IMPACT DES PRATIQUES AGRICOLES SUR LES COMMUNAUTÉS D'OISEAUX : L'EXEMPLE DE PRAIRIES DANS LE HAUT-DOUBS
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Impact des pratiques agricoles sur les communautés d’oiseaux : l’exemple de prairies dans le Haut-Doubs Dominique Michelat, Gérard Vionnet & Patrick Giraudoux G. Vionnet Exploitation du Montrainsant, Doubs, France. Au centre : prairies éloignées des zones boisées ; en haut à droite : prairies en lisières forestières exposées à l’est. 11 mai 2010. Les modes d’exploitation des milieux agricoles conditionnent la richesse et l’abondance des espèces. Le suivi ornithologique d’une exploitation agricole biologique dans le Haut-Doubs, qui prend spécialement soin des milieux favorables à la faune et à la flore sauvages, nous a permis de comparer son peuplement avien avec les exploitations voisines, conventionnelles. Parmi l’avifaune d’Europe de l’Ouest, une agricoles est la principale cause de ces raréfac- grande partie des espèces d’oiseaux nicheurs tions (Broyer & Curtet 2005). Sensibles dès le dépend des milieux agricoles. Ces habitats milieu du XXe siècle, ces déclins très importants concentrent donc de très forts enjeux pour ont amené certaines espèces à des niveaux de leur conservation (Le Roux et al. 2008). Or, c’est population qui les rendent particulièrement parmi ce groupe que l’on trouve les espèces qui vulnérables aux autres facteurs d’extinction, connaissent les plus forts déclins (Donald et al. notamment les changements globaux, la pollu- 2006 ; Filippi-Codaccioni et al. 2010) et la propor- tion… (MacLaughlin & Mineau 1995 ; Chamber- tion la plus importante d’espèces menacées lain et al. 2000 ; Donald et al. 2001). (environ 125). L’intensification des pratiques Grâce au programme Pan European Common Nos Oiseaux 62 : 67-90 – 2015
© Google Earth Figure 1 – Situation de la zone d’étude. Le trait bleu montre la limite de l’exploitation agricole du Montrainsant ; les points jaunes sont les IPA placés dans l’exploitation du Montrainsant et les rouges les IPA placés dans les exploitations en périphérie. Bird Monitoring Scheme (2010), décliné sous la Alauda arvensis ont chuté de 30 % en 20 ans forme du programme STOC-EPS en France et la Linotte mélodieuse Carduelis cannabina a (Julliard & Jiguet 2002) et Swiss Bird Index en vu ses populations fondre de 72 % durant la Suisse (Zbinden et al. 2005), nous disposons même période (Julliard & Jiguet 2005 ; Jiguet & d’indices permettant de connaître l’évolu- Moussus 2010 ; Vigie-nature 2011). En Suisse, tion des populations des différentes espèces entre 1988 et 2006, les espèces caractéris- d’oiseaux nicheurs communs dans le contexte tiques du paysage agricole ont vu leurs effec- biogéographique de notre zone d’étude, mais tifs chuter d’environ deux tiers dans la vallée également des groupes d’espèces selon les du Rhône (Sierro et al. 2009). milieux qu’elles fréquentent (espèces fores- En 2000, la France s’était engagée aux tières, espèces caractéristiques des milieux côtés d’autres Etats européens à mettre fin agricoles…) ou encore selon leur statut (séden- au recul de la biodiversité. En 2010, les bilans taires, migratrices partielles, migratrices trans- montrent qu’à petite échelle (et donc sur de sahariennes…). Ainsi, on sait qu’au sein de grandes surfaces), l’objectif fixé n’est pas l’Union Européenne, les effectifs de 36 espèces atteint, notamment en ce qui concerne les d’oiseaux caractéristiques des milieux agricoles oiseaux nicheurs les plus menacés. Les popu- ont chuté de 21 % entre 1990 et 2005, et lations de nombreuses espèces continuent de même de 48 % sur la période 1980-2011 (Pan régresser ou stagnent à un niveau très bas. En European Common Bird Monitoring Scheme 2011). Suisse, également signataire de cet engage- La France et la Suisse n’échappent pas à ment, le suivi à long terme de l’évolution des ce constat. Entre 1989 et 2009, la France a populations de 38 espèces d’oiseaux caracté- perdu 25 % de ses effectifs d’oiseaux nicheurs ristiques des zones agricoles permet de calcu- en milieu agricole et, après une relative stabi- ler un indice d’évolution des populations de ce lisation au milieu des années 2000, une groupe d’oiseaux. Sur la période 1990-2009, nouvelle baisse est enregistrée en 2009. A titre cet indice montre une tendance au déclin d’exemple, les effectifs d’Alouette des champs jusque dans les années 2000, suivie d’une 68
M ichelat , D. et al. : Impact des pratiques agricoles sur les communautés d’oiseaux évolution positive, qui ramène cet indice prati- régions céréalières et que la biodiversité y soit quement aux valeurs enregistrées au début du encore élevée, on note néanmoins un recul des suivi (Keller et al. 2010). Une analyse plus fine espèces caractéristiques des milieux agricoles révèle qu’en fait cette relative stabilité tient, en les plus menacées dans les régions d’élevage partie, à l’augmentation de six espèces parti- dans le Jura suisse (OFAG 2009) ou dans le culièrement opportunistes, parmi lesquelles Jura français. C’est le cas par exemple du Râle la Corneille noire Corvus corone, le Corbeau des genêts Crex crex, de la Pie-grièche grise freux C. frugilegus, la Pie bavarde Pica pica et Lanius excubitor, du Tarier des prés (Lefranc & le Moineau friquet Passer montanus. A l’op- Paul 2011 ; Michelat et al. 2012). posé, 12 espèces présentent une évolution Dans le contexte d’agriculture de moyenne négative, dont l’Alouette des champs, le Tarier montagne tournée vers l’élevage, l’intensifi- des prés Saxicola rubetra et la Grive litorne cation s’accompagne d’une augmentation de Turdus pilaris. Un autre indice calculé sur la la taille des parcelles, d’une fertilisation géné- base de 27 espèces liées aux milieux agricoles, ralement plus importante à base d’engrais et dont les populations doivent être conservées organiques ou chimiques, de fauches plus et favorisées, indique une nette tendance à la précoces, plus nombreuses, plus rapides et baisse. Ces diminutions sont cependant d’une réalisées sur une durée nettement moindre et ampleur nettement trop grande pour trouver parfois d’un drainage profond. Jusqu’au début leur cause dans le