Justice : le droit de confiance

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Justice :

le droit de confiance
Document réalisé par la Direction des études de l’UMP
          Emmanuelle Mignon, directeur,
          Julien Veyrier, directeur-adjoint,
               Eric Tallon, conseiller,
 Pierre Messerlin, Arnaud Chaput, Alexis Delafaye,
                    Nelly Hanon.

                         2
Table des matières
Chapitre 1. Cinq priorités pour une justice plus efficace, plus moderne, plus                        5
            proche des citoyens

     1. La justice doit être plus lisible et moins distante.                                         5
        1.1 L’organisation judiciaire est trop complexe.                                             5
        1.2 La complexité des procédures s’ajoute à celle de l’organisation judiciaire.              8
        1.3 La justice reste trop distante à l’égard des victimes.                                   9

     2. La justice répond difficilement à l’exigence de célérité.                                   12
        2.1 La lenteur de la justice française en chiffres                                          12
        2.2 Le manque de célérité de la justice française fragilise son image à l’extérieur.        13

     3. L’égalité devant la justice n’est pas toujours pleinement garantie.                         14
        3.1 Les citoyens ne sont pas égaux dans l’accès à la justice.                               14
        3.2 La justice est rendue différemment selon le lieu de la juridiction.                     17

     4. L’efficacité de la justice est mise en doute par la persistance de la récidive et la
        difficulté à juguler la délinquance des mineurs.                                            19
        4.1 Les niveaux de récidive traduisent l’impuissance de la justice à offrir des sanctions   19
            dissuasives et à permettre la réinsertion.
        4.2 La justice ne parvient pas à enrayer l’augmentation de la délinquance des mineurs.      24

     5. La dignité des prévenus et des détenus n’est pas suffisamment respectée.                    26
        5.1 La fréquence et la durée de la détention provisoire sont excessives.                    26
        5.2 Les conditions de détention ne correspondent pas aux exigences d’un Etat de droit.      27

Chapitre 2. La faiblesse du fonctionnement et de l’organisation du système                          35
            judiciaire
     1. Bien qu’elle ne concerne que 5% des affaires, la procédure de l’instruction                 35
        fait l’objet de nombreuses critiques.
        1.1 Comment fonctionne la mise en état des affaires pénales en France ?                     35
        1.2 Malgré certaines avancées, la mise en état des affaires pénales présente un certain     38
            nombre de carences.
     2. L’organisation du système judiciaire est inadaptée.                                         42
        2.1 Alors que les frais de justice augmentent, le budget de la justice reste faible.        42
        2.2 La carte judiciaire est archaïque.                                                      44

     3. Le statut des magistrats n’est pas adapté aux exigences de leur fonction.                   45
        3.1 Le mode de recrutement et la formation des magistrats présentent des faiblesses.        45
        3.2 La gestion des ressources humaines est quasiment inexistante au sein de la              47
            magistrature.
        3.3 La responsabilité des magistrats est trop rarement mise en cause.                       48

                                                       3
Chapitre 3. Quelques propositions pour une justice plus humaine, plus efficace                   51
            et plus responsable

     1. Réformer l’organisation du système judiciaire                                            51
        1.1 La carte judiciaire                                                                  51
        1.2 La spécialisation des magistrats                                                     52

     2. Renforcer l’indépendance de l’autorité judiciaire                                        54
        2.1 Revaloriser le statut des magistrats                                                 54
        2.2 Instituer une séparation entre les carrières du siège et celles du parquet           54
        2.3 Protéger les magistrats du parquet                                                   54

     3. Une magistrature plus ouverte et plus responsable                                        55
        3.1 Une magistrature plus ouverte                                                        55
        3.2 Une magistrature plus responsable devant la Nation                                   56

     4. Réformer la procédure pénale                                                             58
        4.1 Refondre le code de procédure pénale                                                 58
        4.2 Renforcer les droits de la personne gardée à vue                                     58
        4.3 Réformer en profondeur la phase d’instruction                                        58
        4.4 Mettre fin à la culture de la détention provisoire                                   60
        4.5 Rendre la justice criminelle en toute sérénité                                       60

     5. Mieux prévenir et réprimer la délinquance des mineurs                                    61
        5.1 Réécrire l’ordonnance de 1945                                                        61
        5.2 Spécialiser des juges et des tribunaux pour enfants dans le traitement des mineurs   61
            délinquants
        5.3 Lutter contre la récidive et contre le sentiment d’impunité des mineurs              61
        5.4 Réformer en profondeur la protection judiciaire de la jeunesse                       62

     6. Améliorer les conditions de détention                                                    63
        6.1 Désengorger et moderniser les établissements pénitentiaires                          63
        6.2 Assurer le respect de la loi en exigeant des conditions matérielles de détention     64
            décentes
        6.3 Humaniser les conditions de détention                                                64
        6.4 Préparer la sortie et la réinsertion des détenus                                     65

     Bibliographie                                                                               66

                                                       4
Chapitre 1. Cinq priorités pour une justice plus efficace, plus
            moderne, plus proche des citoyens

       Les critères de performance de l’institution judiciaire ont longtemps reposé
exclusivement sur la qualité du jugement rendu : sa conformité au droit, son impartialité, son
degré d’équité.

        Depuis quelques années, les Français ont de leur justice une appréciation négative : à
70%, ils estiment que la justice fonctionne mal et plus d’un Français sur deux (53%) pense
que ce fonctionnement s’est dégradé1. Pour correspondre pleinement aux exigences d’un Etat
de droit, la justice ne doit plus seulement veiller à l’application des lois, mais aussi répondre
aux attentes exprimées par les citoyens.

        Trop complexe, trop distante, trop lente, la justice semble peiner à la fois à prendre en
compte la parole des victimes et à respecter la présomption d’innocence, à concilier
l’exigence de réparation et de sanction avec celle de la réinsertion des personnes condamnées.
Confrontée à l’apparition de nouvelles formes de délinquance, notamment chez les mineurs,
la justice doit également veiller à l’exécution des peines prononcées et empêcher la réduction
de la récidive.

