L'édification de la forteresse numérique de Nokia

 
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L'édification de la forteresse numérique de Nokia
Lucie LOUVET
Section Ecofi
Année 2007-2008

 L’édification de la forteresse numérique de Nokia :
    Comment Nokia verrouille-t-il sur le long terme le succès de son virage vers les services
                                           Internet ?

Monographie réalisée dans le cadre du Séminaire Stratégie des Firmes Multinationales
Sous la direction de Monsieur Bernhard KITOUS

    Lucie Louvet                                i                                  IEP Rennes
L'édification de la forteresse numérique de Nokia
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REMERCIEMENTS

         Je tiens tout d’abord à remercier Monsieur Bernhard Kitous, Responsable de la section Ecofi
de l’Institut d’Etudes Politiques de Rennes, pour son précieux enseignement, et pour avoir accepté
d’accompagner à nouveau des étudiants dans leur travail de recherche.

         J’adresse également tous mes remerciements aux professionnels qui ont accepté de me
rencontrer :

Gilles Fontaine, Rédacteur en chef délégué de Challenges, pour m’avoir aidé à « sentir » la firme
Nokia.

J.B. de Bouygues Télécom, pour sa gentillesse et sa disponibilité, et pour avoir pris le temps de me
recevoir au siège de Bouygues Télécom, à Boulogne-Billancourt. Ses explications sur le
fonctionnement du marché de la téléphonie mobile et sur les relations entre les équipementiers et les
opérateurs ont été d’une importance majeure pour le bon déroulement de mes recherches.

Xavier des Horts, Directeur de la communication de Nokia, pour avoir accepté de me recevoir au
siège de Nokia, à Saint-Ouen.

Thomas Husson, analyste chez Jupiter Research, pour m’avoir accordé un entretien passionnant au
cours duquel il m’a fait partager sa connaissance du terrain.

         J’exprime sincèrement ma reconnaissance à Thomas Pelloquin, Emmanuelle et Anne
Monnier, étudiants et amis qui ont bien voulu m’apporter leur regard extérieur.

         Un grand merci à Anne-Sophie Grosdoit et Marion Choppin, les deux autres membres de mon
équipe-firme, pour avoir partagé cette aventure du début jusqu’à la fin.

Lucie Louvet                                       i                                     IEP Rennes
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EXECUTIVE SUMMARY

        Le secteur de la téléphonie mobile arrivant aujourd’hui à saturation dans les pays développés,
il s’agit pour les fabricants de téléphones mobiles de fidéliser leurs clients actuels, et de trouver de
nouveaux relais de croissance. A cette fin, dans un contexte de convergence entre l’Internet et la
téléphonie mobile, il semble pertinent de se tourner vers les services Internet mobiles. C’est l’actuelle
démarche de Nokia, l’équipementier finlandais, qui a pour ambition de construire dans les années à
venir une véritable forteresse numérique.

Ainsi, Cette monographie a pour objet le lancement d’OVI, portail d’accès aux services Internet
mobiles présenté par Nokia en Août 2007. Il ne sera pas question ici d’une étude de la pertinence de
chacun des sept services accessibles depuis OVI par rapport à l’offre présente sur le marché, mais
plutôt de l’étude de la structure OVI dans son ensemble. Il s’agit donc d’examiner quelles sont les
fondations qui se cachent sous la future forteresse numérique OVI, et d’évaluer la solidité de ces
fondations. En d’autres termes : Comment Nokia « verrouille »-t-il sur le long terme le succès de son
tournant vers les services Internet mobiles? Plus précisément, l’objectif de cette étude est de montrer
en quoi le rachat de contenu par Nokia lui permet de verrouiller sur le long terme sa place sur le
marché des services Internet mobiles, et en quoi ces acquisitions lui permettent de contourner les
blocages auxquels la firme doit faire face ?

Lucie Louvet                                       ii                                        IEP Rennes
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SOMMAIRE

1. PRESENTATION DU CAS : L’ANNONCE DE LA CREATION D’OVI....................1
1.1 La création de la marque OVI : du produit aux services.............................................................................. 1

1.2 L’âme de Nokia.................................................................................................................................................2

1.3 L’incident critique ............................................................................................................................................3

2. ANALYSE ET RESOLUTION DU CAS....................................................................4
2.1 Du produit au service : OVI un nécessaire relais de croissance ................................................................. 4
   L’analyse des causes et des conséquences, issue de la méthode des cas ............................................................ 4
   Le marché des services Internet mobiles..............................................................................................................7
   Le partage des recettes sur le marché des services Internet mobiles..................................................................10
   Les racines de Nokia dans les services Internet mobiles :..................................................................................11

2.2 Une stratégie de rachat de contenus ............................................................................................................. 14
   Le modèle Merger & Acquisition :.................................................................................................................... 14
   Le cas de Navteq, fournisseur de cartographie numérique.................................................................................17
   Le modèle des 5 forces de Porter ...................................................................................................................... 19
   L’influence des gouvernements dans le jeu stratégique ................................................................................... 21

2.3 La négociation avec les opérateurs................................................................................................................ 23
   Les relations traditionnelles avec les opérateurs................................................................................................ 23
   L’état des négociations avec les opérateurs sur le marché européen ................................................................ 24
   Le point central des négociations....................................................................................................................... 25
   Etude des issues possibles à la négociation ....................................................................................................... 26
   Quel est l’impact de la stratégie de rachat dans les négociations ?.................................................................... 28

3. DIAGNOSTIC, PRONOSTIC ET LIMITES............................................................. 29
3.1. Diagnostic final............................................................................................................................................... 29

3.2 Pronostic...........................................................................................................................................................30

3.3 Limites ............................................................................................................................................................. 31

SOURCES...................................................................................................................32

ANNEXES...................................................................................................................35
“ Ovi – Open the door to your world ”................................................................................................................36
   ........................................................................................................................................................................... 44

Lucie Louvet                                                                          iii                                                                   IEP Rennes
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L'édification de la forteresse numérique de Nokia
1. PRESENTATION DU CAS : L’ANNONCE DE LA CREATION D’OVI

1.1 La création de la marque OVI : du produit aux services

          La révélation de la marque OVI au cours de la conférence « Go Play » organisée à Londres le
29 Août 2007 sur les thèmes d’Internet et de la mobilité restera sans doute une annonce phare dans
l’histoire de Nokia. « Today is certainly not routine », lança d’un air énigmatique Anssi Vanjoki, le
vice président de Nokia, avant de dévoiler à la presse son ambition de construire la marque OVI au
cours des douze mois qui viennent. OVI, qui signifie « porte » en finnois, se présente effectivement
comme une porte ouverte, un sésame vers les services Internet Nokia.

