L'avenir de la Turquie en Europe ou bien l'avenir de l'Europe sans la Turquie ?
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Fleur DEPERRAZ Lycée Georges Brassens Neufchâtel en Bray Dossier de Presse en vue de l’admission à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris Source : dessin de Selçuk, paru dans Le Monde diplomatique (janvier 2017) L’avenir de la Turquie en Europe ou bien l’avenir de l’Europe sans la Turquie ? Mars 2017 1
SOMMAIRE Liste des articles retenus pour la note de synthèse………………………….………......page 3 Note de synthèse………………………………………………………………………...page 5 Note de réflexion personnelle…………………………………………………………...page 7 Sources…………………………………………………………………………...……..page 21 2
Liste des articles retenus pour la note de synthèse (période de référence s’étendant du 15 octobre 2016 au 15 décembre 2016) JÉGO Marie, « La Turquie veut faire durer l’état d’urgence », lemonde.fr, 4 Octobre 2016 HADDAD Mezri, « Où va la Turquie avec Erdogan ? », lefigaro.fr, 16 Octobre 2016 JÉGO Marie, « Ankara veut défendre son « arrière-cour », Le Monde, 21 Octobre 2016 Agence Reuters, « Plus de 10.000 fonctionnaires supplémentaires limogés en Turquie », lorientlejour.fr, 31 Octobre 2016 CHEVIRON Nicolas, « En Turquie, plus aucune dissidence n’est tolérée », médiapart.fr, 2 Novembre 2016 JÉGO Marie, « Nouvelles purges en Turquie », Le Monde, 2 Novembre 2016 MACÉ Célian, « Le président turc se surpasse dans la censure », libération.fr, 4 Novembre 2016 GÖKKAYA Hassan, « Turquie, Un régime de Gestapo », Der Taggesspiegel dans Courrier International, 7 Novembre 2016 KAMENKA Vadim, « La Turquie vire à la dictature en toute tranquillité », humanité.fr, 10 Novembre 2016 Journaliste, « Purge en Turquie : Erdogan continue à s'acharner sur la presse », l’obs.fr, 11 Novembre 2016 SEMO Marc, « Erdogan rêve d’une grande fraternité sunnite dont Ankara et lui-même seraient les piliers », Le Monde, 11-12 Décembre 2016 BRIDEL Bernard, « Erdogan a peur, il est donc capable de tout », tdg.ch, 26 Novembre 2016 SEMO Marc, « La méfiance grandit entre l’Alliance atlantique et la Turquie », Le Monde, 23 Novembre 2016 3
GUIBERT Nathalie, « Les purges d’Ankara préoccupent l’OTAN », Le Monde, 23 Novembre 2016 JÉGO Marie, « Nouvelles purges en Turquie, Le Monde, 2 Novembre 2016 BERTHELOT Pierre Berthelot et DUPUY Emmanuel, « La Turquie d'Erdogan cherche-t-elle à moderniser l'Islam ou à islamiser la modernité ? », Huffingtonpost.fr, 14 Novembre 2016 QUATREMER Jean, « Turquie-UE : Erdogan toujours maître du jeu », Libération, 17 Novembre 2016 Journaliste, « Turquie : Erdogan menace d'ouvrir les frontières aux migrants vers l'Europe », leparisien.fr, 25 Novembre 2016 MEVEL Jean-Jacques, « Le Parlement européen demande le gel du processus d'adhésion de la Turquie », lefigaro.fr, 24 Novembre 2016 BILLETTE Alexandre, « Erdogan n’accorde pas d’importance à la décision européenne », lacroix.fr, 24 Novembre 2016 4
Note de synthèse En Turquie, le 15 juillet 2016, une tentative de coup d’État a visé le président de la République Recep Tayyip Erdogan, élu au suffrage universel direct en août 2014. Depuis ce putsch militaire manqué qui a fait 290 morts, le régime turc a intensifié les purges commencées en décembre 2013, en accusant le Parti des travailleurs kurdes (PKK) et le mouvement islamiste du prédicateur Fethullah Gülen d'avoir fomenté cette tentative de coup d'État. Si la presse française et internationale a mis en avant la dérive autoritaire du régime d’Erdogan, elle a aussi souligné les réactions de la communauté internationale quant à l’avenir du pays, et notamment celles de l’Union Européenne. Dans le contexte d’état d’urgence, imposé le 20 juillet par Erdogan après le coup d’État manqué, et prolongé de trois mois à partir du 19 Octobre (Le Monde.fr, 4/10/2016), la presse a souligné les atteintes aux libertés fondamentales, le régime turc écartant autoritairement toute forme d’opposition. Celle des médias tout d’abord : selon le journaliste Nicolas Cheviron de Médiapart (1er novembre 2016), « depuis cette date, près de 140 agences de presses, journaux, magazines, radios et télévisions ont été fermés pour leur proximité supposée avec Gülen ou le PKK, dont une quinzaine de titres proches du mouvement kurde mis sous scellés » (…) Quelques 130 journalistes étaient déjà derrière les barreaux avant les interpellations du 31 octobre ». De son côté le journaliste Célia Macé sur le site Libération.fr (4/11/2016) note que ce 31 Octobre « le pouvoir a franchi une nouvelle étape (…), en arrêtant le rédacteur en chef et une dizaine de journalistes du quotidien Cumhuriyet (« La République », en turc) dans le cadre d’une enquête du parquet pour « activités terroristes » en lien avec la confrérie güléniste et avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan » . Elle rapporte les propos d’Elif Akgül, spécialiste de la liberté de la presse pour le site turc Bianet : créé en 1924 « c’est le plus vieux journal de Turquie (…). Le pouvoir ne vise pas simplement un journal, mais les valeurs fondatrices de la République de Turquie ». Dans un article du quotidien allemand Der