recul de la surface des terres des années 2000, les prairies d’altitude ont été agricoles sous l’effet de l’urbanisation crois- relativement épargnées. Cependant, l’intensifi- sante (Birrer et al. 2011). cation s’y fait désormais également sentir avec D’une manière générale, les systèmes l’utilisation d’engrais jusque sur les pelouses prairiaux les plus riches en espèces sont ceux d’alpage jurassien. qui sont peu productifs. Ces milieux sont en Cette évolution se traduit indéniablement décroissance importante en Europe, soit par par une diminution de l’hétérogénéité à toutes intensification, soit, à l’inverse, par aban- les échelles : don (Bakker & Berendse 1999 ; Strijker 2005). – à celle des parcelles, qui sont de plus en plus Désormais, ils sont localisés dans des régions grandes et homogènes, par disparition des où l’intensification agricole est peu marquée habitats de lisières (chemins, murets, arbres (Bakker & Berendse 1999 ; Hodgson et al. 2005 ; isolés, haies, talus, fossés…), Poschold et al. 2005). Selon Broyer & Curtet – mais également à celle des régions, qui sont (2005), les peuplements d’oiseaux prai- tournées vers une agriculture spécialisée, riaux ne subsistent en France que dans deux – et à celle du paysage, qui devient quasiment paysages particuliers : les prairies d’altitude et identique sur de vastes surfaces (Benton et les plaines alluviales inondables. Pour plusieurs al. 2003). espèces aujourd’hui menacées de disparition, Cette évolution conduit à une baisse de la les régions de montagne, et notamment de diversité à l’échelle de ce dernier. Le morcel- moyenne montagne, jouent le rôle de zones lement du paysage (réduction de la taille des refuges et accueillent désormais les popula- parcelles, présence de haies) semble indis- tions numériquement importantes. Le Milan pensable à un maintien d’une forte diversité royal Milvus milvus, le Tarier des prés, toutes biologique (van Elsen 2000), même si certaines deux classées en liste rouge en Franche-Comté espèces (outardes, courlis par exemple) ont et en France (Ligue pour la protection des oiseaux besoin de grandes étendues homogènes. de Franche-Comté 2008 ; UICN et al. 2011), L’abandon des terres agricoles s’accompagne sont des exemples de ces situations. Ces deux quant à lui de la fermeture du milieu, qui espèces ont pratiquement disparu de plaine en évolue vers un stade forestier et se traduit Franche-Comté en tant que nicheuses et les également par la disparition des espèces liées populations importantes subsistent au-dessus aux milieux ouverts. de 600 m pour le Milan royal et de 800 m Jusqu’à présent, les ornithologues ont bien pour le Tarier des prés. Bien que la situation documenté la baisse des effectifs des popu- soit moins dramatique que dans les grandes lations d’oiseaux des paysages agricoles. Sur 69
Tabl. 1 – Comparaison des caractéristiques de l’exploitation agricole du Montrainsant et des limitrophes. En italique apparaissent les mesures qui relèvent de la charte personnelle de l’exploitant ; en gras, celles du cahier des charges de l’agriculture biologique.1 Exploitation du Montrainsant Exploitations limitrophes Type Biologique : AB certification Ecocert, avec charte Conventionnelle du Haut-Doubs, d’agriculture personnelle originale pour protection de la biodi- respectant la charte de qualité de l’AOP versité et de la naturalité maximale des surfaces. Comté. Utilisation Système pâturé en intégralité ; faible nombre de Environ 60 % pâtures et 40 % prairies des surfaces parcelles fauchées tardivement (moins de 15 % de de fauche, dont certaines jamais pâtu- la SAU). Aucun regain. Les effets bénéfiques du rées. Ecologiquement : limitation de grand herbivore sur le fonctionnement de l’éco- « l’effet facilitant » lié à la présence de système (Mårell et al. 2012) sont optimisés. grands herbivores (Danell et al. 2006). Troupeau Estivage de 45 vaches allaitantes (mai-oct.) et de Pour chaque ferme, en moyenne 70 25 génisses laitières ; pension de 10 chevaux à bovins montbéliards (50 vaches laitières l’année et 25 en hiver ; atelier de bovins rustiques et une vingtaine de génisses et veaux). pour pâturage estival en sites protégés (Réserve Cependant, les parcelles échantillonnées naturelle du lac de Remoray et site Natura 2000), dans cette étude, éloignées de la ferme, élevage et dressage de chevaux, basse-cour, sont utilisées uniquement par des ovins, potager. génisses et pour la fauche. Type de Viande, chevaux de travail et loisirs, services Lait à Comté, génétique laitière. production écologiques Pression Autour de 1 UGB/ha. Environ 1,2 à 1,4 UGB/ha. de pâturage Productivité Moyenne Moyenne à très élevée selon les cas par animal (Vaches Laitières Haute Production). Traitements Traitements collectifs et prophylactiques Traitement préventif contre les parasites antiparasitaires bannis (sauf une année exceptionnelle en 10 de façon systématique avant la mise à ans), mais instaurés au cas par cas lorsque le l’herbe, souvent avec de l’ivermectine. diagnostic est posé. Eléments fixes Murets de pierres sèches, bosquets, tas de Pas systématiquement conservés ; la du paysage branches ou bois pourrissants conservés, zones suppression des haies et buissons est humides et mares maintenues. avérée. Pâturage Animaux présents en très faible charge (0,2 UGB/ Voisin le plus intensif : déprimage début ha) du 20 oct. au 20 mai. Chargement utile tardif, mai, 1re fauche début juin, 2e fauche 35 après le 20 mai, sous forme de pâturage tour- à 45 jours plus tard, puis un ou deux nant : dernières parcelles en réserve tardive pâtu- pâturages selon l’année. rées après le 20 juil. (ou fauchées après le 14 juil.) Intrants Aucun. 250 kg/ha d’un mélange phosphate- chimiques potasse au printemps, de 100 kg/ha sur les prairies d’ammo-nitrates après les foins ; très variable selon les voisins et les années. Fumure et Système fumier/compost en fumière extérieure Production de lisier pour trois des six effluents (non couverte) en site choisi et surveillé avec très exploitations limitrophes, les trois autres peu de jus. Ni lisier ni purin. 