TERREUR, RÉVOLUTION ET THE DARK KNIGHT RISES - CECRI

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TERREUR, RÉVOLUTION ET THE DARK KNIGHT RISES - CECRI
Numéro 2 - 20 janvier 2018

                  THE DARK KNIGHT RISES
                 TERREUR, RÉVOLUTION ET
                   MYTHE D’UNE NATION
                                                     Rodrigue DELRUE
                                             Graduate student - International Relations
                                                 Université catholique de Louvain

        « L’idée l’a traversé, comme      The Dark Knight, 2008 [2e opus] ; In-           s’échapper et à vaincre Bane (après
pour toi et moi, et il a été le premier   ception, 2010 ; Interstellar, 2014). Le         une bataille finale impliquant poli-
Batman. Et il est resté Batman long-      réalisateur co-scénarise le projet au           ciers de Gotham, pro-Batman, et la
temps… Jusqu’à ce qu’il devienne          côté son frère Jonathan. Le film est            milice du terroriste, anti-Batman),
vieux et fatigué et que la ville soit     chapeauté par une co-production an-             sauvant ainsi la ville du mal.
en paix. Depuis, il y a eu presque dix    glo-américaine4.
générations de nous. Il y a eu bien des                                                   Après sa sortie, le film est plongé
menaces… Mais il y a aussi toujours       L’histoire se déroule dans la ville fic-        dans controverse : le ‘Batman’ de No-
eu un Batman pour les combattre. »        tive de Gotham (inspirée de New                 lan serait réactionnaire. Par ailleurs,
                                          York) huit ans après les événements             Bane, l’ennemi principal, est récupéré
26e Batman.
                                          du Dark Knight. Bruce Wayne (Chris-             comme avatar du mouvement an-
S. SNYDER, S. MURPHY, M. HOLLING-         tian Bale), dilettante millionnaire de          ti-establishment Occupy Wall Street.
SWORTH, J. LEE, « Vingt-Sept », DC        jour, justicier de nuit sous les traits du      Comment l’œuvre de Nolan a-t-elle
Comics, 2015, Coll. Detective Comics,     Batman, s’est retiré de la lutte contre         réussi à soulever un débat au sein du
n°2                                       le crime. Huit années plus tôt, un ami          peuple américain ? Bruce Wayne est-
                                          de Wayne, le procureur Harvey Dent              il simplement conservateur ? Quels
          The Dark Knight Rises (TDKR)    (Aaron Eckhart), s’était laissé corrom-         éléments du film ont parlé au peu-
sortait dans les salles obscures le 20    pre par le Joker (Heath Ledger) – ri-           ple américain ?... Agrégés ensemble,
juillet 20121 dans un contexte pour le    val de Batman par excellence – tuant            ces interrogations donnent lieu à une
moins houleux. Le même jour, dans         plusieurs officiers de police. Le Che-          question plus englobante : quels sont
un cinéma d’Aurora (Colorado), une        valier Noir5 endossa la responsabilité          les représentations et mythes collec-
tuerie causée par un jeune homme de       des crimes de Dent afin de mainte-              tifs véhiculés par le positionnement
24 ans se faisant passer pour le Joker    nir la validité d’un acte rédigé par ce         politique du film The Dark Knight Ris-
teinta de rouge la diffusion améric-      dernier, permettant de faire enfer-             es ?
aine du film. Cela ne l’empêchera pas     mer une majorité de la pègre de Go-
d’engranger un succès important,
classant le film au troisième rang des
                                          tham. Alors reclus dans son manoir,                     SuperhéroS,         mytheS,
                                          une nouvelle menace apparait : Bane
meilleurs week-end d’ouvertures de                                                        repréSentationS          et     poli-
                                          (Tom Hardy)6, un mercenaire-terror-
l’histoire du cinéma2. De plus, il fera   iste souhaitant voir la destruction de          tique
partie pendant un certain temps des       Gotham et de Batman. Face à cette
dix plus grands succès du grand écran     menace, Wayne ne peut rester de                          Selon Kracauer, le cinéma
avec un box-office estimé à un milliard   marbre et reprend son costume pour              permet, plus que toute autre forme
de dollars3. Le film est le troisième     sauver la ville. Bruce est fait prison-         de média, de refléter la mentalité
opus d’une trilogie consacrée à Bat-      nier après un premier combat perdu              d’une nation. L’auteur allemand jus-
man réalisée par Christopher Nolan        face au terroriste, laissant Gotham             tifie ce postulat de la manière suiv-
(Memento, 2000 ; Batman Begins,           sous le joug de Bane. Cependant,                ante : 1) les productions cinémato-
2005 [1er opus] ; Prestige, 2006 ;        Batman, rompu à la survie, réussira à           graphiques ne sont jamais le travail
                                                                                                                                    1
TERREUR, RÉVOLUTION ET THE DARK KNIGHT RISES - CECRI
d’un seul homme, elles font appel à        tant que vecteur des représentations        et mythes collectifs véhiculés par le
une pléthore de personnes où chacun        mentales politico-socio-culturelles         positionnement politique du film The
peut apporter son humble contribu-         américaines9.                               Dark Knight Rises ?
tion – pour peu que les producteurs et
réalisateurs tendent l’oreille ; 2) dans   Les récits développés au cinéma et                  terreur   anti-Es-
                                                                                                             et
                                           dans les comics sont ici entendus
un jeu de socialisation, Hollywood et                                                  tablishmEnt chez un cheva-
le grand public se renvoient la balle :    selon l’une des assertions de Litz
                                           stipulant que : « si […] tout récit est     lier noir réac’
à court terme les studios de cinéma
délivrent des productions qu’ils veu-      la représentation d’un événement
                                                                                                La culture populaire – tant
lent voir désirées par le public, mais     (fictif ou réel), tout récit pourra alors
                                                                                       dans les comics qu’au cinéma – a tou-
à long terme c’est ce que l’audience       être porteur de mythes, qu’il soit
                                                                                       jours été mêlée à la politique. Les œu-
souhaite voir qui caractérise la na-       une pure fiction […] ou strict compte       vres relevant de la pop culture sont
ture des films. Ainsi le cinéma est-il     rendu de fait divers »10 – où le mythe      donc un moyen effectif pour prendre
le reflet des représentations de l’in-     peut être compris, en combinant les         la température de l’opinion publique
conscient collectif d’une nation – une     définitions de Morin11 et Eliade12,         et – comme mentionné précédem-
disposition psychologique en deçà de       comme un récit imaginaire revêtant          ment – d’analyser les représentations
l’état de conscience – où chaque film      une facette de sacré entendu com-           politiques d’une époque donnée19.
