maharashtra, au
breuses autres cultures au Brésil et en Amérique du Sud.          centre de l’Inde (Matthews, communication personnelle).
En raison du manque de capacités institutionnelles pour
                                                                  Dans de nombreux pays de l’ESA, on a tenté de résoudre
faire face à la propagation d’espèces de parasites envahis-
                                                                  les problèmes saisonniers d’approvisionnement en in-
santes, les pays à faible revenu continueront à dépendre
                                                                  trants dans une ère de post-libéralisation en introduisant
de l’utilisation d’approches de type « extincteurs d’incen-
                                                                  une certaine forme d’arrangements contractuels agricoles
die » pour faire face aux nouveaux nuisibles.
                                                                  (Minot & Sawyer, 2014). Jusqu’à présent, ces tentatives
Défaillances du marché dans les pays à                            ont donné des résultats mitigés. La capacité et la volon-
faible revenu                                                     té des égreneurs de fournir des services tels que le crédit
                                                                  d’intrants, les services de vulgarisation et les débouchés
La tendance vers une utilisation accrue d’insecticides sur
                                                                  commerciaux pour le coton-graine des agriculteurs sont
le coton dans de nombreux pays à faible revenu est en par-
                                                                  fragilisées lorsqu’un grand nombre d’égreneurs opérent
Comité Consultatif International du Coton - ICAC
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dans le pays et que les contrats dans le cadre de l’agricul-      de H. armigera d’un ravageur mineur à un ravageur ma-
ture contractuelle deviennent de plus en plus menaçants           jeur du coton après 1981 à la suite de l’introduction de
par des pratiques abusives généralisées impliquant, d’une         pyréthroïdes synthétiques en Inde est un autre indicateur
part, la vente parallèle par les agriculteurs et, d’autre part,   de la nature à double tranchant des insecticides. La re-
les achats parallèles par les égreneurs. De telles tendances      crudescence actuelle des ravageurs suceurs du coton dans
ont assez souvent perturbé le caractère sacré des contrats        le monde entier est un témoignage significatif de la façon
et il ne fait aucun doute que les accords pris dans le cadre      dont la perturbation des agro-écosystèmes, soit par l’intro-
de l’agriculture contractuelle ne sont pas aussi répandus         duction de nouvelles variétés ou d’insecticides chimiques
qu’ils le devraient (Tschirley et al, 2009 ; Minot et Sawy-       ou encore de toxines Bt, peut provoquer la réapparition de
er, 2014). En Afrique de l’ouest et centrale, où un modèle        ravageurs auparavant inoffensifs sur les cultures.
alternatif implique l’utilisation de sociétés cotonnières         Outre la résistance et la résurgence, l’utilisation aveugle
semi-privatisées telles que la SONAPRA, la SOFITEX, la            d’insecticides chimiques a eu d’autres impacts sur l’envi-
SODECOTTON, la CMDT et la SODEFITEX pour la fourni-               ronnement en général et la santé humaine en particulier.
ture de crédit en intrants et d’autres services essentiels        En Inde, les utilisateurs de pulvérisateur à dos tiennent
aux producteurs de coton, il semble également qu’elle             souvent la buse sur la lance devant leur corps, ce qui en-
soit susceptible de plusieurs malversations, notamment            traîne une mauvaise répartition des pesticides dans la
le détournement d’insecticides destinés au coton vers des         culture, une exposition plus importante de l’opérateur,
cultures vivrières, ainsi que leur vente à travers les fron-      causant davantage de décès lorsque des insecticides ex-
tières nationales (Ferrigno et al., 2017).                        trêmement dangereux sont utilisés (Matthews, commu-
                                                                  nication personnelle). Malgré le peu de données publiées
Impacts de l’utilisation accrue                                   sur les cas d’empoisonnement, de décès et de maladies
d’insecticides sur le coton                                       chroniques liés aux insecticides, il est évident que les pays
Il est communément reconnu que les insecticides                   à faible revenu ont tendance à supporter des coûts de san-
chimiques ne résolvent pas de façon permanente les pro-           té élevés liés aux pesticides (Wilson et Tisdell, 2001 ; Fer-
blèmes de parasites auxquels la société est confrontée.           rigno et al 2017).
