Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires

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Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
Indo-Pacifique : les partenariats
de sécurité des Etats insulaires

La diplomatie maritime de la France et de l’Union européenne (UE) vise à
rassurer les micro-Etats de la zone indo-pacifique, vulnérables aux enjeux
stratégiques, économiques, environnementaux et humains.

Ce thème a été abordé au cours d’une visioconférence organisée, le 19 avril 2022
à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont
intervenus : Christian Lechervy, ambassadeur de France en Birmanie et ancien
ambassadeur auprès de la Communauté du Pacifique ; le contre-amiral Jean-
Mathieu Rey, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française
(Alpaci) ; Julia Tasse, chercheuse à l’IRIS et responsable du programme « climat,
énergie, sécurité ».

Face aux puissances régionales. En raison de leurs alliances, il ne faut pas
sous-estimer les micro-Etats du Pacifique qui représentent 10 % des pays
membres de l’ONU, souligne l’ambassadeur Lechervy. Ils intéressent notamment
Cuba, la Turquie, le Maroc et les Emirats arabes unis. A ces 15 Etats, en
Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
comptant le Timor oriental, s’ajoutent 10 territoires et d’autres entités diverses
(voir encadré). Certains Etats non-souverains ont conclu des accords de
coopération avec des organisations régionales, non-régionales ou même
internationales dont l’ONU, l’OMS, l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est et
la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique. Les parlements entretiennent
des relations politiques entre eux. Certains accords portent sur la société civile et
les entreprises. Les Etats-Unis redéfinissent leur stratégie dans la zone avec
Hawaï, l’Australie, le Japon et la Corée du Sud. Comme la France en Polynésie, les
Etats-Unis et Grande-Bretagne ont procédé à des essais nucléaires dans les Iles
Marshall, débat récurrent. Depuis l’attaque imprévue de Pearl Harbor par le
Japon en 1941, Washington veut éviter toute surprise de la part de Pékin. La
bataille de Guadalcanal (1942-1943) dans les îles Salomon avait opposé les
troupes du Japon à celles de l’Australie et des Etats-Unis. Or en 2019, l’Etat des
Îles Salomon a établi des relations diplomatiques avec la Chine, suivies d’un
accord de sécurité en avril 2022. Outre la coopération policière, cet accord, d’une
durée de cinq ans et renouvelable, autorise le déploiement de moyens navals
chinois de soutien. Dès 2006, la Chine avait procédé à des évacuations de ses
ressortissants dans la région, démontrant sa capacité de projection civile mais
aussi militaire. Les Îles Salomon constituent un point d’appui pour le grand projet
chinois de « Nouvelles routes de la soie », qui inclut un volet de coopération
militaire. Les Etats-Unis et la Chine veulent impliquer les Etats insulaires dans
leur architecture de sécurité. Toutefois, ces deniers préfèrent se tenir à distance
des grandes puissances et développer leurs capacités militaires (aérienne, navale
et sous-marine). L’Espagne, le Portugal, l’Allemagne et les Pays-Bas se sont
implantés dans le Pacifique pendant plusieurs décennies, mais la France y
maintient une présence depuis un siècle. Au cours du premier semestre 2022,
dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) et pour se
positionner comme une puissance d‘équilibre, elle a organisé : le Forum sur la
sécurité maritime : le One Ocean Summit sur la protection et la gestion durable
des océans ; le Forum ministériel pour la coopération dans l’Indo-Pacifique,
incluant l’UE, le Japon, l’Indonésie et la Nouvelle-Zélande.

Présence militaire française. La moitié des sous-marins en service dans le
monde se trouve dans le Pacifique, indique l’amiral Rey. Environ 2 millions de
ressortissants français vivent dans la zone Indo-Pacifique, aussi vaste que
l’Europe. Alpaci dispose de 7.000 militaires, 15 navires et 40 aéronefs, renforcés
par des éléments métropolitains de passage, pour remplir ses missions de garde-
Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
côtes, d’action de l’Etat en mer dans la zone maritime exclusive et d’assistance
humanitaire. Ainsi, outre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, la France a envoyé
des secours, à partir de la Polynésie française, lorsque l’archipel de Tonga a été
isolé du monde après une éruption volcanique et un tsunami en décembre 2021.
En cas de conflit régional, Alpaci, représentant du chef d’Etat-major des armées,
doit rechercher un règlement pacifique. Il s’entretient régulièrement avec son
homologue chinois sur zone. La stratégie française des partenariats concerne les
Etats-Unis, l’Inde, le Japon, Singapour, la Malaisie, l’Indonésie et le Chili.

Dérèglement climatique. Le changement climatique exerce un impact direct
sur la sécurité, rappelle Julia Tasse. La submersion des infrastructures aériennes
et maritimes sur le littoral d’une partie des îles entraîne des conséquences
économiques. L’intensification des cyclones accroît le besoin de dispositifs de
secours. La sècheresse accrue dans les zones cultivables, trop exploitées, aggrave
les conditions de vie dans l’agriculture et les transports. Le blanchissement des
côtes par le dépérissement du corail mène à une perte des bancs de poissons
associés aux récifs. L’arrivée massive des flottilles de pêche des pays asiatiques
entraîne une surpêche dans les eaux profondes et celles proches des côtes. Il
s’ensuit une migration croissante d’une partie de la jeunesse des Etats insulaires
vers la Nouvelle-Zélande, l’Australie et la Nouvelle-Calédonie, pour des raisons
financières et économiques. Par ailleurs, précise Julia Tasse, la politique chinoise
d’appropriation territoriale de la mer par l’occupation de récifs et la poldérisation
d’atolls inhabités comme en mer de Chine ne peut s’appliquer dans le Pacifique.
En effet, sa vaste étendue entraîne « une tyranie des distances », estime l’amiral
Rey.