brosse un tableau de la psychologie        me vrai par un groupe de personnes,         Dans son ouvrage War, Politics And
historico-politique de son temps7.         ancré dans la mémoire collective13. Si      Superheroes, DiPaolo propose trois
                                           les mythes portent en eux une fac-          éléments définissant le positionne-
Si le sociologue allemand voit le          ette sacrée, c’est parce qu’ils furent,     ment politique d’un film : le poids
cinéma comme le meilleur média             en des temps reculés, des histoires         politique, les thématiques abordées
pour véhiculer l’inconscient collectif     répondant aux angoisses existenti-          et le ton. Le poids politique de l’œu-
d’une nation, sa théorie peut être         elles de notre création en faisant ap-      vre est déterminé par le degré de
aujourd’hui transférée aux comics,         pel à des Etres Surnaturels14. L’avène-     centralité du message politique, tan-
un style de bande dessinée propre          ment de la science replaça le discours      dis que la facette progressiste-réac-
à la culture américaine. D’une part,       explicatif de la création du monde          tionnaire est facteur de la manière
la plupart des comics sont confec-         (et de l’homme), laissant certains          dont un film aborde les thématiques
tionnés par des panels d’auteurs :         mythes au placard de l’imaginaire           de classes sociales, de l’image de la
                                                                                       femme, de minorités, de nature, de
plusieurs scénaristes et dessinateurs      collectif15. Néanmoins, cela ne signi-
                                                                                       violence et de sexualité. Une focale
collaborent ensemble sur un seul           fie pas que les mythes ont disparu.
                                                                                       sera donnée ici aux thématiques les
tome, chacun apportant sa pierre           Moins prégnants que par le passé, ils
                                                                                       plus saillantes de TDKR : la violence
à l’édifice – l’éditeur en chef ayant      sont repris dans les médias au sein         et les classes sociales. De plus, le ton
également son mot à dire dans le           d’un processus de réactualisation           est crucial dans la lecture politique
processus de création. D’autre part,       constant16. A cet égard, van Ypersele       d’une œuvre pour déterminer si une
les maisons d’éditions américaines         note que « […] les récits mythiques         œuvre verse dans le littéral ou la sa-
(Detective Comics, Marvel…) font           ne sont plus aussi unifiés qu’autre-        tyre subtile20. Voyons d’un peu plus
souvent appel au public afin de dé-        fois. […] Cette dispersion de la dimen-     près le premier élément, le poids
terminer quels comics, héros ou his-       sion mythologique dans le monde             politique de l’œuvre.
toires devraient prendre le devant         contemporain explique pourquoi
de la scène. Au fil des ans, les com-      les historiens préfèrent de plus en         De prime abord, Christopher Nolan
ics – en particulier ceux centrés sur      plus parler de ‘système de représen-        n’apparait pas comme étant un réal-
                                                                                       isateur engagé ou politisé. En 2012,
des superhéros – se sont détachés de       tations collectives’ plutôt que de
                                                                                       il confiera au magazine Rolling Stone
leurs auteurs originels pour passer        ‘mythes’. »17 Les histoires des comics
                                                                                       que s’il est possible de faire des con-
entre les mains des meilleurs artistes     et du genre cinématographique su-
                                                                                       nections entre TDKR et l’univers poli-
et scénaristes anglosaxons, chacun         perhéros sont donc des récits grav-         tique, celles-ci demeurent purement
apportant son idéologie propre ainsi       itant autour de la figure mythique          fortuites – le but du réalisateur étant
que la représentation du monde de          d’un héros central qui réunit des           d’envoyer un message universel sans
leur temps. Aussi le comics se réac-       éléments de l’inconscient collectif,        aliéner quiconque21. Cela étant, si
tualise-t-il constamment, illustrant la    permettant aux lecteurs/spectateurs         Christopher Nolan se perçoit comme
mentalité d’une époque déterminée          de s’y identifier et de construire leurs    un conteur d’histoires universelles,
– une thématique développée en fil-        identités tout en calmant les angoiss-      son œuvre n’est pas moins marquée
igrane de l’ouvrage Les Chroniques         es contemporaines (politiques, socia-       par la centralité d’un message poli-
de DC Comics de Cowsill, Irvine,           les ou encore existentielles) qui les       tique. En filigrane, The Dark Knight
Manning et alii8. D’ailleurs, vers la      taraudent18. TDKR n’échappe pas à la        Rises apparait comme une œuvre
fin du XXe siècle, le genre cinémato-      règle. Il est ainsi possible de dévelop-    réactionnaire dépeignant les ango-
graphique superhéros – inspiré des         per la question suivante en toile de        isses d’une Amérique post-11 sep-
comics – a surclassé le western en         fond : quels sont les représentations       tembre 2001 meurtrie par le krach

                                                                                                                                  2
boursier de 2008.                            de The Dark Knight Rises, un glisse-      le terrorisme moderne prend racine34
                                             ment s’est opéré. La représentation       ; The Cult, comics dans lequel le Dia-
Les attentats du 11 septembre 2001           collective de la peur du terrorisme       cre Blackfire lève une armée de sans-
et la guerre contre le terrorisme ont        se fond maintenant dans un ensem-         abris pour éconduire et assassiner
profondément marqué Hollywood et             ble plus grand, la terreur des révo-      des politiciens de Gotham ; et Knight-
le genre superhéros22. A cet égard,          lutions – un mythe puisé à la fois        fall où Bane, après avoir vaincu Bat-
Batman, aussi bien dans sa dimension         dans les comics éminemment poli-          man, instaure sa loi sur la ville. Aussi
littéraire que cinématographique, a          tiques ayant inspiré Nolan pour le        The Dark Knight Rises réactualise-t-il
toujours mis la terreur à l’honneur23,       troisième volet sur Batman (The Cult,     la représentation collective faite des
une thématique magnifiée dans la             1988 ; The Dark Knight Returns, 1989      révolutions et de ses déviances ter-
trilogie du Chevalier Noir. Un encart        ; Knightfall, 1998 ; No Man’s Land,       rorisantes.