Toutefois, la plupart des petits exploitants ne réalisent
pas que les insecticides chimiques, qui peuvent être re-          Nécessité de la gestion des
lativement bon marché pour les utilisateurs individuels,          insecticides
ont tendance à imposer des conséquences négatives sur             Les insectes et leurs alliés continueront d’être nos prin-
l’ensemble de la communauté des agriculteurs en raison            cipaux concurrents pour un approvisionnement limité en
de leurs effets secondaires. On sait que les insecticides ont     aliments et en fibres (Winston, 1998). Afin de minimiser
un coût supérieur à leur prix d’achat lorsqu’ils sont utili-      leurs impacts, nous devons adopter des programmes de
sés de manière abusive, mal manipulés et mal appliqués, si        gestion des insecticides qui cherchent à utiliser les insec-
bien que leur prix d’achat initial est souvent plus que dou-      ticides de manière plus rationnelle que par le passé. Étant
blé par les coûts cachés pour la société liés au traitement       donné que l’utilisation d’insecticides chimiques peut poser
de la résistance induite par l’insecticide, à la suppression      des risques pour la santé humaine, les espèces non ciblées
des ennemis naturels et de la pollution environnementale          et l’environnement, et parce que les insecticides ont ten-
(Knipling 1979 ; Regev, 1984 ; Wilson et Tisdell, 2001).          dance à être librement disséminés dans l’environnement
L’histoire de la production du coton se caractérise souvent       et à devenir inefficaces en cas de surutilisation, notre ap-
par des récits largement liés aux effets négatifs de la surex-    proche de leur utilisation devrait tenir compte rigoureuse-
ploitation des insecticides chimiques. L’histoire du coton        ment de ces aspects ((NAS, 2000).
dans la vallée de Canete au Pérou dans les années 1960,
Rio Grande Texas dans les années 1970, Ord River Valley           1ère étape : Changer les mentalités
en Australie dans les années 1980 et le programme Gezi-           L’humanité a tendance à considérer les insectes nuisibles
ra au Soudan dans les années 1960 (parmi tant d’autres)           comme un problème à contrôler plutôt qu’une partie inté-
confirment de manière frappante que l’utilisation des in-         grante de la nature qui devrait être gérée de manière effi-
secticides chimiques dans les systèmes de culture est ana-        cace et respectueuse de l’environnement (Winston, 1998).
logue à l’utilisation d’une épée à double tranchant (Wilson       Cette mentalité doit changer car, pour chaque action en-
& Tisdell, 2001). Ce qui s’est passé au Soudan – où l’uti-        visagée contre eux, les insectes ont toujours trouvé des
lisation d’insecticides contre les jassides, principal rava-      moyens de la contrer ou de la contourner. L’idée que les
geur économique du Soudan au début des années 1960, a             insectes ont aussi le droit de vivre a peut-être été mieux
contribué à élever H. armigera de son statut de ravageur          illustrée par ce qui est arrivé à l’apôtre chrétien Paul en
secondaire au statut de ravageur économique – a une forte         Turquie. Au cours d’une des nuits qu’il passa en voyage
incidence sur la situation actuelle du coton Bt. L’élévation      missionnaire, il se rendit compte que la maison d’hôtes
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The ICAC Recorder, Mars 2019                                                                                                9

où il devait passer la nuit était fortement        Figure 3. Surveillance des champs pour détecter les dégâts causés
infestée de punaises de lit. Plutôt que d’ap-             par les organismes nuisibles et seuils économiques
peler le pouvoir divin pour les tuer, il leur
ordonna simplement de sortir de la maison
et de rester à l’extérieur. Le lendemain ma-
tin, il les a simplement autorisés à revenir
(Cimok, 2012). La nécessité de faire preuve
de retenue avant de s’attaquer aux insectes
nuisibles aux cultures est l’un des principes
sous-jacents de la lutte intégrée. Cette der-
nière préconise clairement et catégorique-
ment la tolérance à l’égard des dommages
causés aux insectes jusqu’à un certain seuil
au-delà duquel des mesures correctives
doivent être prises à leur encontre. En d’autres
termes, la lutte intégrée appelle à notre
coexistence qualifiée avec des arthropodes.
Plus important encore, la mise en place et
la conservation d’une faune bénéfique dans
les écosystèmes cotonniers par le biais
d’interventions humaines soigneusement
étudiées contribueraient dans une large
mesure à assurer une gestion durable et                  Figure 4. Formation sur le terrain des dépisteurs pour
                                                         la surveillance des insectes nuisibles et des maladies
écologique des ravageurs. Ces interventions
concernent principalement l’introduction
de nouvelles variétés, les pesticides et les
pratiques culturales.

