Katiba Macina et Boko Haram Inclure les femmes à quelles fins ? - Amazon AWS

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30
ANS
       INSTITUT D’ÉTUDES
       DE SÉCURITÉ

  Katiba Macina et Boko Haram
  Inclure les femmes à quelles fins ?
  Jeannine Ella A Abatan et Boubacar Sangaré

  Ce rapport analyse les logiques d’association des femmes à la katiba Macina au Mali et à Boko
  Haram au Niger ainsi que leur place et leur rôle dans les stratégies de recrutement, d’implantation
  et d’opération de ces groupes extrémistes violents. Il s’agit du premier de deux rapports basés
  sur des entretiens avec des femmes et des hommes associés ou ayant été associés à ces
  groupes. Le second rapport examinera les implications des résultats de l’étude sur les stratégies
  et politiques de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent au Mali et au Niger et proposera
  des recommandations.

                                                                   RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021
Conclusions principales

         	Loin d’être cantonnées dans des rôles de mères               le djihad. Pour d’autres, l’association à la katiba
           ou d’épouses, les femmes associées à la katiba               Macina répond à un besoin de protection, y
           Macina et à Boko Haram assument aussi,                       compris d’une activité économique. Enfin, l’étude
           volontairement ou sous la contrainte, de multiples           a également documenté le cas de femmes
           rôles qui offrent aux groupes des avantages                  pour qui cette association représente un moyen
           stratégiques et opérationnels importants.                    d’assouvir un désir de vengeance.
           Elles représentent des ressources humaines
                                                                   	Les liens familiaux et conjugaux avec des
           stratégiques, des canaux de recrutement et
                                                                     proches masculins (mari, père, frère, etc.),
           facilitent l’implantation des groupes, la conduite
                                                                     membres de la katiba Macina et de Boko
           de leurs opérations et leur survie.
                                                                     Haram, ont joué un rôle déterminant dans
         	Les entretiens menés au Niger avec des                    l’association de certaines femmes à ces deux
           femmes associées à Boko Haram révèlent trois              groupes. Ces acteurs sociaux, auxquels il
           principales voies d’association. Certaines ont            faut ajouter les autorités traditionnelles et
           rejoint le groupe volontairement, d’autres y ont          administratives ainsi que des bergers issus
           été contraintes par un membre de leur famille,            de la communauté peule, jouent aussi un rôle
           et d’autres encore ont été enlevées par des               important dans la dissociation des femmes
           membres du groupe.                                        des groupes.
         	Au Mali, bien qu’elles ne soient en général             	Certaines femmes qui se sont associées aux
           pas physiquement présentes dans les markaz                groupes, y compris de leur propre initiative,
           (camps) de la katiba Macina, les femmes jouent            en sont sorties. Pour celles associées à Boko
           de multiples rôles qui facilitent l’implantation du       Haram, ce choix était motivé, entre autres, par la
           groupe au sein des communautés, lui permettent            nécessité de se soustraire à un mariage forcé et
           de tirer des avantages opérationnels et de                abusif avec un membre du groupe, la désillusion,
           générer des ressources financières.                       les conditions de vie parfois difficiles au sein du
         	Les raisons qui expliquent l’association des              groupe ou la peur d’être tuées par des membres
           femmes à la katiba Macina et à Boko Haram                 du groupe ou lors d’opérations militaires contre
           sont diverses et interconnectées. Pour la plupart,        leurs positions. Dans les cas documentés
           il s’agit de préserver leur vie et celle de leurs         au Mali, l’association des femmes à la katiba
           proches. Certaines ont volontairement rejoint             Macina a été interrompue après leur arrestation
           Boko Haram dans l’espoir de trouver au sein du            ou la rupture des liens avec le proche masculin
           groupe un mari, d’apprendre le Coran ou de faire          associé au groupe.

2   KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
Introduction                                                 d’hommes vaillants prêts à combattre6. Ainsi, dans
                                                             la rhétorique du groupe, certaines fonctions, en
Le travail de recherche sur lequel repose le présent
                                                             particulier celles de combattant, restent marquées par
rapport a pour objectif de générer des données
                                                             la masculinité. Il en est autrement au Niger où Boko
empiriques sur l’association et la non-association des
                                                             Haram affecte les femmes à une multiplicité de fonctions,
femmes aux groupes extrémistes violents qui opèrent
                                                             y compris opérationnelles, remettant ainsi en cause
dans le centre du Mali (les régions de Mopti et de Ségou)
                                                             l’équation classique des rôles de genre en contexte de
et dans l’extrême Est du Niger (la région de Diffa). Il
                                                             combat.
vise à renseigner, dans ces deux pays, les processus
décisionnels visant à prévenir et contrer l’extrémisme       En dépit de ce déni, à partir de 2018 plusieurs
violent, en prenant en compte la manière dont les            incidents sécuritaires impliquant des femmes ont attiré
groupes extrémistes violents interagissent avec les          l’attention sur leur association aux activités des groupes
femmes et vice versa.                                        extrémistes violents actifs au Mali, notamment dans
                                                             les régions du Centre où opère la katiba Macina. Ainsi,
L’association des femmes aux principales factions de
                    – Ahl as-Sunnah lid-Da’wah wa’l-         la rhétorique du groupe pourrait aussi répondre à une
Boko Haram (Jam’at
    – – JAS et l’État Islamique en Afrique de l’Ouest –      stratégie visant délibérément à rendre invisibles les
Jih ad
                                                             femmes et leur contribution.
EIAO) dans le bassin du lac Tchad est largement
documentée1. Les femmes sont associées aux activités
des groupes, parfois de force, pour y tenir divers rôles,    Au Mali et au Niger, rares sont les
y compris pour mener des attaques suicides.
                                                             recherches approfondies basées sur des
Plusieurs enlèvements de femmes et filles, attribués         entretiens avec des femmes associées
à Boko Haram, ont eu lieu dans la région de Diffa au
Niger. Ceux qui ont eu le plus d’écho ont été menés à
                                                             aux groupes extrémistes violents
Toumour et Nglewa2 où, respectivement 37 femmes
et 15 jeunes filles ont été enlevées les 2 juillet 2017 et   Les services de renseignements maliens ont arrêté, en
24 novembre 2018. Par ailleurs, au moins sept attentats      juillet 2018, une femme accusée d’avoir fourni à la katiba
suicides3 perpétrés par des femmes ont été recensés          Macina des engrais utilisés dans la fabrication d’engins
dans la région de Diffa. Enfin, plusieurs femmes et filles   explosifs improvisés (EEI)7. En outre, l’armée malienne
font partie des individus associés à Boko Haram ayant        a, pour la première fois, annoncé publiquement, le
fait acte de reddition volontaire et qui ont été admis, à    19 octobre 2019, la participation de femmes à l’attaque
partir de décembre 2016, dans le centre d’accueil dédié      du 30 septembre 2019 contre des postes militaires de
à ces personnes4.                                            Mondoro et de Boulikessi dans la région de Mopti8. En
Au Mali, les femmes sont peu visibles dans les               mai 2020, elle a annoncé avoir libéré au cours d’une
groupes extrémistes violents. Dans un communiqué             opération une femme détenue en otage à Kouakourou9,
publié en avril 2018, le Groupe de soutien à l’islam et      dans le delta central, enchaînée et utilisée comme
aux musulmans (GSIM) a nié l’implication d’une femme         esclave sexuelle10 par la katiba Macina. Quelques études
kamikaze 5 dans l’attaque du 14 avril 2018 contre la         sur l’extrémisme violent au Mali ont aussi confirmé
Mission multidimensionnelle intégrée des Nations             l’implication des femmes dans les groupes extrémistes
unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et les         violents qui opèrent dans ce pays11.
forces françaises de l’opération Barkhane dans la
                                                             Malgré ces éléments suggérant d’importantes
région de Tombouctou.
                                                             dynamiques sexospécifiques au sein des groupes
Le GSIM a indiqué que son approche doctrinale était          extrémistes violents, rares12 sont les recherches
incompatible avec la participation des femmes aux            approfondies basées sur des entretiens avec des femmes
opérations et aux combats, arguant que la « nation           associées aux groupes extrémistes violents au Niger et
musulmane » disposait encore de suffisamment                 au Mali concernant leur implication et leurs expériences.