sur le premier film apparait néces-          1999), dans A Tale of Two Cities de
saire : dans Batman Begins (1e opus          Dickens (1859)27 et dans le contexte      Si le « printemps arabe » et le mythe
sorti en 2005), l’ennemi principal           politique international entourant la      de la terreur des révolutions peu-
était l’ancien mentor de Batman,             production de l’œuvre. Ce faisant,        vent être perçus comme étant l’in-
Ra’s al Ghul (La Tête du Démon en            TDRK conjugue le passé au présent.        fluence majeure de TDKR, l’évolution
arabe), le chef de la société secrète                                                  des représentations du traumatisme
(et terroriste) la Ligue des Ombres.         Au moment où The Dark Knight Rises        post-11 septembre et du terrorisme
Le Démon désire détruire Gotham,             est en production (2011-2012)28, des      international n’en demeure pas
emblème de la décadence humaine.             mouvements arabes pro-démocratie,         moins charnière. Sur le plan pure-
Son projet ? Instiller la peur au cœur       plus tard désignés par les médias com-    ment narratif, The Dark Knight Rises
de la ville par le biais d’un gaz halluci-   me le « printemps arabe », prennent       reprend bon nombre d’éléments de
nogène tout en réduisant en miette la        forme et s’affirment au Maghreb ain-      Batman Begins. Comme tout bon
Wayne Tower, symbole de l’opulence           si qu’au Moyen-Orient29. Entamé en        film de superhéros qui se respecte35,
de la ville. Aussi est-il difficile de pas   2010 en Tunisie30, le « printemps ara-    le premier opus offre une échappa-
faire un parallèle avec Oussama Ben          be », dans un effet domino, va s’éten-    toire au monde réel meurtri par le
Laden, Al Qaida et la destruction du         dre à d’autres Etats jusqu’à atteindre    11 septembre en créant un univers
World Trade Center24. Finalement,            la Syrie en 201131 ; TDKR se fait mét-    alternatif où le World Trade Cen-
Ben Laden et Ra’s partagent un cer-          aphore de ces événements. Ainsi est-      ter (Wayne Tower) n’est pas tombé.
tain nombre de traits communs, tant          il possible de voir l’ordre établi dans   Similairement, ‘Begins’ montrait le
dans leurs discours que dans leurs           le deuxième opus (The Dark Knight)        démantèlement de la Ligue des Om-
manières de s’en prendre à Gotham/           comme une forme de régime dicta-          bres (Al Qaida) – symboliquement
New York ou encore dans la diaboli-          torial dont Batman serait le dirigeant    illustré par la mort de Ra’s al Ghul
sation faite de ceux-ci – imagée par         – une thématique abordée dans             (Oussama Ben Laden). Concernant ce
le nom de Ra’s, « La Tête du Démon           le comics The Dark Knight Returns         passage allégorique, Batman Begins
»25. La symbolique de la peur du ter-        (1989) où le Chevalier Noir est dé-       anticipait, sans le savoir, l’élimination
rorisme est puissante tout au long           peint sous les traits d’un fasciste. De   de Ben Laden en 201136 – année du
du film26, illustrée, entre autres, par      même, Bane incarnerait l’image d’un       tournage de TDKR. Par ailleurs, ce
le gaz hallucinogène utilisé par le          révolutionnaire voulant rendre Go-        n’est pas parce que Ben Laden est
Démon, révélateur des angoisses in-          tham City au peuple, comme le mon-        éliminé (ou qu’une guerre contre le
conscientes des bons citoyens de Go-         tre son discours devant la prison de      terrorisme est en cours) qu’Al Qaida
tham. De plus, et a contrario de l’in-       Blackgate32 : « We take Gotham from       a pour autant disparu. Ainsi découv-
terview de Rolling Stone pour TDRK,          the corrupt. The rich. The oppressors     rons-nous au fil de l’intrigue de The
Nolan reconnait que ‘Begins’ est à           of generations who’ve kept you down       Dark Knight Rises que Bane n’est au-
l’image des temps troublés contem-           with the myth of opportunity. And we      tre que l’héritier spirituel de Ra’s al
porains – néanmoins, il ajoutera que         give it back to you, the people. Go-      Ghul voulant compléter l’œuvre de
les liens avec ces troubles lui sont         tham is yours - none shall interfere.     son maître. D’ailleurs, lorsque Bruce
venus de manière inconsciente. Ainsi         Do as you please... » Cette image de      Wayne est grièvement blessé à la
pouvons-nous voir en Batman Begins           révolutionnaire se retrouve jusque        suite de son premier combat contre
l’illustration de l’angoisse collective      dans le costume de Bane, le manteau       Bane, une vision du Démon lui appa-
générée par le 11 septembre.                 épousant la découpe de ceux ses ho-       rait : « I told you I was immortal […].
                                             mologues militaires du XVIIIe siècle33.   There are many forms to immortali-
Sept ans et un Joker plus tard, The          Toutefois, après la prise de pouvoir      ty. »37 Cette citation fait en quelque
Dark Knight Rises s’inscrit clairement       de Bane, une forme de « terrorisme        sorte écho à l’un des discours de Ben
dans le prolongement des représen-           d’Etat » est mis en place ; Etat dans     Laden, assurant que la lutte d’Al Qa-
tations établies lors du premier volet       lequel les opposants au mercenaire        ida dépassait l’organisation même et
de la trilogie. Toutefois, si l’image de     sont sommairement exécutés par            perdurerait dans le temps38. De plus,
la terreur est omniprésente dans le          des tribunaux révolutionnaires. Ces       le nom même de Bane est lourd de
troisième opus, sa dimension sym-            éléments sont inspirés par : A Tale       sens, signifiant le fléau en anglais ;
bolique est bien moins prégnante             of Two Cities de Dickens, relatant la     un fléau qui au-delà de la destruc-
que chez ses prédécesseurs : au sein         période de la Terreur (1793-1794) où      tion de Gotham désire briser Bat-
                                                                                                                                   3
man physiquement et mentalement.           de superhéros peuvent être réparties       discours de Bane lors de son inaugu-
A ce propos, Bane réussira à broyer        en trois branches : « establishment,       ration le 20 janvier 2017. Une inau-
physiquement Batman après l’avoir          anti-establishment et colonial. »43        guration qui sera surnommée « The
décontenancé en lui rélévant qu’il         Le film appartient clairement à la         ‘Dark Knight’ Inauguration » par un
connait sa véritable identité et l’en-     première catégorie. Dans celle-ci, le      journaliste du New York Times48. Les
droit où il entrepose son arsenal.         superhéros cherche à maintenir le          similitudes des deux allocutions sont
De même, le Fléau tentera de briser        statu quo, défendant sa ville face à       juxtaposées ci-dessous :
mentalement Wayne en le forçant à          une myriade d’ennemis comprenant
regarder la destruction de Gotham          notamment des terroristes. En effet,       « […] Today we are not merely trans-
depuis une prison, jouant sur la peur      The Dark Knight Rises suit exacte-         ferring power from one Administra-
d’une vision de terreur. En ce sens,       ment ce schéma : après huit ans sans       tion to another, or from one party
Bane célèbre un autre élément de           criminalité, l’arrivée du terroriste       to another – but we are transferring
la représentation mentale du ter-          Bane change la donne, forçant Bat-         power from Washington, D.C. and
rorisme : « sa capacité à frapper par      man à reprendre du service. La vo-         giving it back to you, the American
surprise et sa bonne connaissance de       lonté de maintenir le statu quo est        People. For too long, a small group
nos faiblesses.39 »                        illustré lorsque Bruce Wayne, alors        in our nation’s Capital has reaped
                                           enfermé dans la prison de Bane, dis-       the rewards of government while the
Nous apprenons également que Bane,         cute avec son geôlier44 de sa peur de      people have borne the cost. […] The
jugé trop extrême, avait été excom-        la mort : « I fear dying in here while     establishment protected itself, but
munié de la Ligue des Ombres avant         my city burns with no one there to         not the citizens of our country. […]
d’en reprendre le flambeau. Ainsi          save it. » De même, le besoin de           That all changes – starting right here,
TDKR illustre-t-il la fragmentation        sauver Gotham des terroristes prend        and right now, because this moment
d’Al Qaida et l’émergence de branch-       forme dans la phrase suivante de Bat-      is your moment: it belongs to you. […]
es davantage radicalisées40. Pour clô-     man lors de l’affrontement final : « I     Everyone is listening to you now. »
turer cette partie sur la représenta-      came back to stop you [Bane]. »
tion du terrorisme et de la terreur, il                                               Donald J. Trump49
est intéressant de voir que The Dark       Plus précisément, nous pouvons             « We take Gotham from the corrupt.
