Katiba Macina et Boko Haram Inclure les femmes à quelles fins ? - Amazon AWS
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30 ANS INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ Katiba Macina et Boko Haram Inclure les femmes à quelles fins ? Jeannine Ella A Abatan et Boubacar Sangaré Ce rapport analyse les logiques d’association des femmes à la katiba Macina au Mali et à Boko Haram au Niger ainsi que leur place et leur rôle dans les stratégies de recrutement, d’implantation et d’opération de ces groupes extrémistes violents. Il s’agit du premier de deux rapports basés sur des entretiens avec des femmes et des hommes associés ou ayant été associés à ces groupes. Le second rapport examinera les implications des résultats de l’étude sur les stratégies et politiques de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent au Mali et au Niger et proposera des recommandations. RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021
Conclusions principales Loin d’être cantonnées dans des rôles de mères le djihad. Pour d’autres, l’association à la katiba ou d’épouses, les femmes associées à la katiba Macina répond à un besoin de protection, y Macina et à Boko Haram assument aussi, compris d’une activité économique. Enfin, l’étude volontairement ou sous la contrainte, de multiples a également documenté le cas de femmes rôles qui offrent aux groupes des avantages pour qui cette association représente un moyen stratégiques et opérationnels importants. d’assouvir un désir de vengeance. Elles représentent des ressources humaines Les liens familiaux et conjugaux avec des stratégiques, des canaux de recrutement et proches masculins (mari, père, frère, etc.), facilitent l’implantation des groupes, la conduite membres de la katiba Macina et de Boko de leurs opérations et leur survie. Haram, ont joué un rôle déterminant dans Les entretiens menés au Niger avec des l’association de certaines femmes à ces deux femmes associées à Boko Haram révèlent trois groupes. Ces acteurs sociaux, auxquels il principales voies d’association. Certaines ont faut ajouter les autorités traditionnelles et rejoint le groupe volontairement, d’autres y ont administratives ainsi que des bergers issus été contraintes par un membre de leur famille, de la communauté peule, jouent aussi un rôle et d’autres encore ont été enlevées par des important dans la dissociation des femmes membres du groupe. des groupes. Au Mali, bien qu’elles ne soient en général Certaines femmes qui se sont associées aux pas physiquement présentes dans les markaz groupes, y compris de leur propre initiative, (camps) de la katiba Macina, les femmes jouent en sont sorties. Pour celles associées à Boko de multiples rôles qui facilitent l’implantation du Haram, ce choix était motivé, entre autres, par la groupe au sein des communautés, lui permettent nécessité de se soustraire à un mariage forcé et de tirer des avantages opérationnels et de abusif avec un membre du groupe, la désillusion, générer des ressources financières. les conditions de vie parfois difficiles au sein du Les raisons qui expliquent l’association des groupe ou la peur d’être tuées par des membres femmes à la katiba Macina et à Boko Haram du groupe ou lors d’opérations militaires contre sont diverses et interconnectées. Pour la plupart, leurs positions. Dans les cas documentés il s’agit de préserver leur vie et celle de leurs au Mali, l’association des femmes à la katiba proches. Certaines ont volontairement rejoint Macina a été interrompue après leur arrestation Boko Haram dans l’espoir de trouver au sein du ou la rupture des liens avec le proche masculin groupe un mari, d’apprendre le Coran ou de faire associé au groupe. 2 KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
Introduction d’hommes vaillants prêts à combattre6. Ainsi, dans la rhétorique du groupe, certaines fonctions, en Le travail de recherche sur lequel repose le présent particulier celles de combattant, restent marquées par rapport a pour objectif de générer des données la masculinité. Il en est autrement au Niger où Boko empiriques sur l’association et la non-association des Haram affecte les femmes à une multiplicité de fonctions, femmes aux groupes extrémistes violents qui opèrent y compris opérationnelles, remettant ainsi en cause dans le centre du Mali (les régions de Mopti et de Ségou) l’équation classique des rôles de genre en contexte de et dans l’extrême Est du Niger (la région de Diffa). Il combat. vise à renseigner, dans ces deux pays, les processus décisionnels visant à prévenir et contrer l’extrémisme En dépit de ce déni, à partir de 2018 plusieurs violent, en prenant en compte la manière dont les incidents sécuritaires impliquant des femmes ont attiré groupes extrémistes violents interagissent avec les l’attention sur leur association aux activités des groupes femmes et vice versa. extrémistes violents actifs au Mali, notamment dans les régions du Centre où opère la katiba Macina. Ainsi, L’association des femmes aux principales factions de – Ahl as-Sunnah lid-Da’wah wa’l- la rhétorique du groupe pourrait aussi répondre à une Boko Haram (Jam’at – – JAS et l’État Islamique en Afrique de l’Ouest – stratégie visant délibérément à rendre invisibles les Jih ad femmes et leur contribution. EIAO) dans le bassin du lac Tchad est largement documentée1. Les femmes sont associées aux activités des groupes, parfois de force, pour y tenir divers rôles, Au Mali et au Niger, rares sont les y compris pour mener des attaques suicides. recherches approfondies basées sur des Plusieurs enlèvements de femmes et filles, attribués entretiens avec des femmes associées à Boko Haram, ont eu lieu dans la région de Diffa au Niger. Ceux qui ont eu le plus d’écho ont été menés à aux groupes extrémistes violents Toumour et Nglewa2 où, respectivement 37 femmes et 15 jeunes filles ont été enlevées les 2 juillet 2017 et Les services