JOURNAL D'EXPOSITION | Mai 2018 - GALERIE DITYVON

 
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JOURNAL D'EXPOSITION | Mai 2018 - GALERIE DITYVON
JOURNAL D’EXPOSITION
GALERIE DITYVON
| Mai 2018
JOURNAL D'EXPOSITION | Mai 2018 - GALERIE DITYVON
© Claude DITYVON, 489-18-PARIS-MAI 68-Place St Michel

                      Les célébrations et anniversaires sont devenus une       pourtant plus intéressant du point de vue de l’in-
                      manie, un commerce, une façon de revisiter et de         formation. Il faudrait, dans ces deux cas comme
                      simplifier l’histoire, et qui, au fur et à mesure que    dans d’autres, mettre en évidence la façon dont
                      l’on s’éloigne des faits que l’on commémore, voient      la commercialisation, la promotion, la diffusion de
                      leur représentation se réduire à un nombre de plus       chacune des images, comment les structures qui
                      en plus restreint d’images. Celles que l’on accepte,     les représentaient et les ont promues, comment les
                      sans plus jamais se poser la question des processus      réseaux de valorisation, comment les commentaires,
                      qui les ont amenées à ce statut, comme étant les «       comment les reprises massives ont transformé un
                      icônes » pertinentes qui désignent un événement,         cliché plutôt qu’un autre pratiquement équivalent
                      un moment, un fait du passé. Sans vouloir mettre         en référence. En résumé, qui a balayé les autres.
                      en cause ni en doute
                      l’importance d’un pho-                                                                 S’agissant de Mai 68,
                      tographe comme Robert                                                                  on sait que, bien que
                      Capa, est-il vraiment                                                                  ce soit la photographie
                      légitime que le sou-                                                                   prise par Gilles Caron
                      venir en images de la                                                                  de Daniel Cohn-Bendit
                      guerre civile espagnole                                                                narquois face à un CRS
                      se réduise aujourd’hui                                                                 devant la Sorbonne qui
                      à la seule « mort d’un                                                                 est aujourd’hui devenue
                      milicien » qu’il prit en                                                               l’icône des événements,
                      septembre 1936 sur le                                                                  elle a été prise éga-
                      front de l’Èbre et qui a                                                               lement par d’autres
                      donné lieu à tant d’in-                                                                photographes. Mais
                      terrogations et de po-                                                                 la capacité de diffu-
                      lémiques, bien souvent                                                                 sion et la pertinence de
                      vaines ? C’est une façon                                                               l’Agence Gamma hier,
                      de nier l’importance de                                                                comme aujourd’hui le
                      la chronique du conflit                                                                travail permanent de
                      par le Catalan Agusti Centelles. On pourrait en dire     la Fondation Gilles Caron installent cette photogra-
                      de même de l’image du jeune Chinois qui, en 1989,        phie comme le « résumé » en images de la révolte.
                      fit dévier une colonne de chars au moment de ce
                      que l’on nomma « le printemps de Pékin » et qui fut      Afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté, il ne s’agit pas
                      noyé dans le sang. Outre que l’image fixe ne prend       ici de définir qui « est le meilleur », d’établir une
                      vraiment tout son sens que si l’on a vu l’extraordi-     hiérarchie, de démolir des statues ou des statures,
                      naire vidéo qu’elle rappelle et qui est le document      mais de nous interroger sur la fabrication des icônes
                      fondamental sur cet épisode, plusieurs photographes      liées à l’histoire et sur la fonction qu’elles occupent
                      ont réalisé cette photographie car ils résidaient tous   dans la mise en place iconographique de certaines
                      dans le même hôtel dont les balcons dominaient le        mythologies.
                      lieu de l’événement.                                     On peut penser que, parce que la photographie
                      Un cadrage plus large que celui qui a fait le tour du    n’a rien d’objectif, seule la confrontation des points
                      monde, qui montre de nombreux blindés, s’avère           de vue, la mise en relation des différents regards,
peut nous permettre de nous forger une idée et de          vaux importants, qui n’avaient rien à voir avec une
                                                        réfléchir non seulement par rapport à ce qui fut, mais     quelconque envie de se situer par rapport à – ou
                                                        aussi par rapport à la façon dont les faits du passé       dans – la presse mais avec, avant tout, la volonté
                                                        ont été, en images, historiés et contés. Afin d’éviter     de réaliser des images tout en accompagnant avec
                                                        une paresseuse pensée unique visuelle.                     sympathie un mouvement de fond. Quand, le 3 mai
                                                        Ce qui nous amène à considérer, avec tout le sérieux       1968, Dityvon décide d’abandonner les travaux de
                                                        qu’il mérite, le corpus, imposant, réalisé par Claude      peinture dans un appartement, qui lui permettent
                                                        Raimond-Dityvon en 1968. Un de ses premiers tra-           de survivre, il part à la cueillette aux images. Pour lui,
                                                                                                                                        pour se constituer des souvenirs,
                                                                                                                                        pour avoir son propre album. Pas
                                                                                                                                        pour témoigner, pas pour docu-
                                                                                                                                        menter, non, pour être là, en accord
                                                                                                                                        avec le rythme des choses et du
                                                                                                                                        moment et pour trouver, peut-être,
                                                                                                                                        les images qui le restitueront et
© Claude DITYVON, 449-33-MAI 68-RUE GAY-LUSSAC-11 MAI