        Face à la diversité des objectifs aujourd’hui assignés à l’institution judiciaire, cinq
priorités peuvent être dégagées : la lisibilité de la justice, sa célérité, l’égalité des citoyens,
l’efficacité du traitement judiciaire de certains problèmes de société et la dignité du système
pénitentiaire.

1. La justice doit être plus lisible et moins distante.

      1.1 L’organisation judiciaire est trop complexe.

         La complexité de la justice française réside d’abord dans l’existence de deux
« ordres juridictionnels ». Il s’agit des deux ensembles formés, d’une part, par les
juridictions judiciaires placées sous l’autorité de la Cour de cassation (tribunaux d’instance
(TI), tribunaux de grande instance (TGI), cours d’appel, tribunaux de commerce, conseils de
prud’hommes, etc.), d’autre part, par les juridictions administratives placées sous le contrôle
du Conseil d’Etat (tribunaux administratifs (TA), cours administratives d’appel (CAA) et
certaines juridictions spécialisées comme la commission de recours des réfugiés). La Cour de
cassation et le Conseil d’Etat sont dits « souverains » ou « suprêmes », car leurs décisions ne
peuvent pas être contestées devant une autre juridiction française2.

        Cette dualité de juridictions s’explique historiquement par la volonté de réserver à
l’administration un juge qui lui est spécifique, plus à même de réaliser la synthèse entre
l’intérêt général défendu par l’administration et l’intérêt individuel mis en avant par
l’administré.

1
    Sondage TNS Sofres pour Pèlerin magazine, Les Français et la justice, octobre 2004
2
    Un recours est cependant possible devant la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH).

                                                       5
Cette dualité de juridictions contribue toutefois à brouiller la vision que les Français
ont de la justice. Il n’est pas toujours facile de déterminer si un litige doit être porté devant
une juridiction judiciaire ou devant une juridiction administrative. C’est le cas par exemple en
matière de contentieux de la responsabilité ou de contentieux fiscal.

        La complexité s’illustre aussi dans la profusion de juridictions différentes au sein
même de l’ordre juridictionnel judiciaire. Il existe aujourd’hui une très grande quantité de
juridictions réparties sur le territoire français. Ces tribunaux, cours ou conseils ont des modes
de fonctionnement, des procédures de recrutement, des compositions très différents. Certaines
juridictions sont exclusivement composées de magistrats non professionnels (tels les
tribunaux de commerce), d’autres pratiquent « l’échevinage » (juridictions composées de
magistrats professionnels et de magistrats non professionnels, mais dont les activités les
conduisent à avoir des compétences dans les matières traitées - par exemple les tribunaux
pour enfants, les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les conseils de prud’hommes en
cas de partage des voix entre le collège des employeurs et le collège des salariés), d’autres
enfin sont exclusivement composées de magistrats professionnels (les tribunaux
correctionnels par exemple). Il est à noter que la justice française compte 24 000 juges non
professionnels en plus des 7 700 magistrats professionnels.

                                                      Juridictions                          Nombre
                                  Cour de cassation                                           1
                                                                                1
                                  Cours d’appel et tribunaux supérieurs d’appel               37
                                                                                        2
                                  Tribunaux de grande instance et de première instance       186

                                  Tribunaux d’instance et tribunaux de police                476
            Juridictions
                                  Tribunaux pour enfants                                     154
             judiciaires
                                                                                    3
                                  Conseils de prud’hommes et tribunaux du travail            277

                                  Tribunaux de commerce                                      185

                                  Tribunaux des affaires de sécurité sociale                 116

                                  Tribunaux paritaires des baux ruraux                       411
                                  Conseil d’Etat (CE)                                         1
          Juridictions            Cours administratives d’appel (CAA)                         8
         administratives
                                  Tribunaux administratifs (TA)                               36

                                 Tableau 1. Les principales juridictions en France
                                          Source : ministère de la Justice

        Nombre de ces juridictions sont spécialisées. C’est le cas par exemple des tribunaux
paritaires des baux ruraux (chargés du contentieux entre bailleurs et preneurs de baux ruraux),
des tribunaux des affaires de sécurité sociale (compétents sur les litiges entre les
administrations de sécurité sociale et les assurés), ou des tribunaux pour enfants.

1
  Equivalent des cours d’appel pour l’outre-mer
2
  Equivalent des TGI pour l’outre-mer
3
  Equivalent des conseils de prud’hommes pour l’outre-mer

                                                        6
Enfin, les ressorts de ces juridictions sont parfois très différents. Par exemple, il n’y a
que huit cours administratives d’appel alors qu’il y a 37 cours d’appel et tribunaux supérieurs
d’appel sur le territoire national (métropole + outre mer). Par ailleurs, les ressorts des cours
d’appel et des tribunaux de grande instance ne correspondent pas aux limites géographiques
des départements et des régions, ce qui pose d’innombrables problèmes de coopération entre
services publics (notamment entre la police et la justice).

Encadré 1. Un exemple de complexité de la carte judiciaire : le ressort de la cour d’appel
           de Grenoble

        Dans le ressort de la cour d’appel de Grenoble se trouvent cinq TGI, douze TI, cinq
tribunaux de commerce, dix conseils de prud’hommes. Ce ressort couvre les départements de
l’Isère, de la Drôme (région Rhône-Alpes) et des Hautes-Alpes (région Provence-Alpes-Côte
d’Azur).