de renseignements maliens ont arrêté, en 24 novembre 2018. Par ailleurs, au moins sept attentats juillet 2018, une femme accusée d’avoir fourni à la katiba suicides3 perpétrés par des femmes ont été recensés Macina des engrais utilisés dans la fabrication d’engins dans la région de Diffa. Enfin, plusieurs femmes et filles explosifs improvisés (EEI)7. En outre, l’armée malienne font partie des individus associés à Boko Haram ayant a, pour la première fois, annoncé publiquement, le fait acte de reddition volontaire et qui ont été admis, à 19 octobre 2019, la participation de femmes à l’attaque partir de décembre 2016, dans le centre d’accueil dédié du 30 septembre 2019 contre des postes militaires de à ces personnes4. Mondoro et de Boulikessi dans la région de Mopti8. En Au Mali, les femmes sont peu visibles dans les mai 2020, elle a annoncé avoir libéré au cours d’une groupes extrémistes violents. Dans un communiqué opération une femme détenue en otage à Kouakourou9, publié en avril 2018, le Groupe de soutien à l’islam et dans le delta central, enchaînée et utilisée comme aux musulmans (GSIM) a nié l’implication d’une femme esclave sexuelle10 par la katiba Macina. Quelques études kamikaze 5 dans l’attaque du 14 avril 2018 contre la sur l’extrémisme violent au Mali ont aussi confirmé Mission multidimensionnelle intégrée des Nations l’implication des femmes dans les groupes extrémistes unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et les violents qui opèrent dans ce pays11. forces françaises de l’opération Barkhane dans la Malgré ces éléments suggérant d’importantes région de Tombouctou. dynamiques sexospécifiques au sein des groupes Le GSIM a indiqué que son approche doctrinale était extrémistes violents, rares12 sont les recherches incompatible avec la participation des femmes aux approfondies basées sur des entretiens avec des femmes opérations et aux combats, arguant que la « nation associées aux groupes extrémistes violents au Niger et musulmane » disposait encore de suffisamment au Mali concernant leur implication et leurs expériences. RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021 3
S’agissant de Boko Haram, la plupart des études sur la stratégies de recrutement des groupes et sur les rôles participation féminine se focalisent sur le Nigéria. qu’ils souhaitent assigner à leurs recrues femmes. Les données recueillies auprès des hommes associés Ce rapport présente la méthodologie qui a guidé la et ayant été associés ont permis de compléter les recherche de terrain et propose un aperçu du contexte informations collectées auprès des femmes sur leur sécuritaire dans le centre du Mali et dans la région de association ou non aux groupes. Diffa au Niger. Il analyse la présence et les logiques d’association des femmes à la katiba Macina et à Boko Au total, des entretiens individuels, semi-structurés et Haram ainsi que leurs trajectoires dans ces groupes. comprenant des questions ouvertes ont été menés avec Enfin, il examine les rôles des femmes dans ces 274 interlocutrices et interlocuteurs dont 45 femmes groupes et les avantages que ceux-ci en tirent. appartenant à quatre catégories de cibles définies pour les besoins de l’étude (voir infographie 1). Des proches Méthodologie des femmes associées et ayant été associées, ainsi que des personnes détenant des informations sur Cette étude a débuté en mars 2017 et se fonde sur des l’association ou non des femmes à ces groupes, ont entretiens avec 86 interlocuteurs femmes et hommes aussi été interviewés. Pour des raisons éthiques, l’équipe associés ou ayant été associés à la katiba Macina dans de recherche n’a pas interrogé de mineurs. le centre du Mali et aux factions de Boko Haram (JAS et EIAO) dans la région de Diffa, au Niger. Des entretiens Sur le plan conceptuel, l’équipe s’est appuyée sur ont aussi été réalisés avec des femmes vivant dans des définitions opérationnelles, élaborées sur la base les localités où ces groupes opèrent et qui ont fait de l’analyse des réalités du terrain plutôt que sur des l’objet de tentatives infructueuses de recrutement. Les notions théoriques figées. données recueillies auprès de cette dernière catégorie L’extrémisme violent n’admet aucune définition d’interlocutrices fournissent des informations sur les précise et unanime. Dans le cadre de cette étude, ce Infographie 1 : Catégories d’interlocuteurs 1 2 Personnes associées katiba Personnes qui ont katiba ou ayant été associées Macina fait l’objet de tentatives Macina aux groupes de recrutement infructueuses Boko Boko Haram Haram 3 4 Personnes qui katiba Personnes qui, de par leur connaissent un individu Macina position, ont des connaissances étant ou ayant été ou accès à des informations sur les associé aux groupes questions étudiées Boko Haram 4 KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
phénomène a été abordé sous l’angle de l’appartenance ou de l’association d’individus (hommes et femmes) à des groupes qualifiés d’extrémistes violents, de terroristes ou de « djihadistes »13. L’équipe de recherche s’est intéressée aux raisons pour lesquelles des femmes se sont retrouvées associées à la katiba Macina14, membre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM)15, dans les régions du centre du Mali, et aux différentes factions de Boko Haram (Jam’at – Ahl as- Sunnah lid-Da’wah wa’l-Jihad – – JAS et l’État Islamique en Afrique de l’Ouest – EIAO) opérant dans la région de Diffa au Niger. Ainsi, l’appellation Boko Haram est utilisée dans ce rapport pour faire référence à JAS et à EIAO. Dans certains cas, et sur la base des données collectées, une distinction est faite entre ces deux groupes afin de souligner les éléments d’analyse spécifiques à chacun. Les femmes associées à Boko Haram au Niger et à la katiba Macina au Mali n’étaient pas toujours physiquement présentes en leur sein Pour prendre en compte la diversité des cas de