150 tonnes annuelles produisant du fumier. Apport en lisier, réparties de manière tournante sur une douzaine fumier ou compost en automne, le cas d’hectares. échéant sur la totalité des surfaces. Produits Aucun. Selon les cas, herbicide type Roundup phytosanitaires (ND), débroussaillant type Chardol (ND). Composition Très équilibrée en dicotylédones par rapport aux Graminées dominantes à très domi- floristique graminées. nantes. Maturité foin Tardive. Précoce. Conduite Extensive/très moyenne. Intensive à très intensive/élevée à très des surfaces/ élevée. quantité de matière sèche produite / ha / an Productivité Peu élevée, mais prolongée au fil de l’été ; prairies Productivité totale importante, jusqu’à fourragère « plates » (Daccord 1991 ; Broyer 1997), très exten- 50 quintaux/ha. sives, autour de 35 quintaux/ha. Biodiversité Forte : « prairies fleuries ». 180 espèces de plantes Faible : richesse environ 40 % inférieure floristique répertoriées. aux prairies du Montrainsant. Associations Cinq associations de trois habitats Natura 2000 : Lolio-Cynosuretum ou de l’Heracleo- végétales prairies de fauche de montagne (Alchemillo- Brometum, groupements eutrophes présentes Brometum et Euphorbio-Trisetetum), pelouses fortement impactés par les activités calcicoles (Gentiano-Brometum) et prés humides agricoles, à côté de petites surfaces oligotrophes montagnards (Trollio-Molinietum). d’Alchemillo-Brometum et de Gentiano- Présence historique de l’association fleurie de Cynosuretum. l’Euphorbio-Trisetetum. Absence des taxons eutrophes, majoritaires aujourd’hui en prairies de montagne (type Lolio-Cynosuretum, etc.) 1 Le cahier des charges de l’agriculture biologique et la charte personnelle de l’exploitant peuvent être envoyés sur simple demande adressée à : gerard.vionnet@espaces-naturels.fr 70
M ichelat , D. et al. : Impact des pratiques agricoles sur les communautés d’oiseaux Exploitation du Montrainsant Exploitations limitrophes Lutte contre les Piégeage occasionnel des campagnols en Usage ponctuel d’un rodenticide campagnols début de pullulation ; pas de passage de rabots. (bromadiolone) et usage printanier systématique du rabot herse à taupi- nières. Sol Passages mécanisés très limités ; parfois zéro par Un à plusieurs passages en plein par an en plein pour éviter le tassement des sols. année. Technique de Centrifuge. Centripète. fauche Mise en défens Mise en défens des secteurs de nidification Aucune mise en défens constatée. à Caille des blés, Alouette des champs, Pipit farlouse, Pipit des arbres, Tarier des prés. cette base, ils ont fait des propositions de désormais classique dans une région d’éle- gestion pour maintenir la biodiversité dans vage comme le Haut-Doubs. Il a pour origina- ces paysages (Documentation française 2012 ; lité de porter sur des exploitations herbagères, Hennique et al. 2013, etc.), et également par constituées exclusivement de prairies naturelles le biais des mesures agro-environnementales situées en zone de moyenne montagne. territorialisées (dispositif MAETER et DOCOB des sites Natura 2000). Le rapport réalisé par Oréade-Brèche (2005) sur l’évaluation des mesures agro-environ- Matériel et méthodes nementales cite de nombreuses études qui démontrent les effets positifs de la mise en œuvre de ces mesures sur la biodiversité, Présentation de la zone d’étude mais les auteurs concluent sur le manque La zone d’étude se trouve sur le deuxième d’études confirmant l’effet bénéfique des plateau du Jura, à environ 850 m d’altitude, mesures de réduction des transferts d’engrais dans le département du Doubs. Elle s’étend et de pesticides et de conservation d’habitats sur les communes de Malpas, La Planée, Laber- pour les espèces remarquables menacées. Ce gement-Sainte-Marie et Vaux-et-Chantegrue même rapport ajoute que même si la mise en (fig. 1). pratique des mesures agro-environnementales Le paysage est un petit synclinal de 750 m se traduit généralement par des effets posi- à 1 km de large, orienté nord-est/sud-ouest tifs sur les milieux, la faune et la flore, il n’est et exploité en prairies pâturées et prairies de pas toujours possible d’extrapoler ces résul- fauche. Ce val est encadré de deux reliefs tats pour d’autres sites et d’autres espèces. boisés culminant à un peu plus de 900 m d’al- Les auteurs conseillent donc d’accumuler les titude. études locales permettant de répondre à la Les exploitations agricoles sont tournées question de la relation entre les conduites agri- vers l’élevage bovin, majoritairement pour coles plus respectueuses de l’environnement et la production de lait en vue de la fabrication leurs effets attendus sur la biodiversité et les du fromage de Comté et dans une moindre niveaux de populations des espèces présentes. mesure la production de viande, et l’élevage Kleijn & Sutherland (2003) font également le équin. Le fond de ce val est parcouru par un constat du manque de recherches ayant pour petit cours d’eau qui circule au sein d’une objectif d’évaluer l’efficacité des programmes dépression humide. Les forêts sont constituées agro-environnementaux. en grande partie de résineux (hêtraie sapinière Le présent travail répond à ces demandes. Il a de montagne, pessière) et les lisières exposées pour objet de comparer l’avifaune d’une exploi- au soleil levant contiennent de nombreuses tation agricole qui applique des propositions essences à feuilles caduques. Le peuplement de gestion favorables à la flore et la faune avec forestier est relativement jeune en bordure des celles des exploitations situées immédiatement exploitations agricoles. L’habitat humain est en périphérie et qui appliquent une gestion presque absent, puisque seules deux grosses 71