2ème étape : Passage des pro-
grammes de pulvérisation pré-
ventifs aux programmes de pul-
vérisation « nécessaires »
Jusqu’à récemment, l’utilisation d’insecti-
cides sur le coton reposait généralement
sur la norme séculaire des pulvérisations
hebdomadaires ou bihebdomadaires d’in-
secticides désignés, commençant soit au
début de la floraison, soit un nombre déter-
miné de jours après le semis. Il est mainte-
nant nécessaire de changer de paradigme et
de passer de régimes de « pluie de la mort »
basés sur un calendrier prophylactique ou
préventif, aux programmes de pulvérisa-
tion « au besoin », car les insectes nuisibles                   En outre, le respect de technologies appropriées d’appli-
ne surviennent pas régulièrement sur le coton et qu’ils ne       cation de pesticides renforce également les approches de
causent pas toujours des dommages économiques quand              lutte intégrée.
ils sont présents. Toutefois, pour réussir ce changement,
les agriculteurs doivent être formés à l’utilisation de seuils   Depuis le début des années 1970, les agriculteurs du Zim-
d’action pratiques et fondés sur la recherche, en fonction       babwe ont été formés à la rationalisation de l’utilisation
du niveau d’infestation ou de dégâts causés aux cultures,        d’insecticides sur le coton contre H. armigera et D. castanea
et sur la manière d’identifier correctement l’espèce para-       par le biais de l’institutionnalisation du dépistage et de la
site en question, ainsi que les ennemis naturels qui appa-       pulvérisation en fonction des seuils à l’aide du tableau de
raissent de temps en temps sur le coton. Idéalement, les         correspondance (peg board) (Matthews, 2014). De même,
agriculteurs baseront leur décision de pulvériser ou non         les agriculteurs égyptiens utilisent depuis longtemps des
sur une combinaison de ces paramètres (Matthews, 2014).          fenêtres de pulvérisation afin d’optimiser le contrôle de P.
Comité Consultatif International du Coton - ICAC
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gossypiella et de Spodoptera littoralis par des insecticides    partie parce que la plupart des agriculteurs n’ont pas les
(Sawicki et al., 1989). Suite aux échecs massifs du contrôle    moyens de les utiliser aussi souvent que le recommandent
des pesticides au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Bé-      les institutions de R&D pour des raisons purement finan-
nin dans les années 90, les agriculteurs dans la plupart        cières. Le dépistage a donc été introduit pour les aider à
des pays de l’AOC ont adopté, de plus en plus, une pratique     économiser l’utilisation des insecticides et à optimiser les
appelée « pulvérisation ciblée », qui les oblige à inspecter    coûts de production. Toutefois, à mesure que leur utilisa-
leurs champs de coton chaque semaine pour détecter des          tion sur le coton s’est intensifiée, en particulier dans l’AOC,
parasites sur 40 plants de coton, et utiliser des seuils fixe   la résistance est finalement apparue. La résistance aux in-
désignés pour les principaux ravageurs de coton, et de pul-     secticides est inconnue ailleurs en Afrique subsaharienne,
vériser uniquement si ces seuils sont atteints. Le déploie-     où l’approche de la production de coton à faibles intrants/
ment de cette approche a été facilité par l’adoption de l’ap-   faibles rendements est toujours valable (Matthews, 2014).
proche Farmer Field School (école agricole sur le terrain)      Dans d’autres pays producteurs de coton en dehors de
pour former les agriculteurs : des réductions significatives    l’Afrique subsaharienne, la LIR est devenue la réponse
des applications de pesticides ont été obtenues (Martin et      logique aux problèmes résultant de la surexploitation
al., 2005 ; Settle et a.,l 2014).                               des insecticides chimiques (Smith, 1969). L’Australie est
3ème étape : Passer de la généralité à la sélec-                peut-être l’un des pays où la lutte intégrée a été d’une aide
                                                                précieuse. Entre 1960 et 1990, les producteurs de coton
tivité                                                          australiens ont tellement misé sur l’utilisation unilatérale
Jusqu’à présent, les pressions exercées par les progrès         d’insecticides chimiques que H. armigera est finalement
scientifiques, les préoccupations de la société et les exi-     devenu résistant à presque tous les insecticides recom-
gences de la réglementation ont entraîné le retrait de cer-     mandés. Toutefois, après l’adoption à l’échelle nationale de
tains insecticides connus, mais anciens et dangereux, ce        coton transgénique, de nouvelles pratiques de production et
qui a conduit à la mise au point de nouveaux insecticides       l’adoption de la LIR, le pays a réussi à réduire considéra-
moins nocifs pour la santé humaine et les organismes            blement l’utilisation d’insecticides sur le coton de 1 000
non ciblés ; de nouveaux modes d’action (donc moins sus-        tonnes d’ingrédient actif entre 1998 et 2003 à seulement
ceptibles de résister aux ravageurs), et une grande com-        50 tonnes entre 2008 et 2013, tout en augmentant les ren-
patibilité avec les programmes actuels de lutte intégrée        dements moyens du coton irrigué de 1 200 kg/ha dans les
contre les ravageurs (NAS, 2000). En résumé, l’utilisation      années 1970 à 2 270 kg/ha actuellement (Rapport sur le
des insecticides neuroactifs de première génération - effi-     développement durable, 2014).
