IMPACT DES AMENAGEMENTS EN MONTAGNE SUR L'EVOLUTION GEODYNAMIQUE DES VERSANTS - TORRENT DE LA RAVOIRE, LES ARCS

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IMPACT DES AMENAGEMENTS EN MONTAGNE SUR L'EVOLUTION GEODYNAMIQUE DES VERSANTS - TORRENT DE LA RAVOIRE, LES ARCS
Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l'Ingénieur - JNGG' 2006 Lyon (France)

IMPACT DES AMENAGEMENTS EN MONTAGNE SUR L’EVOLUTION
GEODYNAMIQUE DES VERSANTS – TORRENT DE LA RAVOIRE, LES ARCS

Mathilde KOSCIELNY1, Roger COJEAN1, Isabelle THENEVIN1
1 Centre de Géosciences, ENSMP, Paris, France

RESUME - Depuis 40 ans, les torrents du versant des Arcs sont sujets à de fréquentes laves
torrentielles et glissements de terrain. Une démarche multidisciplinaire alliant géologie,
géomorphologie, géotechnique, hydrogéologie ainsi que l’étude de l’occupation des sols a été
mise en oeuvre pour comprendre la genèse de ces événements.

1. Introduction

Depuis le début des années 70, les torrents du versant Ouest des Arcs, historiquement inactifs
(Mougin, 1914), sont devenus le lieu de laves torrentielles fréquentes qui surviennent avec une
période de retour de 2 ans en moyenne. Vingt-neuf événements (laves et crues) ont été
comptabilisés depuis 1966 dans six des sept torrents qui drainent ce versant (Figure 1).

   Figure 1 : Nombre total d’événements de laves torrentielles survenus dans six torrents des
                                            Arcs.

La lave torrentielle la plus dévastatrice survint le 31 mars 1981 dans le torrent de la Ravoire.
Pendant les deux jours que dura l’événement, le torrent s’encaissa jusqu’à des profondeurs de
20 m sur une grande partie de son profil, charria un volume de matériaux estimé à 300 000 m3
jusqu’à l’Isère, et forma un cône de déjection d’une superficie de 5 ha et d’une épaisseur de 2
m environ. La lave laissa derrière elle un volume de terrains déstabilisés estimé à 1 500 000 m3
avec des pans entiers de berges à nu.
   Les conditions météorologiques relatives au déclenchement des laves torrentielles sont
variables d’un événement à l’autre. On observe cependant que la pluviométrie des 30 jours
précédant l’événement joue un rôle significatif, notamment à partir de la valeur de 75 mm. Les
torrents du versant des Arcs sont d’autant plus sensibles aux conditions météorologiques que
leur lit a subi des dommages au cours des laves torrentielles précédentes.
   D’après la figure 1, on distingue deux périodes d’intense activité torrentielle espacées par
sept ans d’inactivité. Chaque période se différencie par les torrents affectés. Cette progression
spatiale semble accompagner avec un décalage dans le temps, la construction et
l’aménagement des routes et stations du bassin supérieur (THARMIT, 1999) :
    - Entre 1966 et 1981, les laves et crues se sont uniquement produites dans les Moulins, la
         Ravoire et l’Eglise. Ces événements semblent être consécutifs à la construction, en
         amont, de la station d’Arc 1600 entrepris en 1966 (1966 : construction de la route des
         Arcs ; 1968, construction d’Arc 1600).

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     -     A partir de 1988, l’activité torrentielle reprend, mais cette fois, affecte principalement les
           trois torrents situés au sud du versant : le Saint-Pantaléon, le Villard et la Preissaz. Ces
           torrents sont situés en aval de la station d’Arc 1800 dont l‘aménagement a débuté en
           1973 et s’est prolongé jusqu’à ces dernières années.