G. Vionnet Exploitation du Montrainsant, Doubs, France. Prairies éloignées des zones boisées ; ferme d’habitation ; prairies entourées de forêts. 12 juin 2010. fermes et trois bâtiments servant de refuges un plan de gestion écologique et la mise en pour le bétail (« loges ») sont présents. Les place de suivis de la flore et de la faune en villages les plus proches sont éloignés de 2 et relation avec des programmes scientifiques 2,5 km. (Collaud 2008 ; Dietre 2010 ; Mauchamp 2012 ; L’exploitation du Montrainsant s’étend sur Mauchamp et al. 2013). une superficie de 60 ha. Cette surface est Le tableau 1 compare les caractéristiques de occupée par des prairies permanentes natu- l’exploitation agricole du Montrainsant et des relles (pâturage et fauche), quelques bosquets, exploitations agricoles limitrophes. haies et arbres isolés, de petites zones humides avec un petit plan d’eau et un cours d’eau. Le Plan d’échantillonnage système d’exploitation des surfaces est essen- tiellement pâturé : 95 % contre 5 % de prairies Le peuplement d’oiseaux a été évalué par de fauche. la méthode des Indices ponctuels d’abondance La ferme est subdivisée en quatre ateliers : (IPA) (Blondel et al. 1970 ; Williamson & Tomia- 1) estivage de 45 vaches allaitantes de mai à lojc 1977 ; Blondel et al. 1981). Selon le proto- octobre et de 25 génisses laitières ; 2) pensions cole, deux passages avec récolte de données de chevaux : 10 individus à l’année et 25 en de vingt minutes par point d’écoute ont été hiver ; 3) atelier de bovins rustiques pour pâtu- réalisés (début et fin du printemps), en mati- rage estival en sites protégés (Réserve naturelle née, par beau temps et absence de vent. La du lac de Remoray et site Natura 2000) ; 4) récolte des données a été réalisée entre 6h30 élevage et dressage de chevaux. S’y ajoutent et 9h00 lors du premier passage, entre 6h00 des petits ateliers divers pour autoconsom- et 9h00 lors du second. Pour chaque point mation et/ou vente de proximité : basse-cour, d’écoute, le meilleur indice des deux passages ovins, potager… a été retenu pour l’analyse. L’exploitation se caractérise par une forte Au maximum, six IPA ont été effectués orientation en faveur de la biodiversité, avec au cours d’une même matinée. Les premiers 72
M ichelat , D. et al. : Impact des pratiques agricoles sur les communautés d’oiseaux passages ont été réalisés entre le 27 et le d’exploitation agricole) à proximité des fermes 29 avril 2011 et les deuxièmes entre le 11 et d’habitation. 13 juin 2011. Pour limiter l’impact de la météorologie le La valeur 1 est attribuée à une espèce pour jour du recensement, les IPA ont été réalisés tout contact visuel ou auditif avec un couple, par paires : les mêmes milieux ont été prospec- un nid occupé, une famille, un adulte transpor- tés le même matin et nous avons alterné un IPA tant de la nourriture, un mâle chanteur et la sur l’exploitation du Montrainsant avec un IPA valeur 0,5 à un oiseau seul ne chantant pas. sur les exploitations limitrophes. Par exemple, Les valeurs par espèce et par passage sont le premier matin, ont été réalisés un IPA en additionnées jusqu’à un indice maximum de 5. lisière forestière sur une exploitation limitrophe Afin de s’affranchir des variables « paysage » du Montrainsant, puis les deux IPA en lisière et « météorologie », nous avons comparé les forestière sur l’exploitation du Montrainsant résultats des points d’écoute proches géogra- et enfin l’autre IPA en lisière forestière sur une phiquement, situés dans des milieux et des exploitation limitrophe. Les alternances ont expositions géographiques comparables, mais été maintenues durant les autres matinées de exploitées de manières différentes d’un point réalisation des IPA. de vue agricole. Ainsi, pour chaque IPA placé sur l’exploitation du Montrainsant, nous avons Analyse des données placé un IPA dans un paysage et une expo- sition géographique comparables sur une Dans le but de cerner l’impact des pratiques exploitation agricole limitrophe. Cette situa- agricoles sur le peuplement d’oiseaux, nous tion fut facilitée par le fait que l’exploitation avons comparé, pour chaque espèce, le total du Montrainsant se trouve dans une combe et des scores IPA obtenus sur les huit IPA de qu’il était aisé de choisir des points en amont chaque échantillon (tabl. 2). ou en aval ayant une même exposition. Les Dans un deuxième temps, les espèces ont différents milieux ont été échantillonnés en été groupées selon le milieu dont elles sont fonction de leur abondance. Comme il n’y a caractéristiques. Cette répartition a été réali- qu’une habitation sur l’exploitation agricole sée d’une part selon le classement proposé par du Montrainsant, nous avons choisi une habi- Ferry (1973) pour les oiseaux nicheurs de Côte tation (hors agglomération) à proximité. La d’Or et d’autre part selon le classement établi situation était identique pour l’enclave fores- sur la base de l’analyse des données STOC-EPS tière (une seule au Montrainsant). Par contre, en France (Vigie-nature 2011). les prairies en lisières forestières et les prairies Afin de mesurer l’impact des pratiques agri- éloignées des zones boisées sont plus éten- coles sur le peuplement d’oiseaux, nous avons dues au Montrainsant et en périphérie et, par comparé les indicateurs suivants sur les deux conséquent, nous avons pu effectuer plusieurs groupes d’IPA : IPA dans chacun de ces types de milieux. (1 & 2) richesse totale et richesse moyenne par Les points ont été placés de manière à éviter IPA pour chaque type d’exploitation les doubles comptages. En raison de la superfi- agricole ; cie de l’exploitation du Montrainsant, il n’a pas (3) indice de l’abondance du peuplement été possible de placer plus de huit IPA sur cette d’oiseaux sur chaque type d’exploitation exploitation. Huit points d’écoute ont donc été agricole (obtenu en effectuant la somme répartis dans les exploitations périphériques, à des scores des différentes espèces pour raison de deux IPA (un sur chaque type d’ex- les huit IPA de chaque type d’exploita- ploitation agricole) dans des prairies entourées tion) ; de forêts, quatre IPA (deux fois deux) en prairies (4 & 5) richesse totale et richesse moyenne pâturées situées en lisières forestières exposées par IPA en espèces caractéristiques à l’est, quatre IPA (deux fois deux) dans des des milieux agricoles, selon le classe- prairies humides en limite de marais, quatre ment basé sur le programme STOC-EPS IPA (deux fois deux) en prairies éloignées des en France (Vigie-nature 2011) et pour zones boisées, deux IPA (une sur chaque type chaque type d’exploitation agricole ; 73