Tagesspiegel, daté du 7 novembre et publié dans le Courrier international du 17 au 23 novembre, l'ancien rédacteur en chef de ce journal, Can Dündar, exilé en Allemagne, estime qu' « il s'agit des manœuvres d'un autocrate pour assujettir le pays » par « un régime de Gestapo », qui serait « devenu(e) la plus grande prison de journalistes au monde ». Le président du directoire de Cumhuriyet, l'avocat Akin Atalay a été arrêté à l'aéroport d'Istanbul et placé en garde à vue pour le même motif, selon le site de L’Obs.fr (11/11/2016). Cette dérive autoritaire se marque aussi par la répression de toute opposition politique. La journaliste Marie Jégo du Monde note que « les partis d'opposition politique et les défenseurs des droits de l'homme reprochent au gouvernement de profiter de l'état d'urgence, prolongé jusqu’en janvier 2017, pour museler toute forme d'opposition politique sous couvert de lutte contre le terrorisme » (02/11/2016). De fait, les deux coprésidents Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag et neuf autres députés élus du Parti de la Démocratie des Peuples (HDP, prokurde) ont été interpellés et écroués le 4 novembre, accusés de soutenir le PKK, interdit en Turquie. Le journaliste Vadim Kamenka du site L’Humanité.fr (10/11/2016) estime que le président turc s'est lancé dans « la transformation de l'État turc en État AKP, en neutralisant tous les contrepouvoirs ». La fonction publique est aussi touchée par cette répression. Selon le site du quotidien libanais L’Orient-Le Jour.fr (30/10/2016), « depuis la mi-juillet, (…) le pouvoir turc a fait arrêter plus de 37.000 personnes et a déjà limogé ou suspendu quelques 100.000 fonctionnaires, juges, procureurs et policiers ». Le décret du 29 octobre a mis à pied « 10 131 personnes (dont 2 534 au ministère de la justice, 3 486 à l’éducation, 2 774 à la santé et 101 dans l’armée) » (…) les droits des avocats ont été limités et les recteurs d’université seront 5
dorénavant nommés par le président Recep Tayyip Erdogan » précise Le Monde (2/11/2016). Outre cette politique intérieure répressive, la presse a évoqué les réactions internationales face à cette situation. Selon Le Figaro.fr (16/10/2016), « l’actuelle dérive autocratique (…) inquiète l’Europe et exaspère les États-Unis ». Ainsi, Le Monde (11 et 12/11/2016) rapporte que « les Américains continuent à considérer les combattants kurdes syriens comme indispensables dans la lutte au sol contre l’organisation État islamique ». Les Etats-Unis « ne laissent pas [la Turquie] faire ce qu’elle veut contre les Kurdes, dont Washington a besoin, en Syrie comme en Irak » indique pour sa part La Tribune de Genève (26/11/2016). C’est pourquoi, « l’intervention de l’armée turque dans le nord de la Syrie et les tensions avec les combattants kurdes soutenus par Washington suscitent une irritation croissante parmi nombre d’États membres de la coalition, inquiets du rapprochement amorcé depuis août entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son homologue russe, Vladimir Poutine » (Le Monde, 23/11/2016). Cette inquiétude est notamment celle d’une déstabilisation de l’OTAN. Ainsi, selon Le Monde du 23/11/2016, « les militaires turcs de l’OTAN, (…) n’ont pas échappé à la purge lancée depuis le coup d’État raté du 15 juillet » : « 60 % à 80 % des personnels militaires présents dans les structures de commandements de l’Alliance ont été écartés (…) », ce qui « suscite un malaise » au sein de l’OTAN. En réalité, on assiste à un « renversement d’alliances (OTAN, UE), au profit d’un « pivotement » oriental dans une logique davantage eurasienne qu’euro-atlantique », selon le Huffington Post.fr (14/11/2016). Pour Le Figaro.fr (16/10/2016), le rapprochement entre la Russie et la Turquie, notamment par « la signature d’un accord stratégique sur la construction du gazoduc TurkStream », impliquerait « l’émergence d’un axe Ankara-Téhéran-Moscou qui constituerait un contrepoids à l’Alliance atlantique ». Cette situation politique embarrasse particulièrement l’Union européenne. Il est vrai que « la Turquie s’est engagée à retenir sur son sol les réfugiés syriens à la suite d’un accord conclu avec l’UE au printemps, accord qu’elle respecte à la lettre » (Libération, 17/11/2016), mais selon Le Parisien (25/11/2016), « la Turquie menace de [le] rompre ». D’ailleurs Le Figaro.fr (24/11/2016) rapporte que « les eurodéputés ont voté jeudi [17 novembre] à une très large majorité une motion demandant l’arrêt des négociations d’adhésion de la Turquie [à l’UE] en raison de la répression en cours depuis le coup d’État manqué de juillet ». Pour sa part, le site internet de La Croix.fr (24/11/2016) relève les propos d’un député européen affirmant que « la traque des adversaires politiques montre que nous n’avons plus affaire à un État de droit ». En témoigne, l’éditorial du Monde du 1er novembre : « l’insistance de M. Erdogan sur le sujet de la peine de mort, dont il connaît parfaitement l’effet prohibitif sur l’UE, (…) illustre sa volonté de s’affranchir des valeurs européennes ». Pour le journal Libération (17/11/2016) « rétablir la peine de mort » (abolie en 2004) « se ferait en violation de la Convention européenne des droits de l’homme que la Turquie a pourtant ratifiée ». Pour des observateurs, l’idée d’une alternative à l’UE est clairement envisagée : comme le rapporte journal La Croix.fr du 24/11/2016, Sinan Ülgen, directeur du think-tank EDAM, basé à Istanbul, signale que M. Erdogan s’était prononcé, « quelques semaines avant le vote du Parlement européen », (…) sur une alternative à l’Union européenne, précisément avec les membres de l’Organisation de coopération de Shanghaï qui regroupe la Russie et la Chine ». La presse internationale a donc mis en avant la dérive autoritaire du régime turc avec la répression des médias et des partis politiques d’opposition. Mais elle a aussi souligné la menace de rupture du régime d’Erdogan avec les alliances occidentales comme l’OTAN et l’Union Européenne. Si Erdogan semble renoncer à l’adhésion avec l’Union Européenne, l’Union européenne ne prend-elle pas elle aussi ses distances avec la Turquie ? Mais alors, quel est l’avenir de la Turquie en Europe ? 6
Note de réflexion personnelle En 2003 et 2004, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan a tenté une réforme pro- européenne en garantissant davantage de démocratie, de droits de l'homme et de libertés fondamentales dans le but de se rapprocher des pays européens. Depuis 2007, les négociations d'adhésion à l'Union européenne, commencées en 1987, ont été ralenties. Actuellement, la dérive autoritaire du régime d'Erdogan ne fait que relancer le débat sur l'avenir de la Turquie en Europe. En quoi l’histoire moderne de la Turquie, notamment celle de la création d’un État-nation permet d’éclairer cette crise ? Quels sont les aspects actuels et les enjeux de cette crise entre l’UE et la Turquie, dans une relation ambiguë de rapprochement et d’éloignement ? Finalement, la Turquie a-t-elle un avenir avec l’UE ou n’est-ce pas plutôt l’avenir de l’iUE qui est désormais en jeu ? Pour traiter cette problématique, je rappellerai brièvement la construction de la Turquie moderne sur les ruines de l’Empire Ottoman et l'évolution de ses relations avec l'Europe. Puis, je montrerai comment le projet d’adhésion à l’UE est paradoxal puisqu’il rapproche autant qu’il éloigne la Turquie et l’Europe. Enfin, je verrai que si la Turquie semble rompre avec l’UE, elles sont indissociablement liées par leur avenir. La Turquie moderne doit une grande partie de son patrimoine historique, politique et culturel à l’Empire ottoman, lui-même héritier de l'Empire Romain d'Orient, pris par les Turcs en 1453 à Constantinople. L'Empire ottoman est à son apogée au XVIe siècle, durant le règne de Soliman le Magnifique, règne qui a duré de 1520 à 1566. Le territoire de l'empire « s'étend alors des Balkans à l'Arabie, de la Tripolitaine (région de Tripoli en Lybie) à l'Arménie »1. Durant le XIX e siècle, l’Empire ottoman va connaître une période de tensions nationalistes au sein de ses communautés culturelles et religieuses, ce qui va provoquer la perte de territoires européens, notamment celui de la Grèce suite à l’indépendance le 3 février 1830, et celui de la Serbie, le 12 décembre de la même année. La Première Guerre mondiale va accélérer l’effondrement de l’Empire ottoman. Le 2 août 1914, l’Empire Ottoman s’allie secrètement à l'Allemagne. L’Empire entre officiellement en guerre au mois d’octobre 1914 en attaquant la flotte russe en Mer Noire. Il remporte la victoire des Dardanelles face aux Alliés franco- britanniques, mais perd le Caucase et l’Arménie face aux Russes, la Mésopotamie, et la Syrie face à l’armée britannique et aux Arabes. Il signe finalement l’armistice le 30 octobre 1918 à Moudros, ville située sur l’île grecque de Lemnos2. En avril 1920, la Conférence de San Remo prépare le démantèlement de l’Empire ottoman en plaçant des zones sous mandats britannique, italien et français. En août 1920, le Traité de Sèvres est signé par les pays de la Triple Entente (Royaume Uni, France et Russie) et par l’Empire ottoman représenté par le sultan Mehmed VI. Ce texte fait perdre la souveraineté à l’Empire Ottoman sur les quatre- cinquièmes de son territoire : par exemple, la Mésopotamie et la majeure partie de la Syrie sont occupées par les Britanniques, la Cilicie par les Français, le sud-ouest de l’Anatolie par les Italiens. Chaque pays signataire est chargé de gérer les finances et l’administration du pays qu’il occupe. La Thrace orientale est quant à elle administrée par les Grecs, mais reste sous souveraineté ottomane. Le traité prévoit aussi la formation d’un nouvel État réservé aux 1 RIAUX Gilles, « La formation de l’Etat-nation en Turquie et les enjeux de son adhésion à l’Union européenne », diploweb.com, 1er mars 2006 2 MOURRE Michel, Dictionnaire d’histoire universelle, Editions universitaires, 1968 7