2. Présentation du secteur d’étude
2.1 Géologie du site

   Le site des Arcs, situé sur la commune de Bourg-Saint-Maurice (Savoie), est délimité à l’est
par le chaînon quartzitique de l’Aiguille Grive (2732 m) - Pointe du Fond Blanc (2480), et à
l’ouest par le torrent de l’Isère. Les formations schisto-gréseuses (Figure 2) du Houiller
Briançonnais productif, généralement recouvertes de placages morainiques, constituent l’assise
du versant.

          Figure 2 : Contexte structural et géologique du versant des Arcs (d’après BRGM,1992)

2.2 Propriétés des sols

Les formations superficielles sont caractérisées par une granulométrie sablo-limoneuse qui leur
confère un comportement peu plastique. La phase argileuse est peu importante (< 10 %) et ne
comporte pas de minéraux gonflants. La plasticité de ces matériaux est majoritairement
influencée par la présence de matière organique. Ainsi, une augmentation de 1% du taux de
carbone organique se traduit en moyenne par une élévation de 5 % de la teneur en eau de la
limite de liquidité, et de 3 % pour la limite de plasticité. Cet ensemble de matériaux peu
plastiques et peu cohésifs (C= 30 kPa et ϕ = 36° en moyenne) est donc facilement mobilisable
pour de faibles apports d’eau.
    La capacité de drainage des matériaux morainiques est plus faible que celle du Houiller, plus
sableux. Face à une sollicitation pluviométrique, les moraines sont très rapidement saturées
(Tableau I) et donc plus favorables à la formation d’un ruissellement de surface.

           Tableau I : Paramètres hydriques des formations superficielles du versant des Arcs.

                          Teneur en eau à la
                                                  Porosité de drainage         Degré de saturation
                          capacité au champ
            Moraine              26%                       5%                           87 %
            Houiller             16 %                      19 %                         54 %

2.3 Hydrologie et hydrogéologie

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Sept torrents (Figure 3) drainent le versant sur une pente moyenne de 43 %. Les thalwegs sont
très prononcés dans la partie inférieure qui entaille nettement les formations du Houiller. Cette
zone de très fortes pentes est susceptible de générer des déstabilisations dans les berges.
   De plus, de nombreuses instabilités locales ou plus étendues comme le glissement actif situé
en rive gauche du torrent de la Ravoire, sont liées à la présence de circulations hypodermiques.

        Figure 3 : Localisation des sept torrents des Arcs et des stations de sports d’hiver.

2.4 Occupation du sol sur le versant de la Ravoire

A partir de 1966, la partie supérieure du bassin versant de la Ravoire (1,3 km² soit 52 % de la
surface totale du versant) est entièrement aménagée pour la pratique des sports d’hiver. Les
aménagements ont profondément modifié l’occupation du sol (Figure 4) du bassin amont par le
déboisement, la création de surfaces imperméabilisées (5 % des surfaces) telles que routes,
parkings, bâtiments, terrains de tennis et le remodelage des terrains en pistes de ski.

     Figure 4 : Occupation du sol sur le bassin versant supérieur de la Ravoire en 2003.
3. Modélisation du bilan hydrologique annuel du bassin versant de la Ravoire

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Le modèle est réalisé au moyen du logiciel PCRaster qui utilise des données ayant
essentiellement une structure de type raster. L’espace est discrétisé en mailles élémentaires
représentées par des cellules d’information.

3.1 Création du modèle de bilan hydrologique annuel

La modélisation du bilan hydrologique permet d’étudier de façon simplifiée le régime des
écoulements sur le bassin versant (Figure 6). Cette approche statique tient compte de la
répartition spatiale des divers processus impliqués. Pour cela, nous utilisons la formule
générale du bilan hydrologique qui permet de combiner les différentes expressions de
l’évaporation en un seul terme qui est l’évapotranspiration. La lame d’eau écoulée est
déterminée à partir de la relation hydrodynamique pluie-débit (Tableau II). L’évapotranspiration
est calculée selon la formule donnée par Thornthwaite (Laborde,1997). Cette formule simple
tient compte essentiellement des températures de l’air et permet d’estimer la lame d'eau
évaporée à partir de l'évaporation potentielle. L'évaporation des surfaces est estimée à partir de
la formule donnée par le bulletin FAO 56 (1998).

