L'ADN fossile pour mieux comprendre les variations climatiques

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L'ADN fossile pour mieux comprendre les variations climatiques
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège

L'ADN fossile pour mieux comprendre les variations climatiques
30/08/13

Les fluctuations des populations de cyanobactéries pourraient nous aider à mieux comprendre les variations
climatiques passées et actuelles. Pourtant, ces organismes se fossilisent très mal et ne résistent pas aux
années qui passent. Néanmoins, l'extraction et le séquençage de leur ADN présent dans les couches
de sédiments pourraient aujourd'hui satisfaire la curiosité des paléolimnologistes et des biologistes. Cette
nouvelle méthode, développée par des chercheurs liégeois, a été appliquée à des carottes de sédiments
prélevées dans le fond de deux lacs de la péninsule Antarctique. Elle a permis d'attester la présence de
cyanobactéries dans les deux lacs depuis 3000 ans et de mettre en évidence des variations de diversité à
certaines époques. Il reste à savoir si et dans quelles proportions la cause des variations de diversité de ces
séquences d'ADN est d'origine climatique, ou si elle est due à des facultés de conservation meilleures ou
moins bonnes suivant les espèces.

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passage sur Terre, les cyanobactéries semblent de nature bien discrète. Pourtant, le rôle qu'elles jouent
dans le développement de la vie n'est pas banal. Elles produisent en effet leur énergie par photosynthèse et
peuplent la Terre depuis plus de 2.45 milliards d'années. C'est en partie grâce à elles que notre atmosphère
contient autant d'oxygène et que nous pouvons respirer. (Lire l'article Des cyanobactéries découvertes près
du Pôle Sud)
Mais qu'ont les cyanobactéries de si discret, exactement ? Contrairement à d'autres organismes
microscopiques comme les diatomées, elles ne se fossilisent pas bien dans les sédiments meubles, et ne
sont donc généralement pas préservées longtemps. « A l'aide de la microscopie, explique Annick Wilmotte,
chercheuse qualifiée FNRS en physiologie et génétique bactérienne au département des sciences de la vie
de l'Université de Liège, on tombe de temps à autre sur une gaine, ou une coque d'un spécimen appartenant

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à une communauté plus résistante, mais globalement, on ne retrouve rien, même dans des endroits qui
remplissent les conditions optimales pour abriter de grandes communautés de cyanobactéries ».
Cependant, tributaires de nutriments, d'ensoleillement et d'eau pour se développer, les cyanobactéries
répondent également aux variations climatiques. Il n'y a donc pas de raison pour qu'elles n'aient rien à nous
raconter. Lors d'une recherche publiée dans le Journal of Paleolimnology(1), Annick Wilmotte et Rafael
Fernández-Carazo, travaillant alors au département des sciences de la vie de l'Université de Liège, ont dès
lors initié une méthodologie prometteuse pour rendre justice à cette communauté microbienne peu bavarde
sous nos microscopes.

Vers un nouveau marqueur paléolimnologique

L'apport des deux chercheurs s'inscrivait dans une analyse plus large de carottes de sédiments prélevées
dans le fond de deux lacs de la péninsule Antarctique, Beak 1 et Beak 2, tous deux sur la même île. Rien
de bien folichon pour les touristes en quête de quiétude balnéaire. D'une profondeur de 26 mètres pour Beak
1 et de 4 mètres pour Beak 2, les lacs sont gelés pendant 8 mois par an, pour atteindre des températures
comprises entre 4 et 12 degrés Celsius pendant l'été austral. Cependant, les communautés microbiennes
photosynthétiques s'y portent comme un charme, sans autre être vivant pouvant nuire à leur développement.
Quant aux cyanobactéries, il s'avère qu'elles se développent davantage dans le lac Beak 2, moins profond
et plus ensoleillé.

Les carottes étudiées retraçaient l'histoire sédimentaire des deux lacs sur les 10 000 dernières années,
soit la période géologique appelée l'Holocène. Comment ? Les organismes d'un lac, quand ils meurent,
tombent dans le fond, et forment une couche de sédiments, qui sera elle-même recouverte d'une
nouvelle couche, et ainsi de suite au fur et à mesure des millénaires. Chacune de ces couches présente
des particularités de composition en fonction de ce qui vivait dans le lac à une période donnée, vie
directement liée à son écosystème et donc au climat. Ces résidus, empreintes de notre passé, sont des
marqueurs paléolimnologiques (paléo, ancien ; limnologie, étude des eaux continentales ou intérieures). Après
prélèvement d'une carotte, cette dernière est segmentée en couches datées ensuite au carbone 14. Il devient
donc possible de dater l'évolution de la composition du lac.

