L'art des jardins John Stewart - Continuité - Érudit
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Document generated on 12/20/2021 6:11 a.m. Continuité L’art des jardins John Stewart Les grands jardins Number 36, Summer 1987 URI: https://id.erudit.org/iderudit/18834ac See table of contents Publisher(s) Éditions Continuité ISSN 0714-9476 (print) 1923-2543 (digital) Explore this journal Cite this article Stewart, J. (1987). L’art des jardins. Continuité, (36), 37–40. Tous droits réservés © Éditions Continuité, 1987 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
DOSSIER L'ART DES JARDINS par John Stewart Trois siècles d'une tradition qui nous a légué un héritage inestimable. L es jardins historiques sont des mo- n u m e n t s vivants. U n jardin, de par sa nature même, n'est pas qu'une particularités physiques et climatiques a y a n t d i c t é des m o d i f i c a t i o n s aux concepts et aux matériaux européens, Devant la maison de Charles Miller, à Drum- mondville, vers 1890, une famille réunie dans un jardin au charme rustique, tout à fait dans le goût anglais, (photo: Archives Notman, Musée McCord) composition formelle; il ne cesse en ef- ces jardins c o n s t i t u e n t dans bien des fet de croître et de se transformer à la cas des prototypes. fois avec les années et au gré des sai- Les jardins appartenant à certaines sons. Dans l'étude d'un jardin, on doit LE G O Û T F R A N Ç A I S institutions politiques ou religieuses sont tenir compte de ce caractère changeant Au Québec, l'art des jardins re- dessinés à la française, selon un plan et non pas uniquement de ses formes monte aux XVII' et XVIII'' siècles. Dès d'une rigueur toute géométrique: un immuables, comme c'est le cas en ar- 1630, on aménage des «jardins du Roy» carré ou un rectangle divisé par deux chitecture. où sont conservés les végétaux ramenés axes perpendiculaires. Ils ont cependant Au C a n a d a , les importants jar- des régions sauvages et destinés à la une fonction utilitaire plutôt qu'orne- dins historiques qui existent encore au- France. L'ouvrage du botaniste français mentale. A Québec, il n'y a guère que le j o u r d ' h u i ne sont pas ceux des rois, Jacques Cornuti, Canadensium Planta- jardin du palais de l'intendant qui peut c o n t r a i r e m e n t aux grands d o m a i n e s rum aliarumque nondum Plantarum Histo- mériter le titre de jardin formel, bien classiques européens. Même s'ils em- ria, publié à Paris en 1635, décrit les qu'on y cultive aussi un potager. Le parc p r u n t e n t l a r g e m e n t aux modèles spécimens que lui ont fait parvenir des des Gouverneurs à Québec, dessiné vers d ' o u t r e - m e r , ils p r o c è d e n t s o u v e n t botanistes de la Nouvelle-France. 1650, possède encore des vestiges de l'un d'une interprétation personnelle. Les des plus anciens jardins au Canada. CONTINUITÉ t u 1987 37
Bois-de-Coulonge en 1916. Pour encadrer cette À Montréal, très tôt des jardins à Au XVIII" siècle, les expéditions prestigieuse résidence néo-classique, le jardinier Peter la française s'ordonnent autour des insti- botaniques et les études sur la flore se Lowe a conçu une allée monumentale, ornée d'un bassin et d'une fontaine (qui existe encore aujour- tutions religieuses. Les jardins du monas- poursuivent, les propriétés ornemen- d'hui), élément central du jardin pittoresque, (photo: tère des Récollets, de l'Hôtel-Dieu tales, médicinales et culinaires des Archives nationales du Québec) ( 1642-1859), du couvent des soeurs de la plantes étant l'objet d'un vif intérêt. congrégation Notre-Dame et, au milieu Entre 1742 et 1743, M. Gaulthier, mé- du siècle, celui du séminaire des Jésuites, decin du Roy, membre du Conseil supér- en sont des exemples. Parmi ces premiers ieur de Québec et correspondant de l'A- LE C O U R A N T P I T T O R E S Q U E jardins, seul celui des Sulpiciens, rue cadémie Royale des Sciences de Paris, Après la Conquête, des Loyalistes Notre-Dame, a gardé sa configuration effectue des recherches sur la flore et sur qui fuient la révolution américaine, des d'origine, qui emprunte à celle des jar- le climat. Son étude, un manuscrit de militaires et des dirigeants britanniques, dins monastiques européens. 