Jeremy Rifkin : "Les fonds de pension sont la clé de la transition écologique"
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Jeremy Rifkin : “Les fonds de pension sont la clé de la transition écologique” Une mer démontée. Après plusieurs interviews avec des petits et grands titres de la presse hexagonale, Jeremy Rifkin reste en verve. Arguments bien rodés, mental de marathonien, il reçoit Réforme dans une petite pièce, au sein des locaux de son éditeur français. Sur une table, les restes d’un repas fugace, consommé debout. À l’américaine. En conférencier chevronné, il laisse peu de place aux questions. Sa démonstration fuse littéralement. Et elle suit méticuleusement le tracé de son dernier livre, Le New Deal vert mondial, consacré à la transition écologique. Le constat de l’état environnemental de la planète prend des airs de réquisitoire militant. Sa bête noire ? Les énergies fossiles. Mieux : “la civilisation fossile” qui, selon lui, vit ses dernières années fastes. Inévitable changement. “À l’horizon 2030, l’industrie électrique et énergétique américaine générera 5 milliards de tonnes de CO2 et 16 milliards de tonnes vingt ans plus tard, en 2050. Un vrai désastre environnemental. Les actifs [des installations industrielles et des infrastructures, ndlr] du secteur fossile, dont la valeur estimée est de l’ordre de 1 000 milliards de dollars, cesseront d’être rentables quand la transition écologique s’imposera aux États-Unis aussi”, résume l’économiste démocrate, auteur de vingt-et-un best-sellers et conseiller de plusieurs institutions internationales, dont la Commission européenne, et d’États dont la Chine populaire.
Menace de disparition “Nous sommes menacés d’extinction. Il faut remonter 65 millions d’années en arrière pour rencontrer une menace de cette ampleur. La moitié des espèces disparaîtront dans les prochaines décennies”, enchaîne l’expert. Jeremy Rifkin pointe le nucléaire, responsable à ses yeux de la raréfaction de l’eau douce : “Une part significative est utilisée pour le refroidissement des réacteurs nucléaires.” La crise écologique majeure se double d’une crise économique. “Des milliers de milliards de dollars d’actifs sont avalés par le complexe mondial des énergies fossiles.” Aujourd’hui, au moment où des alternatives viables s’affirment, y compris au plan économique, “ces actifs, les droits d’exploitation gazière et pétrolière, les pipelines, les centrales électriques à charbon et les centrales nucléaires ne seront jamais amortis intégralement”. La banque américaine Citigroup chiffre à environ 100 000 milliards de dollars les pertes associées à ces actifs qui ne seront pas valorisés, rappelle l’économiste. “Il s’agit de la bulle économique et financière de loin la plus grosse de l’histoire.” Une bulle qui pourrait éclater avec des conséquences imprévisibles et catastrophiques si on ne s’en détourne pas. Les investisseurs, assure-t-il, commencent à en prendre conscience. Du coup, les gérants de fonds se lancent dans la course vers les sources alternatives d’énergie. Autour de “11 000 milliards de dollars ont d’ores et déjà été placés par les investisseurs dans les énergies propres. Autant de capitaux en fuite du secteur de l’énergie fossile”, se réjouit Jeremy Rifkin. En charge de près de 15 000 milliards d’euros de capitaux à faire fructifier, 62 % des gérants de fonds britanniques interviewés en 2018 estimaient que, d’ici peu, les grandes compagnies pétrolières internationales seront dépréciées par les marchés, souligne-t-il. La moitié d’entre eux proposent désormais à leurs clients fortunés de miser sur des portefeuilles d’actifs dont sont exclues les grandes sociétés fossiles (gaz naturel, charbon et pétrole). Le changement de direction des investissements financiers s’accélère, estime Jeremy Rifkin. Mais il y a urgence. Il ne faut pas attendre. Dans les dix-huit ans qui viennent, il faudra faire une véritable révolution, alerte-t-il. Une révolution qui devra avant tout se concrétiser par la création “dans toutes les régions du monde” d’infrastructures de la “troisième révolution industrielle, celle du Green New Deal“. Qui les financera ? “Les États, les villes, les comtés en premier lieu”,
poussés par “le premier grand mouvement planétaire des jeunes de l’histoire de l’humanité”, celui inspiré par la jeune adolescente suédoise Greta Thunberg. Banques vertes et fonds de pension L’objectif de cette véritable “révolte” de la jeunesse globalisée doit être de convaincre les grands de ce monde de rendre plus rentables les énergies propres (et moins les fossiles). “Renchérir les énergies carbonées et soutenir, avec les recettes fiscales dégagées par une taxation carbone agressive, les personnes à revenus les plus faibles afin qu’elles ne paient pas la facture de la transition énergétique”, voilà le premier pas à franchir. Jeremy Rifkin garde à l’esprit la crise des Gilets jaunes en France. Crise déclenchée par l’augmentation du prix des carburants automobiles causée par la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Une politique de redistribution des richesses s’est révélée indispensable pour entamer la transition. “Très sensible aux thèmes environnementaux, Emmanuel Macron l’a bien compris”, juge l’économiste. Après les jeunes, le deuxième levier de la transition écologique sera incarné par le secteur bancaire, et plus particulièrement les banques contrôlées par les États. Ces derniers devront “créer des banques vertes nationales et locales pour drainer l’épargne vers l’économie postfossile”. Elles pourront ainsi “faire appel au marché en émettant des obligations vertes pour financer des projets environnementaux sans recourir aux financements publics”. Soucieux du rejet des populations de toute augmentation des impôts, Jeremy Rifkin plaide en faveur de mécanismes de marché qui éviteraient d’utiliser le levier fiscal. Pour lui, l’argent indispensable à la transition écologique existe : il est conservé dans les coffres des richissimes fonds de pension du monde entier. Il croit savoir que ceux-ci sont “prêts à investir massivement dans les énergies renouvelables”. Ce troisième pilier, le plus important au fond, “le joker de la troisième révolution industrielle postfossile, est bien représenté par les fonds de pension. Ces derniers vont investir “plus de 40 000 milliards de dollars dont ils assurent la gestion dans les énergies non polluantes en se détournant des placements dans les industries fossiles”.