             Tableau II : Relations utilisées dans le modèle de bilan hydrologique annuel.

                                              Bilan hydrologique
                                                     P:      précipitations (mm)
                                                     ETR : évapotranspiration réelle (mm)
             P – ETR = Q + I + ∆R                    ∆R :    variation des réserves en eau (mm)
                                                     Q:      lame d’eau écoulée (mm)
                                                     I:      infiltration (mm)
                                                  Pluie-débit
                                                     Q:      lame d’eau écoulée (mm)
      Q =Pu × Ke avec Pu = P- ETR
                                                     Ke :    coefficient d’écoulement moyen
                                                     Pu : pluie utile (mm)
                                             Evapotranspiration
                              t                      ETP : évapotranspiration potentielle mensuelle
             ETP = 16 × (10 × ) a × K                       (mm)
                              I
       t              12
                                   1,6               K:     coefficient d'ajustement mensuel
  i = ( ) × 1,5 , I = ∑ i et a = (     × I ) + 0,5 T :      température moyenne mensuelle (°C)
       5               1           100
                                        Evaporation des surfaces
                  ETc = Kc × ETo                     ETc : évapotranspiration du couvert végétal (mm)
                                                     Kc : coefficient cultural
                                                     ETo : évapotranspiration du couvert végétal de
                                                            référence (mm)

3.2 Données d’entrée du modèle

3.2.1 Données locales
Le modèle s’appuie sur les valeurs de précipitations et de températures moyennes mensuelles.
Les variations climatiques liées à l’altitude sont prises en compte pour chaque paramètre, au
moyen d’un gradient vertical déterminé sur la base des données climatologiques et nivologiques
locales. Les paramètres liés aux propriétés des sols tel que le coefficient d’écoulement sont
adaptés de la bibliographie à partir des critères obtenus par les essais géotechniques.

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                     Figure 6 : Schéma de fonctionnement du bilan hydrologique.

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3.2.2 Couches d’informations géographiques
Les cartes d’entrée du modèle sont au nombre de trois (Figure 7) :
   - le Modèle Numérique de Terrain, à partir duquel on génère le réseau hydrographique,
   - la carte des affleurements géologiques,
   - la carte d’occupation du sol.

             Modèle Numérique de Terrain                                Géologie

   Occupation des sols avant les aménagements                Occupation actuelle des sols

   Figure 7 : Couches d’information géographique du bassin versant de la Ravoire (PCRaster).

3.3 Résultats
Les résultats proposés ont été calculés à partir des moyennes mensuelles pluviométriques de la
période 1949-2004, le module pluviométrique annuel moyen étant de 990,5 mm/an à Bourg-St-
Maurice.

3.3.1 Impact des surfaces imperméabilisées sur les débits
La carte de répartition des coefficients d’écoulement est obtenue par combinaison entre la carte
géologique et la carte d’occupation des sols. Les cartes de la figure 8 présentent la répartition
du coefficient d’écoulement avant la construction de la station d’Arc 1600 et avec les
aménagements actuels. Il apparaît que dans la configuration actuelle du versant, les surfaces
caractérisées par un coefficient d’écoulement élevé sont plus nombreuses. Elles concernent les
routes d’accès, les parkings, les bâtiments de la station ainsi que les pistes de ski dont le
compactage en surface augmente le phénomène de ruissellement.
    La valeur de la lame d’eau écoulée est en moyenne de 36 % sans les aménagements et de
39 % avec les aménagements (Figure 9). Cette augmentation de 3% du ruissellement, se
traduit par une augmentation significative de 24 % du débit moyen mensuel dans le torrent de la
Ravoire. Ainsi, en période de hautes eaux comme au mois de mai, le débit du torrent
initialement de 99 l/s est augmenté de 25 l/s du fait de l’influence de la station (Figure 10).