Le PDG du groupe, Olli Pekka Kallasvuo, suit ce jour là le déroulement de la conférence d’un œil
bienveillant, et introduit un à un les intervenants qui animeront la grand-messe, sur les thèmes de la
Mobilité et d’Internet1. Celui qui participa à redresser la situation financière de Nokia en 1992 alors
que la firme s’enfonçait dans une situation désastreuse, en a pris les rênes en 2006. Dès lors, il a
finement engagé le groupe vers de nouveaux relais de croissance. « Devices are not enough
anymore »2 : sur le marché de la téléphonie mobile, les clients recherchent à présent une expérience
mobile intégrée. Il s’agit alors pour Nokia de remonter la chaîne de valeur, en passant du produit aux
services. OVI est la future structure qui regroupera l’ensemble de ces services, à la fois sur PC et
téléphone mobile.

A son annonce, la marque OVI est une coquille vide. Du futur portail proposant sept services (Jeux,
Musique, Vidéo&TV, Contacts, Cartes, Photos, Internet) seuls trois sont développés au cours de la
présentation : Nokia Maps, service de géolocalisation, N-Gage, plateforme de jeu mobile, et Nokia
Music Store, plateforme de téléchargement de musique. Finalement, seul le service de géolocalisation
est alors disponible. « We don’t know what it is going to be, because people will decide it »3 : Si
Nokia fait semblant de ne pas avoir de stratégie à long terme, les ambitions de la firme d’Espoo sont
fortes puisqu’à terme elle compte générer autant de revenus avec les services en ligne qu’avec la vente
de ses terminaux. Par ailleurs, un rapide coup d’œil historique montre que Nokia a déjà de solides
racines sur le marché des jeux mobiles. Autre témoin de la profondeur de cette orientation stratégique,
l’organigramme de la firme est remis à plat au 1er janvier 2008 avec la création d’une division
« Services & Software ».

    Annexe 1 : Présentation de la marque OVI

1
  «Discover the latest evolutions in mobility and the internet»
2
  « Les terminaux ne suffisent plus » Olli Pekka Kallasvuo, PDG de Nokia, au Go and Play Event le 29/08/07
3
  « Nous ne savons pas ce que [OVI] va devenir, parce que nos clients le décideront » Anssi Vanjoki, Vice Président de
Nokia, au Go and Play Event le 29/08/07

Lucie Louvet                                                 1                                               IEP Rennes
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1.2 L’âme de Nokia

           Il faut savoir que Nokia, le géant de la téléphonie mobile, est à l’origine une petite entreprise
de pâte à papier. C’est une firme qui s’est réinventée à plusieurs reprises, et la décision de s’orienter
vers les services Internet s’inscrit dans cette veine : « Today’s story is very much about how Nokia is
evolving, renewing itself »1 affirme Olli Pekka Kallasvuo au Go and Play Event.

La firme a, par le passé, fait évoluer son cœur de métier à plusieurs reprises, et a ainsi développé une
forte culture du changement. Nokia Corporation est née en 1966 de la fusion de trois firmes :
       -   Nokia Company, un fabricant de papier,
       -   Finnish Rubber Works, un fabricant de caoutchouc et de pneus
       -   Finnish Cable works, un ancien fabricant de câbles téléphones.

Le groupe issu de cette fusion oeuvrait dans quatre secteurs : la pâte à papier et le papier, le
caoutchouc, les câbles, et l’électronique, qui représente alors seulement 3% du chiffre d’affaires
global. Cette branche s’oriente petit à petit vers les télécommunications, avec en 1982, le lancement
des premiers téléphones de voiture, et en 1987, le lancement du premier téléphone mobile. Le
conglomérat « touche-à-tout » se recentre pourtant en 1992 sur les télécommunications: suite à la
chute de l’URSS, son principal client, le groupe se trouvait dans une situation désastreuse. Les
télécommunications, secteur déjà fortement concurrentiel,              offrent alors de fortes possibilités de
croissance.

Aujourd’hui, le marché des télécommunications arrive à maturité dans les pays développés. C’est
pourquoi Nokia voit dans les services Internet mobiles un nouveau relais de croissance possible, dans
un contexte de convergence des secteurs Internet et mobile. La firme leader du marché de la
téléphonie mobile avec 40% de parts de marché, ne s’est pourtant jamais aussi bien portée sur le plan
financier :

                                     2007                      2006                       2005
Chiffre d’affaires (EURm)            51 058                    41 121                     34 191
Résultat net (EURm)                  6 746                     4 306                      3 616
Marge opérationnelle                 13,21%                    10,47%                     10,56
Source : Nokia Financial Report 2007

1
    « Ce qui se passe aujourd’hui concerne directement l’évolution de Nokia, sa renaissance »

Lucie Louvet                                             2                                         IEP Rennes
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1.3 L’incident critique

            Reste qu’avec l’annonce de la construction d’une « forteresse numérique »1, Nokia entre de
front dans le champ des opérateurs et des fournisseurs de contenus. Pour la marque MSN par exemple,
il n’y a pas de place pour l’équipementier finlandais : « Notre première conviction est que la
révolution des usages de l'Internet mobile se fera avec les acteurs historique du Web. Notre deuxième
conviction est que cette révolution se fera avec les opérateurs car ce sont eux qui maîtrisent
aujourd'hui la relation client, la facturation et la tarification de l'accès et de la consommation de data
sur le mobile. »2. Face à ces agressions, Nokia agite les chiffres de son parc multimédias : 300 millions
de terminaux multimédias vendus dans le monde, dont 140 millions de téléphones intégrant un lecteur
de musique MP3 vendus en 2007. « Nokia est légitime sur les contenus de par son parc de terminaux
installés » réplique Jacques Sylvander, le Directeur général de Nokia France.