Fournisseurs et utilisateurs Le processus est déjà en marche. En Allemagne, le gouvernement a annoncé en février 2018 qu’à l’horizon 2030, 65 % de l’énergie du pays proviendra de sources renouvelables. En 2018, elles représentaient déjà 35 %, rappelle-t-il. “En Chine et dans l’Union européenne, le secteur de l’électricité est en passe de s’émanciper des énergies fossiles”, assène l’expert qui regrette l’extrême lenteur de son pays à aller dans ce sens. Inoxydable optimiste, Jeremy Rifkin se dit convaincu que le point de bascule entre les économies fossile et verte se situera autour de 2028, quand “14 % de l’électricité mondiale sera éolienne ou solaire”. Se fondant sur les estimations de Carbon Tracker Initiative, un centre d’études britannique indépendant, spécialisé en la matière, l’économiste juge que ce pourcentage est désormais atteint en Europe. La société en ressortira ainsi transformée de fond en comble. Une révolution qui emportera avec elle le capitalisme dans sa structure actuelle. D’une économie fondée sur la relation vendeur / acheteur, on passera, aux dires de l’auteur du New Deal vert mondial, à celle qui relie fournisseurs et utilisateurs. Le business model (modèle économique) mutera, enterrant définitivement les grandes organisations et groupes centralisés comme les Gafam. Les stratégies collaboratives et coopératives prendront le relais. “Dans le nouveau système économique qui émerge, la propriété cède le pas à l’accès, aux services, aux réseaux.” Réunies aussi bien localement qu’à l’échelle globale, les populations gèreront et partageront les réseaux de communication, ceux des énergies renouvelables et des transports propres. Ces trois types d’infrastructures seront intégrés dans des chaînes logistiques intelligentes. La nouvelle ère sera celle de la “glocalisation”, explique Jeremy Rifkin. Des millions de nouveaux emplois seront créés dans la sharing economy (économie du partage), et les activités fondées sur le bénévolat et l’échange connaîtront un essor inédit jusqu’ici. “Dans certains pays, ce secteur mobilise déjà plus de 10 % de la main d’œuvre”, souligne-t-il. Le capitalisme financier et le capitalisme tout court se verraient enfin moralisés. Un optimisme certes difficile à partager ces temps-ci, mais qui ne manque pas de séduction.
Entretien réalisé par Nathalie Leenhardt et Massimo Prandi Bio express Né le 26 janvier 1945 à Denver, Colorado. Essayiste spécialiste de prospective économique et scientifique. 1967 BS en économie à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie. 1968 Maîtrise en affaires internationales à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’université Tufts. 1977 Avec Ted Howard, il crée une fondation de prospective, la Foundation on Economic Trends (FOET). 1994 À partir de cette année, Jeremy Rifkin est maître de conférences dans le Wharton School’s Executive Education Program à l’université de Pennsylvanie. Ses premiers engagements, fidèle à lui- même Jeremy Rifkin n’est pas un néophyte en matière de contestations. Aujourd’hui aux côtés des jeunes qui se mobilisent pour sauver la planète de l’apocalypse climatique, hier en première ligne contre la guerre du Vietnam. C’était en 1967, le jeune Jeremy s’émouvait en voyant ses camarades se faire tabasser sévèrement pendant qu’ils bloquaient un siège de l’administration fédérale pour protester contre l’engagement militaire du pays en Indochine. Le lendemain, il prenait la parole à son tour pour ne plus la quitter jusqu’à la fin de la guerre. Il devient alors un activiste endurant avant de rejoindre VISTA (Volunteers in Service to America), une organisation d’entraide pour les personnes démunies, voulue par le Président John F. Kennedy.