caces, peu coûteux et persistants - s’est progressivement
                                                                Traditionnellement, la LIR a toujours fait appel à une com-
déplacée vers des produits plus récents, sélectifs et rela-
                                                                binaison de quatre tactiques pour lutter contre les rava-
tivement plus sûrs, tels que les avermectines, les néoni-
                                                                geurs :
cotinoïdes et les diamides anthraniliques, entre autres.
En ce qui concerne le coton, les insecticides chimiques les     •   Méthodes culturales,
plus utilisés appartiennent à seulement trois grandes ca-       •   Résistance de la plante hôte,
tégories d’insecticides : pyréthroïdes synthétiques, orga-
nophosphates et néonicotinoïdes (Kranthi, 2018). Afin de        •   Agents de biocontrôle, et
faire face à certains des problèmes nouveaux et émergents       •   Insecticides chimiques.
de ravageurs du coton, il conviendrait d’étudier la possi-      Cette « boîte à outils de la LIR » connaît actuellement une
bilité d’adopter une nouvelle chimie et d’autres tactiques,     évolution rapide, parallèlement au besoin croissant de
telles que le traitement des semences avec des insecticides     nouvelles options offrant une gestion efficace, économique
systémiques. De telles approches peuvent fournir des ré-        et respectueuse de l’environnement, comme le requiert le
ponses à la résurgence des ravageurs suceurs en début de        réenregistrement des insecticides existants ; l’avènement
campagne.                                                       de nouveaux insecticides à modes d’action novateurs ;
4ème étape : Promouvoir l’utilisation accrue                    l’émergence de nouvelles espèces de ravageurs sur le coton ;
                                                                le développement et l’émergence de nouvelles technologies
de tactiques multiples (lutte intégrée contre
                                                                basées sur le génie génétique et de nouveaux outils tels que
les ravageurs)                                                  les drones et les systèmes d’information géographique, qui
En Afrique subsaharienne, l’utilisation combinée de pra-        peuvent aider les agriculteurs à lutter plus efficacement
tiques de gestion des cultures et de variétés désignées         contre les ravageurs (NAS, 2000). On pourrait faire beau-
pour lutter contre des organismes nuisibles spécifiques         coup plus avec les technologies et les phéromones « géné-
tels que les jassides a permis de commercialiser le coton       tiques mâles-stériles », mais cela ne pourrait être faisable
avec succès avant l’introduction d’insecticides chimiques.      qu’à l’échelle d’une région, et non sur de petites exploita-
Même après l’introduction des insecticides, l’utilisation       tions agricoles individuelles.
de ces dernières est restée largement limitée, en grande
The ICAC Recorder, Mars 2019                                                                                                  11

Passer de la parole aux actes en ce                               être de réduire considérablement l’utilisation des insecti-
                                                                  cides. À cette fin, les gouvernements doivent user de leur
qui concerne la lutte intégrée contre                             influence, de leurs pouvoirs législatifs et autres pour sen-
les ravageurs (LIR)                                               sibiliser le public en général et les agriculteurs en parti-
Les tentatives visant à remplacer le paradigme de la lutte        culier aux effets négatifs de l’utilisation non éclairée d’in-
insecticide par d’autres méthodes permettant une utili-           secticides. On ne saurait trop insister sur la nécessité pour
sation plus durable des insecticides ont jusqu’à présent eu       les gouvernements de réglementer à nouveau les marchés
un succès limité, en particulier dans les pays à faible revenu.   des pesticides après le gâchis de la libéralisation, compte
Parsa et al. (2014) ont identifié 51 raisons potentielles         tenu de l’inefficacité de l’application des lois antérieures
pour expliquer ce phénomène. Parmi les principales rai-           qui n’ont pas permis de restreidre suffisamment l’utilisa-
sons, on peut citer la nécessité pour les agriculteurs de         tion des pesticides, conduisant à une utilisation accrue de
trouver des solutions simples à des problèmes apparem-            pratiques antiparasitaires dangereuses, inefficaces et non
ment complexes, alors que les institutions de R&D n’en            viables.