Kurdes : le Kurdistan, et la création d’une Arménie indépendante. Ce texte est jugé inacceptable par d'anciens officiers de l'Empire Ottoman, en raison de l’humiliation que cause la perte de souveraineté d’un territoire si étendu. C'est pourquoi un général turc ayant acquis un prestige militaire pendant la Grande Guerre, Mustafa Kemal (1881-1938), parvient à mobiliser l'armée et la population pour tenter de reconquérir les territoires perdus. Cette opération sera un succès car les victoires de la Turquie en Anatolie et l’incapacité à faire appliquer les mesures du traité incitent les pays signataires du Traité de Sèvres à revenir sur leurs décisions. C’est ainsi que le Traité de paix de Lausanne du 24 juillet 1923, permettra à la Turquie de retrouver les territoires de Thrace suite à sa victoire sur les Grecs. Ce succès sera suivi de la proclamation de la République de Turquie le 29 octobre 1923 par M. Kemal, nommé président de la République et qui fondera sa politique sur les valeurs, inspirées du sociologue Ziya Gökalp (1876-1924) : « turquiser, moderniser, occidentaliser »3. L’ambition de Kemal est donc de rompre avec l’Empire ottoman, en ne prônant plus l’expansionnisme, mais la cohésion nationale. Pour ce faire, Kemal supprime le califat le 30 avril 1924 et créé une Constitution. Il instaure un État fondé sur la laïcité, en séparant l’État de la religion en avril 1928. Il interdit les établissements d'enseignements religieux, les tribunaux musulmans, le mariage religieux en tant que mariage légal ; il supprime les ordres, le calendrier grégorien, les confréries, le port du fez et de tout costume religieux. Il fait remplacer l'alphabet arabe par l'alphabet latin, ce qui rapproche la Turquie de la culture occidentale, il purifie la langue d’influences arabe et persane, et oblige l’adoption des noms de famille au lieu des prénoms. De plus, la condition féminine s’améliore avec le droit de vote de femmes en 1934, instauré onze ans avant la France4. Cette brève histoire semble jeter les fondements d’une alliance historique entre la Turquie et l’Europe occidentale, avec ce paradoxe que cette Europe qui a achevé de démanteler l’Empire ottoman est celle qui va inspirer M. Kemal pour la fondation d’une Turquie moderne, lequel va jouer « totalement la carte de l’Etat-nation moderne : un peuple, incarné dans une langue, un territoire, un État, une armée nationale »5. La révolution kémaliste a donc permis d’occidentaliser et de moderniser les institutions et les valeurs turques, rompant avec l’histoire ottomane et l’Islam comme religion d’État. De plus, l’accent est mis sur le nationalisme et la promotion de l’identité turque, avec le choix d’Ankara comme capitale, ville située en Anatolie territoire originellement turc. En 1950, le parti démocrate arrive au pouvoir, avec la nomination du Premier ministre Adnan Menderes. S'ensuit une période de développement économique qui se dégradera à partir de 1955. Cette crise s’accompagne de mesures restrictives vis-à-vis des libertés et d’une vague d’autoritarisme, ainsi que la remise en cause de la laïcité, illustrée par la remise en place de l’appel à la prière en arabe et non plus en turc6. Ces mesures provoquent l'intervention de l'armée en 1960, renversant le gouvernement, coup d’État reproduit en 1971 et 1980. Aussi, l'implication importante de l'armée dans l’État turc à des moments cruciaux de 3 BOZDÉMIR Michel, KAZANCIGIL Ali, MANTRAN Robert, PÉROUSE Jean-François, « Turquie », Universalis éducation (en ligne) 4 Ibid. 5 RIAUX Gilles, « La formation de l’Etat-nation en Turquie et les enjeux de son adhésion à l’Union européenne », diploweb.com, 1er mars 2006 6 CAUTRÈS Bruno et MONCEAU Nicolas, La Turquie en Europe : l’opinion des Européens et des Turcs, Presses de Sciences Po, 2011 (introduction) 8
la vie politique turque prouve que l'armée joue un rôle important dans la sauvegarde des valeurs kémalistes, que l'on pourrait comparer à celle des officiers sous l'Empire ottoman. En effet, le nationalisme, la laïcité sont les principes premiers de la République turque que l’armée s’est dévouée à défendre depuis 1923. L’armée est donc prête à renverser le gouvernement pour sauvegarder ce qui constitue le pilier de l’État-Nation turc. Aussi, la défense des valeurs du kémalisme par l’armée permet de lutter contre les mouvements antirépublicains et anti-laïques. Pourtant, cette omniprésence de l’armée qui, au nom des intérêts supérieurs de la nation et du kémalisme, se permet de renverser le pouvoir, va être contestée en Europe. Pour parvenir à un rapprochement avec l’Europe, il faudra que la Turquie se détache de cette souveraineté militaire, gardienne suprême de la République. C’est justement ce à quoi va s’employer Recep Tayyip Erdogan. Pour ce qui est des relations entre la République turque et l’Europe, on peut dire que l'histoire de l'Empire ottoman a tissé de nombreux liens avec l’Europe : la Turquie était déjà liée à celle de l'Europe par des relations commerciales et économiques. Mais c'est au XXe siècle que les relations diplomatiques entre les deux espaces se renforcent. Une tentative de rapprochement de la Turquie avec l'Occident voit le jour à partir de 1945, puisqu’elle est restée neutre depuis le déclenchement de la guerre. Symboliquement, la Turquie se range du côté des Alliés en 1945 ; elle décide ainsi de rejoindre le bloc de l’Ouest au début de la guerre