                                                                         RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021   3
S’agissant de Boko Haram, la plupart des études sur la       stratégies de recrutement des groupes et sur les rôles
    participation féminine se focalisent sur le Nigéria.         qu’ils souhaitent assigner à leurs recrues femmes.
                                                                 Les données recueillies auprès des hommes associés
    Ce rapport présente la méthodologie qui a guidé la
                                                                 et ayant été associés ont permis de compléter les
    recherche de terrain et propose un aperçu du contexte
                                                                 informations collectées auprès des femmes sur leur
    sécuritaire dans le centre du Mali et dans la région de
                                                                 association ou non aux groupes.
    Diffa au Niger. Il analyse la présence et les logiques
    d’association des femmes à la katiba Macina et à Boko        Au total, des entretiens individuels, semi-structurés et
    Haram ainsi que leurs trajectoires dans ces groupes.         comprenant des questions ouvertes ont été menés avec
    Enfin, il examine les rôles des femmes dans ces              274 interlocutrices et interlocuteurs dont 45 femmes
    groupes et les avantages que ceux-ci en tirent.              appartenant à quatre catégories de cibles définies pour
                                                                 les besoins de l’étude (voir infographie 1). Des proches
    Méthodologie                                                 des femmes associées et ayant été associées, ainsi
                                                                 que des personnes détenant des informations sur
    Cette étude a débuté en mars 2017 et se fonde sur des
                                                                 l’association ou non des femmes à ces groupes, ont
    entretiens avec 86 interlocuteurs femmes et hommes
                                                                 aussi été interviewés. Pour des raisons éthiques, l’équipe
    associés ou ayant été associés à la katiba Macina dans
                                                                 de recherche n’a pas interrogé de mineurs.
    le centre du Mali et aux factions de Boko Haram (JAS et
    EIAO) dans la région de Diffa, au Niger. Des entretiens      Sur le plan conceptuel, l’équipe s’est appuyée sur
    ont aussi été réalisés avec des femmes vivant dans           des définitions opérationnelles, élaborées sur la base
    les localités où ces groupes opèrent et qui ont fait         de l’analyse des réalités du terrain plutôt que sur des
    l’objet de tentatives infructueuses de recrutement. Les      notions théoriques figées.

    données recueillies auprès de cette dernière catégorie       L’extrémisme violent n’admet aucune définition
    d’interlocutrices fournissent des informations sur les       précise et unanime. Dans le cadre de cette étude, ce

    Infographie 1 : Catégories d’interlocuteurs

      1                                                                 2
                  Personnes associées             katiba                           Personnes qui ont             katiba
                 ou ayant été associées           Macina                        fait l’objet de tentatives       Macina
                      aux groupes                                                    de recrutement
                                                                                       infructueuses

                                        Boko                                                             Boko
                                        Haram                                                            Haram

      3                                                                 4
                     Personnes qui               katiba                         Personnes qui, de par leur
                 connaissent un individu         Macina                      position, ont des connaissances
                   étant ou ayant été                                       ou accès à des informations sur les
                  associé aux groupes                                               questions étudiées

                                        Boko
                                        Haram

4   KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
phénomène a été abordé sous l’angle de l’appartenance ou de l’association
d’individus (hommes et femmes) à des groupes qualifiés d’extrémistes
violents, de terroristes ou de « djihadistes »13.

L’équipe de recherche s’est intéressée aux raisons pour lesquelles des
femmes se sont retrouvées associées à la katiba Macina14, membre du
Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM)15, dans les régions du
centre du Mali, et aux différentes factions de Boko Haram (Jam’at  – Ahl as-
Sunnah lid-Da’wah wa’l-Jihad – – JAS et l’État Islamique en Afrique de l’Ouest
– EIAO) opérant dans la région de Diffa au Niger. Ainsi, l’appellation Boko
Haram est utilisée dans ce rapport pour faire référence à JAS et à EIAO.
Dans certains cas, et sur la base des données collectées, une distinction
est faite entre ces deux groupes afin de souligner les éléments d’analyse
spécifiques à chacun.