En 1973, Jeremy Rifkin est à l’origine d’une manifestation imposante contre les grands groupes pétroliers lors la commémoration du 200e anniversaire du Boston Tea Party, une date qui célèbre la mémoire d’une révolte politique en 1773 à Boston (capitale du Massachusetts), contre le Parlement britannique qui avait autorisé la taxation des importations de thé dans les treize colonies de l’Empire britannique. Hautement symbolique, cette rébellion est l’un des actes fondateurs de l’indépendance des États-Unis. Entre un best-seller et l’autre, Jeremy Rifkin concentre ses combats civiques contre le non-respect de l’environnement en lançant, en 1989, Global Greenhouse Network, le premier réseau mondial pour le climat et, en 1993, une campagne mondiale pour la réduction de la consommation de viande bovine. Ce n’était qu’un début… M. P. À lire Le New Deal vert mondial Pourquoi la civilisation fossile va s’effondrer d’ici 2028 ? Le plan économique pour sauver la vie sur terre. Éd. Les Liens qui libèrent, 21,80 €
2020 : les rendez-vous à venir France municipales, test Emmanuel Macron n’a pas oublié les maires dans ses vœux pour 2020, en les qualifiant de “piliers de la République du quotidien, des territoires”. Non sans raison. Les élections qui se tiendront le 15 et 22 mars dans les 35 000 communes de France auront une valeur de test pour sa présidence. Brexit, terminus Avec sa nouvelle majorité, Boris Johnson est assuré de permettre au Royaume-Uni de sortir de l’UE le 31 janvier. Le Premier ministre veut ensuite bannir le mot Brexit du gouvernement, mais une grande partie de son temps y restera dédié. D’ici au 31 décembre, Londres doit négocier un nouvel accord commercial avec les 27. Un calendrier que certains Européens jugent trop court. Boris Johnson a jusqu’à juillet pour réclamer une extension des discussions. Il a déjà écarté cette possibilité. Jeux Olympiques Du 24 juillet au 9 août auront lieu les jeux Olympiques, et du 25 août au 6 septembre les Paralympiques à Tokyo au Japon. La présidentielle américaine… Nouveau mandat pour Trump ou retour des démocrates au pouvoir ? Dans un pays plus divisé que jamais, la campagne présidentielle de 2020 promet d’être violente. Loin d’avoir affaibli le Président américain, la procédure de destitution a solidifié sa base électorale. Le parti démocrate, lui, reste divisé entre son aile gauche, incarnée par Bernie Sanders et Elizabeth Warren, et son aile modérée, représentée par Joe Biden. Si ce dernier fait la course en tête, certains sont convaincus que Warren peut créer la surprise. Selon la presse, la sénatrice aurait le soutien de Barack Obama qui aurait tenté de convaincre de grands donateurs de financer sa campagne. COP 26 La Conférence des parties 26 (COP) se tiendra à Glasgow, en Écosse du 9 au
19 novembre. C’est une réunion internationale décisive car les États doivent fixer des nouveaux objectifs pour 2030 et 2050 sur les réductions de gaz à effet de serre, comme ils s’y étaient engagés lors de l’Accord de Paris de 2015. Nouvelle-Calédonie Pour la troisième fois depuis les accords de Nouméa du 5 mai 1998, les Néo- Calédoniens vont être appelés le 6 septembre prochain à choisir entre la France et l’indépendance. Ils avaient déjà choisi la France en 1987 et en 2018. Exposition universelle L’Expo universelle se tiendra à Dubaï du 20 octobre 2020 au 10 avril 2021. Le thème : “Connecter les esprits, construire le futur.” La COP25, comme si de rien n’était Fallait-il y voir un signe ? La 25ème conférence de l’ONU sur les changements climatiques devait avoir lieu au Brésil, qui a annulé, tandis que sa forêt brule. Puis au Chili, qui a annulé, tandis que ses rues brûlent. Elle se tint finalement en Espagne, où elle s’est achevée dimanche 15 décembre avec quarante-deux heures de retard – un record. Ce fut comme si elle n’avait pas eu lieu tant elle a échoué à prendre des décisions en adéquation avec les données scientifiques et l’impératif moral de justice climatique.
COP25, l’absence de feuille de route claire La COP25 n’a pas su produire les règles précises pour les marchés carbone, ce système qui permet aux pays et entreprises d’acheter et de vendre des quotas d’émissions. Il n’y eut pas d’accord pour des financements additionnels relatifs aux pertes et préjudices, c’est-à-dire aux impacts climatiques échappant à la capacité d’adaptation d’un pays. Quelques 80 nations (totalisant à peine 10,5 % des émissions mondiales) ont annoncé qu’elles reverraient à la hausse leurs engagements de réduction d’émissions en 2020. Mais aucune feuille de route claire pour un élan général en ce sens n’a vu le jour. Alors même que nous sommes sur une trajectoire de réchauffement de + 3 °C… À chaque fois, de nouveaux clivages entre pays ambitieux et pays bloqueurs se sont révélés, ce qui est inquiétant. La France n’est pas à la hauteur de l’urgence climatique La France ne s’est pas non plus hissée à la hauteur de l’urgence climatique. Malgré son objectif de neutralité carbone en 2050 et certains efforts, elle n’a pas respecté son budget carbone 2015-2018. Elle l’a même dépassé de 62 millions de tonnes équivalent CO2, soit de 3,5 %. La diplomatie française a passé la vitesse inférieure : le pays de l’Accord de Paris ne fut représenté à la COP au niveau ministériel qu’une seule journée. Est-ce ainsi que nous pourrons « Make Our Planet Great Again », selon la communication léchée de l’Élysée ? La montée des consciences et de la pression populaire À Madrid, la lumière vint d’ailleurs. Pas moins de 500 000 personnes ont défilé pour le climat, un signal fort témoignant de la montée de la conscience et de la pression populaires autour du globe. Greta Thunberg a été nommée personnalité de l’année par Times, et lors de sa première conférence de presse, elle s’est tue pour laisser parler quatre jeunes venus des États-Unis, d’Ouganda, des Philippines et du Pacifique. ils furent les témoins de l’engagement croissant des citoyens sur le terrain. Et, en pleine COP, l’Union européenne, troisième émetteur