Tabl. 2 – Comparaison des sommes des scores IPA sur l’exploitation agricole du Montrain- sant et des IPA effectués dans les zones agricoles en périphérie immédiate. En gras, les espèces dont la différence est significative au seuil alpha < 0,05 ; en italique, au seuil alpha < 0,08. Milieu caractéris- Milieu caractéris- Scores totaux Scores totaux tique (Ferry 1973) tique (Vigie-nature des 8 IPA des 8 IPA en 2011) Montrainsant périphérie Héron cendré aquatique 3.0 1.5 Canard colvert aquatique 0.0 0.5 Milan noir forêt dégradée 0.5 2.5 Milan royal forêt dégradée 1.5 1.0 Epervier d’Europe forêt pure 0.5 0.0 Buse variable forêt pure 1.5 5.0 Caille des blés habitat découvert 1.0 2.0 Pigeon ramier forêt pure autre 4.0 5.5 Coucou gris forêt dégradée autre 4.0 4.0 Martinet noir rupestre & bâtiment urbain 0.5 2.5 Pic vert forêt pure autre 0.0 2.0 Pic noir forêt pure forestier 0.5 0.0 Pic épeiche forêt pure autre 2.5 3.5 Alouette des champs habitat découvert agricole 10.5 5.5 Hirondelle rustique rupestre & bâtiment agricole 4.5 6.0 Hirondelle de fenêtre rupestre & bâtiment urbain 0.5 6.0 Pipit rousseline habitat découvert 1.0 0.0 Pipit des arbres forêt dégradée forestier 13.0 10.0 Pipit farlouse habitat découvert agricole 5.5 6.5 Bergeronnette printanière habitat découvert agricole 0.0 0.5 Bergeronnette grise habitat découvert urbain 7.0 4.5 Troglodyte mignon forêt pure autre 4.5 5.0 Accenteur mouchet forêt dégradée autre 6.0 7.0 Rougegorge familier forêt pure autre 7.0 7.0 Rougequeue noir rupestre & bâtiment urbain 6.0 6.0 Rougequeue à front blanc forêt pure forestier 0.0 0.5 Tarier des prés habitat découvert agricole 13.5 3.5 Tarier pâtre forêt dégradée agricole 3.0 5.0 Merle noir forêt pure autre 12.5 10.0 Grive litorne forêt dégradée autre 5.0 4.0 Grive musicienne forêt pure autre 11.0 11.0 Grive draine forêt pure forestier 9.0 5.5 Locustelle tachetée aquatique humide 1.0 0.0 Rousserolle verderolle aquatique humide 2.0 2.5 Fauvette grisette forêt dégradée agricole 3.0 2.0 Fauvette des jardins forêt dégradée autre 1.0 3.0 Fauvette à tête noire forêt dégradée autre 17.0 21.0 Pouillot véloce forêt dégradée forestier 7.0 7.0 Pouillot fitis forêt dégradée autre 11.0 14.0 Roitelet huppé forêt pure forestier 2.0 3.0 Roitelet à triple bandeau forêt pure forestier 3.0 3.0 Gobemouche gris forêt pure autre 2.5 0.0 Gobemouche noir forêt pure forestier 0.5 0.0 Mésange à longue queue forêt pure autre 0.0 1.0 Mésange nonnette forêt pure forestier 4.5 5.0 Mésange boréale forêt dégradée agricole et forestier 0.0 0.5 Mésange huppée forêt pure forestier 0.5 1.5 Mésange noire forêt pure forestier 14.0 12.0 Mésange bleue forêt pure autre 1.0 1.5 Mésange charbonnière forêt pure autre 4.0 7.0 Sittelle torchepot forêt pure forestier 4.0 1.0 Grimpereau des bois forêt pure forestier 1.0 2.0 Pie-grièche écorcheur forêt dégradée agricole 1.0 1.5 Geai des chênes forêt pure forestier 1.5 0.5 Pie bavarde forêt dégradée autre 1.0 0.0 Cassenoix moucheté forêt pure forestier 1.0 1.5 Corneille noire forêt dégradée autre 6.5 9.5 Grand Corbeau forêt pure autre 1.5 1.5 Etourneau sansonnet forêt dégradée agricole 5.0 1.0 Pinson des arbres forêt pure autre 23.0 19.0 Serin cini forêt dégradée agricole 3.0 1.0 Verdier d’Europe forêt dégradée urbain 4.0 2.0 Chardonneret élégant forêt dégradée urbain 9.5 3.0 Linotte mélodieuse forêt dégradée agricole 6.5 4.0 Bec-croisé des sapins forêt pure 0.5 0.0 Bouvreuil pivoine forêt dégradée forestier 2.0 2.0 Bruant jaune forêt dégradée agricole 5.0 2.0 Bruant des roseaux aquatique humide 1.0 0.0 74
M ichelat , D. et al. : Impact des pratiques agricoles sur les communautés d’oiseaux Tabl. 3 – Résultats des indices calculés sur la base des guildes d’espèces caractéristiques des différents types de milieux. En gras, les espèces dont la différence est significative au seuil alpha < 0,05 ; en italique, au seuil alpha < 0,08. Montrainsant Périphérie Nbre total d’espèces 62 59 Nbre moyen d’espèces par IPA pour chaque type d’exploitation 27,9 26,5 Somme des scores des 8 IPA de chaque type d’exploitation 290 269 Nbre d’espèces des milieux agricoles (Vigie-nature 2011) 11 13 Nbre moyen de ces espèces par IPA pour chaque type d’exploitation 5,8 4,4 Somme des scores des 8 IPA pour ces espèces 60,5 39,0 Nbre d’espèces des habitats découverts (Ferry 1973) 6 6 Nbre moyen de ces espèces par IPA pour chaque type d’exploitation 3,2 2,5 Somme des scores des 8 IPA pour ces espèces 38,5 22,5 Nbre d’espèces des forêts dégradées (Ferry 1973) 22 22 Nbre moyen de ces espèces par IPA pour chaque type d’exploitation 11,6 10,5 Somme des scores des 8 IPA pour ces espèces 115,5 107,0 Nbre d’espèces des milieux forestiers (Vigie-nature 2011) 15 14 Nbre moyen de ces espèces par IPA pour chaque type d’exploitation 6 5,9 Somme des scores des 8 IPA pour ces espèces 63,5 54,5 Nbre d’espèces des forêts pures (Ferry 1973) 26 24 Nbre moyen de ces espèces par IPA pour chaque type d’exploitation 10,8 11,8 Somme des scores des 8 IPA pour ces espèces 117,5 114,5 (6) indice de l’abondance en espèces carac- en France (Vigie-nature 2011) et pour téristiques des milieux agricoles, selon le chaque type d’exploitation agricole ; classement des espèces sur la base du (15) indice de l’abondance en espèces carac- programme STOC-EPS en France (Vigie- téristiques des milieux forestiers, selon nature 2011) et pour chaque type d’ex- le classement basé sur le programme ploitation agricole (obtenu en effectuant STOC-EPS en France (Vigie-nature 2011) la somme des scores des espèces carac- et pour chaque type d’exploitation agri- téristiques des milieux agricoles pour les cole ; huit IPA de chaque type d’exploitation) ; (16 & 17) richesse totale et richesse moyenne (7 & 8) richesse totale et richesse moyenne par par IPA en espèces caractéristiques des IPA en espèces caractéristiques des habi- forêts pures par type d’exploitation tats découverts par type d’exploitation agricole, selon le classement de Ferry agricole, selon le classement de Ferry (1973) ; (1973) ; (18) indice de l’abondance en espèces carac- (9) indice de l’abondance en espèces carac- téristiques des forêts pures, selon le clas- téristiques des habitats découverts, sement de Ferry (1973) et pour chaque selon le classement de Ferry (1973) et type d’exploitation agricole. pour chaque type