Indépendance de la Nouvelle-Calédonie : retour sur 30 ans de négociations - Reforme.net

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Par Rédaction Réforme

Indépendance de la Nouvelle-
Calédonie : retour sur 30 ans de
négociations
Depuis 1988, la Nouvelle-Calédonie est lancée dans un difficile processus de
décolonisation par étapes, qui va donner lieu avant octobre 2022 à un troisième et
dernier référendum posant à nouveau la question de son indépendance.

1988 : Ouvéa et Matignon
Cet archipel du Pacifique sud, français depuis 1853, connaît une période de
troubles avec le boycott en 1984 des élections territoriales par les
indépendantistes du FLNKS et surtout la prise d’otage et l’assaut de la grotte
d’Ouvéa en mai 1988, au cours desquels 19 militants kanaks et six militaires ont
été tués.

Moins de deux mois après, le 26 juin 1988, les accords tripartites dits “de
Matignon” sont conclus non sans mal entre Jean-Marie Tjibaou pour le FLNKS
(indépendantiste), Jacques Lafleur pour le RPCR (anti-indépendantiste) et le
Premier ministre socialiste Michel Rocard.
Ces accords, ratifiés par les Français lors d’un référendum le 6 novembre 1988,
créent trois provinces (Nord, Sud, Iles Loyauté) et prévoient l’organisation d’un
scrutin d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie dans les dix ans.

Le 4 mai 1989, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, autre figure du FLNKS,
sont tués par balle par le kanak indépendantiste Djubelly Wéa, qui ne lui a pas
pardonné d’avoir signé ces accords.

1998 : l’accord de Nouméa
Dix ans plus tard, le 5 mai 1998, la signature de l’accord de Nouméa, sous l’égide
du Premier ministre Lionel Jospin, lui aussi socialiste, instaure en Nouvelle-
Calédonie un processus de décolonisation sur vingt ans.

Ce texte fondateur, conclu entre l’État, les anti-indépendantistes et les
indépendantistes kanaks, puis ratifié à 72 % par les Calédoniens lors d’un
référendum, organise l’émancipation par étapes de l’archipel. C’est également le
garant du maintien de la paix en Nouvelle-Calédonie, après la quasi-guerre civile
des années 80.

Un référendum d’autodétermination est prévu entre 2014 et 2018 au plus tard.
En cas de rejet de l’indépendance, deux autres scrutins référendaires sont
possibles jusqu’en 2022.

2018 : “Non” à l’indépendance mais
poussée du FLNKS
Le Parlement adopte en 2009 un projet de loi qui permet des transferts
progressifs de compétences de l’État à la Nouvelle-Calédonie, assortis de leurs
modalités financières, pour les affaires de police, l’organisation scolaire ou le
droit civil et commercial.

Ensuite, conformément à l’accord de Nouméa, un référendum est organisé le 4
novembre 2018 au cours duquel 175 000 électeurs, inscrits selon des critères
restrictifs sur la Liste électorale spéciale pour la consultation (LESC), sont
amenés à répondre à cette question: “Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie
accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?”. Il débouche sur la
victoire du “non” à l’indépendance (56,7%), tout en étant marqué par une forte
percée des indépendantistes (FLNKS).

2020 : Nouveau référendum
Ces derniers demandent l’organisation d’une nouvelle consultation, comme les y
autorise l’accord de Nouméa.

Cette nouvelle consultation est précédée de nombreuses polémiques, le FLNKS
reprochant notamment à l’Etat français de “prendre fait et cause pour le non”.

Le non l’emporte cette fois à seulement 53,26 % des voix, confirmant la percée
des indépendantistes.

2021 : dernier référendum
Le 8 avril 2021, les deux groupes FLNKS au Congrès (25 élus sur 54) demandent
l’organisation du troisième et dernier référendum sur l’indépendance à l’Etat, qui
dispose de 18 mois pour l’organiser et en fixera la date par décret, après
consensus entre les acteurs politiques calédoniens.

Cette date suscite pour le moment des divergences. Les indépendantistes
souhaitent que le référendum ait lieu au plus tard (septembre-octobre 2022) et les
non indépendantistes au plus tôt en 2021. La période intermédiaire a été
neutralisée d’un commun accord pour que la Nouvelle-Calédonie ne devienne pas
un enjeu des campagnes électorales présidentielle et législative.

Une éventuelle indépendance de la Nouvelle-Calédonie serait une première pour
la France depuis celle de Djibouti (1977) et du Vanuatu (1980), ex-Condominium
franco-britannique des Nouvelles-Hébrides, voisin de la Nouvelle-Calédonie.

AFP

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La Nouvelle-Calédonie avant le référendum (3) : Maurice Leenhardt, l’ami des
Kanaks

Entretien avec François Clavairoly, de retour de Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie et les enjeux du référendum

Michel Rocard et la Nouvelle-Calédonie
Par Rédaction Réforme

Nouvelle-Calédonie : vers un
troisième    référendum   sur
l’indépendance
La consultation citoyenne organisée par l’État sur les enjeux de l’avenir politique
de la Nouvelle-Calédonie a pris fin vendredi 16 avril alors qu’un troisième
référendum sur l’indépendance se tiendra avant octobre 2022 dans l’archipel.

D’ici à la mi-mai, une synthèse de toutes les données recueillies sera remise aux
responsables politiques calédoniens. Cette restitution interviendra juste avant le
déplacement à Paris de plusieurs d’entre eux, du 25 mai au 3 juin à l’invitation du
Premier ministre Jean Castex, “pour parler de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie”.