mondial de gaz à effet de serre, a annoncé un Green Deal plutôt ambitieux, sur le papier. Comme un témoignage qu’il est toujours possible de réagir au niveau politique. L’espoir perdure Il est donc des raisons d’espérer. « La maison brûle », avait dit un Jacques Chirac qui n’a pas pour autant revêtu l’habit de pompier. Aujourd’hui, un étage est parti en fumée. Mais il reste des pièces à vivre, des habitants à sauver et des vies domestiques à savourer. Charge aux États de revoir leurs objectifs et leurs actions, et d’apporter leurs copies à la COP26 qui se tiendra au Royaume-Uni, à Glasgow, en novembre 2020. Charge aux citoyennes et citoyens de s’exprimer dans la rue et dans les urnes, et d’être celles et ceux qui incarnent le changement dans leurs vies collectives et individuelles. Charge aux Églises d’être sel et lumière, sur un enjeu nouveau mais au cœur de la Bonne Nouvelle du projet de vie et de bonheur de Dieu pour toutes ses créatures. Martin Kopp Président de la commission écologie – justice climatique de la Fédération protestante de France (FPF). Pour aller plus loin : https://www.reforme.net/gratuit/conference-sur-le-climat-a-lonu-les-analyses-de-m artin-kopp/
Écologie : quelle parole pour l’Église protestante unie ? L’appropriation de la pensée écologique par les Églises chrétiennes, et notamment les Églises protestantes, est un processus maintenant enclenché, quoique tardif. Récemment, y compris sous l’égide de la Fédération protestante de France, plusieurs documents et ouvrages (1) ont été élaborés, dans lesquels sont croisés écologie et théologie. Une nouvelle génération de théologiens, de personnes-ressources, est née. La dimension œcuménique est présente dans ce mouvement depuis longtemps, mais une nouvelle dynamique à cet égard est apparue avec la parution de l’encyclique papale Laudato si. Quoique fécondes sur le plan intellectuel, ces démarches doivent urgemment être relayées par de fermes prises de position et des actions concrètes : mobilisation des ministres des cultes et des fidèles, mobilisation collective des paroisses et des mouvements. À cet égard, il faut se réjouir d’initiatives concrètes telles le programme œcuménique Église verte qui connaît un franc succès. Alors que la préoccupation environnementale est longtemps restée marginale dans l’opinion et au niveau des États, la donne a désormais radicalement changé. Le réchauffement climatique s’emballe. Il est en passe de devenir hors de contrôle, entraînant des épisodes de plus en plus violents et fréquents, parmi lesquels puissants cyclones, sécheresses, canicules, incendies de forêts et de récoltes, fonte des glaces… Les graves conséquences économiques, sociétales et géopolitiques, déjà présentes, ne vont que s’amplifier.
Érosion de la biodiversité L’érosion de la biodiversité à l’échelle planétaire entre en synergie avec le changement climatique. Elle affecte gravement les chaînes écologiques jusqu’à menacer la survie de larges parties de l’humanité. Sans oublier les multiples polluants, notamment chimiques, qui affectent directement la santé publique, provoquent des pénuries d’eau, la désertification, etc. Dans ce contexte, de larges franges de l’opinion sont progressivement passées d’une préoccupation diffuse à une quasi-désespérance : le sentiment est que c’est maintenant trop tard, qu’on ne peut plus rien faire… La question est : entre cette désespérance, le millénarisme de certains survivalistes, et le refuge faustien d’un transhumanisme, quelle parole pour notre Église ? Les paroles et les actions des Églises ne doivent pas se limiter à suivre et accompagner la simple prise de conscience. Aujourd’hui, la responsabilité des chrétiens est d’élargir et intensifier un message de lucidité, et néanmoins, d’espérance. Ils doivent aussi se poser la question du passage d’une éthique de témoignage à celle d’une participation à l’action, non seulement à titre personnel mais aussi communautairement, en Église. Écologie et espérance Les textes sur l’écologie des Églises protestantes mettent tous l’accent sur l’espérance que doit prêcher l’Église et qu’il faut distinguer de l’espoir. La première condition de l’espérance est d’oser regarder la vérité en face, le courage de croire, enfin, ce que nous savons : qu’un “enfer sur Terre” est possible et que les trajectoires actuelles sont en train de l’installer irréversiblement. Un double travail de deuil est nécessaire. Celui d’accepter que les équilibres environnementaux, qui étaient stables au regard du temps humain et qui ne seront désormais plus ce qu’ils étaient. Mais il faut aussi faire le deuil de la confiance dans le progrès technique ou la croissance économique portée par une société de consommation. Les Églises doivent aider et accompagner ce travail où se mêlent des sentiments douloureux de déni, de frustration, de révolte, de colère, de résignation et de désespoir. C’est au prix de cet effort que l’espérance d’une renaissance peut
éclore. Cette espérance, pour les disciples du Christ, ne peut prendre racine que dans ce qui nous transcende et nous est donné par grâce, que dans l’annonce de la résurrection qui est ouverture au nouveau, à l’inattendu, et dans l’attente du retour du Christ proclamé dès les premiers jours de l’Église. Elle nous oblige et nous donne la force, dans un esprit de service et une dynamique de coopération, d’agir dans un contexte de crise. L’Église comme un lieu de ressources Quelques pistes parmi d’autres, pour nos Églises, peuvent être suggérées. – Penser l’Église comme un lieu de ressources, “d’énergie douce”, d’approfondissement spirituel et d’encouragement pour ses membres ou tous ceux qui le souhaitent, pour les aider à vivre une vie de création de liens, de multiplication de solidarités. Par exemple, aider à surmonter la détresse et le désespoir qui s’emparent parfois des scientifiques ou autres personnes engagées en première ligne. – Stimuler la vie communautaire et la réflexion éthique à partir de nos racines bibliques. La partager avec d’autres courants de pensée dans le souci d’identifier les discours ou les logiques perverses, pour que personne, notamment les plus vulnérables, ne soit abandonné en chemin. – Scruter inlassablement les Écritures, et actualiser la pensée théologique dans ces domaines. – Promouvoir et mettre en œuvre des solutions et des engagements concrets au niveau des communautés et églises locales, par exemple à l’aide du projet Église verte. – Utiliser pleinement, diffuser, mettre en synergie et développer les outils et les ressources déjà disponibles pour les Églises (2). – Articuler éthique et politique afin de proposer des actions concrètes à l’échelle des individus ou des groupes, en étant attentifs aux interactions, aux différents points de vue, à la complexité des problèmes et des situations.