1200 pages, est publiée en partie, entre de même que de nombreux immigrants Le jardin des Sulpiciens (début du 1748 et 1752, dans l'Histoire de l'Acadé- européens viennent s'établir au Canada. XVIII" siècle) de la rue Sherbrooke rap- mie Royale des Sciences, à Paris. Ces nouveaux arrivants ont leur propre pelle les compositions classiques de la Des botanistes, comme le Suédois conception de la nature et de l'aménage- Renaissance française. Ses caractéristi- Pehr Kalm, entreprennent de nombreux ment du paysage. Sous leur influence, la ques - l'aménagement fermé, le plan voyages au Canada. En 1749, Kalm dé- tradition classique du jardin à la fran- géométrique, le point focal central — crit dans son journal les fonctions, la çaise cède le pas au courant pittoresque. sont beaucoup plus élaborées que celles forme et la flore d'un certain nombre de Le picturesque est une théorie esthétique du jardin des Sulpiciens situé rue Notre- jardins conventuels. À Québec par qui prend naissance au XVIII" siècle, Dame. Des éléments décoratifs, comme exemple, il visite celui de l'Hôtel-Dieu, avec le romantisme, et qui prévaut tout un bassin et une fontaine, font partie et il note: «(...) sur un côté du couvent, se au long du XIX" siècle dans le domaine intégrante de la composition. Ce jardin trouve un grand jardin où les religieuses ont des arts visuels et de l'architecture. imposant et structuré inclut terrasses, al- également la liberté de sortir et de se prome- L'Anglais Uvedale Price le définit en lées et vergers, tous dessinés à la manière ner; ce jardin réservé aux religieuses est 1794 comme l'effet produit par les qua- grandiose de Le Nôtre, concepteur des entouré d'un mur élevé; il est rempli de lités d'irrégularité, de rudesse, de diver- jardins de Versailles. Si l'on considère plantes potagères de toutes espèces, ainsi que sité et de mouvement. L'art des jardins qu'à cette époque le pays est encore à de nombreux pommiers ( . . . ) , cerisiers s'attache à recréer, dans un environne- l'état sauvage, les efforts des Sulpiciens ( . . . ) , noyers sauvages ( . . . ) , groseillers ment rustique, toute la complexité de la pour façonner leur environnement sur rouges (...) et autres arbustes semblables. » nature. Les jardins ne sont plus rigides et une aussi grande échelle, recréant ainsi Des documents d'époque (1790- formels, comme ceux de Le Nôtre en dans la colonie un coin de France, appa- 1810) p e r m e t t e n t de voir quelques France, mais flous et irréguliers. raissent tout à fait remarquables. O n grands domaines des environs de Québec trouve encore aujourd'hui des traces de où l'on retrouve un aménagement paysa- la structure initiale de ce jardin excep- ger rectiligne hérité du régime français. tionnel mais à cause du manque d'entre- Ainsi, sur un plan de 1807, on peut dis- tien et de l'expansion urbaine, sa survie tinguer le jardin à la française qui accom- semble aléatoire. pagne la villa palladienne de l'évêque de Samos: Woodfield (1732), à Sillery. 38 COYIÏM ITI. f l f 1987
Déjà en 1780, on aménage des pro- priétés privées suivant les préceptes du paysagisme anglais. Bois-de-Coulonge (Spencer Wood, vers 1780) est l'une des nombreuses villas construites sur les hautes falaises qui surplombent le Saint- Laurent, entre Cap-Rouge et les chutes Montmorency. Cette région convient Pendant toute la période de la Ré- ses écrits l'expertise de Henry Atkinson parfaitement aux idéaux pittoresques gence, et jusqu'au début de l'époque vic- (Bois-de-Coulonge) et de William Shep- qu'on marie volontiers à l'architecture torienne en 1837, l'art des jardins fait pard (Woodfield) en matière d'horticul- néo-classique. Les sites choisis pour ces l'objet d'une vive controverse. Les ture. résidences sont spectaculaires. La mai- écrits, les débats critiques et