                                                                Tribunal de             Conseil de
Commune                             TGI           TI
                                                                 commerce             prud’hommes
Grenoble                              X           X                  X                         X
Valence                               X           X                                            X
Gap                                   X           X                  X                         X
Montélimar                                        X                                            X
Vienne                                X           X                  X                         X
Bourgoin-Jallieu                      X           X                                            X
Romans                                            X                  X                         X
Die                                               X                  X
Saint-Marcellin                                   X
La Mure                                           X
Nyons                                             X
Briançon                                          X                                            X
La Tour du Pin                                                                                 X
Voiron                                                                                         X
             Tableau 2. Localisation des tribunaux du ressort de la cour d’appel de Grenoble
                                  Source : Direction des études de l’UMP

       Cette carte soulève de nombreuses questions : pourquoi Valence et Bourgoin-Jallieu
possèdent-elles un TGI, mais pas de tribunal de commerce ? Pourquoi Die est-elle dotée d’un
tribunal de commerce et d’un tribunal d’instance sans avoir de conseil de prud’hommes ?
Pourquoi y a-t-il un TGI à Bourgoin-Jallieu (23 000 habitants), mais pas à
Montélimar (31 000 habitants) ?

        Il faut enfin souligner les divergences entre la carte des juridictions judiciaires et celle
des juridictions administratives. Grenoble abrite en effet un tribunal administratif (la cour
administrative d’appel étant sise à Lyon), couvrant les départements de l’Isère, de la Drôme,
de la Savoie et de la Haute-Savoie, mais pas celui des Hautes-Alpes.

                                                   7
1.2 La complexité des procédures s’ajoute à celle de l’organisation judiciaire.

        Comme le souligne le rapport de l’Institut Montaigne sur la justice en France1, « la
complexité de l’architecture [de la justice] se retrouve également […] dans celle des
procédures ». Les règles applicables sont souvent différentes d’une juridiction à l’autre, pour
ce qui est des délais de recours, de la nécessité ou non d’avoir recours à un professionnel de
justice (avocat, avoué, huissier...), ou du caractère écrit ou oral de la procédure : ainsi, la
procédure devant le tribunal administratif est normalement écrite, alors que celle devant le
tribunal d’instance est orale.

        Quant au ministère d’avocat, il est en principe facultatif devant le TA (sauf demande
d’indemnité pour dommage causé par l’Etat), obligatoire devant les CAA (sauf pour les
recours en excès de pouvoir en matière de fonction publique et pour les litiges sur les
contraventions de grande voirie) ou devant le CE (sauf pour la cassation des décisions des
commissions centrales d’aide sociale ou des cours régionales des pensions). La complexité
existe aussi pour les tribunaux judiciaires : il faut un avoué et un avocat pour plaider devant la
chambre civile d’une cour d’appel, sauf dans le cas de la chambre sociale devant laquelle ni
l’un ni l’autre ne sont requis, et pas en matière correctionnelle.

        La complexité du langage juridique reflète la complexité de l’organisation judiciaire.
L’abandon des formules latines dans les jugements, il y a quelques décennies, a marqué une
volonté de simplification et d’accessibilité. La lecture des jugements ou arrêts illustre
toutefois la distance persistante entre la justice et le justiciable : les « considérants » ou
« attendus » des décisions, jugements ou arrêts restent souvent incompréhensibles pour les
non-spécialistes du droit.

Encadré 2. Un exemple de complexité du langage judiciaire

    Extrait d’un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 7 juin
2000 :

      « Attendu que la Banque populaire du Sud-Ouest fait grief à l’arrêt d'ordonner le partage
de la seule nue-propriété des immeubles indivis, alors, selon le moyen, « qu’il résulte du
jugement confirmé que l’acte par lequel les consorts Tristan-Cazanave ont constitué un
usufruit au profit de leur mère n’a jamais été publié ; que la BPSO, créancier d'un indivisaire,
M. Tristan, ne pouvait que provoquer le partage afin de réaliser son hypothèque sur les droits
immobiliers de son débiteur resté en indivision ; qu’en se bornant, pour confirmer le jugement
déféré en ce qu’il a ordonné le partage de l’indivision sous réserve du droit d’usufruit de Mme
Heure, veuve Tristan, à relever que les créanciers pouvant exercer les droits et actions de leur
débiteur ne disposent pas de plus de pouvoirs que ce dernier, la cour d’appel, qui a ainsi
donné effet à un acte constitutif d’un droit réel pourtant non publié à l’égard d’un tiers muni
d’une sûreté immobilière régulièrement inscrite, a violé, ensemble, les articles 1165 du Code
civil, 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955 » ;

     Mais attendu qu’ayant exactement relevé que si le créancier pouvait exercer les droits et
actions de son débiteur et provoquer le partage d'une indivision au nom de celui-ci, il ne
disposait pas, pour ce faire, de plus de pouvoirs que son débiteur, la cour d’appel a retenu que
la convention d’usufruit étant opposable à M. Tristan, il convenait d’ordonner le partage de

1
    Institut Montaigne, Pour la justice, rapport, septembre 2004

                                                          8
l’indivision existant entre celui-ci et Mme Cazanave sous réserve du droit d’usufruit de Mme
Tristan ;

        D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
        par ces motifs : rejette le pourvoi. »

    1.3 La justice reste trop distante à l’égard des victimes.

        1.3.1 Des évolutions sont intervenues ces dernières années.

        La constitution de partie civile accorde une place à la victime dans la procédure
pénale. Sauf cas particuliers (prescriptions, amnistie…), elle oblige le parquet à ouvrir une
information (saisir un juge d’instruction). Elle permet à la victime d’être associée au
déroulement de la procédure, en étant entendue par le juge d’instruction, en se voyant
signifier les actes importants de la procédure et en intervenant sur le déroulement de la
procédure par la sollicitation de certaines mesures d’instruction. Même s’il connaît certains
abus, notamment dans les affaires financières, ce dispositif est globalement positif. Il permet
de passer outre l’inaction des parquets pour des raisons d’opportunité des poursuites.