Des prises de position fortes À l’échelle de la nation, veiller, et s’il le faut, intervenir par des prises de position fortes vis-à-vis des pouvoirs publics et dans le débat public. Ce travail des Églises doit se situer dans une perspective d’ouverture et d’intelligence collective, débordant largement nos familles religieuses et spirituelles. Dans ce contexte dramatique de l’humanité, entre incertitude, désespoir et fatalisme, les Églises doivent plus que jamais déployer leur ministère prophétique par la proclamation de la grâce agissante et vivifiante. “Étant justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus- Christ, à qui nous devons d’avoir eu par la foi accès à cette grâce, dans laquelle nous demeurons fermes et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu. Bien plus, nous nous glorifions même des afflictions, sachant que l’affliction produit la persévérance, la persévérance la victoire dans l’épreuve, et cette victoire l’espérance.” (Rm 5, 1-4). 1. Citons aussi Bible et écologie, questions croisées, Didier Fiévet (Olivétan, 2019). 2. Des ressources comme la commission Écologie et justice climatique de la Fédération protestante de France. Réchauffement climatique : revue
des solutions En un mot comme en cent : c’est encore possible. Mi-septembre, le Stockholm Resilience Centre (SRC), un institut de recherche indépendant spécialiste des questions climatiques, a publié sa dernière feuille de route. Les experts y détaillent, noir sur blanc, comment réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre (GES), d’ici à 2030, au niveau mondial. Il existe cependant une condition, et de taille : il faut agir dès maintenant. État d’urgence Pour espérer atteindre l’objectif de l’accord de Paris, il s’agit d’établir une stratégie à long terme. Première étape, 2020, qui doit marquer le pic des émissions de GES au niveau mondial. Pour rester sur la trajectoire, les émissions, doivent ensuite diminuer de 50 % d’ici à 2030, puis de nouveau de moitié d’ici à 2040 et 2050. Voici les principales mesures que les chercheurs mettent en avant. Les secteurs à cibler Les transports Les déplacements courts, comme se rendre au travail en voiture, équivalent aux trois quarts des émissions de GES liées aux transports. Le SRC plaide pour un remplacement total des véhicules à essence par des voitures électriques ou hybrides, via une politique de subventions publiques. Ambitieux, les chercheurs invitent à un changement de paradigme au sujet des voitures, inutilisées 95 % du temps. Développer un modèle de partage plutôt que de possession de véhicules permettrait de réduire largement leur nombre. En parallèle, les autorités doivent faire leur possible pour promouvoir les transports en commun, le vélo et la marche comme modes de déplacement alternatifs. L’énergie C’est le secteur clé. Il représente, à lui seul, deux tiers des émissions de GES. De ce fait, les subventions aux énergies fossiles doivent être immédiatement
supprimées. La diminution constante du coût des énergies solaire et éolienne leur permet aujourd’hui d’être compétitives dans les états développés, mais elles doivent être soutenues dans les pays en voie de développement. Un grand effort de recherche doit être mené pour améliorer les batteries de stockage électrique et, ainsi, pallier les variations de production des énergies renouvelables. Autre piste, la décentralisation de la production d’énergie, plus à même de répondre aux besoins individuels des consommateurs. L’industrie D’ici à 2030, on estime que 60 % de la population mondiale vivra en zone urbaine, de quoi alimenter la demande de matériaux de construction. Or, les industries de l’acier, du ciment, du plastique et de l’aluminium sont parmi les plus émettrices de GES. Plusieurs leviers peuvent être actionnés, dont la lutte contre le gaspillage : les projets de construction utilisent souvent 30 à 50 % d’acier et de ciment de plus que nécessaire. Recycler, ensuite. Utiliser de l’acier recyclé permet des économies d’énergie de 60 à 75 %. Les bâtiments Les chercheurs prônent une approche en quatre étapes : réduire le besoin de nouvelles constructions, mieux optimiser l’utilisation de l’espace (par le partage, notamment), rénover le bâti et opter pour des matériaux moins polluants, comme le bois. Si les pompes à chaleur et les thermostats intelligents peuvent rationaliser le chauffage et la climatisation des bâtiments, les travaux d’isolation restent une priorité. L’alimentation Les chercheurs plaident pour une réduction importante de la consommation de viande, surtout dans les pays développés. Responsable de deux tiers des émissions liées à l’alimentation, elle ne fournit que 18 % des calories au niveau mondial. La priorité est d’éviter que le reste du monde n’adopte le régime alimentaire occidental : riche en produits d’origine animale, en graisses saturées et en sucre. Pour cela, les acteurs politiques doivent encourager la consommation de produits