Knight Rises anticipa de deux ans la       dire que The Dark Knight Rises est         The rich. The oppressors of genera-
montée en puissance de Daech. Ef-          la métaphore d’un establishment            tions who’ve kept you down with the
fectivement, après avoir dérober de        réactionnaire face à un mouvement          myth of opportunity. And we give it
l’argent sur les marchés financiers41,     social anti-establishment. Pourquoi        back to you, the people. Gotham is
l’équipe du Fléau s’arroge l’arsenal du    réactionnaire ? C’est ici que le deux-     yours - none shall interfere. Do as you
Batman42 pour enfin faire sienne la        ième élément de la méthodologie            please... »
ville de Gotham et y régner en maitre      de DiPaolo entre en jeu, à savoir la
– représentant la nouveauté amenée         manière dont certaines thématiques         Bane
par Daech : la territorialisation « qui    socio-politiques sont abordées par
                                                                                      Cela étant, Batman (l’homme de
fait passer le terrorisme d’hier au        un film, en l’occurrence : la violence
                                                                                      l’élite), aidé de la police, finira par
rang d’opérations de guerre ». Aussi       et les classes sociales.45 A cet égard,
                                                                                      mater la révolution de Bane (l’hom-
pouvons-nous déceler en la bataille        l’appropriation du film faite par les
                                                                                      me du peuple). D’ailleurs, Batman
finale opposant les forces de Bane         classes sociales américaines appa-
                                                                                      bafouera sa seule règle : « ne jamais
aux forces de la police de Gotham,         rait pertinente. A la sortie de TDKR,
                                                                                      tuer. » Il le fait indirectement et sci-
l’image d’une opération de guerre.         le révolutionnaire Bane fut élu par
                                                                                      emment en laissant soin à la police de
                                           le mouvement anti-establishment
Finalement, en réinterprétant l’œu-                                                   dégainer ses armes pour attaquer la
                                           et anticapitaliste Occupy Wall Street
vre de Dickens, en s’inspirant de                                                     milice de Bane, donnant un caractère
                                           comme avatar cinématographique46.
comics à teneur politique, en puisant                                                 plus violent au film. Le but ultime du
                                           Le mouvement dit représenter les
dans l’image du terrorisme du 11                                                      Chevalier Noir n’est ni plus ni moins
                                           99% de la population américaine ne
septembre 2001 à Daech, Nolan tient                                                   de réprimer violemment la révolte
                                           supportant plus la corruption et la
sa parole. Il incarne bel et bien l’im-                                               de Bane et de restaurer l’ordre passé,
                                           vénalité du 1% restant – incluant pêle-
age d’un conteur universel apolitique                                                 conférant une valeur conservatrice à
                                           mêle politiciens et banquiers47. Ainsi,
dont l’œuvre charrie une symbolique                                                   l’œuvre de Nolan. En ce sens, Batman
                                           le discours prononcé par le Fléau face
politique sous-jacente. Le réalisateur                                                véhicule la terreur pour maintenir
                                           à la prison de Blackgate incarne-t-il
livre une vérité intergénérationnelle,                                                l’ordre, comme l’illustre cette phrase
                                           l’esprit anti-élite (bien établi dans le
image de la représentation collective                                                 du commissaire Gordon (Gary Old-
                                           mythe de la révolution) grandissant
de la violence politique et du mythe                                                  man) au policier John Blake (Joseph
                                           de par le monde au début des années
de la terreur qui s’en suit. La central-                                              Gordon-Levitt) : « There’s a point. Far
                                           2010. Parallèlement, il est remarqua-
ité du message politique est donc                                                     out there. When the structures fail
                                           ble de voir que le président Donald
bien présente.                                                                        you. When the rules aren’t weapons
                                           J. Trump, symbole de l’anti-establish-
                                                                                      anymore, they’re shackles, letting
                   *                       ment américain durant la campagne
                                                                                      the bad get ahead. Maybe one day
                                           présidentielle précédent l’élection
Selon DiPaolo, les histoires politisées                                               you’ll have such a moment of crisis.