         Au cours des dernières années, d’importantes réformes ont permis d’améliorer la prise
en charge des victimes à toutes les étapes de la procédure, définissant ainsi un ensemble de
droits :

        - le droit à l’information
        La loi prévoit que la victime est informée du déroulement de la procédure pénale. Le
code de procédure pénale énonce ainsi dans son article préliminaire que « l’autorité judiciaire
veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure
pénale » (introduit par la loi du 15 juin 2000).
        Son article 80-3 précise que « dès le début de l’information1, le juge d’instruction doit
avertir la victime d’une infraction de l’ouverture d’une procédure, de son droit de se
constituer partie civile et des modalités d’exercice de ce droit » (introduit en 2000).
         La loi de 2002 d’orientation et de programmation de la justice a quant à elle modifié
l’article 53-1 du code de procédure pénale pour étendre l’obligation d’information des
victimes incombant aux officiers et agents de police judiciaire (obtenir réparation, pouvoir se
constituer partie civile, obtenir la désignation d’un avocat pour les assister, être aidées par un
service d’aide aux victimes)2.

        - le droit à l’accompagnement
         Les victimes peuvent s’appuyer sur de nombreux services d’aide, répartis sur tout le
territoire et fédérés par l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM) créé
en 1986. Ces services accueillent les victimes et leurs proches, les informent, les
accompagnent et leur apportent un soutien psychologique, le tout gratuitement.

1
 Synonyme d’instruction
2
 Autre exemple : en cas de comparution immédiate de l’auteur présumé d’une infraction, la victime, partie civile
ou non, est informée du lieu et de la date de l’audience.

                                                       9
Les administrations doivent également fournir un effort plus soutenu
d’accompagnement des victimes. L’aide juridictionnelle est ainsi octroyée de droit à toute
personne victime « d’atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne » (viols,
actes de barbarie, etc.) sans condition de ressources. Depuis 2000, l’article 41 du code de
procédure pénale prévoit en outre que « le procureur de la République peut également
recourir à une association d'aide aux victimes ayant fait l'objet d'un conventionnement de la
part des chefs de la cour d'appel, afin qu'il soit porté aide à la victime de l'infraction » : ainsi,
le parquet se voit investi d’une mission d’accompagnement dépassant le simple devoir
d’information énoncé par l’article 80-3 cité plus haut, conforme avec l’obligation faite à
l’autorité judiciaire de garantir « les droits des victimes au cours de toute procédure pénale »
(article préliminaire du code de procédure pénale).

        - le droit à la réparation
        Cette réparation repose aujourd’hui à la fois sur l’action civile et sur certaines
garanties d’indemnisation apportées par l’Etat. Les victimes de certaines infractions pénales1
peuvent demander à une commission d’indemnisation des victimes (CIVI) placée auprès de
chaque TGI une indemnisation. L’indemnisation, décidée par la CIVI, est à la charge du fonds
de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions (FGTI). L’indemnisation
intervient lorsque les assurances et les organismes de sécurité sociale ne peuvent assurer une
indemnisation suffisante. Le fonds peut se retourner contre l’auteur des dommages.
        L’indemnisation via la CIVI est toutefois impossible pour certaines infractions pour
lesquelles des dispositifs spéciaux d’indemnisation sont prévus. Les victimes d’accidents de la
circulation bénéficient par exemple d’une indemnisation spécifique à la charge du fonds de
garantie automobile (FGA) lorsque le responsable du dommage est inconnu ou lorsque le
responsable est connu, mais non assuré2.

        1.3.2 Les rapports entre les victimes et la justice peuvent encore être améliorés.

        D’abord, le fonctionnement de la procédure d’indemnisation des victimes
d’infraction est insatisfaisant. Le système d’indemnisation est complexe et éclaté. Les
différents fonds d’indemnisation ont des règles de fonctionnement et des barèmes
d’indemnisation propres. Un effort d’harmonisation serait souhaitable.

        Ensuite, la participation des victimes à la procédure pénale est imparfaite et en
retrait par rapport à ce que font d’autres pays.

        Par exemple, en matière d’application des peines, les procédures d’appel font
intervenir les associations d’aides aux victimes. Cette intervention n’est toutefois pas prévue
pour les jugements rendus par le juge de l’application des peines ou le tribunal de
l’application des peines (premier degré). Autre limite à la prise en compte des victimes dans
les décisions d’application des peines : l’appel est seulement ouvert au condamné ou au
parquet, à l’exclusion des victimes elles-mêmes.

1
  Viols, attentats à la pudeur, coups et blessures ayant entraîné une incapacité d’un mois ou permanente ou la
mort (les demandeurs sont alors les ayants droit) ; les vols, les abus de confiance et les escroqueries sont aussi
couverts, mais une condition de ressources est exigée (en 2006, moins de 1 288 euros par mois, pour une
personne seule).
2
  Dans les autres cas, c’est l’assurance de l’auteur des faits qui doit indemniser la victime.

                                                       10
Certains pays étrangers vont beaucoup plus loin dans l’association des victimes
aux différentes étapes de la procédure pénale : c’est le cas notamment de la Belgique où
les victimes peuvent être entendues à leur demande par les tribunaux d’application des peines
récemment mis en place par une loi d’avril 2006. Cette loi a ouvert cette possibilité aux
victimes quels que soient les faits commis. Auparavant, seules les victimes de certaines
infractions pouvaient demandées à être entendues (ce qui constituait déjà une différence
majeure avec le système français).

       Enfin, les consommateurs ne disposent pas encore de moyens suffisants pour
assurer la défense de leurs droits. En effet, les différents types de procédure permettant la
défense d’intérêts collectifs ne permettent pas de répondre de manière satisfaisante à la
recrudescence des atteintes au droit des consommateurs.

