Impôts des multinationales après la crise sanitaire : pour un taux de taxe effectif minimum - CEPII

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N° 30 FR – Avril 2020
                                                            Policy Brief

                                             Impôts des multinationales
                                             après la crise sanitaire :
                                             pour un taux de taxe effectif
                                             minimum
                                                      Sébastien Laffitte, Julien Martin, Mathieu Parenti,
                                                                       Baptiste Souillard & Farid Toubal

Résumé
De nombreuses leçons devront être tirées de la crise du coronavirus. La situation actuelle amènera
chacun à repenser les dotations et le fonctionnement des systèmes de santé. Ces services ont été sous-
financés dans la plupart des pays – une réalité en partie liée à des contraintes budgétaires que l’évitement
fiscal des multinationales a certainement exacerbé. Par ailleurs, certaines multinationales qui adoptent
des mesures d’évitement fiscal depuis des années vont recevoir des aides publiques, ce qui renforcera le
sentiment d’injustice au sein de la population. Dans cette tribune, nous soutenons que la mise en place
d’un taux de taxe effectif minimum sur les bénéfices des entreprises multinationales aiderait à régler ces
deux préoccupations.
Impôts des multinationales après la crise sanitaire : pour un taux de taxe effectif minimum

La pandémie de Covid-19 et le confinement de milliards                             chômage partiel et proposent des reports d’impôts ou
de personnes dans le monde ont des conséquences                                    des lignes de crédit 1 .
économiques considérables. Les États jouent un rôle                                Ces mesures budgétaires sont essentielles. Néanmoins,
central dans la réponse qu’il convient d’apporter à                                ces aides bénéficieront en partie à de grandes
cette crise. Conjointement aux mesures sanitaires                                  entreprises qui ont mis en œuvre des stratégies de
indispensables, plusieurs plans de relance d’une                                   planification fiscale agressive au cours des dernières
ampleur sans précédent ont été mis en place par                                    années. Une telle situation suscite des inquiétudes
différents gouvernements. Les mesures économiques                                  légitimes quant à l’acceptabilité sociale de ces plans
les plus immédiates et les plus efficaces seront                                   de sauvetage.
certainement celles qui visent à maintenir à flot les
entreprises et les emplois, tout en préservant les
liquidités sur les marchés financiers (Ilzetzki, 2020).                            1.1. Le cas des secteurs les plus touchés
L a s itu a tio n a ct uel l e en E ur ope, aux É t at s - U n i s e t                        par la pandémie
a ille u r s té mo ig ne de l ’ i m por t anc e c r uc i al e des m o ye n s
h u ma in s e t fin anc i er s c ons ac r és aux s er v i c es p u b l i cs        L’épidémie de Covid-19 a touché de nombreux secteurs,
p o u r a tté n u e r le s eff et s d’ év énem ent s ex t r êm es co m m e         et les gouvernements devront intervenir par le biais
le s p a n d é mie s . C et t e s i t uat i on r env oi e à l ’ i m p o si ti o n  de prêts et de garanties pour soutenir l’économie.
d e s s o c ié té s m ul t i nat i onal es pour au m oi n s d e u x                L’industrie aérienne a été durement touchée, le choc se
r a is o n s . D’u n e par t , l a c r i s e r év èl e                                                 propageant inévitablement à toutes les entreprises
q u e c e r ta in s b i ens publ i c s es s ent i el s                                                 en amont et en aval de la chaîne 2. L’association
c o mme le s s e r vi c es de s ant é, ont ét é                     dans cette tribune, internationale du transport aérien (AITA) estime
s o u s - fin a n c é s dans de nom br eux pay s              nous soutenons que la que le secteur aura besoin d’une injection de
( A r mo c id a e t al . , 2020) , un pr obl èm e           mise en place d’un taux liquidités pouvant atteindre 200 milliards de
q u e l’é v ite me n t f i s c al des ent r epr i s es
                                                                  d’imposition effectif dollars, ainsi que de garanties de prêts pour faire
a p r o b a b le me nt ex ac er bé. D ’ aut r e                                                        face à ce ralentissement de l’activité. D’autres
                                                                        minimum sur les
p a r t, c e r ta in e s m ul t i nat i onal es qui                                                    secteurs ont également été fortement affectés par
é v ite n t l’imp ô t s ur l es s oc i ét és
                                                                  bénéfices       mondiaux             la crise. C’est le cas des compagnies de croisière
d e p u is d e s a n n ées s ont s ur l e poi nt                         des entreprises mais également de l’industrie automobile,
d e r e c e v o ir des ai des f i nanc i èr es                           multinationales laquelle sera sévèrement atteinte selon les
ma s s iv e s d e s gouv er nem ent s , c e                                                            premières projections 3 .
q u e b e a u c o u p j ugent i nac c ept abl e                                                        À p a r ti r d e s d o n n é e s d e C o m p u stat,
( Tu r n e r, 2 0 2 0 ) . D ans c et t e t r i bune, nous s ou te n o n s          n o u s r e p o r to n s l e ta u x d ’ i m p o si ti o n e ffe cti f m oyen
q u e la mis e e n pl ac e d’ un t aux d’ i m pos i t i on e ffe cti f             ( ETR ) p o u r ce s tr o i s i n d u str i e s su r l e g r a p h i q u e 1.
min imu m s u r les bénéf i c es m ondi aux des ent re p r i se s                  L’ é ch a n ti l l o n e st fo r m é d e s e n tr e p r i se s co té e s en
mu ltin a tio n a le s per m et t r ai t de r épondr e à c es d e u x              b o u r se i n co r p o r é e s a u x Éta ts- U n i s o u d a n s l’un
p r é o c c u p a tio n s.                                                         d e s p a ys d e l ’ U n i o n e u r o p é e n n e . C e s e n tr e p r ises
                                                                                   co m p te n t p a r m i l e s p l u s g r a n d e s d e ce s p a ys e t sont
                                                                                   p o u r l a p l u p a r t d ’ e n tr e e l l e s d e s m u l ti n a ti o n a l e s . Le
       1 Politique économique, entreprises                                         ta u x d ’ i m p o si ti o n e ffe cti f é vo l u e é tr o i te m e n t a ve c les
            et transfert de bénéfices                                              str a té g i e s d e p l a n i fi ca ti o n fi sca l e a g r e ssi ve . Ai n si, un