Loïc Salmon

Dans l’océan Indien, la présence de la France inclut : les départements de La
Réunion et de Mayotte ; la collectivité des Terres australes et antarctiques
françaises (Îles Kerguelen, Îles Crozet, Îles Saint-Paul-et-Amsterdam et Îles
Eparses). Dans l’océan Pacifique, elle comprend trois collectivités d’outre-mer :
Polynésie française (Îles de la Société, Archipel des Tuamotu, Îles Gambier, Îles
Australes et îles Marquises) ; Wallis-et-Futuna ; Île de Clipperton. La Grande-
Bretagne possède l’Île Pitcairn dans l’océan Pacifique et dispose du territoire de
l’Archipel de Chagos dans l’océan Indien. Dans l’océan Pacifique, la présence des
Etats-Unis inclut : l’Etat d’Hawaï ; des territoires (Guam, Samoa américaines, Île
Baker, Île Howland et Récif Kingman) ; des réserves naturelles (Île Jarvis et Atoll
Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
Palmyra) ; les Îles Mariannes du Nord ; l’Atoll Johnson ; les Îles Midway ; l’atoll de
Wake. Dans l’océan Indien, l’Australie inclut des territoires extérieurs : Îles
Ashmore-et-Cartier ; Île Christmas ; Îles Heard-et-McDonald ; Îles Cocos. Dans
l’océan Pacifique, elle est associée au territoire autonome de l’Île de Norfolk.
Dans l’océan Pacifique, la présence de la Nouvelle-Zélande inclut : les Îles
Chatham ; le territoire de Tokelau ; les Etats en libre association des Îles Cook et
de Niue. La Papouasie-Nouvelle-Guinée inclut le territoire de Bougainville. Les
Philippines incluent la région autonome de Bangsamoro. Le Chili est présent
dans l’Île de Pâques et l’Antarctique. L’Indonésie inclut la Nouvelle-Guinée
occidentale. Dans l’océan Indien, l’Etat de l’île Maurice inclut la région
autonome de Rodrigues et la Tanzanie l’entité administrative autonome de
Zanzibar.

Stratégie : l’action de la France dans la zone indopacifique

Asie-Pacifique : présence militaire française accrue

Armée de l’Air et de l’Espace : missions « Heifara » et « Wakea » dans le
Pacifique

Océan Atlantique : le Nord, un
espace de plus en plus contesté
Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
La logique de puissance et le rapport de forces par le fait accompli, constatés en
Ukraine et dans le détroit de Taïwan, s’appliquent aussi en Atlantique Nord.

Le vice-amiral d’escadre Olivier Lebas, préfet maritime (action de l’Etat en mer)
de l’Atlantique et commandant de la zone (Etat-major des armées) et de
l’arrondissement (défense du littoral) maritimes Atlantique, l’a expliqué au cours
d’une conférence-débat organisée, le 19 janvier 2022 à Paris, par le Centre
d’études stratégiques de la Marine.

Contexte stratégique. La nouvelle donne stratégique prend en compte la
compétition entre Etats, la montée des tensions dans les espaces communs (extra-
atmosphérique, cyber et maritime) et éventuellement l’affrontement. L’origine
des cyberattaques en Ukraine reste encore difficile à attribuer. Un missile
hypervéloce chinois a fait le tour de la Terre. La Russie a procédé à un tir contre
un satellite et la Corée du Nord au lancement de son premier missile balistique.
La Chine, qui renforce sa présence en Asie du Sud-Est pour en faire une sorte de
mer intérieure, envoie des navires militaires jusqu’en Atlantique Nord. La Russie
intensifie ses efforts pour décourager la présence des Marines occidentales en
Méditerranée orientale. Pour accroître son influence, elle recourt à la diplomatie,
l’intimidation, la guerre hybride ou la lutte d’influence comme au Mali et en
Centrafrique. Elle remet en cause les traités de contrôle des armements. Elle a
manifesté sa présence en Atlantique-Nord avec le déploiement de la frégate
Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
Admiral-Gorskhov (mise en service en 2018), le sous-marin nucléaire d’attaque
Yasen, des bâtiments hydrographiques et des sous-marins classiques de la classe
Kilo II équipés de missiles de croisière Kalibr. L’Atlantique Nord présente des
exemples de compétition, entre Marines de combat, et de conflictualités
sournoises. Il est fréquenté par les navires des Marines des pays membres de
l’OTAN, notamment les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins américains,
britanniques et français. La Marine nationale y effectue des manœuvres pour
défendre sa profondeur stratégique. Celle-ci consiste à utiliser les satellites et
déployer au loin navires de surface et sous-marins pour anticiper ce qui pourrait
se passer. Ensuite, il s’agit de traiter les mégadonnées des systèmes
automatiques d’identification, pour le suivi des trajectoires de navigation des
navires marchands, ou des moyens électroniques civils pour détecter les pêches
illégales. Les câbles sous-marins assurent 99 % des communications internet,
entraînant une compétition pour la propriété des câbles et l’influence qu’ils
permettent d’exercer. Le groupe américain Google et la Chine rachètent des
entreprises de pose de câbles sous-marins. Les stations d’atterrage nécessitent
une protection. En effet, des câbles ont été endommagés près de Brest et de la
Norvège, accidents ou sabotages difficiles à prouver. Par ailleurs, le durcissement
du contexte international entraîne une augmentation des budgets militaires et des
exercices sur la capacité à se défendre dans « le haut du spectre ». Les porte-
avions américains reviennent en Méditerranée et en Atlantique Nord.