d’exploitation agri- Un test t pour échantillons appariés a été cole ; appliqué pour comparer les scores de chaque (10 & 11) richesse totale et richesse moyenne espèce recensée, mais également la richesse par IPA en espèces caractéristiques des spécifique totale, la richesse spécifique forêts dégradées par type d’exploitation moyenne par IPA et les scores de chaque guilde agricole, selon le classement de Ferry d’espèces (espèces caractéristiques des milieux (1973) ; ouverts, des milieux semi-ouverts, des milieux (12) indice de l’abondance en espèces carac- forestiers selon les classements de Ferry (1973) téristiques des forêts dégradées, selon et de Vigie-nature (2011)), entre les deux types le classement de Ferry (1973) et pour d’exploitations agricoles, en posant comme chaque type d’exploitation agricole ; hypothèse que la richesse spécifique et l’abon- (13 & 14) richesse totale et richesse moyenne dance devaient être plus élevées sur l’exploi- par IPA en espèces caractéristiques tation du Montrainsant, puisque les oiseaux y des milieux forestiers, selon le classe- bénéficient de mesures conservatoires. ment basé sur le programme STOC-EPS 75
D. Pépin Le Bruant jaune Emberiza citrinella est sensiblement plus abondant sur l’exploitation du Montrainsant que sur les exploitations limitrophes. 21 avril 2007. Résultats Le tableau 2 présente, pour chaque espèce, Richesse totale et richesse moyenne par la somme des scores IPA obtenus pour les IPA pour chaque type d’exploitation huit IPA réalisés sur l’exploitation agricole du agricole (1 & 2) Montrainsant et pour les huit autres IPA effec- Au total, 68 espèces d’oiseaux ont été tués dans les zones agricoles immédiatement recensées au cours de ce travail. Parmi elles, en périphérie. 62 ont été contactées lors des huit IPA effec- A un risque égal ou inférieur à 0,08, quatre tués sur l’exploitation agricole du Montrain- espèces (une au risque 0,05) sont significa- sant et 59 lors des huit IPA répartis sur les tivement plus abondantes sur l’exploitation exploitations limitrophes. Plus des trois quarts du Montrainsant que sur les exploitations (N = 53/68) sont communes aux deux types limitrophes. Il s’agit du Tarier des prés, de d’exploitations. Les espèces observées au l’Alouette des champs, du Chardonneret Montrainsant et non contactées en périphé- élégant et du Bruant jaune. rie sont l’Epervier d’Europe Accipiter nisus, le A l’opposé, la Mésange charbonnière Parus Pic noir Dryocopus martius, le Pipit rousseline major est plus abondante sur les exploita- Anthus campestris (migrateur), la Locustelle tions situées en périphérie du Montrainsant. tachetée Locustella naevia, les Gobemouches La présence de la Buse variable Buteo buteo gris Muscicapa striata et noir Ficedula hypo- est également plus forte dans les exploitations leuca, la Pie bavarde Pica pica, le Bec-croisé limitrophes, mais la méthode des IPA n’est pas des sapins Loxia curvirostra et le Bruant des adaptée à son cas. roseaux Emberiza schoeniclus. A l’opposé, les Les résultats des 18 indices, et notamment oiseaux notés lors des IPA effectués en péri- ceux calculés sur la base des guildes d’espèces phérie et non contactés lors des IPA réalisés sur caractéristiques des différents types de milieux, l’exploitation du Montrainsant sont le Canard sont présentés dans le tableau 3. colvert Anas platyrhynchos, le Pic vert Picus viridis, la Bergeronnette printanière Motacilla 76
M ichelat , D. et al. : Impact des pratiques agricoles sur les communautés d’oiseaux flava (migratrice), le Rougequeue à front blanc Richesse totale et richesse moyenne Phoenicurus phoenicurus, la Mésange à longue par IPA en espèces caractéristiques des queue Aegithalos caudatus et la Mésange habitats découverts (7 & 8) boréale Parus montanus. A l’exception du Pic Des six espèces contactées sur chaque type vert et du Gobemouche gris, le total des scores d’exploitation, cinq sont communes aux deux des huit IPA réalisés sur un type d’exploitation échantillons. Les deux qui diffèrent sont le Pipit agricole ne dépasse pas 1 pour chacune de ces rousseline, apparaissant sur l’exploitation du espèces. Il s’agit donc toujours d’espèces rares. Montrainsant et la Bergeronnette printanière Le Gobemouche gris obtient un score de 2,5 sur les exploitations en périphérie. Toutes deux sur l’ensemble des huit IPA de l’exploitation sont migratrices sur la zone d’étude et le score du Montrainsant et le Pic vert 2 sur l’ensemble de chacune d’elle est de 0,5. des huit IPA des exploitations en périphérie. La comparaison des IPA appariés ne révèle La comparaison du nombre moyen d’espèces pas de différence selon les types d’exploitation contactées par IPA ne révèle pas de différence agricole. significative entre les deux types d’exploitation. Indice de l’abondance en espèces Indice de l’abondance du peuplement caractéristiques des habitats découverts (9) d’oiseaux sur chaque type d’exploitation La somme des scores des oiseaux caracté- agricole (3) ristiques des habitats découverts est nette- Nous n’avons pas détecté de différence ment plus élevée sur l’exploitation agricole du significative entre la somme des scores obte- Montrainsant (38,5) que sur celles situées en nus pour chaque espèce sur l’exploitation du périphérie (22,5). Montrainsant (somme des scores égale à 290) comparée à celle de la périphérie (somme des Richesse totale et richesse moyenne par scores égale à 269). IPA en espèces caractéristiques des forêts dégradées (10 & 11) Richesse totale et richesse moyenne par Vingt-deux espèces ont été contactées IPA en espèces caractéristiques des milieux sur chacun des deux types d’exploitation. La agricoles (4 & 5) comparaison des points d’écoute appariés Selon ce classement, 11 espèces caractéris- ne révèle pas de différence entre les IPA du tiques des milieux agricoles ont été contactées Montrainsant et ceux de la périphérie. lors des IPA sur l’exploitation du Montrainsant et 13 en périphérie. Les deux espèces classées Indice de l’abondance en espèces dans cette catégorie et absentes du Montrain- caractéristiques des forêts dégradées (12) sant sont la Bergeronnette printanière, migra- La somme des scores sur les