La consultation avait été souhaitée par Sébastien Lecornu, ministre des Outre-
mer, à l’occasion de sa visite à Nouméa en octobre dernier, afin que la société
civile apporte sa contribution à la préparation de l’après-accord de Nouméa
(1998). Selon cet accord, deux référendums d’autodétermination ont déjà eu lieu
les 4 novembre 2018 et 4 octobre 2020, remportés avec 56,7 % des suffrages puis
53,3 % par les partisans du maintien dans la France. Un troisième et dernier
scrutin aura lieu avant d’ici à octobre 2022.

Indépendance et souveraineté
Entamée mi-janvier, cette consultation a invité population et corps intermédiaires
à exprimer leur vision de l’indépendance et de la souveraineté, de l’identité
française dans le Pacifique et des liens avec la France.
Ils ont aussi été interrogés sur trois thèmes du discours d’Emmanuel Macron au
lendemain du référendum d’octobre 2020: les défis climatiques et
environnementaux, le développement économique et la répartition des richesses
ainsi que l’axe Indo-Pacifique.

Une démarche d’« écoute profonde »
Cette démarche “d’écoute profonde” a donné lieu à 104 entretiens en face à face
et à plus d’un millier d’échanges téléphoniques avec un échantillon représentatif
de la population calédonienne. “Les gens ont porté à notre connaissance
beaucoup de matière. On a senti un besoin de s’exprimer sur ces sujets qui
concernent leur avenir”, a déclaré à l’AFP Stéphane Renaud, gérant de la société
qui a conduit ces enquêtes. Un millier d’étudiants, en Métropole et en Nouvelle-
Calédonie, ont aussi été questionnés.

Parallèlement, plus de 110 associations, syndicats ou encore loge maçonnique ont
mis en ligne leur contribution tandis que des partenaires économiques et sociaux
et les maires ont été sollicités sur des thématiques spécifiques. “Les politiques
sont déconnectés du monde réel. Ne pas inclure la société civile dans les
discussions sur l’avenir nous paraitrait dangereux”, a estimé David Guyenne,
président de la chambre de commerce et d’industrie.

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  La Nouvelle-Calédonie avant le référendum (3) : Maurice Leenhardt, l’ami des
  Kanaks

Par Bertrand Vergniol

Nouvelle-Calédonie : où en est-on,
cinq mois après le référendum ?
Après le référendum, quelles pistes peuvent s’ouvrir pour imaginer un destin
commun ?

La souveraineté, c’est de choisir ses partenaires, disait Jean-Marie Tjibaou, pour
un petit pays comme le nôtre, l’indépendance, c’est de bien calculer les
interdépendances. »

C’est pourtant bien à une question sur l’indépendance politique que le
référendum du 4 novembre 2018 a donné réponse : « Voulez-vous que la
Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »
Le résultat fut beaucoup plus serré que prévu, « non », 56,7 %, « oui » 43,3 %.

C’était 70 %/30 % qui était attendu : une semi-victoire inespérée pour les
indépendantistes, une semi-défaite imprévue pour les non-indépendantistes, un
vote quasi communautaire : les Kanak ont voté massivement pour l’indépendance,
les Européens et Wallisiens contre.

Personne ne s’est trouvé humilié et les cartes du jeu politique sont rebattues : il
faut penser le destin commun à nouveaux frais. Les ombres de la période
coloniale, les inégalités sociales, la place renforcée de la culture kanak en
Nouvelle-Calédonie… tout a joué pour que les Kanak réaffirment leur identité
propre et leur place centrale dans le pays. Et ils comptent bien que le deuxième
ou troisième référendum, envisagé d’ici à 2022, leur apporte gain de cause. Pour
l’heure, ce sont les élections provinciales qui se profilent pour le 12 mai 2019.

Coutume kanak
Mais la réalité ne s’épuise pas dans le politique. Elle est aussi culturelle,
religieuse, économique, technologique : quelle est la place de la coutume kanak
dans une Nouvelle-Calédonie constituée majoritairement de non-Kanak ? Quelle
place pour l’attachement à la terre et à la tribu, quand le smartphone règne en
maître ? Quelles relations économiques instituer dans le Pacifique Sud face aux
puissances chinoise ou australienne ?

Les Calédoniens partagent un socle de valeurs communes « qui doit leur
permettre, quel que soit l’avenir institutionnel, de vivre ensemble dans une
communauté de destin et dans la paix », dépassant donc la seule question de
l’indépendance.

Les valeurs de la République, les valeurs chrétiennes et les valeurs kanak forment
un socle qui cimente l’unité du pays quel qu’en soit son avenir politique. Trois
sources qui se réunissent « pour former un seul fleuve, auquel puisent les
Calédoniens. Parmi ces valeurs figure l’importance des relations d’échanges entre
les membres des groupes dans la vie sociale […], la recherche du consensus […],
l’humilité […], le respect de la parole donnée […], la nécessité de rétablir
l’harmonie du groupe par le pardon ».
Comment reconnaître ?
Indépendance politique ou souveraineté calédonienne ? Le mot « indépendance »
n’existe pas dans les langues kanak… la culture kanak est fondée sur la relation
entre les gens, l’attache à la terre et à la tribu, sur l’interdépendance. La volonté
d’indépendance kanak est la traduction politique d’une revendication profonde,
celle d’être respecté et reconnu.

L’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie (EPKNC) n’a-t-elle pas appelé
tous les Calédoniens à devenir les « concitoyens d’un pays nouveau » ?

Bertrand Vergniol est pasteur de l’ÉPUdF

Par Nathalie Leenhardt

Destin commun –                                         l’édito               de
Nathalie Leenhardt
“Ce destin commun, on souhaite qu’il ne reste pas juste une belle expression mais
un terreau sur lequel construire un avenir plus juste pour toutes et tous.”