Les femmes associées à Boko Haram au Niger et
à la katiba Macina au Mali n’étaient pas toujours
physiquement présentes en leur sein

Pour prendre en compte la diversité des cas de figure concernant la
présence des femmes dans ces groupes, la notion d’« association » à
un groupe extrémiste violent a été préférée à celles d’« engagement », qui
peut renvoyer à un acte volontaire ou à celle de « radicalisation » qui fait
référence à un processus d’endoctrinement idéologique ou religieux. Dans
le cadre de cette étude, l’association fait référence à la présence et/ou la
participation des femmes aux activités des groupes extrémistes violents.
Les données démontrent que cette association ne répond pas toujours à
une décision volontaire. De nombreuses femmes ont rejoint les groupes

Infographie 2 : Interlocuteurs de la recherche

                                                                                                       Interlocuteurs
                                                                                                        appartenant aux
                                                                                            274         quatre catégories
                                                                                                        précitées

                                                                                                       Personnes
                                                                                                        associées, ayant
                                                                                                        été associées et
                                                                                               179      ayant fait l’objet
                                                                                                        de tentatives
                                                                                                        de recrutement
                                                                                                        infructueuses dont

                                                                                                  45      Femmes

                                                                               RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021   5
sous la contrainte, parfois à la suite d’un enlèvement. Les cas d’association
                                                  volontaire étaient, quant à eux, le résultat de multiples logiques ou facteurs
                                                  qui n’avaient parfois rien d’idéologique ou de religieux. En outre, les femmes
                                                  associées aux activités des groupes n’étaient pas toujours physiquement
                                                  présentes en leur sein.

                                                  Au Mali, la recherche de terrain s’est déroulée dans les cercles de Macina
                                                  (commune de Kolongo Tomo) et Niono (communes de Niono et Diabaly)
                                                  dans la région de Ségou et dans les cercles de Djenné (commune de
                                                  Fakala et de Kewa), Tenenkou (commune de Tenenkou, Diafarabé, Toguéré-
                                                  Coumbé et environs), Mopti (Sévaré, Dialloubé, Nantaka, Bargondaga,
                                                  Soufroulaye, Korientzé) dans la région de Mopti. Au Niger, des entretiens
                                                  ont été menés dans la région de Diffa (Chetimari, Diffa, Kablewa, Mainé
                                                  Soroa, N’guigmi, Tam et dans le centre d’accueil des personnes associées
                                                  à Boko Haram ayant fait acte de reddition volontaire communément
                                                  appelé camp de Goudoumaria). Des entretiens ont également été réalisés
                                                  en milieu carcéral au Mali et au Niger. Des personnes ressources et
                                                  des ressortissants des régions couvertes par la recherche ont aussi été
                                                  interrogés à Bamako et à Niamey.

                                                  Le choix de ces régions a été déterminé par la présence de groupes
                                                  extrémistes violents et par le fait qu’elles sont le théâtre d’attaques, y
                                                  compris celles menées par des femmes dans le cas du Niger et attribuées
                                                  à ces groupes ou revendiquées par ceux-ci. Au Mali, les régions du Centre

    Infographie 3 : Couverture géographique de la recherche

                                                                                                                             LIBYE

                                                                               ALGÉRIE
                                         MALI

                                                                                                                   NIGER

            MAURITANIE                                         Kidal
                                                                                                          Agadez
                                        Tombouctou

                                                                 Gao
                                                                                                                           Diffa
                                                                                    Tahoua
                    Koulikoro
                                                                                                          Zinder
                                          Mopti                    Tillabéri
                                                                                                                                   TCHAD
          Kayes                                                                              Maradi
                                Ségou
                                                                           Dosso
                                                              Niamey
                                           BURKINA FASO
         Bamako          Sikasso                                                                NIGERIA
                                                                   BÉNIN
          GUINÉE                                     GHANA
                     CÔTE D’IVOIRE

6   KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
sont en proie à une insécurité préoccupante liée               ou parents affiliés au groupe. D’autres encore ont été
notamment aux activités de la katiba Macina et à celles        enlevées19 et contraintes d’habiter dans les villages
de l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS), installé      occupés par Boko Haram sur les îles du lac Tchad. Les
dans le Gourma et affilié à l’État islamique (EI). Alors que   enlèvements interviennent généralement en brousse, au
l’EIGS opérait déjà dans les régions de l’Est et du Sahel      moment des corvées (travaux champêtres, quête de bois
burkinabé, son implantation en 2019 dans le Gourma             ou d’eau, etc.) mais aussi pendant les attaques ou raids
central, considéré comme étant le territoire du GSIM,          contre des villages.
a nourri entre les deux organisations des tensions qui
ont engendré des affrontements meurtriers16. Au Niger,
                                                                  « Boko Haram m’a enlevée à l’âge de 12 ans
la région de Diffa se trouve sur la ligne de front de
                                                                  avec 4 autres filles (âgées de 13 et 14 ans), sur le
l’insurrection que mène depuis plus de dix ans le
                                                                  chemin du champ, non loin de notre village.
groupe Boko Haram à travers ses différentes factions
                                                                  Ils nous ont menacées de mort ».
implantées dans les pays du bassin du lac Tchad.
                                                                            (Femme, Diffa, Niger, 9 juin 2018, Boko Haram)
L’étude a été menée par une équipe constituée de
15 chercheurs et chercheuses de l’Institut d’études de
sécurité, de chercheurs et chercheuses associés et             Au Mali, les données collectées ne révèlent pas de
d’assistantes et assistants de recherche. La collecte          présence physique des femmes dans la brousse ou
des données s’est déroulée en plusieurs phases, entre          les markaz (camps) avec les groupuscules affiliés à
janvier 2018 et janvier 202017, avec des interruptions         la katiba Macina opérant dans les régions du Centre.
liées à la détérioration de la situation sécuritaire sur       Toutefois, elles collaborent avec les membres du
le terrain, l’imposition de l’état d’urgence18 dans les        groupe et sont associées à ses activités. Elles restent
localités de la recherche, la conduite d’opérations            dans les villages, hameaux ou gîtes près des camps
militaires et l’intensification des conflits locaux,           où leurs maris ou parents, membres du groupe, leur
notamment dans les régions du centre du Mali.                  rendent visite. Des récits évoquent néanmoins quelques
                                                               cas de femmes qui rendent visite à des leaders de
Les données recueillies mettent en                             groupes dans des camps, et d’autres à leurs proches
                                                               (mari, frère…). En outre, des interlocuteurs affiliés à la
lumière l’association des femmes à la
                                                               katiba Macina mentionnent la présence, confirmée par
katiba Macina et à Boko Haram                                  d’autres travaux de recherche20, d’un petit groupe de
                                                               femmes mariées à des combattants qui vivent dans des
Ce contexte sécuritaire fragile et volatil, aussi bien dans    campements mobiles qui leur sont réservés près des
les régions du centre du Mali que dans la région de            camps dans la brousse.
Diffa au Niger, a eu une incidence sur la mise en œuvre        L’absence de femmes dans les markaz des
du projet et l’accès aux interlocutrices et interlocuteurs.    groupuscules affiliés à la katiba Macina résulterait d’une
Ces facteurs ont rendu difficile la mobilité de l’équipe de    volonté de protéger celles qui ont des liens familiaux et
recherche sur le terrain et engendré un prolongement           matrimoniaux avec les membres du groupe21. Ce choix
des délais de réalisation de l’étude.
                                                               répondrait aussi au souci de ne pas rendre le groupe
                                                               davantage vulnérable en cas d’attaques contre ses
Présence et parcours des femmes associées
                                                               positions.
à la katiba Macina et à Boko Haram
Les données recueillies mettent en lumière l’association
des femmes à la katiba Macina et à Boko Haram. Parmi              « Je collabore avec le groupe mais je ne vis pas
les femmes associées à Boko Haram interviewées au                 avec eux ».
Niger, certaines ont volontairement rejoint le groupe                 (Femme, Mopti, Mali, 15 février 2019, katiba Macina)
tandis que d’autres y ont été contraintes par leurs maris