                                                                                                                                        qu’il pourra partager.
                                                                                                                                        Ce que l’on nommait « les événe-
                                                                                                                                        ments » devient, pour cet amoureux
                                                                                                                                        de Giacometti et de Rimbaud, pour
                                                                                                                                        cet amateur passionné de jazz et
                                                                                                                                        encore plus de free-jazz, qui ap-
                                                                                                                                        précie « le silence suspendu entre
                                                                                                                                        deux notes » , un véritable terrain
                                                                                                                                        d’aventures visuel. Il est déjà à la
                                                                                                                                        recherche de ce que l’on retrou-
                                                                                                                                        vera développé plus tard dans ses
                                                                                                                                        images « la place de l’homme dans
                                                                                                                                        l’espace urbain ».
                                                        Et cela se traduit, plutôt que
                                                        par des images à prétention
                                                        informative, par des évocations,
                                                        des visions, et les affrontements
                                                        deviennent des mouvements

                                                                                                                                                                                    © Claude DITYVON, 448-2A-9 MAI 68-C.BENDIT-ARAGON-BD ST MICHEL
                                                        de danse qui structurent la rue.
                                                        Comme Dityvon a choisi de
                                                        s’attacher à des « entre-deux » ,
                                                        il évite les moments d’intensité
                                                        maximale, met à profit les lu-
                                                        mières filtrées, fût-ce par les
                                                        jets des canons à eau ou les
                                                        fumées des grenades lacry-
                                                        mogènes et il installe, comme
                                                        dans un étrange théâtre, un
                                                        manifestant, seul, assis sur
                                                        une chaise, au milieu de la rue
                                                        livrée à un rêve de révolution.
                                                        Dityvon partage et capte une
                                                        ambiance, un état d’esprit, un
                                                        air de liberté qui lui convient
                                                        parfaitement. Il s’intéresse aux signes, aux graffi-       presque de carnet de notes, comme s’il avait effectué
                                                        tis, aux palabres, aux visages qui se tendent dans         un voyage dans un Paris troublé dans lequel il serait
                                                        l’échange d’idées, dans les débordements de la             arrivé un peu par hasard. Pas d’image symbolique,
                                                        parole. Lui qui disait, « La rue parlait. Moi, je parle.   pas de document pour accompagner les gros titres
                                                        Et regarder c’est aussi une manière de parler »,           des quotidiens ou des magazines, pas de volonté
                                                        trouvait, sans effort apparent, avec une fluidité du       de s’inscrire dans l’histoire. Juste un plaisir, sensible,
                                                        cadre sans égale parce qu’il ne cherche pas à être         d’avoir eu la chance d’être là, à ce moment-là, et de
                                                        démonstratif, une manière de poésie urbaine à ces          pouvoir capturer les images sans que les contraintes
                                                        moments d’affrontements intenses. Il ne pouvait            dévoilent le regard. Il a réussi à « donner à voir ce
                                                        que se sentir concerné par cette énorme envie de           qui est entre les choses, ce qui ne se voit pas et qui
                                                        liberté qui correspondait bien à ses propres rêves.        ressemble à la musique des mots et au bruissement
                                                                                                                   de la rue, son état des lieux ». Ce n’est pas rien.
                                                        Alors, le Mai 68 de Claude Raimond-Dityvon est
                                                        tout sauf un reportage. On pourrait le qualifier de
                                                        chronique, au meilleur sens du terme, ou de journal,       Christian Caujolle
                                                                                                                   MAI 68 - État des lieux, CLAUDE DITYVON / André Frère Éditions
Épanouissement et plénitude de l’intuition photogra-      Son esprit est en train d’inventer quelque chose qu’il
                                                           phique : voici venir pour Claude Raimond-Dityvon          n’avoue savoir théoriser. Photographe esseulé, il veut
                                                           l’événement tant attendu de sa jeune carrière, l’ins-     donner une autre vérité au mot témoignage. Quand
                                                           tant qu’il guette à l’horizon. Trente ans révolus, une    les matraques s’abattent sur les manifestants du
                                                           culture d’autodidacte, certes, mais tant de livres et     Boul’Mich, d’instinct, il sait qu’une boîte de Pandore
                                                           de brochures, tant de films et de musiques et enfin,      s’ouvre. Quand les poteaux de signalisation sont
                                                           un sens acéré de l’observation, tout cela dans le         arrachés, il entrevoit de nouvelles destinations. Le
                                                           secret espoir de ce qui advient. Lui qui craint tant      vieux monde éclate. Pour lui.
                                                           la foule, ce solitaire se retrouve au milieu, au milieu   Dans un récit de Mai 68 qui lui est propre, Claude
                                                           d’une lueur qu’il n’ose espérer.                          Raimond-Dityvon propose une vision des événe-
                                                                                                                                        ments qui ne satis­fait personne.
                                                                                                                                        Ici, la figure du héros ne trouve pas
                                                                                                                                        sa place. Il faut chercher ailleurs
                                                                                                                                        les figures emblématiques qui de-
                                                                                                                                        vraient faire l’histoire. Et même si les
© Claude DITYVON, 506-13-Bd St Michel-Paris 5e-24 Mai 68

                                                                                                                                        méchants, et il y en eut quelques-
                                                                                                                                        uns, arborent la tête de l’emploi, le
                                                                                                                                        photographe en fait peu de cas.
                                                                                                                                        Car dans cette narration originale,
                                                                                                                                        à la forme toujours inégalée, il n’est
                                                                                                                                        question que de la relation qu’en-
                                                                                                                                        tretiennent l’image et le verbe. La
                                                                                                                                        paire ne fait qu’un.

                                                           Dans ces photographies, on se
                                                           saoule de mots, on crie et on
                                                           vocifère. Théâtre de l’illusion ly-
                                                           rique, ces images nous assurent
                                                           de la puissance libératrice et
                                                           singulière de la parole. Elles
                                                           débordent de mots et d’inscrip-
                                                           tions qui, dans un flot continu
                                                           de sons et de signes, croient

