" ILS NE M'ONT JAMAIS CONSIDÉRÉE COMME UNE PERSONNE. ILS ME VOYAIENT COMME UNE COUVEUSE. " - QUAND L'ÉTAT ENCOURAGE LES VIOLENCES FAITES AUX ...
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« ILS NE M’ONT JAMAIS CONSIDÉRÉE COMME UNE PERSONNE. ILS ME VOYAIENT COMME UNE COUVEUSE. » QUAND L’ÉTAT ENCOURAGE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES – SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE EN AMÉRIQUE LATINE ET DANS LES CARAÏBES
ROSAURA Republique Dominicaine Alors qu’elle était enceinte, une leucémie a été diagnostiquée. Elle avait 16 ans. Un traitement qui aurait pu la sauver lui a été refusé parce qu’il aurait pu MICHELLE provoquer une fausse couche. Mexique Elle était enceinte, et elle a été stérilisée contre son gré parce qu’elle était porteuse du VIH. Elle a été victime de discrimination et de TEODORA mauvais traitements. Salvador Elle a souffert d’une urgence obstétricale. Elle a été accusée de l’avoir provoquée et condamnée à 30 ans de prison, sans preuves. ESPERANZA Pérou Elle a été stérilisée contre son gré alors qu’elle BELÉN était enceinte. Elle a perdu l’enfant qu’elle portait Argentine et souffre actuellement de séquelles de l’intervention. Elle a fait une fausse couche, diagnostiquée comme telle. Elle a été dénoncée par son médecin et condamnée à huit ans d’emprisonnement pour homicide, sans preuves. Cela fait plus de deux ans qu’elle est en prison. MAINUMBY Paraguay TANIA Mainumby est tombée enceinte à la suite d’un viol. Chili Elle avait à peine 10 ans. L’avortement lui a été refusé Elle s’est fait avorter clandestinement alors même que sa vie et sa santé physique parce qu’on lui refusait un traitement contre et mentale étaient en danger. le cancer du fait de sa grossesse, alors que sa vie était en danger. DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS Les droits sexuels et reproductifs ne sont pas des droits nouveaux. Ils sont reconnus dans les instruments de protection des droits humains. Il s’agit notamment du droit au respect de la vie privée, à l’intégrité physique et mentale, et du droit de ne pas subir de discrimination, d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Parmi les droits sexuels et reproductifs fondamentaux figurent les suivants : la liberté de décider si l’on souhaite ou non avoir une activité sexuelle ; d’avoir des relations sexuelles consenties quelle que soit son orientation sexuelle ; d’avoir des rapports sexuels en dehors de la procréation ; de choisir son partenaire ; de décider combien avoir d’enfants et quand ; de ne pas subir de violences et de pratiques nocives ; d’avoir accès à des informations, à la contraception et aux services de planning familial, ainsi qu’à une éducation sexuelle complète et détaillée, en particulier pour les enfants et les adolescents. Les droits sexuels et reproductifs font partie des droits humains définis dans les traités internationaux et régionaux en la matière. Ces textes ont été ratifiés dans la région par une majorité d’États, qui se sont engagés à les respecter. Il s’agit entre autres des traités suivants : ■■ Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ■■ Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ■■ Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ■■ Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ■■ Convention relative aux droits de l’enfant ■■ Convention américaine relative aux droits de l’homme ■■ Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (Convention de Belém do Pará) Tous les États qui ont ratifié les traités relatifs aux droits humains ont l’obligation de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits sexuels et reproductifs.
LES STÉRÉOTYPES DE GENRE ENTRAINENT DES DISCRIMINATIONS ET ENFREIGNENT AINSI LE DROIT À L'ÉGALITÉ DÉFINI DANS TOUS LES TRAITÉS Couverture: Manifestation en faveur de la libération de Belén, condamnée à huit ans d’emprisonnement à la suite d’une fausse couche. Tucuman, Argentine. @ Agencia de RELATIFS AUX DROITS HUMAINS. Prensa Alternativa (APA) « Toute femme veut être mère et devrait l'être. » La propagation du virus Zika en Amérique latine et dans les Caraïbes et son rapport avec la microcéphalie chez les nouveau- nés ont conduit l’Organisation mondiale de la santé à décréter un état d’urgence de santé publique en février 20161. Dans la région, certains gouvernements ont recommandé aux femmes – « Les femmes pauvres et les femmes autochtones sans s’adresser aux hommes – d’éviter toute grossesse dans un ne devraient pas être autorisées avenir proche. Cette étrange recommandation a mis au jour les à avoir autant d'enfants. » défis considérables auxquels sont confrontées les femmes dans la région en matière de droits sexuels et reproductifs. Chacune des histoires présentées dans cette synthèse et les milliers d’expériences similaires vécues par les femmes et les filles dans toute la région mettent en évidence les discriminations structurelles infligées aux femmes. Les « Toute femme enceinte doit mener à terme discriminations subies par les femmes parce qu’elles sont des sa grossesse indépendamment de sa femmes sont en plein essor, car les stéréotypes de genre sont situation personnelle et de son état de profondément ancrés dans la société et atteignent leur degré le plus pernicieux dans le domaine de la sexualité et de la santé et même si sa vie est en danger. » reproduction. « Les adolescentes ne sont pas capables Cette synthèse est tirée du de prendre des décisions concernant rapport d’Amnesty International intitulé « The state as a catalyst leur sexualité ou de décider si elles for violence against women », veulent être mères. » publié en mars 2016 (index : AMR 01/3388/2016). Version originale : Espagnol. Disponible sur https:// www.amnesty.org/en/documents/ amr01/3388/2016/en/. Un résumé « Les femmes qui vivent avec le VIH des normes pertinentes en matière THE STATE AS A