Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...

 
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Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...
Impacts des tiers lieux
de fabrication sur la
grande distribution

Motivations, mutations et critique de l’intégration
d’espaces de fabrication personnelle aux magasins de
la grande distribution
Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...
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Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...
Impacts des tiers lieux de
 fabrication sur la grande
 distribution
 Motivations, mutations et critique de l’intégration des
 espaces de fabrication personnelle aux magasins de la
 grande distribution

Olivier DAIRIEN
Sous la direction de Fabien
EYCHENNE
Mastère spécialisé Innovation by
Design
ENSCI - Les Ateliers
2014

                                                           3
Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...
Sommaire
Rem erciem ents!                                                                    5!
Résum é!                                                                            6!
Abstract!                                                                           7!
Introduction!                                                                       8!
 ère
1 partie : Le client, la grande distribution & le contexte socio-
économ ique actuel!                                                                14 !
  Une relation quasi-unilatérale!                                                   14
  Vers un modèle plus complexe!                                                     15!
  Un modèle bousculé par le web 2.0!                                                17!
  L’impact des réseaux sociaux!                                                     18!
  La grande distribution à l’ère de l’économie collaborative!                      20!
2ème partie : Du client consommateur au client collaborateur!                      25 !
  Initiatives et projets favorisant cette évolution!                               25!
  Les tiers lieux de fabrication, terreau de cette évolution!                      28!
  Typologie des futurs clients!                                                     35!
  Le rôle du designer dans ce nouveau contexte!                                    36!
      Le designer concepteur et animateur de plate-forme                           36
      Le designer rassembleur                                                       37
      Le designer d’outils et d'objets ouverts                                     38
3 ème partie : Conditions et critiques d’un tel m odèle!                           41
   Les mutations internes à la grande distribution!                                 41!
      De nouveaux métiers                                                           41
      Des lieux horizontaux dans un contexte vertical                              43
      L’intégration au sein d’un écosystème                                        44
   Les mutations externes!                                                         45!
      Juridiction et responsabilité                                                45
      Rentabilité pour la grande distribution                                      46
   Ce modèle est-il souhaitable et désirable du point de vue de l’utilisateur ?!   47!
Conclusion!                                                                        48
Bibliographie!                                                                     49 !
W ebographie!                                                                      49 !

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Remerciements
!
Je tiens tout d’abord à remercier Fabien Eychenne pour son suivi, ses conseils
ainsi que sa disponibilité et ce malgré la distance qui nous séparait
physiquement tout au long de ce mémoire. Les échanges que nous avons pu
avoir, m’ont permis de compléter et d’élargir de manière significative ma
connaissance du monde des Fablabs et de l’écosystème dans lequel ils
s’insèrent. J’ai d’ailleurs la chance de continuer à exploiter ce savoir dans le
poste que j’occupe actuellement en tant que fabmanager du FabMake au sein
de L’Institut de Recherche Technologique Jules Verne aussi lui en suis-je
d’autant plus reconnaissant.
Je souhaiterais de plus remercier tous les collaborateurs du magasin Leroy
Merlin d’Angers avec qui j’ai eu la chance de travailler sur le projet de mise en
place de l’Atelier. Merci à Karine Gaudinière et Adeline Paillier pour la
confiance et l’autonomie qu’elles ont su m’offrir durant la durée de mon stage.
Je remercie de plus Sophie, Cyril et Emmanuel pour leur motivation, leur
soutien et la bonne humeur qu’ils ont su nous communiquer à moi et aux clients
dans l’animation de cet espace.
Mes remerciements vont aussi à l’ensemble de l’équipe du mastère IbD, Sylvie
Lavaud, Katie Cotellon, Olivier Hirt et Muriel Zerafa, ainsi qu’à tous les
intervenants qui ont participé à rendre cette formation aussi intéressante et
riche et épanouissante tant d’un point de vue professionnel que personnel.
Ce mastère m’a non seulement permis de découvrir et d’explorer les champs
d’une discipline qui à mon sens est et restera un atout fort pour notre société.
J’ai eu la chance de côtoyer les élèves et les enseignants qui font cette école
et j’espère sincèrement continuer à être en contact avec eux durant les
années à venir.
Je conclus en remerciant l’ensemble des personnes qui auront lu ce mémoire
jusqu’au bout et je l’espère apprécié.