                                                                                                                                                                                   © Claude DITYVON, MAI 68-BD ST GERMAIN-25 MAI
                                                           en leur propre pouvoir. Ce que
                                                           les temps anciens abhorraient
                                                           jaillit, expression bruyante d’une
                                                           révolte si longtemps contenue.
                                                           Les inscriptions sur les murs de
                                                           la Sorbonne apparaissent pour
                                                           ce qu’elles sont, des signes
                                                           incarnant l’idée. À l’impureté
                                                           du monde, la photographie
                                                           oppose l’innocence et la naï-
                                                           veté du verbe et du combat.
                                                           La quête confuse de ce jeune
                                                           photographe, de cet autodidacte, traversée de             L’homme n’a aucune passion pour l’action. Ses
                                                           regards et d’égards pour l’autre, s’avère obstinée,       images se construisent avec la volonté de dérouler
                                                           mais limpide.                                             un scénario élaboré et improvisé au jour le jour. Mai
                                                           La force indiscutable de ces images intemporelles         68 offre tous les éléments d’un film, c’est-à-dire une
                                                           réside dans l’instauration d’une tension permanente,      suite de situations dans lesquelles des figures et des
                                                           presque paroxys­tique et, par moments, irréelle. Le       postures émergent sous l’autorité d’un réalisateur
                                                           document vire à l’énigme. Il n’y a ici aucun désir de     bienveillant. Ce court métrage, constitué de brèves
                                                           recréer l’esprit d’un temps révolu : la Commune et        séquences, violentes parfois, développe un style
                                                           le Front populaire ne hantent guère ces apparitions.      réfutant le « focus ». Il nous faut regarder l’image
                                                           Sans souci d’illustrer ou de documenter, faire une        dans tous ses détails, et à chaque embranchement,
                                                           photographie se veut une représentation humble            la scruter sans cesse. Elle se nourrit de contrastes
                                                           d’une volonté pure et affranchie de toute sujétion.       violents, intenses dans l’action et dans les échanges
                                                           En quelques jours, sans commanditaire et sans             entre personnages.
                                                           destination aucune, se façonne un récit qui n’a           Tout cela veut dire qu’un simple graffiti, un drapeau
                                                           d’autre destinée que la satisfaction personnelle du       agité, un poing levé, un regard furtif sont la manifes-
                                                           photographe. À Saint-Germain-des-Prés, dans ce            tation de l’enthou­siasme, le vivant tout simplement.
                                                           territoire libéré, Claude Raimond-Dityvon, arpente        Ont-ils été si nombreux, les photographes, à savoir
                                                           les événements en solitaire. Il n’a d’autre volonté       redonner une substance à la vie ?
                                                           que de faire acte de photographie.
L’acte photographique de Claude Raimond-Dityvon           « short cuts » dénués de toute logique apparente.
                                                             ne peut être en reste des événements. Il adopte           Il faut, dans ces temps troubles et merveil­leux, que
                                                             une liberté de ton qui s’oppose audacieusement à          la photographie abandonne la réalité pour mieux
                                                             l’urgence de l’information. Il rejoint en cela, comme     s’acharner à transcrire le mouvement des choses.
                                                             toute oeuvre qui s’impose dans la durée, le fonds         Si bien que ce moment photographique qui semble
                                                             commun universel. Ce ne sont ni des mythes et             en lui-même éprouvé, jusqu’au lyrisme, apparaît
                                                             encore moins une relation directe avec les faits qui      pour ce qu’il est, une conscience profonde du vécu
                                                             s’affichent. Le réel, cet objet de toutes les manipula-   historique, c’est-à-dire une mesure de l’écart entre
                                                             tions, ne peut rejoindre les « vérités fondamentales      le fait brut, la sensation et la distance. Refus de
                                                             » que sous une forme transfigurée. Les contours «         l’évidence et de la signification cachée, en arpentant
                                                             traditionnels » et usuels du reportage avouent leur       les pavés parisiens, Claude Raimond-Dityvon définit,
                                                             faiblesse à retranscrire ce que l’opérateur ressent.      sans en prendre véritablement la mesure, le nouveau
                                                             La photographie en Mai 68 se doit d’imposer un            programme de la photographie documentaire.
                                                             langage nouveau, une expression inhabituelle qui
                                                             doit faire corps charnelle­ment à l’événement. Il faut    La photographie est un espace abordé par choix…
                                                             toute l’ingénuité de la jeunesse pour faire valoir la     Et par réduction. Le choix s’impose dans le panora-
                                                             puissance de l’exception contre le consensus formel       mique de l’instant. Alors que la perception faible est
                                                             en usage dans la photographie de reportage en             submergée par le tout, l’homme perspicace s’arrête
                                                             cette période de glaciation gaullienne.                   et prend son parti. Personne aujourd’hui n’oserait
                                                                                                                                          imposer l’idée que le réel est di-
                                                                                                                                          rectement lisible. Rien ne se donne
                                                                                                                                          directement, le caractère immédiat
                                                                                                                                          de la réalité est un leurre. Le monde
© Claude DITYVON, 560-09a-Bd St Germain-Paris 5e-24 Mai 68

                                                                                                                                          sensible se dérobe et se cache.
                                                                                                                                          Claude Raimond-Dityvon, et c’est
                                                                                                                                          là la proximité revendiquée avec
                                                                                                                                          Henri Cartier-Bresson, pressent
                                                                                                                                          que le regard n’est rien sans le
                                                                                                                                          déplacement, sans arpenter le
                                                                                                                                          pavé parisien, une appréhension
                                                                                                                                          toute péripatéticienne des faits.