CATALYST FOR de droits humains et une description doivent être stérilisées pour endiguer VIOLENCE AGAINST WOMEN VIOLENCE AGAINST WOMEN AND TORTURE OR OTHER ILL-TREATMENT plus détaillée des arguments et des la propagation du virus. » IN THE CONTEXT OF SEXUAL AND REPRODUCTIVE HEALTH IN LATIN AMERICA AND THE CARIBBEAN questions abordés dans la présente synthèse se trouvent dans le rapport complet. « Peu importe si elle a été violée, une fille enceinte doit toujours mener la grossesse à son terme. » « Les femmes qui viennent à l'hôpital pour 1 Voir Organisation mondiale de la santé, « WHO announces a des urgences obstétriques sont des Public Health Emergency of International Concern », communiqué menteuses, notamment si elles sont disponible en anglais sur http://www.paho.org/hq/index. pauvres ; elles se sont fait avorter. » php?option=com_content&view=article&id=11640%3A2016-who- statement-on-1st-meeting-ihr-2005-emergency-committee-on-zika- virus&lang=en. AMNESTY INTERNATIONAL MARS 2016 INDEX : AMR 01/4140/2016 3
En mai 2016, l’histoire de Belén2 a déclenché un tollé en dans l’exercice de leur profession, et dans le cadre de la relation Argentine et a fait les gros titres dans le monde entier. médecin-patiente. Belén n’est jamais retournée chez elle depuis qu’elle a pénétré « Je n’ai rien dit pendant deux ans. Je n’avais dans l’hôpital. Après six jours d’hospitalisation, elle a été transférée directement en prison. Cela fait plus de 26 mois pas envie de parler. J’avais peur. On m’a dit que qu’elle est détention provisoire, accusée d’avoir provoqué un je serais condamnée à la prison à vie. Mais avortement. Le procureur a postérieurement changé le chef d’inculpation en homicide doublement aggravé par la ruse et la maintenant je suis sereine, je sais que justice présomption de lien, infraction passible d’une peine pouvant aller sera rendue. Aujourd’hui je suis plus forte. Je jusqu’à 25 ans d’emprisonnement. suis très heureuse de savoir que je ne suis pas Le 19 avril, la IIIe chambre pénale du tribunal de Tucumán a seule. Je serai éternellement reconnaissante condamné Belén à huit ans d’emprisonnement pour homicide. Le 3 mai, la défense de Belén a fait appel et, mettant en cause envers toutes les personnes qui m’aident à faire son maintien en détention provisoire, a demandé sa libération entendre ma voix. Nous nous battrons ensemble immédiate afin qu’elle puisse attendre le jugement définitif hors de la prison. Cependant, le 12 mai, le même tribunal qui l’avait pour être entendus, pour que les femmes ne condamnée a rejeté sa demande de remise en liberté. soient plus emprisonnées pour avortement. Bien qu’à chaque fois qu’elle en a eu l’occasion Belén a soutenu Désormais, leur combat est mon combat. » devant la justice que le fœtus en question n’était pas le sien, Belén, juin 2016 elle n’a pas été entendue. Malheureusement, en Amérique latine il arrive avec une fréquence inquiétante que les tribunaux ne tiennent pas compte des déclarations et des témoignages des Belén, 27 ans, est en prison depuis plus de deux ans dans la femmes. D’après la Commission interaméricaine des droits de province de Tucumán, dans le nord de l’Argentine, parce qu’elle a l’homme, les modèles culturels discriminatoires qui prévalent eu des complications obstétricales dans un hôpital public. Aussi sur le continent influent de manière négative sur les enquêtes bien des médecins que des policiers ont violé son droit au respect judiciaires et sur l’évaluation des preuves, qui peut être marquée de sa vie privée, l’accusant injustement d’avoir commis une par des idées stéréotypées sur le comportement que doivent avoir infraction pénale. En outre elle a subi des mauvais traitements. les femmes dans leurs relations interpersonnelles. Au petit matin du 21 mars 2014, Belén, souffrant d’intenses douleurs abdominales, s’est rendue aux urgences de l’Hospital de Clínicas (hôpital universitaire) Avenalleda, à San Miguel de « Ma condamnation est uniquement fondée sur Tucumán. Elle a été transférée au service de gynécologie car elle les paroles d’autres personnes. J’ai été envoyée perdait beaucoup de sang. Les médecins l’ont informée qu’elle était en train de faire une fausse couche. Elle était enceinte en prison parce que je suis pauvre, parce que d’environ 22 semaines, ce qu’elle ignorait. je dois aller à l’hôpital, parce que je n’ai pas Des employés de l’hôpital ont découvert un fœtus dans les toilettes d’argent pour aller dans une clinique privée ou et, supposant qu’il s’agissait de l’« enfant » de Belén, ils l’ont pour payer un bon avocat. » immédiatement dénoncée, sans aucune preuve et sans aucun Belén, juin 2016 résultat d’analyse ADN qui aurait pu établir un lien éventuel entre elle et le fœtus. Dans un rapport il était indiqué que le fœtus trouvé dans les toilettes était âgé de 32 semaines. Malgré cela, L’avortement est légal en Argentine en cas de risque pour la vie ou et malgré le fait que le médecin qui avait examiné Belén avait la santé de la femme ou si la grossesse est le résultat d’un viol. constaté qu’elle avait fait « un avortement spontané incomplet Cependant, près de quatre ans après la confirmation par la Cour sans complications » à environ 22 semaines de grossesse, comme suprême de la légalité de l’avortement dans ces circonstances indiqué dans son dossier médical, elle a été considérée comme (ce qui est d’ailleurs le cas depuis 1921), il arrive toujours que suspecte et traitée comme une délinquante. des femmes n’aient pas accès aux soins de santé dont elles ont besoin et auxquels elles ont droit aux termes de la loi. La loi ne Belén a raconté qu’un infirmier lui a apporté le fœtus dans une protège pas les milliers de femmes qui souffrent chaque année petite boîte et l’a insultée pour ce qu’elle avait fait, avançant de complications dues à des avortements pratiqués dans des qu’il s’agissait de son « enfant ». Lorsqu’elle s’est réveillée conditions dangereuses, et qui constituent la première cause de après le curetage, elle était entourée de policiers qui étaient mortalité maternelle dans 17 provinces argentines sur 24. Selon en train d’examiner ses parties intimes. Tous ces faits peuvent des estimations, plus de 60 000 femmes, provenant pour la être considérés comme des traitements cruels, inhumains et plupart de groupes à faible revenu, sont admises chaque année dégradants. dans des hôpitaux publics à la suite d’avortements pratiqués dans des conditions dangereuses3. Non seulement Belén a dû faire face aux préjugés des fonctionnaires publics, mais en outre son droit au respect de la vie privée et à l’intimité a été bafoué puisqu’elle a été dénoncée par les médecins, ceux-là mêmes qui étaient tenus de protéger la confidentialité des informations auxquelles ils avaient eu accès 3 Edith Pantelides (Conicet y Cenep-Centro de Estudios de Población) et Silvia Mario (Instituto Gino Germani), Estimación de la magnitud 2 Son prénom a été modifié. del aborto inducido en Argentina, ministère national de la Santé. 4 « ILS NE M’ONT JAMAIS CONSIDÉRÉE COMME UNE PERSONNE. ILS ME VOYAIENT COMME UNE COUVEUSE. »
Manifestation à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, à Asunción, au Paraguay, le 25 novembre 2015. © REUTERS En 2014, selon les statistiques démographiques publiées par et des pratiques qui privent les femmes de leurs droits humains le ministère de la Santé, 290 femmes sont mortes pour des fondamentaux, l’État lui-même devient un agent catalyseur, ce raisons liées à leur grossesse. Ce chiffre représente une hausse qui engendre d’autant plus de violences. par rapport à 2013 (243 cas) et 212 (258 cas). Mais il ne s’agit que d’un chiffre estimatif. L’État lui-même a reconnu que « la mortalité maternelle est souvent sous-estimée du fait de lacunes « Les organes internationaux et régionaux dans la partie du rapport statistique de décès dans laquelle un médecin doit certifier la cause de la mort », et il en ressort que des droits de l’homme ont commencé à même les chiffres officiels ne donnent pas une image fiable du prendre conscience du fait que les abus et nombre total de femmes et de filles qui ont perdu la vie. la maltraitance infligés à des femmes qui recherchent des services de santé de la LES VIOLENCES INSTITUTIONNELLES procréation peuvent engendrer des souffrances À L’ÉGARD DES FEMMES physiques et émotionnelles considérables et durables infligées en raison du sexe. » Les femmes et les filles ont le droit de décider si elles veulent ou non avoir une activité sexuelle et si elles veulent ou non avoir des enfants, et elles doivent avoir accès aux informations et aux services adaptés afin de pouvoir exercer ces droits de manière Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres traitements ou autonome et responsable. Toutefois, même si certains États de la peines cruels, inhumains ou dégradants, février 20134 région ont signé des traités internationaux garantissant ces droits, dans la pratique ils ont érigé des barrières infranchissables qui empêchent les femmes d’y accéder. Il en résulte une forme de violence à l’égard des femmes et, dans de nombreuses situations, LE SECRET MÉDICAL une forme de torture ou d’autres mauvais traitements. Tout le monde a le droit au respect de sa vie privée et les Quand les institutions publiques sont organisées de manière à informations médicales sont un domaine où ce droit revêt une restreindre les droits fondamentaux des femmes, l’État envoie importance toute particulière. Le secret médical doit être garanti, un message très clair à ses représentants : l’État encourage, ou car si les gens craignent le non-respect de leur vie privée dans le du moins tolère, l’inégalité entre les hommes et les femmes, la discrimination liée au genre et les violences envers les femmes. Les lois et les mesures prises par ceux qui agissent « au nom 4 Conseil des droits de l’homme, Observation générale n° 28, 2000, de l’État » (ce qui englobe les prestataires de soins de santé) § 11 ; rapport du rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou influencent la culture, la vie politique et la façon dont les traitements cruels, inhumains ou dégradants, février 2013, doc. ONU femmes sont vues au sein de la société. En maintenant des lois A/HRC/22/53, § 46. AMNESTY INTERNATIONAL MARS 2016 INDEX : AMR 01/4140/2016 5
contexte médical, ils risquent de ne pas faire appel aux services « Qu’est-ce que vous attendez ? Vous avez de santé et de mettre ainsi leur vie en danger5. le VIH et vous êtes sur le point de donner Les professionnels de santé ont le devoir éthique de protéger le secret médical, et cette obligation acquiert une importance naissance à un enfant malade : pourquoi cruciale quand les femmes s’adressent à des professionnels de voudriez-vous de nouveau tomber enceinte ? » santé dans un contexte où les questions de santé sexuelle et reproductive sont réglementées par des lois restrictives, comme Le 27 septembre 2014, Michelle est arrivée à l’hôpital en plein en Amérique latine et dans les Caraïbes. travail, mais la chirurgienne de garde n’a pas voulu réaliser de césarienne. Michelle a dû attendre plusieurs heures l’arrivée d’un La divulgation non consentie de données médicales personnelles médecin qui veuille bien réaliser la césarienne sur une femme est une violation du droit à la vie privée. Les États ont l’obligation atteinte du VIH. Pendant qu’elle était hospitalisée, elle a subi des de protéger ce droit. Toutefois, comme le montre le cas de agressions verbales et un traitement discriminatoire. Un grand Michelle, dans l’État de Veracruz (Mexique), la région contrevient panneau portant les lettres « VIH » a été accroché au-dessus malheureusement au secret médical de manière récurrente dans de son lit. Quand elle a subi une