Si le fil rouge du développement de Nokia réside dans sa capacité à se renouveler, il faut signaler que
ces changements s’inscrivent sur le long terme (un siècle, puis un demi siècle). Pour cette raison, il
m’a fallu raisonner sur le long terme également, et en particulier sur les moyens de pérenniser la
présence de Nokia sur le marché des services Internet mobiles. Le défi qu’a embrassé l’équipementier
finlandais prend tout son sens quand on sait que la visibilité sur ce marché n’excède pas cinq ans, tout
comme l’ensemble des marchés qui touchent à la sphère Internet. Face à cette difficulté, ma méthode
est la suivante : tout d’abord regarder si Nokia s’est effectivement donné les moyens de verrouiller sa
présence sur le marché des services Internet pour les 5 années à venir ; puis soulever la question de la
pérennité en se demandant si Nokia est effectivement capable de soutenir sur le long terme une
stratégie d’investissement dans les services Internet mobiles.

Dans ce contexte, comment Nokia, premier équipementier à investir massivement dans les contenus,
peut-il construire des bases solides afin d’assurer la construction de sa forteresse numérique ? En
d’autres termes, la stratégie de rachat de contenus menée par Nokia lui permet-elle de contourner les
opérateurs de téléphonie mobile, et de s’établir durablement sur le marché des services Internet,
nécessaire relais de croissance ?

1
    Challenges.fr, « Nokia contraint d'ajourner le lancement de son service de jeux », 02.11.2007
2
    Thomas Romieu, Directeur marketing et stratégie de MSN France

Lucie Louvet                                                    3                                   IEP Rennes
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2. ANALYSE ET RESOLUTION DU CAS

           Le soucis de posséder son outil de production est une constante qui se retrouve au fil du temps
dans l’histoire de Nokia. Même en 2001, alors que le marché des terminaux mobiles est en crise et que
plusieurs équipementiers se voient contraint de céder leur outil de production pour devenir des
« entreprises sans usines »1, Nokia restera maître du sien. Le Finlandais dispose aujourd’hui de neufs
usines : quatre en Europe (Finlande, Royaume-Uni, Roumanie, Hongrie), deux en Amérique
(Mexique, Brésil) et trois en Asie (Chine, Corée du Sud, Inde). C’est face à ce constat que la stratégie
de Nokia prend sens : racheter des contenus, pour verrouiller son tournant vers les services
Internet mobiles, nécessaire relais de croissance (Hypothèse de départ).

2.1 Du produit au service : OVI un nécessaire relais de croissance

L’analyse des causes et des conséquences, issue de la méthode des cas

    Cause :

    Ralentissement des ventes de
    terminaux, due à une
    saturation des marchés
    matures (1) et (1) bis.                                                         Conséquence :
                                             Problème :
                                                                                    Recherche de relais de
                                             Ralentissement des                     croissance sur les services,
                                             recettes sur le marché de la           tout en conservant leur
                                             téléphonie mobile (3).                 ancien cœur de métier, la
    Cause :                                                                         vente de terminaux (4).

    Baisse du prix de vente
    moyen des terminaux (2).

(1) Cause: Les cabinets d’analyses s’accordent sur un ralentissement des ventes de terminaux sur le
marché mondial. Les meilleurs prévisions s’accordent sur 10% de croissance pour 2008 (Gartner,
Strategy Analytics, IDC). Les plus pessimistes tablent sur 8,2% (Isuppli), voir 5,7% (IMS Research),
alors que la vente des terminaux mobile à connu des rythmes de croissance nettement plus élevés en
2005 (21 %), 2006 (21,4%) et 2007 (16%) selon le cabinet Gartner.

1
    Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel

Lucie Louvet                                         4                                        IEP Rennes
(1) bis Cause : Ce ralentissement s’explique par une saturation du marché de la téléphonie mobile en
Europe, avec un taux de pénétration égal ou supérieur à 100% dans 18 pays sur 25 au sein de l’Union
Européenne:

                     Source : « Téléphonie mobile en France. Analyse critique de l’étude de l’AFOM »
                     Que choisir, 10/07/07

(2) Cause : L’évolution du prix de vente moyen (Average Selling Price) des terminaux Nokia est à la
baisse : de 103 € au Q1 2006, il passe à 89 € au Q1 2007, pour s’établir à 79€ au Q1 20081.

(3) Problème : Ces deux constats expliquent que les équipementiers, dont Nokia, doivent faire face à
un fort ralentissement des recettes issues de la vente des terminaux. D’après le cabinet d’analyse Idate,
les revenus du marché mondial des terminaux s’élèvent à $131 milliards en 2007, en croissance de
12% par rapport à 2006 ($117 milliards). Leurs projections établissent un revenu de $150 milliards à
horizon 2011, soit une croissance de 6,2 % par an.

(4) Conséquence : C’est face à cette tendance de fond que les sociétés du secteur se tournent vers un
nouveau relais de croissance : le marché des services Internet mobiles, marché à fort potentiel en
Europe* :

1
    Source : Données disponible à partir de 2006 uniquement, Seeking Alpha, Nokia Earning Call Transcript 2006, 2007, 2008

Lucie Louvet                                                  5                                              IEP Rennes
2006                   2011                    évolution
Revenus liés aux services       19,7 milliards         19,8 milliards          +0,5%
de messagerie**                 d’euros                d’euros
Revenus liés aux contenus       2,2 milliards          7,9 milliards d’euros   +259%
mobiles***                      d’euros
Marché total des services       21,9 milliards         27,7 milliards          +26%
mobiles                         d’euros                d’euros
Source : Jupiter Research, Etude “European Mobile Forecast, 2006-2011”, Thomas Husson,16/11/06

* l’Europe définie ici comprend 17 pays (Angleterre, Irlande, Allemagne, France, Italie, Espagne,
Portugal, Grèce, Suisse, Autriche, Pays-bas, Belgique, Norvège, Suède, Finlande, Danemark,
Luxembourg) et les revenus mentionnés excluent le trafic data
** La croissance des MMS, de l’e-mail et de l’instant messaging mobile fera plus que compenser le
déclin des revenus SMS
** Les revenus des services d’infotainment (Vidéo/TV, jeux, musique, etc) seront près de 3 fois
supérieurs à ceux des services de personnalisation (sonneries, logos,..)