        Les actions en justice dites « dans l’intérêt collectif » ne permettent pas
l’indemnisation du consommateur. En outre, les montants alloués au titre de la réparation du
préjudice collectif sont, d’une part, très en deçà des profits illicites réalisés, d’autre part,
versés à l’association qui a introduit la procédure car l’intérêt est collectif et non particulier.
Les consommateurs, principales victimes, ne perçoivent rien. En pratique, ces actions ont
d’ailleurs connu un développement restreint.

        L’article L. 422-1 du code de la consommation permet aux associations de
consommateurs agréées sur le plan national d’agir au nom d’au moins deux consommateurs
pour demander la réparation du préjudice individuel que ces derniers ont subi. Dans la
pratique, cette action en représentation conjointe est peu utilisée (cinq fois depuis dix
ans1) car c’est une procédure difficile, chère et globalement inefficace. En particulier,
l’association ne peut pas déclencher elle-même l’action et elle ne peut pas faire de
démarchage aux fins de rassembler des demandeurs.

        La création d’une procédure d’action collective (« class action ») efficace comparable
à celle existant dans d’autres pays (Suède, Etats-Unis) peut sembler d’autant plus nécessaire
que les relations entre les entreprises et les consommateurs se sont transformées. Le
développement d’une économie de réseaux mettant en relation de grands producteurs ou
distributeurs face à une multitude de clients a en effet rendu nettement plus difficile pour le
consommateur l’identification des obligations des prestataires et les possibilités de recours
offertes en cas de litige. En outre, le droit est souvent inadapté dans des domaines d’activité
en perpétuelle mutation comme la téléphonie mobile ou l’accès à Internet. Les
consommateurs sont donc plus vulnérables.

         Les Français expriment d’ailleurs une forte demande de protection en matière de
consommation. Une majorité d’entre eux considèrent par exemple qu’ils ne sont pas
suffisamment protégés dans les secteurs de la banque (58,3%), des assurances (62,4%) et de
la téléphonie et de l’Internet (65,4%)2. Ils font également peu confiance aux recours
institutionnels. Seulement 9,2% des Français considèrent la réglementation et les textes de loi
comme le meilleur moyen de faire respecter leurs droits de consommateur. Le chiffre est
encore plus bas pour les tribunaux (3,2%), expression de l’absence de procédures judiciaires
efficaces.

1
 CERRUTI G. et GUILLAUME M., Rapport sur l’action de groupe, décembre 2005
2
 ROUSTAN M., LEHUEDE F. et HEBEL P., « Qu’est-ce qu’Internet a changé aux modes d’achat des Français ? »,
Cahier de recherche, n° 213, CREDOC, novembre 2005

                                                   11
Au total, la justice française éprouve encore des difficultés à donner à la victime
  toute sa place. Ce constat est d’ailleurs également valable pour d’autres catégories de
  personnes vulnérables. En matière de tutelle des majeurs, par exemple, le fait que le juge
  soit unique paraît problématique, compte tenu de l’importance des décisions prises (la tutelle
  conduit à priver une personne majeure de certains droits fondamentaux dans son intérêt).
  L’intervention d’un second juge ou d’assesseurs apparaît nécessaire.

  2. La justice répond difficilement à l’exigence de célérité.

      2.1 La lenteur de la justice française en chiffres

          Les délais de traitement des affaires sont globalement élevés1, mais la lenteur concerne
  particulièrement certaines juridictions, à la fois civiles et pénales.

         En appel, il faut compter 18 mois pour une affaire civile2. Les tribunaux de premier
  degré fonctionnement globalement mieux : les tribunaux d’instance traitent les affaires qui
  leur sont soumises en cinq mois en moyenne. La durée des instances devant les conseils de
  prud’hommes est toutefois longue.

         Les recours en responsabilité sont particulièrement longs à aboutir. Il faut près de 21
  mois en moyenne devant une cour d’appel pour qu’un arrêt soit rendu en matière de dommage
  causé par un véhicule, et plus de trois ans (39 mois) devant un tribunal de commerce pour des
  dommages causés par un immeuble.

         24

         12

          0
                Cour d'appel      Conseils de           TGI          Tribunaux de        Tribunaux
                                 prud'hommes                          commerce           d'instance

Graphique 1. Durée moyenne de traitement des affaires civiles en 2003 pour certaines juridictions (en mois)
                                     Source : ministère de la Justice

          En matière pénale, le même constat prévaut. Le délai moyen de jugement d’un délit
  devant le tribunal correctionnel était de 9,5 mois en 2003. En cour d’assises, il s’écoule en
  moyenne 57,4 mois entre l’infraction et le jugement (ce délai est en augmentation puisqu’il
  était de 55,3 mois en 2001), et 24,5 mois, soit deux années, entre l’infraction et le début de
  l’instruction. Il s’agit toutefois d’une moyenne qui tient compte du fait que certaines
  infractions ne sont découvertes, ou leurs auteurs, que tardivement. En moyenne, une
  instruction dure 19 mois. Devant les tribunaux pour enfants, il faut attendre un an après
  l’infraction pour que le jugement soit prononcé3.

  1
    GIL-ROBLES A., Rapport sur le respect effectif des droits de l’homme en France, Bureau du Commissaire aux
  droits de l’homme du Conseil de l’Europe, 15 février 2006
  2
    Ministère de la Justice, Annuaire statistique de la justice, 2005
  3
    Institut Montaigne, Pour la justice, rapport, septembre 2004

                                                      12
Ces délais sont encore plus longs si l’on prend en compte, pour une même affaire,
la durée correspondant à la totalité des recours successifs formés.

        En effet, une fois une affaire jugée devant une juridiction dite de « premier ressort »
(tribunal de grande instance, tribunal administratif, conseil de prud’hommes, etc.), il est
possible – en règle générale – d’aller dans un premier temps devant une juridiction d’appel ou
de « second degré » (cour d’appel ou cour d’administrative d’appel), puis dans un second
temps devant une juridiction dite « de cassation » (Cour de cassation ou Conseil d’Etat).