                                                                            RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021   7
Haram ont été mariées, y compris de force, par leurs
       « Dans mon groupe, il n’y a que des hommes.               parents à un membre du groupe et se retrouvent ainsi
       Les femmes n’habitent pas avec nous dans                  contraintes de rejoindre ce dernier dans le groupe.
       la brousse ».                                             Néanmoins, compte tenu du contexte socioculturel et
         (Homme, Ségou, Mali, 24 février 2018, katiba Macina)    des rapports inégaux entre les femmes et les hommes
                                                                 au Mali et au Niger, il n’a pas toujours été évident
                                                                 d’établir si les filles « données » en mariage par leurs
                                                                 parents ou leurs frères avaient consenti à ces décisions.
       « Ça fait plus de deux ans que je suis en contact
       avec la katiba Macina et que j’approvisionne le
                                                                        « C’est devenu une affaire de famille. Les femmes
       groupe mais je n’ai jamais vu de femmes là-bas ».
                                                                        qui collaborent avec le groupe ont un ou plusieurs
       (Homme, Ségou, Mali, 4 septembre 2018, katiba Macina)            membres de leur famille dans ces groupes ».

                                                                           (Femme, Mopti, Mali, 15 février 2018, katiba Macina)
    Comment et pourquoi j’ai été associée au groupe
    Les données recueillies révèlent une diversité de raisons
    et de circonstances, souvent liées, qui ont conduit                 « Elles étaient les épouses d’hommes qui n’étaient
    les femmes à s’associer aux groupes et à poursuivre                 pas engagés au départ (au moment de sceller
    cette association.                                                  leur union), mais qui par la suite se sont engagés,
                                                                        donc elles n’avaient pas d’autre choix. Comme
    Les liens matrimoniaux et familiaux jouent un rôle
                                                                        le dit l’adage, une femme mariée doit suivre son
    déterminant dans l’association des femmes aux
                                                                        époux partout ».
    groupes. Au Mali, la plupart des femmes interviewées
    ont été associées et ont collaboré avec la katiba Macina              (Homme, Mopti, Mali, 26 janvier 2018, katiba Macina)
    par le biais de proches masculins (mari, père, fils)
    membres du groupe. Au Niger, si certaines femmes
    interviewées ont rejoint Boko Haram dans l’espoir de
                                                                        « Ma sœur venait juste de se marier avec un
    trouver un mari au sein du groupe, d’autres y ont suivi
                                                                        membre de Boko Haram et a malheureusement
    de gré ou de force leur époux, un prétendant, leurs
                                                                        décidé de le suivre ».
    parents ou leurs enfants. Ceci montre l’exposition
    des femmes, en tant que mères, épouses, sœurs                               (Femme, Diffa, Niger, 9 juin 2018, Boko Haram)
    ou filles des membres des groupes, à des « effets
    d’entraînement » de la part d’hommes exerçant
    une forme d’autorité sur elles, selon les normes                    « Une semaine après avoir rejoint Boko Haram,
    sociales établies.                                                  mon fils est revenu chercher sa femme et son
    Par ailleurs, des cas de parents sympathisants de la                enfant ».
    katiba Macina et de Boko Haram, qui ont « donné »                         (Homme, Diffa, Niger, 23 mai 2018, Boko Haram)
    leurs filles en mariage à des combattants, ont
    également été documentés. Ainsi, des membres de
    la katiba Macina ont marié leurs filles et sœurs à leurs
    frères d’armes afin de renforcer les liens entre eux et             « Un an après avoir rejoint Boko Haram, je suis
    de faciliter l’implantation du groupe. Des parents ont              revenu chercher notre mère au village pour
    donné leur fille en mariage à des membres de la katiba              l’amener près de nous, car nous étions 6 de ses
    Macina, parfois sous la contrainte, comme contribution              7 enfants à avoir rejoint le groupe ».
    au groupe et moyen de se protéger en nouant des liens                      (Homme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram)
    avec le groupe. Certaines femmes associées à Boko

8   KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
L’insécurité engendrée notamment par la katiba
Macina au centre du Mali et Boko Haram dans la                  « Mon mari est venu la nuit avec 9 autres
région de Diffa au Niger a également joué un rôle               combattants tous armés. Il m’a ordonné de
déterminant dans l’association des femmes aux                   les suivre, et avait déjà installé nos enfants sur
groupes. Pour ces femmes, l’association ou la                   des ânes ».
collaboration répond à un besoin de protection.                         (Femme, Diffa, Niger, 9 juin 2018, Boko Haram)
L’étude a ainsi documenté les cas de femmes
ayant rejoint Boko Haram à la suite d’une injonction
                                                             Les exactions perpétrées contre des membres
du groupe accompagnée de menaces de mort
                                                             de leur famille (enfant, mari, père...), pendant
à leur encontre ou à l’encontre de leurs proches
                                                             des opérations de l’armée ou des groupes de
en cas de refus. Pour ces femmes, il s’agissait de
                                                             chasseurs traditionnels (dozo)22, ont également
préserver leur propre vie et celle de leurs proches.
                                                             motivé la collaboration de certaines femmes avec
                                                             la katiba Macina pour se venger. Certaines de
Les données recueillies mettent en                           ces femmes qui ont perdu leurs proches à la suite
                                                             d’exactions imputées aux forces de défense et de
lumière l’association des femmes à la
                                                             sécurité, fournissent au groupe des renseignements
katiba Macina et à Boko Haram                                notamment sur les positions de celles-ci. En effet,
                                                             les Forces armées maliennes (FAMa) ont plusieurs
                                                             fois été accusées d’exactions23 au cours des
En ce qui concerne la katiba Macina, la
                                                             opérations militaires menées dans le centre du
collaboration de certaines femmes avec le
                                                             Mali contre les groupes extrémistes violents. Les
groupe est un échange négocié et un moyen
                                                             faits qui leur sont reprochés incluent notamment
pour se prémunir contre l’insécurité qui prévaut
                                                             des exécutions extrajudiciaires, des disparitions
dans leurs localités à cause de la présence des
                                                             forcées, des actes de torture et des arrestations
groupes extrémistes violents – y compris la katiba
                                                             arbitraires de personnes soupçonnées de
Macina – et d’autres acteurs violents qui opèrent
                                                             complicité avec des groupes extrémistes violents24.
dans le centre du Mali (bandits armés, groupes
d’auto-défense, etc.). Pour d’autres femmes,
« donner » un membre masculin de leur famille ou                « Le fils d’une femme dans mon village a été tué
                                                                par l’armée lors d’une opération de ratissage
les encourager à s’associer à la katiba Macina est
                                                                dans la zone. Pour le venger, elle a cherché par
un moyen de faciliter la coexistence pacifique avec
                                                                tous les moyens à entrer en contact avec la
le groupe, de garantir le soutien du groupe en
                                                                katiba Macina. Elle se disait prête à donner des
cas de menace, et contribue ainsi à assurer leur
                                                                informations sur les positions de l’armée pour
sécurité et celle de leur famille.
                                                                que le groupe tue ne serait-ce qu’un militaire
                                                                pour venger son fils ».