Résurgence de la Russie. Un nouveau vent de guerre froide souffle sur
l’Atlantique, estime l’amiral Lebas. Le projet de gazoduc pour acheminer le gaz
russe vers l’Allemagne, via la Baltique, attise la tension entre les Etats-Unis et la
Russie. En outre, des exercices OTAN se déroulent près du cercle polaire. De son
côté, la Russie se considère comme une nation encerclée par l’OTAN et la mise en
œuvre de la défense anti-missile américaine. Elle tente de maîtriser les approches
des pays voisins et de dénier l’accès d’autres Marines à certaines zones. A
Kaliningrad, des missiles antinavires S-400 peuvent perturber les activités en mer
Baltique. Le retour des sous-marins russes en Atlantique, plus nombreux et plus
silencieux qu’en 2005, a remis en route la modernisation des moyens de
surveillance et de lutte anti-sous-marine. Leur déplacement se coordonne avec
ceux des bâtiments de surface et des avions à long rayon d’action pour le
renseignement stratégique. Ainsi, ont été aperçus un Tu-95 Bear H au large de la
Norvège, un Tu-142 Bear F jusqu’en Baltique et un Tu-160 Blackjack vers la
Méditerranée en 2015, le Venezuela en 2018 et l’Afrique du Sud en 2019. La
Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
France, rappelle l’amiral, a relâché sa coopération avec la Russie depuis 2014,
sauf pour la sécurité en mer, et a renforcé celle avec les pays de l’ex-URSS
devenus membres de l’OTAN. Ainsi, elle participe à la « présence avancée
renforcée » de l’Alliance Atlantique en Estonie, dans les domaines terrestre et
aérien. Dans la continuité de cette profondeur stratégique, la défense maritime du
territoire consiste à surveiller, renseigner et s’opposer, souligne l’amiral. La
protection du littoral commence dans les ports de Saint-Malo, Roscoff, Brest,
Saint-Nazaire, Nantes, La Rochelle et Bordeaux. Elle se prolonge dans la zone
économique exclusive avec des navires et des avions de surveillance (Falcon) ou
de patrouille maritime (ATL2). A Brest, le départ d’un sous-marin nucléaire
lanceur d’engins de la Force océanique stratégique mobilise un chasseur de
mines, un ATL2, un hélicoptère et un sous-marin jusqu’à sa dilution dans les
profondeurs de l’océan, pour le maintien de la permanence de la dissuasion. Une
escorte similaire protège sa rentrée au port. A titre indicatif, il ne faut que six
jours de navigation pour aller de Brest au Nord de l’Atlantique.

Jusqu’en Arctique. En mars 2021, trois sous-marins nucléaires russes ont
émergé de la banquise du pôle Nord, manifestant l’affirmation de la souveraineté
de Moscou sur cette zone. Avec le réchauffement climatique, deux routes
maritimes semblent possibles vers le Pacifique : le passage du Nord-Ouest entre
l’Ouest du Groenland (Danemark) et les côtes du Canada et de l’Alaska ; le
passage du Nord-Est, plus facile, entre l’Est du Groenland et les côtes de Norvège
et de Russie. L’exploitation des ressources en pétrole et gaz de l’Arctique,
quoique difficile, devrait s’avérer rentable à l’exportation vers l’Union européenne
et la Chine qui commence à construire des brise-glace. Il s’ensuit des tensions
entre les pays riverains, sans aller jusqu’à l’affrontement, et un intérêt croissant
de l’Inde et de l’Allemagne. De son côté, la Russie déploie déjà des méthaniers
brise-glace pour le transport du gaz jusqu’à des méthaniers classiques. En outre,
elle restaure d’anciennes bases militaires pour des raisons de sécurité, mais selon
des règles peu conformes au droit de la mer. Dans cette zone, le GPS fonctionne
mal et les communications par satellites sont souvent perturbées. Pour connaître
le Nord du cercle polaire aux glaces diverses, anticiper les crises et entretenir ses
compétences de navigation, la Marine nationale y a envoyé la frégate multi-
missions Bretagne à l’automne 2018 et l’hiver 2021-2022 et le bâtiment de
soutien et d’assistance métropolitain Rhône en été 2018, 2020 et 2021.
Conséquence du développement des croisières dans les glaces et même jusqu’au
pôle Nord, des bâtiments français vont s’entraîner au sauvetage avec des unités
Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
norvégiennes et danoises, qui pourraient éventuellement avoir besoin de soutien.

Loïc Salmon

OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-
américaine

Union européenne : présidence française, acquis de la défense

Union européenne : penser les opérations maritimes futures

OTAN : actualisation du concept
stratégique et complémentarité
navale franco-américaine

Le resserrement du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine est perçu
Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
par l’OTAN comme déstabilisateur de l’ordre international. Pour les Etats-Unis,
l’importance de la présence navale française dans la zone indopacifique contribue
de façon significative à la sécurité régionale.

Un document de l’OTAN, rendu public lors du sommet des 29-30 juin 2022 à
Madrid, réactualise le concept stratégique de 2010. Le 11 juillet, une source de
l’Etat-major de la Marine française a indiqué les perspectives navales avec les
Etats-Unis. Le même jour, l’Etat-major des armées (EMA) a exposé la situation du
conflit en Ukraine.