                                                                                                                                           La pratique photographique est
                                                                                                                                           un chemin que l’on emprunte en
                                                                                                                                           solitaire. La saisie des images re-
                                                                                                                                           quiert un sentiment d’isole­ment
                                                                                                                                           qui n’a rien de contradictoire avec
                                                                                                                                           l’immersion dans le monde. Le
                                                                                                                                           quartier Latin, cette île artificielle,
                                                                                                                                           est un laboratoire où s’épanouissent
                                                                                                                                           les convictions. Le changement
                                                                                                                                           n’est nullement contradictoire avec
                                                                                                                                           l’acte individuel et, par là, devient
                                                                                                                                           exemplaire. Quoi de plus significatif
                                                                                                                                           que ces portraits de personnages
                                                                                                                                           saisis dans l’unicité de leur gestuelle
© Claude DITYVON, 494-4A-MAI 68-BD ST MICHEL

                                                                                                                                           ! L’acte photo­graphique est un désir
                                                                                                                                           paradoxal de solitude empathique.
                                                                                                                                           Claude Raimond-Dityvon se glisse
                                                                                                                                           dans l’interstice des événements
                                                                                                                                           proprement dits. En voltigeur de
                                                                                                                                           la photographie, entre la poésie
                                                                                                                                           et les faits, entre les bruits et le
                                                                                                                                           silence intérieur, le cliché s’insère
                                                                                                                                           dans un intervalle où se déploient
                                                                                                                                           des noirs intenses et muets qui
                                                                                                                                           relient les silhouettes au décor
                                                             Claude Raimond-Dityvon ignore d’autant plus les           à la profondeur incertaine. Ce qu’il y a entre les
                                                             règles de l’art photographique qu’il ne les connaît       choses unifie l’image. Le silence n’a rien à voir avec
                                                             pas. Un éton­nement constant devant les scènes            le support même. Ces images ont d’elles-mêmes
                                                             qui font leur apparition l’éloigne à chaque moment        retiré les sons inutiles. Nous l’avons dit, ces scènes se
                                                             d’une fabrication conventionnelle de l’image. Il ne       regardent délivrées de tout ce qui fait l’actualité ; les
                                                             cherche pas à expliquer et encore moins à témoi-          rues brillent, balayées par les canons à eau, les gaz
                                                             gner. Ce qui s’impose avec clarté doit conserver sa       lacrymogènes modifient notre perception de l’ordre
                                                             part de mystère. L’homme, pénétré par le cinéma           urbain. Le caractère irréel des situations, accentué
                                                             d’auteur, imprégné du rythme coltranien, se reconnaît     par les feux, confine à l’hallucination…
                                                             dans les palabres im­provisées et infinies, dans ces      La nuit est un spectacle.
Le photojournalisme s’est fondé sur l’hypothèse de            dans l’exigence d’un temps autre.
                                                l’imitation du vivant. Claude Raimond-Dityvon, lui,           Le silence contrasté du photographe ne préside ni à
                                                refuse tout simulacre préférant figer des instants            la sidération ni à l’admiration, mais au mystère. Face
                                                étincelants, mieux éclairants. Il ne cherche pas à            au photo-journalisme traditionnel, agité et explicite,
                                                mimer le caractère animé de per­sonnages, de ces              supposant éveiller les consciences, se fait jour un
                                                ombres qui passent, pavé à la main, combattants               autre point de vue qui octroie au spectateur une
                                                d’une nuit. Comme si leur immobilité, qui est celle           place particulière. Il n’est plus cet observateur soumis
                                                de la photographie, n’était que l’attente d’une vieille       à « l’art » de l’opérateur. Il se tient à distance. On ne
                                                et belle lune, la Révolution. C’est peut-être cela la         lui demande pas d’être dans l’action, mais bien au
                                                Révolution, un moment de suspens, fécond d’intention          contraire de produire par lui-même la singularité
                                                                                                                                de la vision. Une photographie sans
                                                                                                                                surcharge qui n’hésite pas à offrir
                                                                                                                                à notre regard un recul qui pose la
                                                                                                                                représentation comme position po-
                                                                                                                                litique et esthétique. La distance est
                                                                                                                                question d’attitude, la vision est affaire
                                                                                                                                de proximité sensible.Les nuits de ré-
© Claude DITYVON, MAI 68-BD ST MICHEL11 MAI-4