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Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...
Résumé
La grande distribution est actuellement en quête de renouveau et d’innovation,
le contexte ultra compétitif et l’essoufflement des stratégies consistant à
conquérir de nouvelles parts de marché en s’implantant sur des territoires
nouveaux poussent les acteurs de ce secteur à se démarquer en proposant
de nouveaux modèles de consommation, services ou produits. Les enseignes
de la grande distribution se confrontent de plus à une évolution des attentes
des consommateurs en partie explicable par l’avènement du web 2.0 et de
son aspect collaboratif, des réseaux sociaux et des communautés qui s’y
fédèrent ainsi que de ce que l’on appelle généralement la consommation
collaborative. Tous ces facteurs poussent la grande distribution à réévaluer et
à modifier les interactions qu’elle a avec ses clients en faisant évoluer le rôle
de ce dernier, à savoir celui de consommateur vers un mode de relation plus
forte et plus complexe, celui de collaborateur. Dans ce contexte un
mouvement intéresse particulièrement les enseignes de la grande distribution
et plus précisément celles du secteur du bricolage, le mouvement des makers
et du Do It Yourself. Une solution envisagée pour intégrer ce type de pratique
aux services proposés par la grande distribution est la mise en place
d’espaces type Fablab au sein ou à proximité des magasins.
Dans le cadre de ce travail nous nous interrogeons sur l’impact que pourrait
avoir ces tiers lieux de fabrication au sein des magasins et notamment sur leur
capacité à faire évoluer la place du client, de consommateur à collaborateur.
L’analyse du contexte actuel de la grande distribution ainsi que des différents
facteurs sociaux-économiques qui l’affectent nous permet de mieux
comprendre l’intérêt que suscite le développement de dispositifs de « mise
en capacité à faire » du client pour ce secteur. En plaçant l’humain au cœur de
ses préoccupations et en intégrant le consommateur en amont de la chaine de
création de valeur économique, la grande distribution renforce le lien avec ses
clients et établit avec eux de nouvelles interactions. L’étude des initiatives et
projets qui favorisent cette évolution nous permet de dresser un panorama
des différentes tentatives concrètes qui impulsent et accompagnent ce
changement de paradigme. Le cas précis de Leroy Merlin et de son magasin
d’Angers en est un bon exemple puisque la mission professionnelle inhérente à
ce mémoire visait à la mise en place d’un laboratoire de fabrication en son sein.
Cette analyse nous permet d’élaborer une typologie des futurs clients-
collaborateurs et est l’occasion de s’interroger sur l’évolution du rôle de
designer dans ce nouveau contexte. La mise en place de laboratoire de
fabrication au sein des magasins nécessite des mutations internes et externes
à la grande distribution afin d’en assurer la pérennité, si certaine paraissent
triviales, d’autres représentent néanmoins des difficultés majeures pouvant
freiner, voir empêcher le passage de client-consommateur à client-
collaborateur. De plus, au vu des enjeux et des motivations qui poussent la
grande distribution à s’engager sur cet axe de développement, il est important
de s’interroger sur la légitimité et l’intérêt de tels espaces du point de vue de
l’usager. En effet puisqu’il existe déjà des espaces dédiés à ces activités et
que la philosophie de ces derniers est bien plus proche du mouvement maker
que ne peut l’être la grande distribution, seule la force de diffusion et les
moyens financiers des enseignes représentent un avantage notoire pour le
particulier.
Si ce mémoire n’a pas pour vocation de trancher définitivement la question, il
souhaite apporter des éléments de réponse et d’analyse permettant de mieux
comprendre les prémices de ce que pourrait être les futures relations et
interactions entre le particulier et les enseignes de la grande distribution.

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Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...
Abstract
!
The mass retail sector is currently seeking for inovation and renewal, due to
the higly competive environment and the shortness of extensive strategy,
which is to win new market shares by moving into new territories, the actors of
the retail sector are compeled to stand out by offering new consumption
patterns, services or products. Large retailers are facing changes in
consumers’ expectations. Those changes can be partly explained by the
advent of Web 2.0 and its collaborative aspect, social networks and
communities that unite them and what is generally called collaborative
consumption.!All those factors lead large retailers to reassess and modify the
interactions it has with its clients by modifying the role of the consumer into a
role of collaborator which is a stronger and more complex relationship.! In this
context a specific movement draws the attention of the retail stores and
especialy those of the DIY sector, the movement of makers and DIY. One
solution to integrate this type of practices into the services currently offered
by supermarkets is the implementation of spaces as fablabs within or close to
the shops.
As part of this work, we wonder about the potential impact of these new kind
of manufacturing places, located within stores and in particular their ability to
change the place of the client from consumer to collaborator. The analysis of
the current retail context and the several socio-economic factors affecting this
sector allows us to better understand the interest in the development of
features of "setting ability to" customer. By placing people at the center of its
concerns and by integrating the consumer upstream of the economic value
creation chain, retails strengthen the bond with customers and establish with
them new interactions. The study of initiatives and projects which promote this
development allows us to provide an overview of different concrete attempts
that impulse and support this paradigm shift. The specific case of Leroy Merlin
and its store in Angers is a good example, since the inherent professional
mission to this master’s thesis was the establishment of a manufacturing
laboratory within it. This analysis allows us to develop a typology of future
customers and is an opportunity to question the changing role of the designer
in this new context. The establishment of sustainable manufacturing laboratory
in stores requires internal and external mutations for the mass distribution
sector. If some of them seem trivial, others still represent major difficulties that
may prevent the shift of customer client to collaborator client. Moreover, given
the challenges and motivations that grows large retailers to commit to this axis
of development, it is important to question the legitimacy and relevance of
such spaces from the user’s point of view. Indeed there are already dedicated
spaces for these activities and the philosophy of them is much closer to the
Maker movement compared to the mass distribution spirit. The only benefits to
the individual are the wide presence on the territory of mass retail stores and
their financial resources.
This memory is not intended to permanently settle the question, we only want
to bring some answers and analysis in order to better understand the
beginnings of what could be the future relations and interactions between the
individual and the retail sector.

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Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...
Introduction
La grande distribution est un acteur clé de notre économie, elle suit et impulse
les tendances de notre société, s’adapte à ses mutations. Dès sa création, la
grande distribution a été vecteur d’innovation, elle a bouleversé les modes de
consommation préexistants en instaurant le libre-service, en occupant des
surfaces de vente de plus en plus grandes ou encore en instaurant le
discompte, discount ou encore hard-discount, modèle économique basé sur
de faibles marges sur les produits qui sont, par conséquent, vendus à bas prix
mais en très grande quantité1. Selon l’enquête « Innovation générale » menée
par l’Insee en 2002, près de 64% des entreprises de la grande distribution ont
innové de 1998 à 20002.Tous ces changements ont profondément impacté
notre société aussi bien du point de vue du client que de celui des
producteurs et fournisseurs de ces espaces dédiés à la consommation.
Philippe Moati, dans son ouvrage L’avenir de la grande distribution 3, décrit
l’ouverture en 1916 aux Etats Unis du premier magasin en libre-service à
Memphis sous l’enseigne Piggly Wiggly, ce modèle se développera durant les
trente années suivantes outre-Atlantique et débarquera en Europe au début
des années cinquante.