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Les carottes prélevées dans le cadre de cette étude ont été analysées par des chercheurs du British Antarctic
Survey à Cambridge, de l'Université de Gand, et de l'ULg. Les chercheurs de l'ULg se sont focalisés sur
une tentative de détection de preuves de l'ancienne présence de cyanobactéries. Comment ? En cherchant
des ADN fossiles dont les séquences pouvaient être identifiées comme appartenant à des communautés
de cyanobactéries. « Ce sont des études assez récentes, développe la chercheuse. Dans le cas présent,
il s'agissait avant tout d'une étude de faisabilité pour déterminer si l'ADN fossile de cyanobactéries était
intéressant à ajouter à la liste des outils classiquement utilisés pour étudier notre passé. Et les résultats sont
encourageants, même s'il faut maintenant mesurer les facteurs qui pourraient venir biaiser nos résultats. »

Séquençage et autres méthodologies

Pour observer l'évolution des cyanobactéries sur les derniers milliers d'années, les chercheurs ont utilisé
trois méthodologies. Premièrement, l'observation par microscopie optique. « Hormis pour les communautés
récentes, cette technique était d'un mauvais rendement, puisque les cyanobactéries ne se fossilisent pas
facilement sur le long terme, sauf dans certaines conditions. Mais, nous l'avons fait pour en avoir le cœur
net. » En même temps, cette étude avait également un autre but (lire « L'intérêt d'une méthodologie multiple
» ci-dessous).
Une seconde méthode était l'étude des pigments fossiles par Chromatographie Liquide à Haute
Performance (CLHP ou HPLC pour l'acronyme anglais). « Les carottes de sédiments contiennent des

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pigments photosynthétiques qui diffèrent selon les communautés (mousses, diatomées, cyanobactéries…).
La méthode HPLC va permettre l'extraction et la séparation de ces pigments. Il suffit ensuite de les comparer
à des pigments de référence (caroténoïdes, chlorophylles…) pour pouvoir les rattacher aux communautés les
synthétisant. »

Si les cellules de cyanobactéries ne résistent pas bien à la fossilisation, l'hypothèse menant au développement
d'une troisième méthode était qu'une partie de leur ADN, elle, restait présente dans les couches de sédiments.
En parvenant à isoler, à extraire et à amplifier ces séquences, les chercheurs allaient pouvoir observer la
présence et l'évolution des communautés de cyanobactéries sur les derniers siècles. Une méthode qui en
définitive a porté ses fruits, puisque les chercheurs ont pu retrouver des séquences d'ADN de ces bactéries
sur les 3000 dernières années. « En trouvant dans les couches successives de sédiments des ADN de
cyanobactéries, on était dès lors certains qu'elles avaient peuplé le lac à une période donnée. Cet ADN ne
pouvait pas arriver de nulle part. »

Une étude possible grâce à la PCR

L'observation par microscope et l'extraction des pigments sont deux études dites 'classiques', mais qui ne
permettent pas à elles seules de tout étudier. L'idée des deux biologistes était donc de chercher des résidus
d'ADN, d'en amplifier les séquences codant pour un marqueur taxonomique (l´ARN ribosomique 16S ou
ARNr 16S) et d'isoler ces dernières par DGGE. En fonction de ce patrimoine génétique et par comparaison
à des séquences étalons, il était dès lors possible de déterminer qui en étaient les propriétaires. En fonction
de leurs degrés de similitude réciproques, ces séquences ont ensuite été classées en Unités Taxonomiques
Opérationnelles (OTU). En définitive, une certaine diversité de séquences d'ADN a été découverte.

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« Ce que nous avons observé grâce à cette méthode, c'est qu'il y avait une stabilité de la diversité
cyanobactérienne obtenue pendant presque toute la période, développe la biologiste. Même si, il y a 2000
ans, on a pu noter une rupture. Des changements, qui étaient visibles dans les études des diatomées et des
pigments, mais n'ont pas été reflétés par nos organismes. On a également remarqué que dans les dernières
couches (70 dernières années), il y a eu une augmentation apparente de la diversité des cyanobactéries.
Et nous savons que les cyanobactéries prolifèrent davantage quand la température augmente, qu'il y a une
plus forte exposition au soleil et qu'il y a plus de nutriments amenés, notamment par la fonte des glaces.
Nous pouvons donc penser que ces variations sont en partie déterminées par les changements climatiques,
et qu'une prolifération de cyanobactéries pourrait être la conséquence d'un réchauffement climatique, ce qui
voudrait dire que cette région de l'Antarctique est aussi en train de se réchauffer actuellement. » Même si une
possibilité de biais important n'a pas encore été tout à fait écartée.

L'intérêt d'une méthodologie multiple

Encore au stade de test, l'utilisation de l'ADN fossile comme outil paléolimnologique séduit et montre des
résultats engageants. Certes, d'autres études sont déjà efficaces : l'analyse de fossiles de diatomées, par
exemple, ou encore l'analyse des pigments dans les sédiments.