IPA du trice sur la zone d’étude, et la Mésange Montrainsant (égale à 115,5) ne montre pas boréale, classée également dans les milieux de différence significative avec celle des IPA boisés. Pour chacune, un seul individu, non placés en périphérie (107). chanteur, a été contacté. La comparaison des échantillons révèle que le nombre d’espèces Richesse totale et richesse moyenne par caractéristiques des milieux agricoles est en IPA en espèces caractéristiques des milieux moyenne plus important sur chaque IPA de forestiers (13 & 14) l’exploitation du Montrainsant que sur ceux Cette richesse spécifique est semblable sur des environs. les deux échantillons : 15 espèces sur le site du Montrainsant, contre 14 sur les sites limitrophes, Indice de l’abondance en espèces avec 13 espèces communes aux deux ensembles. caractéristiques des milieux agricoles (6) La comparaison des échantillons ne révèle pas de Le total des scores des espèces des milieux différence statistique entre les IPA de l’exploita- agricoles est nettement supérieur sur l’exploi- tion du Montrainsant et ceux de la périphérie. tation du Montrainsant (60,5) que sur les exploitations en périphérie (39). 77
D. Michelat La mise en place de mesures favorables à la flore et à la faune se traduit par une abondance nettement plus importante de la population de Tarier des prés Saxicola rubetra sur l’exploitation du Montrainsant que sur les voisines qui appliquent une gestion classique dans une région d’élevage laitier. Houtaud F25, 27 mai 2013. 78
M ichelat , D. et al. : Impact des pratiques agricoles sur les communautés d’oiseaux Indice de l’abondance en espèces Carduelis carduelis et le Bruant jaune Embe- caractéristiques des milieux forestiers (15) riza citrinella ; La somme des scores de ces espèces est – la différence est moindre pour les espèces égale à 63,5 pour les IPA du Montrainsant et des forêts dégradées, fréquentant les 54,5 pour les périphériques. La différence n’est milieux ouverts, mais ayant besoin de zones pas significative. de buissons, de taillis, de haies. L’impact des pratiques agricoles est toujours sensible, car Richesse totale et richesse moyenne par ces éléments fixes du paysage permettent IPA en espèces caractéristiques des forêts aux oiseaux de trouver des petites zones où pures (16 & 17) s’installer ; Cette richesse spécifique est presque iden- – la différence devient très faible si on s’inté- tique sur les deux échantillons : 26 espèces resse aux oiseaux des milieux forestiers et sur le site du Montrainsant, contre 24 sur les elle devient inexistante lorsque la comparai- sites limitrophes, pour un total de 29 – dont son ne porte que sur les espèces strictement 21 communes aux deux types d’exploitation. forestières, qui n’ont plus besoin de prairies. La comparaison des échantillons ne révèle pas de différence significative entre les IPA du Montrainsant et ceux de sa périphérie. Discussion Indice de l’abondance en espèces La surface limitée de l’exploitation du caractéristiques des forêts pures (18) Montrainsant a obligé à un nombre réduit de La somme des scores est égale à 117,5 pour répliquas, ce qui limite la puissance discrimi- les IPA du Montrainsant et 114,5 pour ceux nante des tests employés. Les résultats obte- placés en périphérie. Ces résultats ne montrent nus valident cependant un certain nombre de pas de différence significative. différences qui corroborent l’hypothèse que ce sont les pratiques agricoles mises en place sur Au bilan, les résultats de notre travail l’exploitation du Montrainsant qui sont à l’ori- montrent que : gine des différences observées, non seulement – l’avifaune est globalement la même sur pour le Tarier des prés, l’Alouette des champs, l’exploitation agricole du Montrainsant le Chardonneret élégant et le Bruant jaune, que dans les environs proches en terme de mais aussi pour les guildes d’espèces liées aux richesse spécifique ; milieux ouverts. – le peuplement aviaire est sensiblement L’abondance plus importante de la Mésange plus abondant sur le site du Montrainsant charbonnière sur les exploitations périphé- qu’aux alentours ; riques du Montrainsant pourrait s’expliquer – cette différence s’explique surtout par un par le fait que les forêts qui bordent les exploi- nombre d’oiseaux plus important dans tations alentours sont plus riches en cavités la guilde des espèces liées aux paysages que celles qui bordent le Montrainsant. dépendant de l’activité agricole ; Par rapport aux exploitations limitrophes, – la différence d’effectifs est très importante celle du Montrainsant intègre les mesures pour les espèces caractéristiques des habi- agro-environnementales proposées dans les tats découverts (c’est-à-dire pour les espèces régions d’élevage pour maintenir la biodiver- qui n’ont pas besoin d’arbres), qui nichent sité (Oréade-Brèche 2005). Dans le cas de notre au sol et sont donc très dépendantes des travail, elles montrent clairement leur impact pratiques agricoles, comme le Tarier des sur le peuplement d’oiseaux caractéristiques prés ou l’Alouette des champs ; des milieux agricoles, y compris sur des espèces – la différence d’effectifs est également rares et menacées à l’échelle régionale comme marquée si l’on tient compte des espèces le Tarier des prés. qui ont besoin d’une couverture herbacée D’autres études menées en Europe et en mais qui tolèrent ou ont besoin de quelques Amérique du Nord apportent des résultats arbres, comme le Chardonneret élégant similaires. Ainsi, la comparaison de l’avifaune 79