          dans les paradis fiscaux
Cette crise prouve que des événements rares comme
les pandémies, les catastrophes naturelles ou le                                        (1) Le FMI a mis en place une base de données (https://www.imf.org/en/
                                                                                        Topics/imf-and-covid19/Policy-Responses-to-COVID-19 qui illustre l’ampleur
terrorisme touchent les individus et les entreprises                                    des politiques économiques mises en place pendant la crise.
indépendamment de leur santé financière ou de leur                                      (2) Aux États-Unis, un quart des 2 000 milliards de dollars de dépenses
                                                                                        adoptées par le Sénat permettront de renflouer l’industrie du transport
contribution au système fiscal (De Vito et Gomez,                                       aérien, dont 18 milliards seront consacrés à Boeing. Des plans similaires
2020 ; Bloom et al., 2020). En France, Emmanuel                                         sont mis en place en Europe. Le gouvernement italien a nationalisé
                                                                                        Alitalia à travers un investissement de 600 millions d’euros, le Danemark
Macron a annoncé qu’« aucune entreprise, quelle                                         et la Suède ont offert à la compagnie aérienne SAS un prêt garanti de
que soit sa taille, ne sera livrée au risque de faillite »                              près de 300 millions d’euros, et le gouvernement français a annoncé qu’il
                                                                                        soutiendrait Air France – KLM si nécessaire.
(16 mars 2020). D’autres pays ont adopté une approche
                                                                                        (3) Selon l’association des producteurs automobiles européens, au moins
similaire et beaucoup d’entre eux versent une grande                                    1,1 million d’employés européens sont concernés par une fermeture de
                                                                                        leur usine en lien avec la crise de Covid-19. https://www.acea.be/press-
partie des salaires des employés sous forme de
                                                                                        releases/article/covid-19-jobs-of-over-1.1-million-eu-automobile-workers-
                                                                                        affected-so-far-dat.