Image 1: Le premier magasin Piggly-wiggly à Memphis, Tennessee. Source Clarence
Saunders, via Library of Congress.

Le libre-service permet de réduire les frais de fonctionnement en laissant au
client la responsabilité de se servir lui-même. Ce qui nous paraît aujourd’hui
familier et évident est pourtant un véritable changement dans le monde du
commerce et affecte fortement les habitudes du consommateur. En effet,
auparavant ce dernier était obligé de passer par le vendeur afin d’accéder aux
biens de consommation. Ce nouveau mode de distribution permet en éloignant
le vendeur de rapprocher le client du produit et ainsi de lui offrir une plus
grande liberté facilitant l’acte d’achat. On peut facilement concevoir la gêne
que le client pouvait ressentir lors du choix de ses produits et aussi le plaisir
que celui-ci a pu trouver lorsqu’il a été en mesure de toucher, de manipuler,
d’observer la marchandise mise à sa disposition à l’abri du regard et du
jugement d’autrui, le vendeur en l’occurrence. En revanche ce modèle de
distribution n’a pas, pour autant, supprimé purement et simplement le rôle du
vendeur. Il l’a plutôt fait évoluer vers un rôle de conseiller de vente en retrait
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1!Définition de l’académie française. Vocabulaire de l’économie et des finances [en
ligne]. Termes, expressions et définitions publiés au Journal officiel, 2012. 89 p.
Disponible sur  [Consulté le 2 Avril 2015).
2
  Jean Baptiste Berry, Innovation et marchés de la grande distribution, Le commerce
en France, décembre 2006.!
3
  Philippe Moati, L’avenir de la grande distribution, éd. Odile Jacob, 2001, p. 13.

                                                                                      8
Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...
mais disponible pour toutes remarques, questions, renseignements. Ce dernier
conservant un rôle de confiance auprès de la clientèle mais uniquement si
cette dernière en émet le souhait.
Une autre innovation majeure en terme de distribution a été l’évolution de la
taille des points de vente. Au début du XXème siècle les points de vente se
réduisaient dans la grande majorité à de petits commerces, épiceries de
quartier, quincailleries, magasins de mode… Peu de temps après l’invention du
libre-service le premier « supermarché » apparaît (toujours aux Etats Unis). En
1930 à New York, M. Cullen ouvre dans un ancien garage le supermarché King
Kullen proposant des marchandises en vrac. En France c’est en région
Parisienne qu’apparaît le véritable premier « supermarché » : l'Express-
Marché de la société Goulet-Turpin, en 1958. Ces espaces de vente sont
caractérisés par leur taille entre 400 et 2500m2 en France (cette définition
varie quelque peu en fonction des pays), ils fonctionnent en libre-service et
propose un large panel de produits à prédominance alimentaire 1 . Ces
« supermarchés » ont ouvert la voie vers ce que l’on appelle communément
des « hypermarchés » qui leurs sont supérieurs en superficie (plus de
2500m2) et disposent généralement de parkings de stationnement. Ces
derniers conservent cependant le même mode de fonctionnement que leurs
petits frères (libre-service, type de produits). Cette évolution de superficie a
contribué à l’avènement de la consommation de masse en proposant un large
choix de produits et en abaissant leurs prix, les rendant ainsi plus accessibles
au grand public. Le client s’est vu proposer un choix encore plus varié de
produits à des prix relativement bas et tout cela dans un seul et unique lieu. De
ce fait la relation produit/consommateur a évolué vers une relation point de
vente/client comme le précise George Chetochine dans son essai Quelle
distribution pour 20202. Les acteurs de la grande distribution ont ainsi porté
une attention particulière au bien-être de leurs clients au sein de ces espaces
bien éloigné de l’atmosphère extrêmement compétitive et agressive qui
régnait et qui règne encore entre les entités de ce secteur économique.
Ces innovations liées aux concepts de vente et à l’organisation de ces
espaces ont été accompagnées par la création des codes barres et de
l’étiquetage systématique des produits, par la mise à disposition de caddies, la
disposition des marchandises sur des linéaires, la création des lignes de
caisses et des tapis roulants, la diversification et l’augmentation des
promotions et de leurs supports, la création des cartes de fidélité et plus
récemment l’introduction des caisses automatiques… Ces objets et services
ayant tous pour objectif de faciliter la visibilité, le choix, l’attractivité et l’achat
de la marchandise du point de vue du client.
La grande distribution a été en mesure d’accompagner les changements
sociétaux et d’instaurer de nouveaux modes de consommation de part son
contact direct avec les clients qui constituent une part considérable des
membres de notre société. Elle a su détecter les tendances et les attentes du
consommateur et lui proposer les modes de distribution, les produits et les
services adaptés.
Dans une logique darwinienne, ce nouveau modèle s’est imposé, dans la
majeure partie des cas, au détriment d’autres modèles de distribution. Ceux qui
n’ont pas su saisir ces opportunités se sont bien souvent fait écraser par les
géants que sont devenus les groupes de distribution. Ces derniers se mènent
par ailleurs une guerre fratricide acharnée afin de rester en tête de la

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
 Définition de l’Insee.
2
 George Chetochine, Quelle distribution pour 2020 ? Les nouveaux enjeux du
commerce : Les hypermarchés vont-ils disparaître ?, éd. Liaison, 1998.