Lucie Louvet                                       6                                       IEP Rennes
Le marché des services Internet mobiles

Définition des services Internet mobiles
L’expression « Internet mobile » est utilisée pour décrire la convergence entre la téléphonie mobile et
l’Internet. Il faut entendre par là la possibilité d’avoir une expérience client de qualité sur Internet
depuis son mobile. Le marché des services Internet mobiles regroupe l’ensemble des services délivrés
par un terminal mobile au cours d’une connexion Internet, ou téléchargés sur Internet et délivrés après
la connexion. Une typologie des services Internet mobiles peut être ébauchée1 :
       -   les services multimédia (Ex : Flickr, Picasa) ;
       -   les fonctions associées à la localisation géographique de l’utilisateur (Ex : Mappy, Google
           Map) ;
       -   la communication interpersonnelle par l’intermédiaire de communautés (Ex : Facebook,
           MySpace) ;
       -   les services d’information (actualités générales, sport, musique, météo, horoscope) ;
       -   les services professionnels de type « bureau-mobile » (Ex : Microsoft Office) ;
       -   les services de personnalisation et de divertissement (Musique, Jeux) ;
       -   les services d’utilité publique (urgence, sécurité, médecine) ;
       -   le commerce mobile (Ex : Ebay, Amazone) ;
       -   la communication interpersonnelle sous forme d’email (Ex : Hotmail, Gmail, Yahoo Mail) ;
       -   la communication machine/machine.

Le contexte favorable au développement de ce marché
Il prend actuellement son essor à la faveur de la croissance des débits des réseaux de téléphonie
mobile. Aujourd’hui, le réseau HSDPA permet le transport de tous types de données (voix, images,
vidéos), et peut potentiellement offrir au client une réelle expérience Internet mobile, similaire à une
expérience Internet sur PC. Cette barrière technique tend à être dépassée au cours de l’année 2008.
Autre barrière au développement de ce marché : le prix de l’offre trop élevé proposé par les
opérateurs. Cette barrière est également en train de tomber, avec l’apparition d’offres illimitées, telle
l’offre « star », lancée par Orange en mars 2008 qui propose un accès Internet et TV mobile illimitée.

1
    Karine Poupée, La Téléphonie Mobile, Que-Sais-Je n°3661, 2003

Lucie Louvet                                                7                                  IEP Rennes
La croissance des débits des réseaux de téléphonie mobile, du GSM à l’HSPA :

Nom       du Débit            Date     de Acronyme             Couverture        du Remarque
réseau         moyen          lancement                        réseau (France)
GSM            24,7             1992      Global System for    Orange: 99% de la
2G             Kbps                       Mobile               pop
                                          communications
GPRS           40 Kbps          2000      General Packet       Orange: 99% de la      WAP, SMS,
2,5G                                      Radio Service        pop                    MMS
EDGE           200 Kbps         2000      Enhanced Data        Orange: 99% de la      Norme
2,75G                                     Rates for GSM        pop                    plébiscitée par
                                          Evolution                                   Bouygues
UMTS           300 Kbps         2004      Universal Mobile     SFR : 70% de la        Plébiscitée par
3G                                        Telecommunication    pop                    Orange et
                                          s System             Orange:70% de la       SFR.
                                                               pop                    Le saut
                                                                                      qualitatif
                                                                                      attendu ne
                                                                                      s’est pas
                                                                                      concrétisé.
HSPA           3,6 – 7,2        2006      High-Speed Packet    SFR : 70% de la        Réel saut
3G+            –       14,4               Access               pop                    qualitatif.
               Mbps                                            Orange : 70% pop

Sources : sites Internet d’Orange, SFR, ,et Bouygues Télécom

La demande des clients
Les services pertinents sur mobile ne sont pas les mêmes que les services pertinents sur PC fixe : « Sur
un PC je vais vouloir consulter mes comptes bancaires, sur un mobile, je veux recevoir un SMS qui
m’alerte si je suis dans le rouge»1. Deux sphères sont particulièrement pertinentes en terme de services
Internet mobiles : la communication et la mobilité. Il faut garder en tête qu’un client achète un
mobile pour communiquer. Aujourd’hui, c’est le SMS qui est le service-roi, avec un taux de marge
supérieur à 90%. Les services qui sont le plus attendus à l’avenir sont les services de communication :
envoi de photo, MMS, email, Windows Live Messenger sur mobile. Les autres usages émergents qui
peuvent rencontrer un certain succès sont ceux qui ont une pertinence en terme de mobilité. C’est le
cas de la géolocalisation, qui a énormément de sens sur un mobile.

1
    Bouygues Télécom

Lucie Louvet                                          8                                      IEP Rennes
Les offres concurrentes
Nokia n’est pas le seul à vouloir se tailler une part de choix sur le marché des services Internet
mobiles. En face de l’équipementier se dressent les opérateurs de téléphonie mobiles : Vodafone,
Orange, Telefónica Mobiles, TIM, et T-Mobile, pour ne citer que les plus importants sur le marché
européen, et surtout le japonais NTT DoCoMo, l’indien Bharti Airtel, et China mobile pour les
marchés asiatiques. Ce sont des acteurs historiques sur ce marché, qui contrôlent aujourd’hui l’accès
au client, et disposent d’une importante offre de services Internet mobiles. Autres grands noms bien
décidés à profiter de ce marché: les acteurs du web traditionnel qui, à l’instar de Yahoo, Google, et
MSN, possèdent déjà une offre de services Internet étoffée sur PC, et qui débarquent aujourd’hui sur
les mobiles.
Aux côtés de Nokia, Google, le numéro 1 du web, se distingue de par sa stratégie agressive de rachat
pour les services :
    -   de communication (rachat de Getonic Software) ;
    -   vidéo (Youtube) ;
    -    Photo (Picasa) ;
    -    localisation géographique (Where2, Map Analysis, Neven vision, Endoxon, Image America).

Les opérateurs de téléphonie mobile adoptent plutôt une stratégie de signature, à l’image d’Orange,
qui a des accords pour ses services de :
    -   communication (Meetic) ;
    -    jeux (Goa) ;
    -    musique (Musiline) ;
    -    photo (Photoservice.com) ;
    -    localisation géographique (Mappy) ;
    -    commerce mobile (alapage.com) ;
    -    et ses services d’utilité publiques (Maxicours).

 Annexe 2 : Les offres concurrentes sur le marché des services Internet mobile

Lucie Louvet                                        9                                    IEP Rennes
Le partage des recettes sur le marché des services Internet mobiles

           Les services représentent aujourd’hui 3€ sur une facture moyenne de 50€ par mois. La
question du partage des revenus est primordiale. En effet, les équipementiers ne sont pas les seuls à
prévoir une baisse de leurs revenus traditionnels : les opérateurs s’attendent également un effritement
de leurs revenus tirés du vocal, et recherchent donc un nouveau relais de croissance sur le non-vocal.
Les recettes se partagent entre les acteurs présents sur le marché de la téléphonie mobile, qui sont au
nombre de 3 : les propriétaires, les distributeurs, et les transporteurs.