hémorragie, des membres du le contexte de la santé sexuelle et reproductive. personnel lui ont ordonné de nettoyer elle-même le sang car ils Michelle, âgée de 23 ans, est une mère de deux enfants qui vit ne voulaient pas être infectés. Michelle raconte qu’elle recevait avec le VIH. En 2014, alors qu’elle était enceinte de quatre mois, toujours son repas en dernier, après que toutes les autres femmes l’hôpital l’a informée qu’elle était séropositive au VIH. À partir de de l’unité eurent mangé. ce moment et même après la naissance de son enfant, elle a été Michelle a expliqué plusieurs fois qu’elle ne voulait pas être soumise à de multiples formes de mauvais traitements de la part stérilisée, mais l’opération a tout de même été réalisée sans son de prestataires de soins de santé dans l’État de Veracruz. consentement. Elle l’a appris au réveil, après sa césarienne. Le gynécologue lui a dit qu’elle devait subir une opération pour éviter d’avoir d’autres enfants. Michelle souhaitait choisir une autre « J’ai beaucoup souffert. C’est une cicatrice que méthode de contraception, qui ne serait pas permanente, mais le je porterai à vie. Ce n’était pas ma décision. On médecin a insisté. Michelle raconte : « Le docteur a même contacté ma mère pour lui expliquer qu’en tant que mère, ‘elle devait me l’a imposée de force. » comprendre’. » Elle se souvient du discours du médecin : Michelle travaille aujourd’hui pour une fondation qui aide les femmes enceintes séropositives au VIH. Cette organisation l’a aidée à surmonter le traumatisme et à partager son vécu avec 5 Comité pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes, d’autres femmes comme elle, qui ont été stérilisées de force Observation générale n° 24, 2009 ; Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 3, 2003. Des défenseures des droits des femmes manifestent devant la Cour suprême pour réclamer la dépénalisation de l’avortement. San Salvador, Salvador, 15 mai 2013. © REUTERS/Ulises Rodriguez 6 « ILS NE M’ONT JAMAIS CONSIDÉRÉE COMME UNE PERSONNE. ILS ME VOYAIENT COMME UNE COUVEUSE. »
alors même que des interventions adaptées permettent de réduire m’a dit qu’elle avait transmis l’information et à moins de 5 % le risque qu’une mère transmette le VIH à son enfant6. que de l’aide était en chemin. Mais personne Le traitement qu’a subi Michelle montre comment les violations n’est arrivé... J’ai appelé au moins cinq fois. » des droits humains se multiplient dans le contexte de la santé sexuelle et reproductive. La discrimination est à l’origine des Teodora a fait une fausse couche dans les toilettes et s’est mauvais traitements qu’elle a reçus et c’est ce qui l’a empêchée évanouie, perdant beaucoup de sang. Des policiers sont arrivés, d’accéder aux services de santé reproductive auxquels toutes les l’ont menottée et l’ont accusée d’homicide aggravé, car ils la femmes ont droit au titre des normes internationales relatives aux soupçonnaient d’avoir provoqué un « avortement ». droits humains. En vertu de ces normes, la contraception doit être La famille de Teodora n’avait pas les moyens de payer un avocat accessible et abordable, et les femmes doivent être en mesure de et, en 2008, elle a été condamnée à 30 ans de prison. Elle a déjà choisir librement ou de rejeter les services de planning familial purgé huit ans de sa peine. (dont la stérilisation)7. CONSÉQUENCES POUR LES FAMILLES « Quand mon petit-fils y est allé [à la prison] pour la première fois... Il n’avait pas encore Les violences institutionnelles à l’égard des femmes en matière de quatre ans... Quand nous sommes repartis, ça santé sexuelle et reproductive, et notamment la torture, peuvent avoir des répercussions dévastatrices sur leurs familles. a été difficile. Il s’est agrippé à elle. Il disait : ‘Maman, je t’emmène avec moi.’ ‘Transforme- Des mères qui tentent de protéger le bien-être, la santé et la vie de leurs filles sont souvent jugées et pointées du doigt, toi en colombe pour sortir et viens avec nous. notamment lorsqu’elles décident de se faire entendre pour Je ne veux pas te laisser ici.’ » défendre les droits sexuels et reproductifs de celles-ci, comme en témoigne le cas de la mère de Mainumby (voir plus loin). María, la mère de Teodora Lorsqu’une femme est emprisonnée à la suite de complications Teodora étudie pour obtenir son baccalauréat. Depuis sa cellule, obstétriques, les différentes étapes de la procédure pénale elle a déclaré à Amnesty International : « Chaque matin, je me – depuis son arrestation jusqu’à sa condamnation et son lève avec une attitude positive. Je n’ai qu’une envie, apprendre de emprisonnement – constituent un traumatisme qui peut marquer nouvelles choses8 ». à vie ses enfants. Au Salvador, la loi considère les femmes enceintes comme Teodora del Carmen Vásquez a 31 ans et est la mère d’un garçon des suspectes et des criminelles. Celles qui souffrent de âgé aujourd’hui de 12 ans. La sœur de Teodora a expliqué à complications obstétriques sont presque invariablement Amnesty International que, chaque année, Teodora « célébrait soupçonnées de « crime » et risquent jusqu’à 40 ans de prison. l’anniversaire de son fils avec des piñatas et de la musique. Elle décorait sa chambre et ils allaient faire une promenade, rien que tous les deux. » « On nous dit que si on ne signale pas ce type En 2006, Teodora est tombée enceinte pour la deuxième fois. de situation, on est complice du crime et on Mais elle ne pouvait pas se rendre à des consultations prénatales parce qu’elle n’avait pas d’argent et parce qu’elle travaillait de 6 risque de perdre notre travail. Nous ne pouvons heures à 21 heures. En juillet 2007, alors enceinte de neuf mois, plus être des médecins. On nous transforme Teodora était à son lieu de travail lorsqu’elle a commencé à avoir en policiers. Mes supérieurs ont abordé cette des douleurs et à se sentir mal. Elle explique : question à plusieurs reprises. Je leur réponds que je ne peux pas enfreindre le secret médical « Quand la douleur est devenue insupportable, que je dois à mes patients. » j’ai pris mon téléphone et j’ai composé le Docteur « Lemus », au Salvador numéro des urgences, car c’est le seul qui m’est venu à l’esprit. La femme qui a répondu Certains estiment que les lois érigeant l’avortement en infraction dans tous les cas, sans exception ou presque, ont pour but d’empêcher les avortements. Pourtant, le fait est que 6 ONUSIDA, Plan Mondial pour éliminer les nouvelles infections à VIH la criminalisation ne réduit pas le nombre d’avortement. En chez les enfants à l’horizon 2015 et maintenir leurs mères en vie, revanche, elle augmente la mortalité et la morbidité maternelle 2011, p. 8 ; Organisation mondiale de la santé, voir http://www.who. int/hiv/topics/mtct/fr/. 