                                                                                                                                volte s’imprègnent d’une composante
                                                                                                                                irréductible : un noir et blanc, humide
                                                                                                                                et gras. À ce moment, le langage et la
                                                                                                                                fureur s’extraient des images. Par ce
                                                                                                                                contraste si particulier, la dimension
                                                                                                                                sensible de la scène devient tac­tile.
                                                                                                                                La révolte est une matière.

                                                Les compositions de Claude Raimond-Dityvon n’ont              toutes les laideurs avec l’insouciance de la jeunesse.
                                                pas seulement l’intention de capter l’attention du            Les ombres ont besoin de la lumière et de tous ces
                                                spectateur, elles sont des instants de retrait de la          feux allumés. Dans les photographies de Claude
                                                réalité au profit d’une exacerbation de la sensibilité.       Raimond-Dityvon, le jour est pâle comme un défilé
                                                Elle exerce une attirance sur le spectateur, si ce n’est la   gaulliste, gris et sans nuances.
                                                fascination, troublé par ce théâtre aux sons étouffés.        Claude Raimond-Dityvon fut celui qui refusa un
                                                Le silence, cette éloquence muette
                                                qui fait de la photographie un
                                                au-delà des apparences, atteint,
                                                parfois, l’essence du fait. Les infor-
                                                mations visuelles offrent un point
                                                de vue « apaisé », en complète
                                                opposition aux compositions mou-
                                                vementées. Chacun d’entre nous
                                                peut s’installer sur cette chaise