d’origine végétale et bannir le gaspillage alimentaire. Les solutions naturelles Si lutter contre la déforestation est une nécessité absolue, le SRC enjoint les États à mener une politique de reforestation pour absorber le CO2 de l’atmosphère. De même, les tourbières, l’un des puits de carbone les plus efficaces, doivent être protégées et restaurées. Quant à l’agriculture, les priorités vont d’une réduction de l’utilisation d’engrais à une lutte contre le surpâturage, qui relâche dans l’atmosphère le CO2 prisonnier du sol. Qui doit faire quoi pour lutter contre le réchauffement climatique ? Le rapport du SRC est un plaidoyer pour l’action politique. Tous les acteurs, de l’État aux entreprises, des régions aux villes, disposent de leviers d’action. Mais rien ne pourra être accompli sans une mobilisation massive de la société civile. L’action de la jeunesse, notent les chercheurs, porte déjà ses fruits. Les limites Tout au long du rapport, le SRC ne fait pas mystère des obstacles énormes à laquelle l’humanité devra faire face pour stabiliser la température terrestre. Les auteurs insistent sur l’importance de la justice climatique, pour ne pas que les plus vulnérables subissent de plein fouet la transition écologique. Leurs préconisations, par ailleurs, peuvent être sujettes à débat. La promotion tous azimuts de la voiture électrique, par exemple, pose la question de l’origine de l’électricité. En France, elle provient ainsi largement de l’énergie nucléaire. Mais contrairement aux collapsologues, les scientifiques du SRC estiment que tout n’est pas encore perdu. Reste à savoir si nous saurons, ou pourrons, être à la hauteur…• Louis Fraysse
Le Stockholm Resilience Centre, un exemple à suivre Mêler recherches scientifiques et conseils aux autorités politiques. C’est l’objectif que s’est fixé le Stockholm Resilience Centre (SRC), institut de recherche indépendant fondé en 2007 en Suède. Prônant une recherche interdisciplinaire, le SRC travaille de concert avec des ONG et des entreprises. Son objectif : proposer au pouvoir politique un ensemble de mesures concrètes pour répondre aux défis posés par les changements climatiques. Ce type d’institution constitue l’exception plus que la règle dans le monde académique. Stéphane Grumbach, enseignant à Sciences-Po, le déplore : « Le problème majeur est le cloisonnement disciplinaire qui ne facilite pas la mobilisation de chercheurs de différentes disciplines sur une même thématique. » À l’instar du SRC, Stéphane Grumbach travaille à créer une structure interdisciplinaire qui redonnerait le primat aux « questions simples ». « Ce sont des questions essentielles, que tout le monde peut comprendre, précise-t-il, mais dont les réponses sont extrêmement complexes et pour lesquelles nous ne disposons pas de méthode. Quelques exemples : comment peut-on traduire les recommandations du Giec en politiques publiques ? Comment diminuer l’empreinte carbone de manière équitable ? C’est en travaillant à ces questions avec l’ensemble des acteurs de la société que nous pourrons, chercheurs, être à la hauteur du défi climatique. » L. F. À noter Malgré l’essor considérable des énergies renouvelables lors de la dernière décennie, les émissions globales de gaz à effet de serre ont encore augmenté de 2,7 % en 2018. Lexique Accord de Paris : conclu en 2015, il vise à limiter à 2 °C la hausse de la température terrestre d’ici à 2100, par rapport aux niveaux préindustriels.
Giec : formé en 1988 sous l’égide de l’ONU, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat est chargé d’étudier les changements climatiques et d’en évaluer les impacts potentiels. Réchauffement climatique : Les petits gestes, c’est utile Tous les matins, pour se rendre au travail, Silvère Lataix enfourche son vélo. Le soir venu, c’est toujours à vélo qu’il va chercher sa fille chez la nourrice. Pour ce citadin, coordinateur du réseau Bible et création de l’Église protestante unie, le deux-roues a remplacé la voiture depuis belle lurette. Un choix économique, certes, mais aussi écologique : c’est une façon concrète de réduire son bilan carbone. Comme lui, des millions de Français ont adopté ces “petits gestes” du quotidien. Qu’il s’agisse de trier ses déchets ou d’opter pour le covoiturage, ces actes témoignent d’une prise de conscience devant l’urgence climatique. En 2017, l’empreinte carbone moyenne des Français s’élevait à 10,8 tonnes de CO2 par an. Pour parvenir aux deux tonnes de CO2 compatibles avec l’accord de Paris, elle doit baisser d’environ 80 % d’ici à 2050. Devant ce défi immense, on ne peut que s’interroger : ces petites actions ont-elles le moindre effet ? Un impact réel C’est justement la question que s’est posée Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé dans l’adaptation au changement climatique. Dans une étude récente, il
indique que l’impact de l’action individuelle n’est “pas du tout négligeable”. Pour aboutir à cette conclusion, le cabinet a établi une liste d’une douzaine d’actions relevant de la seule volonté personnelle. Certaines sont modestes (acheter une gourde, équiper son logement de lampes LED), d’autres sont plus ambitieuses mais ont un impact beaucoup plus fort (opter pour un régime végétarien ou ne plus prendre l’avion). Bilan ? Si une personne décidait d’activer l’ensemble de ces actions tous les jours de l’année, elle pourrait faire baisser son bilan carbone de 25 %. Seule une minorité de Français est cependant prête à aller jusque-là. Carbone 4 estime que pour un citoyen lambda, les gestes du quotidien peuvent entraîner une baisse de 5 à 10 % de l’empreinte carbone. Pour la famille Veziant-Rolland, qui habite Lyon, ces petits gestes sont devenus naturels. Antoine, Marion et leurs enfants achètent leurs aliments en vrac dans une