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Impacts des tiers lieux de fabrication sur la grande distribution - Motivations, mutations et critique de l'intégration d'espaces de fabrication ...
compétition. Toujours selon Philippe Moati 1 , dans ce contexte compétitif il
existe différentes stratégies permettant de se démarquer de ses concurrents
et d’accroitre sa puissance : des stratégies extensives qui consistent à
conquérir de nouvelles parts de marché en s’implantant sur de nouveaux
territoires et des stratégies intensives qui visent à se développer dans un
territoire donné en augmentant son nombre de clients, son volume de vente et
ses marges. Dans le cadre de cette seconde stratégie, il est particulièrement
important de savoir innover et c’est sans doute parce que les stratégies
extensives ont tendance à s’essouffler au bout d’un certain temps que les
nouveaux modèles, services et produits suscitent un réel intérêt pour les
acteurs de la grande distribution. Pour cela, ils portent une attention particulière
aux différents mouvements sociétaux émergents et c’est dans cette optique
que la grande distribution suit de près ce que l’on appelle l’économie
collaborative mue dans une certaine mesure par la volonté du particulier d’être
en prise direct avec ses modes de consommation. Un mouvement dans ce
contexte est particulièrement observé, celui du DIY et plus spécifiquement
celui en plein essor des Makers et des Fablabs. Cet intérêt est
particulièrement fort chez les enseignes du bricolage de part leur cœur de
métier.
Le mouvement des Makers issu entre autre de la culture du DIY (« Do It
Yourself » ou à la française « fais le toi-même ») est un mouvement qui
promeut l’apprentissage par le « faire », en particulier en réutilisant, en
réparant ou en détournant les objets de la vie quotidienne. Comme le font
remarquer Véronique Routin et Mathilde Berchon dans l’article « Maker : Faire
société » 2 , le « faire » permet à la fois de se réapproprier le monde en
acquérant une meilleure connaissance des processus de fabrication, de
prendre confiance en soi et en sa capacité de compréhension et de création,
enfin il permet le partage au sein d’une communauté et ce pour le bénéfice de
tous ses membres. Ces trois aspects font la richesse et la force du
mouvement des Makers. De nouvelles applications aux technologies
existantes et les opportunités créées en réunissant des disciplines
habituellement distinctes les unes des autres sont ainsi explorées.
Les membres de ce mouvement porte un intérêt particulier aux nouveaux
modes de fabrication numérique et aux outils de prototypage rapide. En effet
la démocratisation des machines telles que les imprimantes 3D, fraiseuses
numériques ou encore les machines laser ont eu un impact considérable sur la
mise en capacité de faire du grand public. En abaissant les coûts de ces
machines et en rendant leur utilisation relativement simple via des interfaces et
des protocoles d’utilisation conçus non pas pour des techniciens experts mais
pour le grand public, ces machines sont devenues accessibles à la grande
majorité. Ces améliorations ont, en partie, été à l’initiative des membres des
communautés de Makers comme l’atteste l’exemple de l’imprimante 3D
MakerBot qui s’appuie sur le projet collaboratif RepRap. Cette démocratisation
a donc contribué à renforcer le mouvement des Makers qui eux même
continuent de développer des projets rendant plus accessibles les machines
et technologies autrefois réservées à l’industrie.
Ce mouvement s’appuie de plus sur la notion de partage dont les moyens ont
été décuplés par l’avènement du web 2.0 et des réseaux sociaux. Des
communautés, à travers le monde, peuvent collaborer, échanger, partager,
concevoir formant ainsi une base d’informations et de connaissances
accessibles au plus grand nombre.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
 Philippe Moati, Op. Cit.
2
 Véronique Routin & Mathilde Berchon. Maker : Faire société. Internet Actu, 2011.
Disponible sur: .
[Consulté le 4 Juin 2014]

                                                                                     10
L’essor de ce mouvement tient aussi à la multiplication de lieux physiques,
(temporaires ou permanents) où les membres de ces communautés se
retrouvent, conçoivent, partagent, apprennent, fabriquent. Il en existe différents
types, les hackerspaces, les fablabs et de manière plus générale les
makerspaces ou tiers lieux de fabrication. Les Maker Faire, évènements
ponctuels à l’initiative du magazine Make, sont organisés afin de réunir pendant
quelques jours les membres des communautés à travers le monde.

Image 2: MakerFaire de Rome, Septembre 2014. Source makerfairerome.eu.

Ces espaces tangibles viennent en complément des espaces d’échange
virtuels que sont les plateformes web.
C’est donc la réunion de ces différents facteurs technologiques et
organisationnels avec le besoin exprimé par le particulier d’être acteur de sa
propre consommation qui a donné une telle ampleur au mouvement du DIY.
Au vu de ce rapide descriptif on comprend facilement l’appréhension mais
aussi l’intérêt que peut susciter un tel mouvement pour la grande distribution.
En effet la culture du DIY ainsi que le mouvement des Makers ont, dans une
certaine mesure, contribué à promouvoir une alternative aux modes de
consommation classiques et en particulier à celui de la grande distribution. Ils
s’appuient sur le partage et l’échange, comme le fait remarquer Hubert Guillaud
dans un article intitulé « Industrie et nouveaux bricoleurs : faire ensemble ? »1,
« L’autre chose est de comprendre les motivations qui donnent au
mouvement maker son énergie. Et cette motivation, c’est l’intérêt général. La
plupart des gens ne pensent pas que les ingénieurs qui travaillent dans
l’industrie sont poussés par l’intérêt général, et c’est peut-être cela qui manque
à l’industrie : le partage, la culture du partage ». Ce qui est vrai pour l’industrie
l’est tout autant pour la grande distribution. Si certains acteurs de ce secteur y
voient une menace d’autres souhaitent au contraire accompagner ce
mouvement voir en devenir un acteur. La relation qui résulterait d’un
rapprochement entre Makers et grande distribution ne peut donc qu’être
complexe puisque historiquement antagoniste.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
 Hubert GUILLAUD. Industrie et nouveaux bricoleurs : faire ensemble ?. Internet
Actu, 2013. Disponible sur: . [Consulté le 5 Juin 2014]