figure concernant la présence des femmes dans ces groupes, la notion d’« association » à un groupe extrémiste violent a été préférée à celles d’« engagement », qui peut renvoyer à un acte volontaire ou à celle de « radicalisation » qui fait référence à un processus d’endoctrinement idéologique ou religieux. Dans le cadre de cette étude, l’association fait référence à la présence et/ou la participation des femmes aux activités des groupes extrémistes violents. Les données démontrent que cette association ne répond pas toujours à une décision volontaire. De nombreuses femmes ont rejoint les groupes Infographie 2 : Interlocuteurs de la recherche Interlocuteurs appartenant aux 274 quatre catégories précitées Personnes associées, ayant été associées et 179 ayant fait l’objet de tentatives de recrutement infructueuses dont 45 Femmes RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021 5
sous la contrainte, parfois à la suite d’un enlèvement. Les cas d’association volontaire étaient, quant à eux, le résultat de multiples logiques ou facteurs qui n’avaient parfois rien d’idéologique ou de religieux. En outre, les femmes associées aux activités des groupes n’étaient pas toujours physiquement présentes en leur sein. Au Mali, la recherche de terrain s’est déroulée dans les cercles de Macina (commune de Kolongo Tomo) et Niono (communes de Niono et Diabaly) dans la région de Ségou et dans les cercles de Djenné (commune de Fakala et de Kewa), Tenenkou (commune de Tenenkou, Diafarabé, Toguéré- Coumbé et environs), Mopti (Sévaré, Dialloubé, Nantaka, Bargondaga, Soufroulaye, Korientzé) dans la région de Mopti. Au Niger, des entretiens ont été menés dans la région de Diffa (Chetimari, Diffa, Kablewa, Mainé Soroa, N’guigmi, Tam et dans le centre d’accueil des personnes associées à Boko Haram ayant fait acte de reddition volontaire communément appelé camp de Goudoumaria). Des entretiens ont également été réalisés en milieu carcéral au Mali et au Niger. Des personnes ressources et des ressortissants des régions couvertes par la recherche ont aussi été interrogés à Bamako et à Niamey. Le choix de ces régions a été déterminé par la présence de groupes extrémistes violents et par le fait qu’elles sont le théâtre d’attaques, y compris celles menées par des femmes dans le cas du Niger et attribuées à ces groupes ou revendiquées par ceux-ci. Au Mali, les régions du Centre Infographie 3 : Couverture géographique de la recherche LIBYE ALGÉRIE MALI NIGER MAURITANIE Kidal Agadez Tombouctou Gao Diffa Tahoua Koulikoro Zinder Mopti Tillabéri TCHAD Kayes Maradi Ségou Dosso Niamey BURKINA FASO Bamako Sikasso NIGERIA BÉNIN GUINÉE GHANA CÔTE D’IVOIRE 6 KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
sont en proie à une insécurité préoccupante liée ou parents affiliés au groupe. D’autres encore ont été notamment aux activités de la katiba Macina et à celles enlevées19 et contraintes d’habiter dans les villages de l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS), installé occupés par Boko Haram sur les îles du lac Tchad. Les dans le Gourma et affilié à l’État islamique (EI). Alors que enlèvements interviennent généralement en brousse, au l’EIGS opérait déjà dans les régions de l’Est et du Sahel moment des corvées (travaux champêtres, quête de bois burkinabé, son implantation en 2019 dans le Gourma ou d’eau, etc.) mais aussi pendant les attaques ou raids central, considéré comme étant le territoire du GSIM, contre des villages. a nourri entre les deux organisations des tensions qui ont engendré des affrontements meurtriers16. Au Niger, « Boko Haram m’a enlevée à l’âge de 12 ans la région de Diffa se trouve sur la ligne de front de avec 4 autres filles (âgées de 13 et 14 ans), sur le l’insurrection que mène depuis plus de dix ans le chemin du champ, non loin de notre village. groupe Boko Haram à travers ses différentes factions Ils nous ont menacées de mort ». implantées dans les pays du bassin du lac Tchad. (Femme, Diffa, Niger, 9 juin 2018, Boko Haram) L’étude a été menée par une équipe constituée de 15 chercheurs et chercheuses de l’Institut d’études de sécurité, de chercheurs et chercheuses associés et Au Mali, les données collectées ne révèlent pas de d’assistantes et assistants de recherche. La collecte présence physique des femmes dans la brousse ou des données s’est déroulée en plusieurs phases, entre les markaz (camps) avec les groupuscules affiliés à janvier 2018 et janvier 202017, avec des interruptions la katiba Macina opérant dans les régions du Centre. liées à la détérioration de la situation sécuritaire sur Toutefois, elles collaborent avec les membres du le terrain, l’imposition de l’état d’urgence18 dans les groupe et sont associées à ses activités. Elles restent localités de la recherche, la conduite d’opérations dans les villages, hameaux ou gîtes près des camps militaires et l’intensification des conflits locaux, où leurs maris ou parents, membres du groupe, leur notamment dans les régions du centre du Mali. rendent visite. Des récits évoquent néanmoins quelques cas de femmes qui rendent visite à des leaders de Les données recueillies mettent en groupes dans des camps, et d’autres à leurs proches (mari, frère…). En outre, des interlocuteurs affiliés à la lumière l’association des femmes à la katiba Macina mentionnent la présence, confirmée par katiba Macina et à Boko Haram d’autres travaux de recherche20, d’un petit groupe de femmes mariées à des combattants qui vivent dans des Ce contexte sécuritaire fragile et volatil, aussi bien dans campements mobiles qui leur sont réservés près des les régions du centre du Mali que dans la région de camps dans la brousse. Diffa au Niger, a eu une incidence sur la mise en œuvre L’absence de femmes dans les markaz des du projet et l’accès aux interlocutrices et interlocuteurs. groupuscules affiliés à la katiba Macina résulterait d’une Ces facteurs ont rendu difficile la mobilité de l’équipe de volonté de protéger celles qui ont des liens familiaux et recherche sur le terrain et engendré un prolongement matrimoniaux avec les membres du groupe21. Ce choix des délais de réalisation de l’étude. répondrait aussi au souci de ne pas rendre le groupe davantage vulnérable en cas d’attaques contre ses Présence et parcours des femmes associées positions. à la katiba Macina et à Boko Haram Les données recueillies mettent en lumière l’association des femmes à la katiba Macina et à Boko Haram. Parmi « Je collabore avec le groupe mais je ne vis pas les femmes associées à Boko Haram interviewées au avec eux ». Niger, certaines ont volontairement rejoint le groupe (Femme, Mopti, Mali, 15 février 2019, katiba Macina) tandis que d’autres y ont été contraintes par leurs maris RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021 7