2   CEPII – Policy Brief n° 30 – Avril 2020
Policy Brief

     Tableau 1 – Taux d’imposition effectif par secteur                                                     1.2. Quelques chiffres à l’échelle globale

                        Secteur aérien - États-Unis                                                               Bien que ces chiffres ne concernent que les trois
                         Secteur automobile - États-Unis
                                                                                                                  secteurs susmentionnés, l’évitement fiscal est une
                                                                                                                  pratique répandue à travers l’ensemble des secteurs.
               Tous les secteurs (moyenne) - États-Unis
                                                                                                                  Les grandes entreprises – et pas uniquement les
                     Secteur aérien - Union européenne
                                                                                                                  entreprises du secteur numérique – utilisent diverses
                Secteur automobile - Union européenne
                                                                                                                  stratégies pour éviter de payer des impôts dans les pays
      Tous les secteurs (moyenne) - Union européenne                                                              où elles exercent une grande partie de leurs activités.
Secteur des croisières - États-Unis et Union européenne                                                           Différents travaux journalistiques et plusieurs études
                                                         0.00    7.50          15.00          22.50       30.00   scientifiques plus systématiques montrent que les
          Taux d'imposition effectif 2010-2019 (en %)         Taux d'imposition effectif 2015-2019 (en %)         multinationales exploitent leur réseau de filiales afin
                                                                                                                  de déplacer leurs bénéfices vers les filiales étrangères
      Notes : ce graphique présente le taux d’imposition effectif pour différents secteurs                        du groupe localisées dans des pays à faible fiscalité
      sur les périodes 2010-2019 et 2015-2019. Le taux est calculé comme le quotient                              (voir Beer et al. (2019) pour une revue de la littérature
      entre le montant des taxes payé et le bénéfice avant impôts. « Transport aérien »
      correspond au secteur SIC 4512, « secteur automobile » correspond au secteur                                économique). Cette même littérature évoque des pertes
      SIC 3711 et « croisières » correspond au secteur SIC 4400. Les données utilisées
      pour calculer ces chiffres viennent de Compustat North America et Compustat Glo-
                                                                                                                  de recettes fiscales substantielles. Aux États-Unis,
      bal. « États-Unis » et « Union européenne » indiquent le pays d’incorporation des                           Clausing (2019) conclut que le transfert des bénéfices
      entreprises considérées. « Union européenne » comprend les 27 pays membres en
      2010 à l’exception de l’Irlande, Luxembourg, Malte et Chypre.                                               vers les pays à faible taux d’imposition a coûté au
      Source : Compustat North America et Compustat Global, calcul des auteurs.                                   gouvernement américain entre 79 et 125 milliards
                                                                                                                  d’euros de recettes fiscales sur la seule année 2017,
                                                                                                                  et que ces pertes ont considérablement augmenté ces
                                                                                                                  dernières années. En France, ces pertes se situent
      fa ib le ta u x d ’im pos i t i on eff ec t i f s i gnal e l ’ ut i l i s ati o n d e                       entre 5 et 10 milliards d’euros chaque année selon
