ICI, AILLEURS Matthieu Simard
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ICI, AILLEURS Première sélection Prix littéraire France-Québec « Magnifiquement senti, réfléchi et écrit. » Mario Cloutier, La Presse « Ici, ailleurs est présenté comme “un roman sans musique”. Peut-être, mais ce livre a un ton, une atmosphère et un propos qu’on n’oublie pas. Ça vaut bien le violoncelle qui, dans cette histoire, ne résonnera plus. » Josée Boileau, Journal de Montréal « Un roman qui nous avale. » Émilie Perreault, Puisqu’il faut se lever « Un (trop !) court roman, sombre certes, mais d’une rare beauté. » Julie Roy, Coup de pouce « Ici, ailleurs laisse filtrer, pour qui sait écouter, une poésie feutrée aux cicatrices décolorées, tracées par des aiguilles plantées dans la chair. » Ariane Gélinas, Les libraires « [Une] histoire à la fois grave et lumineuse, universelle et unique, étrange, mais profondément humaine. » Samuel Larochelle, Huffington Post
Le silence est tombé un jeudi comme une goutte de pluie et nous a submergés pendant des années. Les oiseaux se sont tus d’un coup, le grincement des charnières rouillées, les cris dans la cour d’école, le haut-parleur côté pas- sager, les feuilles mortes, le vent, plus rien. Le silence. C’était il y a trois ans, loin d’ici. Depuis ce jour-là des centaines d’averses ont éclaté sur nous et chaque fois c’était elle qui nous tapait sur l’épaule pour nous rappeler les jours d’avant. Dans quarante ans il ne restera rien, ni le souvenir de nous ni les photos ni la mémoire de tous les disparus ni les notes d’un violoncelle retrouvé dans les ruines d’une maison centenaire.
DU MÊME AUTEUR Une fille pas trop poussiéreuse, Stanké, 2019 Les écrivements, Alto, 2018 (CODA, 2020) La tendresse attendra, Stanké, 2011 (Coll. 10/10, 2015) Llouis qui tombe tout seul, Stanké, 2006 (Coll. 10/10, 2009) Douce moitié, Stanké, 2005 Ça sent la coupe, Stanké, 2004 (Coll. 10/10, 2008 | nouvelle édition augmentée, Stanké 2017) Échecs amoureux et autres niaiseries, Stanké, 2004 (Coll. 10/10, 2007) Littérature jeunesse Les Pranks : 1er round, Les Malins, 2021 Pavel, La courte échelle, coll. « Epizzod », 2008-2009
Matthieu Simard Ici, ailleurs Alto | CODA
Titreoriginal Titre original:: The The Paying Paying Guests Guests ©©Sarah SarahWaters, Waters, 2014 2014 Illustration de la couverture : Gérard DuBois | www.gdub Illustration Les Éditions Alto de la couverture remercient : Gérard de leur soutien financierDuBois le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). LesÉditions Les ÉditionsAltoAlto remercient remercient de de leur leur soutien soutien financier financier Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt le Conseil des dearts du—Canada et la Société le Conseil des arts du Canada et la Société de développem pour l’édition livres Gestion SODEC de développem des entreprises desremercie entreprises culturelles du Québec (SODEC). L’auteur le Conseilculturelles du Québec des arts du Canada (SODEC). pour son soutien. Financé par le gouvernement du Canada Financé par le gouvernement du Canada Funded by the Government of Canada Funded by the Government of Canada ISBN 978-2-89694-214-5 ISBN 978-2-89694-214-5 © Éditions Denoël, 2015 © Éditions Denoël, 2015 pour pour la la traduction traduction française française Publié en accord avec les Éditions Denoël Publié en accord avec les Éditions Denoël ©©Éditions ÉditionsAlto, Alto, 2015 2015 pour pour la la présente présente édition édition Illustration de la couverture : selon un design original de Luke Bird ISBN 978-2-89694-530-6 © Matthieu Simard et les Éditions Alto, 2021 (Première édition : 2017, 978-2-89694-341-8)
À Papa. Le premier que tu ne liras pas.