        Compte tenu de ces éventuels recours, l’affaire ne pourra donc être définitivement
tranchée qu’après plusieurs années : la moyenne est de cinq années pour une affaire relevant
en première instance du conseil de prud’hommes1 et il n’est pas rare de devoir attendre une
dizaine d’années pour que le Conseil d’Etat statue sur un contentieux administratif2. La
procédure d’assises dure en moyenne 70 mois3. Cette durée inclut le délai moyen entre
l’infraction et le jugement en cour d’assises de premier ressort (57,4 mois) et celui de la
procédure en cour d’assises d’appel (12,6 mois).

        Ce manque de célérité est d’autant plus préjudiciable aux citoyens qu’un jugement
civil ne peut pas intervenir tant que le jugement pénal n’a pas été rendu4. Une personne
victime d’un délit ne pourra pas obtenir réparation et percevoir une indemnisation tant que
l’auteur n’aura pas été condamné pénalement.

    2.2 Le manque de célérité de la justice française fragilise son image à l’extérieur.

       La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, dont le respect est contrôlé par la Cour EDH, impose aux Etats signataires que
la durée des procès soit la plus courte possible. Selon son article 6, « toute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue […] dans un délai raisonnable ».

        La France est régulièrement condamnée par la Cour EDH pour non respect du droit à
un procès dans un délai raisonnable. Le récent rapport du Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe5 ne manque pas d’évoquer les « lenteurs de la justice française », dont
la cause principale est le « manque criant de moyens » : les tribunaux sont encombrés et les
greffes sont insuffisamment dotés en moyens matériels et en personnel.

       D’autres pays européens réalisent de bien meilleures performances. Alors qu’au cours
de l’année 2000 la France a été condamnée à 42 reprises par la Cour EDH en raison de la
lenteur de sa justice, le Royaume-Uni et l’Allemagne n’ont été, cette année-là, l’objet
d’aucune condamnation6.

1
  Ibid.
2
  Sans compter les éventuels recours formés devant la Cour EDH
3
  Ministère de la Justice, Annuaire statistique de la justice, 2005
4
  On dit que « le pénal tient le civil en l’état ». Il faut rappeler que si le juge pénal peut indemniser lui-même les
victimes, les délais de jugement retardent tout de même l’indemnisation.
5
  GIL-ROBLES A., op. cit.
6
  Institut Montaigne, op. cit.

                                                         13
3. L’égalité devant la justice n’est pas toujours pleinement garantie.

   L’égalité devant le service public est un principe à valeur constitutionnelle. A l’égalité
devant la loi, que plus d’un Français sur deux place parmi les priorités de la justice1, s’ajoute
donc l’égalité de traitement entre les justiciables.

      3.1 Les citoyens ne sont pas égaux dans l’accès à la justice.

        Le droit d’accès à la justice est indissociable de l’Etat de droit. Il garantit en effet que
chaque individu peut faire valoir ses droits et obtenir réparation en cas de dommage, que ce
soit face à la puissance publique ou face à un tiers.

        Or, si le droit d’accès à la justice est incontestablement respecté, les conditions d’accès
sont quant à elles inégales. Parce qu’accéder à la justice n’est pas toujours gratuit et que l’aide
juridictionnelle n’est pas accordée à tous, de nombreux Français rencontrent d’importants
obstacles financiers pour atteindre la justice.

           3.1.1 La gratuité de l’accès à la justice n’est pas totale.

       Bien que le service public de la justice soit en principe gratuit, le système judiciaire
français oppose certaines barrières financières à l’accès au juge.

        En matière pénale, la plainte avec constitution de partie civile donne lieu à une
« consignation » laissée en dépôt par le plaignant. Cette consignation correspond à une
somme dont le montant est déterminé librement par le juge d’instruction, en fonction toutefois
des capacités contributives du plaignant selon la jurisprudence. Le plaignant pourra la
récupérer en fin de procédure si celle-ci n’a pas été jugée dilatoire. Si cette somme est censée
éviter des dépôts de plainte abusifs, elle conduit souvent à dissuader les personnes aux
revenus les plus modestes de se porter partie civile. Dans la plupart des cas, les montants fixés
pour la consignation sont de l’ordre du millier d’euros. Mais les sommes exigées peuvent
atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros. La France a fait l’objet d’une condamnation
par la Cour EDH (affaire Aït-Mouhoub de 1998) sur la question spécifique de la consignation.
Dans cette affaire, la cour a jugé que le montant exigé par le juge d’instruction (80 000 francs)
était excessif, compte tenu du fait que le plaignant n’avait pas de ressources et s’était vu
refuser le bénéfice de l’aide juridictionnelle.

       Par ailleurs, dans de nombreuses procédures, le justiciable doit avoir recours à un
avocat ou à un huissier de justice pour assurer sa défense ou faire exécuter une décision en sa
faveur. Même quand il n’est pas obligatoire, le ministère d’avocat est en tout état de cause
fortement recommandé pour mieux se défendre en justice.

           3.1.2 L’aide juridictionnelle ne garantit pas l’accès des classes moyennes à la justice.

        L’aide juridictionnelle permet aux justiciables dont les ressources sont modestes de
faire face aux frais de justice. En 2004, l’aide juridictionnelle (AJ) s’est montée à 274
millions d’euros, avec au total plus de 830 000 aides accordées.

1
    Sondage IFOP pour Acteurs Publics, Les Français et la justice, 26 janvier 2006

                                                        14
Encadré 3. Le dispositif d’aide juridictionnelle

       L’aide juridictionnelle (AJ) existe dans son principe depuis plus de trente ans. Les
avocats, qui auparavant apportaient leur concours gratuitement aux plus démunis (dans le
cadre de l’« assistance judiciaire » datant de 1851), peuvent prétendre à une rémunération
assurée par la collectivité depuis 1972.