                                                                                                                                                                               © Claude DITYVON, MAI 68-BD ST MICHEL-11 MAI
                                                posée au milieu de la confusion,
                                                offrant le meilleur des points de
                                                vue sur les barricades. Un calme
                                                et une sérénité qui ne sont pas
                                                sans rappeler le sentiment du «
                                                sublime », cher à Emmanuel Kant.
                                                La frénésie de faire des images,
                                                qui n’est jamais gratuite, se doit de
                                                répondre à la nécessité profonde
                                                de mettre en connexion le désir du
                                                photographe de composer avec le
                                                spectateur un théâtre de circonstances… des choses            monde qui le lui rendait bien. Nous avions besoin
                                                qui ne s’ex­pliquent pas ! Car la vie n’a pas besoin          d’un photographe sans « métier », sans références
                                                de se justifier, mais simplement d’être vécue. Une            appuyées, bref sans tradition. L’acte de photographier
                                                photographie ambitieuse n’a pas besoin de proposer            est redevenu, grâce à lui, une nécessité et une liberté.
                                                des signes et des symboles, mais doit soumettre à             Le mépris de la presse, et d’une grande partie de
                                                notre sagacité des images achevées, denses, par               la profession, l’a libéré des carcans journalistiques.
                                                le rejet des habitudes au profit du doute.                    Ce n’est pas la passion des foules et de l’histoire qui
                                                Mai 68 dans ces clichés dépeint une cérémonie                 l’animait, c’est la liberté sauvage ou la permanence
                                                profonde tel un ballet qui n’a d’autre utilité que la         de la rébellion qu’il traquait.
                                                célébration de la puissance vitale, si ce n’est ma-
                                                gique, de la renaissance. Ces ombres aperçues lors            « La réalité a rêvé, voici l’essence de notre violence… »
                                                de ces nuits ont pris le visage d’un temps incertain.         Jean-François Lyotard
                                                Un théâtre, qui n’est pas un théâtre de dupes, nous
                                                affranchit de l’exhibition vulgaire, la marque de la          François Cheval
                                                « moder­nité ». Les ombres montent à l’assaut de              MAI 68 - État des lieux, CLAUDE DITYVON / André Frère Éditions
Claude Dityvon
Originaire de La Rochelle, Claude Dityvon (1937-2008) reçoit le prix Niépce en 1970 et co-fonde en 1972
l’Agence Viva qu’il dirigera jusqu’en 1980 avec son épouse Chris.
Imprégné de littérature et de cinéma depuis l’adolescence, Dityvon développe très tôt une rigueur et une
maîtrise absolue dans l’invention de ses images où l’anecdote et l’effet facile ne trouvent jamais place. Plus
proches de celles de l’École américaine (Walker Evans, Eugene Smith, Robert Frank...) que des «instants
décisifs» d’un Cartier-Bresson, les photographies de Dityvon se lisent chacune comme un acte permanent