Haram ont été mariées, y compris de force, par leurs « Dans mon groupe, il n’y a que des hommes. parents à un membre du groupe et se retrouvent ainsi Les femmes n’habitent pas avec nous dans contraintes de rejoindre ce dernier dans le groupe. la brousse ». Néanmoins, compte tenu du contexte socioculturel et (Homme, Ségou, Mali, 24 février 2018, katiba Macina) des rapports inégaux entre les femmes et les hommes au Mali et au Niger, il n’a pas toujours été évident d’établir si les filles « données » en mariage par leurs parents ou leurs frères avaient consenti à ces décisions. « Ça fait plus de deux ans que je suis en contact avec la katiba Macina et que j’approvisionne le « C’est devenu une affaire de famille. Les femmes groupe mais je n’ai jamais vu de femmes là-bas ». qui collaborent avec le groupe ont un ou plusieurs (Homme, Ségou, Mali, 4 septembre 2018, katiba Macina) membres de leur famille dans ces groupes ». (Femme, Mopti, Mali, 15 février 2018, katiba Macina) Comment et pourquoi j’ai été associée au groupe Les données recueillies révèlent une diversité de raisons et de circonstances, souvent liées, qui ont conduit « Elles étaient les épouses d’hommes qui n’étaient les femmes à s’associer aux groupes et à poursuivre pas engagés au départ (au moment de sceller cette association. leur union), mais qui par la suite se sont engagés, donc elles n’avaient pas d’autre choix. Comme Les liens matrimoniaux et familiaux jouent un rôle le dit l’adage, une femme mariée doit suivre son déterminant dans l’association des femmes aux époux partout ». groupes. Au Mali, la plupart des femmes interviewées ont été associées et ont collaboré avec la katiba Macina (Homme, Mopti, Mali, 26 janvier 2018, katiba Macina) par le biais de proches masculins (mari, père, fils) membres du groupe. Au Niger, si certaines femmes interviewées ont rejoint Boko Haram dans l’espoir de « Ma sœur venait juste de se marier avec un trouver un mari au sein du groupe, d’autres y ont suivi membre de Boko Haram et a malheureusement de gré ou de force leur époux, un prétendant, leurs décidé de le suivre ». parents ou leurs enfants. Ceci montre l’exposition des femmes, en tant que mères, épouses, sœurs (Femme, Diffa, Niger, 9 juin 2018, Boko Haram) ou filles des membres des groupes, à des « effets d’entraînement » de la part d’hommes exerçant une forme d’autorité sur elles, selon les normes « Une semaine après avoir rejoint Boko Haram, sociales établies. mon fils est revenu chercher sa femme et son Par ailleurs, des cas de parents sympathisants de la enfant ». katiba Macina et de Boko Haram, qui ont « donné » (Homme, Diffa, Niger, 23 mai 2018, Boko Haram) leurs filles en mariage à des combattants, ont également été documentés. Ainsi, des membres de la katiba Macina ont marié leurs filles et sœurs à leurs frères d’armes afin de renforcer les liens entre eux et « Un an après avoir rejoint Boko Haram, je suis de faciliter l’implantation du groupe. Des parents ont revenu chercher notre mère au village pour donné leur fille en mariage à des membres de la katiba l’amener près de nous, car nous étions 6 de ses Macina, parfois sous la contrainte, comme contribution 7 enfants à avoir rejoint le groupe ». au groupe et moyen de se protéger en nouant des liens (Homme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram) avec le groupe. Certaines femmes associées à Boko 8 KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
L’insécurité engendrée notamment par la katiba Macina au centre du Mali et Boko Haram dans la « Mon mari est venu la nuit avec 9 autres région de Diffa au Niger a également joué un rôle combattants tous armés. Il m’a ordonné de déterminant dans l’association des femmes aux les suivre, et avait déjà installé nos enfants sur groupes. Pour ces femmes, l’association ou la des ânes ». collaboration répond à un besoin de protection. (Femme, Diffa, Niger, 9 juin 2018, Boko Haram) L’étude a ainsi documenté les cas de femmes ayant rejoint Boko Haram à la suite d’une injonction Les exactions perpétrées contre des membres du groupe accompagnée de menaces de mort de leur famille (enfant, mari, père...), pendant à leur encontre ou à l’encontre de leurs proches des opérations de l’armée ou des groupes de en cas de refus. Pour ces femmes, il s’agissait de chasseurs traditionnels (dozo)22, ont également préserver leur propre vie et celle de leurs proches. motivé la collaboration de certaines femmes avec la katiba Macina pour se venger. Certaines de Les données recueillies mettent en ces femmes qui ont perdu leurs proches à la suite d’exactions imputées aux forces de défense et de lumière l’association des femmes à la sécurité, fournissent au groupe des renseignements katiba Macina et à Boko Haram notamment sur les positions de celles-ci. En effet, les Forces armées maliennes (FAMa) ont plusieurs fois été accusées d’exactions23 au cours des En ce qui concerne la katiba Macina, la opérations militaires menées dans le centre du collaboration de certaines femmes avec le Mali contre