                                           de novembre 2016, paraphrasera le
                                                                                                                                 4
And in that moment, I hope you have         reur. Selon Kavadlo51, le Batman de       fait partie des Pères Fondateurs de
a friend [Batman] like I did. To plunge     Nolan est caractérisé par un dilemme      Gotham – faisant allusion au mythe
their hands into the filth so you can       qui ne s’explique pas entièrement.        des Pères Fondateurs au sein même
keep yours clean. » Aussi la volonté        Le Chevalier Noir est sorte de Janus,     de l’exceptionnalisme américain56.
révolutionnaire est-elle détruite par       source d’ambiguïté : il protège au-       Dans ce comics, les Wayne veulent
une violence de l’establishment, in-        tant qu’il terrorise tout en nous ras-    instaurer une ville providentielle,
carnée par Batman et la police.             surant vis-à-vis du futur, notamment      faisant écho à la citation de John
                                            lorsqu’il finit par sauver Gotham du      Winthrop : « we shall be as a City
Néanmoins, catégoriser The Dark             joug de Bane. D’ailleurs, cette dualité   upon a Hill, the eyes of all people are
Knight Rises comme étant unique-            se retrouve également dans la nature      upon us. »57 Ces mythes de Père Fon-
ment réactionnaire serait une erreur.       politique de l’œuvre : tantôt réac-       dateurs et de nation providentielle
En effet, le film possède également         tionnaire, tantôt contestataire. Pour     transparaissent également au ciné-
quelques traits contestataires et pro-      répondre en profondeur au dilemme         ma, à la différence que le vecteur de
gressistes, cachés derrière les visages     de Kavadlo, citons Frank Underwood        providence n’est pas Gotham, mais le
d’Alfred Pennyworth (Michael Caine),        (Kevin Spacey), personnage réaction-      manoir et les générations de Wayne
majordome de Bruce Wayne, et John           naire dans une œuvre contestataire        précédant Bruce. Références sont
Blake, un policier faisant office de        (House of Cards) : « take a step back,    faites plusieurs fois dans la trilogie
substitut à Robin – le jeune acolyte        look at the bigger picture. »             à ce manoir et cette lignée Wayne «
de Batman dans les comics, souvent                                                    d’exception » : le manoir a servi de
dépeint comme plus juste que son                   batman inc. : relec-               refuge aux esclaves sous l’un des an-
mentor50. A plusieurs reprises, Alfred
tentera de pousser Bruce à abandon-         ture   du mythe de l’excep-               cêtres de Bruce ; son arrière-grand-
                                                                                      père a fait construire les trains de la
ner Batman, symbole violent de l’or-        tionaliSme américain52                    ville ; le père de Batman participa à
dre établi, pour ce qu’il est vraiment,                                               la création d’un monorail pour faire
Bruce Wayne, homme diplomate                          En effet, l’ambivalence mise
                                            en lumière par Kavadlo prend tout         en sorte que la ville se développe
ouvert d’esprit, possédant beaucoup                                                   de plus belle. Cette image de provi-
de ressources qu’il pourrait partag-        son sens avec un peu de recul. Aussi
                                            le film va-t-il bien au-delà d’une di-    dence et de figure tutélaire apparaît
er avec la ville : « Yes, this city needs                                             distinctement à la fin de The Dark
Bruce Wayne. Your resources, your           chotomie entre terreur et protec-
                                            tion au sein de son positionnement        Knight Rises lorsque Bruce, présumé
knowledge... not your body. » Blake                                                   mort, lègue son manoir aux orph-
quant à lui sermonnera le commis-           politique, lui-même oscillant entre
                                            caractère réactionnaire et allusions      elins de Gotham – un acte qui n’est
saire Gordon, l’allié de Batman, autre                                                pas sans rappeler le sonnet d’Emma
représentant du statu quo qui n’a pas       contestataires. La dualité de The
                                            Dark Knight Rises dépasse de loin ces     Lazarus inscrit au pied de la Statue de
hésiter à couvrir les horreurs du pro-                                                la Liberté : « Give me your tired, your
cureur Dent afin que soit maintenu          éléments : elle représente la double
                                            ambivalence des grandes stratégies        poor, Your huddled masses yearning
l’acte sur la répression criminelle : «                                               to breathe free, The wretched refuse
These men, locked up in Blackgate           américaines – où les éléments phy-
                                            siques caractérisant Batman (per-         of your teeming shore. Send these,
for eight years, denied parole un-                                                    the homeless, tempest-tost to me, I
der the Dent Act. Based on a lie. […]       sonnage, lieux, objets introduit au fil
                                            de la trilogie) participent à la réac-    lift my lamp beside the golden door!
Your hands look pretty filthy to me,                                                  » D’ailleurs, à la fin du film, Batman
Commissioner. » Ce faisant The Dark         tualisation du mythe de l’exception-
                                            nalisme américain53 : « le sentiment      est immortalisé par la mairie au tra-
Knight Rises montre les opportunités                                                  vers d’une statue commémorative à
manquées par le Chevalier Noir et           d’être une nation exceptionnelle, cet
                                            exceptionnalisme étant directement        l’allure paternaliste, le Chevalier Noir
Gordon pour rétablir une forme de                                                     toisant de haut les citoyens de Go-
justice plus équitable, ce qui aurait       lié à un sentiment d’être détenteur
                                            d’une mission envers le monde »54,        tham.