          Les propriétaires : ce sont les ayants droit qui possèdent le contenu. Il s’agit des fournisseurs
           de contenus (dont les Maisons de disques, Editeurs de jeux, Média, Fournisseur de sites
           communautaires, de sites de partage de photos), des constructeurs de téléphones (tel Nokia,
           avec le rachat de Navteq, spécialiste de cartographie numérique), des marques Internet
           (comme Microsoft, Yahoo ou Google qui proposent leur boîte mails et moteur de recherche),
           et des opérateurs….

          Les distributeurs : ils sont l’intermédiaire entre les propriétaires et les transporteurs. C’est le
           cas des équipementiers et des opérateurs, lorsqu’ils distribuent les services de tiers.

          Les transporteurs : ils transportent les données. Il s’agit des opérateurs téléphoniques
           (Vodafone, Orange, Telefónica, TIM, T-Mobile, ...), ou des opérateurs Internet (Neuf
           Télécom, Free, …).

Au sein de ce trio propriétaire/distributeur/transporteur, chaque rôle est incontournable : les
fournisseurs de contenus se trouvent en haut de la chaîne de distribution, les transporteurs ont accès au
client final, et les distributeurs se trouvent entre les deux. La « part la plus belle » des revenus
reviendra cependant à la marque qui possède le contenu. Si l’équipementier finlandais veut tirer des
ressources de la part des services Internet, il doit mener une politique de rachat dans le secteur des
services Internet. Au lancement de son portail OVI, l’ambition de Nokia est d’occuper à la fois la
place de propriétaire et de distributeur, et de cantonner les opérateurs au rôle de transporteur : « les
opérateurs doivent se contenter de tirer leurs recettes du transport des données, c’est la place qui leur
revient. »1. Les opérateurs, quant à eux, souhaitent également remonter la chaîne logistique et occuper
la place de transporteur, de distributeur, voir de propriétaire, à l’image d’Orange, qui a remporté en
France les droits du football français sur la période 2008-2012 aux côtés de Canal+.

1
    Xavier Des Horts, Directeur commercial de Nokia

Lucie Louvet                                          10                                         IEP Rennes
Les racines de Nokia dans les services Internet mobiles :

Une gamme de produits tournés vers les services Internet mobiles1
Les nouveaux modèles lancés à l’occasion du Nokia World, qui s’est tenu à Amsterdam les 6 et 7
décembre, révèlent la volonté de Nokia d’étoffer sa gamme de terminaux axés sur le divertissement.
La gamme Nseries s’enrichit ainsi de 7 modèles. A noter également la sortie de deux téléphones
XpressMusic.

La gamme NSeries2 offre 28 modèles tournés la               La gamme XpressMusic3 se compose de 4
musique, les jeux, la vidéo, l'Internet mobile, la          terminaux entièrement dédiés à la musique.
photographie et les cartes.

N95 : It’s what computers have become                       Nokia 5310 XpressMusic
“With speedy web access, up to 10 times faster
                                                            “The Nokia 5310 XpressMusic is pure pop.
than standard 3G, the Nokia 95 multimedia
computer is your gateway to the net. Subscribe              From its wafer-thin anodized aluminium design
to your favourite pod cast. Bookmark the                    to its mighty sound, you will soon find yourself
hottest new websites. Upload photos and                     telling everyone about its funky bend of form
purchase and download music. Navigate web                   and functions. The choice f this phone is clear
pages easily with Nokia Web Browser with                    for anyone serious about music.
Mini Map. Organize your schedule, view                      Fantastic sound reproduction
common attachments, stay in touch with email                The dedicated audio chip hidden inside its ultra-
and instant messaging. The Nokia N95 has 5                  slim, ultra light form will amaze you with its
mega pixel camera, Carl Zeiss optics, advanced              dazzling sound reproduction. You can
auto focus and a large 2.6 TFT display with a               experience its power from the moment you
wide viewing angle. Add video stabilisation and             activate any of a selection of pre-loaded tunes
VGA resolution up to 30 frames per second for
                                                            with the press of its dedicated diamond cut
DVD-like video. The-on device photo and
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video editor then lets you be as creative as you
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_______________
1
  Autres collections : Gamme Business ESeries (10 modèles), Gamme Entry, Gamme Connect, Gamme Live, Gamme
Explore, Gamme Achieve, Gamme Fashion, Gamme Prisme (2 modèles), Gamme Premium.
2
  Source : http://www.nseries.com/index.html
3
  Source : « New products launched at Nokia World 2007 », Nokia, 2007

Lucie Louvet                                           11                                           IEP Rennes
Historique de la présence de Nokia dans les services Internet mobiles
La gamme de téléphones multimédia n’est pas la seule racine de Nokia dans les services Internet
mobiles. L’étude de l’historique de Nokia montre que la firme finlandaise prépare depuis 2003 son
tournant vers les services Internet mobiles. Historiquement, les jeux sont donc la 1ère brique de la
forteresse numérique Nokia.

     (1)                               (2)                     (3)                          (4)

            (5)                               (6)                                    (7)

      (8)                            (9)                        (10)                       (11)
Passé                                                    Présent                                Futur                Durée

  A                                                        B                                      C
Période décrite dans le cas                               Période de transition                  Période suivant les
                                                                                                 changements recommandés

1996 : Création du Club Nokia, autour du site             29 Août 2007 : annonce du              -    2008 Lancement des
club.nokia.fr, plateforme commerciale et                  lancement de la plateforme OVI              services restants : N-Gage,
relationnelle. (1)                                        (7) avec 3 services                         Nokia Photo, Vidéo&TV,
                                                          - N-Gage (4)                                Contacts, et Internet.
1997 : lancement du jeux snake (2)                        - Nokia Maps (5)
                                                          - Nokia Music Store (6)                -    Lancement d’OVI.com
1999 : lancement du Nokia 7110, 1er terminal WAP
(8)                                                                                              -    Lancement d’OVI for PC
                                                          Nov. 2007 : Club Nokia devient
2002 : lancement du Nokia 7650, 1er téléphone             My Nokia
                                                                                                 -    Multiplication des accords
mobile avec appareil photo numérique intégré (9)                                                      avec les opérateurs et les
                                                  Nov. 2007 : Ouverture du
                                                                                                      fournisseurs de contenus
2003 : Lancement de la série N-Gage, 1 téléphone- premier Nokia Music Store au
                                          er

console de jeux portable. Succès mitigé, avec la  UK.
moitié des ventes prévues réalisées (10)
                                                  Janv. 2008 : Création de la
                                     er
2003 : Lancement du Nokia 3650, 1 téléphone       division Services au sein de la
mobile avec caméra intégrée (11)                  structure de Nokia