L’expression est magnifique. C’est elle qui a été mise en avant tout au long du
processus qui a mené au référendum du 4 novembre, en Nouvelle-Calédonie. Les
résultats du vote ont surpris. À la fois parce que le taux de participation est
historique – 80,6 % – et que la victoire du « oui » au maintien dans la République
a été moins élevée que prévu. 56,7 % des électeurs ont voté en ce sens, 43,3 % se
prononçant en faveur de l’indépendance.
Ce qui frappe, c’est le grand calme dans lequel s’est déroulé le scrutin et la
détermination des uns et des autres à vouloir maintenir la paix, coûte que coûte,
pour ne pas revenir aux graves incidents qui avaient ensanglanté l’île, en 1988.
C’est là la force de la démocratie quand elle permet à chacun de s’exprimer,
loyalement, fût-ce à partir de positions très antagonistes.

Elle est à l’honneur de ceux qui avaient voulu, autour de Michel Rocard, ce
processus au long terme, qui a été respecté. Elle est à l’honneur des citoyens qui
se sont exprimés, refusant de disqualifier le perdant, car, comme l’a souvent dit le
philosophe Olivier Abel, il n’y a pire attitude que celle qui consiste à enfoncer le
vaincu. L’histoire récente, en Irak et ailleurs, a montré combien cette attitude
pouvait mener au pire, faisant le lit de toutes les violences et de tous les
terrorismes.

Ce destin commun, on souhaite qu’il ne reste pas juste une belle expression mais
un terreau sur lequel construire un avenir plus juste pour toutes et tous. Le
travail a commencé avec notamment les programmes qui permettent à de jeunes
Kanaks d’accéder à des postes de responsabilité. Un destin commun, qui
réintègre dans la société ceux qui s’en sentent exclus : c’est vrai en Nouvelle-
Calédonie, c’est tout aussi vrai en métropole. Il revient aujourd’hui à Emmanuel
Macron de convaincre qu’il n’a d’autre horizon : offrir aux Françaises et aux
Français un destin commun. La route est longue…
Par Claire Bernole

Référendum        en    Nouvelle-
Calédonie : “L’Église protestante
peut appeler à la paix”
À la veille d’un scrutin électoral crucial pour son avenir, l’archipel prône toujours
l’idée d’un “destin commun”. Entretien avec Frédéric Rognon.

Professeur de philosophie des religions à la faculté de théologie
protestante de Strasbourg, Frédéric Rognon connaît bien la Nouvelle-
Calédonie pour s’y être rendu à plusieurs reprises et y avoir vécu. Il y est
retourné cet été, pour une mission de deux mois auprès des Églises
protestantes. Impressions à la veille du référendum sur l’indépendance, le
4 novembre.

Les Églises protestantes affichent-elles un positionnement clair sur la
question de l’indépendance ?

L’Église principale, de tradition réformée, est l’Église protestante en Kanaky
Nouvelle-Calédonie (EPKNC). En 1979, elle a pris position pour l’indépendance,
après tout un travail de réflexion notamment théologique. Mais elle s’est
démarquée des militants en prônant une indépendance préparée, non-violente et
qui n’exclut personne. Elle a mis l’accent sur la formation des futurs cadres
kanaks car elle possède un important secteur scolaire.

Depuis quarante ans, la situation a bien sûr changé. Aujourd’hui, même si
l’EPKNC rappelle cette première prise de position, elle s’inscrit davantage dans
l’accompagnement du processus et de la période postréférendaire.

Lors de son synode, au mois d’août, elle a rappelé qu’il ne devait en aucun cas y
avoir humiliation des uns par les autres au lendemain du vote. Même si elle reste
indépendantiste, elle insiste – quel que soit le résultat du référendum – sur
l’importance du destin commun.

Une autre dénomination protestante, l’Église libre, se positionne exactement sur
la même ligne théologique que l’EPKNC tout en restant apolitique. Enfin, toute
une série d’Églises évangéliques, pentecôtistes et autres ne prennent, elles,
absolument aucune position.

Toutes ces Églises ont-elles une influence au sein de la société ?

Je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie pour la première fois il y a quarante ans,
puis j’y suis retourné il y a trente ans. J’y ai alors passé quatre années. Enfin, je
m’y suis à nouveau trouvé cet été pour une mission de deux mois. J’ai vu
l’évolution ! Les Églises ont perdu beaucoup de leur influence. Leur place reste
importante car 15 % de la population est protestante. Surtout dans le milieu
kanak, où c’est le cas de 50 % des individus. Les Églises ont donc davantage
d’impact sur la société kanak que sur la société néo-calédonienne en général.

Lors des accords de Matignon, en 1988, la mission de dialogue envoyée par
Michel Rocard comprenait le président de la Fédération protestante de France,
Jacques Stewart, le recteur de l’université catholique de Paris et le grand maître
du Grand Orient de France. Les Églises étaient alors incontournables.
Aujourd’hui, elles ne sont pas mineures mais il est clair qu’elles ont moins de
poids qu’à cette époque.

Qu’en est-il du contexte social et économique ?

Depuis les accords de Matignon, on note un grand changement. Bien qu’il reste
des clivages, les populations se parlent. Les Kanaks sont considérés comme des
partenaires par les Blancs. Un grand pas a été fait en une génération ! Jusqu’en
1988, c’était une situation coloniale, les Kanaks étaient discrédités, leurs leaders
étaient croqués par la presse comme des singes, avec un os dans les cheveux.
Aujourd’hui, ce serait inimaginable ! Certes, il reste des quartiers riches et des
quartiers pauvres, mais les gens se promènent plus facilement partout.

Sur le plan économique, le territoire est durement confronté au chômage. La
population kanak est la première frappée. Un grand exode rural a vidé la brousse.
Les Kanaks viennent à Nouméa dans l’espoir d’y trouver un travail et comme ils
n’en trouvent pas, ils s’installent dans la précarité. Sur 160 000 habitants, la ville
compte 10 000 squatteurs !