de recréation du réel, un moment suspendu où l’auteur projette sa propre subjectivité et invite le specta-
teur à faire de même.
Connu du grand public pour ses images de Mai 68 exposées en 1998 au Musée Guggenheim de New York
et publiées la même année tous les jours durant un mois dans le journal « Le Monde », Claude Dityvon
est aussi reconnu par ses pairs comme l’un des photographes majeurs français du XXème siècle pour
la qualité et la richesse d’une oeuvre importante montrée dans plus de 200 expositions personnelles. Les
thématiques abordées par Claude Dityvon sont aussi variées que les bidonvilles, les mineurs, la ville, le
monde paysan, le monde du travail, la nuit, la ville, le sport, les canaux du Nord, le cinéma, la bande des-
sinée... avec toujours l’Homme pour sujet central.

EXPOSITIONS PERSONNELLES (1990-2008)

1990    Au-delà des apparences, Béthune.
        Autour du cinéma, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis.
        Hors champ, Ciné Carné, Saint-Michel-sur-Orge.
1991    Canal du Nord, Galerie Picasso, Denain.
1992    Canal du Nord, Onyx-Espace culturel, Saint-Herblain
1993    Balade en Red Star, Hôtel du Département de la Seine Saint-Denis, Bobigny,
Rétrospective 1967-1993, Galerie Espace photographique de Paris, Paris Audiovisuel.
Rétrospective 1967-1993, Fondation Charles Cante, Vieille Eglise Saint-Vincent, Mérignac. Parcours en
banlieue, audiovisuel, texte J. Guidoni, réalisation J-M Gourden, Maison de la Villette, Paris. Chalon-sur-
Saône en Photographie
1995    Red Star, Librairie La Terrasse de Gutenberg, Paris, Librairie Folies d’Encre, Café La Pêche,...
1996    Et l’Homme dans la Ville… Galerie Municipale de Vitry/seine
        Et l’Homme dans la Ville… Galerie Robert Doisneau Gentilly
        Et l’Homme dans la ville... Théatre Municipale, Brive la Gaillarde
        Rétrospective, Centre Culturel A.Malraux-Vandoeuvre les Nancy
        Red Star, Forum de Blanc-Mesnil
        L’oeil en coulisse, Cinéma Louis Daquin-Blanc-Mesnil
        Parcelles de Mémoire, Sommieres, avec le groupe en Vue
        Objectif Subjectif, Maison Doisneau Gentilly
1998    Paris Mai 68, Galerie Mise au Point Paris
        Paris mai 68, Musée Guggenheim New-York
        Paris Mai 68, Universite LILLE III
2000 Mois de la Photo à Paris-Nocturnes, Galerie E.Woerdehoff
2001    Aurore Bleue, Théatre de la Passerelle à GAP
        Et la Nuit aussi… 6eme Rencontre photographique de Noisiel
        Nocturnes, Festival de la photographie de Clermont Ferrand
2002    Manoel de Oliveira - Hors Champ, Centre Culturel Calouste Gubelkian
        Nocturne, Galerie Observatorio Arte Fotografica, Recife (Brésil)
2003    Noir, Etincelles, Galerie Esther Woerdehoff, Paris
        Passé-Composé, M.F.I, Paris
        Passé-Composé, Librairie Artazar, Paris
        Zanzibar, Musée Villegle, Saint Gille, La Réunion
        La caravane Rimbaud, paysages de Djibouti, deux expos à Djoubiti et Tadjoura
        La caravane Rimbaud, paysages de Djibouti, Musée Rimbaud Charleville Mezières
2005 Monde oublié, renaissance, Visa pour l’image, Perpignan
        Nocturnes Biennale Musée d’Art Moderne, Canton (Chine)
        La caravane Rimbaud, paysages de Djibouti,Théatre de l’Agora, Evry
2006 Festival photographie Sociale- Invité d’honneur, 4 Expositions Sarcelles-Avril 2005
        L’homme qui marche, Bibliothèque Universitaire d’Angers, Espace Culturel
2007    L’homme qui marche, Centre Culturel Français Phnom Penh Cambodge
        VIVA-1972/1982, Jeu de Paume- Hotel Sully
        Mai 68- Comme un souffle, universités de Brest, Rennes, le Mans, La Rochelle, Angers
2008 Mai 68-Mai 08, FIAP JEAN MONNET PARIS 14EME
        Mai 68 Hommage, UNION DES PHOTOGRAPHES CREATEURS-PARIS 3EME
        DITYVON la liberté du regard - LA ROCHELLE 12 EXPOSITIONS
       J’ai embrassé l’aurore et caressé le crépuscule, NOV 2008
        CENTRE REGIONAL DE LA PHOTOGRAPHIE NORD PAS DE CALAIS- Douchy les Mines
INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition
« MAI 68 » Claude DITYVON
Du 3 mai au 28 juin 2018