froide, ce qui lui permet de bénéficier du soutien américain grâce au plan Marshall de 1947 à 1952 ; dans le même mouvement, elle adhère à l’Organisation européenne de coopération économique (OCDE) en 1948. Puis, la Turquie fait partie des membres fondateurs du Conseil de l'Europe en 1949, qui défend les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit7 et reconnaît la juridiction de la Cour européenne des droits de l'Homme en 1954, qui est chargée de surveiller l’application des mesures dictées par la Convention européenne des droits de l’Homme. Ce rapprochement permet à la Turquie de s’aligner sur le modèle européen, non plus seulement économiquement mais aussi politiquement et culturellement. En 1951, elle intègre l’OTAN, ce qui lui permet de bénéficier des bases militaires des États-Unis contre les Soviétiques sur son territoire. Cette intégration est la suite logique du soutien américain et permet à l’Otan de s’appuyer sur une armée régulière nombreuse, disciplinée, bine équipée et formée selon les codes occidentaux depuis la révolution kémaliste. Ensuite, la Turquie se lie le 12 septembre 1963 à la Communauté économique européenne (CEE) par un accord d'association, dont le contenu est majoritairement économique et politique, avec notamment la diversification de la politique extérieure turque, alignée jusqu’alors sur celle des États-Unis. Cette association devait permettre à terme l’adhésion de la Turquie à la CEE. L’Union douanière entre l’UE et la Turquie est instaurée le 31 décembre 1995 et renforce les relations économiques entre les deux pays. Cet accord permet aux États membres de l’UE, ainsi qu'à l'Andorre, Monaco, Saint-Marin et la Turquie de bénéficier d'une zone commerciale régionale de libre-échange : les droits de douane ne s'appliquent pas aux frontières à l'intérieur de l'UE, les droits de douane et les règles sur les marchandises en provenance d'autres pays de l'UE sont identiques pour tous les États membres. Cette union concerne particulièrement les relations entre la Turquie et l’Allemagne. Ces deux pays ont une histoire commune. Suite à la défaite commune de la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman et l’Empire allemand deviennent des républiques. Plus tard, en 7 CAUTRÈS Bruno et MONCEAU Nicolas, La Turquie en Europe : l’opinion des Européens et des Turcs, Presses de Sciences Po, 2011 (introduction) 9
1961, la toute récente République fédérale d’Allemagne (RFA) fait venir de la main d’œuvre de Turquie, notamment dans l’industrie, ce qui renforce les relations entre les deux États8. Le 14 avril 1987, la Turquie demande officiellement son adhésion à la Communauté économique européenne (CEE)9. Elle devient officiellement candidate lors du sommet européen d'Helsinki le 12 juillet 1999. L’ouverture des négociations, le 3 octobre 2005, précède une longue période de débats sur la question de l'adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Comme nous l’avons vu dans ce rappel historique, la Turquie du XXe siècle s’est résolument orientée vers l’Occident, à la fois en fondant un État-nation centralisé, démocratique et moderne, mais aussi en s’inscrivant dans le mouvement de fondation de l’Europe de l’après-guerre, notamment celle de la Convention européennes des droits de l’Homme, que la Turquie ratifie en mai 1954, et celle des Traités de Rome de mars 1957. Cependant, cette orientation éclaire la crise actuelle : en voulant être reconnue par l’Europe comme un Etat moderne, « turquisé », et occidentalisé, la Turquie a compris aussi que l’Europe a semblé différer le projet d’une véritable adhésion. Tel est le paradoxe de la relation entre la Turquie et l’UE : n’est-il pas celui d’une relation ambiguë de rapprochement déterminé et d’éloignement inquiet ? Plus qu’un rapprochement, la Turquie a fait le choix déterminé d’adhérer. Selon l'article 49 du traité sur l'Union européenne, traitant la politique d'élargissement, tout État qui respecte les mesures requises par l'article 2, sur les questions de la démocratie, de l'État de droit ou des droits de l'homme peut devenir membre de l'UE. Le projet d'adhésion se compose de diverses étapes, à commencer par le dépôt de candidature, qui est ensuite examiné par le Conseil de l'Union européenne, après que la Commission européenne a donné son avis et que le Parlement européen a approuvé la demande de candidature. Les conditions nécessaires à l'adhésion sont d'être un État, d'être « européen », c'est-à-dire appartenir à l'Europe géographiquement, dont les frontières sont par ailleurs très floues, et respecter les valeurs de l'UE. Une fois l'État devenu officiellement candidat, il reçoit une aide financière de l'UE pour lui permettre de répondre aux critères d'adhésion, comme par exemple, une économie de marché viable. L'ouverture des négociations consiste à examiner si les critères politiques, économiques et l'acquis communautaire, fixés lors du sommet de Copenhague de 1993 sont remplis ainsi que les critères d'intégration ajoutés en 2006. Notons que les critères d'acquis communautaires sont regroupés dans 35 chapitres, que la Commission européenne