Pour autant, le rééquilibrage – qui consiste en une aide financière aux deux
provinces gérées par les Kanaks et une aide à la formation des cadres – a donné
des résultats. C’était un des points des accords de Matignon. Dans le nord, une
deuxième ville, Koné, est sortie de terre et il est impressionnant de voir comme
elle s’est développée.

Dans ce contexte, quels sont les principaux enjeux du référendum du
4 novembre ?

Selon un sondage, le vote en faveur de l’indépendance devrait atteindre 22 %.
Tout le monde sait que ce n’est pas pour cette fois. Deux autres référendums sont
prévus en 2020 et 2022. Les indépendantistes le savent et continueront d’espérer
jusque-là. L’enjeu est donc limité.

Le risque, et j’ai rencontré des personnes de toutes les communautés qui le
disent, est que si le taux de vote en faveur de l’indépendance est trop faible –
15 %, par exemple –, les deux camps se radicalisent. Les indépendantistes les plus
durs pourraient être tentés de reprendre les armes.

Du côté des loyalistes, Sonia Backès, la représentante locale du Rassemblement
pour la Nouvelle-Calédonie, estime que si l’indépendance est trop basse, il n’y a
plus de raison de s’occuper de cette question et que les référendums à venir
pourraient être annulés. Or, une remise en cause du processus crisperait tout le
monde.

Indépendantistes comme non-indépendantistes sont globalement modérés et
craignent le durcissement des extrêmes. Si le vote en faveur de l’indépendance
atteint un score de 30 % ou 35 %, tout se passera bien. Si c’est 15 % ou même
20 %, il y aura des tensions.

Quels autres scénarios sont possibles ?

Lors des dernières élections auxquelles les Kanaks ont participé, en 1979,
l’indépendance a recueilli 35 % des suffrages. Depuis, un gel du corps électoral
est intervenu. Ce qui signifie que ne peuvent voter que les personnes présentes
sur le territoire depuis au moins trente ans et leurs descendants. Or il y a trente
ans, les Kanaks représentaient 46 % de la population et ils espéraient devenir
majoritaires dans les décennies à venir. Lors du recensement de 2014, ils étaient
39 %. Ils sont loin de constituer une majorité électorale, même si avec le gel
électoral, on ne sait pas précisément à quoi s’attendre.
Les indépendantistes ont obtenu que les jeunes soient inscrits d’autorité sur les
listes électorales. Encore faut-il les convaincre d’aller voter…

Le référendum a lieu le 4 novembre et la fin d’année est toujours une période de
tension, surtout à cause de l’alcoolisme autour de Noël et du jour de l’an. L’Église
se montrera doublement vigilante durant cette période où la délinquance pourrait
se politiser.

Pour l’heure, rien ne donne l’impression d’être à la veille d’un
référendum – encore moins de l’indépendance ! Il n’y a ni graffitis sur les murs, ni
manifestation dans la rue. Les meetings attirent peu de monde, les gens
contractent des emprunts, font des projets, achètent des voitures… On n’est pas à
la veille d’une rupture.

La formulation de la question posée pour le référendum est-elle
suffisamment consensuelle pour mobiliser le plus grand nombre
d’électeurs ?

On ne pouvait poser qu’une question clivante, compte tenu de l’accord de
Nouméa en 1998. Cependant, aux côtés des indépendantistes et des anti-
indépendantistes, une troisième catégorie d’opinion émerge : les non-
indépendantistes. Ils ne sont pas opposés à l’indépendance mais n’en veulent pas
tout de suite. Ils auraient préféré un moyen terme parmi les réponses possibles ou
davantage de temps avant de devoir se prononcer. Ceux-là voteront contre
l’indépendance.

L’expression « destin commun », employée dans l’accord de Nouméa et
souvent reprise depuis, est-elle autre chose qu’une coquille vide ?

Cette expression a fait consensus car, en effet, c’est une coquille vide. Tout le
monde le sait mais tout le monde y tient car c’est ce qui permet, depuis trente
ans, de maintenir la paix. Rappelons qu’entre 1984 et 1988, il y a eu une centaine
de morts. C’est beaucoup à l’échelle du territoire ! Les jeunes qui n’ont pas vécu
cette époque n’en ont pas la mémoire mais ceux qui l’ont connue n’ont pas envie
d’y retourner. Ils s’arc-boutent sur cette idée qui a permis d’enrayer une guerre
civile. Chacun s’attache à ce « destin commun » tout en y mettant ce qu’il veut
parce que, sinon, ce serait le retour à la guerre civile.

Qu’est-ce que les protestants peuvent apporter au débat au sein de la
société, dans la perspective du scrutin ?

L’EPKNC est une Église kanak à 95 %, ce qui lui donne moins de crédit que
l’Église catholique, pluriethnique. Néanmoins, elle peut apporter un appel à la
paix, à la non-violence, au dialogue. Et elle ne fait pas que le prêcher, elle cherche
à le mettre en place.

Ce qui va être délicat, c’est le lendemain du référendum. L’Église sera utile pour
conscientiser ceux qui chercheraient à humilier l’autre camp et ceux qui
pourraient se sentir humiliés en partageant une espérance, dans la perspective de
la poursuite du processus.

L’Église catholique est beaucoup plus représentative de la population. Elle
comprend une forte communauté wallisienne qui vit en Nouvelle-Calédonie. Mais
l’Église catholique n’a jamais voulu s’engager sur les questions politiques. Elle
parle certes de dialogue mais bien moins que l’Église protestante. Cette dernière
prend non seulement positions sur l’indépendance mais aussi sur l’alcoolisme, le
chômage et les questions sociétales. Même affaiblie car divisée et peu
représentative de la population, elle reste précieuse.

Propos recueillis par Claire Bernole

À lire
Maurice Leenhardt
Pour un « Destin commun » en Nouvelle-Calédonie
Frédéric Rognon, Olivétan,
2018, 216 p., 16 €.