       Le bénéficiaire de l’AJ voit une partie ou la totalité de ses frais de justice (frais de
procédure ou de transaction) prise en charge par l’Etat. Ce dernier verse l’aide directement
aux professionnels de justice : avocats, huissiers, avoués, experts, etc.

        Le bénéfice de l’AJ est conditionné par les ressources du demandeur, sauf pour les
allocataires du RMI ou pour certaines infractions (cf. supra). Les ressources de l’année civile
précédant la demande (revenus du travail, autres revenus) doivent être inférieures à un seuil
(859 euros par mois en 2006 pour une personne seule). Même si les ressources perçues sont
inférieures à 859 euros, l’AJ peut être refusée si l’importance des biens le justifie.

        Le montant de l’aide juridictionnelle est déterminé en appliquant aux frais du
demandeur un taux dépendant de ses revenus. Par exemple, l’AJ à taux plein ou « aide
juridictionnelle totale » (100% de prise en charge) est ouverte aux demandeurs sans personne
à charge pourvu que leurs ressources mensuelles n’excèdent pas 859 euros. L’AJ partielle est
ouverte pour des revenus mensuels supérieurs à 860 euros, mais inférieurs à 1 288 euros.

                                                      Ressources mensuelles en 2005
     Prise en charge totale
                                                            Inférieures à 859 euros
            (100%)
                                              85%                              860 à 898 euros
                                              70%                              899 à 947 euros
                                              55%                             948 à 1 016 euros
    Prise en charge partielle
                                              40%                            1 017 à 1 093 euros
                                              25%                            1 094 à 1 191 euros
                                              15%                            1 192 à 1 288 euros
    Aucune prise en charge                                 Supérieures à 1 288 euros
                              Tableau 3. Régime de l’aide juridictionnelle en 2006
                                  Source : Circulaire du ministère de la Justice

        Si l’AJ constitue un progrès incontestable pour une plus grande égalité d’accès à
la justice, le champ de ses bénéficiaires est trop réduit. Dans la plupart des cas, les
Français disposent de revenus qui sont à la fois trop importants pour bénéficier de l’aide
juridictionnelle et trop faible pour pouvoir facilement faire face aux frais de justice. Le
rapport Bouchet de 20011 montrait ainsi qu’au début des années 2000 seuls 27% des Français
pouvaient prétendre à l’AJ totale ; de surcroît, il démontrait que l’AJ partielle était un échec,

1
 Commission de réforme de l’accès au droit (dite « commission Bouchet »), rapport au ministre de la Justice,
2001

                                                      15
le nombre de bénéficiaires étant très inférieurs au nombre de personnes éligibles. Cela
explique principalement par le fait qu’en cas d’AJ partielle, l’avocat peut négocier un
honoraire complémentaire. Les personnes éligibles à l’AJ partielle préfèrent donc renoncer à
cet avantage qui sera de toute façon insuffisant pour couvrir leurs frais alors qu’elles craignent
par ailleurs d’être moins bien défendues si elles perçoivent l’AJ.

       Il apparaît donc indispensable de développer un système garantissant un plus large
accès des classes moyennes à la justice.

        Le rapport Bouchet a proposé un certain nombre de pistes, notamment supprimer l’AJ
partielle au profit d’une AJ totale améliorée, ouverte à 40% des personnes grâce à relèvement
du plafond d’éligibilité. Il suggérait aussi de s’inspirer du système allemand de prêt sans
intérêts octroyé aux justiciables les plus modestes.

       D’autres expériences étrangères peuvent constituer d’intéressants exemples. C’est le
cas du pro bono des cabinets d’avocats anglo-saxons, système par lequel les professionnels du
droit acceptent de prendre en charge gratuitement la défense de personnes à revenus
modestes.

Encadré 4. Le pro bono des cabinets d’avocats anglo-saxons

       1. Un système largement répandu aux Etats-Unis et au Royaume-uni

        Pro bono signifie « pour le bien ». Il s’agit pour les avocats d’assurer la défense à titre
gratuit, dans tous les domaines du droit, de personnes dont les revenus sont faibles.

        En contrepartie, les cabinets et les entreprises bénéficient d’avantages fiscaux et d’une
publicité qui valorise leur image auprès du public.

       Cette technique est très développée au Royaume-uni et aux Etats-Unis. Dans ces pays,
où les cabinets d’avocats atteignent des dimensions très importantes, il existe de véritables
départements pro bono. Ces services permettent aux plus démunis de bénéficier
gracieusement des compétences de praticiens du droit particulièrement qualifiés.

       2. La France pratique peu le pro bono.

       En France, les professionnels du droit participent déjà à l’accès au droit sous une
forme bénévole, par de très nombreuses actions (par exemple les consultations gratuites
organisées par les différents barreaux). Un système pro bono existe même, sans contrepartie,
mais celui-ci n’est pas très développé et reste souvent le fait d’un petit nombre de cabinets
anglo-saxons établis en France.

       Par ailleurs, en application de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances
(LOLF), les crédits d'aide juridictionnelle, qui étaient évaluatifs sous l'empire de l'ancienne
ordonnance de 1959, sont devenus limitatifs à compter du 1er janvier 2006. Cela signifie que
l’enveloppe fixée en début d’année ne pourra pas, en principe, être augmentée. Face à une
dépense nettement inflationniste depuis plusieurs années, les avocats s’inquiètent d’ores et
déjà de la capacité de l’Etat à rémunérer l’ensemble des professionnels de justice qui seront
intervenus en 2006 au titre de l’aide juridictionnelle.

                                                16
3.2 La justice est rendue différemment selon le lieu de la juridiction.