les discus- son Montmorency (1781), près des sions au sujet du jardin idéal se multi- LES G R A N D S D O M A I N E S chutes du même nom, domine le Saint- plient au sein de la société britannique, Au XIX" siècle, des commerçants Laurent du haut d'un promontoire, et les tant en Angleterre que dans les colonies. prospères, suivant le goût du jour, jardins pittoresques des villas Wolfefield La visite de domaines modèles est une acquièrent des domaines qu'ils adaptent (1810) et Marchmont (1810), à l'archi- activité fort prisée des gentlemen. Les à l'esthétique pittoresque. Au Bois-de- tecture palladienne, s'élèvent au-dessus théories sur le paysagisme naturel, pitto- Coulonge, en 1835, Henry Atkinson re- du fleuve, sur un site aux horizons in- resque, sublime ou gothique font partie tient les services du jardinier anglais Pe- finis. des préoccupations de l'époque. La So- ter Lowe, qui dessine un jardin élaboré Reprenant les idées mises de l'a- ciété d'horticulture de Québec, fondée où se côtoient serres à raisins et fruits vant par Uvedale Price, John Claudius en 1789, participe semble-t-il au débat. exotiques, fontaines et haltes rustiques. Loudon et Andrew Jackson Downing Entre temps, un petit groupe de Cette attention accordée à l'aménage- préconisent une parfaite symbiose de privilégiés achète de vastes domaines et ment de la nature autour des résidences l'architecture et du paysage, avec comme s'empresse d'y aménager ses jardins mo- s'inscrit dans une révolution de la rela- principe de base le respect de la nature. dèles. La comtesse de Dalhousie et Mme tion maison-jardin, un concept issu du Leurs théories trouvent au Canada un Sheppard, de Woodfield, organisent des mouvement romantique. écho favorable. Les jardins aux surfaces excursions botaniques. En outre, la et aux contours doucement arrondis de comtesse de Dalhousie publie en 1827 un Capability Brown ne sont adaptés aux catalogue des plantes croissant aux alen- sites canadiens qu'après 1850; on les re- tours de Sillery. Selon certaines publica- trouve entre autres en périphérie de tions anglaises comme The Gardener's Montréal, alors que Frederick Law Ol- magazine et The Encyclopedia of Garde- La maison de M. Marier, en 1910, a Montréal. msted, concepteur de Central Park, ning, les grands domaines des environs de Allée centrale, pelouse soignée, plantations symétri- signe les aménagements paysagers de Québec possèdent de remarquables jar- quement disposées caractérisent ce jardin à l'ordon- nance toute classique, (photo: Archives Notman, quelques grands domaines. dins. Loudon mentionne d'ailleurs dans Musée McCord) ..**tÇ5. »«' f 1i M r»-:
À la villa Cataraqui (1850), à Sil- lery, les jardins dessinés également par Peter Lowe mettent magnifiquement en valeur la résidence néo-classique. Des illustrations anciennes du parc entre 1860 et 1870, montrent que le style pit- toresque, avec sa gamme d'espèces horti- coles, ses pelouses aux contours géomé- triques que ponctuent de somptueux massifs de fleurs, ses statues et ses vases d'ornement, ses promenades et sentiers Le séminaire des Sulpiciens et le nouveau collège sinueux, a inspiré cet ensemble raffiné. de Montréal, rue Sherbroo/ce (vers 1879). Le parc Rural Cottages and Cottage Villas and their au tracé géométrique incluait potagers, vergers, aires Cependant, les jardins victoriens sont Gardens and Grounds adapted to North de récréation, serres et jardins ornementaux. Il existe détruits lorsqu'on aménage en terrasse America (1844). un plan de restauration mais sa mise en oeuvre n'est les pelouses de la façade, et ils font place Au début du XX" siècle, sous l'in- pas encore envisagée, (photo: Archives publiques du à des jardins plus structurés (présente- Canada. National Map Coll., 1546; H12/340- fluence des écrits de Gertrude Jekyll, une Montréal- 1879) ment en voie de restauration). révolution du goût marque l'art des jar- Le manoir Papineau, à Montebel- dins: les somptueux tapis de verdure de lo, est un autre exemple fort