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Mais il n'y a pas de diatomées dans tous les écosystèmes. Ces organismes restent un outil de choix, mais
ils ne représentent qu'une clé pour ouvrir de multiples portes vers le passé. Quant aux pigments, certains se
dégradent plus vite que d'autres. Une observation peut vite se révéler biaisée par une telle particularité.

Chaque technique d'observation présente une série de limites et de biais possibles, d'où la nécessité de
multiplier les méthodologies et de développer l'exploitation de nouveaux marqueurs. « Observer le passé,
développe la chercheuse, c'est comme regarder une image avec des lunettes déformantes, ou de couleurs
différentes. En mettant d'abord les lunettes bleues, puis rouges, puis jaunes, on aura au final une reconstitution
plus fidèle à la réalité. Dans le cas de cette étude, il était intéressant de comparer ce que les autres chercheurs
ont pu observer avec ce que nous avons nous-mêmes déduit. Pour noter les événements qui entrent en
corrélation ou qui à l'inverse trahissent un biais dans l'une des méthodes, afin d'affiner les recherches par
la suite. »

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Même en ne se focalisant que sur les cyanobactéries, une méthodologie multiple peut s'avérer éclairante.
« Par exemple, l'ADN d'une des espèces est présent dans chaque couche de sédiments (l'OTU 16ST58, cfr
tableau ci-dessus, Ndlr). En réalité, ce sont de petites Synechococcus, des cyanobactéries unicellulaires d'un
diamètre d'un micron. Une hypothèse possible est que leur ADN est mieux protégé lors de la fossilisation. Ce
pourrait être la raison pour laquelle on les retrouve systématiquement ».

Cette hypothèse peut être illustrée par une autre observation. Actuellement, le fond du lac Beak 2 est recouvert
d'un tapis de cyanobactéries qu'on ne retrouve pas dans les sédiments étudiés. Donc, elles ont été observées
lors de l'échantillonage, mais une fois mortes, il n'y a plus aucune trace d'elles (sauf l'OTU 16ST44 à 5 et 10
cm). Pas même d'ADN. Il faut réussir à comprendre pourquoi. En attendant, ces anomalies constituent une
limite dans la méthodologie. Mais cette dernière présente un autre avantage, qui est une plus grande précision
sur la diversité des communautés. « Pour les cyanobactéries toujours en vie, on a la chance de pouvoir cumuler
l'analyse ADN et la microscopie. Ce qu'on remarque en analysant l'ARNr 16S, c'est que des cyanobactéries
de même morphologie cachent une grande diversité génétique. Il est important de noter ces différences, car il
semble y avoir plusieurs processus qui se passent en même temps, conclut la chercheuse. Les fossilisations
sont différentes selon le groupe taxonomique, et ces groupes se distinguent par des caractéristiques comme
la présence ou non de spores qui résistent mieux aux agressions extérieures, ou de parois plus épaisses
et plus protectrices). »

Une évolution prometteuse

En définitive, cette étude de faisabilité est encourageante. La présence passée de cyanobactéries dans deux
lacs a pu être prouvée par l'analyse d'ADN fossiles. Il reste à savoir dans quelles proportions la cause de la
variation de ces ADN est simplement d'origine climatique, ou si elle est due à des facultés de conservation
meilleures ou moins bonnes suivant les espèces. Une observation à l'aide de plusieurs outils permettra de
préciser ces points.

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Quoi qu'il en soit, l'analyse d'ADN fossile est encore à ses débuts et risque bien de devenir un marqueur
paléolimnologique de premier plan dans les années à venir. Elle permettra d'étudier des aspects nouveaux
des variations passées de notre planète, notamment par l'observation d'espèces non fossilisées. D'autant que
les techniques de séquençage d'ADN font des progrès aussi constants que fulgurants, et qu'elles permettent
d'observer avec de plus en plus de fidélité et de facilité les résidus des codes génétiques présents et passés.
Des avancées technologiques qui permettent jusqu'à une meilleure compréhension des variations climatiques
de notre planète.

(1) Rafael Fernández-Carazo, Elie Verleyen, Dominique A. Hodgson, Stephen J. Roberts, Krzysztof Waleron,
Wim Vyverman, Annick Wilmotte, Late Holocene changes in Cyanobacterial community structure in maritime
Antarctic lakes, Journal of Paleolimnology (Springer), published online: 12 march 2013

                             Sommes-nous en train de détruire l'Antarctique?
                             Dédiée à la science et à la paix, l'Antarctique est une réserve naturelle dont
                             certains pays aimeraient exploiter les ressources. Annick Wilmotte tempère.
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