           3.2.1 Les taux de classement sans suite des plaintes sont très différents d’un tribunal à
                 l’autre.

       En matière pénale, le classement sans suite est la décision prise par le parquet de ne
pas donner de suite à une plainte dont il est saisi ou à des faits dont il a connaissance, et par
conséquent de ne pas poursuivre l’auteur de l’infraction s’il est connu. La décision appartient
en propre au magistrat du parquet : elle est laissée à sa discrétion, même si elle doit être
motivée et portée à la connaissance du plaignant qui peut, depuis 2004, exercer un recours
devant le procureur général. Une constitution de partie civile peut également passer outre une
décision de classement sans suite (cf. supra), si les conditions en sont réunies (préjudice direct
notamment).

        En 2003, la répartition géographique des taux de classement faisait apparaître de
vraies disparités. Alors que le taux moyen de classement sans suite était de 72,1% sur toute la
France, il était de 97,6% pour le parquet de Bernay (Eure), de 96,7% pour celui de Riom et
seulement de 50,7% à Nice et de 54,7% à Lille1.

        Ces écarts s’expliquent, d’une part, par la structure de la délinquance locale, les
moyens à la disposition des juges ou encore l’efficacité des services de police et de
gendarmerie dans l’élucidation des infractions, d’autre part, par l’autonomie dont disposent
les magistrats du parquet. Ceux-ci peuvent notamment choisir d’user massivement des
alternatives aux poursuites pénales (classement sous condition, médiation pénale,
réparation…) plutôt que de poursuivre les auteurs.

           3.2.2 La politique pénale des parquets n’est pas la même sur tout le territoire.

        A la différence d’autres systèmes judiciaires, le système pénal français est fondé sur le
principe de l’« opportunité des poursuites » en vertu duquel le parquet est libre de ne pas
engager de poursuites pour des faits offrant pourtant toutes les caractéristiques d’une
infraction. Ce principe s’oppose à celui de la « légalité des poursuites » en vertu duquel le
parquet est tenu d’engager les poursuites ou ne peut s’en dispenser que dans des cas
soigneusement encadrés par les textes (système allemand). Le principe de l’opportunité des
poursuites se justifie à la fois par la nécessité de limiter la charge de la justice, qui ne pourrait
pas traiter toutes les infractions, et par le fait que, dans de très nombreux cas, l’auteur des faits
n’est de toute façon pas connu et ne le sera jamais (en 2004, 80% des affaires classées sans
suite l’ont été car elles n’avaient pas été élucidées)2.

       En principe, le ministère de la Justice adresse des instructions de politique pénale aux
procureurs généraux, qui les transmettent à leur tour aux procureurs de la République. Il s’agit
d’orienter l’activité des parquets et en particulier de fixer les priorités qui doivent être les
leurs en matière de poursuites. Depuis 2002, par exemple, la Chancellerie a adressé de
nombreuses instructions de politique pénale pour réprimer sévèrement les actes racistes et
antisémites. En pratique toutefois, les instructions de politique pénale sont inégalement

1
    Ministère de la Justice, Annuaire statistique de la justice, 2005
2
    Ibid.

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suivies, soit que la détermination de la Chancellerie à les faire appliquer soit insuffisante, soit
que les parquets choisissent sciemment d’appliquer leur propre politique.

          3.2.3 La jurisprudence des cours suprêmes n’est pas toujours respectée par les
                tribunaux du fond.

        C’est une question délicate dans la mesure où, dans le système juridique français, les
juges ne sont pas juridiquement tenus d’appliquer la jurisprudence. Cette liberté est régulée
par la possibilité en principe ouverte aux parties de faire appel et, dans tous les cas, de porter
l’affaire en cassation. Par ailleurs, c’est souvent grâce à l’initiative des juges du fond que des
jurisprudences anciennes et inadaptées changent.

        Cela étant, la non application de la jurisprudence par les juges du fond entraîne une
inégalité des justiciables devant la loi. Elle n’est pas toujours justifiée par de vrais motifs
juridiques. Par ailleurs, elle crée de l’insécurité juridique. Au Conseil d’Etat et dans les
juridictions administratives du fond, une règle implicite s’applique selon laquelle une
jurisprudence qui a été fixée par une formation supérieure de la Haute assemblée (assemblée
du contentieux ou section du contentieux) ne doit pas être remise en cause avant dix ans
minimum, sauf circonstances tout à fait exceptionnelles. La possibilité ouverte aux tribunaux
du fond, en cours d’instance, de poser une question nouvelle à la Cour de cassation ou au
Conseil d’Etat permet également de concilier la sécurité juridique et l’égalité de traitement
des justiciables avec la nécessaire évolution de la jurisprudence au cours du temps.

          3.2.4 Les délais de traitement des affaires peuvent varier du simple au quintuple selon
                le tribunal.

     Le délai moyen de traitement des affaires est déjà long en soi (cf. supra). Mais cette
moyenne dissimule en réalité d’importantes disparités entre juridictions.

        Le délai de jugement en cour d’appel varie ainsi presque du simple au triple, selon
qu’il s’agit de la cour d’appel de Bourges (délai moyen de 7,8 mois en 2004) ou de celle
d’Aix-en-Provence (21,8 mois)1.

       De même, les tribunaux de grande instance ne jugent pas dans des délais identiques.
La durée moyenne d’une affaire en 2003 était de 15,4 mois pour le TGI d’Ajaccio, mais
seulement de 3,8 mois pour le TGI d’Alès. En matière de divorce, il fallait en 2004 seulement
4,2 mois pour le juge aux affaires familiales (rattaché au TGI) pou rendre un jugement à Alès,
mais trois fois plus longtemps (12,8 mois) à Aix-en-Provence2.

        Le même constat vaut pour les tribunaux d’instance : 2 mois en moyenne pour les
affaires civiles devant le TI d’Arcachon, 10,5 mois pour celui de Charenton-le-Pont (moyenne
nationale : 4,9 mois)3.

1
  Ibid.
2
  Ibid.
3
  Ibid.

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