  « Un jour, en l’absence de mes parents,                                         (Homme, Bamako, Mali, 10 avril 2019)
  mon mari est venu avec deux autres
  personnes et m’a mise à l’écart pour me
                                                             L’étude a aussi mis en évidence quelques cas où
  demander de les suivre, sinon ses
                                                             des femmes ont collaboré avec la katiba Macina
  compagnons qui ont vu notre maison
                                                             pour protéger leurs activités économiques. C’est le
  reviendraient tuer mes parents et les autres
                                                             cas par exemple d’une femme qui a accepté, sous
  membres de ma famille ».
                                                             la contrainte, d’approvisionner la katiba Macina
            (Femme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram)   pour continuer à faire du commerce dans les limites
                                                             déterminées par le groupe25.

                                                                         RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021   9
« Depuis qu’il occupe la zone, le groupe de Hamadoun Koufa interdit
                                                  le commerce aux femmes. Un jour, ses hommes ont intercepté le
                                                  véhicule qui nous transportait et ils ont pris nos marchandises sous
                                                  prétexte que nous avions désobéi à leurs consignes. Après une
                                                  demi-journée de négociation, ils m’ont dit : ‘On te rend tes tissus si
                                                  tu acceptes de nous rendre service. Comme tu es commerçante,
                                                  tu vas nous apporter du riz et du beurre de karité chaque semaine.
                                                  Nous te paierons. Mais on te laisse faire ton commerce seulement à
                                                  Diafarabé et Tenenkou’. J’ai accepté ».

                                                                         (Femme, Mopti, Mali, 15 février 2018, katiba Macina)

                                              Des considérations religieuses ont également été à l’origine de l’association
                                              à Boko Haram de femmes interviewées au Niger. Elles manifestent la volonté
                                              d’apprendre le Coran, de faire le djihad et de mourir en martyres, ou encore
                                              de contribuer par le djihad à épurer l’islam et la société. Dans ce dernier
                                              cas de figure, la dimension éthique transparaît davantage que les aspects
                                              strictement religieux ou spirituels. Le djihad est perçu, non comme une fin
                                              en soi, mais comme un moyen de débarrasser la société et la religion des
                                              « impuretés » et des pratiques jugées néfastes. Quelques cas de femmes
                                              manipulées par des marabouts, qui leur auraient promis le paradis si elles
                                              rejoignaient le groupe, ont aussi été relevés.

                                                  « Mes copines m’ont proposé d’aller faire le djihad et mourir en
                                                  martyre. Elles ne parlaient que de la nécessité de faire le djihad pour
                                                  épurer l’islam de tout ce qui le ternit. Elles disaient que nos dirigeants
                                                  sont tous des ‘délinquants’ qui s’en fichent de la religion. On devait
                                                  corriger la religion et corriger les gens ».

                                                                              (Femme, Diffa, Niger, 6 juin 2018, Boko Haram)

                                                « Il y a des femmes qui sont convaincues qu’elles font une bonne
                                                chose à cause de Dieu. C’est le cas des femmes qui se proposent
                                                comme kamikazes. On ne les force pas ; elles sont volontaires.
                                                D’ailleurs, toutes ne sont pas acceptées ».

                                                                                     (Homme, Diffa, 6 juin 2018, Boko Haram)

      LA PROTECTION DE SOI ET
        DE SES PROCHES EST À                  Je suis restée dans le groupe parce que…
     L’ORIGINE DE L’ASSOCIATION
     DE FEMMES À BOKO HARAM                   Il ressort des récits que les logiques de maintien des femmes dans les
        ET À LA KATIBA MACINA                 groupes sont le prolongement de celles qui ont présidé à leur association.
                                              C’est notamment le cas des femmes associées aux groupes par des liens

10   KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
Infographie 4 : Les logiques d’association, de maintien et de dissociation des femmes

         Protection de soi                     Vengeance                    Enrôlement forcé          Liens matrimoniaux et familiaux

     Protection de sa famille             Collaboration à l’insu               Enlèvement                  Volonté de se marier

     Protection d’une activité                                                                             Apprendre le Coran
                                                                            Protection de soi
      génératrice de revenu

  Liens matrimoniaux et familiaux                                        Protection de sa famille             Faire le djihad

                                                MALI                           NIGER
         Protection de soi                                                                                   Protection de soi
                                           katiba Macina                     Boko Haram

     Protection de sa famille                                                                            Protection de sa famille

     Protection d’une activité
                                                                                                      Liens matrimoniaux et familiaux
      génératrice de revenu

            Vengeance                                                                                      Conviction religieuse

  Liens matrimoniaux et familiaux                                                                     Zones contrôlées par le groupe

            Arrestation                                                     Protection de soi                   Arrestation

  Rupture du lien avec le proche                                                                             Libérée à la suite
   masculin membre du groupe                                             Protection de sa famille
                                                                                                          d’opérations militaires

                                                                               Désillusion            Éloignée du groupe à son insu

                                                                                  Fuite                           Décès

                                    Association                     Maintien                         Dissociation

matrimoniaux et familiaux, ainsi que de celles qui ont             groupe. Les stratégies élaborées par Boko Haram pour
été enrôlées de force ou contraintes de collaborer avec            assurer le maintien des femmes en son sein vont de la
les groupes. Les raisons et circonstances ayant favorisé           forte surveillance à l’obligation d’obtenir une autorisation
le maintien de l’association des femmes avec la katiba             pour tout déplacement et la menace de mort en cas
Macina renvoient aussi à la nécessité d’auto-préservation          de tentative de fuite. D’autres femmes sont restées de
                                                                   peur d’être arrêtées ou tuées par Boko Haram ou par les
et de protection d’une activité génératrice de revenus.
                                                                   forces de défense et de sécurité pendant leur tentative
Le besoin d’auto-préservation a également motivé le                d’évasion. Quelques femmes qui s’étaient associées pour
maintien de plusieurs femmes au sein de Boko Haram, y              des motifs religieux affirment y être restées dans l’espoir
compris celles qui se sont volontairement associées au             d’accéder au paradis.