les groupes extrémistes violents. Les groupe est un échange négocié et un moyen faits qui leur sont reprochés incluent notamment pour se prémunir contre l’insécurité qui prévaut des exécutions extrajudiciaires, des disparitions dans leurs localités à cause de la présence des forcées, des actes de torture et des arrestations groupes extrémistes violents – y compris la katiba arbitraires de personnes soupçonnées de Macina – et d’autres acteurs violents qui opèrent complicité avec des groupes extrémistes violents24. dans le centre du Mali (bandits armés, groupes d’auto-défense, etc.). Pour d’autres femmes, « donner » un membre masculin de leur famille ou « Le fils d’une femme dans mon village a été tué par l’armée lors d’une opération de ratissage les encourager à s’associer à la katiba Macina est dans la zone. Pour le venger, elle a cherché par un moyen de faciliter la coexistence pacifique avec tous les moyens à entrer en contact avec la le groupe, de garantir le soutien du groupe en katiba Macina. Elle se disait prête à donner des cas de menace, et contribue ainsi à assurer leur informations sur les positions de l’armée pour sécurité et celle de leur famille. que le groupe tue ne serait-ce qu’un militaire pour venger son fils ». « Un jour, en l’absence de mes parents, (Homme, Bamako, Mali, 10 avril 2019) mon mari est venu avec deux autres personnes et m’a mise à l’écart pour me L’étude a aussi mis en évidence quelques cas où demander de les suivre, sinon ses des femmes ont collaboré avec la katiba Macina compagnons qui ont vu notre maison pour protéger leurs activités économiques. C’est le reviendraient tuer mes parents et les autres cas par exemple d’une femme qui a accepté, sous membres de ma famille ». la contrainte, d’approvisionner la katiba Macina (Femme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram) pour continuer à faire du commerce dans les limites déterminées par le groupe25. RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021 9
« Depuis qu’il occupe la zone, le groupe de Hamadoun Koufa interdit le commerce aux femmes. Un jour, ses hommes ont intercepté le véhicule qui nous transportait et ils ont pris nos marchandises sous prétexte que nous avions désobéi à leurs consignes. Après une demi-journée de négociation, ils m’ont dit : ‘On te rend tes tissus si tu acceptes de nous rendre service. Comme tu es commerçante, tu vas nous apporter du riz et du beurre de karité chaque semaine. Nous te paierons. Mais on te laisse faire ton commerce seulement à Diafarabé et Tenenkou’. J’ai accepté ». (Femme, Mopti, Mali, 15 février 2018, katiba Macina) Des considérations religieuses ont également été à l’origine de l’association à Boko Haram de femmes interviewées au Niger. Elles manifestent la volonté d’apprendre le Coran, de faire le djihad et de mourir en martyres, ou encore de contribuer par le djihad à épurer l’islam et la société. Dans ce dernier cas de figure, la dimension éthique transparaît davantage que les aspects strictement religieux ou spirituels. Le djihad est perçu, non comme une fin en soi, mais comme un moyen de débarrasser la société et la religion des « impuretés » et des pratiques jugées néfastes. Quelques cas de femmes manipulées par des marabouts, qui leur auraient promis le paradis si elles rejoignaient le groupe, ont aussi été relevés. « Mes copines m’ont proposé d’aller faire le djihad et mourir en martyre. Elles ne parlaient que de la nécessité de faire le djihad pour épurer l’islam de tout ce qui le ternit. Elles disaient que nos dirigeants sont tous des ‘délinquants’ qui s’en fichent de la religion. On devait corriger la religion et corriger les gens ». (Femme, Diffa, Niger, 6 juin 2018, Boko Haram) « Il y a des femmes qui sont convaincues qu’elles font une bonne chose à cause de Dieu. C’est le cas des femmes qui se proposent comme kamikazes. On ne les force pas ; elles sont volontaires. D’ailleurs, toutes ne sont pas acceptées ». (Homme, Diffa, 6 juin 2018, Boko Haram) LA PROTECTION DE SOI ET DE SES PROCHES EST À Je suis restée dans le groupe parce que… L’ORIGINE DE L’ASSOCIATION DE FEMMES À BOKO HARAM Il ressort des récits que les logiques de maintien des femmes dans les ET À LA KATIBA MACINA groupes sont le prolongement de celles qui ont présidé à leur association. C’est notamment le cas des femmes associées aux groupes par des liens 10 KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
Infographie 4 : Les logiques d’association, de maintien et de dissociation des femmes Protection de soi Vengeance Enrôlement forcé Liens matrimoniaux et familiaux Protection de sa famille Collaboration à l’insu Enlèvement Volonté de se marier Protection d’une activité Apprendre le Coran Protection de soi génératrice de revenu Liens matrimoniaux et familiaux Protection de sa famille Faire le djihad MALI NIGER Protection de soi Protection de soi katiba Macina Boko Haram Protection de sa famille Protection de sa famille Protection d’une activité Liens matrimoniaux et familiaux génératrice de revenu Vengeance Conviction religieuse Liens matrimoniaux et familiaux Zones contrôlées par le groupe Arrestation Protection de soi Arrestation Rupture du lien avec le proche Libérée à la suite masculin membre du groupe Protection de sa famille d’opérations militaires Désillusion Éloignée du groupe à son insu Fuite Décès Association Maintien Dissociation matrimoniaux et familiaux, ainsi que de celles qui ont groupe. Les stratégies élaborées par Boko Haram pour été enrôlées de force ou contraintes de collaborer avec assurer le maintien des femmes en son sein vont de la les groupes. Les raisons et circonstances ayant favorisé forte surveillance à l’obligation d’obtenir une autorisation le maintien de l’association des femmes avec la katiba pour tout déplacement et la menace de mort en cas Macina renvoient aussi à la nécessité d’auto-préservation de tentative de fuite. D’autres femmes sont restées de peur d’être arrêtées ou tuées par Boko Haram ou par les et de protection d’une activité génératrice de revenus. forces de défense et de sécurité pendant leur tentative Le besoin d’auto-préservation a également motivé le d’évasion. Quelques femmes qui s’étaient associées pour maintien de plusieurs femmes au sein de Boko Haram, y des motifs religieux affirment y être restées dans l’espoir compris celles qui se sont volontairement associées au d’accéder au paradis. RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021 11