                                                                                    11
Cependant l’intégration d’un tel écosystème représente de réels enjeux pour
la grande distribution ainsi que pour ses clients. En plus de capter et de
fidéliser de nouveaux consommateurs, la grande distribution pourrait faire
évoluer le rôle du client ou du moins, tester de nouveaux modes relationnels
avec ce dernier. Une des propositions envisagées pour intégrer cet
écosystème est de mettre en place des tiers lieux de fabrication au sein des
magasins et à la disposition des clients. Ces derniers pourraient alors profiter
de l’infrastructure technique et logistique du magasin tout en ayant accès aux
produits ainsi qu’aux conseils et savoir-faire des vendeurs. Ces espaces,
situés en magasin ou à proximité permettraient aux enseignes de les utiliser
comme des laboratoires afin d’élaborer et de tester de nouveaux services,
produits, modes de contribution, de collaboration avec leurs utilisateurs.
L’intégration et la participation du client aux nouvelles initiatives, produits,
services développés par la grande distribution représentent une perspective
d’évolution prometteuse et en accord avec les tendances de société
actuelles. Si en 1916 on donnait au client la responsabilité de choisir ses
produits, aujourd’hui on tend à lui conférer la possibilité de les concevoir et de
les fabriquer, cette évolution s’applique aussi bien aux biens matériels qu’aux
services. Dans le cadre de ce mémoire nous souhaitons nous questionner sur
l’impact de ces espaces du point de vue du client et de sa relation avec la
grande distribution.
Les tiers lieux de fabrication, au sein des magasins des enseignes de la grande
distribution, peuvent ils permettre le passage de client-consommateur à client-
collaborateur ?
Nous reviendrons dans un premier temps sur les rapports qu’entretiennent
aujourd’hui la grande distribution et ses clients, en particulier sur l’aspect quasi-
unilatéral de cette relation. Nous aurons de plus l’occasion d’évoquer plus en
détail le contexte extrêmement compétitif de ce secteur et par conséquent
l’importance qu’y occupe l’innovation. Enfin, nous nous intéresserons au modèle
du web 2.0 et son impact sur le monde de la distribution en nous interrogeant
sur les enjeux et perspectives que représente la transposition d’un tel modèle
à la grande distribution.
Dans un second temps, nous traiterons de l’évolution possible du rôle du client
passant de consommateur à contributeur voire collaborateur en nous
appuyant sur des initiatives favorisant un tel changement de paradigme. Nous
tenterons d’identifier la typologie des futurs clients issus de cette mutation
ainsi que les potentiels rôles dont pourrait s’emparer le designer dans ce
nouveau contexte.
Enfin, nous souhaitons définir les hypothétiques évolutions qu’entrainerait la
mise en place de tiers lieux de fabrication aussi bien du point de vue du client
que du distributeur, en abordant en particulier les mutations internes et
externes nécessaires à la viabilité d’un tel modèle dans le contexte de la
grande distribution. Ce sera de plus, l’occasion d’une prise de recul en
s’interrogeant sur l’intérêt de ce type d’initiative pour l’utilisateur ainsi que pour
les acteurs constituant actuellement l’écosystème de ce mouvement : ces
espaces sont ils réellement souhaitables et désirables pour l’utilisateur?

                                                                                   12
1 ère partie : Le client, la
grande distribution & le
contexte socio-économique
actuel
!

                               13
1 ère partie : Le client, la grande distribution & le
contexte socio-économique actuel
Une relation quasi-unilatérale
!
La relation qui lie actuellement le client à la grande distribution réside dans un
modèle d’échange relativement simple : la grande distribution propose des
produits/services, le consommateur en dispose. Les interactions et échanges
qui constituent cette relation sont donc très limités et ils le sont d’autant plus
que l’organisation des magasins de la grande distribution tend à réduire ces
échanges via le libre-service ou plus récemment les caisses automatiques.
Les échanges entre le consommateur et le distributeur s’inscrivent dans une
chaine plus étendue qui inclut le producteur en amont. Les acteurs de cette
chaine sont parfaitement distincts et clairement identifiables. Le producteur
fournit au distributeur les biens de consommation en échange d’argent, le
distributeur diffuse et vend alors à son tour cette marchandise au
consommateur.

                       Producteur
Argent
         Produit

                                                     Relation «marketée»

                   Grande distribution
         Produit
Argent

                    Consommateur

Image 3: Schéma des échanges grande distribution, producteur, consommateur actuels

La limite entre producteur et distributeur a cependant eu tendance à se
complexifier avec l’arrivée des marques de distributeur (MMD), on peut citer
l’exemple d’Oxylan et de sa marque de vélo B’twin. Le distributeur est devenu
dans une certaine mesure producteur, cette extension de son activité lui a
permis d’augmenter son contrôle sur la partie amont de la chaine des
échanges commerciaux et d’élargir son spectre d’activité. L’extension de
producteur à producteur/distributeur s’est elle aussi développée, dans le cas
de l’automobile (via les concessionnaires). C’est, cette fois le producteur qui
est devenu distributeur et dans certain cas financeur en proposant aux clients
des solutions de crédit facilitant l’acte d’achat. Si cette limite entre producteur
et distributeur est aujourd’hui parfois floue, la différenciation entre distributeur
et consommateur reste très visible, et ces deux acteurs parfaitement distincts.