D. Michelat Le Chardonneret élégant Carduelis carduelis est également favorisé par la gestion favorable à l’avifaune mise en place sur l’exploitation du Montrainsant. Sainte-Colombe F25, 23 février 2013. nicheuse des dix exploitations agricoles biolo- d’Alouette des champs, la principale espèce giques et de dix conventionnelles, en 1990 en nicheuse dans les prairies, est significativement Ontario (Canada), a montré que la richesse plus importante dans les prés gérés en agricul- spécifique et l’abondance totale étaient supé- ture biologique (Chamberlain et al. 1999). rieures dans les premières fermes citées (Free- Cependant, la comparaison entre le mark & Kirk 2001). Les différences sont cepen- peuplement d’oiseaux sur une surface d’envi- dant parfois moins nettes. En Angleterre et au ron 200 ha exploités en agriculture biolo- Pays-de-Galles, la comparaison de la richesse gique et d’environ 2000 ha traités en agri- spécifique et celle de l’abondance d’oiseaux culture conventionnelle en Finlande, n’a mis ont été suivies sur deux groupes de 22 exploi- en évidence des différences significatives tations agricoles (biologiques et traditionnelles) uniquement pour l’Alouette des champs et durant trois années en période de reproduction le Vanneau huppé Vanellus vanellus, mais (avril à juillet), deux automnes (septembre à aucune pour la densité d’oiseaux, la richesse novembre) et deux hivers (décembre à février). en espèces, la diversité ou la biomasse. Les Selon les années, la comparaison a porté auteurs émettent l’hypothèse que l’impact de respectivement sur 7, 17 et 13 paires d’exploi- l’agriculture biologique est plus prononcé sur tations agricoles. La diversité en espèces était des paysages homogènes de grandes surfaces significativement plus importante dans les que sur des paysages en mosaïque de petites champs exploités en agriculture biologique surfaces (Piha et al. 2007). durant un printemps uniquement, mais pas les D’une manière générale, la majorité des autres années ni aux autres saisons. La densité études de ce type conclut à l’effet bénéfique 80
M ichelat , D. et al. : Impact des pratiques agricoles sur les communautés d’oiseaux de l’agriculture biologique sur la richesse spéci- (2008) ont montré que la proportion d’élé- fique et l’abondance des oiseaux, mais égale- ments semi-naturels et la quantité d’azote ment d’autres groupes d’espèces (Beecher et al. par hectare de surface agricole utile étaient 2002 ; Hole et al. 2005 ; Bengtsson et al. 2005). les deux principaux facteurs prédictifs de la Une méta-analyse, basée sur 94 études réali- richesse spécifique de l’avifaune. Concernant sées au cours des 30 dernières années, montre la fertilisation et les pesticides, dans la Meuse, que la richesse spécifique est d’environ 30 % les Courlis cendrés Numenius arquata et les supérieure dans les exploitations en agriculture Tariers des prés sont plus fréquemment obser- biologique par rapport à celles en agriculture vés sur des parcelles qui ne reçoivent aucune conventionnelle. Cette différence est d’autant fertilisation ni traitement phytosanitaire (Bran- plus grande que le pourcentage de terres culti- ciforti & Muller 2003). En Autriche, Zethner et vées est important et que l’intensification des al. (in Oréade-Brèche 2005) ont démontré les pratiques est élevée (Tuck et al. 2014). Toute- effets positifs de la réduction d’intrants sur la fois, les études portant sur la comparaison biodiversité végétale et un impact positif sur d’exploitations agricoles utilisant uniquement la densité d’oiseaux. Dans l’est de l’Autriche, les prairies permanentes sont peu nombreuses la mise en place d’une lutte intégrée dans (Tuck et al. 2014). certaines parcelles du vignoble dans l’est du En Europe, dans la majorité des cas, les pays s’est traduite par une augmentation du mesures agro-environnementales s’accom- nombre d’insectes et l’accroissement de la pagnent d’un effet positif sur la richesse en population d’Alouette lulu Lullula arborea espèces et/ou l’augmentation des populations (Frühauf 2002). En Espagne, l’évaluation du d’espèces d’oiseaux cibles dans les exploita- deuxième programme agro-environnemen- tions contractantes (Peach et al. 2001 ; Ausden tal (MAPA 2003) met en évidence l’effet très & Hirons 2002 ; Cope et al. 2003 ; Oréade-Brèche bénéfique pour la biodiversité de la mise en 2005). place de la mesure « Réduction des intrants » Dans le cas de notre étude, il est impossible sur des surfaces importantes. En Suède, l’ab- d’évaluer l’influence de chacune des pratiques sence d’utilisation d’herbicide sur une bande mises en place sur l’exploitation du Montrain- de 6 mètres de large en bordure des champ sant sur le peuplement d’oiseaux, mais divers de céréales s’est traduite d’une part par une autres travaux permettent de se faire une augmentation des densités d’insectes et idée. Des études sur l’avifaune des prairies de d’autre part par l’augmentation de la taille fauche ont montré que les oiseaux s’installent des nichées et du taux de survie des poussins préférentiellement dans les parcelles pas ou de Perdrix grise Perdix perdix et de Faisan de peu fertilisées. Les engrais n’agissent pas par Colchide Phasianus colchicus (Chiverton 1999). empoisonnement direct, mais ils modifient la Le rapport réalisé par Oréade-Brèche (2005) structure et la composition de la végétation sur l’évaluation des mesures agro-environne- (diminution du nombre d’espèces végétales mentales cite d’autres études qui vont dans et croissance plus élevée), ce qui influe sur le le même sens, à savoir une augmentation du choix du site de reproduction (Boissenin 2004 ; nombre d’insectes en l’absence de traitements Broyer & Curtet 2005). Dans une étude réali- et, par voie de conséquence, une augmenta- sée dans le Limousin, Derouault et al. (2009) tion de la taille des nichées d’oiseaux. Toutes ont mis en évidence que le Tarier des prés et ces études démontrent que la quantité d’in- le Tarier pâtre Saxicola rubicola ne sont pas trants appliqués est corrélée négativement à la tolérants vis-à-vis des fertilisations moyennes diversité biologique et que la réduction de l’uti- et fortes, puisqu’aucun nid n’est retrouvé lisation des pesticides se traduit par des effets dans les prairies ayant reçu plus de 60 kg directs sur la biodiversité végétale et animale. d’azote/ha, ni dans des parcelles recevant De plus, Frieben (1997), Ibañez (1999), Fox (2004) plus de 40 kg de phosphate/ha ou plus de et Hole et al. (2005) démontrent que l’agricul- 50 kg de potasse/ha. En étudiant les popula- ture biologique, qui proscrit toute utilisation tions d’oiseaux dans 25 paysages de 16 km2 d’engrais ou de pesticides chimiques, a un dans différents pays européens, Billeter et al. effet bénéfique sur la biodiversité d’invertébrés 81
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