du groupe. D’autres femmes justifient leur fuite par le « De la même façon que l’État n’aime pas que désenchantement lié entre autres à la détérioration les jeunes rejoignent Boko Haram, eux non plus de leurs conditions de vie au sein du groupe, aux n’aiment pas que les gens quittent les territoires restrictions de liberté et de mouvement, notamment pour sous leur contrôle ». celles qui avaient été forcées de rejoindre le groupe, à la (Homme, Diffa, Niger, 6 juin 2018, Boko Haram) brutalité des membres du groupe, ou encore à la mort du proche qui les avait amené à intégrer le groupe. L’offre d’amnistie et de réinsertion lancée en décembre 2016 par le gouvernement nigérien26 pour encourager « Je suis restée dans le groupe car dès qu’on te les membres de Boko Haram à faire acte de reddition soupçonne de désertion, on te tue ». volontaire a aussi servi de porte de sortie pour (Femme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram) certaines femmes. Si quelques-unes ont fui le groupe seules, la désertion de la majorité d’entre elles a été conditionnée par celle de leurs maris. C’est le cas des « Au début, j’avais peur de collaborer avec la femmes dont les conjoints ont décidé de fuir en raison katiba Macina parce que l’armée faisait des de la détérioration de leurs conditions de vie au sein patrouilles dans la zone. Après quelque temps, je du groupe, y compris le manque de soins en cas de me suis dit que je ne faisais rien de mal, puisque blessures au combat, ou après la scission27 survenue mon rôle se limite à les approvisionner en vivres. au sein de Boko Haram en août 2016 et qui a donné Bien sûr, je pourrais arrêter de le faire, mais pour naissance aux deux factions du groupe, JAS et l’EIAO. l’instant je ne sais pas ce que je ferai si j’arrêtais ». Cette scission du groupe aurait dévoilé des incohérences sur le bien-fondé du combat mené et un décalage entre (Femme, Mopti, Mali, 15 février 2018, katiba Macina) les discours et les pratiques du groupe. Je ne suis plus dans le groupe parce que… Plusieurs femmes ont rompus les liens Dans le cadre de cette étude, plusieurs cas de femmes avec les groupes de leur propre fait ou dont les liens avec la katiba Macina et Boko Haram ont été rompus, de leur propre fait ou pour des raisons pour des raisons indépendantes de indépendantes de leur volonté, ont été documentés. leur volonté Néanmoins, dans les cas où cette rupture des liens n’a pas été décidée par les femmes elles-mêmes, les Les femmes qui ont quitté le groupe, y compris celles données disponibles ne permettent pas de déterminer si qui sont parties avec leur mari, ont profité de failles dans elles en sont tout de même satisfaites ou si au contraire le dispositif de surveillance. Elles se sont échappées elles envisageraient de retourner auprès des groupes si pendant les offensives militaires contre les positions du l’occasion se présentait. groupe, pendant que les sentinelles étaient endormies, Pour ce qui est de la katiba Macina, la rupture du lien ou encore tôt le matin pendant que les gardes priaient. dans deux cas documentés a fait suite à l’arrestation Quelques femmes ont fui le groupe à l’insu de leur mari, de ces femmes par les FAMa. Dans un autre cas profitant de l’absence de ceux-ci pour s’évader. Dans documenté, une femme qui collaborait avec la katiba certains cas, un état de grossesse avancée leur aurait Macina par le biais de son mari, combattant au sein du permis de tromper la vigilance des gardes. groupe, a été répudiée par celui-ci. Ces cas restent néanmoins minoritaires. Dans la majorité En ce qui concerne Boko Haram, certains cas de fuite des cas documentés, la sortie des femmes de Boko de femmes du groupe répondaient à une volonté de se Haram a été conditionnée par celle de leurs maris. soustraire à un mariage forcé et abusif avec un membre Leur fuite résulte d’une convergence de motivations et 12 KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
d’intérêts liés à la nécessité d’échapper à leurs conditions de vie au sein du groupe, et a fait l’objet de négociations et d’une planification au sein du couple pour dissimuler le plan d’évasion et éviter tous soupçons de fuite, passibles de mort. La recherche a néanmoins permis de documenter au moins un cas où un homme a soustrait l’une de ses femmes au groupe en la ramenant chez ses parents, sans qu’elle ne sache qu’il s’agissait d’une désertion. Il avait prévu de fuir et, convaincu qu’elle ne voudrait pas laisser ses parents au Nigeria pour le suivre dans son projet d’évasion vers le Niger, craignait qu’elle n’ébruite ses projets si elle en était informée. Par ailleurs, certaines femmes ont été libérées et d’autres arrêtées pendant les offensives militaires contre les positions du groupe, ce qui constitue d’autres expériences de sortie du groupe. « Mon amie et moi avons échoué la première fois que nous avons essayé de fuir Boko Haram. Des éléments du groupe nous ont croisées sur le chemin et nous ont ramenées avec eux. Comme sanction, mon mari m’a privée d’eau et de nourriture ». (Femme, Diffa, Niger, 9 juin 2018, Boko Haram) « J’ai quitté le groupe une nuit avec mon mari qui s’était fracturé le bras au combat. Nous avons marché pendant 3 jours dans la brousse. Mon mari a pu appeler le chef de canton de N’Guigmi. Celui-ci nous a parlé du programme de réinsertion du gouvernement