Vernissage, conférence & set jazz
Jeudi 3 mai, 18h30, Galerie DITYVON

• 17h | Conférence
« Photographier le printemps 1968 pour la presse magazine » par Audrey Leblanc, Docteure en histoire, Ehess,
Université Lille 3 et animée par Dominique Sagot-Duvauroux, directeur de la SFR Confluences.

« Mai 68 » est aujourd’hui connu pour et par ses icônes photographiques – le face à face de Daniel Cohn-Bendit avec
un CRS ou la surnommée « Marianne de Mai 68 », par exemple. Or, ces « photographies historiques », ou « images
qui ont fait l’histoire », sont le produit d’un système médiatique particulier : la presse magazine et le photojournalisme.
Souvent centré sur ses icônes et sur la seule figure professionnelle du photographe, ce système médiatique mobilise
pourtant de nombreux autres métiers moins connus qui contribuent, chacun, à la mise en forme quotidienne de l’infor-
mation. Les photojournalistes ont intégré ces paramètres professionnels dans leurs prises de vue : ils forment autant
de contraintes techniques, médiatiques et culturelles qui conditionnent l’utilisation de leurs images et, par conséquent,
leur conception.

• 18h30 | Vernissage de l’exposition

• 19h-20h | Set Jazz avec Kham Meslien (contrebasse) et Thibaud Thiolon (saxophone tenor)

Lieu
Galerie DITYVON | BU Saint-Serge - Université d’Angers
11 allée François Mitterrand - Angers
Horaires : du lundi au samedi, 8h30-22h30 et dimanche, 13h-20h
| Accès libre

Contact
Université d’Angers
Direction de la Culture et des Initiatives
| Lucie Plessis, Responsable de la Galerie Dityvon
02 41 96 23 34 | lucie.plessis@univ-angers.fr
| Amandine Jamin, chargée des médiations
02 41 96 22 62 | amandine.jamin@univ-angers.fr

www.univ-angers.fr | www.bu.univ-angers.fr
   Galerie 5

À découvrir également
Exposition MAI 68 - Claude Dityvon
Bibliothèque Alexis de Tocqueville
Du 11 mai au 26 août 2018
www.bibliotheques.caenlamer.fr / 02 31 30 47 00
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