                                                                                     14
Vers un modèle plus complexe
!
Revenons désormais aux échanges et aux interactions qui existent aujourd’hui
entre le distributeur et son client. Il en existe de différentes natures. Tout
d’abord, évoquons l’échange majeur à savoir le bien de consommation que le
distributeur lègue au consommateur en échange d’argent : la transaction. C’est
le pilier de la relation qui lie le distributeur au client. Le distributeur sélectionne,
fixe un prix, met à disposition, diffuse les produits ; le consommateur peut
acquérir ces produits en échange d’argent. On voit ici que la notion de prix
relève d’une haute importance aux yeux du client et du distributeur, et c’est en
effet sur cette notion que s’est développé le modèle économique de la grande
distribution : proposer un large choix de produits aux prix le plus bas. Si ce
modèle a connu un fort engouement avec notamment les magasins de hard-
discompte, il est cependant                simpliste de penser que la relation
distributeur/consommateur puisse se résumer à ce simple axiome. Si cette
attente de la part du client a été, et reste, prépondérante, il ne s’est très vite
plus satisfait uniquement d’acheter un produit à son prix le plus bas possible,
les notions de diversité de produit, de goût, de qualité, de rapports humains,
d’éthique ou de plaisir d’achat ont progressivement émergés obligeant le
distributeur à prendre en compte ces attentes dans un objectif de satisfaction-
client et ainsi de compétitivité vis à vis des autres acteurs de la distribution. De
ce fait, les distributeurs ont eu tendance à s’intéresser aux autres échanges qui
pourraient leur apporter un avantage concurrentiel. Une des attentes des
clients a été de se voir proposer le produit répondant le mieux à ses besoins
personnels. Aussi, la grande distribution s’est tournée vers les moyens de les
identifier au mieux en acquérant les informations pertinentes et en sachant les
traiter de manière adéquate pour en extraire les donnés désirées. Ces
informations concernant le comportement de leurs clients lors de l’acte
d’achat a donc très tôt suscité un vif intérêt, mais c’est grâce à l’apparition des
cartes de fidélité et les progrès dans le traitement de l’information que
l’acquisition de ces données a pu être menée de manière efficiente aussi bien
en terme d’échelle que de précision. La grande distribution ne s’est plus
intéressée aux clients de manière générale mais a été en capacité de détenir
des informations relatives à chacun d’entre eux. Ces informations lui ont permis
de cibler son marketing et pré-marketing (terme utilisé pour qualifier
l'ensemble des actions marketing menées préalablement à la
commercialisation d'un bien ou d'un service et destinées à sensibiliser les
consommateurs à la disponibilité prochaine du produit 1 ) et d’affiner ses
propositions en fonction de chaque individu, en d’autres termes, de segmenter
son marché et de pouvoir ainsi répondre de manière plus pertinente aux
attentes de ces différentes cibles. Dans cette remontée d’informations, le
consommateur reste relativement passif et contribue presque à son insu à
cette création de valeur, si ce n’est qu’en échange de ces informations, il se
voit recevoir des avantages promotionnels. Il ne sait pas quelles informations
sont récupérées ni comment elles sont traitées par la suite. C’est sans doute
pour cela que certains clients refusent ce genre d’offre préférant rester maitre
de leur données, anonymes aux yeux de la grande distribution. Ces cartes de
fidélité, comme leur nom l’indique, ont eu de plus pour vocation de fidéliser le
client en l’incitant à revenir régulièrement chez le même distributeur afin
d’accumuler ces avantages, il intègre ainsi la communauté des clients du
magasin.
Un autre moyen, plus actif de la part du client et donc plus acceptable, pour
récupérer ces informations a été la mise en place de questionnaires et
d’études de satisfaction en magasin. Le client est sollicité en sortie de caisse à
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
 Emarketing. Le magazine des nouvelles tendances marketing. 2013. Disponible sur :
.
[Consulté le 10 Juin 2014]