épicerie bio. Ils sont membres d’une Amap*, se déplacent le plus possible à vélo, disposent d’un compost sur leur balcon et fabriquent même leur propre déodorant. Mais Antoine, le père, a conscience que ces mesures ne sont pas suffisantes. “Pour être efficace, l’action personnelle doit être doublée d’une action collective et politique, explique-t-il. Prenons l’exemple du vélo : pour vraiment développer ce moyen de transport, les gens doivent d’abord être convaincus de ses bienfaits. Il faut ensuite des initiatives collectives – des associations, par exemple, qui conseillent les futurs cyclistes ou effectuent des réparations. Et il faut enfin une vraie volonté politique de diminuer la place de la voiture en ville, en sécurisant le plus possible les trajets à vélo.” Ce constat, Carbone 4 le partage : l’individu seul ne pourra résoudre la crise climatique. Le cabinet de conseil ajoute que « l’injonction permanente à l’effort individuel ne pourra plus être entendue très longtemps ». On l’a vu avec le mouvement des gilets jaunes, né d’un refus de la hausse des taxes sur les carburants, dont le gouvernement assurait qu’elles aideraient à financer la transition écologique. Pour diminuer l’empreinte carbone des Français, c’est avant tout aux entreprises, à l’État et aux collectivités de prendre leurs responsabilités. La transition écologique, toutefois, ne pourra se faire sans la pression de la société civile, donc des individus. De l’individu au collectif, du collectif au politique, comme un effet boule de neige… en agissant vite avant qu’elle ne fonde au soleil. Louis Fraysse
Lexique *Amap : les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne réunissent agriculteurs et consommateurs autour d’un projet commun : promouvoir une alimentation locale et de saison. Révolte pour le climat : les militants français se préparent L’heure de la révolte pour le climat va-t-elle sonner en France ? Le 5 octobre, Paris ouvrira le bal des actions organisées par l’association Extinction Rebellion (XR). La « dernière occupation avant la fin du monde » se tiendra dans un lieu emblématique du système économique, prévient Hélène, membre d’Extinction Rebellion. “Nous espérons une convergence de lutte avec des Gilets jaunes, des militantes féministes, des habitants de quartiers populaires… Nous voulons faire la jonction entre ces milieux qui ne se parlent pas trop.” Passer à l’action Récemment implantée dans l’Hexagone, l’association XR a choisi pour logo un sablier représentant l’urgence, entouré d’un cercle illustrant la Terre. Elle est née il y a moins d’un an au Royaume-Uni. Sous les regards médusés des touristes et des Londoniens, des milliers d’écologistes prenaient d’assaut cinq ponts de la capitale britannique, dont celui de Westminster, pour dénoncer l’inaction
climatique du gouvernement. Pendant plusieurs jours d’affilée, les militants de l’organisation Extinction Rebellion sont venus s’allonger sur la chaussée tandis que d’autres ont formé des chaînes humaines à l’entrée des ponts, dans le but de paralyser la circulation et de perturber le fonctionnement de la ville et de son économie. “Les courriels de protestation, les lettres, les manifs d’une journée, ça ne sert à rien. Ce dont on a besoin, c’est de 400 personnes qui se portent volontaires pour aller en prison. Et 2 000 à 3 000 autres qui acceptent de se faire arrêter”, expliquait, quelques semaines plus tôt l’écologiste Roger Hallam, l’un des fondateurs du mouvement, lors d’une réunion publique rassemblant des citoyens de tous âges, prêts à s’engager. Rébellion Fonctionnant la plupart du temps sur le principe de la gouvernance partagée, l’organisation s’appuie sur les travaux des chercheuses Erica Chenoweth et Maria Stephan, spécialistes des mouvements de désobéissance civile au xxe siècle. Celles-ci ont montré que les résultats les plus significatifs ont généralement été obtenus grâce à des campagnes d’action non violentes, de grande envergure. Comme celles du mouvement des droits civiques au États-Unis. Les chercheuses ont remarqué qu’être prêt à se sacrifier pour la cause en risquant la prison avait toujours eu un fort impact sur l’opinion publique. Soutenu par plusieurs centaines de scientifiques à travers le monde, le mouvement a pris de l’ampleur depuis le début de l’année, gagnant petit à petit l’Europe, mais aussi l’Australie et les États-Unis. À New York, cet été, des centaines de militants d’Extinction Rebellion sont parvenues à faire fermer une autoroute et à bloquer plusieurs grandes intersections de Manhattan. Le 7 octobre, l’organisation “en rébellion contre l’extinction du vivant” a prévu des actions dans plusieurs villes partout dans le monde. Bloquer des ponts est l’une de ses spécialités. En France, des occupations, des performances artistiques, des débats sont prévus jusqu’au 13 octobre autour du slogan “Occupation pour la suite du monde”. Le mode festif, ludique, ironique même est combiné à des actions non violentes. Le but est de dénoncer la faiblesse des pouvoirs en place tout en essayant de séduire