est chargée d'examiner. Le résultat des négociations est formulé dans un traité d'adhésion, qui doit être approuvé par le Conseil européen et accordé par le Parlement européen. Le traité est ensuite signé par les États membres et le pays candidat. Une fois le traité en vigueur, le pays devient officiellement membre de l'UE10. Tel est le long processus que la Turquie a entrepris, comme nous l’avons évoqué supra. Quand commence le début des négociations le 3 octobre 2005, les motivations de la Turquie et de l’UE vont être plurielles jusqu’aujourd’hui. Des motivations économiques et 8 KUNDNANI Hans et ZIEBARTH Astrid, « Entre l’Allemagne et la Turquie, l’enjeu des réfugiés », Le Monde diplomatique, janvier 2017 9 BELHADI Sarah, « La Turquie a-t-elle encore envie d’être européenne ? », latribune.fr, 25 juin 2015 10 « Les étapes d’adhésion à l’Union Européenne », touteleurope.eu, 13 juillet 2016 10
démographiques d’abord. Malgré l’environnement instable dans lequel se trouve la Turquie, aux portes de Daech et malgré le conflit intérieur de l’État turc avec le territoire kurde, l’économie reste solide, avec une croissance du PIB qui était de 4 % en 2015, ce qui est supérieur à bien des pays d’Europe, comme par exemple la France, dont la croissance du PIB était de 1,1 % cette année là. Il faut malgré tout nuancer : la Turquie a surtout connu une forte croissance de 2002 à 2012 avec un taux de croissance s'élevant à 8,9 % en 2010 et à 8,5 % en 2011. Aussi, si l'on compare aux 4 % de l'année 2015, on peut noter une baisse du PIB depuis cette période11. En 2004, le Parlement européen stipule que la croissance économique de la Turquie permettrait de relancer l’économie des exportations des États membres. Dans ce sens, pour Nicolas Monceau, maître de conférence à l’université de Bordeaux, l’intégration de la Turquie dans l’UE permettrait de renforcer les échanges économiques entre les deux puissances, l'UE étant le premier partenaire commercial de la Turquie, avec les États-Unis et la Russie12. Le taux d'exportations de la Turquie vers l'Europe était de 46,2 % en 2010 et le taux d'importation de l'UE vers la Turquie était de 38,9 %. Un argument supplémentaire est que la Turquie représente la sixième puissance économique européenne dans le cadre de l'Union douanière, dont le pays est membre depuis 199613. Les échanges commerciaux et sociaux entre l'UE et la Turquie sont représentés par le tourisme et les flux migratoires. La Turquie, en tant que treizième destination touristique au monde est l'un des pays les plus visités par les Européens, les Français en particulier. S'ajoute à cela le poids démographique de la population turque, qui représenterait une main d’œuvre importante pour les pays européens comme l'Allemagne, dont le taux de natalité et la population active a diminué. Les Turcs émigrés représentent ainsi une communauté importante en Europe et surtout en Allemagne, où elle atteint trois millions et demi d'habitants. D'ailleurs, dans les années 1960 déjà, 2,8 millions de Turcs ont émigré vers l'Allemagne pour des raisons économiques, et dans les années 1980 pour des raisons politiques, après le coup d'état de 1980 notamment. Il s'agissait alors de militants d’extrême gauche, de religieux ou de Kurdes. Cela dit, les motivations géopolitiques de sécurité et de défense sont aussi très fortes. La Turquie14 pourrait profiter à la politique étrangère et de sécurité et de défense (PESD) de l’UE. En effet, la puissance militaire et le budget de défense de la Turquie sont importants et jouent un rôle important dans la défense de l’Europe, notamment concernant les régions du Caucase, de l’Asie centrale, Israël, l’Iran, l’Irak ou la Syrie. Le niveau de défense militaire turque est même considéré comme un modèle pour les pays voisins. Dans le cadre de l'OTAN, la puissance militaire turque a montré l'efficacité de son mode d'intervention, ce qui constitue d'ailleurs un avantage pour l'entrée de la Turquie dans l'UE. De plus, le Royaume-Uni et l’Italie considèrent la Turquie comme un atout du fait de sa 11 “Turquie, croissance de 4 % du PIB”, lefigaro.fr, 31 mars 2016 12 DEMETZ Jean-Michel, « Pour ou contre la Turquie dans l’union ? », lexpress.fr, 31 mai 2004 13 SALLON Hélène, « Le long chemin à l’adhésion à l’Union européenne », lemonde.fr, 29 janvier 2014 14 MONCEAU Nicolas, L’Europe au miroir de la Turquie, Harmattan, automne 2009 11