Vous pouvez aussi consulter notre dossier La Nouvelle-Calédonie à la veille du
référendum pour l’indépendance
Par Rédaction Réforme

La Nouvelle-Calédonie à la veille
du       référendum        pour
l’indépendance
Alors que les Néo-Calédoniens vont se prononcer le 4 novembre sur
l’indépendance de leur archipel, retour sur sa colonisation et son évangélisation.

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Par Louis Fraysse

La Nouvelle-Calédonie avant le
référendum     (3)  :  Maurice
Leenhardt, l’ami des Kanaks
Missionnaire, puis ethnologue, Maurice Leenhardt a consacré une grande partie
de sa vie aux Kanaks.

Le 13 novembre 1902, un couple débarque à Nouméa, aux antipodes de la France
métropolitaine. Le voyage a duré plus de six semaines. Imposant, le visage
recouvert d’une barbe fournie, Maurice Leenhardt correspond à l’image d’Épinal
du missionnaire. Avec sa femme Jeanne, épousée quelques mois plus tôt, il est
envoyé en Nouvelle-Calédonie par la Société des missions évangéliques de Paris.

Nommé en 1894, le gouverneur Paul Feillet vient d’ouvrir la Grande Terre aux
missionnaires protestants français. Cet anticlérical convaincu, lointain cousin de
Maurice Leenhardt, compte ainsi réduire l’influence des Frères maristes, établis
sur l’île depuis 1843. Les Leenhardt s’installent à Houaïlou, sur la côte est de la
Grande Terre – les îles Loyauté, elles, ont déjà largement été évangélisées.

Maurice Leenhardt est né à Montauban le 9 mars 1878, l’année de la plus grande
révolte kanak contre le colonisateur français. Après une scolarité difficile, il
s’intéresse de plus en plus au missionnariat. L’appel des natas (le terme,
équivalent de teacher, désigne en langue nengone les catéchistes kanaks des îles
Loyauté venus évangéliser leurs cousins de la Grande Terre), qui demandent
l’envoi d’un missionnaire protestant français pour les soutenir face aux colons et
aux gendarmes, tombe à pic pour le jeune homme, tout juste diplômé en
théologie.
Situation critique
À son arrivée, la situation des Kanaks est critique. Ils ne sont plus que 10 000 sur
la Grande Terre. Décimés par les maladies apportées par les Européens,
anesthésiés par l’alcool, humiliés par les spoliations foncières et la brutalité de
l’administration coloniale, ils renoncent à faire des enfants. On prête à Charles
Loupias, le maire de Nouméa, les propos suivants lorsqu’il accueille Maurice
Leenhardt en 1902 : « Que venez-vous faire ? Dans dix ans, il n’y aura plus un
Canaque. »

« Lors de son premier séjour en Nouvelle-Calédonie, de 1902 à 1909, Maurice
Leenhardt va s’attacher à “refaire l’Église”, rapporte l’historien et théologien
Jean-François Zorn. Il s’agit d’apprendre aux Kanaks qui sont les Blancs,
comment fonctionne leur administration, pour leur donner la capacité de
s’organiser. »

Avant de mettre en œuvre son programme, le missionnaire s’astreint, lors de ces
premiers mois, à observer et écouter les uns et les autres. L’une des premières
décisions qu’il prend est de lutter contre l’alcoolisme, un fléau pour les Kanaks.
La conversion sera refusée, décrète-t-il, à ceux qui n’ont pas cessé leur
consommation d’alcool.

Pour Frédéric Rognon, professeur à la faculté de théologie protestante de
Strasbourg et auteur d’un ouvrage consacré à Maurice Leenhardt, la stratégie
missionnaire de ce dernier repose sur trois axes : le maintien des tribus sur leurs
terres ancestrales, la traduction de la Bible dans les langues kanaks, et la
formation d’un corps pastoral autochtone.

Maintenir les Kanaks sur leurs terres ? Contrairement à leurs cousins des îles
Loyauté, déclarées « réserves intégrales », les Kanaks de la Grande Terre ont subi
plusieurs vagues de spoliation foncière, l’administration ayant besoin des
meilleures terres pour mener à bien son projet de peuplement. Le missionnaire,
taxé « d’indigénophilie », se retrouve en conflit avec le milieu colonial. Il est
menacé de mort. Mais il est convaincu que le travail d’évangélisation doit
s’inscrire dans l’engagement pour la justice.

La traduction de la Bible, ensuite. Comme les missionnaires protestants de la
London Missionary Society (LMS), Maurice Leenhardt estime nécessaire de
mettre à la disposition de chacun les textes bibliques, sans le filtre d’un clergé
officiel. Mais le pasteur va plus loin, relate Frédéric Rognon : il est déterminé à
ancrer le message de l’Évangile dans le « terreau culturel » des Kanaks convertis.

« Pour Maurice Leenhardt, il s’agit d’aider les autochtones à trouver les mots,
dans leur langue, et les concepts, dans leur culture, qui leur permettent d’accéder
à l’Évangile, plutôt que d’introduire des mots extérieurs comme l’avaient fait les
missionnaires de la LMS dans les îles Loyauté, explique Jean-François Zorn. Il
résume sa méthode ainsi : “Trouver les mots vivants qui jaillissent du cœur.” »

Le troisième axe de la stratégie du missionnaire, la formation, est peut-être le
plus fondamental. Dans sa station de Do Néva, Maurice Leenhardt forme des
pasteurs et des enseignants qu’il envoie ensuite dans d’autres tribus. Il insiste sur
l’enseignement de la lecture, de l’écriture et du calcul, moyens pour les Kanaks
de ne plus se faire berner par les colons blancs lors de l’achat de marchandise.
Son épouse Jeanne enseigne aux femmes des apprentis-pasteurs les techniques
élémentaires en couture, hygiène et économie domestique.