pu éviter à Gotham City bien des en-
nuis. Aussi la terreur et l’ordre établi    illustré par le concept de Destinée       La naissance même du Batman et de
par Batman sont-ils dénoncés com-           Manifeste, remontant à l’arrivée des      sa mission au cœur du manoir peut
me étant la cause directe des mal-          premiers colons à bord du Mayflower       être perçue comme le symbole de
heurs de la ville.                          sur le continent américain au XVIIe       l’avènement de la Destinée Mani-
                                            siècle55.                                 feste, définie comme une « […] con-
Laconiquement, le film change de                                                      viction d’incarner une vérité politique
ton pour se muer en satire. Ainsi Bat-      Ainsi est-il possible de voir le Manoir
                                            Wayne comme l’avatar géographique         sociale incontournable [la liberté,
man (Etats-Unis) cause-t-il la mort                                                   la démocratie la justice], appelée
(guerre contre le terrorisme) de Ra’s       des Etats-Unis dans la trilogie. Situé
                                            hors des limites de Gotham City           à s’imposer partout […] »58 Dans la
al Ghul (Ben Laden) qui laisse place à                                                première partie de ‘Begins’, Bruce,
Bane (Daech) ; un homme se jouant           (représentant le reste du monde),
                                            le manoir symbolise l’insularité du       alors installé dans le salon du manoir,
de l’ordre établi (establishment et                                                   définit son crédo : apporter la justice
capitalisme) pour y instaurer sa loi        continent américain et plus en-
                                            core… Dans la saga The Court of Owls      et la paix à Gotham. Pour mener à
révolutionnaire (anti-establishment).                                                 bien ce fardeau, il a besoin d’un sym-
Le Chevalier Noir est source de ter-        (2013), le scénariste Scott Snyder dé-
                                            peint la famille Wayne comme ayant        bole ; un symbole lui apparaissant
                                                                                                                                 5
sous une forme de chauve-souris          à la suite de la guerre en Irak et du       la dissémination d’ « hommes » iden-
voletant dans l’un des coins de la       krach boursier de 2008. L’affaiblisse-      tiques (tels que les mercenaires de
pièce. Pour paraphraser Tocqueville,     ment de Bruce est imputé à la paix          Bane, totalement interchangeables
Bruce Wayne – comme les Améric-          régnant sur Gotham et la manière            entre eux) sur un damier pour don-
ains – ressent le besoin de se lancer    dont il l’avait imposé – bien illus-        ner l’illusion d’une logique mal-coor-
dans une croisade (un élément que        tré par une phrase de Bane durant           donnée72. Ce n’est que vers le milieu
nous retrouvons dans le sobriquet de     son premier combat avec le Cheva-           de partie que les liens entre les pièces
Chevalier Noir) pour améliorer son       lier Noir : « Peace has cost you your       du jeu prendront sens – exactement
destin et celui des autres59. Par ail-   strength ! Victory has defeated you !       comme le plan de Bane, apparaissant
leurs, Batman représente aussi d’au-     ». Cela étant, le déclin n’est que rela-    peu accordé, voire illogique au début
tres mythes américains nichés sous       tif, puisque l’homme chauve-souris          du film. Tous les protagonistes (bons
la coupole de l’exceptionnalisme : le    réussira à reprendre du poil de la          comme mauvais) se feront avoir par
mythe de l’individualisme et du self-    bête pour vaincre le Fléau ; autre          le maître stratège.
made man60 (Batman s’étant fait tout     image du caractère cyclique de la
seul, tant physiquement que mental-      puissance américaine. Jusqu’à son           Ce n’est qu’à la fin de The Dark Knight
ement, donnant l’image mythique de       premier combat face à Bane, Batman          Rises que Batman cèdera sa place à
l’homme américain qui a réussi).         se fait métaphore de la stratégie de        un autre, John Blake, un homme plus
                                         l’engagement sélectif – tentant de          juste et conciliant, disposant d’une
Pour accomplir leurs Destinés mani-      maintenir la paix fragile de Gotham         aversion aux armes à feu. Batman
festes, les Américains et Batman ont     en discutant avec les différents pro-       s’efface de la scène de Gotham pour
besoin de stratégies, caractérisées      tagonistes (Gordon, Catwoman,               laisser cours à une sécurité coopéra-
par l’utilisation de certaines méth-     Blake, Alfred) tout en s’impliquant de      tive plus idéaliste, illustrée par l’unifi-
odes et moyens61. Ces stratégies         manière retenue face au Fléau68.            cation de toutes les couches sociales
sont caractérisées par une double                                                    de la ville autour de la statue com-
ambivalence entre messianisme et         Par la suite, du premier combat face        mémorative du Chevalier Noir73. Ce
pragmatisme d’une part et, d’autre       à Bane jusqu’à son retour à Gotham,         passage de flambeau souligne le car-
part, isolationnisme et intervention-    Bruce s’engage dans une stratégie de        actère immuable de la Destinée Man-
nisme62. Ces dualités découlent de       primauté. Batman est primus solus,          ifeste au sein de politique étrangère
l’opposition entre deux grands cou-      le seul capable de vaincre Bane, le         des Etats-Unis et de ses grandes
rants idéologiques américains : « le     seul ayant les capacités et les res-        stratégies, et cela malgré les aléas de
premier incarné par des présidents       sources pour maintenir l’ordre. Ainsi       la scène internationale. En ce sens
comme Jefferson et Wilson, défend        Bruce mettra donc la focale sur l’ex-       The Dark Knight Rises rassure la pop-
une vision idéaliste des relations in-   pansion de sa puissance en prison           ulation américaine : il y aura toujours
ternationales ; le second incarné par    en vue d’en découdre avec Bane69.           un Batman pour contrer les menaces,
A. Hamilton et T. Roosevelt défend       D’ailleurs, si Batman et Gotham City        il y aura toujours la Destinée Mani-
le principe de la Realpolitik. »63 A     représentent respectivement les             feste pour guider le peuple américain
cet égard, The Dark Knight Rises est     Etats-Unis et l’échiquier internation-      face aux défis internationaux.
fonction allégorique de ces stratégies   al (cf. page 8), le Fléau symbolise les
américaines idéologiquement nour-        potentiels challengers de l’ordre in-                           *
ries : néo-isolationnisme, engage-       ternational (le Dent Act)70. En effet,      En fin de compte, The Dark Knight
ment sélectif, sécurité coopérative et   lors d’une interview, la costumière         Rises suit bel et bien la théorie de
primauté64.                              de TDKR expliqua que les vêtements          Kracauer, reflétant les mythes et les
                                         de Bane étaient censés représent-           représentations collectives au sein
Le début du film représente un Bruce     er les différents endroits où il avait
isolationniste, reclus du monde de                                                   de l’Amérique contemporaine. Au
                                         vécu en tant que mercenaire. Aussi          travers de la figure mythique d’un
Gotham après y avoir établi l’ordre      Bane n’a-t-il pas une identité propre
(par le truchement du Dent Act)                                                      superhéros, l’œuvre de Christopher
                                         et unique, pouvant représenter tour         Nolan livre une interprétation perti-
– un ordre apparenté à celui inter-      à tour la Chine, la Russie ou toute au-
national au lendemain de la Guerre                                                   nente du mythe de la terreur et de
                                         tre puissance mécontente de l’ordre         la révolution, répondant aux ango-
froide, déjà grandement forgé par les    international instauré par les Etats-
Etats-Unis au sortir de la Deuxième                                                  isses d’une population traumatisée
                                         Unis. Un rapprochement peut tout            par les attentats du 11 septembre
Guerre mondiale65. Gotham est donc       de même être fait entre la Chine et
caractérisée par un moment unipo-                                                    2001 et le krach boursier de 2008, le
                                         Bane, notamment dans la manière             tout étant ancré dans un positionne-
laire66 de l’homme chauve-souris.        dont le Fléau s’arroge le pouvoir de la
Cependant huit ans se sont écoulés                                                   ment politique tantôt réactionnaire,
                                         ville. En effet, en bon stratège, Bane      tantôt contestataire. Mais c’est en
et Bruce Wayne apparait comme un         érige un plan lent et subtil en prenant
homme aigri et blessé. « L’hyperpuis-                                                prenant du recul qu’il est possible
                                         peu à peu le contrôle des égouts de         de voir l’intérêt sous-jacent de The
sance » de Batman, pour reprendre        la ville, tissant un réseau terroriste
les mots d’Hubert Védrine67 dans sa                                                  Dark Knight Rises à l’égard des rela-
                                         sous Gotham à la manière du jeu de          tions internationales : le Chevalier
définition des Etats-Unis au lende-      Go chinois – la grande stratégie poli-
main de la Guerre froide, est sur le                                                 Noir réactualise pêle-mêle le mythe
                                         tique chinoise71. Celle-ci s’illustre par   de l’exceptionnalisme américain, les
déclin ; allégorie du déclin américain
                                                                                                                                   6
différentes grandes stratégies em-         direction de), Questions d’histoire          pp.47-48.