Sept 2003 : Nokia rachète Sega.com Inc                    Avril 2008 : Ouverture du Nokia
  Annexe : présentation du portail OVI                    Music Store en France
Sept 2005 : Lancement de MOSH (Mobilise and
  Annexe : présentation du portail OVI
Share), site de partage entre utilisateurs.
Succès, 6 millions d’utilisateurs en 2007 uniquement
de bouche à oreille (3)

Fév 2007 : Lancement de Nokia Maps

  Transition : OVI, futur portail de Nokia, se présente donc comme un relais de croissance vers les
  services Internet mobiles. Même si les dirigeants de Nokia font semblant de ne pas avoir de stratégie
  sur le long terme : « We don’t know what it is going to be, because people will decide it »1,
  l’équipementier finlandais a de solides racines sur ce marché, de par sa gamme de produits
  multimédia, et l’intérêt porté aux services depuis 2003. Une politique de signature lui permet certes
  d’exister sur le marché des services Internet mobiles, mais, pour bien en vivre, il doit se positionner en
  tant que propriétaire. La stratégie de rachat de contenu prend alors tout son sens. Dans quelle mesure
  cette stratégie permet-elle à Nokia de verrouiller sa présence sur le marché des services Internet ?

  1
   « Nous ne savons pas ce que [OVI] va deveni,r, parce que nos clients le décideront » Anssi Vanjoki, Vice Président de
  Nokia, lors de la présentation d’OVI au Go and Play Event le 29/08/07
2.2 Une stratégie de rachat de contenus

Le modèle Merger & Acquisition :

    Les constructeurs et les opérateurs ont fait le même raisonnement : pour exister sur le marché des
services Internet mobiles, la première étape consiste à signer avec les grandes marques Internet. La
stratégie de SFR est révélatrice à cet égard, puisque l’opérateur français s’est allié à plusieurs grandes
marques, telles Windows Live, Dailymotion, YouTube, eBay, Myspace et Google Maps en Juillet
2007, en plus des partenariats déjà signés avec Allocine, Pagesjaunes, Lequipe et Mappy, pour
proposer à ses clients l’offre « Best of web ». Pour tirer des revenus du marché des services Internet
mobiles, la deuxième étape consiste à acheter un actif stratégique dans ce secteur, avec de la valeur
ajoutée. La politique de rachat menée par Nokia dans les services Internet depuis 2003 va dans ce
sens. Deux types d’acquisition sont à distinguer : le rachat de sociétés pour acquérir des technologies
dans le domaine de l’environnement Internet, et le rachat de sociétés dans le but d’acquérir de
l’audience.

       Sega.com Inc, San Francisco, Etats-Unis. Société spécialisée dans la distribution de jeux, et
        les services de jeux en ligne, Sega.com est l’un des principaux fournisseurs de technologies
        pour les jeux sur mobile et les jeux multi joueurs. Le groupe Nokia a acquis 100% des actions
        de Sega.com le 16 septembre 2003. Les modalités de l’acquisition sont confidentielles. Les
        actifs de Sega.com servent la stratégie de Nokia dans les jeux, avec la constitution de la
        plateforme N-Gage. [Acquisition de technologies].

       gate5 AG, Berlin, Allemagne. Société éditrice du logiciel de navigation GPS multi plateforme
        « smart2go ». Le groupe Nokia a acquis 100% des actions de gate5 le 15 octobre 2006. Les
        modalités de l’acquisition sont confidentielles. Nokia s’est appuyé sur le savoir-faire de gate5
        AG pour constituer son propre logiciel de navigation « Maps ». [Acquisition de technologies].

       Loudeye Corporation, Bristol, Angleterre. Le groupe Nokia a acquis 100% des actions du
        fournisseur de solutions B2B de musique en ligne, le 16 octobre 2006, pour 60 millions de
        dollars (il s’agit du rachat des activités internationales, les actifs américains ayant été vendus à
        Muze pour 11 millions de dollars). Le réseau de distribution de Loudeye a permis la
        constitution du magasin électronique Nokia Music Store. [Acquisition d’audience].
    Twango, Etats-Unis. Créée en 2004, cette plateforme permet le partage et l’organisation de
           photos, de vidéos et autres contenus personnels. Le groupe Nokia a acquis substantiellement
           toutes les immobilisations de Twango le 25 juillet 2007, pour un montant d'environ 100
           millions de dollars1. La structure de Twango a servi à la création de « Share on Ovi », site en
           ligne de gestion de contenu de Nokia. [Acquisition d’audience].

L’acquisition la plus importante en terme de valeur n’est pas finalisée à ce jour :

          Navteq, Chicago, Etats-Unis. Ce fournisseur de cartographie numérique est en cours
           d’acquisition depuis octobre 2007, pour 5,7 milliards d’euros. L’achat sera finalisé le 18 août
           2008, date du rendu de la décision de la commission européenne. Les cartes de Navteq
           alimentent en contenu le service Nokia « Maps ». [Acquisition de technologie, et d’audience].

La croissance externe est l’arme de Nokia sur le champ de bataille des services Internet mobiles. Cette
stratégie agressive ne pèse pas, à première vue, sur les comptes du groupe, qui garde un ratio
dettes/fonds propres équilibré bien qu’en hausse pour s’établir à 53,9% au 31 décembre 2007:

En millions d’euros
                                                            2007               2006                2005
total liability                                           20 261             10 557               9 938
total assets                                              37 599             22 617              22 452
ratio tot liab/tot assets                                53,90%              46,68%             44,26%

current liabilities                                       18 976             10 161               9 670
current assets                                            29 294             18 586              18 951
ratio curr liab/cur ass                                  64,78%              54,67%             51,03%

non-current liabilities                                    1 285                396                 268
non-current assets                                         8 305              4 031               3 501
ratio non-curr liab/non-curr ass                         15,47%              9,82%                7,65%

operating income                                            7985               5488                4639
interest expense                                              43                 22                   18
interest coverage ratio                                   185,69             249,45              257,72

1
    source WSJ
operating income                                             7985               5488                 4639
interest expense                                               43                 22                      18
interest coverage ratio                                     185,69            249,45               257,72

interest expense                                               43                 22                      18
tot liab                                                    20 261            10 557                9 938
Average cost of borrowed capital                            0,21%             0,21%                0,18%
Source : Nokia Financial Report 2007

La lecture des rapports financiers de Nokia souligne une certaine flexibilité du périmètre d’activité du
groupe, qui pourrait expliquer avec, de 2005 à 2007, des achats d’actifs qui sont contrebalancés par la
vente d’actifs :

          Nextrom Holding. 3,2 millions d’actions revendues le 18 mars 2005. Les modalités de cette
           vente sont confidentielles.