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                           (a)                                          (b)
 Figure 8: Répartition du coefficient d’écoulement en fonction du scénario d’occupation du sol.
    (a) scénario avant les aménagements, (b) scénario avec l’occupation actuelle des sols.

 Figure 9: Répartition mensuelle de la part d’eau ruisselée par rapport à la lame d’eau infiltrée
                            (scénario avec les aménagements).

    Figure 10 : Evolution du débit de la Ravoire au cours de l’année avec les aménagements
                                             actuels

3.3.2 Impact de la production de neige artificielle

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L’ensemble des stations des Arcs utilise environ 200 000 m3 d’eau pendant l’hiver pour produire
la neige artificielle nécessaire à l’ensemble du domaine skiable. Cette eau est en majorité issue
des bassins versants voisins.
Cet apport d’eau supplémentaire a été pris en compte dans le calcul du bilan hydrologique
annuel du versant de la Ravoire. Les résultats obtenus montrent qu’à l’échelle du versant de la
Ravoire, la fonte de la neige de culture augmente la lame d’eau totale fondue de 2 à 6 % selon
le mois considéré.

4. Conclusions et perspectives
La nature géologique du versant constitue un facteur de prédisposition majeur pour la
génération de laves torrentielles et le déclenchement de glissements de terrains. Toutefois, les
activités anthropiques et la transformation du milieu naturel constituent des facteurs aggravants.
De nombreux travaux ont déjà illustré cette conclusion générale, (en particulier Thouret et al.,
1995).
   Notre apport spécifique concerne l’analyse de la modification progressive de l’occupation du
sol, des réseaux hydrologiques, l’imperméabilisation des surfaces, le compactage et le
remodelage des pistes de ski qui ont un impact certain sur la formation du ruissellement et sur
le réacheminement des eaux. Cette influence mise en évidence par l’analyse paramétrique
sous PCRaster, se traduit par l’augmentation globale des débits des torrents. Ce phénomène
est accentué au printemps par l’apport d’eau supplémentaire issu de la fonte de la neige de
culture.
   Cette augmentation significative du débit des torrents sur des matériaux peu cohérents
accentue le phénomène d’érosion des chenaux et la formation de zones sources de laves
torrentielles.
   Le modèle réalisé sur le bassin versant de la Ravoire est applicable à l’ensemble des sous-
bassins versants des Arcs. Il peut constituer un outil prédictif d’aide à la décision en l’utilisant
comme simulateur d’événements de type crue torrentielle.

5. Références bibliographiques

BRGM (1992) Notice explicative de la feuille de Bourg-Saint-Maurice à 1/50 000, ed.
  BRGM,110 p. + annexes.
Bulletin FAO d’irrigation et de drainage n°56 (1998) Crop evapotranspiration - Guidelines for
  computing crop water requirements. Food and Agriculture Organization of the United Nations.
  Rome.
Dehotin (2003) Utilisation d'un système d'Information Géographique de type Raster pour l'étude
  géologique et hydrologique d'un bassin versant. Rapport de DEA Géomatériaux, 50 p. +
  annexes.
Koscielny M., Thenevin I., Cojean R. (2005) Man-caused alterations of the water balance in
  montaneous catchment resulting from the development of ski areas. European Geosciences
  Union, Vienna.
Laborde. J.P. (1997) Eléments d'hydrologie de surface. Université de Nice, Centre National de
  la Recherche Scientifique.
Mougin P. (1914) Les torrents de la Savoie, Grenoble, Grands Etablissements de l’Imprimerie
  Générale, 1251 p.
THARMIT (1999)Torrent Hazard Control in the European Alps: Practical tools and
  methodologies for hazard assessment and risk mitigation. E.U. Contract EVG1.
Thouret J.C., Vivian H., Fabre D. (1995) Instabilité morphodynamique d’un bassin versant alpin
  et simulation d’une crise érosive (L’Eglise-Arc 1800, Tarentaise). Bull. Soc. Géol. Fr n°5, pp.
  587-600.

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