Marie fixe le mur, le spectre d’une migraine flot- tant dans ses yeux gris. Ses ongles poignardent le carton de la boîte sur laquelle elle s’est assise. La palpitation de ce qui pourrait être son cœur, ou le mien. Le salon étroit. Les murs sales. Le soleil bas. Et le silence. Le camion vient de quitter l’allée de terre battue. Il y a des boîtes par dizaines, en piles au fond de la pièce, et trois autres en face de moi. Marie tourne les yeux vers l’étui noir appuyé sur le mur. Un doigt qui masse sa tempe. Une grimace qu’elle essaie de dissimuler. Un tremble- ment dans son coude. Je connais par cœur les gestes qu’elle s’apprête à poser et la conversation qui suivra : la scène du violoncelle, nous l’avons répétée souvent, sans issue, sans mélodie non plus. Elle se lève, traîne ses pieds jusqu’à l’étui, l’ouvre, en sort son Josef Klotz, glisse jusqu’à une autre boîte, s’y assied, s’installe pour un concert qui n’aura pas lieu. Une inspiration, l’ar- chet déposé sur les cordes, un soupir, son dos voûté, la déception. — Chaque fois... — C’est correct. — Je sais pas pourquoi je le garde. Elle range l’instrument, referme l’étui. Un doigt qui masse sa tempe. — As-tu pris tes... — J’en ai pris trois. Ça change rien. 9
Les plus beaux yeux du monde, couleur brume boréale, et au travers une douleur que je suis incapable de soulager. Le plancher craque sous mes pieds, je ramasse son manteau par terre, c’est presque l’été mais il fait frais le soir à la campagne. — Il faut fêter. — Oui. Peut-être. Fêter notre arrivée ici et le possible des semaines qui viennent. Quatre mois de fuite immobile, de rivière sans courant et d’oubli en lambeaux. L’été, ici. *** J’ai posé mon violoncelle dans un coin de la pièce, si j’avais pu l’enfoncer dans le mur pour qu’il disparaisse je l’aurais fait. Simon m’a tendu mon manteau et nous sommes sortis. L’humidité nous a saisis. Le poids des nuages. Un film de poussière au-dessus de la route. Le seul bar du village est au bout en bas, devant un mur de conifères qui sépare le reste du système solaire de l’approximative civilisation d’ici. L’affiche défraîchie à la fenêtre n’a rien d’in- vitant, pas plus que la rouille du pick-up stationné sur la pelouse. Sans nous consulter, nous prenons une pause devant la porte de bois, freinés par la peur de la première bière post-déménagement – celle qui fera de nous d’authentiques villageois. Une respiration, deux. Nous entrons. C’est un établissement comme il y en a partout, encore marqué par la semelle des bottes d’un Claude, par la cigarette oubliée d’un Daniel, par l’odeur des ouvriers qui y buvaient quelques 10
années auparavant. Trois clients à trois tables contemplent tantôt le mur, tantôt le vide. Des grosses 50 sur le comptoir. Des cernes d’alcool par centaines sur le bois de notre table. Ma chaise qui grince dès que je bouge. Le sourire de la serveuse. — Notre radio est cassée. Fisher est supposé la réparer, mais entre ce qu’y dit pis ce qu’y fait... Elle s’appelle Lyne, cheveux roux, teint pâle, et nous lui commandons deux grosses 50, espérant purger notre esprit citadin à coups de tradition locale grand format. La première gorgée, la douzième, la trentième, le temps d’apprivoiser le brouillard dans lequel nous venons de nous lancer sans trop réfléchir. Nous semi-fêtons, embrouillés, un nouveau départ à l’autre bout du registre de nos nouveaux départs habituels. Nous ne parlons pas. De temps en temps Simon me regarde, je le trouve beau. Si ce n’était du grincement de ma chaise qui attire l’attention des autres, je l’embrasserais mais je me contente, discrète, de poser mes doigts sur les siens. Après chaque gorgée il regarde vers la porte comme s’il attendait quelqu’un mais elle ne s’ouvre jamais. Une gorgée. Nous nous tenons la main en silence sans oser admettre notre peur immense d’avoir fait une erreur en venant ici. Un homme dépeigné, début quarantaine, pose la main sur mon bras. Il a mis une heure à se décider. Je savais qu’il finirait par nous adresser la parole. De regards furtifs en dévisagements profonds, il glissait sa chaise sans subtilité chaque fois que nous regardions de l’autre côté. Sa main reste collée à mon avant-bras. Simon lâche mes doigts. 11
— C’est vous qui avez acheté la maison du vieux ? — Celle au coin, oui. — Il vous aurait aimée. — L’ancien propriétaire ? — Y aimait les belles femmes avant d’en per- dre des bouttes. — Ah ? — La tank à eau chaude est due pour être changée. — J’ai pas... On a pas... — Je peux vous le faire. Je travaille au garage, mais je peux faire n’importe quoi si vous voulez. Moi, c’est Fisher, le monde m’appelle Fisher. Je viens d’ici. Si vous avez des questions, je suis là. — OK... — En avez-vous ? — Des questions ? Ben... — Y a la toilette d’en haut qui est neuve, c’est moi qui l’a installée pour le vieux, j’y devais de l’argent, j’y ai fait ça à la place. Sauf qu’elle coule un peu, faut shaker la manette de temps en temps. Ses yeux rivés sur moi. Je tente de m’éloigner sans qu’il s’en aperçoive mais le grincement de ma chaise résonne dans le bar. Il se penche un peu plus vers moi et je me demande s’il cherche à me rendre mal à l’aise. Simon ne semble pas remarquer l’avancée progressive de Fisher. Une gorgée. Les soirs sont frais à la campagne, les garagistes ne sont pas gênés, Simon est un peu ailleurs et la porte du bar reste fermée. 12
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