                                                                                 RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021        11
du groupe. D’autres femmes justifient leur fuite par le
        « De la même façon que l’État n’aime pas que                désenchantement lié entre autres à la détérioration
        les jeunes rejoignent Boko Haram, eux non plus              de leurs conditions de vie au sein du groupe, aux
        n’aiment pas que les gens quittent les territoires          restrictions de liberté et de mouvement, notamment pour
        sous leur contrôle ».                                       celles qui avaient été forcées de rejoindre le groupe, à la
                 (Homme, Diffa, Niger, 6 juin 2018, Boko Haram)     brutalité des membres du groupe, ou encore à la mort
                                                                    du proche qui les avait amené à intégrer le groupe.

                                                                    L’offre d’amnistie et de réinsertion lancée en décembre
                                                                    2016 par le gouvernement nigérien26 pour encourager
        « Je suis restée dans le groupe car dès qu’on te
                                                                    les membres de Boko Haram à faire acte de reddition
        soupçonne de désertion, on te tue ».
                                                                    volontaire a aussi servi de porte de sortie pour
                 (Femme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram)     certaines femmes. Si quelques-unes ont fui le groupe
                                                                    seules, la désertion de la majorité d’entre elles a été
                                                                    conditionnée par celle de leurs maris. C’est le cas des
        « Au début, j’avais peur de collaborer avec la              femmes dont les conjoints ont décidé de fuir en raison
        katiba Macina parce que l’armée faisait des                 de la détérioration de leurs conditions de vie au sein
        patrouilles dans la zone. Après quelque temps, je           du groupe, y compris le manque de soins en cas de
        me suis dit que je ne faisais rien de mal, puisque          blessures au combat, ou après la scission27 survenue
        mon rôle se limite à les approvisionner en vivres.          au sein de Boko Haram en août 2016 et qui a donné
        Bien sûr, je pourrais arrêter de le faire, mais pour        naissance aux deux factions du groupe, JAS et l’EIAO.
        l’instant je ne sais pas ce que je ferai si j’arrêtais ».   Cette scission du groupe aurait dévoilé des incohérences
                                                                    sur le bien-fondé du combat mené et un décalage entre
            (Femme, Mopti, Mali, 15 février 2018, katiba Macina)
                                                                    les discours et les pratiques du groupe.

     Je ne suis plus dans le groupe parce que…
                                                                    Plusieurs femmes ont rompus les liens
     Dans le cadre de cette étude, plusieurs cas de femmes
                                                                    avec les groupes de leur propre fait ou
     dont les liens avec la katiba Macina et Boko Haram
     ont été rompus, de leur propre fait ou pour des raisons
                                                                    pour des raisons indépendantes de
     indépendantes de leur volonté, ont été documentés.             leur volonté
     Néanmoins, dans les cas où cette rupture des liens
     n’a pas été décidée par les femmes elles-mêmes, les
                                                                    Les femmes qui ont quitté le groupe, y compris celles
     données disponibles ne permettent pas de déterminer si
                                                                    qui sont parties avec leur mari, ont profité de failles dans
     elles en sont tout de même satisfaites ou si au contraire
                                                                    le dispositif de surveillance. Elles se sont échappées
     elles envisageraient de retourner auprès des groupes si
                                                                    pendant les offensives militaires contre les positions du
     l’occasion se présentait.                                      groupe, pendant que les sentinelles étaient endormies,
     Pour ce qui est de la katiba Macina, la rupture du lien        ou encore tôt le matin pendant que les gardes priaient.
     dans deux cas documentés a fait suite à l’arrestation          Quelques femmes ont fui le groupe à l’insu de leur mari,
     de ces femmes par les FAMa. Dans un autre cas                  profitant de l’absence de ceux-ci pour s’évader. Dans
     documenté, une femme qui collaborait avec la katiba            certains cas, un état de grossesse avancée leur aurait
     Macina par le biais de son mari, combattant au sein du         permis de tromper la vigilance des gardes.
     groupe, a été répudiée par celui-ci.
                                                                    Ces cas restent néanmoins minoritaires. Dans la majorité
     En ce qui concerne Boko Haram, certains cas de fuite           des cas documentés, la sortie des femmes de Boko
     de femmes du groupe répondaient à une volonté de se            Haram a été conditionnée par celle de leurs maris.
     soustraire à un mariage forcé et abusif avec un membre         Leur fuite résulte d’une convergence de motivations et

12   KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
d’intérêts liés à la nécessité d’échapper à leurs conditions de vie au sein
du groupe, et a fait l’objet de négociations et d’une planification au sein du
couple pour dissimuler le plan d’évasion et éviter tous soupçons de fuite,
passibles de mort. La recherche a néanmoins permis de documenter au
moins un cas où un homme a soustrait l’une de ses femmes au groupe en
la ramenant chez ses parents, sans qu’elle ne sache qu’il s’agissait d’une
désertion. Il avait prévu de fuir et, convaincu qu’elle ne voudrait pas laisser
ses parents au Nigeria pour le suivre dans son projet d’évasion vers le Niger,
craignait qu’elle n’ébruite ses projets si elle en était informée.

Par ailleurs, certaines femmes ont été libérées et d’autres arrêtées pendant
les offensives militaires contre les positions du groupe, ce qui constitue
d’autres expériences de sortie du groupe.

   « Mon amie et moi avons échoué la première fois que nous avons
   essayé de fuir Boko Haram. Des éléments du groupe nous ont
   croisées sur le chemin et nous ont ramenées avec eux. Comme
   sanction, mon mari m’a privée d’eau et de nourriture ».