Situation en Ukraine. Les gains territoriaux au Nord de la Crimée et à l’Ouest
du Donbass augmentent (stries rouges sur la carte). Selon l’EMA, les frappes
russes (astérisques jaunes) demeurent intenses sur toute la ligne de front et dans
la profondeur, surtout sur le Donbass, et ciblent à nouveau les régions de Sumy et
Chernihiv. L’artillerie ukrainienne vise les dépôts logistiques russes. Sur le front
Nord, les frappes ont repris au Nord-Ouest et les combats se poursuivent autour
de Kharkiv (1). Sur le front Est, les forces russes poursuivent leur offensive, lente
et méthodique, vers les localités de Sloviansk et Kramatorsk. Les forces
ukrainiennes tiennent leurs lignes de défense (2). Sur le front Sud, la situation
s’est stabilisée. Les forces ukrainiennes font face aux dernières lignes de défenses
russes dans les régions de Kherson et Zaporizhia, ciblant leurs
approvisionnements sur leurs arrières (3). Selon la source navale française, cette
guerre permet d’exploiter les erreurs de la Russie et d’évaluer ses capacités
tactiques terrestre et navale (Île aux Serpents). Elle souligne le risque de
chantage alimentaire en Afrique, en raison du contrôle russe de la mer Noire. Au
11 juillet, la Russie avait tiré plus de 1.000 missiles de croisière, dont une
centaine depuis la mer. En conséquence, la Marine française portera ses efforts
sur la lutte contre les drones et le brouillage des communications.

Russie et Chine. Pour l’OTAN, la Russie constitue la principale menace pour la
paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique. Avec des moyens conventionnels,
cyber ou hybrides, elle tente d’exercer un contrôle direct et d’établir des sphères
d’influence par la coercition, la subversion, l’agression et l’annexion. Brandissant
la menace nucléaire, elle modernise ses forces nucléaires et développe de
nouveaux vecteurs à capacités conventionnelle et nucléaire aux effets
perturbateurs. Outre la déstabilisation des pays situés à l’Est ou au Sud du
territoire de l’Alliance atlantique, elle entrave la liberté de navigation dans
l’Atlantique Nord, zone d’acheminement de renforts militaires vers l’Europe. Son
Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires
intégration militaire avec la Biélorussie et le renforcement de son dispositif
militaire en mer Baltique, mer Noire et Méditerranée sont considérés comme
portant atteinte à la sécurité et aux intérêts des pays de l’Alliance atlantique.
Toutefois, estimant ne pas présenter une menace pour la Russie, l’OTAN ne
cherche pas la confrontation et souhaite maintenir des canaux de communications
pour gérer et réduire les risques, éviter toute escalade et accroître la
transparence. Par ailleurs, selon l’OTAN, la Chine renforce sa présence dans le
monde et projette sa puissance par des moyens politiques, économiques et
militaires. Elle cible notamment les pays de l’Alliance atlantique par des
opérations hybrides ou cyber malveillantes, une rhétorique hostile et des activités
de désinformation. Elle tente d’exercer une mainmise sur des secteurs
économiques et industriels clés, des infrastructures d’importance critique, des
matériaux (terres rares) et des chaînes d’approvisionnements stratégiques. En
outre, elle sape l’ordre international fondé sur des règles, notamment dans les
domaines spatial, cyber et maritime (entraves à la liberté de navigation).

NRBC, cyber, technologies, climat. Selon l’OTAN, des Etats et des acteurs
non-étatiques hostiles recourent à des substances ou des armes chimiques,
biologiques radiologiques ou nucléaires, qui menacent la sécurité des pays de
l’Alliance atlantique. Ainsi, l’Iran et la Corée du Nord poursuivent leurs
programmes d’armement nucléaire et de missiles. La Syrie, la Corée du Nord, la
Russie et des acteurs non-étatiques ont déjà employé des armes chimiques. La
Chine développe son arsenal nucléaire à un rythme soutenu et met au point des
vecteurs de plus en plus sophistiqués. Dans le cyberespace, théâtre d’une
contestation permanente, des acteurs malveillants essaient d’affaiblir la défense
de l’OTAN en cherchant à endommager des infrastructures d’importance critique,
perturber le fonctionnement des services publics, dérober des renseignements,
voler des contenus soumis à la propriété intellectuelle ou entraver des activités
militaires. En outre, des pays compétiteurs stratégiques et des adversaires
potentiels de l’OTAN investissent dans des technologies émergentes ou de
rupture, capables d’endommager ses capacités spatiales, et de cibler ses
infrastructures civiles ou militaires. Enfin, multiplicateur de crises et de menaces,
le changement climatique provoque une montée du niveau des mers et des feux
de végétations, désorganisant des sociétés. Souvent appelées à intervenir en cas
de catastrophe naturelle, les forces armées doivent désormais agir dans des
conditions climatiques extrêmes.
Zone indopacifique. Face à la Chine, les Etats-Unis ont besoin d’Alliés, indique
la source navale française. Ils ont pris en compte l’implantation de la France dans
la zone indopacifique, car ils partagent avec elle la même prudence vis-à-vis de la
Chine, la nécessité de la prévention des combats dans la région et le souhait d’y
limiter le développement des activités militaires. Depuis la seconde guerre
mondiale, la Marine américaine domine les océans. Mais la Marine chinoise
développe ses capacités de mener des opérations de coercition et de se déployer
dans le monde, comme l’a démontré l’escale d’une frégate chinoise à Bata
(Guinée). Elle a mis au point un porte-avions à catapulte et son avion spécifique et
a loué des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) russes de la classe Akula.
Autre alliée des Etats-Unis dans la région, l’Australie a annulé le contrat de sous-
marins avec la France pour se tourner vers eux. Or le taux de remplacement dans
la Marine américaine est passé de 2 unités par an à 1 par an, repoussant à 2040
la perspective pour l’Australie de prendre livraison de SNA opérationnels, à
prélever sur la flotte américaine. Pour se renforcer dans le Pacifique, les Etats-
Unis ont réduit de 70 % leur présence dans l’océan Indien, compensée par celle
de la France, dont la posture stratégique dans la zone indopacifique complique
l’analyse géopolitique de la Chine.