      te lle s s tr a té g ie s ( D y r eng et al . , 2019) . C e t a u x e st                                    trois études récentes (Laffitte et al., 2019 ; Tørsløv et
      c a lc u lé c o mme l e quot i ent ent r e l a s om m e de l ’ i m p ô t                                    al., 2019, Vicard, 2019). Ces chiffres sont comparables
      p a y é s u r u n e pér i ode et l a s om m e des r ev enus a va n t                                        au plan de 8,5 milliards d’euros récemment mis en
      imp ô t o b te n u s s ur l a m êm e                                                                                               place par le gouvernement français pour
      p é r io d e . P o u r ne pas êt r e                                                                                               étendre le dispositif de chômage partiel.
      c o n ta min é e p a r l a v ol at i l i t é                                                                                       Beaucoup de ces entreprises bénéficieront
      d e s v a r ia b le s à une f r équenc e                                            les     grandes       entreprises              sans aucun doute d’une aide financière
      a n n u e lle , n o tr e m es ur e es t                                             – et pas uniquement les gouvernementale, directe ou indirecte.
      c a lc u lé e s u r u n e pér i ode de 5                                              entreprises du secteur Afin de garantir l’acceptabilité sociale de
      o u 1 0 a n s ( Dy r e ng et al . , 2008) .                        numérique – utilisent diverses ces mesures d’urgence et d’augmenter
      Le graphique indique que le transport                              stratégies pour éviter de payer les recettes fiscales en temps normal,
      aérien, le secteur automobile et                                        des impôts dans les pays où nous pensons que la situation actuelle
      les compagnies de croisière ont
                                                                                    elles exercent une grande donne l’impulsion nécessaire pour mettre
      des taux d’imposition effectifs
                                                                                          partie de leurs activités en œuvre un taux d’imposition effectif
      particulièrement bas, tant aux États-                                                                                              minimum sur les bénéfices mondiaux des
      Unis que dans l’Union européenne.                                                                                                  entreprises multinationales.
      Ce faible taux d’imposition révèle
      une contribution modeste au financement des services
      publics. En dépit de ces faibles taux d’imposition
                                                                                                                  II.
                                                                                                                         2 Réforme du système
      effectifs, ces entreprises recevront une aide financière                                                                de taxation internationale
      considérable de la part des différents gouvernements.
      Ce s d o n n é e s m ont r ent que l e t aux d’ i m po si ti o n
      e ffe c tif d e c e s s ec t eur s es t bi en i nf ér i eur à ce q u e                                      2.1. Négociations en cours
      d e v r a it ê tr e le t aux d’ i m pos i t i on dans l ’ U E ( 21 ,7 % e n
      mo y e n n e e n 2 0 19) ou aux É t at s - U ni s ( 35% j usq u ’ à l a                                     Depuis 2018, l’OCDE mène des négociations pour une
      fin d e 2 0 1 7 , 2 1 % ens ui t e) . C es i ndus t r i es ont u n ta u x                                   réforme globale du système de taxation internationale
      d ’imp o s itio n e ff ec t i f f ai bl e m ai s ne c ons t i t uen t p a s                                 avec plus de 130 pays. Les négociations doivent
      d e s e x c e p tio n s : en eff et , l e t aux d’ i m pos i t i on e ffe cti f                             d u r e r j u s q u ’ à l a f i n 2 0 2 0 . D i ff é r e n t s s c é n a r i o s s o n t
      mo y e n a u x É ta t s - U ni s et dans l ’ U ni on eur opée n n e e st                                    discutés, y compris la mise en place d’un seuil
      in fé r ie u r à 2 5 % .                                                                                    minimal de taxation.