et nous a demandé de nous rendre aux autorités pour notre prise en charge. Nous avons couru un grand risque en quittant Boko Haram parce qu’ils sanctionnent sévèrement les déserteurs ». (Femme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram) « Avant de rejoindre le groupe, mon mari m’a dit que nous n’allions pas rester longtemps et que je devais garder ce secret pour moi, car si ses amis l’avaient su ils nous auraient tués. Dix mois plus tard, il a décidé que nous déménagerions. Les membres du groupe ne soupçonnaient pas que nous étions en train de préparer notre départ parce que j’étais presque au terme de ma grossesse ». (Femme, Diffa, Niger, 5 juin 2018, Boko Haram) L’INTERVENTION D’ACTEURS EXTERNES A FACILITÉ Dans certains cas documentés, la sortie de Boko Haram a été facilitée LA SORTIE DE BOKO HARAM par l’intervention d’acteurs externes. En effet, certains hommes ont fui le DE FEMMES INTERVIEWÉES groupe avec leur conjointe après avoir obtenu des garanties de leurs parents AU NIGER qu’ils seraient acceptés par leur communauté de retour dans leur village, et RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021 13
d’autres, des autorités traditionnelles et administratives du Niger sur leur prise en charge après leur reddition. D’autres ont quitté le groupe avec leur mari suite aux pressions exercées par des proches avec qui ils avaient gardé le contact. C’est le cas d’un membre de Boko Haram blessé au combat, qui a organisé sa fuite et celle de sa femme et leurs enfants après que son père a menacé de le renier s’il ne quittait pas le groupe. Des femmes ont aussi bénéficié de l’appui de bergers issus de la communauté peule connaissant bien les routes de transhumance transfrontalières. Pour la katiba Macina et Boko Haram, l’association des filles et femmes à leurs activités, répond à des objectifs à court, moyen et long terme Enfin, certaines femmes ont perdu la vie dans le groupe. Il s’agit par exemple de femmes qui ont été déployées pour des missions kamikazes ou tuées lors de bombardements aériens contre les positions du groupe. Les rôles des femmes dans la katiba Macina et Boko Haram et les avantages que ces groupes en tirent Pour la katiba Macina et Boko Haram, l‘association des filles et des femmes à leurs activités, volontaire ou non, répond à des objectifs à court, moyen et long termes. Leur implication dans les activités des groupes offre à ceux-ci des avantages stratégiques et opérationnels importants. Ces groupes ont recours aux femmes pour des raisons diverses qui dépendent et évoluent en fonction de leurs stratégies et besoins ainsi que du contexte dans lequel ils opèrent. Elles sont ainsi utilisées comme agents et canaux de recrutement, personnel d’appui au fonctionnement du groupe et pour des opérations qui les font accéder, ainsi, à des rôles habituellement dévolus aux hommes28. Les femmes comme agents et canaux de recrutement D’abord, les femmes représentent des moyens de recrutement et de mobilisation de ressources humaines au sein de leur famille et de leur communauté, permettant ainsi à la katiba Macina et à Boko Haram de grossir leurs rangs. Les groupes utilisent les « compétences relationnelles »29 des femmes, perçues comme pouvant jouer un rôle efficace de recruteuses dans leurs familles et dans leurs communautés. La katiba Macina s’appuie par exemple sur l’alliance avec des femmes, y LES LIENS MATRIMONIAUX compris des femmes influentes, pour recruter dans les communautés. Le ET FAMILIAUX JOUENT UN groupe encourage ses membres à se marier au sein des communautés RÔLE DÉTERMINANT DANS où ils sont déployés, notamment les localités où le groupe rencontre de L’ASSOCIATION, LE MAINTIEN ET LA DISSOCIATION DES l’hostilité. Un leader de la katiba Macina aurait ainsi épousé en 2017 la FEMMES DES GROUPES veuve du chef d’un village issue d’une famille maraboutique influente 30 dans la région de Mopti. 14 KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
Ces alliances, scellées de gré ou de force, visent à été documentés. C’est le cas par exemple d’un jeune faciliter l’implantation du groupe, à s’assurer le soutien homme qui a rejoint le groupe pour protéger le bétail de actif ou passif des populations et à étendre son influence. la famille d’une jeune femme qu’il convoitait dans l’espoir Ces femmes sont ainsi encouragées à convaincre leurs d’augmenter ses chances d’obtenir l’assentiment de ses proches de rejoindre le groupe, persuader d’autres potentiels futurs beaux-parents. De fait, pour ce jeune femmes d’épouser des membres du groupe ou les homme, l’engagement dans le groupe a été un moyen amener à persuader leur mari de rejoindre le groupe. de bénéficier du statut de combattant, des avantages et de l’accès aux ressources, notamment d’une arme lui permettant de se porter garant de la protection des « Un marabout, qui a rejoint la katiba Macina, biens et de la famille de celle qu’il espérait épouser. est venu prêcher dans mon village. Il nous a demandé d’encourager nos maris, enfants et frères à répondre à l’appel du djihad. Il désignait « Je voulais me marier avec une fille dont la même certains en disant : ‘parmi tes enfants, famille possédait beaucoup de bétail et qui avait tu peux donner un tel ou son frère cadet’. besoin de le protéger. J’ai décidé de rejoindre L’essentiel, c’est d’accepter de s’engager et/ou la katiba Macina. En l’absence de l’État dans de « donner » un membre apte de sa famille ». plusieurs localités, chacun se protège comme il (Femme, Ségou, Mali, 10 août 2018, katiba Macina) peut. C’est aussi devenu un moyen rapide pour obtenir la main d’une femme surtout si sa famille possède beaucoup d’animaux ». (Homme, Mopti, Mali, 27 juillet 2016, katiba Macina)32 « Ma copine, membre de Boko Haram, m’a demandé de rejoindre le groupe et de l’aider à convaincre d’autres personnes. Elle m’a dit que Enfin, en jouant un rôle reproductif, les femmes