                                (Femme, Diffa, Niger, 9 juin 2018, Boko Haram)

   « J’ai quitté le groupe une nuit avec mon mari qui s’était fracturé le
   bras au combat. Nous avons marché pendant 3 jours dans la brousse.
   Mon mari a pu appeler le chef de canton de N’Guigmi. Celui-ci nous
   a parlé du programme de réinsertion du gouvernement et nous a
   demandé de nous rendre aux autorités pour notre prise en charge.
   Nous avons couru un grand risque en quittant Boko Haram parce
   qu’ils sanctionnent sévèrement les déserteurs ».

                                (Femme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram)

   « Avant de rejoindre le groupe, mon mari m’a dit que nous n’allions pas
   rester longtemps et que je devais garder ce secret pour moi, car si ses
   amis l’avaient su ils nous auraient tués. Dix mois plus tard, il a décidé
   que nous déménagerions. Les membres du groupe ne soupçonnaient
   pas que nous étions en train de préparer notre départ parce que j’étais
   presque au terme de ma grossesse ».

                                (Femme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram)
                                                                                             L’INTERVENTION D’ACTEURS
                                                                                                 EXTERNES A FACILITÉ
Dans certains cas documentés, la sortie de Boko Haram a été facilitée
                                                                                             LA SORTIE DE BOKO HARAM
par l’intervention d’acteurs externes. En effet, certains hommes ont fui le                  DE FEMMES INTERVIEWÉES
groupe avec leur conjointe après avoir obtenu des garanties de leurs parents                          AU NIGER
qu’ils seraient acceptés par leur communauté de retour dans leur village, et

                                                                            RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021   13
d’autres, des autorités traditionnelles et administratives du Niger sur leur prise
                                              en charge après leur reddition.

                                              D’autres ont quitté le groupe avec leur mari suite aux pressions exercées par des
                                              proches avec qui ils avaient gardé le contact. C’est le cas d’un membre de Boko
                                              Haram blessé au combat, qui a organisé sa fuite et celle de sa femme et leurs
                                              enfants après que son père a menacé de le renier s’il ne quittait pas le groupe.
                                              Des femmes ont aussi bénéficié de l’appui de bergers issus de la communauté
                                              peule connaissant bien les routes de transhumance transfrontalières.

                                              Pour la katiba Macina et Boko Haram, l’association des
                                              filles et femmes à leurs activités, répond à des objectifs
                                              à court, moyen et long terme

                                              Enfin, certaines femmes ont perdu la vie dans le groupe. Il s’agit par exemple
                                              de femmes qui ont été déployées pour des missions kamikazes ou tuées lors
                                              de bombardements aériens contre les positions du groupe.

                                              Les rôles des femmes dans la katiba Macina et Boko Haram
                                              et les avantages que ces groupes en tirent
                                              Pour la katiba Macina et Boko Haram, l‘association des filles et des
                                              femmes à leurs activités, volontaire ou non, répond à des objectifs à
                                              court, moyen et long termes. Leur implication dans les activités des
                                              groupes offre à ceux-ci des avantages stratégiques et opérationnels
                                              importants. Ces groupes ont recours aux femmes pour des raisons
                                              diverses qui dépendent et évoluent en fonction de leurs stratégies et
                                              besoins ainsi que du contexte dans lequel ils opèrent. Elles sont ainsi
                                              utilisées comme agents et canaux de recrutement, personnel d’appui au
                                              fonctionnement du groupe et pour des opérations qui les font accéder,
                                              ainsi, à des rôles habituellement dévolus aux hommes28.

                                              Les femmes comme agents et canaux de recrutement
                                              D’abord, les femmes représentent des moyens de recrutement et
                                              de mobilisation de ressources humaines au sein de leur famille et
                                              de leur communauté, permettant ainsi à la katiba Macina et à Boko
                                              Haram de grossir leurs rangs. Les groupes utilisent les « compétences
                                              relationnelles »29 des femmes, perçues comme pouvant jouer un rôle
                                              efficace de recruteuses dans leurs familles et dans leurs communautés.
                                              La katiba Macina s’appuie par exemple sur l’alliance avec des femmes, y
       LES LIENS MATRIMONIAUX
                                              compris des femmes influentes, pour recruter dans les communautés. Le
       ET FAMILIAUX JOUENT UN
                                              groupe encourage ses membres à se marier au sein des communautés
      RÔLE DÉTERMINANT DANS
                                              où ils sont déployés, notamment les localités où le groupe rencontre de
     L’ASSOCIATION, LE MAINTIEN
       ET LA DISSOCIATION DES                 l’hostilité. Un leader de la katiba Macina aurait ainsi épousé en 2017 la
        FEMMES DES GROUPES                    veuve du chef d’un village issue d’une famille maraboutique influente 30
                                              dans la région de Mopti.

14   KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
Ces alliances, scellées de gré ou de force, visent à          été documentés. C’est le cas par exemple d’un jeune
faciliter l’implantation du groupe, à s’assurer le soutien    homme qui a rejoint le groupe pour protéger le bétail de
actif ou passif des populations et à étendre son influence.   la famille d’une jeune femme qu’il convoitait dans l’espoir
Ces femmes sont ainsi encouragées à convaincre leurs          d’augmenter ses chances d’obtenir l’assentiment de ses
proches de rejoindre le groupe, persuader d’autres            potentiels futurs beaux-parents. De fait, pour ce jeune
femmes d’épouser des membres du groupe ou les                 homme, l’engagement dans le groupe a été un moyen
amener à persuader leur mari de rejoindre le groupe.          de bénéficier du statut de combattant, des avantages
                                                              et de l’accès aux ressources, notamment d’une arme
                                                              lui permettant de se porter garant de la protection des
   « Un marabout, qui a rejoint la katiba Macina,
                                                              biens et de la famille de celle qu’il espérait épouser.
   est venu prêcher dans mon village. Il nous a
   demandé d’encourager nos maris, enfants et
   frères à répondre à l’appel du djihad. Il désignait           « Je voulais me marier avec une fille dont la
   même certains en disant : ‘parmi tes enfants,                 famille possédait beaucoup de bétail et qui avait
   tu peux donner un tel ou son frère cadet’.                    besoin de le protéger. J’ai décidé de rejoindre
   L’essentiel, c’est d’accepter de s’engager et/ou              la katiba Macina. En l’absence de l’État dans
   de « donner » un membre apte de sa famille ».                 plusieurs localités, chacun se protège comme il
        (Femme, Ségou, Mali, 10 août 2018, katiba Macina)
                                                                 peut. C’est aussi devenu un moyen rapide pour
                                                                 obtenir la main d’une femme surtout si sa famille
                                                                 possède beaucoup d’animaux ».