                                                                                     15
donner son avis sur les produits, l’organisation du magasin ou encore l’accueil
et les conseils que lui ont réservé les conseillers de vente, il faut d’ailleurs
noter que le terme « conseiller de vente » ou « conseiller-vendeur » est
préféré à « vendeur » laissant ainsi une autonomie et une liberté dans l’acte
d’achat plus importante au client. Ces études restent aujourd’hui utilisées dans
la grande distribution mais paraissent quelques peut obsolètes vis à vis des
possibilités en terme de support et de diffusion offertes par les médias
numériques. Ces méthodes ont par conséquent aujourd’hui évolué vers des
supports virtuels plus efficaces à l’ère du numérique. La mise en place de
plateformes d’échange sur internet afin que le client puisse donner son avis sur
les produits, services, organisation de la grande distribution a permis de
maximiser et d’optimiser cette remontée d’information. La maitrise des
informations et échanges qui peuvent se faire entre clients s’est d’ailleurs
avérée obligatoire face à l’émergence de plateformes et de forums
indépendants mettant directement en relation les consommateurs entre eux et
ce, à grande échelle sans que le distributeur puisse contrôler les dites
informations diffusées dans ces espaces. Or, ces avis positifs ou négatifs ont
pu avoir un lourd impact sur l’image des enseignes. Il est évident que le
consommateur a bien davantage confiance en un autre consommateur qu’en
un acteur de la grande distribution dont l’avis est forcément biaisé par l’intérêt
que ce dernier a à vendre ses produits. Comme un client mécontent le dit à 10
personnes environ alors qu’un client satisfait ne le dit qu’à trois personnes1, la
diffusion d’un avis négatif est d’autant plus néfaste. Actuellement, la quasi-
totalité des enseignes disposent de plateformes propres et ce système a été
amené à un niveau proche de l’optimum. Les distributeurs cherchent par
conséquent de nouveaux axes de développement basés sur les échanges
possibles entre leur structure et le consommateur.
Si les plateformes évoquées précédemment ont dans un premier temps été
exploitées pour recueillir des avis, remarques ou suggestions de la part du
client elles permettent aujourd’hui d’intégrer progressivement le client au
processus de conception. Cette action s’intègre dans celle, à plus grande
échelle, de mettre le consommateur dans une position d’acteur à part entière
de la grande distribution dans sa globalité et non plus juste en fin de
processus.                   On           peut           citer le site communautaire «C’vous »
(https://www.cvous.com) du groupe Casino lui permettant de commercialiser
de nouveaux produits et de mettre en place les services plébiscités par les
internautes. Le client voit donc son rôle accru en passant d’acheteur à celui de
décideur. L’exemple d’Auchan et de son partenariat avec Quirky
(https://fr.quirky.com) va plus loin encore, puisqu’il permet au client non
seulement de promouvoir des produits issus de producteurs, fabricants,
fournisseurs classiques qui pourront par la suite être mis en vente au sein des
magasins de l’enseigne mais aussi de proposer des produits émanant de sa
propre conception ou de celle d’un autre client. Cette fois, le client est
devenu, en plus d’être celui qui plébiscite, le décisionnaire et le concepteur
des produits. Dernièrement à Epinay sur Seine, ont été mis en place « comités
de voisinage » afin que les futurs clients du magasin sélectionnent les produits
qui constitueront son offre et valident les implantations de rayons 2 . Cette
initiative est aussi représentative de la recherche de ce nouvel axe. Les
distributeurs cherchent désormais à intégrer en amont le consommateur et
ainsi à augmenter les liens de collaboration entre ces deux partis. C’est cette
fois l’humain qui est au cœur des interactions entre le distributeur et le
consommateur. Les initiatives d’Auchan et de Casino, si elles sont relativement
récentes, ne sont pas pour autant des cas isolés dans la grande distribution.
L’inauguration du magasin IKEA à Bergens en Norvège a été entièrement
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
  Chiffres issus d’une étude de l’institut TARP cité par Philippe Détrie, Les réclamations
clients, éd. Editions d’Organisation, 2004.
2
  Information tirée de la newsletter n°4 de Mars 2014 de L’œil by LaSer.

                                                                                           16
organisée par ses habitants. Par ce type d’initiatives, le consommateur devient
de plus en plus acteur de sa propre consommation mais aussi de la distribution
voire de la conception des produits. L’étape suivante pourrait être la
production, le client serait par conséquent intégré à toutes les étapes qui
constituent la chaine producteur-distributeur-consommateur évoqué au début
de cette partie.

Un modèle bousculé par le web 2.0
!
Si cette évolution est en train de se dérouler, elle résulte de plusieurs facteurs
sociaux, économiques et culturels. Le plus évident et sans doute le plus
important étant l’arrivée du web et plus particulièrement du web 2.0. L’arrivée
du commerce électronique a fortement impacté le secteur de la grande
distribution. Pour la première fois depuis trente ans, le volume des ventes dans
les super et hyper marchés a chuté en 2008 selon l'institut IRI France1. Cette
baisse est imputable à plusieurs facteurs. Outre les aspects économiques liés
à la conjoncture actuelle, les changements sociologiques, et l'essoufflement
du modèle de l'hypermarché, c’est la montée en puissance de nouveaux
canaux de vente, avec le marché d’internet en première position qui a fragilisé
le secteur de la grande distribution. Les acteurs de ce dernier se sont
relativement rapidement adaptés à ce changement en instaurant de nouveaux
services en phase avec cette évolution et les attentes inhérentes du
consommateur. Les grandes enseignes de la distribution ont ouvert des sites
de vente en ligne, mis en place un service de « drive-in » et de livraison à
domicile permettant ainsi à leurs clients de commander leurs produits en ligne
et de venir les récupérer rapidement voire de se les faire livrer chez eux.
Si ces nouvelles pratiques révèlent une remise en question du modèle de la
grande distribution, l’impact du web sur ce secteur va plus loin que ces
modifications de fonctionnement et de service apportés aux consommateurs.
C’est le client lui même, son comportement et ses attentes qui ont évolué
avec l’arrivée du web et plus encore avec celle du web 2.0. Il est à ce stade
important de définir précisément ce que l’on entend par web 2.0. En effet ce
terme très largement usité reste relativement ambigu et recouvre un large
champ de notions. En Septembre 2005, Tim O’Reilly publiait le texte « Qu’est-
ce que le web 2.0 ? » 2 sur lequel nous nous appuierons pour définir la
caractéristique du Web 2.0 qui nous intéresse. La particularité majeure du web
2.0 réside dans son organisation en plateforme centrée sur les utilisateurs eux
même. Il n’a pas de frontières clairement établies mais plutôt un centre de
gravité autour duquel les internautes contribuent. À l’inverse de ce que l’on
nomme le web 1.0 où le contenu résidait plutôt en des publications que des
participations et où les acteurs moteurs étaient des annonceurs, et non les
consommateurs, le web 2.0 tend à offrir au plus grand nombre la possibilité
d’en devenir contributeur direct. C’est « la force collective des petits sites
[qui] représente l’essentiel du contenu du web » selon Chris Anderson dans
son ouvrage La longue traîne 3 . Le web 2.0 tire par conséquent parti de
l’intelligence collective et c’est l’implication des utilisateurs dans ce réseau qui
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1!Etude citée dans l’article « La grande distribution alimentaire se structure sur le
web », Martine Fuxa, E-commerce N°17, 2009, disponible sur le site
ecommercemag.fr (consulté en Avril 2015).!
2
  Tim O’Reilly, « Qu’est-ce que le web 2.0 ? », dont une traduction française par Jean
Baptiste Boisseau est disponible sur le site :
http://www.internetactu.net/2006/04/21/quest-ce-que-le-web-20-modeles-de-
conception-et-daffaires-pour-la-prochaine-generation-de-logiciels/ (consulté en Avril
2014).
3
  Chris Anderson, La longue traîne: la nouvelle économie est là, traduit pas Brigitte
Vadé et Michel Le Séac’h, éd. Village mondial, 2007.