                                                                                                                                                      CEPII – Policy Brief n° 30 – Avril 2020           3
Impôts des multinationales après la crise sanitaire : pour un taux de taxe effectif minimum

Ce tte o p tio n n ’ es t c ependant pas l a v oi e pr ivi l é g i é e             exceptionnelle des sociétés qui réalisent des bénéfices
d a n s le s d is c u ss i ons en c our s . Les aut r es s cé n a r i o s          grâce à la crise 5 .
p r o p o s e n t d e r e di s t r i buer l es dr oi t s à t ax er, m a i s so n t Le taux de taxation minimal permet ainsi d’assoir
mu e ts s u r le ta ux auquel l es m ul t i nat i onal es devr a i e n t           l’acceptabilité des aides versées aux entreprises et de
ê tr e ta x é e s . C es pr opos i t i ons r epos ent en partie sur                                          collecter des recettes fiscales dans
l’idée qu’une meilleure allocation des droits à taxer réduira                                                le court terme. Cette politique
de fait l’évitement fiscal. Cependant, la complexité introduite                         le principe     de   fiscale est également pertinente
par des règles d’allocation des droits à taxer et la quantité                      taxation minimum à plus long terme. Lorsque la
importante d’information nécessaire à l’application de ces                              est beaucoup situation économique et sanitaire
règles risquent d’offrir de nombreuses échappatoires                                       plus simple retournera à la normale, cette
aux entreprises multinationales, n’ayant qu’un effet                                                         politique limitera l’optimisation
modéré sur leur comportement d’évitement fiscal.                                                             fiscale agressive des entreprises
Le principe de taxation minimum est quant à lui                                    multinationales permettant d’augmenter leur contribution
beaucoup plus simple. Les contours légaux de ce                                    au financement des biens et infrastructures publics ;
principe sont déjà connus des autorités fiscales car il                            élément clé pour atténuer les prochaines catastrophes
peut être vu comme une extension des règles sur les                                de grande échelle que subiront nos économies.
sociétés étrangères contrôlées (SEC), appliquées à                                 Avec un taux de taxation minimal, les bénéfices réalisés
une base plus large.                                                               à l’étranger sont tous taxés à un taux minimal. Si ces
Par ailleurs, cette proposition a le mérite de s’attaquer                          bénéfices ne sont pas taxés par le pays étranger, la
directement à l’évasion fiscale engendrée par les                                  taxation est mise en place en redistribuant les droits
différences de taxation entre pays.                                                                    à taxer aux pays dans lesquels
Ap p l i q u e r un taux de taxation minimal                                                           opèrent les groupes des filiales en
implique théoriquement qu’aucune                                            appliquer un taux de question et où la richesse est créée
entreprise ne peut échapper à ce                                   taxation minimal implique (mais pas déclarée). Ceci réduit
taux en établissant une filiale dans un                             théoriquement qu’aucune significativement les incitations d’une
paradis fiscal. Si le taux de taxation
                                                                entreprise ne peut échapper entreprise à ouvrir une filiale dans
effectif d’une filiale tombe sous le                                                                   un pays étranger pour des motifs
                                                                à ce taux en établissant une
seuil minimal, cela ouvre des droits à                                                                 fiscaux. Ainsi, Fuest, Parenti & Toubal
taxer aux pays dans lesquels opère le
                                                               filiale dans un paradis fiscal. (2019) ont montré que ce dispositif
groupe qui possède cette filiale.                             Si le taux de taxation effectif réduit fortement les comportements
Il est important de souligner que ce                               d’une filiale tombe sous le de transferts de bénéfices des
taux de taxation minimum n’est pas un seuil minimal, cela ouvre des multinationales et génère des recettes
taux statutaire, mais un taux effectif.                          droits à taxer aux pays dans fiscales substantielles.
Ainsi l’accumulation de déductions,                             lesquels opère le groupe qui Basculer vers ce dispositif permet
d’exemptions ou de crédits donnant                                          possède cette filiale également de réduire les possibilités
droit à des baisse d’impôts est                                                                        de non-taxation et de double-taxation
autorisé jusqu’à un certain seuil                                                                      des entreprises (voir Fuest, Parenti
plancher de sorte que toute entreprise contribue in fine                           & Toubal, 2019 et Becker & Englisch, 2019 pour les
à l’impôt. Cela autorise les états à définir un seuil à la                         détails techniques). Enfin, si un consensus n’est pas
concurrence fiscale et incite ainsi les pays à faible taux                         atteint à l’OCDE, le dispositif pourrait être mis en place
d’imposition à augmenter leurs taux.                                               de manière unilatérale. C’est le cas des États-Unis qui
                                                                                   ont mis en place un dispositif assez similaire depuis
2.2. Une période propice à l’introduction                                          2018. Ils imposent en effet un taux minimum sur les
            de la taxation minimale                                                revenus des multinationales états-uniennes déclarés
                                                                                   dans des pays à faible taux d’imposition, avec un crédit
Le taux de taxation minimal garantit que les quelques                              pour 80 % des taxes étrangères payées. Cependant,
multinationales qui ont réalisé des profits pendant                                comme le Tax Cut and Jobs Act porte sur un taux
une crise n’échappe à la taxation, ce qui est dans une                             minimal global, les obligations fiscales dans les pays
aubaine pour les gouvernements 4 . Ces recettes de                                 avec des taux de taxe élevés peuvent compenser
court terme peuvent être couplées à une contribution                               le niveau minimal payé dans les pays à faible taux

                                                                               (5) Dans une tribune récente, Avi-Yonah (2020) propose de ré-introduire
(4) Le taux de taxation minimal n’aura pas d’effet sur les entreprises qui     les taxes sur les bénéfices excédentaires mis en place par les États-
réaliseront des pertes pendant la crise car la taxe est uniquement appliquée   Unis pendant les deux guerres mondiales. Ces taxes visent les bénéfices
aux entreprises qui déclarent des profits positifs.                            exceptionnels réalisés par les entreprises