          Professional Mobile Radio business, Munich, Allemagne. Les activités de Nokia
           Professional Mobile Radio ont été revendues à EADS le 5 Septembre 2005. Les modalités de
           cette vente sont confidentielles.

          3G chipset development, Genève, Suisse. 100 % des actifs revendus le5 novembre 2007. Les
           modalités de cette vente sont confidentielles.

          Identity Systems, Etats-Unis. 100% des actifs vendus à Informatica pour 85 millions de
           dollars. Opérations finalisé en mai 2008. Les modalités de cette vente sont confidentielles.

Il semble que le groupe Nokia « voyage léger », et qu’il se sépare de sociétés ou prises de participation
pour acquérir les actifs nécessaires à la poursuite de sa croissance externe. Cette stratégie financière
est un des éléments qui permettent à Nokia de conserver un équilibre financier même en période
d’acquisitions. Porter sur le long terme une stratégie tournée vers les services Internet coûte cher, et
demande des investissements immatériels importants. Ce constat mériterait d’être approfondi, et
constitue une limite de cette monographie.

 Annexe 3: Résultats financiers 2007
Le cas de Navteq, fournisseur de cartographie numérique

           Cette acquisition est non seulement la plus significative en terme de valeur, mais aussi la plus
pertinente. En terme de valeur, le rachat de Navteq est évalué à 5,7 milliards d’euros, soit 5,4 milliards
d’euros après absorption de la trésorerie excédentaire. En Juin 2007, la trésorerie de Nokia et les
liquidités placées à court terme s’élevaient à 8,7 milliards d’euros. L’acquisition sera financée à 50%
par du cash, et à 50% par de l’endettement, ce qui se ressentira dans les résultats du groupe en 2008 et
2009. Nokia valorise Navteq 54 euros (78 dollars) par action, soit une prime de 34% par rapport à son
cours constaté le mois précédent, (84% par rapport au cours constaté il y a 3 mois). La valeur du
cartographe américain monte alors à 24,2 fois son EBITDA1, et 8,4 fois son chiffre d’affaires. Il s’agit
du plus gros rachat du groupe depuis 1992, date à laquelle il se recentrait sur les activités de téléphonie
mobile.

    Annexe 4 : Evolution du cours de Navteq

Sur le plan stratégique, il s’agit pour Nokia de remonter la chaîne de valeur, en rachetant l’un de ses
fournisseurs. Cette « croissance par intégration en amont »2 se révèle pertinente au regard des bonnes
performances du secteur de la cartographie numérique, et de ses fortes perspectives de croissance.
Conséquence de ce rachat : la mise sur le marché d’une offre intégrée « 100% Nokia » dans la
géolocalisation, alors que la position des équipementiers se réduit traditionnellement au hardware.

                  Contenu : Cartes (Navteq, en cours d’acquisition par Nokia)                            Software
                  Logiciel : Nokia Maps (gate5 AG, racheté par Nokia
                   le 15/10/2006)

                  Système d’exploitation : S60, (Symbian, société britannique
                   possédée à 47,9% par Nokia)                                                               Hardware

                  Terminaux : 27 téléphones Nokia compatibles avec Nokia Maps

Si cette opération de croissance externe peut être perçue comme une stratégie agressive, on peut
imaginer au contraire que ce rachat suive une logique défensive, sachant que des rumeurs couraient en
Juin 2007 sur l’intérêt de Google pour Navteq 3 : « Ce rachat lui permet de sécuriser son
approvisionnement en cartographie numérique, plutôt que de le voir passer chez un concurrent »4.

1
  « Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization », indicateur américain proche de l’EBE français, qui
intègre le coût de la fiscalité en plus
2
  Kotler et Dubois, Marketing Management, Publi Union, 10e édition, 2000, p.108
3
  « Navteq is Google-icious », Geodatablog, Christophe Charpentier, 07/06/07
4
    Thomas Husson, analyste chez Jupiter Research
Plus précisément, avec le rachat de Navteq, Nokia s’empare de l’un des deux fournisseurs présents sur
le marché de la cartographie numérique. Navteq (chiffre d’affaires 2006 : 582 millions de dollars)
occupe une position dominante, avec pour seul concurrent la société néerlandaise Tele Atlas (chiffre
d’affaires 2006 : 264 millions de dollars). Ce duopole, préservé depuis une vingtaine d’année,
s’explique par l’importante base de données (69 pays sur 6 continents en 2008) possédée par Navteq
(60% de parts de marché) et Tele Atlas (40% de parts de marché). Les données cartographiques les
plus précises (limitations de vitesse, emplacement de stations services,…) étant recueillies « à la
main », en sillonnant les routes, la difficulté de constituer une nouvelle base de données représente une
forte barrière à l’entrée de ce marché. Navteq apparaît alors comme un véritable actif stratégique,
source d’avantage compétitif, qui permet à Nokia de fournir certains de ses concurrents. Grâce à cette
acquisition, Nokia se positionne au côté de Tele Atlas sur l’ensemble du marché de la cartographie
numérique.