ont pas encore fait assez pour les rendre pratiques et ef-        L’une des options préconisées pour garantir une utilisa-
ficaces. D’autres facteurs incluent les besoins plus impor-       tion sûre et efficace des insecticides sur le coton consiste
tants de la LIR en termes de temps et de connaissances            à déployer des systèmes qui mettent l’accent sur « l’uti-
comparativement au contrôle conventionnel, et le manque           lisation d’insecticides exclusivement sur ordonnance ».
de collaboration adéquate entre les gouvernements et              Aux États-Unis, où quelques États ont adopté de tels pro-
les autres institutions, notamment la R&D, les services           grammes, il est obligatoire que les insecticides ne soient
de vulgarisation et les ONG pour la promotion des pra-            appliqués qu’après qu’un prescripteur ou un responsable
tiques de LIR. Les entreprises agrochimiques n’ont natu-          professionnel agréé de la lutte antiparasitaire ait évalué
rellement pas été en mesure de soutenir la lutte intégrée         le problème et établi qu’une application d’insecticide soit
contre les ravageurs, qui cherche à minimiser l’utilisation       effectivement justifiée (Whitaker, 1998). Ces pratiques,
des insecticides. En dépit des nombreux défis, la LIR a au        qui, dans le cas des produits pharmaceutiques à usage
moins contribué à promouvoir une approche plus éclairée           humain, exigent que les médicaments désignés soient dé-
de la lutte antiparasitaire en encourageant la surveillance       livrés sur ordonnance, ont contribué à réduire l’abus de
systématique des parasites sur les cultures, ainsi qu’une         médicaments dans les pays à faible revenu. L’adoption sur
prise en compte accrue de facteurs multiples tels que les         ordonnance d’insecticides peut, espérons-le, contribuer à
niveaux de dommages, d’infestation parasitaire et la pré-         limiter certaines des pratiques abusives généralement as-
sence ou l’absence d’ennemis naturels avant de prendre la         sociées à l’utilisation d’insecticides. Toutefois, si l’on sou-
décision de pulvériser.                                           haite que ces systèmes soient mis en place et finalement
                                                                  adoptés dans les pays en développement, il faudra procé-
Les politiques gouvernementales se                                der à une refonte institutionnelle des systèmes actuels de
concentrent de plus en plus sur la                                fourniture de services de soutien aux agriculteurs, par le
                                                                  biais d’organisations non gouvernementales et d’institu-
réduction de l’utilisation d’insecti-                             tions de R&D.
cides sur le coton                                                L’autre option de gestion de l’utilisation des insecticides
Dans la pratique de la lutte antiparasitaire, les agriculteurs    implique que les gouvernements utilisent des instruments
continueront à surutiliser les insecticides sur le coton car      économiques pour réduire délibérément l’utilisation des
il existe un écart fondamental entre leur point de vue et ce-     insecticides, favorisant ainsi le développement et l’adop-
lui de la société. Alors que les agriculteurs ont tendance à      tion de méthodes de lutte antiparasitaire alternatives. Par
ne considérer que les coûts monétaires directs des insecti-       exemple, en 1995, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas
cides, la société a tendance à ajouter à ce coût l’impact des     ont adopté collectivement une législation prévoyant une
dommages futurs résultant de la résistance et de la sup-          réduction de 50 % ou plus de l’utilisation de pesticides
pression des ennemis naturels, ainsi que le coût de la pol-       agricoles dans leur pays d’ici l’an 2000. Ces réductions,
lution environnementale. La différence des coûts a conduit        qui répondaient aux protestations du public face à la pol-
à une surexploitation des insecticides, car les utilisateurs      lution de l’environnement et à la nécessité de maintenir
d’insecticides perçoivent souvent le coût des insecticides        la compétitivité de l’agriculture, ont été réalisées sans af-
comme étant beaucoup plus faible que ce qu’il devrait être,       fecter de manière significative le rendement des cultures
en termes de dommages à long terme et de pollution (Re-           (Matteson, 1995). Récemment, des chercheurs français
gev, 1984 ; Wilson & Tisdell, 2001).                              (Lechenet et al., 2017) ont démontré que la faible utili-
Comme il est pratiquement impossible de contrôler les             sation de pesticides diminue rarement la productivité et
effets nocifs des insecticides une fois qu’ils ont été appli-     la rentabilité des exploitations agricoles. Ils n’ont déce-
qués, l’objectif des politiques gouvernementales devrait          lé aucun conflit entre une faible utilisation de pesticides
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