ployées par Washington dans la con-        contemporaines : conflits, mémoires
duite de sa politique étrangère ainsi      et identités, Paris : PUF – Quadrige.        12 M. ELIADE, Aspects du mythe, Pa-
que la vision du challenger de l’ordre     Manuels, 2006, 256 p.                        ris : Gallimard, 1963, pp.15-16.
international. Si Christopher Nolan                                                     13 L. VAN YPERSELE, « Des mythes
ne se pose pas en intellectuel engagé,              noteS de fin                        contemporains aux représentations
son œuvre n’en demeure pas moins
                                           1 IMDB, Release info, s.l. : Imdb.com        collectives », in L. VAN YPERSELE
politisée, voire internationalisée.                                                     (sous la direction de), Questions
                                           inc.,    https://tinyurl.com/kt2xvjq,
                                                                                        d’histoire contemporaines : conflits,
      orientationS bibli-                  consulté le 7 mai 2017.
                                                                                        mémoires et identités, Paris : PUF –
           ographiqueS                     2 LE MONDE, « ‘Batman’ en tête des           Quadrige. Manuels, 2006, p.34.
                                           entrées aux Etats-Unis malgré la tue-
monographieS                                                                            14 « […] Le mythe raconte une his-
                                           rie dans le Colorado », Le Monde, 24
                                           juillet 2012. n.d.a : Depuis lors, le film   toire sacrée ; il relate un événement
TCOWSILL Alan, IRVINE Alex, MAN-
                                           a été relégué plus loin dans le classe-      qui a eu lieu dans le temps primor-
NING Matthew K., et alii, Les chro-
                                           ment, aux alentours de la 10e place.         dial […]. Autrement dit, le mythe ra-
niques de DC Comics, Paris : Tournon-
                                                                                        conte comment, grâce aux exploits
Semic, 2011, 352 p.
                                           3 ALLOCINE, Secrets de tournage :            des Êtres Surnaturels, une réalité est
DiPAOLO Marc, War, Politics And Su-        The Dark Knight Rises, Levallois-Per-        venue à l’existence […]. C’est cette
perheroes: Ethics and Propaganda in        ret : AlloCiné SA, s.d., https://tinyurl.    irruption du sacré qui fonde réelle-
Comics and Film, Jefferson : McFar-        com/lml8bko, consulté le 7 mai 2017.         ment le monde et qui le fait tel qu’il
land & Company, Inc., 2011, 330 p.                                                      est aujourd’hui. » Mircea ELIADE, op.
                                           4 IMDB, The Dark Knight Rises, s.l. :
                                                                                        cit., pp.15-16.
ELIADE Mircea, Aspects du mythe,           Imdb.com inc., https://tinyurl.com/
Paris : Gallimard, 1963, 247 p.            lg79hua, consulté le 7 mai 2017.             15 Laurence VAN YPERSELE, op. cit.,
                                                                                        pp.34-35.
KAVADLO Jesse, American Popular            5 L’un des multiples surnoms de Bat-
Culture in the Era of Terror, Santa        man.                                         16 Idem, p.35.
Barbara : Praeger, 2015, 218 p.
                                           6 Dû à une temps d’écran trop tardi-         17 Idem, pp.35-36
KRACAUER Siegfried, From Caligari          vement alloué au personnage de Mi-
                                           randa Tate/Talia al Ghul (Marion Co-         18 M. DiPAOLO, War, Politics And Su-
to Hitler : A Psychological History of
                                           tillard), cette analyse fera l’impasse       perheroes: Ethics and Propaganda in
the German Film, Edition révisée et
                                           sur le personnage.                           Comics and Film, Jefferson : McFar-
augmentée, Princeton : Princeton
                                                                                        land & Company, Inc., 2011, pp.16-
University Press, 2004, 348 p.
                                           7 S. KRACAUER, From Caligari to Hit-         19.
LITZ Marc, Du récit au récit média-        ler : a psychological history of the
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tique, Bruxelles : De Boeck Universi-
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                                           NING et alii, Les chroniques de DC           20 Marc DiPAOLO, op. cit., p.39 ;
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CHALIAND Gérard, BLIN Arnaud (sous
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isme de l’Antiquité à Daech, Paris :       10 M. LITZ, Du récit au récit média-         23 Tant dans ces personnages (le
Fayard, 2015, 836 p.                       tique, Bruxelles : De Boeck Universi-        Joker, un anarchiste radical symboli-
                                           té, 2008, 235 p.20.                          sant le chaos ; L’épouvantail, utilisant
ROSENBERG Robin S., COOGAN Peter
(sous la direction de), What Is a Su-      11 « […] un récit imaginaire, organisé       d’un gaz hallucinogène donnant des
perhero?, New York : Oxford Univer-        et cohérent selon une logique psy-           visions de terreurs ; Le Dollmaker,
sity Press, 2013, 200 p.                   cho-affective, qui prétend se fonder         un psychopathe cannibale adorant
                                           en réalité et en vérité » E. MORIN, La       transformer les gens en poupées ;
VAN YPERSELE Laurence (sous la                                                          Killer Croc, un homme crocodile tapis
                                           rumeur d’Orléans, Paris : Seuil, 1969,
                                                                                                                                   7
dans les rues de Gotham et… Bat-           sa jeunesse physique lorsqu’il de-       9 mai 2017. Emphases ajoutées.
man lui-même, symbole inversé de           vient trop vieux.
la terreur) que dans ses lieux (l’Asile                                             50 Cela s’applique spécialement à
d’Arkham – endroit où sont enfermés        38 C’est aussi une référence à ‘Be-      Dick Grayson et Tim Drake, respecti-
la plupart des ennemis du Chevalier        gins’ où Ra’s expliqua que la Ligue a    vement premier et troisième Robin.