L’entrée de Nokia sur le marché de la cartographie numérique1 :

                                                                                          TOMTOM
                                               NOKIA
                                                                                          Tele Atlas
                                               Navteq

    Constructeurs                                                                    PND2
    Automobiles
    (1ère monte et                                                                   Garmin
    option)                                                                          TomTom
                                                                                     Magellan
    Groupe Peugeot              Téléphonie                 Marques                   Michelin
    Groupe Fiat                 mobile                     Internet                  Navman
    Renault                                                                          Pioneer et LG
    Nissan                      Nokia Maps                 Google Maps                Marché en
    BMW                         Orange                     Yahoo                     forte croissance
    Ford, …                     Vodafone                   AOL
     Marché en                 Verizon, …                 Microsoft, …              PDA3
    croissance, très             Marché très               Marché en
    dépendant de                prometteur                 croissance                Dell
    l’évolution des                                                                  HP
    ventes                                                                            Marché non
    d’automobiles                                                                    significatif

1
  La lettre de la technologie, « Navteq, une opportunité », René Choulet, 06/09/06
2
  Personal Navigation Devices
3
  Personal Digital Assistants
Le modèle des 5 forces de Porter1

          La stratégie de rachat de contenu de Nokia lui permet de sécuriser sur le long terme sa position en
   amont sur le marché des services Internet mobiles et de diminuer les forces qui pèsent sur la firme :
          -    en diminuant le pouvoir de négociation des fournisseurs et en sécurisant l’approvisionnement
               dans les services où il possède son propre contenu ;
          -    en fournissant du contenu à certains des concurrents du secteur, et probablement à certains
               nouveaux entrants ;
          -    en se positionnant sur le marché des produits de remplacement pour certains services, comme
               la géolocalisation.

                                                          4- Nouveaux entrants :
                                                        Menace relativement forte (4/5)

                                                                        5-                  2- Clients (B to B)
1- Fournisseurs : Pouvoir de négociation                           Concurrents                   Pouvoir de
       nulle (0/5) ou moyen (3/5)                                  du secteur :                  négociation
                                                                   Forte rivalité         relativement fort (4/5)
                                                                      (5/5)                     3- Produits de remplacement :
                                                                                                Menace relativement forte (4/5)

          1- Pouvoir de négociation des fournisseurs nul (0 sur 5) moyen (3 sur 5).

   Le pouvoir de négociation des fournisseurs est nul dans la géolocalisation, le partage de contenus, et
   les jeux, où Nokia est propriétaire de son offre.
   Pour les autres services, il me semble que le pouvoir des fournisseurs est équivalent au pouvoir de
   Nokia. D’un côté, Nokia possède une « super arme »: ses 300 millions de terminaux multimédias en
   circulation, formidable outil de distribution de contenus pour les fournisseurs. De l’autre côté, Nokia a
   absolument besoin de signer avec les grandes marques fournisseurs de contenus pour s’assurer une
   visibilité sur le marché des services Internet.

          2- Pouvoir de négociation des clients relativement fort (4 sur 5)

   1
       M. Porter, L’avantage concurrentiel , InterÉditions, 1986
Il s’agit des opérateurs. Ce sont eux qui maîtrisent aujourd'hui l’extrémité basse de la chaîne de
distribution, c'est-à-dire la relation client, la facturation et la tarification de l'accès et de la
consommation de données sur le mobile. Le contre pouvoir de Nokia : le contrôle du processus
industriel de fabrication des terminaux. Le contenu de cette négociation est approfondi plus loin.

    3- Menace des produits de remplacement relativement forte (4 sur 5)

Il existe des produits de remplacement offrant un à un les services regroupés dans OVI : Navigateurs
GPS, baladeurs mp3, et consoles de jeux portables, qui offrent une qualité de service égale ou
supérieur, pour un prix unitaire inférieur, mais un prix cumulé supérieur.

    4- Menace des nouveaux entrants relativement forte (4 sur 5)

Il est relativement facile d’entrer sur le marché, de signer avec les grandes marques Internet et
d’exister sur le marché des contenus.

    5- Forte rivalité entre les concurrents du secteur (5 sur 5)

Fabricants de terminaux, opérateurs mobiles, marques traditionnelles du web, les concurrents du
secteur sont nombreux, pour un marché en forte croissance. La marque Nokia reste cependant la plus
forte (5e position au classement Interbrand 2007 réalisé par Businessweek, Samsung arrive à la 21e
place, Apple 33e), et le groupe finlandais se distingue de ses concurrents par la pluralité des services
proposés.
L’influence des gouvernements dans le jeu stratégique

           Un grain de sable européen pourrait toutefois gripper la belle mécanique finlandaise. Ainsi, la
Commission européenne s’est saisie du projet d’acquisition de Navteq par Nokia le 28 mars 2008,
craignant d’éventuelles atteintes à la concurrence verticale au sein de l’Espace Economique Européen
: « L'enquête approfondie de la Commission visera notamment à déterminer si l'opération entraînerait
une hausse des coûts des cartes routières numériques pour les autres sociétés qui fournissent des
services de navigation sur combiné mobile ou limiterait leur accès à ces cartes, portant ainsi préjudice
aux consommateurs». Neelie Kroes, membre de la Commission européenne en charge de la
concurrence, rendra son avis le 18 Août prochain.

La Commission européenne peut interdire une concentration pour deux raisons :
       1. Si elle conduit à la suppression d’un acteur indépendant par un concurrent.
           Ici, ce n’est pas le cas puisque Navteq n’était pas concurrent de Nokia.
       2. Si elle crée ou renforce une position dominante sur un marché donné.
           Ici, le rachat de Navteq, l’un des deux seuls fournisseurs de cartes numériques couvrant
           l’Europe et l’Amérique du Nord, par Nokia, leader de la téléphonie mobile avec 40% de parts
           de marchés, pourrait effectivement créer une position dominante de Nokia sur le marché des
           logiciels de navigation pour téléphones mobiles.

Trois options possibles :
       1. La Commission européenne interdit le projet d’acquisition (1 cas sur 400 en 2007)1
       2. La Commission européenne approuve le projet d’acquisition (385 cas sur 400 en 2007)
       3. La Commission européenne soumet le projet d’acquisition à des conditions spécifiques (15 cas
           sur 400 en 2007)

Les statistiques de la Commission mettent en avant la faible probabilité que le projet d’acquisition de
Nokia par Navteq soit interdit. Toutefois, si c’était le cas, c’est un pilier important de la forteresse
numérique de Nokia qui s’écroulerait. La pression concurrentielle sur le marché des services Internet
mobiles s’accentuerait pour l’équipementier, et il conviendrait de nuancer le caractère « verrouillé »
de la position de Nokia en amont de ce marché. Interrogé sur les clients de Navteq, le Directeur
commercial de Nokia, Xavier des Horts, refusa de se prononcer: « Navteq : aucun commentaire. Nokia
ne l'a pas encore acheté - enquête approfondie de la Commission Européenne ».

1
    « Le contrôle des concentrations », Europa, Neelie Kroes, 26/02/2008
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