position stratégique entre l’Orient et l’Occident15. La Turquie recherche une stabilité régionale que l’UE pourrait lui apporter, face à l’instabilité de l’Irak, du Pakistan, de la Syrie, de l’Arabie Saoudite, face à la criminalité de l’Afghanistan et la menace de l’Iran qui souhaite se doter de l’arme nucléaire. La PESC (Politique Etrangère de Sécurité Commune) et la PESD (Politique Européenne de Sécurité et de Défense) intéressent également la Turquie, en cas de désengagement des Américains de l’OTAN, ce qui impliquerait une perte de soutien de la puissance américaine dans la région. Cette « normalisation »16 implique une réforme dans l'armée, une politique d’interventionnisme en Irak et au Kurdistan, ainsi que face aux Kurdes du PKK, pour s'aligner sur la PESC, afin de garantir la stabilité régionale. Ces motivations ont également des aspects géostratégiques. La Turquie entretient des relations étroites avec l'Europe depuis la seconde moitié du XXe siècle, car elle est membre de plusieurs organisations européennes comme le Conseil de l'Europe, la Cour européenne des droits de l'homme ou encore les organisations occidentales que sont l'OTAN et l'OCDE L'adhésion de la Turquie permettrait aussi de renforcer l'influence de l'Europe dans les pays musulmans, tels que la Syrie, l'Iran et l'Irak. La Commission, chargée de suivre l'évolution des négociations d'adhésion entre la Turquie et l'UE, va dans ce sens, en déclarant que la Turquie « forme un pont entre nos deux civilisations », et l'intégration des 15 millions17 de musulmans d'Europe est un enjeu sociétal majeur. Et en effet, la Turquie a une influence sur le monde arabe en tant que membre de l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI), qui est la deuxième plus grande organisation intergouvernementale après l'Organisation des Nations Unis (ONU). La Turquie permettrait ainsi à l’UE d’étendre son influence sur les pays du Moyen- Orient, auxquels l’AKP, parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002 accorde de l’importance. S’ajoute à cela la position stratégique de la Turquie vis-à-vis des ressources énergétiques, permettant à l’UE d’y avoir accès. De son côté, la Turquie devra respecter les mesures de la PESC, en tant que candidat à l’adhésion à l’UE. En 2008, elle avait signé 109 des 124 déclarations de la PESC selon le rapport de suivi sur la Turquie. Enfin, la Turquie est aussi motivée pour des raisons politiques et sociétales. Les motivations d'adhésion ne concernent pas seulement la politique extérieure de sécurité, de défense et d'influence mais aussi la politique intérieure. La Turquie représente un modèle pour les pays arabes parce que c'est un État dont la religion dominante est l'Islam mais qui est laïque. De plus, il représente un modèle démocratique par son système électoral libre, dont les élections ne sont pas truquées. Aussi, les efforts pour répondre aux critères d'adhésion de l'UE ont-ils été un prétexte à l'amélioration du niveau de vie en Turquie ainsi que à sa modernisation. C'est la raison pour laquelle la Turquie a réalisé des réformes entre 2002 et 2004 consacrées à la démocratie, aux droits de l'homme, aux libertés fondamentales, l'économie et au système bancaire. La peine de mort est abolie en 2002, et 20 % des articles de la Constitution ont été amendés. Des évolutions ont également eu lieu concernant les libertés, comme celles sur les 15 KAFYEKE Chantal, L’adhésion de la Turquie à l’Union européenne : enjeux et état du débat, Courrier hebdomadaire du Crisp, 2006 (en ligne) 16 MONCEAU Nicolas, L’Europe au miroir de la Turquie, Harmattan, automne 2009 17 MONCEAU Nicolas, L’Europe au miroir de la Turquie, Harmattan, automne 2009 (interview d'Olli Rehn dans le Figaro le 30 mai 2007) 12
associations, les partis politiques ou la presse. Ces efforts constituaient jusqu'alors des arguments favorables à l'adhésion de la Turquie La Turquie et l’Union Européenne ont donc des motivations réciproques concernant l’adhésion turque à l’Europe, ou du moins un véritable rapprochement. Mais, dans le même temps, des résistances mettent les deux espaces à distance. D’abord, les opinions publiques sont divisées. Les opinions des citoyens européens et turcs ont permis de légitimer la perception du processus d'adhésion. Selon un sondage réalisé en 2008, 67 % des Européens rejetaient l'idée d'une adhésion de la Turquie en Europe. Même si, selon les pays, les opinions sur la question restent partagées, du fait de la diversité culturelle et des relations historiques avec la Turquie, c’est surtout l' « identité européenne » qui constitue un critère essentiel des débats de l'opinion publique européenne. Côté turc, l’opinion est nettement favorable. C’est ce que précise Nicolas Monceau, spécialiste des opinions européennes : « à l’automne 2003, plus de deux citoyens turcs sur trois estiment que l’adhésion de la Turquie à l’UE serait « une bonne chose » (67%) tandis que seulement un citoyen turc sur dix jugerait celle-ci comme une « mauvaise chose (10%).»18. D’ailleurs l’image de l’UE véhiculée dans l’opinion publique turque est très positive : Nicolas Monceau note ainsi qu’ « à la question « En général, avez-vous une image très positive, assez positive, neutre, assez négative ou très négative de l’Union européenne ? », plus de la moitié des citoyens turcs déclarent durant l’automne 2003 avoir une image très ou assez positive de l’UE (54%), tandis que 23% en ont une image neutre et 19% une image assez ou très négative. »19. Si la perception qu’ont les citoyens turcs de l’UE est ainsi positive, cela tient surtout, selon N. Monceau, à la « la dimension économique et sociale du processus d’intégration européenne ». L’espace communautaire européen semble avant tout perçu comme une source de prospérité et une garantie de richesse pour les personnes interrogées. Les