8 Pour en savoir plus sur l’histoire de Teodora et d’autres femmes 7 « Eliminating forced, coercive and otherwise involuntary sterilization: dans des situations similaires au Salvador, voir Amnesty International, An interagency statement », 2014, disponible sur http://www.unaids. Separated families, Broken Ties, novembre 2015 (index : AMR org/sites/default/files/media_asset/201405_sterilization_en.pdf. 29/2873/2015). AMNESTY INTERNATIONAL MARS 2016 INDEX : AMR 01/4140/2016 7
car elle oblige des femmes et des filles à se tourner vers des avortements clandestins, en mettant en péril leur santé et leur vie9. On estime que le taux d’avortements pratiqués dans des conditions dangereuses en Amérique latine et dans les Caraïbes est le plus élevé au monde10. LE DROIT DE QUI ? LA VIE DE QUI ? La capacité du personnel médical, des représentants de l’État et de certains groupes religieux à imposer leur opinion à des femmes et des filles peut être observée à travers le vécu de femmes dans toute la région. Cette capacité s’exprime souvent au détriment du droit de ces femmes à la santé, à l’intégrité physique, à l’autonomie, à la vie privée et à la vie. Au cours des dernières années, on a observé dans la région une tendance accrue à protéger les fœtus de manière absolue et à leur donner priorité sur les droits humains des femmes et des filles. Plusieurs pays de la région ont introduit le concept de protection absolue dans leur code pénal, soit par une stricte interdiction de l’avortement dans tous les cas (Salvador, République dominicaine et Chili), soit par une interdiction partielle qui, dans la pratique, se traduit souvent par une interdiction absolue (Argentine et Paraguay). Ces lois entraînent pour les femmes et les filles de grandes souffrances et constituent des violences leur égard. Aucun organisme international de défense des droits humains n’a jamais considéré que le fœtus était protégé par le droit à la vie ou par d’autres dispositions de traités internationaux relatifs aux droits humains, dont la Convention relative aux droits de l’enfant11. La Convention américaine relative aux droits de l’homme est le seul traité qui contient une clause précisant que le droit à la vie doit être protégé « en général à partir de la conception » (article 4.1). Cette clause fait l’objet d’interprétations, tant par la Commission interaméricaine des droits de l’homme que par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui estiment que cette protection n’est pas absolue. Pour l’interprétation de cette clause, la Cour interaméricaine s’est basée sur la jurisprudence internationale et nationale en la matière, qui indique clairement 9 Département Santé et recherche génésiques, Organisation mondiale de la santé, Unsafe abortion: global and regional estimates of the incidence of unsafe abortion and associated mortality in 2008, 6e éd., Genève, OMS, 2011. 10 Trends in Maternal Mortality: 1990 to 2013: Estimates by WHO, UNICEF, UNFPA, The World Bank and the United Nations Population Division, Genève, 2014, disponible sur : http://www.who.int/ reproductivehealth/publications/monitoring/maternal-mortality-2013/ en/. 11 Voir R. Copeland et al, “Human Rights Being at Birth: International Law and the Claim of Fetal Rights”, Reproductive Health Matters (2005), vol. 13, n° 26, p. 120-129. L’histoire législative de la Convention relative aux droits de l’enfant indique clairement que les protections « avant la naissance » ne doivent pas affecter le choix des femmes d’interrompre une grossesse non désirée. María Sánchez, la mère de Teodora, se tient dans la chambre où dormait Teodora avant d’être emprisonnée. Salvador, 2015. © Amnesty International 8 « ILS NE M’ONT JAMAIS CONSIDÉRÉE COMME UNE PERSONNE. ILS ME VOYAIENT COMME UNE COUVEUSE. »
que l’objet de la protection doit être fondamentalement la femme enceinte, dans la mesure où la protection du fœtus passe principalement par celle de la mère. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également précisé par ailleurs que toute protection du fœtus introduite par les États devait être graduelle, se faire au cas par cas, selon le développement du fœtus, et ne saurait être absolue12. Des organes internationaux de défense des droits humains ont néanmoins dénoncé les violences à l’égard des femmes, la torture et les mauvais traitements, pourtant tous interdits par les traités internationaux relatifs aux droits humains. Les mêmes États qui se sont engagés à promouvoir ces droits semblent plus enclins à les ignorer lorsqu’il s’agit des droits sexuels et reproductifs, comme le démontre le cas de Mainumby13, une fillette du Paraguay. Mainumby avait 10 ans et pesait seulement 34 kilos. Elle était enceinte de 21 semaines à la suite d’un viol, dans un pays où la loi autorise l’avortement uniquement quand la vie de la femme ou de la fille est en danger. L’impact des préjugés systématiques et les actions de l’État se sont ligués contre elle, lui faisant subir de graves violations des droits humains. « Personne ne