Interopérabilité navale. Selon la source navale française, des arrangements
techniques entre les Marines américaine et française portent sur la validation, à
différents niveaux, des systèmes d’informations concernant le commandement, les
sous-marins et l’avion de chasse F-35 C. La 4ème génération de ce dernier en
augmentera la furtivité, mais la 5ème entraînera un comportement différent,
enjeu de la coordination avec le Rafale Marine

Loïc Salmon

Union européenne : présidence française, acquis de la défense

Ukraine : hégémonie navale russe en mer Noire

Stratégie : l’action de la France dans la zone indopacifique
Armements terrestres : enjeux
capacitaires et industriels dans le
contexte du conflit en Ukraine

La guerre en Ukraine remet en question les acquis de la défense de l’Union
européenne, dont 15 Etats membres sur 27 ont déjà annoncé une augmentation
de leur budget militaire.

Le 31 mai 2022 à Paris, la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) a
organisé un colloque sur ce thème à l’occasion du salon international des
armements terrestres Eurosatory (13-17 juin). Y sont intervenus : Philippe Gros,
maître de recherche à la FRS ; Alexandre Lahousse, chef de service des affaires
industrielles et de l’intelligence économique à la Direction générale de
l’armement ; un officier supérieur de l’état-major de l’armée de Terre.

Enseignements du conflit ukrainien. La réflexion stratégique a permis
d’anticiper l’intervention de la Russie, mais pas la résistance tenace de l’Ukraine
ni les réactions des pays occidentaux, indique Philippe Gros. Déstabilisateur sur
le plan géopolitique, le conflit souligne les velléités interventionnistes russes et
l’interventionnisme américain en faveur de l’Ukraine. Or selon les ébats en cours
à Washington, la priorité des Etats-Unis reste la Chine et la compétition pour la
conduite des affaires du monde au XXIème siècle. Elément structurant de
l’appareil de défense européen, leur présence ou leur absence dans une coalition
rappelle les risques d’un engagement de haute intensité en Europe. Les
démonstrations de force de la Russie en Syrie, entre 2013 et 2015, se sont
produites à une échelle réduite et avec une forte asymétrie entre les acteurs. En
2022, l’Ukraine mobilise 700.000 hommes sur son territoire contre une force
expéditionnaire de 150.000 Russes et Alliés, engagée en totalité avec de graves
difficultés logistiques et de maintien des équipements et armements en condition
opérationnelle. Selon Philippe Gros, l’erreur fondamentale d’appréciation de
Vladimir Poutine sur la situation en Ukraine a conditionné toute la préparation de
l’engagement militaire. L’armée russe a troqué sa masse et ses tactiques contre
une modernisation, incomplète, à l’occidentale. Comme lors des conflits en
Tchétchénie (1994-1966 puis 1999-2009), elle combine l’attaque à outrance et la
puissance de feu. Cependant, l’évaluation de sa capacité de frappe dans la
profondeur a été surestimée, mais des améliorations ont été constatées ces
dernières semaines. Malgré son sous-dimensionnement en armes lourdes, la
capacité de résistance de l’armée ukrainienne a surpris. Grâce à l’intégration de
radars américains, celle-ci se montre efficace pour les tirs de contre-batterie,
aptitude reconnue par les artilleurs russes. En outre, l’usage massif de drones
dans la profondeur tactique crée une véritable occupation du ciel. Environ 400
drones, dont des appareils américains et turcs du côté ukrainien, survolent en
même temps l’espace de bataille. Deux méthodes permettent de remporter la
victoire, indique Philippe Gros. La logique d’approche directe porte sur
l’annihilation des forces adverses par l’usure et l’attrition. La logique d’approche
indirecte recherche des effets de désarticulation de l’ennemi par la dislocation ou
la désintégration de son système de commandement et de conduite des
opérations, l’isolement ou la paralysie. Ainsi, l’armée ukrainienne a manœuvré au
niveau opératif (théâtre d’opérations) en s’attaquant aux nœuds de
communications stratégiques de l’armée russe, à savoir les centres de transports
multimodaux qui constituent le centre de gravité de son dispositif dans le
Donbass. Pour le sécuriser, celle-ci a déplacé des forces du Nord de l’Ukraine
vers l’Est. Au niveau tactique, les manœuvres ukrainienne et russe s’avèrent trop
lentes pour provoquer, par l’usure, la dislocation du dispositif adverse. En effet,
cela nécessite une masse importante de combattants, d’équipements et de
munitions. Ce conflit incite à réfléchir en termes de doctrine, d’organisation, de
recrutement, de soutien, d’entraînement et de régénération de forces (réserves).

BITD de combat. Le scénario de haute intensité, étudié depuis longtemps,
implique une partie industrielle pour soutenir l’effort de guerre, explique
Alexandre Lahousse. La base industrielle de technologie et de défense (BITD) de
la France représente 4.000 petites et moyennes entreprises sous-traitantes de 9
grands groupes maîtres d’œuvre, à savoir Airbus, Arquus, Dassault, MBDA, Naval
Group, Nexter, Thales, Safran et ArianeGroup. Elle assure 200.000 emplois
industriels de défense sur l’ensemble du territoire et réalise un chiffre d’affaires
militaires annuel consolidé de 28 Mds€, dont 7,5 Mds€ en moyenne à l’export. En
cas de combat, elle évolue graduellement selon la montée de l’effort militaire. Il
s’agit d’augmenter : les cadences de production pour compléter le niveau des
stocks ; les capacités de production, dans le cadre de la programmation militaire
pour accroître durablement certains stocks (munitions et pièces de rechange) et
parcs (véhicules) ; le potentiel de production, afin de fournir plus, en continu et
sous un court préavis, pour compenser l’attrition des systèmes et les
consommations intensives de munitions et de pièces de rechange. Il convient
aussi d’identifier les capacités industrielles mobilisables, nationales et
européennes, civiles et de défense. La résilience nécessite de disposer de
matières premières, matériaux, composants, ressources humaines et
financements privés. Enfin, la réduction des dépendances actuelles et futures
implique de rechercher de solutions de rechange pour les usages et les
approvisionnements et d’investir dans les technologies d’avenir.