4   CEPII – Policy Brief n° 30 – Avril 2020
Policy Brief

d’imposition. Les entreprises peuvent jouer sur cette                inférieur à 11 % 6 . De plus, même dans les pays avec
subtilité pour gonfler le taux d’imposition effectif à l’étranger    un taux statutaire élevé, beaucoup de multinationales
et ainsi réduire leurs paiements au                                               déclarent un taux effectif inférieur à 20 % :
gouvernement américain au titre de                                                une étude récente pour la France menée par
la taxation minimum. L’expérience          le taux de taxation minimal l’IPP montre que les grandes entreprises
américaine nous montre qu’il est                     permet ainsi d’assoir ont un taux de taxe effectif d’environ 17,8 %
possible de mettre en place ce type            l’acceptabilité     des aides – chiffre comparable au taux effectif de 18,7 %
de dispositif de manière unilatérale,       versées aux entreprises et calculé pour les entreprises Françaises à
mais également que l’imposition d’un          de collecter des recettes partir de Compustat.
taux minimum doit se faire pays par       fiscales dans le court terme Un taux minimum d’imposition de 20 % sur
pays et non au niveau global.                                                     les bénéfices étrangers des multinationales
Enfin, un élément essentiel de ce                                                 réduirait la concurrence fiscale entre
type de réforme est le niveau du taux de taxe effectif.              les pays en limitant l’intérêt pour les paradis fiscaux
Par exemple, le taux global minimum fixé par les                                               d’avoir des taux faibles et en
États-Unis est entre 10,5 % et 13,125 %. Bien qu’il                                            réduisant les incitations pour
n’y ait pas de consensus sur le taux optimal, nous                bien qu’il n’y ait pas de les entreprises à se localiser
proposons un taux effectif minimal de 20%. Un taux                 consensus sur le taux dans ces pays.
sous ce seuil légitimerait les comportements de                 optimal, nous proposons Ce dispositif aurait l’avantage
planification fiscale agressive et pourrait avoir des           un taux effectif minimal de lier la contribution fiscale des
effets délétères. D’un autre côté, un taux de 20 %                                   de 20% multinationales à leur activité
est déjà très ambitieux et viser un taux beaucoup                                              économique réelle, d’augmenter
plus haut semble compliqué. À titre de comparaison,                                            les recettes fiscales des états,
25 pays de l’OCDE ont un taux inférieur à 20 % et au                 et de légitimer les plans de sauvetage futurs de certaines
niveau mondial près de la moitié des pays ont un taux                multinationales.
                                                                  (6) Ces taux effectifs sont calculés pour l’année 2015 à l’aide des données
                                                                  de Tørsløv et al. (2019).

                                                                                                   CEPII – Policy Brief n° 30 – Avril 2020   5
Impôts des multinationales après la crise sanitaire : pour un taux de taxe effectif minimum

Références
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Avi-Yonah, R., (2020), “It’s Time to Revive the Excess Profits                  R. (2017). “Changes in corporate effective tax rates
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À propos des auteurs
Sébastien Laffitte : ENS Paris-Saclay, CREST, international trade, public economics, public finance
sebastien.laffitte@ens-cachan.fr
Julien Martin : ESG-UQAM, Chaire de recherche UQAM sur l’impact local des firmes multinationales, CIRANO et CEPR, international
economics, corporate taxation, and urban economics
martin.julien@uqam.ca
Mathieu Parenti: Université libre de Bruxelles, ECARES et CEPR, international trade, international corporate taxation, industrial organization
mathieu.parenti@ulb.ac.be
Baptiste Souillard : Université libre de Bruxelles, ECARES et FRS-FNRS, International trade and corporate taxation
baptiste.souillard@ulb.ac.be
Farid Toubal : ENS Paris-Saclay, CEPII, CESifo et CEPR
farid.toubal@ens-paris-saclay.fr

Contact : farid.toubal@ens-paris-saclay.fr

Policy Brief
                                         Directeur de la publication :         Le Policy Brief                                  ISSN 2270-258X
                                         Sébastien Jean                        est disponible en version électronique
    © CEPII, PARIS, 2020
                                                                               à l'adresse :
    Rédaction :                                                                http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/
    Centre d'études prospectives                                               pb.asp                                           Publié le 08.04.20
    et d'informations internationales    Rédaction en chef :
    20, avenue de Ségur                  Christophe Destais
                                                                                                                                Ce Policy Brief est publié sous la
    TSA 10726
                                                                                                                                responsabilité de la direction du CEPII.
    75334 Paris Cedex 07
                                                                               Pour être informé de chaque nouvelle parution,   Les opinions qui y sont exprimées sont
    Tél. : 01 53 68 55 00                Réalisation :                         s'inscrire à l'adresse :                         celles des auteurs.
    www.cepii.fr – @CEPII_Paris          Laure Boivin                          http://www.cepii.fr/Resterinforme

6   CEPII – Policy Brief n° 30 – Avril 2020
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