peut comprendre l’agonie que l’on ressent en voyant sa fille dans cet état. C’est une fillette qui devrait jouer, faire ses devoirs pour l’école et partager des moments avec ses amis. Personne ne peut se mettre à ma place. Quand le bébé se réveille, je dois aller réveiller ma fille pour qu’elle l’allaite. » La mère de Mainumby, au Paraguay Mainumby vit avec sa mère dans un quartier défavorisé d’Asunción, au Paraguay. En janvier 2014, la mère de Mainumby a commencé à soupçonner que sa fille était victime de violences sexuelles commises par son beau-père, qu’elle a dénoncé aux autorités. Mais sa plainte a été rejetée et les autorités n’ont pris aucune mesure pour éloigner l’agresseur de Mainumby. Si elles étaient intervenues, la fillette n’aurait pas continué à être violée. En janvier 2015, Mainumby a commencé à se plaindre de douleurs abdominales. Elle ne se sentait pas bien. Sa mère l’a emmenée dans deux dispensaires différents, où les médecins ont diagnostiqué une infection due à un parasite. Mais l’état de santé de Mainumby ne s’est pas amélioré et, à la mi-avril, sa mère l’a emmenée dans un hôpital privé. L’hypothèse d’une tumeur a été envisagée et une échographie a été prescrite. Le 21 avril 2015, l’échographie a révélé que Mainumby était enceinte de 20 à 21 semaines. L’hôpital lui a prodigué des soins complets et le directeur de l’hôpital a déclaré publiquement que cette grossesse était à haut risque, car la fillette était trop jeune et son utérus n’était pas assez développé pour porter un enfant. Selon la presse, le directeur aurait fait la déclaration suivante : « Si la vie ou la santé 12 Voir, entre autres, Cour interaméricaine des droits de l’homme, l’affaire Artavia Murillo y otros (Fecundación in vitro) Vs. Costa Rica. 13 Son nom a été changé. AMNESTY INTERNATIONAL MARS 2016 INDEX : AMR 01/4140/2016 9
de la fillette sont en danger, une interruption de grossesse sera Les expériences décrites dans cette synthèse sont un aperçu envisagée. Nous y sommes légalement tenus14. » À partir de ce d’une situation extrêmement complexe et problématique. moment, des organisations religieuses se sont mobilisées pour Plus de la moitié des grossesses en Amérique latine et dans faire pression ensemble et empêcher que Mainumby reçoive le les Caraïbes sont non désirées ou non prévues. Ce taux est traitement médical dont elle avait besoin et que la loi autorisait. le même depuis 198517 malgré une hausse du recours aux contraceptifs modernes. De nombreuses raisons expliquent cette Mainumby a été admise dans un hôpital, d’abord avec sa mère, situation, notamment les taux élevés de violences sexuelles et puis toute seule lorsque cette dernière a été arrêtée et inculpée en particulier de violences conjugales18 ; les difficultés d’accès pour avoir manqué à son devoir de mère et avoir été complice à la contraception19, y compris aux contraceptifs d’urgence ; et des violences subies par la fillette. Les chefs d’accusation les coutumes profondément ancrées qui associent avant tout les retenus contre la mère de Mainumby ont depuis été abandonnés, femmes à la maternité. mais elle a perdu son emploi. Le violeur de Mainumby reste en revanche en liberté. Mainumby a ensuite été internée dans un Ces discriminations ont un impact profond et durable sur la vie foyer sur décision judiciaire, laquelle limitait strictement les des femmes et des filles : 97 % des femmes en âge de procréer visites. Le 24 mai, jour du 11e anniversaire de Mainumby, sa en Amérique latine et dans les Caraïbes vivent dans des pays où mère a été autorisée à la voir pour la première fois, et ce pendant l’avortement est strictement limité par la loi20 – aucune autre 15 minutes. procédure destinée à sauver des vies n’est refusée par la loi à d’autres segments de la population. Mainumby a accouché par césarienne le 13 août 2015 et elle est sortie de l’hôpital 10 jours plus tard. L’impact de ce traumatisme Le 2 juillet 2012, quand Rosaura Arisleida Almonte Hernández, n’est pas encore clair. En revanche, il ne fait aucun doute qu’elle âgée de 16 ans, a ressenti une forte fièvre et d’intenses douleurs a de très grandes difficultés à obtenir les médicaments dont elle abdominales, sa mère Rosa l’a immédiatement emmenée a besoin pour reprendre des forces et à trouver le lait maternel au centre médical local de Saint-Domingue, en République qui lui permettrait de se consacrer à des points essentiels de dominicaine. Rosaura a appris qu’elle souffrait d’une forme son propre développement, notamment l’école, ce qui est quasi de leucémie qui la tuerait en quelques semaines si elle ne impossible tant qu’elle doit allaiter le bébé. bénéficiait pas d’un traitement en urgence. Rosaura était enceinte de sept semaines et le médecin a recommandé un Il est difficile de comprendre pleinement l’extrême cruauté qui avortement thérapeutique afin qu’elle puisse commencer sans consiste à forcer une enfant à poursuivre une grossesse qui est délai le traitement contre la leucémie. La mère et la fille ont un rappel quotidien de son viol – puis à accoucher et à allaiter le toutes deux affirmé clairement et à plusieurs reprises qu’elles nouveau-né. Le traitement infligé à Mainumby relève de la torture, souhaitaient procéder à l’interruption de grossesse afin de pouvoir car il s’agit de douleurs ou de souffrances aiguës, physiques ou entreprendre immédiatement le traitement. Toutefois, affirmant mentales, infligées intentionnellement dans un but précis (ici la que l’avortement était « interdit par la Constitution », les autorités discrimination) avec l’aval de représentants de l’État. de l’hôpital ont empêché qu’il soit pratiqué. L’histoire de Mainumby est extrêmement violente, mais son cas Finalement, le 26 juillet (soit 24 jours après la première n’est pas isolé au Paraguay ou dans la région, qui enregistre le hospitalisation de Rosaura), les médecins ont commencé le deuxième taux de grossesses le plus élevé au monde chez les traitement contre la leucémie. Le 16 août, Rosaura a fait une adolescentes15. Le taux de grossesse chez les filles de moins de fausse couche. Elle est morte le lendemain matin à 8 heures. 