Noir – inspiré des nouvelles horri-        vécu sous de nombreux noms depuis
                                           des temps immémoriaux, faisant ain-      51 Jesse KAVADLO, op. cit., pp.177-
fiques de H.P. Lovecraft).                                                          179.
                                           si appel aux Zélotes et Assassins deux
24 Marc DiPAOLO, op. cit., p.39 ;          sectes de la ‘préhistoire du terro-      52 Batman Inc. est une référence à
pp.49-55.                                  risme’. Pour plus d’information, voir    l’excellent comics de Grant Morrison.
                                           : G. CHALIAND, A. BLIN, « Zélotes et     Dans celui-ci Batman établit un ré-
25 J. KAVADLO, American Popular            Assassins », in Gérard CHALIAND, Ar-
Culture in the Era of Terror, Santa                                                 seau international de superhéros : la
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Barbara : Praeger, 2015, p.166.            cit., pp.71-104.
26 Idem., pp.164-169.                                                               53 P. HEIKE, The Myths that Made
                                           39 Gérard CHALIAND, op. cit., p.641.     America, An Introduction to Ameri-
27 F. WICKMAN, Rises « The Dicken-         40 Idem., p.654.                         can Studies, Leck : Knowledge Un-
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                                           lamique est assis sur une ‘montagne      54 T. STRUYE de SWIELANDE, Duel
28 IMDB, The Dark Knight Rises, op.        d’or’ », Challenges, 9 février 2015.     entre l’Aigle et le Dragon pour le lea-
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consulté le 7 mai 2017.                    42 AFP et L’EXPRESS, « Les troupes       ter Lang, Coll. « Géopolitique et réso-
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29 G. CHALIAND, « Le jidhadisme à          à Daech en Afghanistan », L’Express,
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du terrorisme de l’Antiquité à Daech,      43 M. DiPAOLO, op. cit., p.12. Libre-    56 Paul HEIKE, op. cit., pp.11-14;
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30 E. GELABERT, « Le Printemps arabe       44 Un prisonnier dont l’allégeance       57 Tanguy STRUYE de SWIELANDE,
en perspective », Cahiers de l’Action,     revient à Bane                           op. cit., p.166.
2013, n°39, pp.11-12.                                                               58 Idem., p.167.
                                           45 (Classes sociales, image de la
31 Gérard CHALIAND, op. cit., p.647.       femme, minorité, nature, violence        59 Cité dans Tanguy STRUYE de SWIE-
                                           et sexualité). Dans TDRK, la femme       LANDE, op. cit., p.167.
32 La prison de Gotham.                    est hyper-sexualisée (spécialement
33 C. LAVERTY, The Dark Knight Rises       le personnage de Catwoman) et la         60 Paul HEIKE, op. cit., pp.367-268.
: Costume Q&A with Lindy Hemmi-            sexualité condamnée (notamment
                                                                                    61 T. STRUYE de SWIELANDE, « La
ng, Clothes on films, 1 août 2012,         lorsque Batman couche avec Mi-
                                                                                    Grande Stratégie Américaine Dans
https://tinyurl.com/bvxt94l, consulté      randa Tate [Marion Cotillard] qui
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le 9 mai 2017.                             n’est autre que la descendante de
                                                                                    Stratégie Comparée, 2006, n°86-87,
                                           Ra’s al Ghul ; elle finira par mourir,
34 G. CHALIAND, A. BLIN « L’inven-                                                  p.23.
                                           symbolisant l’aversion pour le sexe).
tion de la terreur moderne », in Gé-       L’hyper-sexualisation et la sexualité    62 Tanguy STRUYE de SWIELANDE,
rard CHALIAND, Arnaud BLIN (sous la        sont donc dépeintes sous un angle        Duel entre l’Aigle et le Dragon pour
direction de), op. cit., pp.127-128.       conservateur.                            le leadership mondial, op. cit., p.170.
35 Marc DiPAOLO, op.cit., p.19; W.         46 Jesse KAVADLO, op. cit., p.174.       63 Idem, p.175. Emphase dans l’ori-
BROOKER, « We Could Be Heroes »,                                                    ginal.
in Robin S. ROSENBERG, Peter COO-          47 S. DIFFALAH, « Comprendre. ‘Oc-
GAN (sous la direction de), op. cit.,      cupy Wall Street’ : qui sont les Indi-   64 B.R. POSEN, A.L. ROSS, « Compe-
s.p.                                       gnés made in USA ? », L’OBS, 14 oc-      ting Visions for U.S. Grand Strategy »,
                                           tobre 2011.                              The MIT Press, 1996-1997, vol. XXI,
36 Gérard CHALIAND, op. cit., p.644.                                                n°3, pp.5-53.
                                           48 B. DOMENECH, « The ‘Dark Knight’
37 Ceci est également un clin d’œil        Inauguration », New York Times, s.d.     65 Idem., pp.9-12.
aux comics. Nolan a voulu enlever
toute notion de fantastique des co-        49 THE WHITE HOUSE, The Inaugural        66 C. KRAUTHAMMER, « The Unipo-
mics Batman ; à l’origine Ra’s est cen-    Address, Washington D.C.: The White      lar Moment », Foreign Affairs, 1990-
sé être immortel, se plongeant dans        House, 20 janvier 2017, https://www.     1991, vol. LXX, n°1, pp.23-33.
les Puits de Lazare afin de retrouver      whitehouse.gov/inaugural-address,
                                                                                                                              8
67 Cité dans Tanguy STRUYE de SWIE-
LANDE, Duel entre l’Aigle et le Dragon
pour le leadership mondial, op. cit.,
p.162.
68 B.R. POSEN, A.L. ROSS, op. cit.,
pp.17-18.
69 Idem, pp.31-35.
70 S’ils ne sont pas développés ici,
Selina Kyle (Catwoman) et le Com-
missaire Gordon feraient respec-
tivement l’allégorie de l’Union eu-
ropéenne (présentant des traits
d’anti-establishment pareils à ceux
des mouvements parcourant l’UE
depuis le début des années 2010) et
du Japon (allié indéfectible des Etats-
Unis/allié indéfectible de Batman).
71 Tanguy STRUYE de SWIELANDE,
Duel entre l’Aigle et le Dragon pour
le leadership mondial, op. cit., p.139.
72 Ibidem.
73 B.R. POSEN, A.L. ROSS, op.cit.,
pp.23-26.

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