intéressant. l'ère victorienne cèdent la place aux bor- Édifié en 1847-1849, le manoir est l'une dures de vivaces. On s'empresse d'incor- des dernières habitations de ce genre à porer des jardins de rocaille et de plantes Ce survol de quelques jardins du être construite avant l'abolition du sys- alpines, éléments de prédilection du Québec nous donne un aperçu de l'im- tème seigneurial. La maison constitue le goût victorien, à des «retraites boisées» portance et de la variété des jardins his- point focal du domaine, qui comprend dont la mode se répand entre 1920 et toriques qui subsistent. Il en existe des dépendances, des aires de récréation, 1930. d'autres, tout aussi dignes d'intérêt. Ce des écuries, une chapelle, une exploita- Parallèlement aux expressions de qui importe avant tout, c'est d'intensifier tion forestière et agricole, une minoterie cet «art sauvage», on trouve les composi- la recherche sur ces jardins; le manque et une industrie. tions beaucoup plus flamboyantes des d'informations constitue en effet une Le terrain est aménagé dans le goût jardins inspirés de l'École des Beaux- menace pour leur survie. Nous espérons anglais ou pittoresque. Les jardins qui Arts. Les aménagements au concept et que grâce à une plus grande sensibilisa- ceinturent la maison, comme nous le aux caractéristiques fortement architec- tion du public à cet égard, nous pourrons montrent des photographies anciennes, toniques issus de ce style sont popularisés trouver des moyens pour préserver cet sont traités d'une manière fort recher- au Canada par des architectes paysagistes héritage inestimable. chée. Pelouses et allées soignées, plantes comme Thomas Mawson, qui dessine La conservation des jardins contri- en pots, jardins de fleurs, urnes, gazebos entre autres le jardin de l'ambassade ita- bue à maintenir une continuité avec le et une charmante maison d'été compo- lienne, sur AylmerRoadàHull. D'autres passé, nous fait découvrir une manière de sent ce paysage victorien. Disséminés sur jardins empruntent également au style vivre et nous montre comment notre les pelouses, chênes, tilleuls, érables à Beaux-Arts, dont celui de M. O'Connell présent a été influencé par des êtres, des sucre et pins blancs complètent la mise à Sainte-Agathe et de C.E.L. Porteous, croyances et des activités d'hier. A en scène. Le manoir s'élève sur un tertre à sa propriété de l'île d'Orléans: Les l'exemple de Frederick Law Olmsted qui, qui offre un point de vue exceptionnel Groisardières (1900). U n escalier de au milieu du siècle dernier, s'inspirait des sur la rivière Ottawa. Aujourd'hui, la pierre descend jusqu'à ce jardin aménagé jardins anglais dessinés cent ans avant nature a repris ses droits et le site a perdu en terrasses à même la falaise de l'île. Il son époque, nous devrions accorder plus son aspect imposant. comprend une série de petits jardins clos, d'attention à ces importants artefacts Au manoir Saint-Ours, en 1850, chacun déployant un thème floral diffé- qui, comme toute création artistique, on retrouve un aménagement à l'anglaise rent. Fontaines italiennes, statues, portent l'empreinte de l'homme. conçu pour l'épouse du seigneur, Jo- bancs de marbre et murets de pierre en sephte Murray. Du côté de la rivière Ri- font un ensemble très architecture. Les chelieu, une fontaine décore un vaste plantes sont d'ailleurs choisies pour ]ohn Stewart est directeur du bassin de forme oblongue. Entre le plan mettre en valeur les nombreux éléments Commonwealth Historic Ressource Mana- d'eau et le manoir s'étire un jardin en architecturaux. Malheureusement, ce gement Limited. ellipse composé de formes géométriques. magnifique domaine est aujourd'hui (traduit par Ghislaine Fiset) Cette façon d'aménager un domaine s'est laissé à l'abandon. fait connaître au Québec grâce aux livres de modèles publiés en Angleterre et aux États-Unis, dont celui d'A.J. Downing: Cottage Residences. A Series of Designs for 40 COMIMlTKflf 1987
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