l’opinion publique. “Les gens ont moins peur de s’engager sur des modes d’action non violents”, reconnaît le sociologue Albert Ogien. Les marches pour le climat, qui ont lieu depuis plusieurs mois, fédèrent de nombreuses associations écologistes comme Alternatiba, Action non-violente COP21, Youth for Climate France. Elles ont rejoint les associations bien connues comme Greenpeace. « On accueille avec un intérêt ces nouveaux acteurs qui ont une approche non-violente comme la nôtre et réalisent des actions de désobéissance civile pour faire passer un message politique, souligne Jérôme Frignet, directeur des campagnes Greenpeace France. C’est très bien d’avoir des mouvements spontanés qui correspondent à une attente des jeunes. Même si parfois nous avons des désaccords sur le scénario d’une action. Pour nous, pour dénoncer le système, il est plus important de bloquer un train avec des déchets ou un cargo rempli de soja en provenance de l’Amazonie que d’occuper un pont. » Légales ou illégales ? Les associations arrivent parfois à se mettre d’accord et se coordonner pour agir. Comme en avril 2019, lorsque deux mille militants ont bloqué plusieurs entrées d’immeubles du quartier d’affaires de la Défense à Paris, sans relais médiatique. En revanche, les images du blocage du Pont de Sully (5e arr.) réalisé en pleine canicule fin juin et les jets de lacrymogène ont fait le tour du monde. Ces actions de désobéissance civile sont aujourd’hui très médiatisées. Mais en sont-elles vraiment ? « La liberté de manifester fait partie des droits fondamentaux qui vont de pair avec le régime démocratique, rappelle Christine Lazerges, professeure de droit. À partir du moment où la manifestation a été déclarée, que les horaires et lieux sont respectés, elle est légale. » Les destructions de biens publics ou les vols des portraits du président sont bien des infractions pénales. Elles peuvent être éventuellement effacées par la notion d’irresponsabilité qu’engendre l’état de nécessité. « Pour la grande majorité, ces actions ne sont pas de la désobéissance civile car les militants ne transgressent pas de loi, vu qu’il n’en existe pas pour le climat, décrypte le sociologue Albert Ogien. Il est intéressant de s’interroger sur l’utilisation de ce vocable. Dire qu’on pratique de la désobéissance civile permet de ne pas expliquer qu’on fait de la politique. Il y a de la part de ces nouveaux
militants une déconsidération des partis politiques, notamment chez les plus jeunes. Ils ne veulent pas se faire dicter une manière de penser. La jeunesse est très politisée mais quand on lui dit qu’elle l’est, elle dit qu’elle ne l’est pas. » Est-ce qu’un jour ces revendications se traduiront dans les urnes et sous quelle forme ? En attendant la réponse, les blocages des prochaines semaines n’ont pas été déclarés. « Des délits vont être commis. Il y aura une intervention policière mais nous ne savons pas ce qui va se passer », prévient Hélène, de l’association Extinction Rebellion. Laure Salamon (avec Noémie Taylor-Rosner) La désobéissance civile, une tradition allemande Ce 20 septembre, plus de 200 000 personnes ont défilé dans les rues de Berlin. Des familles avec leurs poussettes, des mamies, des anarchistes, des militants de Greenpeace… Ils ont tous répondu à l’appel des écoliers du mouvement Fridays for Future. Hasard du calendrier, le gouvernement présentait ce jour-là son plan climat, censé aider le pays à réduire drastiquement ses émissions polluantes. Promotion du rail, hausse des prix des billets d’avion, primes à l’achat pour des voitures électriques… Ces mesures sont bien trop timides pour la plupart des experts. Ainsi, Marvin qui affirme : « Manifester ne suffit pas, il faut des actions plus radicales. » Ce jeune homme de 27 ans a donc rejoint Extinction Rebellion. Le mouvement compte déjà plus de 80 groupes locaux dans le pays. « Si j’étais plus jeune, je participerais aussi, s’exclame Angelika, qui a dépassé la soixantaine. Notre génération aussi a eu recours à la désobéissance civile pour protester contre le nucléaire. » En 1975, plusieurs centaines de personnes ont en effet bloqué le chantier d’une centrale nucléaire dans le Bade- Wurtemberg (sud-ouest de l’Allemagne) et elles ont fini par remporter la bataille. Quant aux trains qui transportent les déchets nucléaires retraités de la Hague vers le site de stockage de Gorleben, les fameux « castors », ils ont, le plus souvent, été ralentis par des militants enchaînés aux rails. Maintenant que la sortie du nucléaire est actée outre-Rhin, les activistes du mouvement Ende
Gelände s’orientent vers d’autres combats. Ils proposent d’ailleurs des entraînements aux militants d’Extinction Rebellion pour leur apprendre comment s’enchaîner, ou comment communiquer avec les passants et la police. Déborah Berlioz, correspondance de Berlin À lire Désobéissance civile-obéissance civique, article de Michel Sommer dans le livre La Foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Christophe Paya et Nicolas Farelly, Excelsis (2013), 29 €. Désobéir, Frédéric Gros, Flammarion, (2019), 8 €. Le Royaume de paix : une initiation à l’éthique chrétienne, Stanley Hauerwas (2006). Étrangers dans la cité, Stanley Hauerwas et William H. Willimon, Cerf (2016), 19 €. Le mondial et le local, l’édito de Nathalie Leenhardt C’est un couple de presque trentenaires. Elle cherche un poste dans le retraitement des déchets plastiques en Asie –un chantier abyssal –, lui se passionne pour l’émergence de nouveaux modes de vie, moins spoliateurs des ressources de la planète. Ils consomment local, ont arrêté manger de la viande,
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