Stratégie capacitaire terrestre. Le programme « Scorpion » constitue une
montée en puissance du combat collaboratif, qui connaît une réalité
opérationnelle avec l’opération « Barkhane » au Sahel en 2021, explique le
lieutenant-colonel de l’armée de Terre. Le champ de bataille devrait encore
évoluer au cours des 15 à 20 prochaines années. Comme il devient de plus en plus
contesté, il faudra y accéder grâce à des effets puissants (artillerie) et, pour s’y
maintenir après avoir pris des coups, une redondance des moyens et une capacité
de résilience par l’entretien des flux logistiques. Satellites et drones rendant le
théâtre d’opérations plus transparent, il faudra masquer ses intentions plus que
son dispositif et mener des actions offensives contre les capteurs adverses. Une
agression de haute intensité nécessite de réagir dans la profondeur et de trouver
un équilibre entre protection, discrétion et mobilité des forces. Le renforcement
de l’automatisation entraîne une robotique de masse et celui de la connectivité
une accélération du processus décisionnel. Des études, commencées en 2019,
portent sur le projet « Titan », réalisable d’ici à 2040. Ce dernier vise à assurer la
cohérence d’ensemble des forces aéroterrestres, afin de pénétrer et opérer dans
la complexité du champ de bataille futur face à un adversaire de même rang.
Outre le renouvellement de la défense sol-air et de l’artillerie à longue portée, il
intègrera des capacités nouvelles et rendra la connectivité entre équipements et
armements plus agile et résiliente. Enfin, « Titan » devra garantir
l’interopérabilité avec les autres milieux (mer et cyber) et les forces alliées.

Loïc Salmon

Ukraine : stabilisation du front, défense sol/air française en Roumanie, vers une
adhésion à l’OTAN des Suède et Finlande

Missiles : conséquences de la guerre en Ukraine

Eurosatory : salon d’armement terrestre dans le contexte de la guerre Russie-
Ukraine

Europe : vers une                                              nouvelle
stratégie énergétique
Le soutien apporté à l’Ukraine par les États de l’Union Européenne (UE) s’est
manifesté par leur renoncement progressif au pétrole et au gaz russes. Or la
Russie pèse lourd sur les secteurs du marché mondial de l’énergie.

C’est la perspective présentée par Nicolas Mazzucchi, chercheur à la Fondation
pour la recherche stratégique et spécialiste des questions énergétiques, au cours
d’une conférence organisée, le 30 mars 2022 à Paris, par l’Ecole de guerre
économique et les associations Jeunes IHEDN et Evolen Jeunes.

Position de force de la Russie. L’UE importe 26 % de son pétrole brut et 38 %
de son gaz naturel de Russie. Cette moyenne masque de fortes variations selon
les pays en fonction de la proximité géographique et de l’historique des relations
bilatérales. Cela rend difficile une réponse unanime de l’UE. Alors que les Etats
membres du Sud sont tournés vers la Libye et l’Algérie, ceux du Centre et de l’Est
dépendent beaucoup de la Russie et parfois totalement, comme la République
tchèque pour le gaz. Cette part, difficilement remplaçable dans l’immédiat, était
justifiée par les logiques économiques d’un prix attractif et l’assurance d’un
approvisionnement durable au vu des réserves. A partir des années 1990, les
puits de la mer Caspienne et de la Sibérie ont pris le relais des plateformes de la
mer du Nord, qui avaient dépassé leur pic de production. Le poids des ventes de
matières premières dans le commerce de la Russie semblait garantir aux États
clients une relation équilibrée d’interdépendance. Mais ces échanges restaient,
comme le rappelle Nicolas Mazzuchi, à l’avantage du fournisseur car les besoins
de ces derniers n’ont cessé de croître pour accompagner leur sortie du charbon.
L’Allemagne, moteur de la croissance économique de l’UE, est, en 2019, le 3ème
pays importateur mondial de gaz provenant à 60 % de Russie. Toute perturbation
de ces flux pose un risque vital pour ces économies. Or, jusqu’à récemment, c’est
à travers l’Ukraine qu’était acheminé la majorité du volume des hydrocarbures
vendu à l’Ouest. De plus en plus opposée à l’ingérence du Kremlin, sa population
a élu un gouvernement pro-européen après de la révolution « orange » de 2005.
Celui-ci disposait donc d’un outil de pression sur son voisin par la menace d’une
rupture du transit des hydrocarbures. Les guerres du gaz, qui ont suivies, ont
justifié la construction d’un nouveau réseau de pipelines, via la mer Noire
(Turkstream) ou la mer Baltique (Nordstram). Par ce contournement de l’Ukraine,
Moscou a ainsi minimisé les conséquences d’une fermeture du robinet par Kiev,
en cas de nouvelle crise politique.