j’aurai beaucoup d’argent et que je ferai le djihad ». permettent d’assurer la pérennité des groupes. En tant qu’« épouses » de membres de Boko Haram et de la (Femme, Diffa, Niger, 25 octobre 2018, Boko Haram) katiba Macina, les femmes sont chargées d’engendrer et d’élever la prochaine génération de combattants Ensuite, la présence de femmes est un facteur et de femmes pour ces derniers, assurant ainsi le déterminant dans la décision de certains hommes de renouvellement générationnel et la pérennité des rejoindre les groupes. Au Niger, la majorité des femmes groupes. La plupart de nos interlocutrices associées avec lesquelles nous nous sommes entretenus ont à Boko Haram ont connu des maternités au sein du été enlevées, mariées de force à des membres de groupe ou peu de temps après leur fuite. Boko Haram, puis remariées en cas de divorce ou de L’association des femmes comme moyen de décès de leur premier conjoint. Le groupe utilise les faciliter la conduite des activités et opérations femmes comme « appâts » pour attirer les hommes à la recherche de conjointes, en leur promettant une Les groupes associent également des femmes à « épouse ». Cette utilisation des femmes comme leurs activités pour des raisons pratiques. Elles leur « récompense » pour ses membres répond également à permettent de se procurer des moyens opérationnels, un besoin de les « réconforter » et de les encourager à logistiques, financiers et de subsistance nécessaires à leur fonctionnement et à leurs opérations. maintenir leur loyauté au groupe31. Toutefois, selon des interlocuteurs qui se sont engagés dans l’espoir de se Rôles de soutien marier, trouver une « épouse » dans le groupe n’est, dans En tant qu’épouses, sœurs ou filles et lorsqu’elles les faits, réservé qu’à quelques privilégiés. vivent auprès de leurs proches masculins au sein Au Mali, quelques cas d’hommes ayant rejoint la katiba du groupe ou ont la possibilité de leur rendre visite, Macina pour obtenir la main d’une femme ont aussi les femmes remplissent avant tout des tâches RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021 15
domestiques : ménagère, cuisinière, lavandière traditionnels. Elles assurent en outre les soins de leurs par exemple, et sont aussi chargées d’élever les proches blessés au combat, leur permettant ainsi de enfants. Ces rôles découlent des liens matrimoniaux reprendre le combat; ce rôle présente à la fois une et familiaux qu’elles entretiennent avec les membres dimension domestique et une valeur ajoutée pour les et renvoient aux rôles domestiques et reproductifs activités opérationnelles des groupes. Infographie 5 : Association des femmes à la katiba Macina et à Boko Haram : rôles et avantages stratégiques Soutien Informatrices Recruteuses Monnaie d’échange Approvisionnement Kamikazes Cuisinières Rôles Épouses Lavandières Éclaireuses Mères Ménagères Armurières Infirmières/ Soignantes Opérationnels Domestiques et reproductifs 16 KATIBA MACINA ET BOKO HARAM : INCLURE LES FEMMES À QUELLES FINS ?
« Les hommes sont plus motivés quand ils rejoignent le groupe avec leur femme, car elle les appuie et leur offre un cadre familial ». (Femme, Diffa, Niger, 6 juin 2018, Boko Haram) Les femmes jouent également des rôles liés au fonctionnement et à la logistique opérationnelle des groupes. La katiba Macina et Boko Haram font ainsi recours à elles pour leur approvisionnement en moyens de subsistance (vivres, médicaments, etc.) et en matériels servant à leurs opérations. Une illustration du rôle qu’elles jouent dans la logistique des groupes a été fournie par l’implication présumée d’une commerçante d’engrais dans la fourniture de ce produit utilisé dans la fabrication d’engins explosifs improvisés33. Celle-ci, bien que reconnaissant avoir vendu les engrais à des « gens de Mopti », affirme tout ignorer des liens possibles entre ses clients et la katiba Macina à laquelle les produits étaient destinés34. Le recours aux femmes pour s’approvisionner pourrait être lié à une perception stéréotypée du groupe selon laquelle les femmes sont discrètes, se font moins remarquer que les hommes et sont donc « naturellement » indiquées pour ce type de tâches. Pour autant, ce rôle ne leur est pas exclusivement réservé. En effet, des hommes membres de la katiba Macina et de Boko Haram font également office de coursiers ou de ravitailleurs. Ces personnes, y compris les femmes, étaient pour la plupart des commerçants avant leur association. Ainsi, le fait pour les groupes de recourir à ces profils pour leur ravitaillement pourrait répondre au souci de tirer le meilleur parti de ces ressources en capitalisant sur leurs compétences et leur connexion aux réseaux commerciaux. Pour la katiba Macina et Boko Haram, l’association des filles et femmes à leurs activités, répond à des objectifs à court, moyen et long terme Par ailleurs, aussi bien Boko Haram que la katiba Macina utilisent les $ femmes pour recueillir des renseignements qui permettent au groupe de tirer des avantages opérationnels et de générer des ressources financières. Par exemple, certaines femmes associées à la katiba LES FEMMES PERMETTENT Macina informent le groupe sur les activités des forces de défense et de AUX GROUPES DE sécurité, des groupes d’autodéfense dont les chasseurs traditionnels SE PROCURER DES (dozo), leurs potentiels ennemis et cibles, mais aussi sur des individus RESSOURCES HUMAINES AINSI QUE DES MOYENS qui possèdent du bétail et de l’argent auprès desquels le groupe prélève OPÉRATIONNELS, la zakat. D’autres collectent des informations pouvant aider le groupe LOGISTIQUES, FINANCIERS ET dans sa décision de libérer ou d’établir la culpabilité d’individus arrêtés. DE SUBSISTANCE Elles informent les leaders de la katiba Macina, directement ou à travers RAPPORT SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST 35 | MARS 2021 17
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