Au début, la formation est mutuelle : le pasteur apprend l’ajié, langue de
Houaïlou, et décrypte les subtilités du message évangélique. Le cœur de sa
prédication aux Kanaks, rapporte Frédéric Rognon, se résume en une phrase :
choisir la vie plutôt que la disparition. Seul le Christ peut conférer la force de
cesser de boire et de retrouver goût à la vie. De fait, poursuit Frédéric Rognon,
« le choix de la conversion a des effets en termes de survie physique ».

Ce travail vise à semer les graines d’une Église autochtone. À l’inverse du modèle
missionnaire porté par les Pères maristes, qui consiste à implanter une mission
pilotée par un personnel européen, le choix de Maurice Leenhardt est
d’encourager l’autonomie de l’Église locale, de « former des hommes capables de
s’affirmer, de se faire respecter par les Blancs ».

Reprise démographique
Au même moment où Maurice Leenhardt met en œuvre son ambitieux
programme, les Kanaks connaissent une reprise démographique sur la Grande
Terre. Simple coïncidence ? Pour Frédéric Rognon, l’action du pasteur français,
notamment sa lutte contre l’alcoolisme et sa prise en compte de la culture kanak,
a joué un rôle « décisif » dans cette reprise.
Au cours de ses séjours en Nouvelle-Calédonie, Maurice Leenhardt va doubler son
travail de missionnaire d’un travail d’ethnologue. L’association, qui peut sembler
curieuse, ne l’est pas pour le pasteur, qui révélait, à la fin de sa vie, être « devenu
ethnologue pour être un missionnaire meilleur ».

Même lorsqu’il est en métropole, Maurice Leenhardt se préoccupe des Kanaks.
L’affaire du Jardin d’Acclimatation, en 1931, en est un exemple. Lors de
l’exposition coloniale, à Vincennes, 120 Kanaks, tous chrétiens et pour certains
vétérans de la guerre de 14-18, sont exhibés dans un « zoo humain » où on leur
intime de se comporter en sauvages. Scandalisé, le pasteur se démènera pour les
faire rentrer en Nouvelle-Calédonie.

Cet épisode, parmi d’autres, explique l’aura considérable dont Maurice
Leenhardt, décédé en 1954 à 75 ans, jouit encore aujourd’hui auprès des Kanaks,
bien au-delà du seul monde protestant. Le leader indépendantiste et ancien prêtre
catholique Jean-Marie Tjibaou, assassiné en 1989, n’hésitait pas à saluer sa
mémoire. Cet attachement, résume Frédéric Rognon, résulte de « la rencontre
d’un homme et d’un peuple ». Son souvenir se conjugue à celui de la résurrection
du peuple kanak, si proche de l’extinction.

À la toute fin de sa vie, le vieil homme livrait une sorte de testament de sa vision
du futur de la Nouvelle-Calédonie. La garantie de l’avenir, écrit-il, est dans « la
compréhension réciproque » entre Européens et Kanaks. Si les Blancs ont apporté
la « civilisation », la vie politique et l’industrie, poursuit-il, ils n’ont pas tenu
compte des savoirs autochtones. L’acculturation a été unilatérale, d’où la
nécessité d’une « acculturation dans l’autre sens ». Or, cette « utopie
leenhardtienne », comme la nomme Frédéric Rognon, est plus que jamais
d’actualité, alors que l’on peine dans l’archipel à définir un « destin commun »
accepté de tous.

Prochain volet : entretien avec Frédéric Rognon, juste avant le référendum.

À lire
Maurice Leenhardt
Frédéric Rognon Olivétan, 2018, 16 €.
Hommes et femmes en mission (XIXe-XXe siècle)
Jean-François Zorn, Bernadette Truchet (dir.), Karthala, 2018, 29 €.

Quel Dieu ? Quel homme ?
Jean-François Zorn, Jean Pirotte, Luc Courtois (dir.), Karthala, 2018, 29 €.

Par Louis Fraysse

La Nouvelle-Calédonie avant le
référendum (2) : les débuts de
l’évangélisation
Relativement rapide, l’évangélisation de la Nouvelle-Calédonie s’est inscrite dans
des enjeux de pouvoirs locaux.

C’est en mars 1797 que le Duff, un voilier britannique, jette l’ancre dans la baie
de Matavai, à Tahiti. À son bord, trente missionnaires de la London Missionary
Society (LMS). La création de cette dernière, en 1795, annonce un mouvement de
fond au sein du christianisme : le XIXe siècle sera le siècle des missions.

Du fait notamment de l’écho reçu par les récits de voyage de Cook ou de
Bougainville, le Pacifique est vu comme une terre de mission idéale. C’est qu’au
XVIIIe siècle, plusieurs pays européens ont été marqués par de puissants
« réveils » religieux. En Angleterre, un nombre croissant de protestants
reprochent aux Églises historiques leur insistance sur la doctrine au détriment de
l’expérience. Ces protestants, note le professeur d’histoire du christianisme Gilles
Vidal, se distinguent par ailleurs par un souci « exacerbé » accordé à l’action
sociale et à l’effort missionnaire.

Comme le décrit Gilles Vidal, les options théologiques de la LMS correspondent à
son inspiration piétiste et à sa morale puritaine : évangéliser les païens, sauver
les âmes, faire que la conversion entraîne un changement moral visible – opter
pour des habits « décents », abandonner la polygamie et l’anthropophagie – et,
bien sûr, traduire la Bible en langues vernaculaires. La LMS, organisation
congrégationaliste, accorde aussi une forte autonomie à ses missions locales.