14 ans demeure inconnu. Toutefois, des études préliminaires très inquiétantes indiquent que le problème touche quasiment tous les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, et qu’il concerne surtout les familles pauvres, celles qui vivent dans les zones rurales et qui appartiennent aux populations autochtones16. 17 « Seguimiento de la CIPD en América Latina y el Caribe después de 2014: documento técnico », p. 25, disponible en espagnol uniquement sur : http://www.clacaidigital.info:8080/xmlui/ 14 « Si la vida de niña embarazada corre riesgo, interrumpirán handle/123456789/535. gestación, dicen », ABC Color, citation de Ricardo Oviedo, directeur de la maternité de la Trinidad, 24 avril 2015, disponible sur http://www. 18 29,8 % des femmes subissent des violences conjugales physiques abc.com.py/edicion-impresa/locales/si-la-vida-de-nina-embarazada- ou sexuelles, ou des violences sexuelles commises par quelqu’un qui corre-riesgo-interrumpiran-gestacion-dicen-1359702.html. n’est pas leur partenaire, voir http://www.who.int/reproductivehealth/ publications/violence/9789241564625/fr/. 15 UNFPA Paraguay, Joparé n° 53, juillet 2013, www.unfpa.org.py. 19 OMS, Planification familiale/Contraception : Aide-mémoire 16 Planned Parenthood, Fédération d’Amérique, rapport en anglais : n° 351 mis à jour en mai 2015, disponible sur http://www.who.int/ « Global: Stolen Lives » ; CLADEM (Comité de América Latina y mediacentre/factsheets/fs351/fr/. el Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer), rapport en espagnol : « Niñas Madres. Embarazo y maternidad infantil forzada en 20 Guttmacher Institute, « Facts on Abortion in Latin America and the América Latina y el Caribe », disponible sur http://www.cladem.org/ Caribbean », novembre 2015, disponible sur https://www.guttmacher. pdf/nin%CC%83as-madres-balance-regional. org/pubs/IB_AWW-Latin-America.pdf. 10 « ILS NE M’ONT JAMAIS CONSIDÉRÉE COMME UNE PERSONNE. ILS ME VOYAIENT COMME UNE COUVEUSE. »
Manifestation à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, à Saint-Domingue, en République dominicaine, le 25 novembre 2014. © Erika Santelices « Rien ne me rendra ma fille, mais je ne peux circonstances. Les taux de mortalité maternelle et de grossesse chez les adolescentes en République dominicaine sont parmi les pas passer à autre chose sans exiger qu’ils plus élevés de la région21. admettent clairement qu’ils ont eu tort. Tant En 2014, au moins 10 % des cas de mortalité maternelle que la situation ne sera pas éclaircie et que en Amérique latine et dans les Caraïbes étaient dus à des les responsabilités n’auront pas été établies, avortements réalisés dans des conditions dangereuses22. Le Salvador est l’un des huit pays au monde où le taux de mortalité rien n’empêchera une autre mère de subir ce maternelle a augmenté depuis 200323. Environ 760 000 femmes que j’ai vécu quand j’ai essayé d’obtenir un dans la région sont hospitalisées chaque année en raison de traitement pour ma fille. » Rosa Hernández, République dominicaine 21 Plus de 20 % des femmes de moins de 20 ans sont enceintes ou En décembre 2014, la République dominicaine a adopté un ont des enfants (Women and Health Collective, Boletín Ciudadanas nouveau Code pénal qui dépénalisait l’avortement dans quelques 2015, « 28 de Mayo. Día Internacional de Acción por la Salud de las cas : lorsque la vie ou la santé de la femme était en danger, Mujeres », p. 2-3). lorsque des malformations empêchaient le fœtus d’être viable ou 22 Guttmacher Institute, « Facts on Abortion in Latin America and the lorsque la grossesse était le résultat d’un viol ou d’un inceste. Caribbean », novembre 2015, disponible sur https://www.guttmacher. Toutefois, en décembre 2015, la Cour constitutionnelle a déclaré org/pubs/IB_AWW-Latin-America.pdf. que ce nouveau Code était inconstitutionnel, remettant ainsi en vigueur le Code pénal précédent, qui date de 1884. Depuis, la 23 Institute for health metrics and evaluation, disponible sur http:// République dominicaine est revenue au XIXe siècle et à des lois www.healthdata.org/news-release/sharp-decline-maternal-and-child- qui érigent l’avortement en infraction pénale dans toutes les deaths-globally-new-data-show. AMNESTY INTERNATIONAL MARS 2016 INDEX : AMR 01/4140/2016 11
Esperanza Huayama, présidente de l’Association des femmes de la province de Huancabamba, au Pérou, en octobre 2015. © Amnesty International / Raúl García Pereira complications liées à des avortements à risque24. Comme toujours Actuellement, loin d’éliminer les violences à l’égard des dans cette région, qui compte les plus fortes inégalités au femmes, le droit interne et les pratiques des États sont des monde, les besoins non satisfaits en matière de santé sexuelle et agents catalyseurs qui engendrent encore plus de violences. reproductive touchent de manière disproportionnée les personnes Ces violences prennent de multiples formes : maltraitance des qui vivent dans la pauvreté ou qui appartiennent à des groupes femmes et des filles et refus d’accès aux services de santé dans marginalisés. les établissements médicaux ; non-respect du secret médical ; imposition aux femmes et aux filles de décisions qui ne tiennent C’est l’État qui promeut et légitime la discrimination structurelle pas compte de leurs souhaits au profit d’opinions morales qui sous-tend toutes les violences liées au genre. L’ensemble du ou religieuses ; et de nombreux modes de discrimination. Le travail réalisé sur ces questions par les organisations locales de contexte actuel pousse certains professionnels de santé à penser défense des droits des femmes, les groupes de défense des droits qu’ils peuvent imposer leurs convictions ou exercer leur droit humains et les organes internationaux relatifs aux droits humains, à l’objection de conscience sans tenir compte des droits des ainsi que par Amnesty International, a permis à cette dernière femmes et des filles qu’ils sont censés soigner ou encore des de tirer une conclusion sans appel : les violences à l’égard des répercussions sur leur santé et leur vie. La conviction selon femmes ne seront pas éradiquées tant que les États de la région laquelle la vie et les opinions des femmes ont une importance n’auront pas modifié les lois discriminatoires les politiques des secondaire est ancrée dans la discrimination institutionnalisée et pouvoirs publics et les pratiques relatives à la santé sexuelle son résultat est une violence institutionnalisée à l’égard et reproductive. des femmes. 