Changer de fournisseur. Pour l’UE, la question se pose de remplacer 155
              3
milliards de m de gaz russe avant le prochain hiver, dans un marché mondial déjà
contraint. Elle préoccupe les clients européens de Gazprom depuis le 24 février
2022, date du déclenchement de « l’opération militaire spéciale » de la Russie en
Ukraine. L’UE a annoncé sa volonté de réduire aux deux tiers ses achats d’ici un
an. Pour réaliser cet objectif, la première solution consiste à se tourner vers un
autre producteur, principalement en Asie centrale où se trouvent les 4ème,
13ème et 19ème réserves mondiales de gaz. Mais il s’agit aussi d’une zone
enclavée et très liée à la Russie. Respectivement, le Turkménistan peut poser un
gazoduc à travers la mer Caspienne, avec le risque certain d’un veto de la Russie,
qui a un droit de regard en tant que riverain de cette mer intérieure. Les
gazoducs du Kazakhstan en direction de l’Ouest transitent exclusivement par la
Russie. L’Azerbaïdjan a la capacité d’augmenter la taille de ses tuyaux mais pas
sa production, qui est en baisse depuis 2010. L’Iran pourrait, selon Nicolas
Mazzuchi, tirer profit de la pénurie en Europe en obtenant contre son gaz une
levée partielle de l’embargo, qui nécessite un accord préalable des Etats-Unis. Il
reste l’option du gaz naturel liquéfié, fourni par les États-Unis ou le Qatar dont les
prix sont 2,5 à 3,5 fois plus élevés. Leurs envois seraient cependant insuffisants
en raison de la concurrence asiatique, qui représente 70 % de la demande
mondiale. S’ajoute à cela le manque de terminaux de départ pour satisfaire cette
brusque augmentation des commandes. Ces deux facteurs exigent des
investissements, qui vont se répercuter sur un prix déjà élevé, alors même qu’il
s’agit d’un sujet sensible pour les opinions publiques occidentales. Solution
jusque-là évitée, le gaz de schiste présente l’avantage d’être exploitable en
Europe mais au prix de dégâts environnementaux inacceptables, sauf à se retirer
de l’accord sur le climat. La recherche en urgence de nouvelles sources
d’approvisionnement aura donc un coût économique, politique ou
environnemental.

Métaux et terres rares. Outre les énergies fossiles, la Russie est aussi un pays
producteur de différents minerais et métaux rares. En réalité, c’est bien là que se
situe la dépendance, toujours selon Nicolas Mazzuchi, car aucune sanction n’a été
appliquée sur eux. Les États-Unis ont pu rompre rapidement leurs contrats de gaz
avec la Russie, qui ne représentaient que 8 % de leurs besoins. Ils n’ont pas agi
de même pour le titane utilisé dans l’industrie aéronautique, sauf à risquer la
mise à l’arrêt de pans entiers de l’industrie civile et militaire. Sur le long terme,
cette demande devrait se renforcer en raison des plans de transition énergétique
consentis à la signature des accords de Paris en 2015. Les technologies de pointe
qui permettront l’électrification de 50 % des besoins européens nécessitent des
matériaux et des compétences, que la Russie est un des rares pays à posséder. La
relance d’une filière nucléaire impliquera la construction d’un nouveau parc, alors
que les seuls réacteurs de nouvelle génération au point sont les VVER 1200 de la
société Rusatom. Les réacteurs EPR de Framatom et Siemens n’ont pas encore
atteint le même stade de développement. Quant aux énergies renouvelables, les
éoliennes et les panneaux solaires les exploitant demandent de nombreuses terres
rares pour fabriquer leurs composants ou stocker l’électricité. Dans le détail, les
2.700 tonnes produites chaque année par la Russie paraissent minimes
comparées aux 168.000 tonnes de la Chine. Mais la demande internationale est
suffisamment forte pour permettre à la Russie de jouer un rôle de régulateur et
donc de répondre aux sanctions qui lui ont été imposées par l’Occident.

Louis Lamiot

Les quatre premières puissances économiques de l’UE importent la quasi-totalité
de leurs besoins en gaz et en pétrole. En 2019, selon l’Agence Internationale de
l’Énergie, la France, l’Italie et l’Espagne n’effectuaient que 30 % de leurs achats
de gaz en Russie et moins de 13 % pour le pétrole. L’Allemagne souffrirait
beaucoup plus d’une rupture des contrats. La Russie couvre dans le même ordre
50 % et 36 % de ses besoins, sans compter un possible blocage des envois depuis
le Kazakhstan. Fin avril 2022, elle a annoncé la suspension de ses livraisons de
gaz à la Pologne, la Finlande et la Bulgarie. Depuis, elle a fortement réduit le
débit vers l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. La France n’en reçoit plus depuis le
15 juin. A cette date, les réserves européennes de gaz se montent à 52 % des
besoins.

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guerre autrement
La guerre asymétrique et la conflictualité au-dessous du seuil du conflit de haute
intensité, par des Etats en compétition, modifient les modes d’action des forces
terrestres, élaborés par la réflexion opérationnelle et l’innovation stratégique.
Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 10 février 2022 à Paris, par le
Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de Terre. Y
sont notamment intervenus : le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major
de l’armée de Terre ; le général de brigade Ivan Martin, commandant l’Ecole
d’infanterie et ancien attaché de Défense à Moscou (2018-2021) ; le professeur
Pierre Pahlavi, Collège royal des forces canadiennes ; le général de brigade Eran
Ortal, directeur du Dado Center (études interdisciplinaires des forces armées
israéliennes) ; le général de brigade Joseph Hilbert, directeur de la formation de
la 7ème Armée américaine.