Évangélisation itinérante
Mais la particularité principale de la LMS, c’est sans doute « l’évangélisation des
indigènes par les indigènes », retrace le professeur de philosophie Frédéric
Rognon dans son récent ouvrage consacré au missionnaire protestant Maurice
Leenhardt. Après s’être installés durablement à Tahiti, Tonga et Hawaï au début
du XIXe siècle, les missionnaires de la LMS vont utiliser ces îles polynésiennes
comme bases pour évangéliser la Mélanésie, dans un mouvement d’est en ouest.
Pour ce faire, ils ont recours aux teachers. Ces catéchistes polynésiens sont
envoyés en avant-garde sur les îles non converties pour faciliter la venue par la
suite d’un pasteur occidental.

« L’évangélisation menée par la LMS est par essence une évangélisation
itinérante, souligne l’historien et théologien Jean-François Zorn, spécialiste de la
missiologie. Les missionnaires forment des catéchistes autochtones qui partent
ensuite sur les chemins coutumiers, en jouant de leur cousinage avec les
populations locales, comme ce fut le cas en Nouvelle-Calédonie. Pour cette
dernière, il importe d’ailleurs de distinguer la Grande Terre de l’archipel des îles
Loyauté, qui ont connu un destin religieux bien différent, dont on retrouve les
traces de nos jours. »

Pendant plus de la moitié du XIXe siècle, en effet, les Kanaks vont se retrouver au
centre d’une rivalité mondiale entre missionnaires protestants et catholiques. Car
ces derniers, s’ils sont arrivés sur le tard en Océanie, comptent bien faire de
l’archipel un bastion acquis à leur foi.

Ce n’est qu’au tout début des années 1840, presque cinquante ans après Tahiti,
que des teachers de la LMS posent le pied en Nouvelle-Calédonie, notamment sur
les îles de Lifou et Maré, dans l’archipel des Loyauté. Ils sont rapidement suivis,
en 1843, par des missionnaires catholiques français. Ceux-ci s’installent dans le
nord-est de la Grande Terre.

C’est que le catholicisme, lui aussi, connaît dans les décennies qui suivent la
Révolution française un réveil religieux. Pour contrer l’activité missionnaire
protestante dans le Pacifique, le Vatican crée en 1836 le premier vicariat
apostolique d’Océanie, et confie sa partie occidentale à la Société de Marie.

Cet ordre missionnaire, aussi appelé congrégation des Maristes, a été fondé en
France en 1816. Sa missiologie, rappelle Frédéric Rognon, repose sur le principe
de la « dégénérescence » : les populations noires, comme les Kanaks, sont issues
de la même souche monothéiste que le reste de l’humanité, mais elles ont connu
une « corruption spirituelle et morale » à la suite du péché commis par Cham,
leur ancêtre. Dès lors, le travail des Maristes va consister à repérer dans les
croyances indigènes les vestiges du monothéisme, et, en premier lieu, les traces
d’un Être suprême. La prière aux anciens, précise par exemple Frédéric Rognon,
n’est pas abolie, mais réorientée vers le Dieu biblique. Les Maristes insistent
également sur la nécessité d’apprendre le français aux Kanaks, les langues
locales étant perçues comme incapables d’exprimer les concepts chrétiens. Une
stratégie inverse de celle des protestants.

Un pastorat local
« L’évangélisation protestante, en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, repose en
bonne partie sur la volonté forte de traduire la Bible dans la langue locale, pour
qu’elle soit accessible à tous, note Jean-François Zorn. Dans l’archipel, ce ne sera
pas chose aisée, car pas moins de 28 langues y cohabitent. »

Selon les missionnaires de la LMS, rappelle Frédéric Rognon, la foi des
autochtones doit surgir d’elle-même grâce à la lecture de la Bible dans leur
propre langue. D’où la volonté de la LMS de former un pastorat local, menant une
vie exemplaire, à même de lire et de faire lire les textes bibliques dans sa langue.
Cette stratégie repose sur une interprétation singulière du paganisme, vu comme
« un état d’attente de l’Évangile ».

La rivalité entre les missions catholiques et protestantes se double, en Nouvelle-
Calédonie, de l’antagonisme atavique entre la France et le Royaume-Uni. Une fois
l’archipel annexé par la France, en 1853, les missionnaires protestants, regardés
d’un œil soupçonneux par Paris, devront ainsi attendre les années 1890 pour
pouvoir s’installer sur la Grande Terre.

À cette rivalité va se greffer la compétition locale entre chefferies kanaks. Pour
un chef autochtone, la conversion est aussi un moyen d’obtenir le soutien de
puissants parrains. Pour les missionnaires, se placer sous la protection d’un chef
permet d’être mieux acceptés par la population. Si les missions jouent de ces
rivalités, celles-ci finissent toutefois par entraver leur action évangélisatrice.

« Quand une chefferie et ses alliés se convertissent, ses adversaires traditionnels
vont tendre à rester “païens” ; c’est le problème du “tiers bloquant”, indique
l’historien Frédéric Angleviel, spécialiste de l’Océanie francophone. Rapidement,
ces Kanaks restés païens vont chercher le soutien de l’autre dénomination. Si une
île se convertit en majorité au protestantisme, le tiers restant des chefferies va
opter pour le catholicisme, et vice versa. »

La relation entre les missionnaires et les autorités, elle, est ambivalente. Les
prêtres maristes demandent dès 1843 la protection française, mais ils se posent
ensuite en défenseurs des Kanaks catholiques. Dans les îles Loyauté,
majoritairement protestantes, qui n’ont pas subi de spoliations foncières, la
situation est moins tendue. En revanche, lorsque les catéchistes protestants
kanaks sont autorisés à opérer en Grande Terre, en 1894, la situation change.
Harcelés par les gendarmes et les colons, ils sont accusés d’appeler à la
résistance à l’autorité des Blancs. Cela les pousse à demander d’urgence un
missionnaire à la Société des missions évangéliques de Paris.