24 Guttmacher Institute, « Facts on Abortion in Latin America and the Caribbean », disponible sur https://www.guttmacher.org/pubs/IB_AWW- Latin-America.pdf. 12 « ILS NE M’ONT JAMAIS CONSIDÉRÉE COMME UNE PERSONNE. ILS ME VOYAIENT COMME UNE COUVEUSE. »
LA LUTTE POUR LA JUSTICE « Les gens disent que je suis illettrée. Mais cela ne me décourage pas. Dans notre organi- Les mouvements pour les droits des femmes et l’égalité entre sation, j’ai appris à être forte, à me défendre les hommes et les femmes en Amérique latine et dans les Caraïbes ne cessent de prendre de l’ampleur. Ils sont de plus en pour qu’on n’essaie pas de me tromper ou de plus organisés, subtils dans leur analyse des droits et efficaces se moquer de nous parce que nous sommes dans leurs actions de plaidoyer. Cependant, l’un des principaux facteurs qui permettent à la discrimination et à la souffrance indigènes. Dans l’AMHBA, nous nous sommes de se maintenir est le manque d’accès à la justice pour déposer organisées pour défendre les droits des fem- plainte et obtenir réparation pour les atteintes aux droits humains décrites dans ce rapport. mes stérilisées. » Âgée de 59 ans, Esperanza est mère de neuf enfants et vit dans La politique et la pratique de la stérilisation de masse n’ont plus le nord du Pérou, dans les Andes. Elle a expliqué à Amnesty cours au Pérou. Mais les responsables des violations des droits International qu’en 1998, « des promoteurs de la santé faisaient humains d’Esperanza et des autres femmes stérilisées sans leur le tour des villages pour nous rencontrer et nous informer qu’un accord pendant cette période continuent à jouir d’une impunité groupe de médecins de Lima allait venir dans la région. Ils totale. En refusant de garantir la vérité, la justice et des réparations nous ont dit de venir, pour recevoir de la nourriture et de l’aide. concernant ces graves atteintes aux droits humains, l’État soumet Beaucoup d’entre nous y sont donc allées. » les victimes de stérilisation forcée à de nouvelles violences. Quand Esperanza est arrivée à la polyclinique, elle a appris qu’on En avril 2015, le ministère public péruvien a rouvert l’enquête les avait fait venir pour leur ligaturer les trompes dans le cadre concernant la pratique systématique de stérilisations forcées dans du programme de planification familiale. Pendant l’opération, le pays, considérée comme une atteinte grave aux droits humains. Esperanza a entendu le médecin et l’infirmière discuter du fait À la date de rédaction de ces lignes, l’enquête était toujours qu’elle était enceinte. Elle les a suppliés de ne pas faire de mal en cours. En novembre 2015, le gouvernement a commencé à au fœtus, mais ils l’ont ignorée et ont poursuivi l’opération. enregistrer les noms des victimes de stérilisation forcée afin de leur fournir une aide psychologique et médicale et de faciliter leur accès à la justice. « J’ai perdu mon petit garçon contre mon gré à Tania, qui avait 31 ans et trois enfants au moment des faits, vit cause de ce que m’ont fait les médecins. Ils ne au Chili. Elle suivait un traitement contre le cancer lorsqu’elle se souciaient pas de ma vie ou de mon bébé. La a appris qu’elle était enceinte d’un quatrième enfant. Elle a déclaré à Amnesty International que le médecin responsable de perte de mon bébé est une douleur qui ne me son traitement avait omis de lui fournir des informations cruciales quitte jamais. » et de lui préciser qu’une grossesse impliquerait l’arrêt de son traitement contre le cancer et que sa vie serait donc en danger. Esperanza vit avec les séquelles de cette stérilisation forcée : « Ils ne m’ont jamais considérée comme une « Parfois, nous organisons des réunions avec personne, un être humain à part entière. Ils me quelques femmes qui ont également eu les voyaient comme une couveuse, quelqu’un qui trompes ligaturées. Elles aussi souffrent de pouvait mettre au monde des enfants. Et ensuite, maux de dos et de tête, les mêmes douleurs peu importe si je les élève ou non, si je meurs, que moi. Certaines sont restées en très si nous avons faim. Cela leur est égal. Pour eux, mauvaise santé et peuvent à peine marcher... nous sommes des couveuses. Des machines, des Nous ne voyons jamais de spécialistes. On nous machines à reproduire. » a oubliées. ». Tania a décidé d’avorter afin de pouvoir poursuivre le traitement dont elle avait besoin pour rester en vie. La procédure était illégale, avec tout ce que cela implique en termes de stress Esperanza préside actuellement l’Association des femmes de la supplémentaire et d’anxiété. Tania avait malgré tout la chance province de Huancabamba ( AMHBA). Elle continue de se battre de disposer des ressources suffisantes pour que l’avortement soit pour la justice : pratiqué sans danger dans une clinique. Pour énormément de femmes en Amérique latine et dans les Caraïbes, cette possibilité n’est pas envisageable. AMNESTY INTERNATIONAL MARS 2016 INDEX : AMR 01/4140/2016 13
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