La France. Plusieurs tendances lourdes caractérisent la conflictualité
aujourd’hui, estime le général Schill. D’abord, la révolution numérique transforme
les sociétés et fournit un arsenal de combat dans le cyber et l’espace extra-
atmosphérique. L’armée de Terre doit pouvoir agir jusqu’à l’affrontement
militaire direct, quel que soit le degré d’intensité. En raison de la confusion entre
le front et l’arrière tactique, opératif et stratégique, tout engagement militaire
aura des conséquences sur la logistique et le substrat national. La course aux
armements produit un nivellement par le bas. L’accélération de leur
développement et la facilité de leur acquisition permettent à de petits groupes
d’affronter ou de contourner des armées nationales. La Chine, la Russie et l’Iran
ont décidé d’inclure la puissance économique dans le domaine militaire pour
remettre en cause l’équilibre issu de la seconde guerre mondiale, avec le risque
d’un affrontement majeur. S’y ajoutent les Etats faillis, le terrorisme et les
déséquilibres démographique et climatique. Les pays compétiteurs de la France, à
savoir des adversaires potentiels, pratiquent la contestation par des actions
violentes ou non. Grâce à une appréciation autonome de la situation, la France
peut intervenir de façon limitée avec ses forces spéciales et son dispositif
« Guépard » d’alerte permanente. Elle peut jouer le rôle de nation-cadre dans une
coalition OTAN, de niveau européen ou ad hoc, grâce à un poste de
commandement de corps d’armée avec sa capacité d’appui et de soutien et une
division lourde. A l’avenir, la prévention et l’influence permettront de répondre,
plutôt en Afrique, à un Etat en compétition ou en contestation, et de contribuer à
la stabilisation, la construction sur le long terme et l’accompagnement. La Task
Force européenne Takuba le fait au Sahel, alors que les sociétés militaires
privées, type Wagner (russe), créent des déséquilibres destructeurs.

La Russie. Héritière de l’URSS qui n’a pas été vaincue militairement, la Russie
lutte contre le modèle occidental susceptible de supprimer le statu quo, souligne
le général Martin. Or la géopolitique de l’OTAN remet en cause son droit de
regard sur le glacis constitué par les pays de l’ex-URSS. La Russie pratique une
diplomatie de l’ambiguïté pour altérer la capacité d’analyse et la prise de décision
de l’adversaire. Face à des crises, elle agit militairement en cas d’absence de
solution politique. Elle reconstruit ses capacités militaires pour durer, face à une
menace hypothétique à ses frontières, et se projeter au-delà. Depuis 1990, elle
modernise sa défense sol-air (missiles hypersoniques et laser) pour se prémunir
d’une agression extérieure. Ses forces terrestres accroissent leur puissance de
feu et leur capacité d’action dans la profondeur. Ses forces navales défendent ses
approches maritimes et effectuent des démonstrations de force en Europe. La
Russie se ménage un espace de manœuvre et d’action dans tout le spectre, sous
le seuil de la guerre nucléaire et du déclenchement de l’article 5 de l’OTAN
(assistance mutuelle en cas d’agression). Elle compte sur les technologies de
pointe pour surprendre l’adversaire et lui imposer son tempo pour le paralyser.

L’Iran. Pays à majorité chiite dans un environnement régional sunnite et arabe,
l’Iran a l’impression d’être toujours attaqué, souligne le professeur Pahlavi. Pour
préserver son indépendance contre toute ingérence ou menace de l’étranger, il ne
peut compter que sur lui-même, en raison de l’affaiblissement de ses capacités
militaires, consécutif à l’embargo sur les armes, et de son isolement diplomatique.
Pour exporter son idéologie, il se constitue une zone tampon régionale et cible les
faiblesses sociétales de l’Occident. Il développe tous les outils disponibles,
notamment les cyberattaques, la manipulation de l’information et un programme
balistique. Il se tourne vers les approches indirectes et hybrides pour éviter le
combat frontal. La nostalgie de l’antique empire Perse, exprimée dès la seconde
moitié du XXème siècle, se manifeste par son désir de reconnaissance sur la scène
mondiale aux côtés de l’Europe et des Etats-Unis. La stratégie aux facettes
multiples de l’Iran converge vers celles de la Chine et de la Russie, dont il se
rapproche. Trop lier son destin aux leurs risque de porter atteinte à sa
souveraineté.

Israël. Depuis les années 1980, Tsahal (forces armées israéliennes) a recouru à la
puissance de feu à longue portée contre ses ennemis avec des résultats
satisfaisants, mais cela ne suffit plus, explique le général Ortal. En effet, l’Iran, de
plus en plus présent dans la région, leur en fournit, leur permettant ainsi de
développer leur propre capacité offensive et leur donnant une liberté d’action.
Cette dynamique d’échanges de tirs conduit Israël à une posture de défense anti-
aérienne et limite sa capacité de manœuvre pour se protéger. Grâce à ses
capteurs et ses réseaux, Tsahal doit pouvoir découvrir un ennemi qui se cache,
intercepter ses projectiles, puis détruire ses lance-roquettes. Les opérations
futures combineront rapidité et manœuvre dans la profondeur du territoire
adverse.

Les Etats-Unis. Selon le général Hilbert, depuis l’effondrement du monde
binaire de la guerre froide (1947-1991), le domaine de la conflictualité inclut
l’espace, l’air, le cyber, la mer, la terre et le monde souterrain, dans des
environnements de compétition, de crise et de conflit armé. Dans une compétition
coûteuse en ressources financières, humaines et technologiques, il convient
d’accroître l’interopérabilité des systèmes entre pays alliés et partenaires, grâce à
des formations et des entraînements communs. De plus, il faut développer une
capacité dissuasive de projection des forces terrestres, capables de déséquilibrer
rapidement l’adversaire potentiel. En cas de de crise, il faut garder l’ascendant
sur lui dans tous les domaines de la conflictualité pour lui faire comprenne que
ses intérêts sont en jeu et que les Etats-Unis ne se battront plus jamais seuls. En
outre, ils procéderaient à des tirs de précision dans les zones dont l’accès leur
serait interdit. Si la situation évolue vers un conflit armé, la supériorité
technologique et la prise rapide décision devraient permettre de l’emporter.

Loïc Salmon

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