trois plus importantes significations qui viennent à l’esprit des citoyens turcs concernant l’UE sont la « prospérité économique » (65%), la « protection sociale » (58%), et la « liberté de circulation au sein de l’UE » (48%)20. Concernant la culture et la religion, l'entrée d'un pays musulman au sein d'une Europe chrétienne est contestée par des mouvances islamophobes : la Turquie est comparée à un “cheval de Troie islamiste” selon l’expression d’Alexandre del Valle21. Selon cette opinion, la stratégie du régime turque aurait été de tenter d'introduire les valeurs de l'Islam au sein de l'Europe, notamment en autorisant le foulard islamique dans les universités et la fonction publique alors que l'État est laïc. Le projet d'adhésion serait donc un moyen de rejeter les principes du kémalisme. Au contraire, le député allemand du parti des Verts, Cem Ozdemir, d'origine turque considère que «sans être un modèle, une Turquie dans l'Union aidera à la contagion des idées et valeurs démocratiques dans l'espace arabe», elle serait donc comparable à un « cheval de Troie de l'Occident »22 dans l’espace arabe. 18 MONCEAU Nicolas, « L'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et l'opinion publique turque », CEMOTI, 2003, juillet-décembre 2003 (36), pp.63-90, https://halshs.archives- ouvertes.fr/halshs-00366841 soumis le 9 mars 2009, p. 10 19 MONCEAU Nicolas, ibid. p. 15 20 MONCEAU Nicolas, ibid. p. 17 21 DEMETZ Jean-Michel, « Pour ou contre la Turquie dans l’union ? », lexpress.fr, 31 mai 2004 22 Ibid. 13
La démographie turque est aussi source d’inquiétude pour l’Europe. La démographie de la Turquie, de l'ordre de 79,8 millions d'habitants, selon les chiffres de 2017, inquiète notamment l'Allemagne. En effet, la population turque pourrait atteindre les 85 à 100 millions d'ici 202423. Selon Angela Merkel, le poids démographique de la Turquie se traduirait par un poids politique important au sein du Parlement, car le pays serait représenté par le nombre de députés le plus important. Par conséquent, les pays ayant moins de députés auraient encore moins d'influence sur les décisions européennes. D’ailleurs, les opinions publiques européennes craignent le phénomène d'immigration qui accompagnerait l'ouverture des frontières de l'Europe aux Turcs : c’est tout l’enjeu de la question des visas dont la Turquie souhaite obtenir la libéralisation pour ses concitoyens afin d’accéder à l’espace Schengen Mais, comme le remarque Cécile Ducourtieux du Monde (17/12/2016) « la Turquie ne devrait pas non plus obtenir rapidement la libéralisation des visas, promise à ses ressortissants voulant se rendre dans l’espace Schengen. Les Européens avancent que les autorités turques n’ont pas amendé leur législation antiterroriste. Même si elles se conformaient aux demandes de Bruxelles, un accord resterait difficile, dans le contexte, notamment, de la présidentielle française. »24. Enfin, la division traverse aussi l’UE elle-même. Concernant les enjeux politiques, certains membres de L’UE accusent la Commission européenne de privilégier l'élargissement à l'approfondissement en cherchant à agrandir le territoire européen au lieu de raffermir ses institutions au sein de l'Europe, de maintenir sa cohésion. Aussi, les États membres ont des avis différents : le Royaume-Uni, et l'Irlande étaient les plus favorables à l'adhésion, ainsi que la Suède et la Finlande et l'Espagne et le Portugal. La France et Allemagne sont les principaux opposants au projet, notamment depuis la présidence de Nicolas Sarkozy et la chancellerie d’Angela Merkel. Sur un plan diplomatique, la question chypriote et la question kurde divisent et éloignent la Turquie et l’UE. Des problèmes d'ordre territorial de posent en raison de la non reconnaissance par Ankara de la République de Chypre. Cette île est divisée en deux zones, l'une grecque et l'autre turque, non reconnue par la communauté internationale, depuis l'invasion de la partie nord par les Turcs en 1974. En 2004, en vue du processus d'intégration de la Turquie à l'UE, le plan de Kofi Annan établi en 1992, qui visait à réunir les deux parties de l'île au sein d'une République de Chypre fédéraliste, est soumis au vote des Chypriotes : il est rejeté par 75 % des Chypriotes grecs et approuvé par 65 % des Chypriotes turcs. Faute d'accord entre les deux communautés, seule la partie grecque est intégrée à l'UE cette même année25. Concernant les droits de l'homme, la question kurde fait partie des principales raisons d'opposition au projet d'intégration de la Turquie. Enfin, la France et la mémoire du génocide arménien reste un point de clivage. Cet enjeu de mémoire occupe une place importante dans le rejet de l'adhésion, notamment en France, qui demande la reconnaissance du génocide des Arméniens, perpétré en 1915 par l'Empire Ottoman, mais non officiellement reconnu par le gouvernement turc. 23 Ibid. 24 DUCOURTIEUX Cécile, « UE-Turquie, un sommet pour tenter de maintenir le dialogue », lemonde.fr, 17 décembre 2016 25 FORT Marie-Antide, « Chypre, l’impossible réunification ? », turquieeuropeenne.eu, 20 juillet 2012 14
Vous pouvez aussi lire