                                                                                        17
en est le facteur-clé. Il s’appuie sur des modèles de programmation légers
avec une conception faite pour être « bidouillable » et « remaniable » laissant
ainsi la possibilité aux utilisateurs de devenir co-créateurs. Les applications, en
s’appuyant sur une architecture de participation, se démarquent non seulement
par leur interface, mais aussi par la richesse des données partagées qu’elles
offrent. Le fait de n’être plus centré sur un site mais plutôt sur l’utilisateur a
permis l’apparition de nouvelles pratiques et a amené l’utilisateur à prendre
conscience qu’il pouvait intervenir directement sur son environnement et
occuper une place d’acteur à part entière. Aujourd’hui, cette envie d’être
acteur s’exporte à d’autres domaines que celui du web et c’est cette attente
que la grande distribution souhaite combler en intégrant le consommateur au
cœur de son activité de distribution.
L’impact des réseaux sociaux
!
Un domaine du web à fortement intéressé et inspiré le monde de la grande
distribution : les réseaux sociaux. En effet, ces « médias sociaux » qui utilisent
l’intelligence collective dans un objectif de collaboration en ligne sont les
parfaits exemples de ce que peut être le web 2.0. Ils incarnent l’esprit de
communauté, fédèrent un groupe d’individus et leur permettent d’échanger de
manière relativement libre. Les acteurs de la grande distribution se sont par
conséquent intéressés à ces médias à la fois pour s’en protéger mais aussi
pour les utiliser en leur faveur. Ces outils peuvent s’avérer être très néfaste
pour une marque, un produit, une enseigne, de part leur nature et l’ampleur qu’il
ont pris durant ces dernières années (selon l’édition 2013 du baromètre des
réseaux sociaux de Médiamétrie, la France comptait près de 32 millions
d’internautes inscrits sur les réseaux sociaux en 2013, ils étaient 20,3 millions
en 2010). En effet, la possibilité d’échanger des informations, d’affirmer et de
partager son avis voire de fédérer les internautes autour d’une cause ou d’une
idée commune rend ces outils extrêmement puissants en terme d’image de
marque. Plutôt que de les nier, les enseignes de la grande distribution se les
sont accaparés en créant leur propre page, en travaillant sur leur image via
ces médias et en les intégrant de manière complète à leur stratégie de
communication. Ces médias deviennent ainsi des vecteurs d’interactions
directs entre la grande distribution et ses clients.

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Image 4: Communautés autours des trois géants de la grande distribution, chiffre Mai
2014.

                                                                                 18
Cette forte interaction vis à vis de leurs clients est le socle de lancement de
leurs offres promotionnelles, de discussion et de partage d’avis, de remarques,
de conseils. Cette position a permis, dans une certaine mesure, de redonner
une « âme » à ces géants très éloignés des individus qui forment leur
clientèle. De plus, les réseaux sociaux ont permis d’ancrer ces acteurs dans
une dimension locale, avec la création de pages dédiées à chaque magasin.
Cet ancrage a renforcé l’idée d’une proximité et ainsi recréé un lien à
dimension humaine et quotidienne entre consommateur et distributeur1. Sur
ces pages, ce sont les conseillers de vente du magasin qui s’expriment. Il
existe environs 90 pages Facebook Leroy Merlin « magasin » sur les 119 lieux
de vente que compte l’enseigne en France.
En plus des pages dédiées au magasin, des pages thématiques ont vu le jour
permettant de fédérer les clients autours d’intérêts communs et d’accentuer
ainsi la notion de communauté thématique. C’est le cas de pages tel que
« Carrefour Voyage » ou « Carrefour Spectacle » avec près de 140 000
fans. Certains des acteurs de la grande distribution vont même plus loin en
rachetant des sociétés spécialisées dans le traitement des informations issues
des médias sociaux ou dans la création de technologies spécifiques à ces
derniers. C’est le cas de Walmart avec le rachat des sociétés Kosmix et One
Riot intégrées au sein du WalmartLabs, incubateur de l’enseigne dédié au
eCommerce (http://www.walmartlabs.com). Au vu de ce bref descriptif, on
mesure l’importance conférée aux médias sociaux par les acteurs de la grande
distribution. A l’heure actuelle, cet intérêt reflète le souhait de se rapprocher du
client et ainsi de lui donner un rôle d’acteur dans le cadre de sa propre
consommation. L’humain est donc bel et bien au cœur de ces nouvelles
interactions recherchées aussi bien du coté des enseignes que des
consommateurs.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1!Nicolas Masson. La grande distribution & les réseaux sociaux : analyse des
stratégies et performances. In Journal Du Net. L’économie demain [en ligne]. 2014.
Disponible sur < http://www.journaldunet.com>. [Consulté le 2 Mars 2015]!

                                                                                     19
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