                                                                    (Homme, Mopti, Mali, 27 juillet 2016, katiba Macina)32
   « Ma copine, membre de Boko Haram, m’a
   demandé de rejoindre le groupe et de l’aider à
   convaincre d’autres personnes. Elle m’a dit que            Enfin, en jouant un rôle reproductif, les femmes
   j’aurai beaucoup d’argent et que je ferai le djihad ».     permettent d’assurer la pérennité des groupes. En tant
                                                              qu’« épouses » de membres de Boko Haram et de la
      (Femme, Diffa, Niger, 25 octobre 2018, Boko Haram)
                                                              katiba Macina, les femmes sont chargées d’engendrer
                                                              et d’élever la prochaine génération de combattants
Ensuite, la présence de femmes est un facteur                 et de femmes pour ces derniers, assurant ainsi le
déterminant dans la décision de certains hommes de            renouvellement générationnel et la pérennité des
rejoindre les groupes. Au Niger, la majorité des femmes       groupes. La plupart de nos interlocutrices associées
avec lesquelles nous nous sommes entretenus ont               à Boko Haram ont connu des maternités au sein du
été enlevées, mariées de force à des membres de               groupe ou peu de temps après leur fuite.
Boko Haram, puis remariées en cas de divorce ou de            L’association des femmes comme moyen de
décès de leur premier conjoint. Le groupe utilise les         faciliter la conduite des activités et opérations
femmes comme « appâts » pour attirer les hommes
à la recherche de conjointes, en leur promettant une          Les groupes associent également des femmes à
« épouse ». Cette utilisation des femmes comme                leurs activités pour des raisons pratiques. Elles leur
« récompense » pour ses membres répond également à            permettent de se procurer des moyens opérationnels,
un besoin de les « réconforter » et de les encourager à       logistiques, financiers et de subsistance nécessaires à
                                                              leur fonctionnement et à leurs opérations.
maintenir leur loyauté au groupe31. Toutefois, selon des
interlocuteurs qui se sont engagés dans l’espoir de se        Rôles de soutien
marier, trouver une « épouse » dans le groupe n’est, dans
                                                              En tant qu’épouses, sœurs ou filles et lorsqu’elles
les faits, réservé qu’à quelques privilégiés.
                                                              vivent auprès de leurs proches masculins au sein
Au Mali, quelques cas d’hommes ayant rejoint la katiba        du groupe ou ont la possibilité de leur rendre visite,
Macina pour obtenir la main d’une femme ont aussi             les femmes remplissent avant tout des tâches

                                                                          RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021    15
domestiques : ménagère, cuisinière, lavandière                  traditionnels. Elles assurent en outre les soins de leurs
     par exemple, et sont aussi chargées d’élever les                proches blessés au combat, leur permettant ainsi de
     enfants. Ces rôles découlent des liens matrimoniaux             reprendre le combat; ce rôle présente à la fois une
     et familiaux qu’elles entretiennent avec les membres            dimension domestique et une valeur ajoutée pour les
     et renvoient aux rôles domestiques et reproductifs              activités opérationnelles des groupes.

     Infographie 5 : Association des femmes à la katiba Macina et à Boko Haram : rôles et avantages stratégiques

                             Soutien

                                             Informatrices

                                                                      Recruteuses

                             Monnaie d’échange

                                                     Approvisionnement
                                                                                                   Kamikazes

                                            Cuisinières
                                                             Rôles

               Épouses

                              Lavandières                                                  Éclaireuses
                                                             Mères

                                             Ménagères

                                                                                    Armurières
                                            Infirmières/
                                            Soignantes
                                                                                                         Opérationnels
            Domestiques et
             reproductifs

16   KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
« Les hommes sont plus motivés quand ils rejoignent le groupe avec
   leur femme, car elle les appuie et leur offre un cadre familial ».

                                (Femme, Diffa, Niger, 6 juin 2018, Boko Haram)

Les femmes jouent également des rôles liés au fonctionnement et à la
logistique opérationnelle des groupes. La katiba Macina et Boko Haram
font ainsi recours à elles pour leur approvisionnement en moyens de
subsistance (vivres, médicaments, etc.) et en matériels servant à leurs
opérations. Une illustration du rôle qu’elles jouent dans la logistique des
groupes a été fournie par l’implication présumée d’une commerçante
d’engrais dans la fourniture de ce produit utilisé dans la fabrication
d’engins explosifs improvisés33. Celle-ci, bien que reconnaissant avoir
vendu les engrais à des « gens de Mopti », affirme tout ignorer des liens
possibles entre ses clients et la katiba Macina à laquelle les produits
étaient destinés34.

Le recours aux femmes pour s’approvisionner pourrait être lié à une
perception stéréotypée du groupe selon laquelle les femmes sont
discrètes, se font moins remarquer que les hommes et sont donc
« naturellement » indiquées pour ce type de tâches. Pour autant, ce rôle
ne leur est pas exclusivement réservé. En effet, des hommes membres
de la katiba Macina et de Boko Haram font également office de coursiers
ou de ravitailleurs. Ces personnes, y compris les femmes, étaient pour
la plupart des commerçants avant leur association. Ainsi, le fait pour les
groupes de recourir à ces profils pour leur ravitaillement pourrait répondre
au souci de tirer le meilleur parti de ces ressources en capitalisant sur
leurs compétences et leur connexion aux réseaux commerciaux.

Pour la katiba Macina et Boko Haram, l’association
des filles et femmes à leurs activités, répond à des
objectifs à court, moyen et long terme

Par ailleurs, aussi bien Boko Haram que la katiba Macina utilisent les                                          $
femmes pour recueillir des renseignements qui permettent au groupe
de tirer des avantages opérationnels et de générer des ressources
financières. Par exemple, certaines femmes associées à la katiba                             LES FEMMES PERMETTENT
Macina informent le groupe sur les activités des forces de défense et de                         AUX GROUPES DE
sécurité, des groupes d’autodéfense dont les chasseurs traditionnels                            SE PROCURER DES
(dozo), leurs potentiels ennemis et cibles, mais aussi sur des individus                      RESSOURCES HUMAINES
                                                                                              AINSI QUE DES MOYENS
qui possèdent du bétail et de l’argent auprès desquels le groupe prélève
                                                                                                 OPÉRATIONNELS,
la zakat. D’autres collectent des informations pouvant aider le groupe                      LOGISTIQUES, FINANCIERS ET
dans sa décision de libérer ou d’établir la culpabilité d’individus arrêtés.                     DE SUBSISTANCE
Elles informent les leaders de la katiba Macina, directement ou à travers

                                                                            RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021   17
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