En Grande Terre, les catéchistes protestants se heurtent donc à une opposition
réelle. Mais en cette fin de XIXe siècle, la question se pose de la poursuite de leur
action pour une autre raison, tragique, celle de la disparition pure et simple des
Kanaks. En moins de cinquante ans, leur nombre s’est effondré, du fait des
épidémies et des effets de la politique coloniale. Surtout, ils ne font plus
d’enfants. Vont-ils s’éteindre comme les Aborigènes de Tasmanie ? C’est dans ce
contexte qu’arrive à Nouméa, le 13 novembre 1902, un certain Maurice
Leenhardt…

Prochain volet : Maurice Leenhardt.

À lire
Maurice Leenhardt
Frédéric Rognon Olivétan, 2018, 16 €.

La France aux antipodes
Frédéric Angleviel Vendémiaire, 2018, 25 €.

Histoire de l’Océanie
Sarah Mohamed-Gaillard, Armand Colin, 2015, 25 €.

Hommes et femmes en mission (XIXe-XXe siècle)
Jean-François Zorn (dir.), Karthala, 2018, 29 €.

Par Louis Fraysse
La Nouvelle-Calédonie avant le
référendum (1) : la colonisation
À la veille du référendum, une série pour mieux comprendre la Nouvelle-
Calédonie. Cette semaine : la colonisation.

Comme un petit air d’Écosse, à l’autre bout du monde. Quand le navigateur
anglais James Cook découvre les rivages d’une île étirée tout en longueur, un jour
de septembre 1774, ses montagnes lui rappellent celles des côtes écossaises. Le
nom qu’il donne à l’archipel, Nouvelle-Calédonie (de Caledonia, nom latin de
l’Écosse), restera.

Alors que la Royal Navy britannique étend son influence dans le Pacifique – le
Royaume-Uni prend possession de l’Australie en 1788 –, la Nouvelle-Calédonie
reste à l’écart des appétits occidentaux. L’archipel, peuplé de Kanaks, une
population mélanésienne dont les ancêtres arrivèrent il y a plus de 3 000 ans,
pâtit de leur réputation de sauvagerie. L’image du Mélanésien, noir et
anthropophage, contraste avec celle du Polynésien, plus clair de peau et perçu
comme plus « évolué ».

Un tournant a lieu en 1841. Cette année-là, des missionnaires protestants de la
London Missionary Society déposent des catéchistes samoans sur les îles
calédoniennes. Deux ans plus tard, des missionnaires catholiques français de
l’ordre des Maristes s’installent sur la Grande Terre. Mais la décennie 1840 voit
surtout émerger une économie de prédation. Le commerce du santal, un bois
précieux, ou des holothuries – des concombres de mer – produits prisés par le
marché chinois, attire les aventuriers européens.

Rivalité franco-anglaise
Si Paris manifeste son intérêt pour l’archipel dans les années 1840, ce n’est qu’en
1853, le 24 septembre, que le drapeau tricolore est planté. La France prend
officiellement possession de la Nouvelle-Calédonie et de ses « dépendances », les
îles Loyauté et l’île des Pins notamment.

Pour Napoléon III, cette annexion répond à plusieurs objectifs. Il s’agit en premier
lieu de ne pas laisser le Pacifique aux mains de l’Empire britannique, qui vient de
s’emparer de la Nouvelle-Zélande. Il convient aussi de défendre les intérêts de la
marine militaire et marchande. Cela nécessite de disposer de par le monde de «
points d’appui » pour se ravitailler. La protection française est par ailleurs
ardemment souhaitée par les Frères maristes, qui craignent de voir la Nouvelle-
Calédonie basculer dans le camp protestant, donc anglais.

À ces raisons évoquées vient s’en greffer une autre : la volonté, chez les élites
françaises, de disposer d’un lieu de bannissement. « La Nouvelle-Calédonie a pour
singularité d’avoir été pensée dès les années 1860 à la fois comme une terre de
peuplement et une terre de bagne, révèle Isabelle Merle, directrice de recherche
au CNRS. Ce projet colonial, ambitieux, veut éloigner les condamnés les plus
dangereux tout en leur offrant une possibilité de rédemption, et attirer des colons
libres en leur promettant d’accéder à la propriété foncière. »

En ce XIXe siècle, où l’on compare le corps social à un corps biologique, la
rhétorique médicale est omniprésente. La criminalité est « contagieuse » ;
éloigner les éléments les plus « viciés » doit permettre de « purifier » la
métropole. La loi du 30 mai 1854 instaure la transportation pour les condamnés
aux travaux forcés. Les premiers bagnards arrivent en Nouvelle-Calédonie dix ans
plus tard.

Alors que le bagne guyanais, ouvert en 1852 et particulièrement mortifère, est
réservé aux condamnés des colonies, celui de Nouvelle-Calédonie, plus salubre,
est d’abord destiné aux Européens. Il s’agit de fonder une colonie « blanche »,
une société nouvelle mêlant proscrits et colons libres, sur le modèle australien.
L’idée directrice est de permettre aux bagnards, au terme de leur peine, d’obtenir
une concession de terre à travailler, et ainsi participer à l’effort de colonisation.
Le but de l’administration, note Isabelle Merle, est de fonder, à partir d’une
communauté de criminels, une société de paysans honnêtes et laborieux, prenant
exemple sur des colons issus des campagnes françaises, berceau idéalisé d’une
France « éternelle et sereine ».

Malgré le volontarisme de l’État, la colonisation libre peine à décoller. La France
n’est pas, en fait, une terre d’émigration. Le projet colonial, par ailleurs, va se
heurter à son point aveugle : le sort réservé aux Kanaks. « L’arrivée des
Européens a entraîné, sur le plan démographique, un véritable “choc microbien”,
indique Frédéric Angleviel, historien spécialiste de l’Océanie francophone. Les
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